La prospérité extérieure de la révolution contribua
surtout à la chute du gouvernement dictatorial et du parti des Jacobins. Les
victoires croissantes de la république, auxquelles ils avaient contribué par
la vigueur de leurs mesures ou par leur exaltation, rendirent leur puissance
superflue. C’était le comité de salut public qui, en accablant de sa forte et
redoutable main l’intérieur de la
France, avait développé des ressources, organisé des
armées, trouvé des généraux et commandé des victoires qui avaient
définitivement assuré le triomphe de la révolution à l’égard de l’Europe. Une
situation heureuse n’exigeait plus les mêmes efforts et la mission du comité
était accomplie, le propre d’une pareille dictature étant de sauver un pays
et une cause, et de périr par le salut même qu’elle produit. Les événements
intérieurs nous ont empêché de faire connaître rapidement l’impulsion que le
comité de salut public donna aux armées après le 31 mai et les résultats
qu’il en obtint.
La levée en masse qui eut lieu pendant l’été de 1793 forma
les troupes de la
Montagne. Les chefs de ce parti choisirent bientôt dans les
rangs secondaires des généraux montagnards en remplacement des généraux
girondins. Ces généraux furent Jourdan, Pichegru, Hoche, Moreau, Westermann,
Dugommier, Marceau, Joubert, Kléber, etc. Carnot devint, par son entrée au
comité de salut public, le ministre de la guerre et le major général de
toutes les armées républicaines. Au lieu de corps dispersés et agissant avec
peu de concert sur des points isolés, il procéda par de fortes masses et
concentriquement vers un but unique. Il commença la méthode de la grande
guerre, qu’il essaya avec un succès décisif à Watignies, en qualité de
commissaire de la
Convention. Cette victoire importante, à laquelle il coopéra
de sa personne, rejeta les généraux réunis Clairfayt et prince de Cobourg
derrière la Sambre,
et fit lever le siége de Maubeuge. Pendant l’hiver de 1793 à 1794, les deux
armées restèrent en présence sans rien entreprendre.
À l’ouverture de la campagne, elles conçurent l’une et
l’autre un projet d’invasion. L’armée autrichienne se jeta sur les villes de la Somme, Péronne,
Saint-Quentin, Arras et menaça Paris, tandis que l’armée française projeta de
nouveau la conquête de la
Belgique. Le plan du comité de salut public fut combiné
bien autrement que le dessein vague de la coalition. Pichegru, à la tête de
cinquante mille hommes, à l'armée du nord, pénétra dans la Flandre, en s’appuyant
sur la mer et sur l’Escaut. à sa droite, vingt mille hommes, commandés par
Moreau, se portèrent sur Menin et Courtrai. Le général Souham resta avec
trente mille hommes sous Lille, pour soutenir l’extrême droite de l’armée
d’invasion contre les Autrichiens, tandis que Jourdan, avec l’armée de la Moselle, se dirigea vers
Charleroi par Arlon et Dinan, pour se joindre à l’armée du nord.
Les Autrichiens, attaqués en Flandre et menacés d’être
pris à revers par Jourdan, quittèrent bien vite leurs positions de la Somme. Clairfayt
et le duc d’York se firent battre à Courtrai et à Hooglède par l’armée de
Pichegru ; le prince de Cobourg, à Fleurus, par celle de Jourdan, qui venait
de prendre Charleroi. Les deux généraux victorieux achevèrent rapidement
l’invasion des Pays-Bas. L’armée anglo-hollandaise se replia sur Anvers,
d’Anvers sur Bréda, de Bréda sur Bois-le-Duc, en essuyant des échecs
continuels. Elle passa le Wahal et se jeta en Hollande. Les Autrichiens
essayèrent tout aussi vainement de couvrir Bruxelles, Maëstricht : ils furent
poursuivis et battus par l’armée de Jourdan, qui, depuis sa jonction, avait
pris le nom d’armée de Sambre-et-Meuse et qui ne les laissa point derrière la Roër, comme avait
fait Dumouriez, mais les poussa au de là du Rhin. Jourdan se rendit maître de
Cologne, de Bonn, et communiqua par sa droite avec la gauche de l’armée de la Moselle qui s’était
avancée dans le pays de Luxembourg et qui, conjointement avec lui, occupa
Coblentz. Il y avait eu un mouvement général et concerté de toutes les armées
françaises, qui s’ébranlèrent pour courir à la frontière du Rhin. à l’époque
des défaites, les lignes de Wissembourg avaient été forcées. Le comité de
salut public employa dans l’armée du Rhin les mesures expéditives de sa
politique. Les commissaires Saint-Just et Lebas donnèrent le commandement
général à Hoche, mirent la terreur et la victoire à l’ordre du jour, et dans
peu les généraux Brunswick et Wurmser furent poussés de Haguenau sur les
lignes de la Lauter,
et, ne pouvant pas même s’y maintenir, passèrent le Rhin à Philisbourg.
Spire, Worms, furent repris. Les troupes républicaines, partout conquérantes,
occupèrent la Belgique,
la partie de la Hollande
située sur la gauche de la
Meuse et toutes les villes placées sur le cours du Rhin,
hors Mayence et Manheim, qui furent serrées de près.
L’armée des Alpes ne fit pas beaucoup de progrès dans
cette campagne. Elle tenta d’envahir le Piémont, mais elle ne réussit point.
Sur la frontière d’Espagne, la guerre avait commencé sous de funestes
auspices ; les deux armées des Pyrénées-Orientales et des
Pyrénées-Occidentales, peu fortes en nombre et peu aguerries, avaient été
constamment battues, et s’étaient retirées, l’une sous Perpignan, l’autre
sous Bayonne. Le comité de salut public ne dirigea qu’assez tard son
attention et ses efforts sur ce point, qui n’était pas le plus dangereux pour
lui. Mais, dès qu’il eut introduit son système, ses généraux et son
organisation dans les deux armées, les choses changèrent de face. Dugommier,
après des succès multipliés, chassa les Espagnols du territoire français, et
pénétra dans la péninsule par la Catalogne. Moncey l’envahit aussi par la vallée
de Bastan, à l’autre ouverture des Pyrénées, et se rendit maître de
Saint-Sébastien et de Fontarabie. La coalition était partout vaincue, et
quelques-unes des puissances confédérées commençaient à se repentir de leur
confiante adhésion.
Ce fut sur ces entrefaites que la révolution du 9
thermidor parvint aux armées. Elles étaient entièrement républicaines, et
elles craignirent que la chute de Robespierre n’entraînât celle du
gouvernement populaire : aussi ne l’apprirent-elles pas avec l’ardente
satisfaction qu’on en ressentit dans l’intérieur de la France. Mais, comme
les armées étaient soumises au pouvoir civil, aucune d’elles ne s’insurgea.
Les tentatives d’insurrection de l’armée n’eurent lieu que du 14 juillet au
31 mai, parce qu’étant le refuge des partis vaincus, leurs chefs avaient, à
chaque crise, l’avantage de l’ancienneté politique, et se prononcèrent avec
toute l’ardeur des opinions compromises. Sous le comité de salut public, au
contraire, les généraux les plus renommés n’eurent aucune importance
politique et furent soumis à la discipline terrible des partis. Tout en
contrariant parfois les généraux, la Convention n’eut pas de peine à maintenir les
armées dans l’obéissance.
Peu de temps après, le mouvement d’invasion se prolongea
en Hollande et dans la péninsule espagnole. Les Provinces-Unies furent
attaquées au milieu de l’hiver, et de plusieurs côtés, par Pichegru, qui
appela les patriotes bataves à la liberté. Le parti opposé au stathoudérat
seconda les efforts victorieux de l’armée française, et la révolution se fit
en même temps que la conquête de Leyde, à Amsterdam, à la Haye, à Utrecht. Le
stathouder se réfugia en Angleterre ; son autorité fut abolie, et l’assemblée
des états généraux proclama la souveraineté du peuple, et constitua la
république batave, qui contracta une union étroite avec la France, à laquelle elle
céda, par le traité de Paris du 16 mai 1795, la Flandre hollandaise,
Maëstricht, Venloo et leurs dépendances. La navigation du Rhin, de l’Escaut,
et de la Meuse
fut rendue libre aux deux nations. La Hollande, par ses richesses, contribua
puissamment aux moyens de continuer la guerre contre la coalition. Cette
importante conquête enleva en même temps un grand appui aux Anglais, et força
la Prusse,
menacée sur le Rhin et par la
Hollande, à conclure à Bâle, avec la république française,
une paix à laquelle ses revers et les affaires de Pologne l’avaient depuis
quelque temps disposée. La paix se fit aussi à Bâle le 16 juillet avec
l’Espagne, alarmée de nos progrès sur son territoire. Figuières et le fort de
Roses avaient été pris, et Pérignon s’avançait dans la Catalogne, tandis que
Moncey, après s’être rendu maître de Villa-Réal, de Bilbao, de Vittoria,
marchait contre les Espagnols retirés sur les frontières de la Vieille-Castille. Le
cabinet de Madrid demanda la paix. Il reconnut la république française, qui
lui restitua ses conquêtes et qui reçut en échange la partie de
Saint-Domingue possédée par l’Espagne. Les deux armées aguerries des Pyrénées
se joignirent à l’armée des Alpes, qui par ce moyen envahit bientôt le
Piémont et déborda en Italie, où la Toscane seule avait fait la paix avec la
république, le 9 février 1795.
Ces pacifications partielles et les revers des troupes coalisées
dirigèrent les efforts de l’Angleterre et de l’émigration d’un autre côté. Le
moment était revenu de prendre le point d’appui contre-révolutionnaire dans
l’intérieur. En 1791, lorsqu’il y avait accord en France, les royalistes
avaient tout espéré des puissances étrangères ; aujourd’hui les dissidences
du dedans et les défaites de l’Europe ne leur laissaient d’autres ressources
que les conspirations. Les tentatives malheureuses, comme on le sait, ne
désespèrent jamais les partis vaincus : il n’y a que la victoire qui lasse et
qui épuise, et c’est ce qui, tôt ou tard, ramène la domination de ceux qui
continuent à espérer et savent attendre.
Les événements de prairial et la défaite du parti jacobin
avaient décidé le mouvement contre-révolutionnaire. à cette époque la
réaction, qui avait été conduite par les républicains modérés, devint
généralement royaliste. Les partisans de la monarchie étaient encore aussi
divisés qu’ils l’avaient été depuis l’ouverture des états généraux jusqu’au
10 août. Dans l’intérieur, les anciens constitutionnels qui avaient leur
siége dans les sections, et qui se composaient de la classe moyenne riche,
n’entendaient pas la monarchie comme les royalistes absolus. Ils éprouvaient
toujours la rivalité et l’éloignement d’intérêt, naturels à des bourgeois
contre des privilégiés. Les royalistes absolus eux-mêmes n’étaient pas
d’accord : le parti qui s’était battu dans l’intérieur sympathisait peu avec
celui qui s’était enrôlé dans les armées de l’Europe. Mais, outre les
dissidences qui existaient entre les Vendéens et les émigrés, il en existait
aussi entre les émigrés d’après la date de leur sortie de France. Cependant
tous ces royalistes d’opinions diverses, n’ayant pas à débattre encore le
prix de la victoire, s’entendirent pour attaquer en commun la Convention. Les
émigrés et les ecclésiastiques, qui depuis quelques mois étaient rentrés en
grand nombre, prirent la bannière des sections, dans l’espérance, s’ils
l’emportaient au moyen de la classe moyenne, d’établir leur propre gouvernement
; car ils avaient un chef et un but précis, ce que les sectionnaires
n'avaient point. Cette réaction d’un nouveau caractère fut contenue pendant
quelque temps à Paris, où la
Convention, puissance neutre et forte, voulait empêcher
également les violences et les usurpations des deux partis. Tout en
détruisant la domination des Jacobins, elle réprimait les vengeances des
royalistes. Ce fut alors que la plus grande partie de la troupe dorée déserta
sa cause, que les meneurs des sections préparèrent la bourgeoisie à combattre
l’assemblée, et que la confédération des journalistes succéda à celle des
Jacobins. La Harpe,
Richer de Serizy, Poncelin, Tronçon du Coudray, Marchéna, etc.., se firent
les organes de cette nouvelle opinion et furent les clubistes lettrés. Les
troupes actives quoique régulières de ce parti se réunissaient au théâtre
Feydeau, au boulevard des Italiens, au Palais-Royal, et faisaient la chasse
des Jacobins en chantant le réveil du peuple. Le mot de proscription, dans
ces temps, était celui de terroriste, au moyen duquel un honnête homme
pouvait, en toute conscience, courir sus à un révolutionnaire. La classe des
terroristes s’étendait au gré des passions des nouveaux réacteurs, qui
portaient les cheveux à la victime, et qui, ne craignant plus d’avouer leurs
intentions, avaient adopté depuis quelque temps l’habit gris à revers, collet
noir ou vert, uniforme des chouans.
Mais cette réaction fut bien plus fougueuse dans les
départements, où aucune puissance ne put s’interposer pour prévenir le carnage.
Il n’y avait là que deux partis, celui qui avait dominé et celui qui avait
souffert sous la
Montagne. La classe intermédiaire était alternativement
gouvernée par les royalistes et par les démocrates. Ceux-ci, présageant les
terribles représailles dont ils seraient l’objet en succombant, tinrent tant
qu’ils purent ; mais leur défaite à Paris entraîna leur chute dans les
départements. On vit alors des exécutions de parti semblables à celles des
proconsuls du comité de salut public. Le midi fut surtout en proie aux
massacres en masse et aux vengeances personnelles. Il s’était organisé des
compagnies de Jésus et des compagnies du soleil, qui étaient royalistes par
leur institution, et qui exécutèrent d’épouvantables représailles. à Lyon, à
Aix, à Marseille, on égorgea dans les prisons ceux qui avaient participé au
régime précédent. Presque tout le midi eut son 2 septembre. à Lyon, après les
premiers massacres des révolutionnaires, les hommes de la compagnie faisaient
la chasse à ceux qui n’avaient point été pris, et, lorsqu’ils en
rencontraient un, sans autre forme que ce seul mot : voilà un matavon (c’est ainsi qu’ils les
appelaient) ; ils le tuaient et le jetaient dans le Rhône. À Tarascon, on les
précipitait du haut de la tour sur un rocher qui bordait le Rhône. Pendant
cette terreur en sens inverse et cette défaite générale du parti
révolutionnaire, l’Angleterre et l’émigration tentèrent l’entreprise hardie
de Quiberon.
Les Vendéens avaient été épuisés par leurs défaites
réitérées ; mais ils n’étaient pas entièrement réduits. Cependant leurs
pertes, autant que les divisions de leurs principaux chefs, Charette et
Stofflet, les rendaient d’un bien faible secours. Charette avait même
consenti à traiter avec la république, et une sorte de pacification avait été
conclue à Jusnay entre lui et la Convention. Le marquis de Puisaye, homme
entreprenant, mais léger et plus capable d’intrigues que de fortes
conceptions de parti, avait eu le dessein de remplacer l’insurrection presque
éteinte de la Vendée
par celle de Bretagne. Depuis l’entreprise de Wimpffen, où Puisaye avait eu
un commandement, il existait déjà dans le Calvados et le Morbihan des bandes
de chouans composées de restes de partis, d’hommes déplacés et aventureux, de
hardis contrebandiers, qui faisaient des expéditions, mais qui ne pouvaient
pas tenir la campagne comme les Vendéens. Puisaye recourut à l’Angleterre
pour étendre la chouannerie : il lui fit espérer un soulèvement général dans la Bretagne et de là dans
le reste de la France,
si l’on débarquait un noyau d’armée, des munitions et des fusils.
Le ministère britannique, déçu du côté de la coalition, ne
demandait pas mieux que de créer de nouveaux périls à la république, en
attendant de ranimer le courage de l’Europe. Il accorda sa confiance à Puisaye,
prépara, au printemps de 1795, une expédition dont firent partie les émigrés
les plus énergiques, beaucoup d’officiers de l’ancienne marine, et tous ceux
qui, las du rôle d’exilés et des douleurs d’une vie errante, voulurent tenter
une dernière fois la fortune. La flotte anglaise déposa dans la presqu’île de
Quiberon quinze cents émigrés, six mille prisonniers républicains enrôlés
sous l’émigration pour rentrer en France ; soixante mille fusils et un
équipement complet pour une armée de quarante mille hommes. Quinze cents
chouans se joignirent à l’armée de débarquement, qui fut bientôt attaquée par
le général Hoche. Il parvint à la tourner ; les prisonniers républicains qui
étaient dans ses rangs l’abandonnèrent, et elle fut vaincue après la plus
vive résistance. Dans la guerre à mort de l’émigration et de la république,
les vaincus furent traités comme étant hors la loi, et impitoyablement
massacrés. Leur perte fut une plaie profonde et incurable pour l’émigration.
Les espérances fondées sur les victoires de l’Europe, sur
les progrès de l’insurrection et la tentative des émigrés se trouvant
renversées, on recourut aux sections mécontentes. On espéra faire la
contre-révolution au moyen de la constitution nouvelle décrétée par la Convention le 22 août
1795. Cette constitution était cependant l’oeuvre du parti modéré
républicain. Mais, comme elle redonnait l’ascendant à la classe moyenne, les
meneurs royalistes crurent entrer facilement par elle dans le corps
législatif et dans le gouvernement.
Cette constitution était la moins imparfaite, la plus
libérale et la plus prévoyante qu’on eût encore établie ou projetée : elle
était le résultat de six années d’expérience révolutionnaire et législative. La Convention éprouvait
à cette époque le besoin d’organiser le pouvoir et de rasseoir le peuple, à
la différence de la première assemblée qui, par sa situation, n’avait
ressenti que le besoin d'affaiblir la royauté et de remuer la nation. Tout
avait été usé depuis le trône jusqu’au peuple : il fallait vivre aujourd’hui
en reconstruisant, et rétablir l’ordre tout en conservant une certaine
activité politique à la nation. C’est ce que fit la constitution nouvelle.
Elle s’éloigna peu de celle de 1791, quant à l’exercice de la souveraineté ;
mais elle en différa beaucoup dans tout ce qui était relatif au gouvernement.
Elle plaça le pouvoir législatif dans deux conseils : celui des Cinq-Cents et
celui des anciens : le pouvoir exécutif dans un Directoire de cinq membres.
Elle rétablit les deux degrés d’élection, destinés à ralentir le mouvement
populaire et à donner des choix plus éclairés que les élections immédiates.
Des conditions de propriété, sages, mais bornées, pour être membres des
assemblées primaires et des assemblées électorales, redonnèrent l’importance
politique à la classe moyenne, à laquelle il fallait forcément revenir après
le licenciement de la multitude et l’abandon de la constitution de 93.
Afin de prévenir le despotisme ou l’asservissement d’une
seule assemblée, on voulut placer quelque part le pouvoir de l’arrêter ou de
la défendre. La division du corps législatif en deux conseils, qui avaient la
même origine, la même durée, et dont les fonctions seules étaient
différentes, atteignit le double but de ne point effaroucher le peuple par
une institution aristocratique, et de contribuer à une meilleure forme de
gouvernement. Le conseil des Cinq-Cents, dont les membres durent être âgés de
trente ans, eut seul l’initiative et la discussion des lois que le conseil
des anciens, composé de deux cent cinquante membres, âgés de quarante ans
accomplis, fut chargé d’admettre ou de rejeter.
Pour éviter la précipitation des mesures législatives et
afin que, dans un moment d'effervescence populaire, on ne forçât point la
sanction du conseil des anciens, ce conseil ne put se décider qu’après trois
lectures fixées à cinq jours de distance au moins. Dans le cas d’urgence, il
fut dispensé de cette formalité ; mais il était juge de l’urgence. Ce conseil
agissait tantôt en pouvoir législatif, lorsqu’il n’approuvait pas la mesure au
fond et qu’il se servait de la formule : le conseil des anciens ne peut
adopter ; tantôt en pouvoir conservateur, lorsqu’il ne la considérait que
sous son rapport légal, et qu’il disait : la constitution annule. On établit
pour la première fois les réélections partielles, et l’on fixa le
renouvellement des conseils par moitié tous les deux ans, afin d’éviter ces
levées de législateurs qui arrivaient avec un désir immodéré d’innovations,
et changeaient subitement l’esprit d’une assemblée.
Le pouvoir exécutif fut séparé des conseils et n’exista
plus dans les comités. On redoutait encore trop la monarchie pour nommer un
président de la république. On se borna donc à créer un Directoire de cinq
membres élus par le conseil des anciens, sur la présentation de celui des
Cinq-Cents. Les directeurs purent être mis en jugement par les conseils, mais
ils ne purent pas être révoqués par eux. On leur donna un pouvoir d’exécution
général et indépendant ; mais on voulut aussi qu’ils n’en abusassent point,
et surtout que la trop grande habitude de l’autorité ne les conduisît pas à
l’usurpation. Ils eurent la direction de la force armée et des finances, la
nomination des fonctionnaires, la conduite des négociations ; mais ils ne
purent rien faire par eux-mêmes ; il leur fallut des ministres et des
généraux, de la conduite desquels ils furent responsables. Chacun d’eux fut
président pendant trois mois, et eut alors la signature et les sceaux. Tous
les ans le Directoire dut se renouveler par cinquième. Les attributions de la
royauté de 1791 furent, comme on le voit, partagées entre le conseil des
anciens, qui eut le veto, et le Directoire, qui eut le pouvoir exécutif. Le
Directoire obtint une garde, un palais national, le Luxembourg, pour demeure,
et une sorte de liste civile.
Le conseil des anciens, destiné à arrêter les écarts du
pouvoir législatif, fut investi des moyens de réprimer les usurpations du
Directoire : il put changer la résidence des conseils et du gouvernement. La
prévoyance de cette constitution était incontestable : elle prévenait les
violences populaires, les attentats du pouvoir, et pourvoyait à tous les
périls qu’avaient signalés les diverses crises de la révolution.
Certainement, si une constitution avait pu se consolider à cette époque,
c’était la constitution directoriale. Elle refaisait le pouvoir, permettait
la liberté, et offrait aux divers partis l’occasion de la paix, si chacun
d’eux, sans arrière-pensée, ne songeant plus à la domination exclusive et se
contentant du droit commun, eût pris sa véritable place dans l’état. Mais
elle ne dura pas plus que les autres, parce qu’elle ne put pas établir
l’ordre légal malgré les partis. Chacun d’eux aspira au gouvernement pour
faire valoir son système et ses intérêts, et, au lieu du règne de la loi, on
retomba encore sous celui de la force et des coups d’état. Lorsque les partis
ne veulent pas finir une révolution, et ceux qui ne dominent point ne le
veulent jamais, une constitution, quelque bonne qu’elle soit, ne peut pas le
faire.
Les membres de la commission des onze, qui, avant les
journées de prairial, n’avaient pas d’autre mission que de préparer les lois
organiques de la constitution de 93 et qui, après ces journées, firent celle
de l’an III, étaient à la tête du parti conventionnel. Ce parti n’était ni
l’ancienne Gironde, ni l’ancienne Montagne. Neutre jusqu’au 31 mai, assujetti
jusqu’au 9 thermidor, il était entré en possession du pouvoir depuis cette
époque, parce que la double défaite des Girondins et des Montagnards l’avait
laissé le plus fort. C’est à lui que s’étaient réunis les hommes des côtés
extrêmes, qui avaient commencé la fusion. Merlin de Douai représentait la
partie de cette masse qui avait cédé aux circonstances, Thibaudeau la partie
demeurée inactive, et Daunou la partie courageuse. Ce dernier s’était déclaré
contre les coups d’état depuis l’ouverture de l’assemblée, et contre le 21
janvier, et contre le 31 mai, parce qu’il voulait le régime de la Convention sans les
violences et les mesures de parti. Après le 9 thermidor, il blâma
l’acharnement déployé contre les chefs du gouvernement révolutionnaire, dont
il avait été la victime comme l’un des soixante-treize. Il avait obtenu
beaucoup d’ascendant à mesure qu’on avançait vers le régime légal. Son
attachement éclairé à la révolution, sa noble indépendance, la modération de
ses idées et son imperturbable constance le rendirent l’un des acteurs les
plus influents de cette époque. Il fut le principal auteur de la constitution
de l'an III, et la
Convention le chargea, avec quelques autres de ses membres,
de la défense de la république dans la crise de vendémiaire.
La réaction continuait de plus en plus ; elle était
indirectement favorisée par les membres de la droite, qui, depuis le début de
cette assemblée, n’avaient été qu’accidentellement républicains. Ils
n’étaient pas disposés à repousser les attaques des royalistes avec la même
énergie que celles des révolutionnaires. De ce nombre étaient
Boissy-d’Anglas, Lanjuinais, Henri la Rivière, Saladin, Aubry, etc.. ; ils formaient
dans l’assemblée le noyau du parti sectionnaire. D’anciens et de fougueux
Montagnards, tels que Rovère, Bourdon de l’Oise, etc., entraînés par le
mouvement contre-révolutionnaire, laissaient prolonger la réaction sans doute
pour faire leur paix avec ceux qu’ils avaient si violemment combattus. Mais
le parti conventionnel, rassuré du côté des démocrates, mit tous ses efforts
à empêcher le triomphe des royalistes. Il comprit que le salut de la
république dépendait de la formation des conseils, et que les conseils,
devant être choisis par la classe moyenne, que dirigeaient des chefs
royalistes, seraient contre révolutionnairement composés. Il lui importait de
confier la garde du régime qu’on allait établir à ceux qui étaient intéressés
à le défendre. Pour éviter la faute de la constituante, qui s’était exclue de
la législature suivante, la
Convention décida, par un décret, que les deux tiers de ses
membres seraient réélus. Par ce moyen, elle s’assura la majorité des
conseils, la nomination du Directoire ; elle put accompagner dans l’état sa
constitution et la consolider sans secousse. Cette réélection des deux tiers
était peu légale ; mais elle était politique, et elle pouvait seule sauver la France du régime des
démocrates ou des contre-révolutionnaires. La Convention s’accorda
une dictature modératrice par les décrets du 5 et du 13 fructidor (22 et 30
août 1795), dont l’un établissait la réélection et dont l’autre en fixait le
mode. Mais ces deux décrets exceptionnels furent soumis à la ratification des
assemblées primaires en même temps que l’acte constitutionnel.
Le parti royaliste fut pris au dépourvu par les décrets de
fructidor. Il espérait entrer dans le gouvernement par les conseils, dans les
conseils par les élections, et opérer le changement de régime lorsqu’il
serait constitué en puissance. Il se déchaîna contre la Convention. Le
comité royaliste de Paris, dont l’agent était un homme assez obscur nommé
Lemaître, les journalistes, les meneurs des sections, se coalisèrent. Ils
n’eurent pas de peine à se donner l’appui de l’opinion, dont ils se faisaient
les seuls organes ; ils accusèrent la Convention de perpétuer son pouvoir et
d’attenter à la souveraineté du peuple. Les principaux partisans des deux
tiers, Louvet, Daunou, Chénier, ne furent point ménagés, et tous les
préparatifs d’un grand mouvement eurent lieu. Le faubourg Saint-Germain,
naguère désert, se remplissait de jour en jour ; les émigrés arrivaient en
foule, et les conjurés, déguisant assez peu leurs desseins, avaient adopté
l’uniforme des chouans.
La
Convention, voyant grossir l’orage, chercha son soutien
dans l’armée, qui était alors la classe républicaine, et elle forma un camp
sous Paris. Le peuple avait été licencié, et les royalistes s’étaient emparés
de la bourgeoisie. Sur ces entrefaites, les assemblées primaires se
réunirent, le 20 fructidor, pour délibérer sur l’acte constitutionnel et sur
les décrets des deux tiers, qui devaient être adoptés ou rejetés ensemble. La
section Lepelletier (anciennement filles-saint-Thomas) fut le centre de
toutes les autres. Sur sa proposition, on décida que les pouvoirs de toute
autorité constituante cessaient en présence du peuple assemblé. La section
Lepelletier, dirigée par Richer-Serizy, la Harpe, Lacretelle jeune, Vaublanc, etc..,
s’occupa d’organiser le gouvernement insurrectionnel, sous le nom de comité
central. Ce comité devait remplacer en vendémiaire, contre la Convention, le comité
du 10 août contre le trône, et du 31 mai contre les Girondins. La majorité
des sections adopta cette mesure, qui fut cassée par la Convention, dont le
décret fut cassé à son tour par la majorité des sections. La lutte devint
tout à fait ouverte ; et dans Paris l’on sépara l’acte constitutionnel, qui
fut adopté, des décrets de réélection, que l’on rejeta.
Le 1er vendémiaire, la Convention proclama
l’acceptation des décrets par le plus grand nombre des assemblées primaires
de France. Les sections se réunirent de nouveau pour nommer les électeurs qui
devaient choisir les membres de la législature. Le 10, elles arrêtèrent que
les électeurs s’assembleraient au Théâtre-Français (il se trouvait au-delà
des ponts), qu’ils y seraient conduits par la force armée des sections qui
jurerait de les défendre jusqu’à la mort. En effet, le 11, les électeurs se
constituèrent sous la présidence du duc de Nivernois, et sous la garde de
quelques détachements de chasseurs et de grenadiers.
La
Convention, avertie par le danger, se mit en permanence,
appela autour de son enceinte les troupes du camp des Sablons, et concentra
ses pouvoirs dans un comité de cinq membres, qui fut chargé de toutes les
mesures de salut public. Ces membres étaient Colombel, Barras, Daunou,
Letourneur et Merlin de Douai. Depuis quelque temps, les révolutionnaires
n’étaient plus à craindre, et l’on avait relâché tous ceux qui avaient été
emprisonnés pour les événements de prairial. On enrégimenta, sous le nom de
bataillon des patriotes de 89, environ quinze ou dix-huit cents d’entre eux,
qui avaient été poursuivis, dans les départements ou à Paris, par les
réactionnaires. Le 11 au soir, la Convention envoya dissoudre, par la force,
l’assemblée des électeurs, qui s’était déjà séparée en s’ajournant au
lendemain.
Dans la nuit du 11, le décret qui dissolvait le collège
des électeurs et qui armait le bataillon des patriotes de 89 excita la plus
grande agitation. On battit la générale ; la section Lepelletier tonna contre
le despotisme de la
Convention, contre le retour de la terreur, et pendant
toute la journée du 12 elle disposa les autres sections à combattre. Le soir,
la Convention,
non moins agitée elle-même, se décida à prendre l’initiative, à cerner la
section insurrectionnelle, et à finir la crise en la désarmant. Le général de
l’intérieur Menou et le représentant Laporte furent chargés de cette mission.
Le chef-lieu des sectionnaires était au couvent de filles-saint-Thomas,
devant lequel ils avaient environ sept ou huit cents hommes en bataille. Ils
furent cernés par des forces supérieures, en flanc par les boulevards, et en
face du côté de la rue Vivienne. Au lieu de les désarmer, les chefs de l’expédition
parlementèrent avec eux. Il fut convenu qu’on se retirerait de part et
d’autre ; mais à peine les troupes conventionnelles furent-elles parties que
les sectionnaires revinrent en force. Ce fut pour eux une véritable victoire,
qui fut exagérée dans Paris, comme il arrive toujours, qui exalta leurs
partisans, augmenta leur nombre et leur donna le courage d’attaquer la Convention le
lendemain.
Celle-ci apprit à onze heures du soir l’issue de cette
expédition et le dangereux effet qu’elle avait produit. Aussitôt elle
destitua Menou, et donna le commandement de la force armée à Barras, général
du 9 thermidor. Barras demanda pour second, au comité des cinq, un jeune
officier qui s’était distingué au siége de Toulon, destitué par le
réactionnaire Aubry, homme de tête et de résolution, capable de servir la
république dans un tel moment de péril. Ce jeune officier était Bonaparte ;
il parut devant le comité, et rien en lui n’annonçait encore ses étonnantes
destinées. Peu homme de parti, appelé pour la première fois sur cette grande
scène, il avait dans sa contenance quelque chose de timide et de mal assuré,
qu’il perdit dans les préparatifs et dans le feu de la bataille. Il fit venir
en toute hâte les pièces d’artillerie du camp des Sablons, et il les disposa
ainsi que les cinq mille hommes de l’armée conventionnelle, sur tous les
points par où l’on pouvait être assailli. Le 13 vendémiaire, vers midi,
l’enceinte de la
Convention avait l’aspect d’une place forte qu’il fallait
prendre d’assaut. La ligne de défense s’étendait : sur le côté des Tuileries
qui longe la rivière, depuis le Pont-Neuf jusqu’au Pont Louis XV ; sur le
côté opposé, dans toutes les petites rues qui débouchent sur celle
Saint-Honoré, depuis celles de Rohan, de l’échelle, du cul-de-sac Dauphin,
jusqu’à la place de la Révolution. En face, le Louvre, le jardin de
l’Infante, le carrousel, étaient garnis de canons ; et, par derrière, le
Pont-Tournant et la place de la Révolution formaient un parc de réserve. C’est
dans cet état que la
Convention attendit les insurgés.
Ceux-ci la cernèrent bientôt sur plusieurs points. Ils
avaient environ quarante mille hommes sous les armes, commandés par les
généraux Danican, Duhoux et l'ex-garde du corps Lafond. Les trente-deux
sections, qui formaient la majorité, avaient fourni leur contingent
militaire. Parmi les seize autres, plusieurs sections des faubourgs avaient
leurs troupes dans le bataillon de 89. Quelques-unes envoyèrent du secours
pendant l’action, comme celles des Quinze-Vingts et de Montreuil ; d’autres
ne le purent pas, quoique bien disposées, comme celles de Popincourt ; enfin
d’autres restèrent neutres, comme celle de l'indivisibilité.
De deux heures à trois, le général Carteaux, qui occupait
le Pont-Neuf avec quatre cents hommes et deux pièces de quatre, fut entouré
par plusieurs colonnes de sectionnaires, qui l’obligèrent de se replier
jusqu’au Louvre. Cet avantage enhardit les insurgés, qui étaient en force sur
tous les points. Le général Danican somma la Convention de faire
retirer ses troupes et de désarmer les terroristes. Le parlementaire,
introduit dans l’assemblée les yeux fermés, y jeta d’abord quelque trouble
par sa mission. Plusieurs membres se déclarèrent pour des mesures de
conciliation. Boissy-d’Anglas fut d’avis d’entrer en conférence avec Danican
; Gamon proposa une proclamation dans laquelle on engageait les citoyens à se
retirer, en leur promettant de désarmer ensuite le bataillon de 89. Cette
adresse aux sections excita les plus violents murmures. Chénier s’élança à la
tribune : je suis étonné, dit-il, qu’on vienne nous entretenir de ce que demandent les
sections en révolte. Il n’y a point de transaction ; il n’y a pour la Convention nationale
que la victoire ou la mort ! Lanjuinais voulut soutenir cette adresse,
en faisant valoir l’imminence et les malheurs de la guerre civile ; mais la Convention ne voulut
pas l’entendre, et, sur la motion de Fermond, elle passa à l’ordre du jour.
Les débats continuèrent pendant quelque temps encore sur les mesures de paix
ou de guerre avec les sections, lorsqu’on entendit, vers quatre heures et
demie, plusieurs décharges de mousqueterie, qui firent cesser toute
délibération. On apporta sept cents fusils, et les conventionnels s’armèrent
comme corps de réserve.
Le combat s’était engagé dans la rue Saint-Honoré, dont
les insurgés étaient maîtres. Les premiers coups partirent de l’hôtel de
Noailles, et un feu meurtrier se prolongea sur toute cette ligne. Peu
d’instants après, sur l’autre flanc, deux colonnes fortes d’environ quatre
mille sectionnaires, commandés par le comte de Maulevrier, débouchèrent par
les quais et attaquèrent le Pont-Royal. La bataille fut alors générale ; mais
elle ne pouvait pas durer longtemps ; la place était trop bien défendue pour
être prise d’assaut. Après une heure de combat, les sectionnaires furent
débusqués de Saint-Roch et de la rue Saint-Honoré par le canon de la Convention et par le
bataillon des patriotes. La colonne du Pont-Royal essuya en tête et en
écharpe, par le pont et par les quais, trois décharges d’artillerie qui
l’ébranlèrent et la mirent en pleine déroute. à sept heures, les troupes
conventionnelles, victorieuses sur tous les points, prirent l’offensive, à
neuf heures elles avaient délogé les sectionnaires du théâtre de la
république et des postes qu’ils occupaient encore dans le voisinage du
Palais-Royal. Ils se disposaient à faire des barricades pendant la nuit, et
l’on tira dans la rue de la Loi
(Richelieu) plusieurs volées de canon pour empêcher les travaux. Le lendemain
14, les troupes conventionnelles désarmèrent la section Lepelletier, et
firent rentrer les autres dans l’ordre.
L’assemblée, qui n’avait combattu que pour se défendre,
montra une habile modération. Le 13 vendémiaire fut le 10 août des royalistes
contre la république, si ce n’est que la Convention résista à
la bourgeoisie beaucoup mieux que le trône aux faubourgs. La position dans
laquelle se trouvait la
France contribua beaucoup à cette victoire. On voulait,
dans ce moment, une république sans gouvernement révolutionnaire, un régime
modéré sans contre-révolution. La Convention, qui était une puissance médiatrice,
également prononcée contre la domination exclusive de la classe inférieure,
qu’elle avait repoussée en prairial, et la domination réactionnaire de la
bourgeoisie, qu’elle repoussait en vendémiaire, paraissait seule capable de
satisfaire ce double besoin et de faire cesser entre les partis l’état de
guerre, qui se prolonge par leur passage alternatif au gouvernement. Cette
situation lui donna, autant que ses propres dangers, le courage de la
résistance et l’avantage de la victoire. Les sections ne pouvaient pas la
surprendre, et pouvaient encore moins la prendre d’assaut.
Après les événements de vendémiaire, la Convention s’occupa
de former les conseils et le Directoire. Le tiers, librement choisi, l’avait
été dans le sens des réactionnaires. Quelques conventionnels, à la tête
desquels était Tallien, proposèrent d’annuler les élections de ce tiers, et
voulurent suspendre quelque temps encore le gouvernement constitutionnel.
Thibaudeau déjoua leur dessein avec beaucoup de courage et d’éloquence. Le
parti conventionnel entier se rangea de son avis. Il repoussait tout
arbitraire superflu, et se montrait impatient de sortir d’un état provisoire
qui durait depuis trois années. La Convention s’établit en assemblée électorale
nationale pour compléter dans son sein les deux tiers. Elle forma ensuite les
conseils : celui des anciens, des deux cent cinquante membres, qui, selon le
voeu de la nouvelle loi, avaient quarante ans accomplis ; celui des Cinq-Cents,
de tous les autres. Les conseils se constituèrent aux Tuileries. Il s’agit
alors de former le gouvernement.
L’attaque de vendémiaire était toute récente ; et le parti
républicain, redoutant surtout la contre-révolution, convint de ne choisir les
directeurs que parmi les conventionnels, et de plus parmi ceux qui avaient
voté la mort du roi. Quelques membres des plus influents, au nombre desquels
était Daunou, combattirent cette opinion, qui limitait les choix et
conservait un caractère dictatorial et révolutionnaire au gouvernement ; mais
elle l’emporta. Les conventionnels élus furent la
Réveillère-Lépeaux, investi d’une confiance générale à
cause de sa conduite courageuse au 31 mai, de sa probité et de sa modération
; Sieyès, la plus grande réputation de l’époque ; Rewbel, qui avait une rare
activité administrative ; Letourneur, l’un des membres de la commission des
cinq dans la dernière crise ; et Barras, porté pour ses deux bonnes fortunes
de thermidor et de vendémiaire. Sieyès, qui n’avait pas voulu faire partie de
la commission législative des onze, ne voulut point entrer non plus dans le
Directoire. On ne sait si ce fut par calcul ou par antipathie insurmontable
pour Rewbel. Il fut remplacé par Carnot, le seul des membres de l’ancien
comité qu’on eût ménagé à cause de sa pureté politique et de sa grande
participation aux victoires de la république. Le 4 brumaire, la Convention porta une
loi d’amnistie, pour rentrer dans le gouvernement légal, changea le nom de la
place de la
Révolution en celui de place de la Concorde, et déclara sa
session terminée.
La
Convention dura trois années, du 21 septembre 1792 jusqu’au
26 octobre 1795 (4 brumaire an IV). Elle suivit plusieurs directions. Pendant
les six premiers mois de son existence, elle fut entraînée dans la lutte qui
s’éleva entre le parti légal de la
Gironde et le parti révolutionnaire de la Montagne. Celui-ci
l’emporta depuis le 31 mai 1793 jusqu’au 9 thermidor an II (26 juillet 1794).
La Convention
obéit alors au gouvernement du comité de salut public, qui ruina d’abord ses
anciens alliés de la Commune
et de la Montagne,
et qui périt ensuite par ses propres divisions. Du 9 thermidor jusqu’au mois
de brumaire an IV, la
Convention vainquit le parti révolutionnaire et le parti
royaliste, et chercha à établir la république modérée malgré l’un et l’autre.
Pendant cette longue et terrible époque, la violence de la situation changea
la révolution en une guerre, et l’assemblée en un champ de bataille. Chaque
parti voulut établir sa domination par la victoire et l’assurer en fondant
son système. Le parti girondin l’essaya et périt ; le parti montagnard
l’essaya et périt ; le parti de la
Commune l’essaya et périt ; le parti de Robespierre
l’essaya et périt. On ne put que vaincre, on ne put pas fonder. Le propre
d’une pareille tempête était de renverser quiconque cherchait à s’asseoir.
Tout fut provisoire, et la domination, et les hommes, et les partis, et les
systèmes, parce qu’il n’y avait qu’une chose réelle et possible, la guerre.
Il fallut un an au parti conventionnel, dès qu’il eut repris le pouvoir, pour
ramener la révolution à la situation légale ; et il ne le put que par deux
victoires, celle de prairial et celle de vendémiaire. Mais alors la Convention étant
revenue au point d’où elle était partie, et ayant rempli sa véritable
mission, qui était d’instituer la république après l’avoir défendue, elle
disparut de la scène du monde, qu’elle avait étonné et épouvanté. Pouvoir
révolutionnaire, elle finit au moment où l’ordre légal recommença.
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