HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

 

Chapitre XI. — Depuis le 1er prairial (20 mai 1795) jusqu’au 4 brumaire an IV (26 octobre), terme de la Convention.

Campagne de 1793 et 1794. — Dispositions des armées à la nouvelle du 9 thermidor. — Conquête de la Hollande ; positions sur le Rhin. — Paix de Bâle avec la Prusse ; paix avec l’Espagne. — Descente de Quiberon. — La réaction cesse d’être conventionnelle et devient royaliste. — Massacre des révolutionnaires dans le midi. — Constitution directoriale de l’an III. — Décrets de fructidor qui exigent la réélection des deux tiers de la Convention. — Déchaînement du parti royaliste sectionnaire. — Il s’insurge. — Journée du 13 vendémiaire. — Nomination des conseils et du Directoire. — Fin de la Convention ; sa durée, son caractère.

 

 

La prospérité extérieure de la révolution contribua surtout à la chute du gouvernement dictatorial et du parti des Jacobins. Les victoires croissantes de la république, auxquelles ils avaient contribué par la vigueur de leurs mesures ou par leur exaltation, rendirent leur puissance superflue. C’était le comité de salut public qui, en accablant de sa forte et redoutable main l’intérieur de la France, avait développé des ressources, organisé des armées, trouvé des généraux et commandé des victoires qui avaient définitivement assuré le triomphe de la révolution à l’égard de l’Europe. Une situation heureuse n’exigeait plus les mêmes efforts et la mission du comité était accomplie, le propre d’une pareille dictature étant de sauver un pays et une cause, et de périr par le salut même qu’elle produit. Les événements intérieurs nous ont empêché de faire connaître rapidement l’impulsion que le comité de salut public donna aux armées après le 31 mai et les résultats qu’il en obtint.

La levée en masse qui eut lieu pendant l’été de 1793 forma les troupes de la Montagne. Les chefs de ce parti choisirent bientôt dans les rangs secondaires des généraux montagnards en remplacement des généraux girondins. Ces généraux furent Jourdan, Pichegru, Hoche, Moreau, Westermann, Dugommier, Marceau, Joubert, Kléber, etc. Carnot devint, par son entrée au comité de salut public, le ministre de la guerre et le major général de toutes les armées républicaines. Au lieu de corps dispersés et agissant avec peu de concert sur des points isolés, il procéda par de fortes masses et concentriquement vers un but unique. Il commença la méthode de la grande guerre, qu’il essaya avec un succès décisif à Watignies, en qualité de commissaire de la Convention. Cette victoire importante, à laquelle il coopéra de sa personne, rejeta les généraux réunis Clairfayt et prince de Cobourg derrière la Sambre, et fit lever le siége de Maubeuge. Pendant l’hiver de 1793 à 1794, les deux armées restèrent en présence sans rien entreprendre.

À l’ouverture de la campagne, elles conçurent l’une et l’autre un projet d’invasion. L’armée autrichienne se jeta sur les villes de la Somme, Péronne, Saint-Quentin, Arras et menaça Paris, tandis que l’armée française projeta de nouveau la conquête de la Belgique. Le plan du comité de salut public fut combiné bien autrement que le dessein vague de la coalition. Pichegru, à la tête de cinquante mille hommes, à l'armée du nord, pénétra dans la Flandre, en s’appuyant sur la mer et sur l’Escaut. à sa droite, vingt mille hommes, commandés par Moreau, se portèrent sur Menin et Courtrai. Le général Souham resta avec trente mille hommes sous Lille, pour soutenir l’extrême droite de l’armée d’invasion contre les Autrichiens, tandis que Jourdan, avec l’armée de la Moselle, se dirigea vers Charleroi par Arlon et Dinan, pour se joindre à l’armée du nord.

Les Autrichiens, attaqués en Flandre et menacés d’être pris à revers par Jourdan, quittèrent bien vite leurs positions de la Somme. Clairfayt et le duc d’York se firent battre à Courtrai et à Hooglède par l’armée de Pichegru ; le prince de Cobourg, à Fleurus, par celle de Jourdan, qui venait de prendre Charleroi. Les deux généraux victorieux achevèrent rapidement l’invasion des Pays-Bas. L’armée anglo-hollandaise se replia sur Anvers, d’Anvers sur Bréda, de Bréda sur Bois-le-Duc, en essuyant des échecs continuels. Elle passa le Wahal et se jeta en Hollande. Les Autrichiens essayèrent tout aussi vainement de couvrir Bruxelles, Maëstricht : ils furent poursuivis et battus par l’armée de Jourdan, qui, depuis sa jonction, avait pris le nom d’armée de Sambre-et-Meuse et qui ne les laissa point derrière la Roër, comme avait fait Dumouriez, mais les poussa au de là du Rhin. Jourdan se rendit maître de Cologne, de Bonn, et communiqua par sa droite avec la gauche de l’armée de la Moselle qui s’était avancée dans le pays de Luxembourg et qui, conjointement avec lui, occupa Coblentz. Il y avait eu un mouvement général et concerté de toutes les armées françaises, qui s’ébranlèrent pour courir à la frontière du Rhin. à l’époque des défaites, les lignes de Wissembourg avaient été forcées. Le comité de salut public employa dans l’armée du Rhin les mesures expéditives de sa politique. Les commissaires Saint-Just et Lebas donnèrent le commandement général à Hoche, mirent la terreur et la victoire à l’ordre du jour, et dans peu les généraux Brunswick et Wurmser furent poussés de Haguenau sur les lignes de la Lauter, et, ne pouvant pas même s’y maintenir, passèrent le Rhin à Philisbourg. Spire, Worms, furent repris. Les troupes républicaines, partout conquérantes, occupèrent la Belgique, la partie de la Hollande située sur la gauche de la Meuse et toutes les villes placées sur le cours du Rhin, hors Mayence et Manheim, qui furent serrées de près.

L’armée des Alpes ne fit pas beaucoup de progrès dans cette campagne. Elle tenta d’envahir le Piémont, mais elle ne réussit point. Sur la frontière d’Espagne, la guerre avait commencé sous de funestes auspices ; les deux armées des Pyrénées-Orientales et des Pyrénées-Occidentales, peu fortes en nombre et peu aguerries, avaient été constamment battues, et s’étaient retirées, l’une sous Perpignan, l’autre sous Bayonne. Le comité de salut public ne dirigea qu’assez tard son attention et ses efforts sur ce point, qui n’était pas le plus dangereux pour lui. Mais, dès qu’il eut introduit son système, ses généraux et son organisation dans les deux armées, les choses changèrent de face. Dugommier, après des succès multipliés, chassa les Espagnols du territoire français, et pénétra dans la péninsule par la Catalogne. Moncey l’envahit aussi par la vallée de Bastan, à l’autre ouverture des Pyrénées, et se rendit maître de Saint-Sébastien et de Fontarabie. La coalition était partout vaincue, et quelques-unes des puissances confédérées commençaient à se repentir de leur confiante adhésion.

Ce fut sur ces entrefaites que la révolution du 9 thermidor parvint aux armées. Elles étaient entièrement républicaines, et elles craignirent que la chute de Robespierre n’entraînât celle du gouvernement populaire : aussi ne l’apprirent-elles pas avec l’ardente satisfaction qu’on en ressentit dans l’intérieur de la France. Mais, comme les armées étaient soumises au pouvoir civil, aucune d’elles ne s’insurgea. Les tentatives d’insurrection de l’armée n’eurent lieu que du 14 juillet au 31 mai, parce qu’étant le refuge des partis vaincus, leurs chefs avaient, à chaque crise, l’avantage de l’ancienneté politique, et se prononcèrent avec toute l’ardeur des opinions compromises. Sous le comité de salut public, au contraire, les généraux les plus renommés n’eurent aucune importance politique et furent soumis à la discipline terrible des partis. Tout en contrariant parfois les généraux, la Convention n’eut pas de peine à maintenir les armées dans l’obéissance.

Peu de temps après, le mouvement d’invasion se prolongea en Hollande et dans la péninsule espagnole. Les Provinces-Unies furent attaquées au milieu de l’hiver, et de plusieurs côtés, par Pichegru, qui appela les patriotes bataves à la liberté. Le parti opposé au stathoudérat seconda les efforts victorieux de l’armée française, et la révolution se fit en même temps que la conquête de Leyde, à Amsterdam, à la Haye, à Utrecht. Le stathouder se réfugia en Angleterre ; son autorité fut abolie, et l’assemblée des états généraux proclama la souveraineté du peuple, et constitua la république batave, qui contracta une union étroite avec la France, à laquelle elle céda, par le traité de Paris du 16 mai 1795, la Flandre hollandaise, Maëstricht, Venloo et leurs dépendances. La navigation du Rhin, de l’Escaut, et de la Meuse fut rendue libre aux deux nations. La Hollande, par ses richesses, contribua puissamment aux moyens de continuer la guerre contre la coalition. Cette importante conquête enleva en même temps un grand appui aux Anglais, et força la Prusse, menacée sur le Rhin et par la Hollande, à conclure à Bâle, avec la république française, une paix à laquelle ses revers et les affaires de Pologne l’avaient depuis quelque temps disposée. La paix se fit aussi à Bâle le 16 juillet avec l’Espagne, alarmée de nos progrès sur son territoire. Figuières et le fort de Roses avaient été pris, et Pérignon s’avançait dans la Catalogne, tandis que Moncey, après s’être rendu maître de Villa-Réal, de Bilbao, de Vittoria, marchait contre les Espagnols retirés sur les frontières de la Vieille-Castille. Le cabinet de Madrid demanda la paix. Il reconnut la république française, qui lui restitua ses conquêtes et qui reçut en échange la partie de Saint-Domingue possédée par l’Espagne. Les deux armées aguerries des Pyrénées se joignirent à l’armée des Alpes, qui par ce moyen envahit bientôt le Piémont et déborda en Italie, où la Toscane seule avait fait la paix avec la république, le 9 février 1795.

Ces pacifications partielles et les revers des troupes coalisées dirigèrent les efforts de l’Angleterre et de l’émigration d’un autre côté. Le moment était revenu de prendre le point d’appui contre-révolutionnaire dans l’intérieur. En 1791, lorsqu’il y avait accord en France, les royalistes avaient tout espéré des puissances étrangères ; aujourd’hui les dissidences du dedans et les défaites de l’Europe ne leur laissaient d’autres ressources que les conspirations. Les tentatives malheureuses, comme on le sait, ne désespèrent jamais les partis vaincus : il n’y a que la victoire qui lasse et qui épuise, et c’est ce qui, tôt ou tard, ramène la domination de ceux qui continuent à espérer et savent attendre.

Les événements de prairial et la défaite du parti jacobin avaient décidé le mouvement contre-révolutionnaire. à cette époque la réaction, qui avait été conduite par les républicains modérés, devint généralement royaliste. Les partisans de la monarchie étaient encore aussi divisés qu’ils l’avaient été depuis l’ouverture des états généraux jusqu’au 10 août. Dans l’intérieur, les anciens constitutionnels qui avaient leur siége dans les sections, et qui se composaient de la classe moyenne riche, n’entendaient pas la monarchie comme les royalistes absolus. Ils éprouvaient toujours la rivalité et l’éloignement d’intérêt, naturels à des bourgeois contre des privilégiés. Les royalistes absolus eux-mêmes n’étaient pas d’accord : le parti qui s’était battu dans l’intérieur sympathisait peu avec celui qui s’était enrôlé dans les armées de l’Europe. Mais, outre les dissidences qui existaient entre les Vendéens et les émigrés, il en existait aussi entre les émigrés d’après la date de leur sortie de France. Cependant tous ces royalistes d’opinions diverses, n’ayant pas à débattre encore le prix de la victoire, s’entendirent pour attaquer en commun la Convention. Les émigrés et les ecclésiastiques, qui depuis quelques mois étaient rentrés en grand nombre, prirent la bannière des sections, dans l’espérance, s’ils l’emportaient au moyen de la classe moyenne, d’établir leur propre gouvernement ; car ils avaient un chef et un but précis, ce que les sectionnaires n'avaient point. Cette réaction d’un nouveau caractère fut contenue pendant quelque temps à Paris, où la Convention, puissance neutre et forte, voulait empêcher également les violences et les usurpations des deux partis. Tout en détruisant la domination des Jacobins, elle réprimait les vengeances des royalistes. Ce fut alors que la plus grande partie de la troupe dorée déserta sa cause, que les meneurs des sections préparèrent la bourgeoisie à combattre l’assemblée, et que la confédération des journalistes succéda à celle des Jacobins. La Harpe, Richer de Serizy, Poncelin, Tronçon du Coudray, Marchéna, etc.., se firent les organes de cette nouvelle opinion et furent les clubistes lettrés. Les troupes actives quoique régulières de ce parti se réunissaient au théâtre Feydeau, au boulevard des Italiens, au Palais-Royal, et faisaient la chasse des Jacobins en chantant le réveil du peuple. Le mot de proscription, dans ces temps, était celui de terroriste, au moyen duquel un honnête homme pouvait, en toute conscience, courir sus à un révolutionnaire. La classe des terroristes s’étendait au gré des passions des nouveaux réacteurs, qui portaient les cheveux à la victime, et qui, ne craignant plus d’avouer leurs intentions, avaient adopté depuis quelque temps l’habit gris à revers, collet noir ou vert, uniforme des chouans.

Mais cette réaction fut bien plus fougueuse dans les départements, où aucune puissance ne put s’interposer pour prévenir le carnage. Il n’y avait là que deux partis, celui qui avait dominé et celui qui avait souffert sous la Montagne. La classe intermédiaire était alternativement gouvernée par les royalistes et par les démocrates. Ceux-ci, présageant les terribles représailles dont ils seraient l’objet en succombant, tinrent tant qu’ils purent ; mais leur défaite à Paris entraîna leur chute dans les départements. On vit alors des exécutions de parti semblables à celles des proconsuls du comité de salut public. Le midi fut surtout en proie aux massacres en masse et aux vengeances personnelles. Il s’était organisé des compagnies de Jésus et des compagnies du soleil, qui étaient royalistes par leur institution, et qui exécutèrent d’épouvantables représailles. à Lyon, à Aix, à Marseille, on égorgea dans les prisons ceux qui avaient participé au régime précédent. Presque tout le midi eut son 2 septembre. à Lyon, après les premiers massacres des révolutionnaires, les hommes de la compagnie faisaient la chasse à ceux qui n’avaient point été pris, et, lorsqu’ils en rencontraient un, sans autre forme que ce seul mot : voilà un matavon (c’est ainsi qu’ils les appelaient) ; ils le tuaient et le jetaient dans le Rhône. À Tarascon, on les précipitait du haut de la tour sur un rocher qui bordait le Rhône. Pendant cette terreur en sens inverse et cette défaite générale du parti révolutionnaire, l’Angleterre et l’émigration tentèrent l’entreprise hardie de Quiberon.

Les Vendéens avaient été épuisés par leurs défaites réitérées ; mais ils n’étaient pas entièrement réduits. Cependant leurs pertes, autant que les divisions de leurs principaux chefs, Charette et Stofflet, les rendaient d’un bien faible secours. Charette avait même consenti à traiter avec la république, et une sorte de pacification avait été conclue à Jusnay entre lui et la Convention. Le marquis de Puisaye, homme entreprenant, mais léger et plus capable d’intrigues que de fortes conceptions de parti, avait eu le dessein de remplacer l’insurrection presque éteinte de la Vendée par celle de Bretagne. Depuis l’entreprise de Wimpffen, où Puisaye avait eu un commandement, il existait déjà dans le Calvados et le Morbihan des bandes de chouans composées de restes de partis, d’hommes déplacés et aventureux, de hardis contrebandiers, qui faisaient des expéditions, mais qui ne pouvaient pas tenir la campagne comme les Vendéens. Puisaye recourut à l’Angleterre pour étendre la chouannerie : il lui fit espérer un soulèvement général dans la Bretagne et de là dans le reste de la France, si l’on débarquait un noyau d’armée, des munitions et des fusils.

Le ministère britannique, déçu du côté de la coalition, ne demandait pas mieux que de créer de nouveaux périls à la république, en attendant de ranimer le courage de l’Europe. Il accorda sa confiance à Puisaye, prépara, au printemps de 1795, une expédition dont firent partie les émigrés les plus énergiques, beaucoup d’officiers de l’ancienne marine, et tous ceux qui, las du rôle d’exilés et des douleurs d’une vie errante, voulurent tenter une dernière fois la fortune. La flotte anglaise déposa dans la presqu’île de Quiberon quinze cents émigrés, six mille prisonniers républicains enrôlés sous l’émigration pour rentrer en France ; soixante mille fusils et un équipement complet pour une armée de quarante mille hommes. Quinze cents chouans se joignirent à l’armée de débarquement, qui fut bientôt attaquée par le général Hoche. Il parvint à la tourner ; les prisonniers républicains qui étaient dans ses rangs l’abandonnèrent, et elle fut vaincue après la plus vive résistance. Dans la guerre à mort de l’émigration et de la république, les vaincus furent traités comme étant hors la loi, et impitoyablement massacrés. Leur perte fut une plaie profonde et incurable pour l’émigration.

Les espérances fondées sur les victoires de l’Europe, sur les progrès de l’insurrection et la tentative des émigrés se trouvant renversées, on recourut aux sections mécontentes. On espéra faire la contre-révolution au moyen de la constitution nouvelle décrétée par la Convention le 22 août 1795. Cette constitution était cependant l’oeuvre du parti modéré républicain. Mais, comme elle redonnait l’ascendant à la classe moyenne, les meneurs royalistes crurent entrer facilement par elle dans le corps législatif et dans le gouvernement.

Cette constitution était la moins imparfaite, la plus libérale et la plus prévoyante qu’on eût encore établie ou projetée : elle était le résultat de six années d’expérience révolutionnaire et législative. La Convention éprouvait à cette époque le besoin d’organiser le pouvoir et de rasseoir le peuple, à la différence de la première assemblée qui, par sa situation, n’avait ressenti que le besoin d'affaiblir la royauté et de remuer la nation. Tout avait été usé depuis le trône jusqu’au peuple : il fallait vivre aujourd’hui en reconstruisant, et rétablir l’ordre tout en conservant une certaine activité politique à la nation. C’est ce que fit la constitution nouvelle. Elle s’éloigna peu de celle de 1791, quant à l’exercice de la souveraineté ; mais elle en différa beaucoup dans tout ce qui était relatif au gouvernement. Elle plaça le pouvoir législatif dans deux conseils : celui des Cinq-Cents et celui des anciens : le pouvoir exécutif dans un Directoire de cinq membres. Elle rétablit les deux degrés d’élection, destinés à ralentir le mouvement populaire et à donner des choix plus éclairés que les élections immédiates. Des conditions de propriété, sages, mais bornées, pour être membres des assemblées primaires et des assemblées électorales, redonnèrent l’importance politique à la classe moyenne, à laquelle il fallait forcément revenir après le licenciement de la multitude et l’abandon de la constitution de 93.

Afin de prévenir le despotisme ou l’asservissement d’une seule assemblée, on voulut placer quelque part le pouvoir de l’arrêter ou de la défendre. La division du corps législatif en deux conseils, qui avaient la même origine, la même durée, et dont les fonctions seules étaient différentes, atteignit le double but de ne point effaroucher le peuple par une institution aristocratique, et de contribuer à une meilleure forme de gouvernement. Le conseil des Cinq-Cents, dont les membres durent être âgés de trente ans, eut seul l’initiative et la discussion des lois que le conseil des anciens, composé de deux cent cinquante membres, âgés de quarante ans accomplis, fut chargé d’admettre ou de rejeter.

Pour éviter la précipitation des mesures législatives et afin que, dans un moment d'effervescence populaire, on ne forçât point la sanction du conseil des anciens, ce conseil ne put se décider qu’après trois lectures fixées à cinq jours de distance au moins. Dans le cas d’urgence, il fut dispensé de cette formalité ; mais il était juge de l’urgence. Ce conseil agissait tantôt en pouvoir législatif, lorsqu’il n’approuvait pas la mesure au fond et qu’il se servait de la formule : le conseil des anciens ne peut adopter ; tantôt en pouvoir conservateur, lorsqu’il ne la considérait que sous son rapport légal, et qu’il disait : la constitution annule. On établit pour la première fois les réélections partielles, et l’on fixa le renouvellement des conseils par moitié tous les deux ans, afin d’éviter ces levées de législateurs qui arrivaient avec un désir immodéré d’innovations, et changeaient subitement l’esprit d’une assemblée.

Le pouvoir exécutif fut séparé des conseils et n’exista plus dans les comités. On redoutait encore trop la monarchie pour nommer un président de la république. On se borna donc à créer un Directoire de cinq membres élus par le conseil des anciens, sur la présentation de celui des Cinq-Cents. Les directeurs purent être mis en jugement par les conseils, mais ils ne purent pas être révoqués par eux. On leur donna un pouvoir d’exécution général et indépendant ; mais on voulut aussi qu’ils n’en abusassent point, et surtout que la trop grande habitude de l’autorité ne les conduisît pas à l’usurpation. Ils eurent la direction de la force armée et des finances, la nomination des fonctionnaires, la conduite des négociations ; mais ils ne purent rien faire par eux-mêmes ; il leur fallut des ministres et des généraux, de la conduite desquels ils furent responsables. Chacun d’eux fut président pendant trois mois, et eut alors la signature et les sceaux. Tous les ans le Directoire dut se renouveler par cinquième. Les attributions de la royauté de 1791 furent, comme on le voit, partagées entre le conseil des anciens, qui eut le veto, et le Directoire, qui eut le pouvoir exécutif. Le Directoire obtint une garde, un palais national, le Luxembourg, pour demeure, et une sorte de liste civile.

Le conseil des anciens, destiné à arrêter les écarts du pouvoir législatif, fut investi des moyens de réprimer les usurpations du Directoire : il put changer la résidence des conseils et du gouvernement. La prévoyance de cette constitution était incontestable : elle prévenait les violences populaires, les attentats du pouvoir, et pourvoyait à tous les périls qu’avaient signalés les diverses crises de la révolution. Certainement, si une constitution avait pu se consolider à cette époque, c’était la constitution directoriale. Elle refaisait le pouvoir, permettait la liberté, et offrait aux divers partis l’occasion de la paix, si chacun d’eux, sans arrière-pensée, ne songeant plus à la domination exclusive et se contentant du droit commun, eût pris sa véritable place dans l’état. Mais elle ne dura pas plus que les autres, parce qu’elle ne put pas établir l’ordre légal malgré les partis. Chacun d’eux aspira au gouvernement pour faire valoir son système et ses intérêts, et, au lieu du règne de la loi, on retomba encore sous celui de la force et des coups d’état. Lorsque les partis ne veulent pas finir une révolution, et ceux qui ne dominent point ne le veulent jamais, une constitution, quelque bonne qu’elle soit, ne peut pas le faire.

Les membres de la commission des onze, qui, avant les journées de prairial, n’avaient pas d’autre mission que de préparer les lois organiques de la constitution de 93 et qui, après ces journées, firent celle de l’an III, étaient à la tête du parti conventionnel. Ce parti n’était ni l’ancienne Gironde, ni l’ancienne Montagne. Neutre jusqu’au 31 mai, assujetti jusqu’au 9 thermidor, il était entré en possession du pouvoir depuis cette époque, parce que la double défaite des Girondins et des Montagnards l’avait laissé le plus fort. C’est à lui que s’étaient réunis les hommes des côtés extrêmes, qui avaient commencé la fusion. Merlin de Douai représentait la partie de cette masse qui avait cédé aux circonstances, Thibaudeau la partie demeurée inactive, et Daunou la partie courageuse. Ce dernier s’était déclaré contre les coups d’état depuis l’ouverture de l’assemblée, et contre le 21 janvier, et contre le 31 mai, parce qu’il voulait le régime de la Convention sans les violences et les mesures de parti. Après le 9 thermidor, il blâma l’acharnement déployé contre les chefs du gouvernement révolutionnaire, dont il avait été la victime comme l’un des soixante-treize. Il avait obtenu beaucoup d’ascendant à mesure qu’on avançait vers le régime légal. Son attachement éclairé à la révolution, sa noble indépendance, la modération de ses idées et son imperturbable constance le rendirent l’un des acteurs les plus influents de cette époque. Il fut le principal auteur de la constitution de l'an III, et la Convention le chargea, avec quelques autres de ses membres, de la défense de la république dans la crise de vendémiaire.

La réaction continuait de plus en plus ; elle était indirectement favorisée par les membres de la droite, qui, depuis le début de cette assemblée, n’avaient été qu’accidentellement républicains. Ils n’étaient pas disposés à repousser les attaques des royalistes avec la même énergie que celles des révolutionnaires. De ce nombre étaient Boissy-d’Anglas, Lanjuinais, Henri la Rivière, Saladin, Aubry, etc.. ; ils formaient dans l’assemblée le noyau du parti sectionnaire. D’anciens et de fougueux Montagnards, tels que Rovère, Bourdon de l’Oise, etc., entraînés par le mouvement contre-révolutionnaire, laissaient prolonger la réaction sans doute pour faire leur paix avec ceux qu’ils avaient si violemment combattus. Mais le parti conventionnel, rassuré du côté des démocrates, mit tous ses efforts à empêcher le triomphe des royalistes. Il comprit que le salut de la république dépendait de la formation des conseils, et que les conseils, devant être choisis par la classe moyenne, que dirigeaient des chefs royalistes, seraient contre révolutionnairement composés. Il lui importait de confier la garde du régime qu’on allait établir à ceux qui étaient intéressés à le défendre. Pour éviter la faute de la constituante, qui s’était exclue de la législature suivante, la Convention décida, par un décret, que les deux tiers de ses membres seraient réélus. Par ce moyen, elle s’assura la majorité des conseils, la nomination du Directoire ; elle put accompagner dans l’état sa constitution et la consolider sans secousse. Cette réélection des deux tiers était peu légale ; mais elle était politique, et elle pouvait seule sauver la France du régime des démocrates ou des contre-révolutionnaires. La Convention s’accorda une dictature modératrice par les décrets du 5 et du 13 fructidor (22 et 30 août 1795), dont l’un établissait la réélection et dont l’autre en fixait le mode. Mais ces deux décrets exceptionnels furent soumis à la ratification des assemblées primaires en même temps que l’acte constitutionnel.

Le parti royaliste fut pris au dépourvu par les décrets de fructidor. Il espérait entrer dans le gouvernement par les conseils, dans les conseils par les élections, et opérer le changement de régime lorsqu’il serait constitué en puissance. Il se déchaîna contre la Convention. Le comité royaliste de Paris, dont l’agent était un homme assez obscur nommé Lemaître, les journalistes, les meneurs des sections, se coalisèrent. Ils n’eurent pas de peine à se donner l’appui de l’opinion, dont ils se faisaient les seuls organes ; ils accusèrent la Convention de perpétuer son pouvoir et d’attenter à la souveraineté du peuple. Les principaux partisans des deux tiers, Louvet, Daunou, Chénier, ne furent point ménagés, et tous les préparatifs d’un grand mouvement eurent lieu. Le faubourg Saint-Germain, naguère désert, se remplissait de jour en jour ; les émigrés arrivaient en foule, et les conjurés, déguisant assez peu leurs desseins, avaient adopté l’uniforme des chouans.

La Convention, voyant grossir l’orage, chercha son soutien dans l’armée, qui était alors la classe républicaine, et elle forma un camp sous Paris. Le peuple avait été licencié, et les royalistes s’étaient emparés de la bourgeoisie. Sur ces entrefaites, les assemblées primaires se réunirent, le 20 fructidor, pour délibérer sur l’acte constitutionnel et sur les décrets des deux tiers, qui devaient être adoptés ou rejetés ensemble. La section Lepelletier (anciennement filles-saint-Thomas) fut le centre de toutes les autres. Sur sa proposition, on décida que les pouvoirs de toute autorité constituante cessaient en présence du peuple assemblé. La section Lepelletier, dirigée par Richer-Serizy, la Harpe, Lacretelle jeune, Vaublanc, etc.., s’occupa d’organiser le gouvernement insurrectionnel, sous le nom de comité central. Ce comité devait remplacer en vendémiaire, contre la Convention, le comité du 10 août contre le trône, et du 31 mai contre les Girondins. La majorité des sections adopta cette mesure, qui fut cassée par la Convention, dont le décret fut cassé à son tour par la majorité des sections. La lutte devint tout à fait ouverte ; et dans Paris l’on sépara l’acte constitutionnel, qui fut adopté, des décrets de réélection, que l’on rejeta.

Le 1er vendémiaire, la Convention proclama l’acceptation des décrets par le plus grand nombre des assemblées primaires de France. Les sections se réunirent de nouveau pour nommer les électeurs qui devaient choisir les membres de la législature. Le 10, elles arrêtèrent que les électeurs s’assembleraient au Théâtre-Français (il se trouvait au-delà des ponts), qu’ils y seraient conduits par la force armée des sections qui jurerait de les défendre jusqu’à la mort. En effet, le 11, les électeurs se constituèrent sous la présidence du duc de Nivernois, et sous la garde de quelques détachements de chasseurs et de grenadiers.

La Convention, avertie par le danger, se mit en permanence, appela autour de son enceinte les troupes du camp des Sablons, et concentra ses pouvoirs dans un comité de cinq membres, qui fut chargé de toutes les mesures de salut public. Ces membres étaient Colombel, Barras, Daunou, Letourneur et Merlin de Douai. Depuis quelque temps, les révolutionnaires n’étaient plus à craindre, et l’on avait relâché tous ceux qui avaient été emprisonnés pour les événements de prairial. On enrégimenta, sous le nom de bataillon des patriotes de 89, environ quinze ou dix-huit cents d’entre eux, qui avaient été poursuivis, dans les départements ou à Paris, par les réactionnaires. Le 11 au soir, la Convention envoya dissoudre, par la force, l’assemblée des électeurs, qui s’était déjà séparée en s’ajournant au lendemain.

Dans la nuit du 11, le décret qui dissolvait le collège des électeurs et qui armait le bataillon des patriotes de 89 excita la plus grande agitation. On battit la générale ; la section Lepelletier tonna contre le despotisme de la Convention, contre le retour de la terreur, et pendant toute la journée du 12 elle disposa les autres sections à combattre. Le soir, la Convention, non moins agitée elle-même, se décida à prendre l’initiative, à cerner la section insurrectionnelle, et à finir la crise en la désarmant. Le général de l’intérieur Menou et le représentant Laporte furent chargés de cette mission. Le chef-lieu des sectionnaires était au couvent de filles-saint-Thomas, devant lequel ils avaient environ sept ou huit cents hommes en bataille. Ils furent cernés par des forces supérieures, en flanc par les boulevards, et en face du côté de la rue Vivienne. Au lieu de les désarmer, les chefs de l’expédition parlementèrent avec eux. Il fut convenu qu’on se retirerait de part et d’autre ; mais à peine les troupes conventionnelles furent-elles parties que les sectionnaires revinrent en force. Ce fut pour eux une véritable victoire, qui fut exagérée dans Paris, comme il arrive toujours, qui exalta leurs partisans, augmenta leur nombre et leur donna le courage d’attaquer la Convention le lendemain.

Celle-ci apprit à onze heures du soir l’issue de cette expédition et le dangereux effet qu’elle avait produit. Aussitôt elle destitua Menou, et donna le commandement de la force armée à Barras, général du 9 thermidor. Barras demanda pour second, au comité des cinq, un jeune officier qui s’était distingué au siége de Toulon, destitué par le réactionnaire Aubry, homme de tête et de résolution, capable de servir la république dans un tel moment de péril. Ce jeune officier était Bonaparte ; il parut devant le comité, et rien en lui n’annonçait encore ses étonnantes destinées. Peu homme de parti, appelé pour la première fois sur cette grande scène, il avait dans sa contenance quelque chose de timide et de mal assuré, qu’il perdit dans les préparatifs et dans le feu de la bataille. Il fit venir en toute hâte les pièces d’artillerie du camp des Sablons, et il les disposa ainsi que les cinq mille hommes de l’armée conventionnelle, sur tous les points par où l’on pouvait être assailli. Le 13 vendémiaire, vers midi, l’enceinte de la Convention avait l’aspect d’une place forte qu’il fallait prendre d’assaut. La ligne de défense s’étendait : sur le côté des Tuileries qui longe la rivière, depuis le Pont-Neuf jusqu’au Pont Louis XV ; sur le côté opposé, dans toutes les petites rues qui débouchent sur celle Saint-Honoré, depuis celles de Rohan, de l’échelle, du cul-de-sac Dauphin, jusqu’à la place de la Révolution. En face, le Louvre, le jardin de l’Infante, le carrousel, étaient garnis de canons ; et, par derrière, le Pont-Tournant et la place de la Révolution formaient un parc de réserve. C’est dans cet état que la Convention attendit les insurgés.

Ceux-ci la cernèrent bientôt sur plusieurs points. Ils avaient environ quarante mille hommes sous les armes, commandés par les généraux Danican, Duhoux et l'ex-garde du corps Lafond. Les trente-deux sections, qui formaient la majorité, avaient fourni leur contingent militaire. Parmi les seize autres, plusieurs sections des faubourgs avaient leurs troupes dans le bataillon de 89. Quelques-unes envoyèrent du secours pendant l’action, comme celles des Quinze-Vingts et de Montreuil ; d’autres ne le purent pas, quoique bien disposées, comme celles de Popincourt ; enfin d’autres restèrent neutres, comme celle de l'indivisibilité.

De deux heures à trois, le général Carteaux, qui occupait le Pont-Neuf avec quatre cents hommes et deux pièces de quatre, fut entouré par plusieurs colonnes de sectionnaires, qui l’obligèrent de se replier jusqu’au Louvre. Cet avantage enhardit les insurgés, qui étaient en force sur tous les points. Le général Danican somma la Convention de faire retirer ses troupes et de désarmer les terroristes. Le parlementaire, introduit dans l’assemblée les yeux fermés, y jeta d’abord quelque trouble par sa mission. Plusieurs membres se déclarèrent pour des mesures de conciliation. Boissy-d’Anglas fut d’avis d’entrer en conférence avec Danican ; Gamon proposa une proclamation dans laquelle on engageait les citoyens à se retirer, en leur promettant de désarmer ensuite le bataillon de 89. Cette adresse aux sections excita les plus violents murmures. Chénier s’élança à la tribune : je suis étonné, dit-il, qu’on vienne nous entretenir de ce que demandent les sections en révolte. Il n’y a point de transaction ; il n’y a pour la Convention nationale que la victoire ou la mort ! Lanjuinais voulut soutenir cette adresse, en faisant valoir l’imminence et les malheurs de la guerre civile ; mais la Convention ne voulut pas l’entendre, et, sur la motion de Fermond, elle passa à l’ordre du jour. Les débats continuèrent pendant quelque temps encore sur les mesures de paix ou de guerre avec les sections, lorsqu’on entendit, vers quatre heures et demie, plusieurs décharges de mousqueterie, qui firent cesser toute délibération. On apporta sept cents fusils, et les conventionnels s’armèrent comme corps de réserve.

Le combat s’était engagé dans la rue Saint-Honoré, dont les insurgés étaient maîtres. Les premiers coups partirent de l’hôtel de Noailles, et un feu meurtrier se prolongea sur toute cette ligne. Peu d’instants après, sur l’autre flanc, deux colonnes fortes d’environ quatre mille sectionnaires, commandés par le comte de Maulevrier, débouchèrent par les quais et attaquèrent le Pont-Royal. La bataille fut alors générale ; mais elle ne pouvait pas durer longtemps ; la place était trop bien défendue pour être prise d’assaut. Après une heure de combat, les sectionnaires furent débusqués de Saint-Roch et de la rue Saint-Honoré par le canon de la Convention et par le bataillon des patriotes. La colonne du Pont-Royal essuya en tête et en écharpe, par le pont et par les quais, trois décharges d’artillerie qui l’ébranlèrent et la mirent en pleine déroute. à sept heures, les troupes conventionnelles, victorieuses sur tous les points, prirent l’offensive, à neuf heures elles avaient délogé les sectionnaires du théâtre de la république et des postes qu’ils occupaient encore dans le voisinage du Palais-Royal. Ils se disposaient à faire des barricades pendant la nuit, et l’on tira dans la rue de la Loi (Richelieu) plusieurs volées de canon pour empêcher les travaux. Le lendemain 14, les troupes conventionnelles désarmèrent la section Lepelletier, et firent rentrer les autres dans l’ordre.

L’assemblée, qui n’avait combattu que pour se défendre, montra une habile modération. Le 13 vendémiaire fut le 10 août des royalistes contre la république, si ce n’est que la Convention résista à la bourgeoisie beaucoup mieux que le trône aux faubourgs. La position dans laquelle se trouvait la France contribua beaucoup à cette victoire. On voulait, dans ce moment, une république sans gouvernement révolutionnaire, un régime modéré sans contre-révolution. La Convention, qui était une puissance médiatrice, également prononcée contre la domination exclusive de la classe inférieure, qu’elle avait repoussée en prairial, et la domination réactionnaire de la bourgeoisie, qu’elle repoussait en vendémiaire, paraissait seule capable de satisfaire ce double besoin et de faire cesser entre les partis l’état de guerre, qui se prolonge par leur passage alternatif au gouvernement. Cette situation lui donna, autant que ses propres dangers, le courage de la résistance et l’avantage de la victoire. Les sections ne pouvaient pas la surprendre, et pouvaient encore moins la prendre d’assaut.

Après les événements de vendémiaire, la Convention s’occupa de former les conseils et le Directoire. Le tiers, librement choisi, l’avait été dans le sens des réactionnaires. Quelques conventionnels, à la tête desquels était Tallien, proposèrent d’annuler les élections de ce tiers, et voulurent suspendre quelque temps encore le gouvernement constitutionnel. Thibaudeau déjoua leur dessein avec beaucoup de courage et d’éloquence. Le parti conventionnel entier se rangea de son avis. Il repoussait tout arbitraire superflu, et se montrait impatient de sortir d’un état provisoire qui durait depuis trois années. La Convention s’établit en assemblée électorale nationale pour compléter dans son sein les deux tiers. Elle forma ensuite les conseils : celui des anciens, des deux cent cinquante membres, qui, selon le voeu de la nouvelle loi, avaient quarante ans accomplis ; celui des Cinq-Cents, de tous les autres. Les conseils se constituèrent aux Tuileries. Il s’agit alors de former le gouvernement.

L’attaque de vendémiaire était toute récente ; et le parti républicain, redoutant surtout la contre-révolution, convint de ne choisir les directeurs que parmi les conventionnels, et de plus parmi ceux qui avaient voté la mort du roi. Quelques membres des plus influents, au nombre desquels était Daunou, combattirent cette opinion, qui limitait les choix et conservait un caractère dictatorial et révolutionnaire au gouvernement ; mais elle l’emporta. Les conventionnels élus furent la Réveillère-Lépeaux, investi d’une confiance générale à cause de sa conduite courageuse au 31 mai, de sa probité et de sa modération ; Sieyès, la plus grande réputation de l’époque ; Rewbel, qui avait une rare activité administrative ; Letourneur, l’un des membres de la commission des cinq dans la dernière crise ; et Barras, porté pour ses deux bonnes fortunes de thermidor et de vendémiaire. Sieyès, qui n’avait pas voulu faire partie de la commission législative des onze, ne voulut point entrer non plus dans le Directoire. On ne sait si ce fut par calcul ou par antipathie insurmontable pour Rewbel. Il fut remplacé par Carnot, le seul des membres de l’ancien comité qu’on eût ménagé à cause de sa pureté politique et de sa grande participation aux victoires de la république. Le 4 brumaire, la Convention porta une loi d’amnistie, pour rentrer dans le gouvernement légal, changea le nom de la place de la Révolution en celui de place de la Concorde, et déclara sa session terminée.

La Convention dura trois années, du 21 septembre 1792 jusqu’au 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV). Elle suivit plusieurs directions. Pendant les six premiers mois de son existence, elle fut entraînée dans la lutte qui s’éleva entre le parti légal de la Gironde et le parti révolutionnaire de la Montagne. Celui-ci l’emporta depuis le 31 mai 1793 jusqu’au 9 thermidor an II (26 juillet 1794). La Convention obéit alors au gouvernement du comité de salut public, qui ruina d’abord ses anciens alliés de la Commune et de la Montagne, et qui périt ensuite par ses propres divisions. Du 9 thermidor jusqu’au mois de brumaire an IV, la Convention vainquit le parti révolutionnaire et le parti royaliste, et chercha à établir la république modérée malgré l’un et l’autre. Pendant cette longue et terrible époque, la violence de la situation changea la révolution en une guerre, et l’assemblée en un champ de bataille. Chaque parti voulut établir sa domination par la victoire et l’assurer en fondant son système. Le parti girondin l’essaya et périt ; le parti montagnard l’essaya et périt ; le parti de la Commune l’essaya et périt ; le parti de Robespierre l’essaya et périt. On ne put que vaincre, on ne put pas fonder. Le propre d’une pareille tempête était de renverser quiconque cherchait à s’asseoir. Tout fut provisoire, et la domination, et les hommes, et les partis, et les systèmes, parce qu’il n’y avait qu’une chose réelle et possible, la guerre. Il fallut un an au parti conventionnel, dès qu’il eut repris le pouvoir, pour ramener la révolution à la situation légale ; et il ne le put que par deux victoires, celle de prairial et celle de vendémiaire. Mais alors la Convention étant revenue au point d’où elle était partie, et ayant rempli sa véritable mission, qui était d’instituer la république après l’avoir défendue, elle disparut de la scène du monde, qu’elle avait étonné et épouvanté. Pouvoir révolutionnaire, elle finit au moment où l’ordre légal recommença.