La mort de Louis XVI rendit les partis irréconciliables,
et augmenta les ennemis extérieurs de la révolution. Les républicains eurent
à lutter contre toute l’Europe, contre les nombreuses classes de mécontents
et contre eux-mêmes. Mais les Montagnards, qui conduisaient alors le
mouvement populaire, se croyaient trop engagés pour ne pas pousser les choses
à l’extrême. Effrayer les ennemis de la révolution, exciter le fanatisme du
peuple par des discours, par la présence des dangers, par des insurrections ;
rapporter tout à lui, le gouvernement et le salut de la république ; lui
communiquer le plus ardent enthousiasme au nom de la liberté, de l’égalité et
de la fraternité ; le maintenir dans ce violent état de crise pour se servir
de ses passions et de sa force : tel fut le plan de Danton et des Montagnards
qui l’avaient pris pour chef. Ce fut lui qui augmenta l’effervescence
populaire avec les périls croissants de la république, et qui fit établir,
sous le nom de gouvernement révolutionnaire, au lieu de la liberté légale, le
despotisme de la multitude. Robespierre et Marat allaient encore beaucoup
plus loin que lui ; ils voulaient ériger en gouvernement durable ce que
Danton ne considérait que comme transitoire. Celui-ci n’était qu’un chef
politique, tandis que les autres étaient de véritables sectaires, le premier
plus ambitieux, le second plus fanatique.
Les Montagnards, par la catastrophe du 21 janvier, avaient
remporté une grande victoire sur les Girondins, qui avaient une politique
beaucoup plus morale que la leur et qui aspiraient à sauver la révolution
sans l’ensanglanter. Mais leur humanité d’abord trop timide et leur tardif
esprit de justice ne leur servirent de rien et tournèrent contre eux. On les
accusa d’être ennemis du peuple, parce qu’ils tonnèrent contre ses excès,
d’être complices du tyran, parce qu’ils avaient voulu sauver Louis XVI, et de
trahir la république, parce qu’ils recommandaient la modération. Ce fut en
leur adressant ces reproches que les Montagnards, depuis le 21 janvier
jusqu’au 31 mai et au 2 juin, les poursuivirent avec la plus constante
animosité dans le sein de la Convention. Les Girondins furent longtemps
soutenus par le centre, qui avec la droite se prononçait contre les meurtres
et l’anarchie, avec la gauche pour les mesures de salut public. Cette masse
qui formait, à proprement parler, l’esprit de la Convention, montra
quelque courage, et balança la puissance de la Montagne et de la
commune tant qu’elle eut au milieu d’elles ces Girondins quelquefois
intrépides et toujours éloquents, qui emportèrent dans leur prison et sur
l’échafaud toute la fermeté et toutes les résolutions généreuses de
l’assemblée. Il y eut un moment d’accord entre les divers partis de
l’assemblée. Lepelletier Saint-Fargeau fut poignardé par un ancien garde du
corps nommé Pâris, comme ayant voté la mort de Louis XVI. Les Conventionnels,
réunis par le danger commun, jurèrent sur sa tombe d’oublier leurs inimitiés
; mais ils y revinrent bientôt. On poursuivit à Meaux quelques-uns des
meurtriers de septembre, dont les républicains honorables voulaient le
châtiment. Les Montagnards, craignant qu’on n’examinât leur conduite passée
et que leurs adversaires ne prissent avantage d’une condamnation pour les
attaquer plus ouvertement eux-mêmes, parvinrent à faire cesser les
poursuites. Cette impunité enhardit encore les chefs de la multitude ; et
Marat, qui avait à cette époque une incroyable influence sur elle, l’excita
au pillage des marchands qu’il accusait d’accaparer les subsistances. Il
s’élevait violemment, dans ses feuilles, et aux Jacobins, contre
l’aristocratie des bourgeois, des commerçants et des hommes d’état (c’est
ainsi qu’il appelait les Girondins), c’est-à-dire contre tous ceux qui, dans
la nation ou dans l’assemblée, s’opposaient encore au règne des Sans-Culottes
et des Montagnards. Il y avait quelque chose d’effrayant dans le fanatisme et
l’invincible obstination de ces sectaires. Le nom donné par eux aux Girondins
depuis le commencement de la
Convention était celui d’intrigants, à cause du pouvoir
qu’ils avaient acquis et des moyens un peu détournés avec lesquels ils
combattaient, dans les départements, la conduite audacieuse et publique des
Jacobins.
Aussi les dénonçaient-ils régulièrement dans le club. À Rome, un orateur disait tous les jours : il faut
détruire Carthage. Eh bien ! Qu’un Jacobin monte tous les jours à cette
tribune pour dire ces seuls mots : il faut détruire les intrigants. Eh ! Qui
pourrait nous résister ? Nous combattons le crime et le pouvoir éphémère des
richesses ; mais nous avons pour nous la vérité, la justice, la pauvreté, la
vertu... Avec de telles armes bientôt les Jacobins diront : nous n’avons fait
que passer, ils n’étaient déjà plus. Marat, qui avait beaucoup plus
d’audace que Robespierre, dont la haine et les projets se cachaient encore
sous certaines formes, était le patron de tous les dénonciateurs et de tous
les anarchistes. Beaucoup de Montagnards l’accusaient de compromettre leur
cause par la fougue de ses conseils et par des excès intempestifs ; mais le
peuple jacobin entier le soutenait même contre Robespierre, qui, dans ses
dissidences avec lui, obtenait rarement l’avantage. Le pillage, recommandé en
février, dans l’ami du peuple, à l’égard de quelques marchands, pour servir
d’exemple, eut lieu, et Marat fut dénoncé à la Convention, qui le
décréta d’accusation après une séance très-orageuse. Mais ce décret n’eut pas
de suite, parce que les tribunaux ordinaires n’avaient aucune autorité. Ce
double essai de force d’une part et de faiblesse de l’autre se fit dans le
courant du mois de février. Bientôt des événements plus décisifs encore
conduisirent les Girondins à leur perte.
La situation militaire de la France avait été
jusque-là rassurante. Dumouriez venait de couronner la brillante campagne de
l’Argonne par la conquête de la Belgique. Après la retraite des Prussiens, il
s’était rendu à Paris pour y concerter l’invasion des Pays-Bas autrichiens.
De retour à l’armée le 20 octobre 1792, il avait commencé l’attaque le 28. Le
plan, essayé avec si peu d’à-propos, de force et de succès, au commencement
de la guerre, fut repris et exécuté avec des moyens supérieurs. Dumouriez, à
la tête de l’armée de la
Belgique, forte de quarante mille hommes, marcha de
Valenciennes sur Mons, appuyé à sa droite par l’armée des Ardennes, d’environ
seize mille hommes, sous le général Valence, qui se dirigea de Givet sur
Namur, et à sa gauche par l’armée du nord, forte de dix-huit mille hommes,
sous le général Labourdonnaie, qui s’avança de Lille sur Tournai. L’armée
autrichienne, postée en avant de Mons, attendit la bataille dans ses
retranchements. Dumouriez la défit complètement ; et la victoire de Jemmapes
ouvrit la Belgique
aux Français, et recommença en Europe l’ascendant de nos armes. Vainqueur le
6 novembre, Dumouriez entra le 7 dans Mons, le 14 à Bruxelles, le 28 à Liége.
Valence prit Namur ; Labourdonnaie s’empara d’Anvers, et au milieu de décembre
l’invasion des Pays-Bas fut entièrement achevée. L’armée française, maîtresse
de la Meuse
et de l’Escaut, prit ses quartiers d’hiver après avoir rejeté derrière la Roër les
Autrichiens, qu’elle aurait pu pousser jusque derrière le bas Rhin.
Dès ce moment commencèrent les hostilités de Dumouriez
avec les Jacobins. Un décret de la Convention, du 15 septembre, abrogeait les lois
du pays conquis qu’elle organisait démocratiquement. Les Jacobins envoyèrent
de leur côté des agents en Belgique pour y propager la révolution, pour y
établir des clubs sur le modèle de la société mère ; mais les Flamands, qui
nous avaient reçus avec enthousiasme, furent refroidis par les réquisitions
dont on les frappa, par le pillage général et l’anarchie insupportable que
les Jacobins amenèrent avec eux. Tout le parti qui avait combattu la
domination autrichienne et qui espérait être libre sous le protectorat de la France trouva notre
domination trop dure, et regretta de nous avoir appelés ou soutenus.
Dumouriez, qui avait des projets d’indépendance pour les Flamands et
d’ambition pour lui-même, vint à Paris se plaindre de cette conduite
impolitique à l’égard des pays conquis. Il changea sa marche jusque-là
équivoque. Il n’avait rien oublié pour se ménager entre les deux factions : il
ne s’était rangé sous la bannière d’aucune, espérant se servir de la droite
par son ami Gensonné, de la
Montagne par Danton et Lacroix, et d’imposer à l’une à
l’autre par ses victoires. Mais, dans ce second voyage, il essaya d’arrêter
les Jacobins et de sauver Louis XVI ; n’ayant pas pu en venir à bout, il se
rendit à l’armée pour commencer la seconde campagne, très-mécontent et décidé
à faire servir de nouvelles victoires à suspendre la révolution et à changer
son gouvernement.
Toutes les frontières de la France devaient être
attaquées cette fois par les puissances de l’Europe. Les succès militaires de
la révolution et la catastrophe du 21 janvier avaient fait entrer dans la
coalition la plupart des gouvernements encore indécis ou neutres.
En apprenant la mort de Louis XVI, le cabinet de
Saint-James renvoya le ministre Chauvelin, qu’il avait déjà refusé de
reconnaître depuis le 10 août et la déchéance du roi. La Convention, voyant
l’Angleterre déjà liée à la coalition, et par conséquent toutes ses promesses
de neutralité vaines et illusoires, déclara, le 1er février 1793, la guerre
au roi de la
Grande-Bretagne ainsi qu’au stathouder de Hollande qui,
depuis 1780, était entièrement subordonné au cabinet de Saint-James.
L’Angleterre, qui jusqu’alors avait conservé des dehors pacifiques, saisit
cette occasion pour paraître sur le théâtre des hostilités. Disposé depuis
longtemps à une rupture, Pitt, déployant toutes ses ressources, conclut, dans
l’espace de six mois, sept traités d’alliance et six traités de subsides.
L’Angleterre devint ainsi l’âme de la coalition contre la France ; ses flottes
étaient prêtes à mettre à la voile ; le ministère avait obtenu quatre-vingts
millions d’extraordinaire, et Pitt allait profiter de notre révolution pour
assurer la prépondérance de la Grande-Bretagne, comme Richelieu et Mazarin
avaient profité de la crise de l’Angleterre, en 1640, pour étendre
l’ascendant de la France
en Europe. Le cabinet de Saint-James était surtout dirigé par des motifs
d’intérêt anglais ; il voulait à tout prix la consolidation du pouvoir
aristocratique dans son propre pays, et l’empire exclusif dans les deux Indes
et sur les mers.
Le cabinet de Saint-James fit alors la seconde levée de la
coalition. L’Espagne venait d’éprouver un changement ministériel : le fameux
Godoï, duc d’Alcudia et depuis prince de la paix, avait été placé à la tête
du gouvernement par une intrigue de l’Angleterre et de l’émigration. Cette
puissance rompit avec la république, après avoir vainement intercédé pour
Louis XVI et mis sa neutralité au prix de la vie du roi. L’empire germanique
adhéra tout entier à la guerre : la Bavière et l’électeur palatin se joignirent aux
cercles belligérants de l’Empire. Naples suivit l’exemple du saint-siége, qui
s’était déjà déclaré ; et il ne resta plus d’états neutres que Venise, la Suisse, la Suède, le Danemark
et la Turquie. La
Russie était encore occupée du second partage de la Pologne. La
république eut ses flancs menacés par les troupes les plus aguerries de
l’Europe. Il lui fallut bientôt combattre quarante-cinq mille Austro-Sardes,
aux Alpes ; cinquante mille Espagnols, aux Pyrénées ; soixante-dix mille
Autrichiens ou impériaux, renforcés de trente-huit mille Anglo-Bataves, sur
le bas Rhin et en Belgique ; trente-trois mille quatre cents Autrichiens,
entre Meuse et Moselle ; cent douze mille six cents Prussiens, Autrichiens et
impériaux, sur le moyen et haut Rhin. Pour faire face à tant d’ennemis, la Convention décréta
une levée de trois cent mille hommes. Cette mesure de défense extérieure fut
accompagnée d’une mesure de parti à l’intérieur. Au moment où les bataillons
nouveaux, avant de quitter Paris, se présentèrent à l’assemblée, la Montagne demanda
l’établissement d’un tribunal extraordinaire pour soutenir au dedans la
révolution, que les bataillons allaient défendre sur les frontières. Ce
tribunal, composé de neuf membres, devait juger sans jury et sans appel. Les
Girondins s’élevèrent de toute leur force contre une institution aussi
arbitraire et aussi redoutable, mais ce fut en vain ; car ils paraissaient
favoriser les ennemis de la république en repoussant un tribunal destiné à
les punir. Tout ce qu’ils obtinrent, ce fut d’y introduire les jurés, d’en
éloigner les hommes violents et d’annuler son action tant qu’ils conservèrent
quelque influence. Les principaux efforts des coalisés furent dirigés contre
la vaste frontière depuis Anvers et Ruremonde jusqu’à Huningue. Le prince de
Cobourg dut attaquer, à la tête des Autrichiens, l’armée française sur la Roër et sur la Meuse, pénétrer en Belgique,
tandis que, sur l’autre point, les Prussiens marcheraient contre Custine, lui
livreraient bataille, cerneraient Mayence et renouvelleraient l’invasion
précédente, après s’en être emparés. Ces deux armées d’opération étaient
soutenues, dans les positions intermédiaires, par des forces considérables.
Dumouriez, préoccupé de desseins ambitieux et réactionnaires, dans un moment
où il ne fallait songer qu’aux périls de la France, se proposa de rétablir la royauté de
1791 malgré la Convention
et malgré l’Europe. Ce que Bouillé n’avait pas pu faire pour la vieille
monarchie, ni la Fayette
pour le trône constitutionnel, dans un temps beaucoup plus propice, Dumouriez
espéra l’exécuter tout seul en faveur d’une constitution détruite et d’une
royauté alors sans parti.
Au lieu de rester neutre entre les factions, comme les
circonstances en faisaient une loi à un général et même à un ambitieux,
Dumouriez préféra rompre avec elles, pour les dominer. Il imagina de se
former un parti hors de la
France ; de pénétrer en Hollande au moyen de républicains
bataves, opposés au stathoudérat et à l’influence anglaise ; de délivrer la Belgique des Jacobins ;
de réunir ces deux pays en un seul état indépendant, et de s’attribuer leur
protectorat politique après avoir acquis toute la gloire d’un conquérant. Il
devait, pour intimider les partis, gagner ses troupes, marcher sur la
capitale, dissoudre la
Convention, fermer les sociétés populaires, rétablir la Convention de 1791 et
donner un roi à la
France.
Ce projet, inexécutable au milieu du grand choc de la
révolution et de l’Europe, parut facile au bouillant et aventureux Dumouriez.
Au lieu de défendre la ligne menacée depuis Mayence jusqu’à la Roër, il se jeta sur
la gauche des opérations, et entra en Hollande à la tête de vingt mille
hommes. Il devait, par une marche rapide, se transporter au centre des
Provinces-Unies, prendre les forteresses à revers, et être rejoint à Nimègue
par vingt-cinq mille hommes sous le général Miranda, qui se serait
probablement rendu maître de Maëstricht. Une armée de quarante mille hommes
devait observer les Autrichiens et protéger sa droite. Dumouriez poussa avec
vigueur son expédition de Hollande ; il prit Bréda et Gertruydenberg, et se
disposa à passer le Bies-Bosch et à s’emparer de Dordrecht. Mais, pendant ce
temps, l’armée de droite éprouva les revers les plus alarmants sur la basse
Meuse. Les Autrichiens prirent l’offensive, passèrent la Roër, battirent
Miazinski à Aix-la-Chapelle, firent lever à Miranda le blocus de Maëstricht
qu’il avait inutilement bombardé, franchirent la Meuse et mirent en pleine
déroute, à Liége, notre armée, qui s’était repliée entre Tirlemont et
Louvain. Dumouriez reçut du conseil exécutif l’ordre de quitter la Hollande en toute hâte
et de venir prendre le commandement des troupes de la Belgique ; il fut
obligé d’obéir et de renoncer à une partie de ses plus folles mais plus
chères espérances. Les Jacobins, à la nouvelle de tous ces revers, étaient
devenus beaucoup plus intraitables. Ne concevant pas de défaite sans trahison,
surtout après les victoires brillantes et inattendues de la dernière
campagne, ils attribuaient ces désastres militaires à des combinaisons de
parti. Ils dénoncèrent les Girondins, les ministres et les généraux qu’ils
supposaient d’accord pour livrer la république à ses ennemis, et ils
conjurèrent leur perte. La rivalité se mêlait aux soupçons, et ils désiraient
autant conquérir une domination exclusive que défendre le territoire menacé ;
ils commencèrent par les Girondins.
Comme ils n’avaient pas encore accoutumé le peuple à
l’idée de proscrire ses représentants, ils eurent d’abord recours à un
complot pour s’en défaire ; ils résolurent de les frapper dans la Convention, où on les
trouverait tous réunis, et ils fixèrent la nuit du 10 mars pour l’exécution
du complot. L’assemblée s’était mise en permanence à cause des dangers de la
chose publique. La veille, on décida, aux Jacobins et aux Cordeliers, de
fermer les barrières, de sonner le tocsin et de marcher en deux bandes sur la Convention et chez
les ministres. À l’heure convenue on partit ; mais plusieurs circonstances
empêchèrent les conjurés de réussir. Les Girondins, avertis, ne se rendirent
point à la séance de nuit ; les sections se montrèrent opposées au complot,
et le ministre de la guerre, Beurnonville, marcha contre eux à la tête d’un
bataillon de fédérés brestois ; tous ces obstacles imprévus et une pluie qui
ne cessa pas de tomber dispersèrent les conjurés. Le lendemain, Vergniaud
dénonça le comité d’insurrection qui avait projeté ces meurtres, demanda que
le conseil exécutif fût chargé de prendre des renseignements sur la
conjuration du 10 mars, d’examiner les registres des clubs, et d’arrêter les
membres du comité insurrecteur. Nous marchons,
s’écria-t-il, de crimes en amnisties, et d’amnisties
en crimes. Un grand nombre de citoyens en est venu au point de confondre les
insurrections séditieuses avec la grande insurrection de la liberté, de
regarder les provocations des brigands comme les explosions d’âmes
énergiques, et le brigandage même comme une mesure de sûreté générale. On a
vu se développer cet étrange système de liberté d’après lequel on vous dit :
vous êtes libres, mais pensez comme nous, ou nous vous dénonçons aux
vengeances du peuple ; vous êtes libres, mais courbez la tête devant l’idole
que nous encensons, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple ; vous
êtes libres, mais associez-vous à nous pour persécuter les hommes dont nous
redoutons la probité et les lumières, ou nous vous dénoncerons aux vengeances
du peuple ! Citoyens, il est à craindre que la révolution, comme Saturne, ne
dévore successivement tous ses enfants et n’engendre enfin le despotisme avec
les calamités qui l’accompagnent. Ces prophétiques paroles
produisirent quelque effet dans l’assemblée ; mais les mesures proposées par
Vergniaud n’aboutirent à rien.
Les Jacobins furent arrêtés un moment par le mauvais
succès de leur première entreprise contre leurs adversaires ; bientôt
l’insurrection de la
Vendée vint leur redonner de l’audace. La guerre de la Vendée était un
événement inévitable de la révolution. Ce pays, adossé à la mer et à la Loire, coupé de peu de
routes, semé de villages, de hameaux et de châtellenies, s’était maintenu
dans son ancien état féodal. Dans la Vendée, les idées nouvelles n’avaient pas beaucoup
pénétré, parce que la classe moyenne n’y était pas nombreuse, parce qu’il n’y
avait pas ou qu’il y avait peu de villes. La classe des paysans n’avait dès
lors pas acquis d’autres idées que celles qui lui étaient communiquées par
les prêtres, et n’avait pas séparé ses intérêts de ceux de la noblesse. Ces
hommes simples, robustes, religieux et dévoués à l’ancien ordre de choses, ne
comprenaient rien à une révolution qui était le résultat de croyances et de
besoins entièrement étrangers à leur situation. Les nobles et les prêtres, se
trouvant en force dans ce pays, n’avaient point émigré, et c’était là
vraiment qu’existait le parti de l’ancien régime, parce que là se trouvaient
ses doctrines et sa société. Il n’était guère possible que tôt ou tard, la France et la Vendée, pays si
différents de croyance et d’organisation, n’entrassent point en guerre ; que
les deux fanatismes de l’autorité monarchique et de la souveraineté
populaire, sous l’impulsion opposée du clergé et de la révolution, ne
levassent pas leurs bannières l’un contre l’autre pour amener le triomphe de
l’ancien ou du nouvel ordre social.
Des troubles partiels avaient eu lieu, à plusieurs
reprises, dans la
Vendée. En 1792, le marquis de la Rouarie avait préparé un
soulèvement général, qui n’avait pas réussi à cause de sa propre arrestation
; mais tout était encore disposé pour une insurrection, lorsqu’on exécuta le
recrutement des trois cent mille hommes. Cette levée en devint le signal. Les
réquisitionnaires battirent la gendarmerie à Saint-Florent, et prirent
d’abord pour chefs, sur divers points, le voiturier Cathelineau, l’officier
de marine Charette et le garde-chasse Stofflet. Avec des secours en armes et
en argent fournis par l’Angleterre, l’insurrection gagna en peu de temps tout
le pays ; neuf cents communes se soulevèrent au son du tocsin ; et alors les
chefs nobles, Bonchamps, Lescure, la Rochejaquelein,
d’Elbée, Talmont, se joignirent aux autres. Les troupes de ligne et les
bataillons de gardes nationales qui marchèrent contre les insurgés furent
battus. Le général Marcé fut culbuté à Saint-Vincent par Stofflet ; le
général Gauvilliers, à Baupréau, par d’Elbée et Bonchamps ; le général
Quetineau, aux Aubiers, par la Rochejaquelein, et le général Ligonier, à
Cholet.
Les Vendéens, devenus maîtres de Châtillon, de Bressuire,
de Vihiers, songèrent, avant de pousser leurs avantages plus loin, à se
donner une sorte d’organisation. Ils formèrent trois corps de dix à douze
mille hommes chacun, d’après la distribution du territoire vendéen en trois
commandements : le premier, sous Bonchamps, tint les bords de la Loire, et reçut le nom
d’armée d’Anjou ; le second, placé au centre, forma la grande armée, sous
d’Elbée ; le troisième, dans la basse Vendée, devint l’armée du Marais, sous
Charette. Les insurgés établirent un conseil pour décider des opérations, et
élurent Cathelineau généralissime. Ces arrangements et cette distribution du
pays permirent d’enrégimenter les insurgés, et de les renvoyer à leurs
champs, ou de les rappeler sous leurs drapeaux. L’annonce de ce soulèvement
formidable fit prendre à la
Convention des mesures encore plus rigoureuses contre les
prêtres et les émigrés. Elle mit hors la loi les prêtres et les nobles qui
participeraient à un attroupement ; elle désarma tous ceux qui avaient
appartenu à la classe privilégiée. Les anciens émigrés furent bannis pour
toujours ; ils ne purent pas rentrer, sous peine de mort ; leurs biens furent
confisqués. Sur chaque porte de maison dut se trouver le nom de tous ceux qui
l’habitaient ; et le tribunal révolutionnaire, qui avait été ajourné,
commença ses redoutables fonctions.
On apprit en même temps et coup sur coup de nouveaux
désastres militaires. Dumouriez, de retour à l’armée de Belgique, concentra
ses forces pour résister au général autrichien prince de Cobourg. Ses troupes
étaient découragées et manquaient de tout ; il écrivit à la Convention une lettre
menaçante contre les Jacobins qui le dénoncèrent. Après avoir redonné à son
armée une partie de son ancienne confiance par quelques avantages de détail,
il hasarda une action générale à Nerwinde ; il perdit la bataille. La Belgique fut évacuée,
et Dumouriez, placé entre les Autrichiens et les Jacobins, battu par les uns,
poursuivi par les autres, recourut au coupable moyen d’une défection pour
réaliser ses anciens projets. Il eut des conférences avec le colonel Mack, et
il convint avec les Autrichiens de marcher sur Paris pour rétablir la
monarchie, tandis qu’il les laisserait sur la frontière, en leur livrant
plusieurs places fortes comme garantie. Il est probable que Dumouriez voulait
mettre sur le trône constitutionnel le jeune duc de Chartres, qui s’était
illustré pendant toute cette campagne, tandis que le prince de Cobourg
espérait que, si la contre-révolution parvenait à ce point, elle serait
poussée plus loin et rétablirait le fils de Louis XVI et l’ancienne
monarchie. Une contre-révolution ne s’arrête pas plus qu’une révolution ; dès
qu’elle est commencée, il faut qu’elle s’épuise. Les Jacobins furent bientôt
instruits des dispositions de Dumouriez ; il les cachait avec assez peu de
soin, soit qu’il voulût tenter ses troupes, soit qu’il voulût effrayer ses
ennemis, soit qu’il s’abandonnât à la légèreté de son naturel. Pour s’en
assurer davantage encore, le club des Jacobins envoya en députation auprès de
lui trois des siens nommés Proly, Péreira et Dubuisson.
Admis en présence de Dumouriez, ils obtinrent de lui plus
d’aveux qu’ils n’en attendaient. La Convention,
dit-il, est une assemblée de sept cent trente-cinq
tyrans. Tant que j’aurai quatre pouces de fer, je ne souffrirai pas qu’elle
règne et qu’elle verse le sang avec le tribunal révolutionnaire qu’elle vient
de créer. Quant à la république, ajouta-t-il, c’est un vain mot, j’y ai cru
trois jours : depuis Jemmapes, j’ai regretté tous les succès que j’ai obtenus
pour une aussi mauvaise cause. Il n’y a qu’un moyen de sauver la patrie,
c’est de rétablir la constitution de 1791 et un roi. — Y songez-vous, général ? lui dit Dubuisson : les
Français ont en horreur la royauté, et le seul nom de Louis... — Eh ! Qu’importe que ce roi s’appelle Louis, Jacques ou
Philippe ? — Et vos moyens, quels sont-ils ?
— Mon armée... Oui, mon armée ; elle le fera, et de
mon camp, ou du sein d’une place forte, elle dira qu’elle veut un roi.
— Mais votre projet compromet le sort des
prisonniers du Temple. — Le dernier des
Bourbons serait tué, même ceux de Coblentz, que la France n’en aurait pas
moins un roi, et si Paris ajoutait ce meurtre à ceux dont il s’est déjà
déshonoré, je marcherais à l’instant sur Paris. Après s’être déclaré
avec aussi peu de précaution, Dumouriez se livra à l’exécution de son
impraticable dessein. Ils se trouvait dans une position véritablement
difficile : ses soldats avaient pour lui beaucoup d’attachement ; mais ils
étaient aussi dévoués à leur patrie. Il fallait donner des places dont il
n’était pas le maître ; et il était à croire que les généraux sous ses ordres
feraient à son égard, par fidélité à la république ou par ambition, ce qu’il
avait fait lui-même à l’égard de la Fayette. Sa première tentative ne fut pas
encourageante. Après s’être établi à Saint-Amand, il voulait s’emparer de
Lille, de Condé, de Valenciennes ; mais il échoua dans cette entreprise. Ce
mauvais succès lui donna de l’hésitation et ne lui permit point de prendre
l’initiative de l’attaque.
Il n’en fut pas de même de la Convention ; elle
agit avec une promptitude, une hardiesse, une fermeté et surtout une
précision, qui devaient la rendre victorieuse. Quand on sait ce qu’on veut,
et qu’on le veut vite et bien, on l’emporte presque toujours ; c’est ce qui
manquait à Dumouriez, ce qui arrêta son audace et ébranla ses partisans. Dès
que la Convention
fut instruite de ses projets, elle le manda à sa barre ; il refusa d’obéir,
sans lever encore l’étendard de la révolte. La Convention envoya
aussitôt les quatre représentants Camus, Quinette, Lamarque, Bancal et le
ministre de la guerre Beurnonville, pour le traduire devant elle, ou
l’arrêter au milieu de son armée. Dumouriez reçut les commissaires à la tête
de son état-major ; ils lui présentèrent le décret de la Convention ; il le
lut et le leur rendit en disant que l’état de son armée ne lui permettait
point de la quitter. Il offrit sa démission et promit, dans un temps calme,
de demander lui-même des juges et de rendre compte de ses desseins et de sa
conduite. Les commissaires l’engagèrent à se soumettre en lui citant
l’exemple des anciens généraux romains. Nous nous
méprenons toujours sur nos citations, répondit-il, et nous défigurons l’histoire romaine en donnant pour
excuse à nos crimes l’exemple de leurs vertus. Les Romains n’ont pas tué
Tarquin ; les Romains avaient une république réglée et de bonnes lois ; ils
n’avaient ni club des Jacobins ni tribunal révolutionnaire. Nous sommes dans
un temps d’anarchie ; des tigres veulent ma tête, et je ne veux pas la leur
donner. — Citoyen général, dit alors
Camus, voulez-vous obéir au décret de la Convention nationale
et vous rendre à Paris ? — Pas dans ce moment.
— Eh bien ! Je vous déclare que je vous suspends de
vos fonctions ; vous n’êtes plus général, et j’ordonne qu’on s’empare de vous.
— Ceci est trop fort ! dit Dumouriez, et il
fit arrêter par des hussards allemands les commissaires, qu’il livra aux
Autrichiens comme otages.
Après cet acte de révolte, il n’y avait plus à hésiter.
Dumouriez fit une nouvelle tentative sur Condé, mais elle ne réussit pas
mieux que la première ; il voulut entraîner l’armée dans sa défection, mais
elle l’abandonna. Les soldats devaient préférer longtemps encore la
république à leur général ; l’attachement à la révolution était dans toute sa
ferveur et la puissance civile dans toute sa force. Dumouriez éprouva, en se
déclarant contre la
Convention, le sort qu’avait éprouvé la Fayette en se déclarant
contre l’assemblée législative, et Bouillé en se déclarant contre l’assemblée
constituante. À cette époque, un général eût-il réuni la fermeté de Bouillé
au patriotisme et à la popularité de la Fayette, aux victoires et aux ressources de
Dumouriez, il eût échoué comme eux. La révolution, avec le mouvement qui lui
était imprimé, devait être plus forte que les partis, que les généraux et que
l’Europe. Dumouriez passa dans le camp autrichien avec le duc de Chartres, le
colonel Thouvenot et deux escadrons de Berchiny ; le reste de son armée vint
dans le camp de Famars se réunir aux troupes commandées par Dampierre.
La
Convention, en apprenant l’arrestation des commissaires,
s’établit en permanence, déclara Dumouriez traître à la patrie, autorisa tout
citoyen à lui courir sus, mit sa tête à prix, décréta le fameux comité de
salut public, et bannit de la république le duc d’Orléans et tous les
Bourbons. Quoique les Girondins eussent, dans cette circonstance, attaqué
Dumouriez aussi vivement que les Montagnards, on les accusa d’être complices
de sa défection, et ce fut un nouveau grief ajouté à tous les autres. Leurs
ennemis devenaient de jour en jour plus puissants, et c’était dans les
moments de danger public qu’ils étaient surtout redoutables. Jusque-là, dans
la lutte qui s’était établie entre les deux partis, ils l’avaient emporté sur
tous les points. Ils avaient arrêté les poursuites contre les massacres de
septembre ; ils avaient fait maintenir les usurpations de la commune ; ils
avaient obtenu d’abord le jugement, puis la mort de Louis XVI ; par leurs menées,
les pillages de février et la conspiration du 10 mars étaient demeurés
impunis ; ils avaient fait décréter le tribunal révolutionnaire malgré les
Girondins ; à force de dégoûts, ils avaient chassé Roland du ministère ; ils
venaient de triompher de Dumouriez. Il ne leur restait plus qu’à enlever aux
Girondins leur dernier asile, l’assemblée : c’est ce qu’ils commencèrent le
10 avril, et ce qu’ils achevèrent le 2 juin.
Robespierre poursuivit nominativement Brissot, Guadet,
Vergniaud, Pétion, Gensonné dans la Convention ; Marat les dénonça dans les
sociétés populaires. Il écrivit, en qualité de président des Jacobins, une
adresse aux départements, dans laquelle il invoquait le tonnerre des
pétitions et des accusations contre les traîtres et les délégués infidèles
qui avaient voulu sauver le tyran en votant l’appel au peuple ou la
réclusion. La droite et la
Plaine de la
Convention sentirent qu’il fallait se réunir. Marat fut
envoyé devant le tribunal révolutionnaire. Cette nouvelle mit en rumeur les
clubs, la multitude et la commune. En représailles, le maire Pache vint au
nom de trente-cinq sections et du conseil général, demander l’expulsion des
principaux Girondins. Le jeune Boyer-Fronfrède demanda d’être compris dans la
proscription de ses collègues, et les membres de la droite et de la Plaine se levèrent en
criant : tous ! Tous ! Cette pétition, quoique déclarée calomnieuse, fut une
première attaque du dehors contre la Convention, et elle prépara les esprits à la
ruine de la Gironde.
L’accusation de Marat fut loin d’intimider les Jacobins
qui l’accompagnèrent au tribunal révolutionnaire. Marat fut acquitté et porté
en triomphe dans l’assemblée. Depuis ce moment les avenues de la salle furent
occupées par d’audacieux Sans-Culottes, et les habitués des Jacobins
envahirent les tribunes de la Convention. Les clubistes et les tricoteuses de
Robespierre interrompirent sans cesse les orateurs de la droite et
troublèrent les délibérations, tandis qu’au dehors on rechercha toutes les
occasions de se défaire des Girondins. Henriot, commandant de la section des
Sans-Culottes, y excita les bataillons prêts à partir pour la Vendée. Guadet vit alors qu’il ne fallait plus
s’arrêter à des plaintes, à des discours ; il monte à la tribune : citoyens, dit-il, pendant
que les hommes vertueux se bornent à gémir sur les malheurs de la patrie, les
conspirateurs s’agitent pour la perdre. Comme César, ils disent :
laissons-les dire, et agissons ? Eh bien ! Agissez aussi. Le mal est dans
l’impunité des conjurés du 10 mars ; le mal est dans l’anarchie ; le mal est
dans l’existence des autorités de Paris avides à la fois d’argent et de
domination. Citoyens, il en est temps encore, vous pouvez sauver la
république et votre gloire compromise. Je propose de casser les autorités de
Paris, de remplacer dans les vingt-quatre heures la municipalité par les
présidents des sections, de réunir les suppléants de la Convention à Bourges
dans le plus court délai, et d’envoyer ce décret aux départements par des
courriers extraordinaires. Cette motion de Guadet surprit un moment la Montagne. Si les
mesures qu’il proposait avaient été adoptées sur-le-champ, c’en était fait de
la domination de la commune et des projets des conspirateurs ; mais il est
probable aussi que les partis se seraient agités, que la guerre civile se
serait étendue, que la
Convention eût été dissoute par l’assemblée de Bourges,
tout centre d’action détruit, et que la révolution n’eût pas été assez forte
contre les luttes intérieures et les attaques de l’Europe : c’est ce que
craignit le parti modéré de l’assemblée. Redoutant l’anarchie, si l’on
n’arrêtait pas la commune ; la contre-révolution, si l’on comprimait trop le
peuple, il aurait voulu maintenir la balance entre les deux extrémités de la Convention.
Ce parti composait les comités de sûreté générale et de
salut public ; il était dirigé par Barrère, qui, comme tous les esprits
justes et les caractères faibles, fut pour la modération tant que la peur ne
fit pas de lui un instrument de cruauté et de tyrannie. Au lieu des mesures décisives
de Guadet, il proposa de nommer une commission extraordinaire de douze
membres, chargée d’examiner la conduite de la municipalité, de rechercher les
auteurs des complots ourdis contre la représentation nationale, et de
s’assurer de leurs personnes. Ce terme moyen fut adopté ; mais il laissait
subsister la commune, et la commune devait triompher de la Convention.
La commission des Douze jeta l’alarme chez les membres de
la commune par ses recherches ; elle découvrit une nouvelle conjuration, qui
devait éclater le 22 mai, fit arrêter quelques conspirateurs, et entre autres
le substitut du procureur de la commune, Hébert, auteur du père Duchesne,
qu’on saisit au sein même de la municipalité. La commune, d’abord stupéfaite,
se mit en mesure de combattre. Dès ce moment il ne fut plus question de
complots, mais d’insurrections. Le conseil général encouragé par les
Montagnards, s’entoura des agitateurs de la capitale ; il fit répandre le
bruit que les Douze voulaient épurer la Convention, et remplacer le tribunal qui avait
acquitté Marat par un tribunal contre-révolutionnaire. Les Jacobins, les
Cordeliers, les sections se mirent en permanence. Le 26 mai, l’agitation
commença à se faire sentir ; le 27, elle devint assez forte pour que la
commune pût ouvrir l’attaque. Elle se présenta à la Convention, et
demanda la liberté d’Hébert et la suppression des Douze ; elle était suivie
des députés des sections qui exprimaient le même voeu, et la salle était
entourée de rassemblements considérables. La section de la cité osa même
demander que les Douze fussent traduits devant le tribunal révolutionnaire.
Isnard, président de l’assemblée, leur répondit d’un ton solennel : écoutez ce que je vais vous dire. Si jamais par une de ces
insurrections qui se renouvellent depuis le 10 mars et dont les magistrats
n’ont pas averti l’assemblée, il arrivait qu’on portât atteinte à la
représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France entière, Paris
serait anéanti ; oui, la
France entière tirerait vengeance de cet attentat, et
bientôt on chercherait sur quelle rive de la Seine Paris a existé.
Cette réponse devint le signal d’un grand tumulte. Je
vous le déclare aussi, s’écria Danton, tant
d’impudence commence à nous peser ; nous vous résisterons ; et se
retournant vers la droite : plus de trêve entre la Montagne et les lâches
qui ont voulu sauver le tyran.
La plus grande confusion régna alors dans la salle ; les
tribunes poussaient des cris contre la droite, les Montagnards éclataient en
menaces, de moment en moment les députations se succédaient du dehors, et la Convention se
trouvait entourée d’une multitude immense. Quelques sectionnaires du Mail et
de la Butte-des-Moulins,
commandés par Raffet, s’étaient placés sous les couloirs et dans les avenues
pour la défendre. Les Girondins résistèrent tant qu’ils purent contre les
députations et la
Montagne. Menacés au dedans, assiégés au dehors, ils
s’autorisaient de cette violence pour exciter l’indignation de l’assemblée.
Mais le ministre de l’intérieur, Garat, vint leur enlever cette ressource.
Appelé pour rendre compte de l’état de Paris, il assura que la Convention n’avait
rien à craindre ; et l’opinion de Garat, qui passait pour impartial et que
son esprit conciliateur entraînait à des démarches équivoques enhardit les
membres de la
Montagne. Isnard fut obligé de quitter le fauteuil ;
Hérault de Séchelles le remplaça, et ce fut pour les Montagnards le signal de
la victoire. Le nouveau président répondit aux pétitionnaires qu’Isnard avait
contenus jusque-là : la force de la raison et la
force du peuple sont la même chose. Vous nous demandez un magistrat et la
justice ; les représentants du peuple vous la rendront. Il était fort
tard, la droite était découragée, quelques uns de ses membres étaient partis
; les pétitionnaires s’étaient portés de la barre sur les siéges des
représentants, et là, confondus avec les Montagnards, au milieu des cris et
du désordre, ils votèrent tous ensemble la cassation des Douze et
l’élargissement des prisonniers. Ce fut à minuit et demi, au bruit des
applaudissements des tribunes et du peuple, que ce décret fut porté.
Peut-être eût-il été sage à la Gironde, puisqu’elle
n’était pas réellement la plus forte, de ne point revenir sur cette
délibération. Le mouvement de la veille ne devait pas avoir d’autre résultat
que la suppression des Douze, si d’autres causes ne le prolongeaient pas
encore. Mais, parvenus à ce point de violence dans leurs animosités, les deux
partis allaient vider entre eux la querelle ; ils étaient réduits à se
combattre, puisqu’ils ne pouvaient plus se souffrir ; ils devaient marcher de
défaite en victoire, et de victoire en défaite, en s’exaltant chaque jour
davantage, jusqu’à ce que le plus fort triomphât définitivement du plus
faible. Le lendemain, les membres de la droite regagnèrent le champ de
bataille dans la
Convention ; ils firent rapporter le décret de la veille,
comme illégalement rendu, dans le tumulte et sous l’oppression, et la
commission fut rétablie. Vous avez fait hier,
leur dit alors Danton, un grand acte de justice. Mais,
je vous l’annonce, si la commission conserve le pouvoir tyrannique qu’elle a
exercé ; si les magistrats du peuple ne sont pas rendus à leurs fonctions ;
si les bons citoyens ont encore à craindre les arrestations arbitraires,
alors, après vous avoir prouvé que nous passons nos ennemis en prudence, en
sagesse, nous les passerons en audace et en vigueur révolutionnaire.
Danton craignait d’engager le combat, et il redoutait autant le triomphe des
Montagnards que celui des Girondins : aussi voulut-il tour à tour prévenir le
31 mai et en modérer les résultats ; mais il se vit réduit à se joindre aux
siens pendant le combat, à se taire après la victoire.
L’agitation, qui était un peu calmée par la suppression
des Douze, devint menaçante à la nouvelle de leur rétablissement. Les
tribunes des sections et des sociétés populaires retentirent d’invectives, de
cris de danger, d’appel à l’insurrection. Hébert, sorti de prison, reparut à
la commune. On lui mit sur le front une couronne, qu’il déposa sur le front
de Brutus, et il courut aux Jacobins crier vengeance contre les Douze. Alors
Robespierre, Marat, Danton, Chaumette et Pache se réunirent pour organiser un
nouveau mouvement. L’insurrection fut modelée sur celle du 10 août : on
employa le 29 mai à y préparer les esprits ; le 30, les membres du collège
électoral, des commissaires des clubs, des députés des sections
s’assemblèrent à l’évêché, se déclarèrent en insurrection, cassèrent le
conseil général de la commune, le réintégrèrent ensuite, en lui faisant prêter
un nouveau serment ; Henriot reçut le titre de commandant général de la force
armée, et les Sans-Culottes eurent quarante sous par jour tant qu’ils
seraient sous les armes. Ces déterminations prises, le 31, de grand matin, on
sonne le tocsin, on bat la générale, on réunit les troupes et l’on marche sur
la Convention,
qui siégeait depuis quelque temps au château des Tuileries.
L’assemblée était en séance depuis longtemps ; elle
s’était réunie au bruit du tocsin. Le ministre de l’intérieur, les
administrateurs du département et le maire de Paris avaient été
successivement appelés à la barre. Garat avait rendu compte de l’agitation de
Paris, et avait paru n’en craindre aucun résultat désastreux. Lhuillier, au
nom du département, avait assuré que ce n’était là qu’une insurrection
morale. Le maire Pache vint le dernier, et d’une manière hypocrite il fit
part des opérations des insurgés : il prétendit avoir employé tous ses
efforts pour maintenir l’ordre ; il assura que la garde de la Convention était
doublée, et qu’il avait défendu de tirer le canon d’alarme. Mais au même
instant on l’entendit retentir au loin. La surprise et l’agitation furent
extrêmes. Cambon invita l’assemblée à l’union ; il réclama le silence des
tribunes : dans ces circonstances extraordinaires,
dit-il, le seul moyen de déjouer les malveillants
est de faire respecter la
Convention nationale. — je
demande, dit Thuriot, que la commission des
Douze soit cassée à l’instant. — et moi,
dit Tallien, que le glaive de la loi frappe les
conspirateurs qui sont dans le sein même de la Convention. Les Girondins, de leur côté, veulent qu’on mande à la barre
l’audacieux Henriot pour avoir fait tirer le canon d’alarme sans l’ordre de la Convention. S’il
y a un combat, dit Vergniaud, il sera, quel
qu’en soit le succès, la perte de la république. Que tous les membres jurent
qu’ils mourront à leur poste. L’assemblée entière se lève en adhérant
à la proposition. Danton s’élance à la tribune : cassez
la commission des Douze, s’écrie-t-il ; le
canon a tonné. Si vous êtes législateurs politiques, loin de blâmer
l’explosion de Paris, vous la tournerez au profit de la république en
réformant vos erreurs, en cassant votre commission ; et comme il
entendit des murmures : c’est à ceux qui ont reçu
quelques talents politiques que je m’adresse, et non à ces hommes stupides
qui ne savent faire parler que leurs passions. Je leur dis : considérez la
grandeur de votre but ; c’est de sauver le peuple de ses ennemis, des
aristocrates, de le sauver de sa propre colère. Si quelques hommes, vraiment
dangereux, n’importe à quel parti ils appartiennent, voulaient ensuite
prolonger un mouvement devenu inutile quand vous aurez fait justice, Paris
lui-même les fera rentrer dans le néant. Je demande froidement la suppression
pure et simple de la commission sous le rapport politique. La
commission était violemment attaquée d’un côté, faiblement défendue de
l’autre ; Barrère et le comité de salut public, qui en étaient les créateurs,
proposaient sa suppression pour ramener la paix et pour ne pas mettre
l’assemblée à la merci de la multitude. Les Montagnards modérés voulaient
s’arrêter à cette mesure, lorsque les députations arrivèrent. Les membres du
département, ceux de la municipalité et les commissaires des sections, admis
à la barre, ne demandèrent pas seulement la suppression des Douze, mais
encore le châtiment de ses membres et de tous les chefs girondins.
Les Tuileries étaient alors bloquées par les insurgés, et
la présence de leurs commissaires dans le sein de la Convention enhardit
les Montagnards extrêmes, qui voulaient détruire le parti girondin.
Robespierre, leur chef et leur orateur, prit la parole et dit : citoyens, ne perdons pas ce jour en vaines clameurs et en
mesures insignifiantes ; ce jour est peut-être le dernier où le patriotisme
combattra la tyrannie ! Que les fidèles représentants du peuple se réunissent
pour assurer son bonheur ! Il pressa la Convention de suivre
la marche indiquée par les pétitionnaires plutôt que celle proposée par le
comité du salut public. Comme il se livrait à de longues déclarations contre
ses adversaires : concluez donc ! lui cria
Vergniaud. — Oui, je vais conclure, et contre vous !
Contre vous, qui, après la révolution du 10 août, avez voulu conduire à
l’échafaud ceux qui l’ont faite ! Contre vous, qui n’avez cessé de provoquer
la destruction de Paris ! Contre vous, qui avez voulu sauver le tyran !
Contre vous, qui avez conspiré avec Dumouriez ! Contre vous qui avez
poursuivi avec acharnement les mêmes patriotes dont Dumouriez demandait la
tête ! Contre vous, dont les vengeances criminelles ont provoqué ces mêmes
cris d’indignation dont vous voulez faire un crime à ceux qui sont vos
victimes ! Eh bien ! Ma conclusion, c’est le décret d’accusation contre tous
les complices de Dumouriez et contre ceux qui sont désignés par les
pétitionnaires ! Malgré la violence de cette sortie, le parti de
Robespierre n’eut pas la victoire. L’insurrection n’avait été dirigée que
contre les Douze ; et le comité de salut public, qui proposait leur
suppression, l’emporta sur la commune. L’assemblée adopta le décret de
Barrère, qui cassait les Douze, qui mettait la force publique en réquisition
permanente, et qui, pour contenter les pétitionnaires, chargeait le comité de
salut public de rechercher les complots dénoncés par eux. Dès que la
multitude qui entourait l’assemblée fut instruite de ces mesures, elle les
accueillit avec des applaudissements, et elle se dispersa.
Mais les conspirateurs ne voulaient point s’arrêter à ce
demi triomphe : ils étaient allés, le 30 mai, plus loin que le 29 ; ils
allèrent, le 2 juin, plus loin que le 31 mai. L’insurrection devint, de
morale, comme ils l’appelaient, personnelle, c’est-à-dire qu’elle ne fut plus
dirigée contre un pouvoir, mais contre des députés ; elle échappa à Danton et
à la Montagne,
et elle échut à Robespierre, à Marat et à la commune. Dès le soir du 31, un
député jacobin dit qu’il n’y avait que la moitié de
fait, qu’il fallait achever, et ne pas laisser le peuple se refroidir.
Henriot offrit au club de mettre à sa disposition la force armée. Le comité
insurrectionnel s’établit ouvertement près de la Convention. Toute
la journée du 1er juin fut consacrée à préparer un grand mouvement. La
commune écrivit aux sections : citoyens, restez debout ; les dangers de la
patrie vous en font une loi suprême. Le soir, Marat, qui fut le principal
auteur du 2 juin, se rendit à l’hôtel de ville, monta lui-même à l’horloge,
et sonna le tocsin ; il invita les membres du conseil à ne pas désemparer
qu’ils n’eussent obtenu le décret d’accusation contre les traîtres et les
hommes d’état. Quelques députés se réunirent dans la Convention, et les
conspirateurs vinrent demander le décret contre les proscrits ; mais ils
n’étaient pas encore assez en force pour l’arracher à la Convention. Toute
la nuit se passa en préparatifs ; le tocsin sonna, la générale battit, les
rassemblements se formèrent. Le dimanche matin, vers huit heures, Henriot se
présenta au conseil général, et déclara à ses complices, au nom du peuple
insurgé, qu’on ne déposerait les armes qu’après avoir obtenu l’arrestation
des députés conspirateurs. Il se mit ensuite à la tête des immenses
attroupements qui étaient sur la place de l’hôtel de ville, les harangua et
donna le signal du départ. Il était près de dix heures lorsque les insurgés arrivèrent
sur la place du carrousel ; Henriot plaça autour du château les bandes les
plus dévouées, et bientôt la
Convention fut investie par quatre-vingt mille hommes, dont
le plus grand nombre ignorait ce qu’on exigeait de lui et était plus disposé
à défendre qu’à attaquer la députation.
La plupart des proscrits ne s’étaient point rendus dans
l’assemblée. Quelques-uns, courageux jusqu’au bout, étaient venus braver
l’orage pour la dernière fois. Dès le commencement de la séance, l’intrépide
Lanjuinais monte à la tribune : je demande,
dit-il, à parler sur la générale qui bat dans tout
Paris. Il est aussitôt interrompu par les cris : à bas ! à bas ! Il veut la guerre civile ! Il veut la
contre-révolution ! Il calomnie Paris ! Il insulte le peuple ! Malgré
les menaces, les outrages, les cris de la Montagne et des tribunes, Lanjuinais dénonce
les projets de la commune et des factieux : son courage augmente avec ses
périls. Vous nous accusez, dit-il, de calomnier Paris ! Paris est pur, Paris est bon, Paris
est opprimé par des tyrans qui veulent du sang et de la domination.
Ces paroles deviennent le signal du plus violent tumulte ; plusieurs députés
montagnards se précipitent vers la tribune pour en arracher Lanjuinais, qui
s’y attache fortement, et qui, avec l’accent du plus généreux courage,
s’écrie encore : je demande que toutes les autorités
révolutionnaires de Paris soient cassées ; je demande que tout ce qu’elles
ont fait depuis trois jours soit nul ; je demande que tous ceux qui voudront
s’arroger une autorité nouvelle, contraire à la loi, soient mis hors de la
loi, et qu’il soit permis à tout citoyen de leur courir sus. À peine
a-t-il achevé que les pétitionnaires insurgés viennent demander son
arrestation et celle de ses collègues. Citoyens,
disent-ils en finissant, le peuple est las de voir
ajourner son bonheur ; il le laisse encore un instant dans vos mains ;
sauvez-le, ou nous vous déclarons qu’il va se sauver lui-même ! La
droite demande l’ordre du jour sur la pétition des insurgés. La Convention passe à l’ordre
du jour.
Aussitôt les pétitionnaires sortent dans une attitude
menaçante, les hommes quittent les tribunes, on crie aux armes, et un grand
bruit se fait entendre au dehors. Sauvez le peuple,
dit un Montagnard, sauvez vos collègues en décrétant
leur arrestation provisoire. — Non, non,
répondent la droite et même une partie de la gauche. — Nous partagerons tous leur sort, s’écrie la
Réveillère-Lépaux. Le comité de salut public, chargé de
faire un rapport, épouvanté de la grandeur du péril, proposa, comme au 31
mai, une mesure d’apparente conciliation pour satisfaire les insurgés sans
sacrifier entièrement les proscrits. Le comité
s’adresse, dit Barrère, au patriotisme, à la
générosité des membres accusés : il leur demande la suspension de leur
pouvoir, en leur représentant que c’est la seule raison qui puisse faire
cesser les divisions qui affligent la république et y ramener la paix.
Quelques-uns d’entre eux adhérèrent à cette mesure. Isnard se suspendit
lui-même ; Lanthénas, Dussaulx et Fauchet imitèrent son exemple ; Lanjuinais
ne le suivit point. J’ai, je crois, jusqu’à ce
moment montré quelque courage, dit-il ; n’attendez
de moi ni suspension ni démission ; violemment interrompu : quand les anciens, ajouta-t-il, préparaient un sacrifice, ils couronnaient la victime de
fleurs et de bandelettes en la conduisant à l’autel : le prêtre l’immolait,
mais il ne l’insultait pas. Barbaroux fut aussi ferme que
Lanjuinais : j’ai juré, dit-il, de mourir à mon poste ; je tiendrai mon serment.
Les conjurés de la Montagne
s’élevèrent eux-mêmes contre la proposition du comité. Marat prétendit qu’il
fallait être pur pour faire des sacrifices, et Billaud-Varennes demanda le
jugement des Girondins, et non leur suspension.
Pendant que ce débat avait lieu, un député de la Montagne, Lacroix,
entre précipitamment dans la salle, s’élance à la tribune, déclare qu’il
vient d’être insulté à la porte, qu’on l’a empêché de sortir, et que la Convention n’est pas
libre. Un grand nombre de Montagnards s’indignent contre Henriot et contre
ses troupes. Danton dit qu’il faut venger vigoureusement la majesté nationale
outragée. Barrère propose à la
Convention de se présenter au peuple : représentants, dit-il, ordonnez
votre liberté, suspendez votre séance, faites baisser devant vous les baïonnettes
qui vous entourent. La
Convention entière se lève et se met en marche, précédée de
ses huissiers, ayant en tête son président couvert en signe de détresse. Elle
arrive à une issue qui donnait sur la place du carrousel, et trouve Henriot,
à cheval, le sabre à la main. Que demande le peuple
? lui dit le président Hérault de Séchelles ; la Convention n’est occupée que de son bonheur. — Hérault, répond Henriot, le
peuple n’est pas levé pour entendre des phrases : il veut qu’on lui livre
vingt-quatre coupables. — qu’on nous livre
tous ! s’écrient ceux qui entourent le président. Henriot se retourne
alors vers les siens et crie : canonniers, à vos
pièces ! Deux canons sont pointés sur la Convention, qui
recule, entre dans le jardin ; le traverse et se présente à plusieurs
passages qu’elle trouve également fermés. Partout les soldats sont sous les
armes ; Marat parcourt les rangs ; il excite, il encourage les insurgés : point de faiblesse, leur dit-il, ne quittez pas votre poste qu’on ne vous les ait livrés.
La Convention
rentre alors dans l’enceinte de ses séances ; accablée de son impuissance,
convaincue de l’inutilité de ses efforts et tout à fait asservie.
L'arrestation des proscrits n’est plus combattue. Marat, vrai dictateur de
l’assemblée, décide souverainement du sort de ses membres. Dussaulx, dit-il, est un
vieillard radoteur, incapable d’être chef de parti ; Lanthénas est un pauvre
d’esprit qui ne mérite pas qu’on songe à lui ; Ducos n’a eu que quelques
opinions erronées, et ne saurait être un chef contre-révolutionnaire. Je
demande qu’on les excepte et qu’on les remplace par Valazé ; et
l’on retranche de la liste Dussaulx, Lanthénas, Ducos, et l’on y ajoute
Valazé. La liste fut ainsi arrêtée sans que la moitié de l’assemblée prît
part au décret. Voici les noms de ces illustres proscrits. On décréta
d’arrestation les girondins Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion,
Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Birotteau, Lidon, Rabaud,
Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Valazé, le
ministre des affaires étrangères Lebrun, le ministre des contributions
Clavières et les membres des Douze : Kervelegan, Gardien, Rabaud
Saint-étienne, Boileau, Bertrand, Vigée, Molleveau, Henri la Rivière, Gomaire
et Bergoing.
La
Convention les mit en détention chez eux, et les plaça sous
la sauvegarde du peuple. Dès ce moment, la consigne qui retenait l’assemblée
prisonnière fut levée, et la multitude s’écoula ; mais dès ce moment aussi il
n’y eut plus de Convention libre. Ainsi succomba le parti de la Gironde, parti
remarquable par de grands talents et des idées généreuses, parti qui honora
la république naissante par l’horreur du sang, la haine du crime, le dégoût
de l’anarchie, l’amour de l’ordre, de la justice et de la liberté ; parti mal
placé entre la classe moyenne, dont il avait combattu la révolution, et les
classes inférieures dont il repoussait le gouvernement. Condamné à ne pas
agir, ce parti ne put qu’illustrer une défaite certaine par une lutte
courageuse et par une belle mort. À cette époque on pouvait avec certitude
prévoir sa fin : il avait été chassé de poste en poste : des Jacobins, par
l’envahissement des Montagnards ; de la commune, par la sortie de Pétion ; du
ministère, par la retraite de Roland et de ses collègues ; de l’armée, par la
défection de Dumouriez. Il ne lui restait plus que la Convention ; c’est là
qu’il se retrancha, qu’il combattit et qu’il succomba. Ses ennemis essayèrent
tour à tour contre lui et des complots et des insurrections. Les complots
firent créer la commission des Douze, qui parut donner un avantage momentané
à la Gironde,
mais qui n’en excita que plus violemment ses adversaires. Ceux-ci mirent le
peuple en mouvement, et ils enlevèrent aux Girondins d’abord leur autorité en
détruisant les Douze, ensuite leur existence politique en proscrivant leurs
chefs.
Les suites de ce désastreux événement ne furent selon la
prévoyance de personne. Les dantonistes crurent que les dissensions des
partis seraient terminées, et la guerre civile éclata. Les modérés du comité
de salut public crurent que la
Convention reprendrait toute sa puissance, et elle fut
asservie. La commune crut que le 31 mai lui vaudrait la domination, qui échut
à Robespierre et à quelques hommes dévoués à sa fortune ou à l’extrême
démocratie. Enfin, il y eut un parti de plus à ajouter aux partis vaincus et
dès lors aux partis ennemis, et comme on avait fait, après le 10 août, la
république contre les constitutionnels, on fit, après le 31 mai, la terreur
contre les modérés de la république.
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