La nouvelle assemblée ouvrit ses séances le 1er octobre 1791. Elle se déclara sur-le-champ assemblée nationale législative. Dès son début, elle eut occasion de montrer son attachement au régime nouveau et le respect que lui inspiraient les fondateurs de la liberté française. Le livre de la constitution lui fut solennellement présenté par l’archiviste Camus, ayant pour cortége les douze membres de la représentation nationale les plus anciens d’âge. L’assemblée reçut l’acte constitutionnel debout et découverte, et prêta sur lui, au milieu des applaudissements du peuple qui occupait les tribunes, le serment de vivre ou de mourir. Elle vota ensuite des remercîments aux membres de l’assemblée constituante, et se disposa à commencer ses travaux. Ses premiers rapports avec le roi n’eurent pas le même caractère d’union et de confiance. La cour, qui sans doute espérait reprendre sous la législative la position supérieure qu’elle avait perdu sous la constituante, ne ménagea pas assez une autorité populaire inquiète, susceptible, et qui passait alors pour la première de l’état. L’assemblée envoya soixante de ses membres en députation auprès du roi pour lui annoncer qu’elle était constituée. Le roi ne les reçut pas lui-même, et leur fit dire par le ministre de la justice qu’il ne pourrait les admettre que le lendemain, à midi. Un renvoi aussi peu mesuré et les communications entre le prince et la représentation nationale rendues indirectes par l’entremise d’un ministre blessèrent vivement la députation. Aussi lorsqu’elle fut en présence de Louis XVI, Duchastel, qui la présidait, lui dit laconiquement : Sire, l’assemblée nationale législative est définitivement constituée ; elle nous a députés vers vous pour vous en instruire. Louis XVI lui répondit plus sèchement encore : Je ne puis vous aller voir avant vendredi. Cette conduite à l’égard de l’assemblée était maladroite, et peu propre à concilier au roi l’affection populaire. L’assemblée approuva la manière froide dont le président de la députation s’était exprimé, et elle se permit bientôt un acte condamnable de représailles. Le cérémonial avec lequel le roi devait être reçu au milieu d’elle était réglé par les lois précédentes. Un fauteuil en forme de trône lui était réservé ; on se servait à son égard des titres de sire et de majesté, et les députés, debout et découverts à son arrivée, s’asseyaient, se couvraient et se levaient encore, en imitant avec déférence tous les mouvements du prince. Quelques esprits inquiets et exagérés trouvaient ces condescendances indignes d’une assemblée souveraine. Le député Grangeneuve demanda que les mots de sire et de majesté fussent remplacés par le titre plus constitutionnel et plus beau de Roi des Français. Couthon renchérit encore sur cette motion, et proposa de donner au roi un simple fauteuil, entièrement semblable à celui du président. Ces demandes excitèrent une légère improbation de la part de quelques membres ; le plus grand nombre les accueillit avec empressement. J’aime à croire, dit Guadet, que le peuple français vénérera toujours beaucoup plus, dans sa simplicité, le fauteuil sur lequel s’assoit le président des représentants de la nation, que le fauteuil doré sur lequel s’assoit le chef du pouvoir exécutif. Je ne parlerai pas, messieurs, des titres de sire et de majesté. Je m’étonne que l’assemblée nationale mette en délibération si elle les conservera. Le mot sire signifie seigneur ; il tenait au régime féodal, qui n’existe plus. Quant à celui de majesté, on ne doit plus l’employer que pour parler de Dieu et du peuple. La question préalable fut demandée, mais faiblement ; on mit ces diverses propositions aux voix, et elles furent adoptées à une majorité considérable. Cependant, comme un pareil décret paraissait hostile, l’opinion constitutionnelle se prononça contre lui, et blâma cette rigueur excessive et déplacée dans l’application des principes. Le lendemain, ceux qui avaient invoqué la question préalable demandèrent que les décisions de la veille fussent abandonnées. Le bruit se répandit en même temps que le roi ne se présenterait point à l’assemblée si le décret était maintenu, et le décret fut rapporté. Ces petits démêlés entre deux puissances qui craignaient entre elles des usurpations, des démarches de hauteur et surtout de la mauvaise volonté, finirent là cette fois. Le souvenir en fut entièrement effacé par la présence de Louis XVI dans le corps législatif, où il fut reçu avec les plus grands respects et le plus vif enthousiasme. Son discours eut pour principal objet la pacification
générale. Il indiqua à l’assemblée les matières qui devaient attirer son
attention, les finances, les lois civiles, le commerce, l’industrie et la
consolidation du gouvernement nouveau ; il promit d’employer ses efforts à
ramener l’ordre et la discipline dans l’armée, à mettre le royaume en état de
défense et à donner sur la révolution française des idées propres à rétablir
la bonne intelligence en Europe. Il ajouta ces paroles, qui furent beaucoup
applaudies : Messieurs, pour que vos importants
travaux ainsi que votre zèle produisent tout le bien qu’on doit en attendre,
il faut qu’entre le corps législatif et le roi il règne une constante
harmonie et une confiance inaltérable. Les ennemis de notre repos ne
chercheront que trop à nous désunir ; mais que l’amour de la patrie nous
rallie, et que l’intérêt public nous rende inséparables ! Ainsi la puissance
publique se déploiera sans obstacle ; l’administration ne sera pas tourmentée
par de vaines terreurs ; la propriété et la croyance de chacun seront
également protégées, et il ne restera plus à personne de prétexte pour vivre
éloigné d’un pays où les lois seront en vigueur et où tous les droits seront
respectés. Malheureusement il y avait deux classes en dehors de la
révolution qui ne voulaient pas composer avec elle et dont les efforts en
Europe et dans l’intérieur de La composition de cette assemblée était toute populaire. Les idées étant tournées vers la révolution, a cour, la noblesse et le clergé n’avaient exercé aucune influence sur les élections. Il n’y avait donc point dans cette assemblée, comme dans la précédente, des partisans du pouvoir absolu et des privilèges. Les deux fractions du côté gauche qui s’étaient divisées vers la fin de la constituante se trouvèrent encore en présence, mais non plus dans le même rapport de nombre et de force. La minorité populaire de l’autre assemblée devint la majorité de celle-ci. La défense d’élire des constituants déjà éprouvés, la nécessité de choisir les députés parmi ceux que leur opinion ou leur conduite avait le plus fait remarquer, et surtout l’influence active des clubs, conduisirent à ce résultat. Les opinions et les partis se montrèrent bientôt. Il y eut une droite, un centre, une gauche, comme dans la constituante, mais avec un tout autre caractère. La droite, composée de constitutionnels fermes et absolus, forma le parti modéré. Ses principaux organes furent Mathieu Dumas, Ramond, Vaublanc, Beugnot, etc. Elle eut quelques relations avec la cour par Barnave, Duport, Alex. Lameth, qui en étaient les anciens chefs, mais dont les conseils furent rarement suivis par Louis XVI, qui s’abandonnait avec plus de confiance aux avis de ses alentours. Elle s’appuyait au dehors sur le club des Feuillants et sur la bourgeoisie. La garde nationale, l’armée le directoire du département et en général toutes les autorités constituées lui étaient favorables. Mais ce parti, qu’on appela le parti feuillant et qui ne dominait plus dans l’assemblée, perdit bientôt un poste tout aussi essentiel, celui de la municipalité, qui fut occupé par ses adversaires de la gauche. Ceux-ci formaient le parti qu’on nommait Girondin et qui
ne fut dans la révolution qu’un parti de passage de la classe moyenne à la
multitude. Il n’avait alors aucun projet subversif ; mais il était disposé à
défendre la révolution de toutes les manières, à la différence des
constitutionnels, qui ne voulaient la défendre qu’avec la loi. À sa tête se
trouvaient les brillants orateurs de Le côté gauche avait dans l’assemblée un noyau de parti
plus extrême que lui, et dont les membres, tels que Chabot, Bazire, Merlin de
Thionville, furent aux Girondins ce que Pétion, Buzot, Robespierre, avaient
été au côté gauche de la constituante. C’était le commencement de la faction
démagogique qui, du dehors, servait d’auxiliaire à Le centre de la législative était sincèrement attaché à l’ordre nouveau. Il avait, à peu de chose près, les mêmes opinions et le même goût de modération que le centre de l’assemblée constituante ; mais sa puissance était bien différente : il n’était plus à la tête d’une classe assise et à l’aide de laquelle il pût maîtriser d’une manière forte et sage tous les partis exagérés. Les dangers publics, en faisant sentir de nouveau le besoin des opinions exaltées et des partis du dehors, annulèrent complètement le centre. Il appartint bientôt aux plus forts, ainsi qu’il arrive à toutes les réunions modérées, et la gauche le domina. La position de l’assemblée était très difficile : sa
devancière lui avait laissé des partis qu’elle ne pouvait évidemment pas
pacifier. Dès ses premières séances, elle se vit obligée de s’occuper d’eux,
et de s’en occuper pour les combattre. L’émigration faisait des progrès alarmants
: les deux frères du roi, le prince de Condé et le duc de Bourbon avaient
protesté contre l’acceptation de l’acte constitutionnel par Louis XVI,
c’est-à-dire contre le seul moyen d’accommodement ; ils avaient dit que le
roi ne pouvait pas aliéner les droits de l’ancienne monarchie, et leur
protestation, répandue dans toute La contre-révolution était ouvertement préparée à
Bruxelles, à Worms, à Coblentz, sous la protection et même avec l’aide des
cours étrangères. On recevait les ambassadeurs des émigrés, tandis que ceux
du gouvernement français étaient ou renvoyés, ou mal vus, ou même
emprisonnés, comme le fut M. Duveyrier. Les voyageurs ou les négociants
français, suspects de patriotisme et d’attachement à la révolution, étaient
mis au ban de l’Europe. Plusieurs puissances s’étaient déclarées sans
déguisement : de ce nombre se trouvaient Les ecclésiastiques dissidents n’oubliaient rien pour opérer dans l’intérieur une diversion utile aux émigrés. — Les prêtres et surtout les évêques, dit le marquis de Ferrières, employaient toutes les ressources du fanatisme pour soulever le peuple des campagnes et des villes contre la constitution civile du clergé. Les évêques ordonnèrent aux prêtres de ne plus célébrer les offices religieux dans la même église que les prêtres constitutionnels, de peur que le peuple ne confondît les deux cultes et les deux sacerdoces. Indépendamment, ajoute-t-il, de ces lettres circulaires écrites aux curés, on répandit dans les campagnes des instructions destinées au peuple. On disait que l’on ne pouvait s’adresser pour les sacrements aux prêtres constitutionnels, qualifiés d’intrus ; que tous ceux qui y participaient devenaient, par leur seule présence, coupables de péché mortel ; que ceux qui se feraient marier par les intrus ne seraient pas mariés, qu’ils attireraient la malédiction sur eux et sur leurs enfants ; qu’il ne fallait avoir aucune communication avec eux ni avec ceux qui s’étaient séparés de l’église ; que les officiers municipaux qui les installaient devenaient apostats comme eux ; qu’à l’instant même de l’installation les sonneurs de cloches et les sacristains devaient abdiquer leur emploi… Ces écrits fanatiques produisirent l’effet qu’en attendaient les évêques : des troubles religieux éclatèrent de toutes parts. Les soulèvements eurent lieu surtout dans le Calvados,
dans le Gévaudan et dans Les constitutionnels étaient opposés à toutes ces mesures ; ils ne niaient pas le danger, mais ils considéraient de pareilles lois comme arbitraires. Ils disaient qu’avant tout il fallait respecter la constitution, et se borner dès lors à des mesures de précaution ; qu’il suffisait de se mettre en défense contre les émigrés et d’attendre, pour punir les prêtres dissidents, qu’on découvrît de véritables conspirations de leur part ; ils recommandaient de ne pas violer la loi, même contre ses ennemis, de peur qu’une fois engagé dans cette carrière on ne s’y arrêtât plus et que la révolution ne se perdît comme l’ancien régime par ses injustices. Mais l’assemblée, qui croyait le salut de l’état plus important que l’observation stricte de la loi, qui voyait des périls dans l’hésitation et qui était d’ailleurs travaillée des passions qui entraînent aux démarches expéditives, ne fut pas arrêtée par ces considérations. Le 30 octobre, elle adopta encore du consentement commun un décret relatif au frère aîné du roi, Louis-Stanislas-Xavier. Ce prince fut requis, aux termes de la constitution, de rentrer en France dans deux mois ; sinon, à l’expiration de ce délai, il était déchu de ses droits à la régence. Mais l’accord cessa quant aux décrets contre les émigrés et contre les prêtres. Le 9 du mois de novembre, l’assemblée décida que les Français assemblés au-delà des frontières étaient suspects de conjuration contre la patrie ; que, si au 1er janvier 1792 ils étaient encore en état de rassemblement, ils seraient traités en conspirateurs, deviendraient punissables de mort, et qu’après leur condamnation par contumace les revenus de leurs biens seraient perçus au profit de la nation, sans préjudice toutefois des droits de leurs femmes de leurs enfants et de leurs créanciers légitimes. Le 29 du même mois, elle prit une décision à peu près semblable à l’égard des ecclésiastiques réfractaires : ceux-ci furent tenus de prêter le serment civique, sous peine d’être privés de leurs pensions et d’être suspects de révolte contre la loi. S’ils le refusaient de nouveau, ils devaient être surveillés étroitement ; s’il survenait des troubles religieux dans leurs communes, ils devaient être traduits au chef-lieu du département, et s’ils y avaient pris part en prêchant la désobéissance, ils étaient passibles d’une détention. Le roi sanctionna le premier décret concernant son frère,
et mit son veto sur les deux autres. Il avait désavoué l’émigration peu de
temps auparavant par des démarches publiques, et il avait écrit aux princes
émigrés pour les rappeler dans le royaume. Il les y avait invités au nom de
la tranquillité de Mais la cour n’était pas aussi résignée : elle attendait toujours des temps meilleurs, ce qui l’empêchait d’agir d’une manière invariable et lui faisait porter ses espérances de tous les côtés. Elle continuait d’entretenir des relations avec l’Europe, dont elle n’était pas toujours disposée à repousser l’intervention ; elle intriguait avec les ministres contre le parti populaire, et se servait des Feuillants, quoique avec beaucoup de défiance, contre les Girondins. Ses principales ressources, à cette époque, étaient dans les petites menées de Bertrand de Molleville, qui dirigeait le conseil, qui avait établi un club français dont il soldait les membres, qui achetait les applaudissements des tribunes de l’assemblée, qui espérait, par cette contrefaçon de la révolution, vaincre la révolution véritable, et dont le but était de jouer les partis et d’annuler les effets de la constitution en l' observant littéralement. Avec ce système de conduite, la cour eut même l’imprudence
d’affaiblir les constitutionnels, qu’elle aurait dû renforcer ; elle
favorisa, à leurs dépens, la nomination de Pétion à la mairie. Par suite du
désintéressement dont avait été saisie la précédente assemblée, tous ceux qui
avaient exercé sous elle des emplois populaires s’en démirent successivement.
Les Girondins, en faveur desquels cette nomination devint
décisive, ne se bornèrent point à l’acquisition de la mairie. Isnard monta à la tribune pour soutenir ce projet : Élevons-nous, dit-il, dans cette circonstance, à toute la hauteur de notre mission, parlons aux ministres, au roi, à l’Europe entière, avec la fermeté qui nous convient. Disons à nos ministres que jusqu’ici la nation n’est pas très satisfaite de la conduite de chacun d’eux ; que désormais ils n’ont à choisir qu’entre la reconnaissance publique et la vengeance des lois, et que par le mot responsabilité nous entendons la mort. Disons au roi que son intérêt est de défendre la constitution ; qu’il ne règne que par le peuple et pour le peuple ; que la nation est son souverain et qu’il est sujet à la loi. Disons à l’Europe que le peuple français, s’il tire l’épée, en jettera le fourreau ; qu’il n’ira le chercher que couronné des lauriers de la victoire ; que, si des cabinets engagent les rois dans une guerre contre les peuples, nous engagerons les peuples dans une guerre à mort contre les rois. Disons-lui que tous les combats que se livreront les peuples par ordre des despotes… (et comme on l’interrompait par des applaudissements, il s’écria :) n’applaudissez pas, n’applaudissez pas ; respectez mon enthousiasme, c’est celui de la liberté ! Disons donc à l’Europe que tous les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l’obscurité. Si la clarté du jour vient à paraître, ils jettent leurs armes, s’embrassent et châtient celui qui les trompait. De même, si au moment où les armées ennemies lutteront avec les nôtres, le jour de la philosophie frappe leurs yeux, les peuples s’embrasseront à la face des tyrans détrônés, de la terre consolée et du ciel satisfait. L’assemblée décréta avec transport et à l’unanimité la
mesure proposée, et envoya, le 29 novembre, un message au roi. Vaublanc fut
l’organe de cette députation. Sire, dit-il à
Louis XVI, à peine l’assemblée nationale a-t-elle
porté ses regards sur la situation du royaume qu’elle s’est aperçue que les
troubles qui l’agitent encore ont leur source dans les préparatifs criminels
des émigrés français. Leur audace est soutenue par des princes allemands qui
méconnaissent les traités signés entre eux et Louis XVI répondit qu’il prendrait en très grande
considération le message de l’assemblée ; et, quelques jours après, il vint
lui annoncer en personne ses résolutions à cet égard. Elles étaient conformes
au voeu général. Le roi dit, au milieu des applaudissements, qu’il ferait
déclarer à l’électeur de Trèves et aux autres électeurs que, si avant le 15
janvier tous attroupements et toutes dispositions hostiles de la part des
Français réfugiés ne cessaient point dans leurs états, il ne verrait plus en
eux que des ennemis. Il ajouta qu’il écrirait à l’empereur, afin de
l’engager, comme chef de l’empire, à interposer son autorité pour éloigner
les malheurs qu’entraînerait une plus longue obstination de quelques membres
du corps germanique. Si ces déclarations ne sont pas
écoutées, alors, messieurs, dit-il, il ne me
restera plus qu’à proposer la guerre ; la guerre, qu’un peuple qui a
solennellement renoncé aux conquêtes ne fait jamais sans nécessité, mais
qu’une nation généreuse et libre sait entreprendre lorsque sa propre sûreté,
lorsque son honneur le commandent. Les démarches du roi auprès des princes
de l’empire furent appuyées de préparatifs militaires. Le 6 décembre, un
nouveau ministre de la guerre remplaça du Portail. Narbonne, choisi parmi les
Feuillants, jeune, actif, ambitieux de se signaler par le triomphe de son
parti et la défense de la révolution, se rendit sur-le-champ aux frontières.
Cent cinquante mille hommes furent mis en réquisition ; l’assemblée vota,
dans ce but, vingt millions de fonds extraordinaires ; on forma trois armées,
sous le commandement de Rochambeau, de Luckner et de L’électeur de Trèves s’engagea à dissiper les
rassemblements et à ne plus les permettre désormais. Tout se réduisit
néanmoins à un simulacre de licenciement. L’Autriche donna l’ordre au
maréchal de Bender de défendre l’électeur s’il était attaqué, et elle ratifia
les conclusions de la diète de Ratisbonne. Celle-ci exigea la réintégration
des princes possessionnés ; elle ne voulut point qu’on les indemnisât en
argent de la perte de leurs droits, et elle ne laissa à L’assemblée sentait qu’il était urgent de faire décider
l’empereur. Elle considérait les électeurs comme ses prête-noms, et les
émigrés comme ses instruments ; car le prince de Kaunitz reconnaissait pour
légitime la ligue des souverains réunis pour la sûreté et l’honneur des
couronnes. Les Girondins voulurent donc prévenir ce dangereux adversaire pour
ne pas lui donner le temps de se préparer davantage. Ils exigèrent qu’il
s’expliquât avant le 10 février, d’une manière claire et précise, sur ses
véritables dispositions à l’égard de Le roi, intimidé par le déchaînement de l’assemblée contre les membres de son conseil et surtout par le décret d’accusation contre Delessart, n’eut pas d’autre ressource que de choisir ses nouveaux ministres dans le parti victorieux. Une alliance avec les dominateurs actuels de la révolution pouvait seule sauver la liberté et le trône. Elle rétablissait l’accord entre l’assemblée, le pouvoir royal et la municipalité ; et si cette union s’était maintenue, les Girondins auraient fait avec la cour ce qu’après leur rupture ils ne crurent pouvoir faire que sans elle. Les membres du ministère furent Lacoste à la marine, Clavière aux finances, Duranthon à la justice ; de Grave, bientôt remplacé par Servan, à la guerre ; Dumouriez aux relations extérieures, et Roland à l’intérieur. Ces deux derniers étaient les deux hommes les plus remarquables et les plus importants du conseil. Dumouriez était âgé de quarante-sept ans lorsque la révolution commença ; il avait jusque-là vécu dans l’intrigue, et il s’en souvint trop à une époque où il ne fallait employer les petits moyens que pour aider les grands, et non pour les suppléer. La première partie de sa vie politique se passa à chercher par qui il pourrait parvenir, et la seconde par qui il pourrait se conserver. Courtisan avant 1789, constitutionnel sous la première assemblée, girondin sous la seconde, jacobin sous la république, il changeait de personnage suivant la situation. Mais il avait toutes les ressources des hommes supérieurs : un caractère entreprenant, une activité infatigable, un coup d’oeil prompt, sûr, étendu ; une impétuosité d’action et une confiance extraordinaire dans le succès : et, en outre, il était ouvert, facile, spirituel, hardi, propre aux factions et aux armes, plein d’expédients, étonnant d’à-propos, et sachant se soumettre à une position pour la changer. Il est vrai que ses grandes qualités se trouvaient affaiblies par des défauts : il était hasardeux, léger et d’une grande inconstance de pensées et de moyens, à cause de son besoin continuel de mouvement et d’intrigue. Le principal défaut de Dumouriez était l’absence de toute conviction politique. Pour la liberté, comme pour la puissance, on ne fait rien en temps de révolution si l’on n’est pas l’homme d’un parti, et, lorsqu’on est ambitieux, si l’on ne voit pas plus loin que son but, et si l’on ne veut pas plus fortement que les siens. C’est ainsi que fit Cromwell, et qu’a fait Bonaparte, tandis que Dumouriez, après avoir été l’employé des partis, crut pouvoir les vaincre tous avec des intrigues. Il lui manquait la passion de son temps : c’est ce qui complète un homme et seul peut le rendre dominateur. Roland était l’opposé de Dumouriez : c’était un caractère
que la liberté trouvait tout fait, comme si elle l’avait formé elle-même.
Roland avait des manières simples, des moeurs austères, des opinions
éprouvées ; il aimait la liberté avec enthousiasme, et il était capable de
lui consacrer avec désintéressement sa vie entière, ou de périr pour elle
sans ostentation et sans regret. Homme digne d’être né dans une république,
mais déplacé dans une révolution et peu propre aux troubles et aux luttes des
partis ; ses talents n’étaient pas supérieurs, son caractère était un peu
roide ; il n’était propre ni à connaître ni à manier les hommes ; et,
quoiqu’il fût laborieux, éclairé, actif, il eût peu marqué sans sa femme.
Tout ce qui lui manquait, elle l’avait pour lui : force, habileté, élévation,
prévoyance. Madame Roland fut l’âme de La position de Louis XVI se présenta, le 20 avril, à l’assemblée
accompagné de tous ses ministres. Je viens,
messieurs, dit-il, au milieu de l’assemblée
nationale pour un des objets les plus importants qui doivent occuper
l’attention des représentants de la nation. Mon ministre des affaires
étrangères va vous lire le rapport qu’il a fait dans mon conseil sur notre
situation politique. Dumouriez prit alors la parole : il exposa les
griefs que Le maréchal de Rochambeau était d’avis de rester sur la
défensive et de garder nos frontières. Dumouriez, au contraire, voulait
prendre l’initiative des mouvements, comme on avait pris celle de la guerre,
afin de profiter de l’avantage d’être prêts les premiers. Il était fort
entreprenant ; et comme il dirigeait les opérations militaires, quoiqu’il fût
ministre des affaires étrangères, il fit adopter son plan. Il consistait dans
une rapide invasion de On dénonça, sous le nom de comité autrichien, un comité secret dont on ne put pas prouver l’existence. La défiance était à son comble. L’assemblée prit sur-le-champ des mesures de parti : elle entrait dans la carrière de la guerre, et dès lors elle s’était condamnée à régler sa conduite beaucoup moins d’après la justice que d’après le salut public. Elle se mit en permanence ; elle licencia la garde soldée du roi, le redoublement des troubles religieux lui fit porter un décret d’exil contre les prêtres réfractaires, afin de n’avoir pas en même temps à combattre une coalition et à apaiser des révoltes. Pour réparer les dernières défaites et avoir près de la frontière une armée de réserve, elle adopta, le 8 juin, sur la proposition du ministre de la guerre Servan, la formation sous Paris d’un camp de vingt mille hommes tirés des départements. Elle chercha également à exalter les esprits par des fêtes révolutionnaires, et elle commença à enrôler la multitude par un armement de piques, pensant que ce n’était pas trop de toutes les assistances dans un aussi grand danger. Toutes ces mesures ne furent pas adoptées sans l’opposition des constitutionnels. Ils combattirent l’établissement du camp de vingt mille hommes, qu’ils considérèrent comme une armée de parti, appelée contre la garde nationale et contre le trône. L’état-major de celle-ci protesta, et la recomposition de ce corps fut aussitôt opérée au profit du parti dominant. On fit entrer dans la nouvelle garde nationale des compagnies armées de piques. Les constitutionnels furent encore plus mécontents de cette mesure, qui introduisait la classe inférieure dans leurs rangs et qui leur paraissait avoir pour but d’annuler la bourgeoisie par la populace. Enfin ils condamnaient d’une manière ouverte le bannissement des prêtres, qui n’était qu’un décret de proscription. Louis XVI était depuis quelque temps plus froid avec ses
ministres, qui se montraient aussi plus exigeants à son égard. Ils le
pressaient d’admettre auprès de sa personne des prêtres assermentés, afin de
donner un exemple en faveur de la constitution civile du clergé et d’enlever
un prétexte aux troubles ; il s’y refusait avec constance, décidé à ne plus
faire aucune concession religieuse. Les derniers décrets furent le terme de
son union avec Le roi choisit ses nouveaux ministres parmi les
Feuillants. Scipion Chambonnas eut les affaires étrangères, Terrier-Monteil
l’intérieur, Beaulieu les finances, Lajarre la guerre ; Lacoste et Duranthon
restèrent momentanément à la justice et la marine. Tous ces hommes étaient
sans nom, sans crédit, et leur parti lui-même approchait du terme de son
existence. La situation constitutionnelle, pendant laquelle il devait dominer,
se changeait de plus en plus en situation révolutionnaire. Comment un parti
légal et modéré aurait-il pu se maintenir entre deux partis extrêmes et
belligérants, dont l’un s’avançait du dehors pour détruire la révolution et
dont l’autre voulait à tout prix la défendre ? Les Feuillants devenaient de
trop dans cet état de choses. Le roi, qui sentait leur faiblesse, parut ne
plus compter alors que sur l’Europe, et Mallet-Dupan fut envoyé, avec une
mission secrète, auprès des coalisés. Cependant tous ceux qui avaient été
dépassés par le flot populaire et qui appartenaient aux premiers temps de la
révolution se réunirent pour seconder ce léger mouvement rétrograde. Les
monarchiens, à la tête desquels se trouvaient Lally-Tollendal et Malouet,
deux des principaux membres du parti Mounier et Necker ; les Feuillants, qui
étaient dirigés par l’ancien triumvirat Duport, Lameth et Barnave ; enfin Le procureur-syndic, Roederer, vint le dénoncer à l’assemblée, et pendant ce temps les insurgés arrivèrent aux portes de la salle. Leurs chefs demandèrent à présenter une pétition et à défiler devant l’assemblée. De violents débats s’élevèrent entre la droite, qui ne voulait pas recevoir des pétitionnaires armés, et la gauche, qui, se fondant sur quelques usages, était d’avis de les admettre. Vergniaud déclara que l’assemblée blessait tous les principes en admettant dans son sein des rassemblements armés ; mais, s’expliquant sur les circonstances actuelles, il déclara aussi qu’il était impossible de refuser à celui qui se présentait une permission accordée à tant d’autres. Il n’était pas aisé de résister aux désirs d’une multitude exaltée, immense et secondée par une partie des représentants. Le rassemblement se pressait déjà dans les corridors, lorsque l’assemblée décida que les pétitionnaires seraient admis à la barre. La députation fut introduite. Son orateur s’exprima dans un langage menaçant. Il dit que le peuple était debout ; qu’il était prêt à se servir de grands moyens, des moyens renfermés dans la déclaration des droits, résistance à l’oppression ; que les dissidents de l’assemblée, s’il y en avait, purgeassent la terre de la liberté, et se rendissent à Coblentz ; et puis, venant au véritable objet de cette pétition insurrectionnelle : le pouvoir exécutif, ajouta-t-il, n’est point d’accord avec vous ; nous n’en voulons d’autre preuve que le renvoi des ministres patriotes. C’est donc ainsi que le bonheur d’un peuple libre dépendra du caprice d’un roi ? Mais ce roi doit-il avoir d’autre volonté que celle de la loi ? Le peuple le veut ainsi, et sa tête vaut bien celle des despotes couronnés. Cette tête est l’arbre généalogique de la nation, et devant ce chêne robuste le faible roseau doit plier ! Nous nous plaignons, messieurs, de l’inaction de nos armées ; nous demandons que vous en pénétriez la cause : si elle dérive du pouvoir exécutif, qu’il soit anéanti ! L’assemblée répondit aux pétitionnaires qu’elle prendrait leur demande en considération ; elle les invita ensuite au respect pour la loi et pour les autorités constituées, et leur permit de défiler dans son sein. Ce cortége, composé alors d’environ trente mille personnes, mêlé de femmes, d’enfants, de gardes nationaux, d’hommes à piques, et au milieu duquel s’élevaient des bannières et des signes tout à fait révolutionnaires, traversa la salle en chantant le fameux refrain : ça ira ! Et en criant : vive la nation ! Vivent les sans-culottes ! à bas le veto ! Il était conduit par Santerre et par le marquis de Saint-Hurugues. En sortant de l’assemblée, il se dirigea vers le château avec les pétitionnaires en tête. Les portes extérieures en furent ouvertes par l’ordre du
roi ; la multitude se précipita alors dans l’intérieur. Elle monta dans les
appartements ; et, tandis qu’elle en ébranlait les portes à coups de hache,
Louis XVI ordonna de les ouvrir et se présenta à elle à peine accompagné de
quelques personnes. Le flot populaire s’arrêta un moment devant lui ; mais
ceux qui étaient dehors et qui ne pouvaient pas être contenus par la présence
du roi avançaient toujours. On fit prudemment placer Louis XVI dans
l’embrasure d’une fenêtre. Jamais il ne montra plus de courage que dans cette
déplorable journée. Entouré de gardes nationaux, qui faisaient barrière
contre la multitude, assis sur une chaise, qu’on avait élevée sur une table,
afin qu’il pût respirer un peu plus à l’aise et être vu du peuple, il garda
une contenance calme et ferme. Il répondit constamment à ceux qui demandaient
à grands cris la sanction des décrets : ce n’est ni la forme ni le moment de
l’obtenir de moi. Ayant le courage de refuser ce qui était l’objet essentiel
de ce mouvement, il ne crut pas devoir repousser un signe vain pour lui, et
qui, aux yeux de la multitude, était celui de la liberté : il mit sur sa tête
un bonnet rouge qui lui fut présenté au bout d’une pique. La multitude fut
très satisfaite de cette condescendance. Peu d’instants après, elle le
couvrit d’applaudissements, lorsque, étouffant de chaud et de soif, il but
sans hésiter dans un verre que lui présenta un ouvrier à moitié ivre.
Cependant Vergniaud, Isnard et quelques députés de La journée du 20 juin excita un soulèvement de l’opinion
constitutionnelle contre ses auteurs. La violation du domicile royal, les
outrages faits à Louis XVI, l’illégalité d’une pétition présentée au milieu
des violences de la multitude et l’appareil des armes, furent vivement
reprochés au parti populaire. Celui ci se vit réduit un moment à la défensive
; outre qu’il était coupable d’une émeute, il avait essuyé un véritable
échec. Les constitutionnels reprirent le ton et la supériorité d’un parti
offensé et dominant ; mais cela dura peu, car ils ne furent point secondés
par la cour. La garde nationale offrit à Louis XVI de se tenir réunie autour
de sa personne ; le duc de Cependant Le parti révolutionnaire était dans la stupeur, et
redoutait tout de la hardiesse et de la célérité de cet adversaire du Champ
de Mars. Mais la cour, qui craignait le triomphe des constitutionnels, fit
échouer elle-même les projets de Dans la position où se trouvait La marche des Prussiens et le fameux manifeste de
Brunswick contribuèrent à hâter ce moment. Le duc de Brunswick la dirigeait. Il avait le principal
commandement de l’armée ennemie, composée de soixante-dix mille Prussiens et
de soixante-huit mille Autrichiens, Hessois ou émigrés. Voici quel était ce
plan d’invasion. Le duc de Brunswick devait, avec les Prussiens, passer le
Rhin à Coblentz, remonter la rive gauche de Le 26 juillet, au moment où l’armée s’ébranla et partit de Coblentz, le duc de Brunswick publia un manifeste au nom de l’empereur et du roi de Prusse. Il reprocha à ceux qui avaient usurpé les rênes de l’administration en France d’y avoir troublé le bon ordre et renversé le gouvernement légitime ; d’avoir exercé contre le roi et sa famille des attentats et des violences renouvelés chaque jour ; d’avoir supprimé arbitrairement les droits et possessions des princes allemands en Alsace et en Lorraine ; enfin d’avoir comblé la mesure en déclarant une guerre injuste à sa majesté l’empereur et en attaquant ses provinces des Pays-Bas. Il déclara que les souverains alliés marchaient pour faire cesser l’anarchie en France, arrêter les attaques portées au trône et à l’autel, rendre au roi la sûreté et la liberté dont il était privé, et le mettre en état d’exercer son autorité légitime. En conséquence, il rendit responsables les gardes nationales et les autorités de tous les désordres, jusqu’à l’arrivée des troupes de la coalition. Il les somma de revenir à leur ancienne fidélité. Il dit que les habitants des villes qui oseraient se défendre seraient punis sur-le-champ comme des rebelles, selon la rigueur de la guerre, et leurs maisons démolies ou brûlées ; que, si la ville de Paris ne mettait pas le roi en pleine liberté, et ne lui accordait pas le respect qui lui était dû, les princes coalisés en rendraient personnellement responsables, sur leurs têtes, pour s’être jugés militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l’assemblée nationale, du département, du district, de la municipalité, de la garde nationale ; et que, si le château était forcé ou insulté, les princes en tireraient une vengeance exemplaire et à jamais mémorable en livrant Paris à une exécution militaire et à une subversion totale. Il promettait, au contraire, aux habitants de Paris l’emploi des bons offices des princes confédérés auprès de Louis XVI, afin d’obtenir le pardon de leurs torts ou de leurs erreurs, s’ils obéissaient promptement aux ordres de la coalition. Ce fougueux et impolitique manifeste, qui ne déguisait ni
les desseins de l’émigration ni ceux de l’Europe ; qui traitait tout un grand
peuple avec un ton de commandement et de mépris vraiment extraordinaire ; qui
lui annonçait ouvertement toutes les misères d’une invasion, et par-dessus le
despotisme et des vengeances, excita un soulèvement national. Plus que toute
autre chose, il hâta la chute du trône, et empêcha les succès de la
coalition. Il n’y eut qu’un voeu, qu’un cri de résistance d’un bout de Leur entreprise fut plusieurs fois projetée et suspendue.
Le 26 juillet, une insurrection devait éclater ; mais elle était mal ourdie,
et Pétion l’arrêta. Lorsque les fédérés marseillais arrivèrent pour se rendre
au camp de Soissons, les faubourgs devaient aller à leur rencontre, et
marcher avec eux à l’improviste contre le château. Cette insurrection manqua
aussi. Cependant l’arrivée des Marseillais encouragea les conspirateurs de la
capitale, et il y eut entre ceux-ci et les chefs fédérés des conférences à
Charenton pour le renversement du trône. Les sections étaient fort agitées ;
celle de Mauconseil fut la première à se déclarer en insurrection, et elle le
fit notifier à l’assemblée. On discuta la déchéance dans les clubs, et, le 3
août, le maire Pétion vint la demander au corps législatif au nom de la
commune et des sections. La pétition fut renvoyée à la commission
extraordinaire des douze. Le 8, on discuta la mise en accusation de Le lendemain l’effervescence était extrême. L’assemblée
apprit, par les lettres d’un grand nombre de députés, que la veille, à la
sortie de la séance, ils avaient été maltraités et menacés de mort pour avoir
voté l’acquittement de Les insurgés fixèrent l’attaque du château au matin du 10 août. Le 8, les Marseillais avaient été transférés de leur caserne de la rue Blanche aux Cordeliers avec leurs armes, leurs canons et leur drapeau. Ils avaient reçu cinq mille cartouches à balle, qui leur avaient été distribuées par ordre des administrateurs de police. Le chef-lieu du soulèvement fut au faubourg Saint-Antoine. Le soir, après une séance très véhémente, les jacobins s’y rendirent en cortége ; l’insurrection fut alors organisée. On décida de casser le département ; de consigner Pétion, afin de le soustraire aux devoirs de sa place et à toute responsabilité ; enfin de remplacer le conseil général de la commune actuelle par une municipalité insurrectionnelle. Les agitateurs se rendirent en même temps dans les sections des faubourgs et dans les casernes des fédérés marseillais et bretons. La cour était depuis quelque temps avertie du danger, et elle s’était mise en défense. Peut-être, dans ce moment, crut-elle pouvoir non seulement résister, mais encore se rétablir entièrement. L’intérieur du château était occupé par des Suisses, au nombre de huit ou neuf cents ; par les officiers de la garde licenciée et par une troupe de gentilshommes et de royalistes, qui s’étaient présentés armés de sabres, d’épées et de pistolets. Le commandant général de la garde nationale, Mandat, s’était rendu au château avec son état-major, pour le défendre ; il avait donné ordre aux bataillons les plus attachés à la constitution de prendre les armes. Les ministres étaient aussi auprès du roi : le procureur-syndic du département s’y était transporté le soir même sur l’ordre du roi, qui avait également mandé le maire Pétion pour s’informer de l’état de Paris et pour obtenir l’autorisation de repousser la force par la force. À minuit, le tocsin sonne, la générale bat, les insurgés s’attroupent et s’enrégimentent ; les membres des sections cassent la municipalité, et nomment un conseil provisoire de la commune qui se rend à l’hôtel de ville pour diriger l’insurrection. De leur côté, les bataillons de la garde nationale prennent la route du château, sont placés dans les cours ou aux principaux postes, avec la gendarmerie à cheval ; les canonniers occupent les avenues des Tuileries avec leurs pièces, tandis que les Suisses et des volontaires gardent les appartements. La défense est dans le meilleur état. Cependant quelques députés, éveillés par le tocsin, s’étaient rendus dans la salle du corps législatif, et avaient ouvert la séance sous la présidence de Vergniaud. Avertis que Pétion était aux Tuileries et croyant qu’il y était retenu et qu’il avait besoin d’être dégagé, ils le mandèrent à la barre de l’assemblée pour rendre compte de l’état de Paris. Sur cet ordre, il quitta le château. Il parut devant l’assemblée, où une députation vint le redemander, pensant aussi qu’il était prisonnier aux Tuileries. Il retourna avec cette députation à l’hôtel de ville et il fut mis sous la garde de trois cents hommes par la nouvelle commune. Celle-ci, qui ne voulait pas d’autre autorité, dans ce jour de désordre, que les autorités insurrectionnelles, fit venir, le matin de bonne heure, le commandant Mandat pour s’informer des dispositions prises au château. Mandat hésitait à obéir ; cependant, comme il ne croyait pas la municipalité renouvelée, et comme son devoir lui prescrivait de suivre ses ordres, il se rendit à l’hôtel de ville, à la seconde invitation qu’il en reçut de la commune. En entrant il vit des figures nouvelles, et il pâlit. On l’accusa d’avoir autorisé les troupes à faire feu sur le peuple. Il se troubla, fut envoyé à l’Abbaye, et en sortant, des meurtriers l’égorgèrent sur les marches de l’hôtel de ville. La commune donna aussitôt le commandement de la garde nationale à Santerre. La cour se trouva ainsi privée de son défenseur le plus
résolu et le plus influent. La présence de Mandat, l’ordre qu’il avait obtenu
d’employer la force en cas de besoin, étaient nécessaires pour décider la
garde nationale à se battre. La vue des nobles et des royalistes l’avait
beaucoup refroidie. Mandat lui-même, avant son départ, avait inutilement
supplié la reine de renvoyer cette troupe, que ses opinions rendaient
suspecte aux constitutionnels. Vers quatre heures du matin, la reine appela
auprès d’elle le procureur-syndic du département Roederer, qui avait passé la
nuit aux Tuileries, et lui demanda ce qu’il fallait faire dans ces
circonstances. Roederer répondit qu’il lui semblait nécessaire que le roi et
la famille royale se rendissent à l’assemblée nationale. — Vous proposez, dit Dubouchage, de mener le roi à son ennemi. — Roederer répliqua
que quatre cents membres de cette assemblée, sur six cents, s’étaient
prononcés deux jours auparavant en faveur de La division existait déjà entre les défenseurs du château
lorsque Louis XVI les passa en revue à cinq heures du matin. Il parcourut
d’abord les postes intérieurs, qu’il trouva animés des meilleures
dispositions ; il était suivi de quelques personnes de sa famille, et il
était extrêmement triste. Je ne séparerai pas,
dit-il, ma cause de celle des bons citoyens ; nous
nous sauverons ou nous périrons ensemble. Il descendit ensuite dans
les cours, accompagné de quelques officiers généraux. Dès qu’il arriva, on
battit aux champs ; le cri de Vive le roi !
se fit entendre et fut répété par la garde nationale : mais les canonniers et
le bataillon de Pendant que tout cela se passait aux Tuileries, les insurgés s’avançaient sur plusieurs colonnes ; ils avaient employé la nuit à se réunir et à s’organiser. Dès le matin, ils avaient forcé l’Arsenal, et s’en étaient distribué les armes. La colonne du faubourg Saint-Antoine, forte d’environ quinze mille hommes, et celle du faubourg Saint-Marceau, de cinq mille, s’étaient mises en marche vers six heures du matin. La foule les grossissait dans leur route. Des canons avaient été placés par le directoire du département sur le Pont-neuf afin d’empêcher la jonction des assaillants des deux côtés de la rivière ; mais le procureur de la commune, Manuel, avait donné l’ordre de les retirer de cette position, et le passage du pont se trouva libre. Déjà l’avant-garde des faubourgs, composée des fédérés marseillais et bretons, avait débouché par la rue Saint-Honoré, se mettait en bataille sur le carrousel, et braquait ses canons contre le château. De Joly et Champion revinrent de l’assemblée en disant qu’elle n’était pas en nombre pour délibérer, qu’elle était à peine composée de soixante ou quatre-vingts membres, et qu’elle n’avait pas écouté leurs propositions. Ce fut alors que le procureur-syndic du département, Roederer, avec les membres du département, se présenta aux insurgés, leur dit qu’une si grande multitude ne pouvait avoir accès auprès du roi ni de l’assemblée nationale, et les invita à nommer vingt députés et à les charger de leurs demandes. Mais ils ne l’écoutèrent point. Il s’adressa à la garde nationale, rappela l’article de la loi qui enjoignait, en cas d’attaque, de repousser la force par la force ; mais une très faible partie de la garde nationale y parut disposée, et les canonniers, pour toute réponse, déchargèrent leurs canons. Roederer, voyant que les insurgés triomphaient partout, qu’ils étaient maîtres de la commune, qu’ils disposaient de la multitude et des troupes même, retourna en toute hâte au château, à la tête du directoire exécutif. Le roi tenait conseil avec la reine et les ministres. Un officier municipal venait de donner l’alarme en annonçant que les colonnes des insurgés approchaient des Tuileries. — Eh bien, que veulent-ils ? avait demandé le garde des sceaux de Joly. — La déchéance, répondit le municipal. — Que l’assemblée prononce donc, ajouta le ministre. — Mais après cette déchéance, dit la reine, qu’arrivera-t-il ? L’officier municipal s’inclina sans rien répondre. Au même instant entra Roederer, qui augmenta la consternation de la cour en annonçant que le danger était extrême, que les bandes des insurgés étaient intraitables, que la garde nationale n’était pas sûre. — Sire, dit-il, d’un ton pressant, votre majesté n’a pas cinq minutes à perdre ; il n’y a plus de sûreté pour elle que dans l’assemblée nationale ; l’opinion du département est qu’il faut s’y rendre sans délai ; vous n’avez pas dans les cours un nombre d’hommes suffisant pour la défense du château ; leur volonté n’est pas non plus bien disposée. Les canonniers, à la seule recommandation de la défensive, ont déchargé leurs canons. — Le roi répondit d’abord qu’il n’avait pas vu beaucoup de monde au carrousel ; et la reine ajouta avec vivacité que le roi avait des forces pour défendre le château. Mais sur de nouvelles instances de Roederer, le roi, après l’avoir regardé fixement pendant quelques secondes, se tourna vers la reine et dit en se levant : marchons ! Madame Élisabeth, s’adressant alors au procureur-syndic, lui dit : — Monsieur Roederer, vous répondez de la vie du roi ? — Oui, madame, sur la mienne, reprit-il, je marcherai immédiatement devant lui. Louis XVI sortit de sa chambre avec sa famille, ses ministres, les membres du département, annonça aux personnes qui étaient venues au château pour le défendre qu’il se rendait à l’assemblée nationale. Il se plaça entre deux rangs de gardes nationaux mandés pour lui servir d’escorte, traversa les appartements et le jardin des Tuileries. Une députation de l’assemblée, avertie de l’arrivée du roi, vint à sa rencontre. — Sire, lui dit le président de cette députation, l’assemblée, empressée de concourir à votre sûreté, vous offre, et à votre famille, un asile dans son sein. Le cortége se mit en route, et eut beaucoup de peine à traverser la terrasse des Feuillants, couverte d’une foule fort animée qui proférait des injures et des menaces. Le roi et sa famille parvinrent à grand’peine dans la salle de l’assemblée, où ils se placèrent sur des siéges destinés aux ministres. — Messieurs, dit alors le roi, je suis venu ici pour éviter un grand crime, et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu’au milieu de vous. — Sire, répondit Vergniaud qui occupait le fauteuil, vous pouvez compter sur la fermeté de l’assemblée nationale ; ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées. Le roi prit alors place à côté du président. Mais Chabot rappela que l’assemblée ne pouvait point délibérer en présence du roi, et Louis XVI passa, avec sa famille et ses ministres, dans la loge du logographe, qui se trouvait derrière le président et d’où l’on pouvait tout voir et tout entendre. Depuis le départ du roi, tout motif de résistance avait cessé. D’ailleurs les moyens même de défense étaient diminués par le départ des gardes nationaux qui avaient escorté Louis XVI. La gendarmerie avait quitté son poste en criant vive la nation ! La garde nationale s’ébranlait en faveur des assaillants. Mais les ennemis étaient en présence ; et, quoique la cause du combat n’existât plus, le combat ne s’engagea pas moins. Les colonnes des insurgés entouraient le château. Les Marseillais et les Bretons, qui tenaient la première ligne, venaient de forcer la porte royale, placée sur le carrousel, et de pénétrer dans les cours du château. Ils avaient à leur tête un ancien sous-officier nommé Westermann, ami de Danton et homme très résolu. Il rangea sa troupe en bataille, et il s’avança vers les canonniers, qui, sur ses invitations, se joignirent aux Marseillais avec leurs pièces. Les Suisses garnissaient les fenêtres du château dans une attitude immobile. Les deux troupes furent quelque temps en présence sans s’attaquer. Quelques-uns des assaillants s’avancèrent même pour fraterniser, et les Suisses jetèrent des cartouches par les fenêtres en signe de paix ; ils pénétrèrent jusque sous le vestibule, où se trouvaient d’autres défenseurs du château. Une barrière les séparait. C’est là que le combat s’engagea, sans qu’on ait pu savoir encore de quel côté commença l’agression. Les Suisses firent alors un feu meurtrier sur les insurgés, qui se dispersèrent. La place du carrousel fut balayée. Bientôt cependant les Marseillais et les Bretons revinrent en force : les Suisses furent canonnés, investis. Ils tinrent jusqu’à ce qu’ils eussent reçu l’ordre du roi de cesser le feu. Mais les insurgés exaspérés ne cessèrent point de les poursuivre, et se livrèrent aux plus sanglantes représailles. Ce ne fut plus un combat, ce fut un massacre : et la multitude s’abandonna dans le château à tous les excès de sa victoire. L’assemblée était, pendant ce temps, dans les plus vives alarmes. Les premiers coups de canon y avaient répandu la consternation. À mesure que les décharges de l’artillerie devenaient plus fréquentes, l’agitation redoublait. Il y eut un moment où les membres de l’assemblée se crurent perdus. Un officier entra précipitamment dans la salle en disant : en place, législateurs ; nous sommes forcés ! Quelques députés se levèrent pour sortir. Non, non, dirent les autres, c’est ici notre poste. Les tribunes s’écrièrent aussitôt : Vive l’assemblée nationale ! Et l’assemblée répondit en criant : Vive la nation ! Enfin, on entendit au dehors : Victoire ! Victoire ! Et le sort de la monarchie fut décidé. L’assemblée fit aussitôt une proclamation pour ramener le calme et conjurer le peuple de respecter la justice, ses magistrats, les droits de l’homme, la liberté, l’égalité. Mais la multitude et ses chefs avaient la toute-puissance et se proposaient d’en user. La nouvelle municipalité vint faire reconnaître ses pouvoirs. Elle était précédée de trois bannières, sur lesquelles étaient ces mots : patrie, liberté, égalité. Sa harangue fut impérieuse, et elle la finit en demandant la déchéance du roi et une convention nationale. Les députations se succédèrent, et toutes présentaient le même voeu, ou, pour mieux dire, intimaient le même ordre. L’assemblée se vit contrainte de les satisfaire. Cependant elle ne voulut point prendre sur elle la déchéance du roi. Vergniaud monta à la tribune au nom de la commission des douze, et il dit : Je viens vous proposer une mesure bien rigoureuse ; mais je m’en rapporte à votre douleur pour juger combien il importe que vous l’adoptiez sur-le-champ. Cette mesure consistait dans la convocation d’une assemblée nationale, dans la destitution des ministres et dans la suspension du roi. L’assemblée l’adopta unanimement. Les ministres girondins furent rappelés ; les fameux décrets furent mis à exécution ; on déporta environ quatre mille prêtres non assermentés, et l’on envoya des commissaires aux armées pour s’assurer d’elles. Louis XVI, à qui l’assemblée avait donné d’abord le Luxembourg pour demeure, fut transféré au Temple, comme prisonnier, par la toute-puissante commune, sous le prétexte qu’elle ne pouvait point sans cela répondre de sa personne. Enfin, le 23 septembre fut désigné pour l’ouverture de
l’assemblée extraordinaire qui devait décider du sort de la royauté. Mais la
royauté venait de succomber de fait au 10 août, dans cette journée qui fut
l’insurrection de la multitude contre la classe moyenne et contre le trône
constitutionnel, comme le 14 juillet avait été l’insurrection de la classe
moyenne contre les classes privilégiées et le pouvoir absolu de la couronne.
Le 10 août vit commencer l’époque dictatoriale et arbitraire de la
révolution. Les circonstances devenant de plus en plus difficiles, il
s’engagea une vaste guerre qui suscita un surcroît d’énergie ; et cette
énergie, déréglée parce qu’elle était populaire, rendit inquiète, oppressive
et cruelle la domination de la classe inférieure. La question alors changea
entièrement de nature ; elle n’eut plus pour but la liberté, mais le salut
public ; et la période conventionnelle, depuis la fin de la constitution de
1791 jusqu’au moment où la constitution de l’an III établit le directoire, ne
fut qu’une longue campagne de la révolution contre les partis et contre
l’Europe. Était-il possible qu’il en fût autrement ? Le
mouvement révolutionnaire une fois établi, dit M. de Maistre, Les départements adhérèrent aux événements du 10 août.
L’armée, qui subissait toujours un peu plus tard l’influence de la
révolution, était encore royaliste constitutionnelle ; cependant, comme les
troupes étaient subordonnées aux partis, elles devaient se soumettre
facilement à l’opinion dominante. Les généraux en seconde ligne, tels que
Dumouriez, Custine, Biron, Kellermann, Labourdonnaie, étaient disposés à
approuver les derniers changements. Ils n’avaient pas encore pris parti, et
ils espéraient que cette révolution leur vaudrait de l’avancement. Il n’en
était pas de même des deux généraux en chef. Luckner flottait indécis entre
l’insurrection du 10 août, qu’il appelait un petit accident arrivé à Paris,
et son ami Peut-être, dans ce moment, le général On était au 19 août, et l’armée d’invasion, partie de
Coblentz le 30 juillet, remontait De notre temps, peu de vies ont été aussi pures que celle
de Les auteurs du 10 août se divisèrent de plus en plus,
n’étant point d’accord sur les résultats que devait avoir cette révolution.
Le parti audacieux et violent qui s’était emparé de la commune voulait, au
moyen de la commune, dominer Paris ; au moyen de Paris, l’assemblée nationale
; et, au moyen de l’assemblée, Elle avait à sa tête Marat, Panis, Sergent, Duplain, Lenfent, Lefort, Jourdeuil, Collot-d’Herbois, Billaud-Varennes, Tallien, etc... Mais le chef principal de ce parti était alors Danton ; plus que tout autre, il avait coopéré au 10 août. Pendant toute cette nuit, il avait couru des sections aux casernes des Marseillais et des Bretons et de celles-ci aux faubourgs. Membre de la commune révolutionnaire, il avait dirigé ses opérations, et avait été nommé ensuite au ministère de la justice. Danton était un révolutionnaire gigantesque. Aucun moyen ne lui paraissait condamnable, pourvu qu’il lui fût utile ; et, selon lui, on pouvait tout ce qu’on osait. Danton, qu’on a nommé le Mirabeau de la populace, avait de la ressemblance avec ce tribun des hautes classes, des traits heurtés, une voix forte, un geste impétueux, une éloquence hardie, un front dominateur. Leurs vices aussi étaient les mêmes ; mais ceux de Mirabeau étaient d’un patricien, ceux de Danton d’un démocrate : et ce qu’il y avait de hardi dans les conceptions de Mirabeau se retrouvait dans Danton, mais d’une autre manière, parce qu’il était, dans la révolution, d’une autre classe et d’une autre époque. Ardent, accablé de dettes et de besoins, de moeurs relâchées, s’abandonnant tour à tour à ses passions ou à son parti, il était formidable dans sa politique lorsqu’il s’agissait d’arriver à son but, et redevenait nonchalant après l’avoir atteint. Ce puissant démagogue offrait un mélange de vices et de qualités contraires. Quoiqu’il se fût vendu à la cour, il conservait l’audace hautaine de ses sentiments républicains jusque dans la bassesse de sa corruption. Il se montra exterminateur sans être féroce, inexorable à l’égard des masses, humain, généreux même pour les individus. Une révolution, à ses yeux, était un jeu où le vainqueur, s’il en avait besoin, gagnait la vie du vaincu. Le salut de son parti passait pour lui avant la loi, avant même l’humanité : c’est ce qui explique ses attentats après le 10 août et son retour à la modération quand il crut la république affermie. à cette époque, les Prussiens, s’avançant dans l’ordre d’invasion qui a été précédemment indiqué, franchirent la frontière après vingt jours de marche. L’armée de Sedan était sans chef et incapable de résister
à des forces aussi supérieures et aussi bien organisées. Le 20 août, Longwy
fut investi par les Prussiens, le 21 il fut bombardé, et le 24 il capitula.
Le 30 l’armée ennemie arriva devant Verdun, l’investit, et en commença le
bombardement. Verdun pris, la route de la capitale était ouverte. La prise de
Longwy, l’approche d’un si grand danger, jetèrent Paris dans le plus grand
état d’agitation et d’alarme. Le conseil exécutif, composé des ministres, fut
appelé au comité de défense générale pour délibérer sur les moyens les plus
sûrs à prendre dans d’aussi périlleuses conjonctures. Les uns voulaient attendre
l’ennemi sous les murs de la capitale, les autres se retirer à Saumur. Vous n’ignorez pas, dit Danton, lorsque son tour de
parler fut venu, que On fit des visites domiciliaires avec un morne et vaste appareil ; on incarcéra un grand nombre de personnes suspectes au parti révolutionnaire par leur état et par leurs opinions. Ces malheureux prisonniers furent choisis surtout dans les deux classes dissidentes du clergé et de la noblesse, qu’on accusait de conspiration sous la législative. Les citoyens en âge de porter les armes furent enrégimentés au Champ de Mars et partirent le 1er septembre pour la frontière. On battit la générale, on sonna le tocsin, on tira le canon ; et Danton se présentant à l’assemblée pour lui rendre compte des mesures prises pour sauver la patrie : le canon que vous entendez, dit-il, n’est point le canon d’alarme ; c’est le pas de charge sur nos ennemis. Pour les vaincre, pour les atterrer, que faut-il ? De l’audace, encore de l’audace, et toujours de l’audace ! La nouvelle de la prise de Verdun arriva dans la nuit du 1er au 2 septembre. La commune saisit cet instant, où Paris épouvanté crut voir déjà les ennemis à ses portes, pour exécuter ses affreux desseins. Le canon fut de nouveau tiré, le tocsin sonna, les barrières furent fermées, et les massacres commencèrent. Les prisonniers enfermés aux Carmes, à l’Abbaye, à la
conciergerie, à Le conseil exécutif, que dirigeait le général Servan pour
les opérations militaires, faisait avancer les bataillons de nouvelle levée
vers la frontière. Il avait voulu placer le général le plus habile sur le
point le plus menacé ; mais le choix était embarrassant. Parmi les généraux
qui s’étaient déclarés en faveur des derniers événements politiques,
Kellermann ne paraissait capable que d’un commandement secondaire, et on se
borna à le mettre à la place de l’incertain Luckner. Custine, quoique ne
manquant pas d’expérience de la guerre, était plus propre à un coup de main
hardi qu’à la conduite d’une grande armée sur laquelle allaient reposer les
destinées de Dumouriez s’était rendu en toute hâte du camp de Maulde à
celui de Sedan. Il assembla un conseil de guerre, dans lequel l’avis général
fut de se retirer vers Châlons ou Reims, et de se couvrir de Le duc de Brunswick, après s’être emparé de Verdun, passa L’armée prussienne avait suivi les mouvements de
Dumouriez. Le 20, elle attaqua Kellermann à Valmy, pour couper à l’armée
française la retraite sur Châlons. La canonnade s’engagea vivement de part et
d’autre. Les Prussiens se portèrent ensuite en colonnes sur les hauteurs de
Valmy, afin de les enlever. Kellermann forma aussi son infanterie en
colonnes, lui enjoignit de ne pas tirer, et d’attendre l’approche de l’ennemi
pour le charger à la baïonnette. Il donna cet ordre au cri de Vive la nation ! Et ce cri, répété d’un bout de la
ligne à l’autre, étonna les Prussiens plus encore que la contenance ferme de
nos troupes. Le duc de Brunswick fit rétrograder ses bataillons, déjà un peu
ébranlés ; la canonnade continua encore jusqu’au soir ; les ennemis tentèrent
une nouvelle attaque et furent repoussés. La journée nous resta, et le succès
presque insignifiant de Valmy produisit sur nos troupes et sur l’opinion en
France l’effet de la plus complète victoire. De cette époque data aussi le
découragement de l’ennemi et sa retraite. Les Prussiens s’étaient engagés
dans cette campagne, d’après les promesses des émigrés, comme dans une
promenade militaire. Ils étaient sans magasins, sans vivres. Au milieu d’un
pays ouvert, ils rencontraient une résistance chaque jour plus vive ; les
pluies continuelles avaient détrempé les routes ; les soldats étaient dans la
boue jusqu’au genou, et depuis quatre jours ils n’avaient que du blé bouilli
pour toute nourriture. Aussi les maladies produites par l’eau crayeuse, le
dénuement et l’humidité avaient exercé les plus grands ravages dans leur
armée. Le duc de Brunswick conseilla la retraite, contre l’avis du roi de
Prusse et des émigrés, qui voulaient hasarder une bataille et s’emparer de
Châlons. Mais, comme le sort de la monarchie prussienne tenait à son armée,
et que la perte entière de l’armée devenait certaine par une défaite, le
conseil du duc de Brunswick prévalut. On entama des négociations ; et les
Prussiens, se relâchant de leurs premières exigences, ne demandaient plus que
le rétablissement du roi sur le trône constitutionnel. Mais Cette campagne avait été marquée par des succès généraux
pour Si l’on présentait le tableau d’un état qui sort d’une grande crise et qu’on dît : il y avait dans cet état un gouvernement absolu dont l’autorité a été restreinte ; deux classes privilégiées qui ont perdu leur suprématie ; un peuple immense, déjà affranchi par l’effet de la civilisation et des lumières, mais sans droits politiques, et qui a été obligé, à cause des refus essuyés, de les conquérir lui-même ; si l’on ajoutait : le gouvernement, après s’être opposé à cette révolution, s’y est soumis ; mais les classes privilégiées l’ont constamment combattue, — voici ce que l’on pourrait conclure de ces données : le gouvernement aura des regrets, le peuple montrera de la défiance, et les classes privilégiées attaqueront l’ordre nouveau chacune à sa manière. La noblesse, ne le pouvant pas au dedans, où elle serait trop faible, émigrera afin d’exciter les puissances étrangères, qui feront les préparatifs d’une attaque. Le clergé, qui perdrait au dehors ses moyens d’action, restera dans l’intérieur, où il cherchera des ennemis à la révolution. Le peuple, menacé au dehors, compromis au dedans, irrité contre l’émigration qui armera les étrangers, contre les étrangers qui attaqueront son indépendance, contre le clergé qui insurgera son pays, traitera en ennemi le clergé, l’émigration et les étrangers. Il demandera d’abord la surveillance, puis le bannissement des prêtres réfractaires ; la confiscation du revenu des émigrés ; enfin la guerre contre l’Europe coalisée, pour la prévenir de sa part. Les premiers auteurs de la révolution condamneront celles de ces mesures qui violeront la loi ; les continuateurs de la révolution y verront, au contraire, le salut de la patrie ; et le désaccord éclatera entre ceux qui préféreront la constitution à l’état et ceux qui préféreront l’état à la constitution. Le prince porté par ses intérêts de roi, ses affections et sa conscience, à rejeter une pareille politique, passera pour complice de la contre-révolution, parce qu’il paraîtra la protéger. Les révolutionnaires tenteront alors de gagner le roi en l’intimidant, et, ne pouvant pas y réussir, ils renverseront la monarchie. Telle fut l’histoire de l’assemblée législative. Les troubles intérieurs amenèrent le décret contre les prêtres ; les menaces extérieures, celui contre les émigrés ; le concert des puissances étrangères, la guerre contre l’Europe ; la première défaite de nos armées, celui du camp de vingt mille hommes. Le refus d’adhésion à la plupart de ces décrets fit suspecter Louis XVI par les Girondins ; les divisions de ces derniers et des constitutionnels, qui voulaient se montrer les uns législateurs comme en temps de paix, les autres ennemis comme en temps de guerre, désunirent les partisans de la révolution. Pour les Girondins, la question de la liberté était dans la victoire, la victoire dans les décrets. Le 20 juin fut une tentative pour les faire accepter ; mais, ayant manqué son effet, ils crurent qu’il fallait renoncer à la révolution ou au trône, et ils firent le 10 août. Ainsi, sans l’émigration qui amena les troubles, le roi se serait probablement fait à la constitution et les révolutionnaires n’auraient pas pu songer à la république. |