HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

 

Chapitre III. — Depuis le 6 octobre 1789 jusqu’à la mort de Mirabeau, en avril 1791.

Suite des événements d’octobre. — Changement des provinces en départements ; organisation des autorités administratives et municipales d’après le système de la souveraineté populaire et de l'élection. — Finances ; tous les moyens auxquels on a recours sont insuffisants, on proclame les biens du clergé biens nationaux. — La vente des biens du clergé amène les assignats. — Constitution civile du clergé ; opposition religieuse des évêques. — Anniversaire du 14 juillet ; abolition des titres ; fédération du Champ-de-Mars. — Nouvelle organisation de l’armée ; opposition des officiers. — Schisme à propos de la constitution civile du clergé. — Clubs. — Mort de Mirabeau. — Pendant toute cette époque la séparation des partis devient de plus en plus prononcée.

 

 

L’époque qui fait le sujet de ce chapitre fut moins remarquable par les événements que par la séparation de plus en plus prononcée des partis. À mesure que les changements s’opéraient dans l’état et dans les lois, ceux dont ils blessaient les intérêts ou les opinions se déclaraient contre eux. La révolution avait eu pour adversaires, dès le commencement des états généraux, la cour ; dès la réunion des ordres et l’abolition des privilèges, la noblesse ; dès l'établissement d’une seule assemblée et le rejet des deux chambres, le ministère et les partisans du gouvernement anglais. Elle eut de plus contre elle, dès l’organisation départementale, les pays d’états ; dès le décret sur les biens et sur la constitution civile du clergé, tout le corps ecclésiastique ; dès les nouvelles lois militaires, tous les officiers de l’armée. Il semble que l’assemblée n’aurait point dû opérer tant de changements à la fois, pour ne pas se faire un si grand nombre d’ennemis ; mais ses plans généraux, ses besoins et les menées mêmes de ses adversaires conduisirent à toutes ces innovations. L’assemblée, après les 5 et 6 octobre, eut son émigration, comme la cour avait eu la sienne après le 14 juillet. Mounier et Lally-Tollendal la quittèrent, désespérant de la liberté au moment où leurs idées cessèrent d’être suivies. Absolus dans leurs plans, ils auraient voulu que le peuple, après avoir délivré l’assemblée au 14 juillet, cessât tout d’un coup d’agir, ce qui était méconnaître l’entraînement des révolutions. Lorsqu’on s’est servi du peuple, il devient très difficile de le licencier ; et le plus prudent n’est pas de contester, mais de régulariser son intervention. Lally-Tollendal renonça à son titre de Français et retourna en Angleterre, pays de ses aïeux. Mounier se rendit dans le Dauphiné, sa province, qu’il tenta de soulever contre l’assemblée. Il y avait de l’inconséquence à se plaindre d’une insurrection et à en provoquer une, lors surtout qu’elle eût profité à un autre parti ; car le sien était trop faible pour se soutenir entre l’ancien régime et la révolution. Malgré son influence dans le Dauphiné, dont il avait dirigé les anciens mouvements, Mounier ne put pas y établir un centre de résistance durable ; mais l’assemblée fut avertie par là de détruire l’ancienne organisation provinciale, qui pouvait servir de cadre à la guerre civile.

Après les 5 et 6 octobre, la représentation nationale avait suivi le roi dans la capitale, que leur présence commune avait beaucoup contribué à calmer. Le peuple était satisfait de posséder le roi ; les motifs qui excitaient son effervescence avaient cessé. Le duc d’Orléans, qui, à tort ou à raison, était considéré comme le machinateur de l’insurrection, venait d’être éloigné ; il avait consenti à se rendre en Angleterre avec une mission. La Fayette était décidé à maintenir l’ordre ; la garde nationale, animée du meilleur esprit, acquérait chaque jour l’habitude de la discipline et de l’obéissance ; la municipalité sortait de la première confusion de son établissement, et commençait à prendre de l’autorité. Il ne restait plus qu’une cause de troubles, la disette. Malgré le dévouement et la prévoyance du comité chargé des approvisionnements, des attroupements journaliers menaçaient la tranquillité publique. Le peuple, si facile à tromper lorsqu’il souffre, égorgea un boulanger nommé François, qui lui fut injustement désigné comme un accapareur. On proclama, le 21 octobre, une loi martiale, qui autorisait la municipalité à faire usage de la force pour dissiper les attroupements après avoir sommé les citoyens de se retirer. La puissance était entre les mains d’une classe intéressée à l’ordre ; les communes et les gardes nationales étaient soumises à l’assemblée ; l’obéissance à la loi était la passion de cette époque. Les députés, de leur côté, n’aspiraient plus qu’à achever la constitution et à effectuer la réorganisation de l’état. Ils avaient d’autant plus besoin de se hâter que les ennemis de l’assemblée se servirent de ce qui restait de l’ancien régime pour lui susciter des embarras. Aussi répondit-elle à chacune de leurs tentatives par un décret qui, en changeant l’ancien ordre de choses, les priva d’un de leurs moyens d’attaque.

Elle commença par distribuer le royaume d’une manière plus égale et plus régulière. Les provinces, qui avaient vu avec regret la perte de leurs privilèges, formaient de petits états, dont l’étendue était trop vaste et l’administration trop indépendante. Il importait de réduire leur dimension, de changer leurs noms et de les soumettre au même régime. Le 22 décembre, l’assemblée adopta à cet égard le projet conçu par Sieyès et présenté par Thouret au nom d’un comité qui s’occupa sans relâche de cette matière pendant deux mois.

La France fut divisée en quatre-vingt-trois départements, à peu près égaux en étendue et en population ; le département fut divisé en districts, le district en cantons. On régla leur administration d’une manière uniforme et hiérarchique. Le département eut un conseil administratif, composé de trente-six membres, et un directoire exécutif composé de cinq : comme le nom l’indique, les fonctions de l’un furent de décider, celles de l’autre d’agir. Le district fut organisé de même, quoique sur un plus petit pied : il eut un conseil et un directoire, qui furent moins nombreux et qui relevèrent du conseil et du directoire supérieurs. Le canton, composé de cinq ou six paroisses, fut une division électorale, et non administrative ; les citoyens actifs (et pour être tel il fallait payer une contribution équivalente à trois journées de travail) se réunirent au canton pour nommer leurs députés et leurs magistrats. Tout, dans le nouveau plan, fut soumis à l’élection ; mais celle-ci eut plusieurs degrés. Il paraissait imprudent de confier à la multitude le choix de ses délégués, et illégal de ne pas l’y faire concourir : on échappa à cette difficulté par la double élection. Les citoyens actifs du canton désignèrent les électeurs chargés de nommer les membres de l’assemblée nationale ; les administrateurs du département, ceux du district et les juges des tribunaux. On établit un tribunal criminel pour tout le département, un tribunal civil pour chaque district et un tribunal de paix pour chaque canton. Telle fut l’institution du département. Il restait à régler celle de la commune : l’administration de cette dernière fut confiée à un conseil général et à une municipalité, composés de membres dont le nombre fut proportionné à la population des villes. Les officiers municipaux furent nommés immédiatement par le peuple, et purent seuls requérir l’action de la force armée. La commune forma le premier degré de l’association, le royaume en forma le dernier ; le département servit d’intermédiaire entre la commune et l’état, entre les intérêts universels et les intérêts purement locaux.

L’exécution de ce plan, qui organisait la souveraineté du peuple, qui faisait concourir tous les citoyens à l’élection de leurs magistrats, qui leur confiait leur propre administration et les distribuait dans des cadres qui, en permettant à l’état entier de se mouvoir, maintenaient la correspondance entre ses parties et prévenaient leur isolement, excita le mécontentement de quelques provinces. Les états du Languedoc et de Bretagne protestèrent contre la nouvelle division du royaume ; et, de leur côté, les parlements de Metz, de Rouen, de Bordeaux, de Toulouse, s’élevèrent contre les opérations de l’assemblée, qui supprima les chambres de vacations, abolit les ordres et déclara incompétentes les commissions des états. Les partisans de l’ancien régime saisissaient tous les moyens de l’inquiéter dans sa marche : la noblesse excitait les provinces, les parlements prenaient des arrêtés, le clergé faisait des mandements, et les écrivains profitaient de la liberté de la presse pour attaquer la révolution. Ses deux principaux ennemis furent les nobles et les évêques. Le parlement, n’ayant pas de racine dans la nation, ne formait qu’une magistrature dont on prévenait les attaques en la détruisant, au lieu que la noblesse et le clergé avaient des moyens d’action qui survivaient à leur influence de corps. Les malheurs de ces deux classes furent en grande partie occasionnés par elles-mêmes : après avoir harcelé la révolution dans l’assemblée, elles l’attaquèrent plus tard à force ouverte, le clergé par des soulèvements intérieurs, la noblesse en armant l’Europe contre elle. Ils espérèrent beaucoup de l’anarchie, qui causa, il est vrai, de grands maux à la France, mais qui fut loin de rendre leur propre situation meilleure. Voyons comment furent amenées les hostilités du clergé, et pour cela reprenons les choses de plus haut.

La révolution avait commencé par les finances et n’avait pas pu faire cesser encore les embarras qui l’avaient produite. De plus importants objets avaient occupé les moments de l’assemblée. Appelée, non plus à alimenter l’administration, mais à constituer l’état, elle avait de temps en temps suspendu ses discussions législatives pour satisfaire aux besoins les plus pressants du trésor. Necker avait proposé des moyens provisoires, qui avaient été adoptés de confiance et presque sans discussion. Malgré cet empressement, il ne voyait pas sans humeur les finances subordonnées à la constitution et le ministère à l’assemblée. Un premier emprunt de trente millions, décrété le 9 août, n’avait pas réussi ; un emprunt postérieur de quatre-vingts millions, décrété le 27 du même mois, avait été insuffisant. Les impôts étaient réduits ou abolis, et ils ne produisaient presque rien à cause de la difficulté de leur perception. Il devenait inutile de recourir à la confiance publique qui refusait ses secours ; et en septembre Necker avait proposé, comme unique moyen, une contribution extraordinaire du quart du revenu, une fois payé. Chaque citoyen devait le fixer lui-même en employant cette formule de serment si simple et qui peint si bien ces premiers temps de loyauté et de patriotisme : je déclare avec vérité.

Ce fut alors que Mirabeau fit décerner à Necker une véritable dictature financière. Il parla des besoins urgents de l’état, des travaux de l’assemblée qui ne lui permettaient pas de discuter le plan du ministre et qui lui interdisaient d’en examiner un autre, de l’habileté de Necker, qui promettait la réussite du sien ; et il pressa l’assemblée de se décharger sur lui de la responsabilité du succès, en l’adoptant de confiance. Comme les uns n’approuvaient pas les vues du ministre, comme les autres suspectaient les intentions de Mirabeau à son égard, il finit ce discours, l’un des plus éloquents qu’il ait prononcés, en montrant la banqueroute menaçante, et en s’écriant : Votez ce subside extraordinaire, et puisse-t-il être suffisant ! Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les moyens, vous n’en avez pas sur la nécessité et notre impuissance à le remplacer ; votez-le, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps ; le malheur n’en accorde jamais... Hé ! Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible incursion qui n’eut jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et, certes, il n’y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là : elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez ! Mirabeau avait entraîné l’assemblée, et l’on avait voté la contribution patriotique au milieu des applaudissements universels.

Mais cette ressource n’avait produit qu’un soulagement momentané. Les finances de la révolution dépendaient d’une mesure plus hardie et plus vaste ; il fallait non seulement faire subsister la révolution, mais encore combler l’immense déficit qui retardait sa marche et menaçait son avenir. Il ne restait qu’un moyen, celui de déclarer nationales les propriétés ecclésiastiques, et de les vendre à la décharge de l’état. L’intérêt public le prescrivait ainsi, et on le pouvait en toute justice, le clergé n’étant pas propriétaire, mais simple administrateur de ses biens, qui avaient été donnés au culte, et non aux prêtres. La nation, en se chargeant des frais de l’autel et de l’entretien de ses ministres, pouvait donc se les approprier, se procurer par là une ressource financière considérable, et obtenir un grand résultat politique.

Il importait de ne plus laisser dans l’état de corps indépendant et surtout ancien ; car, en temps de révolution, tout ce qui est ancien est ennemi. Le clergé, par sa formidable hiérarchie et son opulence, étranger aux changements nouveaux, se serait maintenu en république dans le royaume. Cette forme convenait à un autre régime : lorsqu’il n’y avait pas d’état, mais seulement des corps, chaque ordre avait pourvu à son organisation et à son existence. Le clergé avait ses décrétales, la noblesse sa loi des fiefs, le peuple ses municipalités ; tout était indépendant, parce que tout était particulier. Mais aujourd’hui que les fonctions devenaient publiques, on prétendait faire du sacerdoce une magistrature religieuse, comme on faisait de la royauté la plus haute magistrature politique ; et, pour rendre l’église nationale, on voulait faire salarier le clergé par l’état, et lui reprendre ses biens, en lui accordant une dotation convenable. Voici comment fut conduite cette grande opération qui détruisit l’ancien régime ecclésiastique.

Un des besoins les plus pressants était l’abolition des dîmes. Comme c’était un impôt payé au clergé par le peuple des campagnes, le sacrifice devait tourner au profit de ceux qui en étaient écrasés. Aussi, après les avoir déclarées rachetables dans la nuit du 4 août, on les supprima sans équivalent le 11 du même mois ; le clergé s’y opposa d’abord, mais il eut ensuite le bon esprit d’y consentir. L’archevêque de Paris abandonna les dîmes, au nom de tous ses confrères, et, par cet acte de prudence, il se montra fidèle à la conduite des privilégiés dans la nuit du 4 août, mais ce fut le terme de ses sacrifices. Peu de temps après, la discussion commença sur la propriété des biens ecclésiastiques. L’évêque d’Autun, Talleyrand, proposa au clergé d’y renoncer en faveur de la nation, qui les emploierait à l’entretien des autels et au payement de sa dette. Il établit la justice et la convenance de cette mesure ; et il montra les grands avantages qui en résulteraient pour l’état. Les biens du clergé s’élevaient à plusieurs milliards ; en se chargeant de ses dettes, du service ecclésiastique, de celui des hôpitaux, de la dotation de ses ministres, il restait encore de quoi éteindre toutes les rentes publiques, tant perpétuelles que viagères, et de quoi rembourser le prix des offices de judicature. Le clergé se souleva contre cette proposition. La discussion fut très vive ; et l’on décida, malgré sa résistance, qu’il n’était pas propriétaire, mais simple dépositaire des biens consacrés aux autels par la piété des rois ou des fidèles, et que la nation, en fournissant au service, devait rentrer dans les biens. Le décret qui les mit à sa disposition fut porté le 2 décembre 1789.

Dès lors éclata la haine du clergé contre la révolution. Il avait été moins intraitable que la noblesse au commencement des états généraux ; depuis la perte de ses richesses il se montra aussi opposé qu’elle au nouveau régime, dont il devint l’ennemi le plus ardent et le plus tenace. Cependant, comme le décret mettait les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation sans les dénaturer encore, il n’éclata pas tout de suite. L’administration ne cessa pas de lui en être confiée, et il espéra qu’ils serviraient d’hypothèque à la dette, mais qu’ils ne seraient point vendus.

Il était difficile, en effet, de consommer cette vente, qui ne pouvait cependant pas être retardée, le trésor ne subsistant que d’anticipations, et la caisse d’escompte, qui lui fournissait ses billets, commençant à perdre tout crédit, à cause de la grande quantité de ses émissions. Cependant on en vint à bout en cherchant à procurer à l’état de nouvelles ressources financières. Les besoins de cette année et de l’année suivante exigeaient une vente de quatre cents millions de ces biens : pour la faciliter, la municipalité de Paris fit une soumission considérable, et les municipalités du royaume suivirent l’exemple de celle de Paris. Elles devaient remettre au trésor l’équivalent des biens qu’elles recevaient de l’état pour les vendre aux particuliers ; mais elles manquaient d’argent, et elles ne pouvaient pas en verser le prix, puisqu’elles n’avaient pas encore d’acheteurs. Que firent-elles alors ? Elles fournirent des billets municipaux, destinés à rembourser les créanciers publics, jusqu’à ce qu’elles eussent acquis les fonds nécessaires pour retirer ces billets. Lorsqu’on en fut arrivé là, on comprit qu’au lieu de ces billets municipaux il valait mieux créer des billets d’état qui eussent un cours forcé et qui fissent fonction de monnaie : c’était simplifier l’opération en la généralisant. Ainsi naquirent les assignats.

Cette découverte servit beaucoup la révolution, et permit seule la vente des biens ecclésiastiques ; les assignats, qui étaient un moyen d’acquittement pour l’état, devinrent un gage pour les créanciers. Ceux-ci, en les recevant, n’étaient point tenus de se payer en terres de ce qu’ils avaient fourni en numéraire. Mais tôt ou tard les assignats devaient parvenir à des hommes disposés à les réaliser, et alors ils devaient être détruits en même temps que leur gage cessait. Afin qu’ils remplissent leur but, on exigea leur circulation forcée ; afin qu’ils fussent solides, on en limita la quantité à la valeur des biens qu’on mit en vente ; afin qu’ils ne tombassent pas par un change trop subit, on leur fit porter intérêt ; l’assemblée voulut leur donner, dès l’instant même de leur émission, toute la consistance d’une monnaie. Elle espéra que le numéraire, enfoui par la défiance, reparaîtrait aussitôt, et que les assignats entreraient en concurrence avec lui. L’hypothèque les rendait aussi assurés et l’intérêt plus avantageux ; mais cet intérêt, qui avait de grands inconvénients, disparut à la seconde émission. Tel fut le commencement de ce papier-monnaie émis d’abord avec nécessité et prudence, qui permit à la révolution l’accomplissement de si grandes choses, et qui fut discrédité par des causes qui tenaient moins encore à sa nature qu’à l’usage postérieur qu’on en fit.

Lorsque le clergé vit, par un décret du 29 décembre, l’administration de ses biens transférée aux municipalités, la vente de quatre cent millions qu’on en allait faire, la création d’un papier-monnaie qui facilitait son dépouillement et le rendait définitif, il n’oublia rien pour défendre la cause de ses richesses. Il fit une dernière tentative : il offrit de réaliser en son nom l’emprunt des 400 millions, ce qui fut rejeté, parce qu’autrement on l’eût de nouveau reconnu propriétaire après avoir décidé qu’il ne l’était pas. Il chercha alors tous les moyens d’entraver les opérations des municipalités. Dans le midi, il souleva les catholiques contre les protestants ; dans la chaire, il alarma les consciences ; dans le confessionnal, il traita les ventes de sacrilèges, et à la tribune il chercha à rendre suspects les sentiments de l’assemblée. Il fit naître, autant qu’il put, des questions religieuses, afin de la compromettre et de confondre la cause de son propre intérêt avec celle de la religion. Les abus et l’inopportunité des voeux monastiques étaient à cette époque reconnus par tout le monde, même par le clergé. Lors de leur abolition, le 13 février 1790, l’évêque de Nancy proposa incidemment et d’une manière insidieuse que la religion catholique eût seule un culte public. L’assemblée s’éleva contre les motifs qui avaient suggéré cette proposition et elle passa outre. Mais la même proposition fut présentée de nouveau dans une autre séance ; et après les plus orageux débats l’assemblée déclara que, par respect pour l’être suprême et la religion catholique, la seule qui fût entretenue aux frais de l’état, elle ne croyait pas devoir prononcer sur la question qui lui était soumise.

Le clergé était dans ces dispositions lorsque, dans les mois de juin et de juillet 1790, l’assemblée s’occupa de son organisation intérieure. Il attendait avec impatience cette occasion d’exciter un schisme. Ce projet imprudent, dont l’adoption a fait tant de mal, tendait à reconstituer l’église sur ses plus antiques bases, et à ramener la pureté des croyances ; il n’était point l’oeuvre des philosophes, mais de chrétiens austères, qui voulaient appuyer le culte sur la constitution, et les faire concourir l’un et l’autre au bonheur de l’état. La réduction des évêchés au même nombre que les départements, la conformité de la circonscription ecclésiastique avec la circonscription civile, la nomination des évêques par les électeurs qui choisissaient les administrateurs et les députés, la suppression des chapitres et le remplacement des chanoines par des vicaires, tel était ce plan : rien de cela n’attaquait le dogme ou le culte de l’église. Pendant longtemps les évêques et les autres ministres de l’église avaient été nommés par le peuple ; et quant aux limites diocésaines, c’était une opération purement matérielle, et qui n’avait rien de religieux. Il était, d’ailleurs, pourvu généreusement à l’entretien des membres du clergé, et, si les hauts dignitaires voyaient leurs revenus réduits, les curés, qui en formaient la portion la plus nombreuse, obtenaient une augmentation dans les leurs.

Mais la constitution civile du clergé fournissait un prétexte trop plausible pour qu’il ne fût pas saisi. Dès l’ouverture de la discussion, l’archevêque d’Aix protesta contre les principes du comité ecclésiastique. Selon lui, la discipline s’opposait à ce que les évêques fussent institués par l’autorité civile ou destitués par elle ; et, au moment où le décret allait être mis aux voix, l’évêque de Clermont rappela les principes exposés par l’archevêque d’Aix, et il sortit de la salle à la tête de tous les membres dissidents. Le décret passa ; mais le clergé se mit en guerre contre la révolution. Il se ligua dès ce moment d’une manière plus étroite avec la noblesse dissidente. également ramenées à la condition commune, les deux classes privilégiées employèrent tous leurs efforts pour empêcher l’exécution des réformes.

À peine les départements furent-ils formés qu’elles y envoyèrent des commissaires pour réunir les électeurs et tenter de nouvelles nominations. Leur espoir n’était point d’obtenir des choix favorables, mais de faire naître des divisions entre l’assemblée et les départements. Ce projet fut dénoncé à la tribune, et, dès qu’il fut connu, il échoua. Ses auteurs s’y prirent alors d’une autre manière : le terme des mandats donnés aux députés des états généraux était arrivé, leur pouvoir ne devait durer qu’un an d’après le voeu des bailliages. Les anciens privilégiés profitèrent de cette expiration pour demander le renouvellement de l’assemblée. S’ils l’eussent obtenu, ils auraient remporté un très grand avantage, et c’est pour cela qu’ils invoquaient eux-mêmes la souveraineté du peuple. Sans doute, leur répondit Chapelier, toute souveraineté réside dans le peuple ; mais ce principe est sans application dans la circonstance présente. Ce serait détruire la constitution et la liberté que de renouveler l’assemblée avant même que cette constitution soit finie ; tel est, en effet, l’espoir de ceux qui voudraient voir périr la constitution et la liberté, et voir renaître la distinction des ordres, la prodigalité du revenu public et les abus qui marchent à la suite du despotisme. Tous les regards se dirigèrent en ce moment vers le côté droit, et s’arrêtèrent sur l’abbé Maury. Envoyez ces gens-là au Châtelet, s’écria brusquement celui-ci, ou si vous ne les connaissez pas, n’en parlez point. — Il est impossible, continua Chapelier, que la constitution ne soit pas faite par une seule assemblée. D’ailleurs les anciens électeurs n’existent plus, les bailliages sont confondus dans les départements ; les ordres ne sont plus séparés. La clause de la limitation des pouvoirs devient donc sans valeur ; il est donc contraire aux principes de la constitution que les députés dont les mandats en sont frappés ne demeurent pas dans cette assemblée ; leur serment leur commande d’y rester, et l’intérêt public l’exige.

On nous environne de sophismes, reprit alors l’abbé Maury ; depuis quand sommes-nous une convention nationale ? On parle du serment que nous avons fait le 20 juin, sans songer qu’il ne saurait infirmer celui que nous avions fait à nos commettants. Et puis, messieurs, la constitution est achevée ; il ne vous reste qu’à déclarer que le roi possède la plénitude du pouvoir exécutif ; nous ne sommes ici que pour assurer au peuple français le droit d’influer sur sa législation, pour établir que l’impôt sera consenti par le peuple, pour assurer notre liberté. Oui, la constitution est faite, et je m’oppose à tout décret qui limiterait les droits du peuple sur les représentants. Les fondateurs de la liberté doivent respecter la liberté de la nation : elle est au-dessus de nous ; et nous détruisons notre autorité en bornant l’autorité nationale.

Les applaudissements du côté droit accueillirent ces paroles de l’abbé Maury. Mirabeau monta sur-le-champ à la tribune. On demande, dit-il, depuis quand les députés du peuple sont devenus convention nationale. Je réponds : c’est le jour où, trouvant l’entrée de leurs séances environnée de soldats, ils allèrent se réunir dans le premier endroit où ils purent se rassembler, pour jurer de plutôt périr que de trahir et d’abandonner les droits de la nation. Nos pouvoirs, quels qu’ils fussent, ont changé ce jour de nature ; quels que soient les pouvoirs que nous avons exercés, nos efforts, nos travaux les ont légitimés ; l’adhésion de la nation les a sanctifiés. Vous vous rappelez tous le mot de ce grand homme de l’antiquité qui avait négligé les formes légales pour sauver sa patrie. Sommé par un tribun factieux de dire s’il avait observé les lois, il répondit : je jure que j’ai sauvé la patrie ! Messieurs (en se tournant vers les députés des communes), je jure que vous avez sauvé la France ! L’assemblée entière se leva par un mouvement spontané, et déclara que sa session ne finirait qu’au moment où son œuvre serait accomplie.

Les tentatives contre-révolutionnaires se multiplièrent vers le même temps au dehors de l’assemblée. On essaya de séduire ou de désorganiser l’armée ; mais l’assemblée prit de sages mesures à cet égard : elle attacha les troupes à la révolution, en rendant les grades et l’avancement indépendants de la cour et des titres nobiliaires. Le comte d’Artois et le prince de Condé, qui s’étaient retirés à Turin après le 14 juillet, établirent des intelligences avec Lyon et le midi ; mais l’émigration n’ayant pas encore, à cette époque, la consistance extérieure qu’elle eut plus tard à Coblentz, et manquant d’appui dans l’intérieur, tous ses projets échouèrent. Les essais de soulèvement que le clergé tenta dans le Languedoc furent alors sans résultat ; ils amenèrent quelques troubles de peu de durée, mais ils n’engagèrent point une guerre religieuse. Il faut du temps pour former un parti, et il en faut davantage pour le décider à combattre sérieusement. Un dessein moins impraticable fut celui d’enlever le roi et de le conduire à Péronne. Le marquis de Favras, avec l’appui de monsieur, frère du roi, s’apprêtait à l’exécuter lorsqu’il fut découvert. Le Châtelet condamna à mort cet intrépide aventurier, qui manqua son entreprise parce qu’il y mit trop d’appareil. L’évasion du roi, après les événements d’octobre, ne pouvait plus avoir lieu que d’une manière furtive, comme elle fut tentée plus tard.

La cour était dans une position équivoque et embarrassée. Elle encourageait toutes les entreprises contre-révolutionnaires, elle n’en avouait aucune ; elle sentait plus que jamais sa faiblesse et sa dépendance de l’assemblée, et tout en désirant de s’y soustraire, elle craignait de le tenter, parce que le succès lui paraissait difficile. Aussi excitait-elle les résistances sans y prendre part ouvertement : avec les uns elle rêvait l’ancien régime ; avec les autres elle ne cherchait qu’à modérer la révolution. Mirabeau avait depuis peu traité avec elle. Après avoir été un des principaux auteurs des réformes, il voulait leur donner de la stabilité en enchaînant les factions ; son but était de convertir la cour à la révolution, et non de livrer la révolution à la cour. L’appui qu’il offrit était constitutionnel ; il ne pouvait pas en proposer d’autre, car sa puissance tenait à sa popularité, et sa popularité à ses principes. Mais il eut le tort de le faire acheter ; si ses immenses besoins ne lui avaient pas fait accepter de l’argent et vendre ses conseils, il n’eût pas été plus blâmable que l’inaltérable la Fayette, les Lameth et les Girondins, qui s’abouchèrent successivement avec elle. Mais ni les uns ni les autres n’acquirent jamais la confiance absolue de la cour, qui ne recourait à eux que comme à un pis-aller. Elle tentait, par leur moyen, de suspendre la révolution, tandis que, par celui des adversaires de la révolution, elle espérait la détruire. De tous les chefs populaires, Mirabeau fut peut-être celui qui exerça le plus d’ascendant sur la cour, parce qu’il était le plus entraînant et le plus fort.

Au milieu de tous ces complots et de toutes ces intrigues, l’assemblée travaillait sans relâche à la constitution. Elle décréta la nouvelle organisation judiciaire de la France. Toutes les magistratures nouvelles furent temporaires. Sous la monarchie absolue, les pouvoirs découlant du trône, les fonctionnaires étaient nommés par le roi ; sous la monarchie constitutionnelle, tous les pouvoirs découlant du peuple, les fonctionnaires furent nommés par lui. Le trône seul fut transmissible ; les autres pouvoirs, n’étant la propriété ni d’un homme ni d’une famille, ne furent pas plus viagers qu’héréditaires. La législation de cette époque dépendit d’un principe unique, la souveraineté de la nation. Les fonctions judiciaires eurent elles-mêmes ce caractère de mobilité : le jury, institution démocratique autrefois presque générale et qui n’avait survécu qu’en Angleterre aux envahissements de la féodalité ou du trône, fut introduit dans les causes criminelles. Pour les causes civiles, on nomma des juges spéciaux. On établit des tribunaux sédentaires, deux degrés de juridiction pour donner un recours contre l’erreur, et une cour de cassation qui veillât à la conservation des formes protectrices de la loi. Ce redoutable pouvoir, lorsqu’il relève du trône, ne peut être indépendant qu’en étant inamovible ; mais on crut devoir le rendre temporaire lorsqu’il relevait du peuple, parce qu’en dépendant de tous il ne dépendait de personne.

Dans une autre matière tout aussi importante, le droit de paix et de guerre, l’assemblée décida une question neuve, délicate, et le fit d’une manière prompte, sûre et juste, après une des discussions les plus lumineuses et les plus éloquentes qui aient illustré ses séances. Comme la guerre et la paix tenaient plus à l’action qu’à la volonté, contre la règle ordinaire, elle en donna l’initiative au roi. Celui qui était le plus à portée d’en connaître la convenance devait la proposer ; mais c’était au corps législatif à la décider.

Le torrent populaire, après avoir débordé contre l’ancien régime, rentrait peu à peu dans son lit. De nouvelles digues le contenaient de toutes parts. Le gouvernement de la révolution s’établissait avec promptitude : l’assemblée avait donné au nouveau régime son monarque, sa représentation nationale, sa division territoriale, sa force armée, ses pouvoirs municipaux et administratifs, ses tribunaux populaires, son clergé, sa monnaie ; elle avait trouvé une hypothèque pour sa dette et un moyen de déplacer certaines propriétés sans injustice.

Le 14 juillet approchait : ce jour était pour la nation l’anniversaire de sa délivrance ; on se préparait à le célébrer par une solennité qui élevât l’âme des citoyens et resserrât les liens communs. Une confédération de tout le royaume devait avoir lieu dans le Champ de Mars ; et là, en plein air, des députés envoyés par les quatre-vingt-trois départements, la représentation nationale, la garde parisienne et le monarque devaient prêter serment à la constitution. Pour préluder à cette fête patriotique, les membres populaires de la noblesse proposèrent l’abolition des titres, et l’assemblée vit se renouveler une séance semblable à celle du 4 août. Les titres, les armoiries, les livrées, les ordres de chevalerie furent abolis le 20 juin, et la vanité perdit ses privilèges comme le pouvoir avait perdu les siens.

Cette séance plaça l’égalité partout, et mit d’accord les mots avec les choses en détruisant ces restes d’un autre temps. Les titres avaient autrefois désigné les fonctions ; les armoiries avaient distingué de puissantes familles ; les livrées avaient été revêtues par des armées de vassaux ; les ordres de chevalerie avaient défendu l’état contre l’étranger, ou l’Europe contre l’islamisme. Mais aujourd’hui rien de cela n’était plus : les titres avaient perdu leur réalité et leur convenance ; la noblesse, après avoir cessé d’être une magistrature, cessait même d’être une illustration ; et le pouvoir comme la gloire devaient sortir désormais aussi des rangs plébéiens. Mais, soit que l’aristocratie tînt plus à ses titres qu’à ses privilèges, soit qu’elle n’attendît qu’un prétexte pour se déclarer ouvertement, cette dernière mesure détermina plus qu’aucune autre son émigration et ses attaques. Elle fut pour la noblesse ce que la constitution civile fut pour le clergé, une occasion plus encore qu’une cause d’hostilité.

Le 14 juillet arriva, la révolution eut peu de journées si belles ; le temps seul ne répondit point à cette magnifique fête. Les députés de tous les départements furent présentés au roi, qui les accueillit avec beaucoup d’affabilité ; il reçut aussi les plus touchants témoignages d’amour, mais comme roi constitutionnel. — Sire, lui dit le chef de la députation bretonne en mettant un genou en terre et en lui présentant son épée, je remets en vos mains l’épée fidèle des braves Bretons ; elle ne se teindra que du sang de vos ennemis. Louis XVI le releva, l’embrassa, lui remit son épée. Elle ne saurait être mieux, répondit-il, qu’entre les mains de mes chers Bretons ; je n’ai jamais douté de leur tendresse et de leur fidélité ; assurez-les que je suis le père, le frère, l’ami de tous les Français. — Sire, ajouta le député, tous les Français vous chérissent et vous chériront, parce que vous êtes un roi citoyen.

C’était dans le Champ de Mars que devait avoir lieu la fédération ; les immenses préparatifs de cette fête venaient à peine d’être terminés. Paris entier avait concouru pendant plusieurs semaines aux travaux, afin que tout fût prêt le 14. Le matin, à sept heures, le cortége des électeurs, des représentants de la commune, des présidents des districts, de l’assemblée nationale, de la garde parisienne, des députés de l’armée, des fédérés des départements partit avec ordre de l’emplacement de la Bastille. La présence de tous les corps nationaux, les bannières flottantes, les inscriptions patriotiques, les costumes variés, les sons de la musique, l’allégresse du peuple, rendaient ce cortége imposant. Il traversa la ville et passa la Seine au milieu d’une salve d’artillerie, sur un pont de bateaux qu’on avait jeté la veille. Il entra dans le Champ de Mars en passant sous un arc de triomphe décoré d’inscriptions patriotiques. Chaque corps se mit, avec ordre et au bruit des applaudissements, à la place qui lui était destinée. Le vaste emplacement du Champ de Mars était entouré de gradins de gazon occupés par quatre cent mille spectateurs. Au milieu s’élevait un autel à la manière antique ; autour de l’autel, sur un vaste amphithéâtre, on voyait le roi, sa famille, l’assemblée et la municipalité ; les fédérés des départements étaient placés par ordre sous leurs bannières ; les députés de l’armée et la garde nationale étaient à leurs rangs et sous leurs drapeaux. L’évêque d’Autun monta sur l’autel en habits pontificaux ; quatre cents prêtres, revêtus d’aubes blanches et décorés de ceintures tricolores flottantes, se postèrent aux quatre coins de l’autel. La messe fut célébrée au bruit des instruments militaires : l’évêque d’Autun bénit ensuite l’oriflamme et les quatre-vingt-trois bannières.

Il se fit alors un profond silence dans cette vaste enceinte ; et la Fayette, nommé ce jour-là commandant général de toutes les gardes nationales du royaume, s’avança le premier pour prêter le serment civique. Il fut porté entre les bras des grenadiers sur l’autel de la patrie, au milieu des acclamations du peuple ; et il dit d’une voix élevée, en son nom, au nom des troupes et des fédérés : — Nous jurons d’être à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la constitution décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le roi, et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. Aussitôt les salves de l’artillerie, les cris prolongés de Vive la nation ! Vive le roi ! Les sons de la musique se mêlèrent ensemble. Le président de l’assemblée nationale prêta le même serment, et tous les députés le répétèrent à la fois. Alors Louis XVI se leva, et dit : Moi, roi des Français, je jure d’employer tout le pouvoir qui m’est délégué par l’acte constitutionnel de l’état à maintenir la constitution décrété par l’assemblée nationale et acceptée par moi. La reine entraînée leva le dauphin dans ses bras, et le montrant au peuple ! voilà mon fils ; il se réunit ainsi que moi dans les mêmes sentiments. Au même instant, les bannières s’abaissèrent, les acclamations du peuple se firent entendre : les sujets crurent à la sincérité du monarque, le monarque à l’attachement des sujets, et on termina cette heureuse journée par un cantique d’actions de grâces.

Les fêtes de la fédération se prolongèrent quelque temps encore ; des joutes, des illuminations, des danses, furent données par la ville de Paris aux députés des départements. Un bal eut lieu sur le sol même où, un an auparavant, s’élevait la Bastille ; des grilles, des fers, des ruines, étaient jetés çà et là, et sur la porte on avait mis cette inscription, qui contrastait avec l’ancienne destination de ce séjour : ici l’on danse. On dansait en effet avec joie, avec sécurité, dit un contemporain, sur le même sol où coulèrent tant de pleurs, ou gémirent tant de fois le courage, le génie, l’innocence, où furent si souvent étouffés les cris du désespoir. Après que ces fêtes furent terminées, on frappa une médaille pour en éterniser le souvenir, et chacun des fédérés retourna dans son département.

La fédération ne fit que suspendre les hostilités des partis. On recommença de petites intrigues tant dans l’assemblée qu’au dehors. Le duc d’Orléans était revenu de sa mission, ou, pour mieux dire, de son exil. L’information sur les journées des 5 et 6 octobre, dont on l’accusait d’être l’auteur avec Mirabeau, avait été conduite par le Châtelet. Cette procédure, qui avait été suspendue, fut alors reprise. La cour, par cette attaque, se montra de nouveau imprévoyante ; car il fallait démontrer l’accusation ou ne pas l’entamer. L’assemblée, qui était décidée à livrer les coupables, si elle en avait trouvé, déclara qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre ; et Mirabeau, après une foudroyante sortie contre cette procédure, força le côté droit au silence, et demeura triomphant d’une accusation qu’on n’avait élevée que pour l’effrayer.

On n’attaquait pas seulement quelques députés, mais l’assemblée elle-même. La cour intriguait contre elle ; le côté droit la poussait à l’exagération. Nous aimons ses décrets, disait l’abbé Maury ; il nous en faut encore trois ou quatre. Des libellistes soudoyés faisaient vendre à sa porte des écrits propres à lui enlever le respect du peuple ; les ministres blâmaient et contrariaient sa marche. Necker, que le souvenir de son ancien ascendant poursuivait toujours, lui adressait des mémoires, dans lesquels il combattait ses décrets et lui donnait des conseils. Ce ministre ne pouvait pas s’accoutumer à un rôle secondaire, il ne voulait pas suivre les plans brusques de l’assemblée, entièrement contraires à ses idées de réformes successives. Enfin, convaincu ou lassé de l’inutilité de ses efforts, Necker partit de Paris après avoir donné sa démission le 4 septembre 1790 ; et il traversa obscurément les provinces que quatorze mois auparavant il avait parcourues en triomphateur. En révolution, les hommes sont facilement oubliés, parce que les peuples en voient beaucoup et vivent vite. Si l’on ne veut pas qu’ils soient ingrats, il ne faut pas cesser un instant de les servir à leur manière.

D’un autre côté, la noblesse, qui avait reçu un nouveau sujet de mécontentement par l’abolition des titres, continua ses tentatives contre-révolutionnaires. Comme elle ne parvenait pas à soulever le peuple, qui, par sa position, trouvait les changements nouveaux très avantageux, elle recourut à un autre moyen qui lui parut plus sûr : elle quitta le royaume pour y rentrer ensuite, en mettant l’Europe dans sa querelle. Mais, en attendant que l’émigration pût s’organiser, en attendant qu’elle trouvât à la révolution des ennemis étrangers, elle continua à lui en susciter dans l’intérieur du royaume. Les troupes étaient depuis quelque temps travaillées en sens divers, comme il a été dit plus haut. Le nouveau code militaire était favorable aux soldats : les grades accordés auparavant à la noblesse, il les donnait à l’ancienneté. La plupart des officiers étaient attachés au régime détruit, et ils ne s’en cachaient pas. Obligés de prêter le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, qui était devenu le serment commun, les uns quittaient l’armée et allaient grossir les rangs de l’émigration ; les autres cherchaient à gagner les soldats à leur parti.

Le général marquis de Bouillé était de ce nombre ; après avoir longtemps refusé le serment civique, il l’avait enfin prêté dans cette intention. Il avait sous son commandement des troupes assez nombreuses ; il était près de la frontière du nord ; habile, résolu, attaché au roi, ennemi de la révolution telle qu’elle était devenue, quoique partisan d’une réforme, ce qui le rendit par la suite suspect à Coblentz, il maintint son armée séparée des citoyens, afin qu’elle demeurât fidèle, et qu’elle ne prît pas l’esprit d’insubordination qu’ils communiquaient aux troupes. Il sut aussi conserver, par une conduite ménagée et par l’ascendant d’un grand caractère, la confiance et l’attachement des soldats. Il n’en était pas de même ailleurs. Les officiers étaient l’objet d’un déchaînement général ; on les accusait de diminuer la solde, et de ne rendre aucun compte des masses militaires ; les opinions s’y mêlaient aussi. Ces causes réunies excitèrent des révoltes de la part des soldats. Celle de Nancy, en août 1790, produisit de vives alarmes, et devint presque le signal d’une guerre civile. Trois régiments, celui de Châteaux-Vieux, celui de Maistre-de-Camp et celui du roi, s’insurgèrent contre leurs chefs. Bouillé reçut ordre de marcher sur eux ; ce qu’il fit à la tête de la garnison et des gardes nationales de Metz. Après un combat assez vif, il les soumit. L’assemblée l’en félicita ; mais Paris, qui voyait dans les soldats des patriotes, dans Bouillé un conspirateur, fut dans l’agitation à cette nouvelle. Des attroupements se formèrent, et l’on demanda l’accusation des ministres qui avaient donné l’ordre à Bouillé de marcher contre Nancy. Néanmoins la Fayette parvint à dissiper les mécontents, secondé par l’assemblée, qui, se voyant entre la contre-révolution et l’anarchie, s’opposait à l’une et à l’autre avec la haute sagesse et le même courage. Les adversaires de la révolution triomphaient à la vue des difficultés qui embarrassaient l’assemblée nationale. Il fallait, selon eux, qu’elle se mît dans la dépendance de la multitude, ou qu’elle se privât de son appui ; et, dans l’un et l’autre cas, le trajet à l’ancien régime leur paraissait devoir être court et facile. Le clergé y aida pour sa part : la vente de ses biens, qu’il entrava de toutes les manières, s’effectuait à un prix supérieur même à celui qui avait été fixé. Le peuple, délivré de la dîme et rassuré sur la dette nationale, était loin de se prêter aux ressentiments des évêques. Ils se servirent dès lors de la constitution civile du clergé pour exciter un schisme. Ce décret de l’assemblée, comme on l’a vu, ne touchait ni à la discipline ni aux croyances de l’église. Le roi le sanctionna le 26 décembre ; mais les évêques, qui le trouvaient non moins défavorable à leurs intérêts que contraire aux règles de l’église, déclarèrent qu’il empiétait sur la puissance spirituelle. Le pape, consulté sur cette mesure qui dépouillait en France le saint-siège de son autorité, y refusa son adhésion, que le roi lui avait demandée avec instance, et il soutint de ses encouragements l’opposition des évêques. Les évêques décidèrent donc qu’ils ne concourraient point à l’établissement de la constitution civile ; que ceux d’entre eux qui seraient supprimés protesteraient contre cet acte non canonique ; que toute érection d’évêché faite sans le concours du pape serait nulle, et que les métropolitains refuseraient l’institution aux évêques nommés selon les formes civiles.

En voulant déjouer cette ligue, l’assemblée la fortifia. Si elle eût abandonné les prêtres dissidents à eux-mêmes, malgré leur désir ils n’auraient pas trouvé les éléments d’une guerre religieuse. Mais l’assemblée décréta que les ecclésiastiques jureraient d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi et de maintenir la constitution civile du clergé. Le refus de ce serment devait entraîner le remplacement des titulaires à leurs évêchés ou à leurs cures. L’assemblée espéra que le haut clergé par intérêt, ou le clergé inférieur par ambition, adhéreraient à cette mesure. Les évêques crurent au contraire que tous les ecclésiastiques suivraient leur propre exemple, et qu’en refusant de jurer ils laisseraient l’état sans culte et le peuple sans prêtres. Il n’en arriva selon le voeu ni de l’un ni de l’autre parti. Le plus grand nombre des évêques et des cures de l’assemblée refusa le serment ; mais quelques évêques et beaucoup de curés le prêtèrent. Les titulaires opposants furent destitués, et les électeurs leur nommèrent des remplaçants, qui reçurent l’institution canonique des évêques d’Autun et de Lida. Mais les ecclésiastiques destitués refusèrent d’abandonner leurs fonctions, déclarèrent leurs successeurs des intrus ; les sacrements administrés par eux nuls ; les chrétiens qui ne craindraient pas de les reconnaître ex-communiés. Ils ne quittèrent point leur diocèse ; ils y firent des mandements, y excitèrent à la désobéissance aux lois ; et c’est ainsi qu’une affaire d’intérêt et d’organisation devint d’abord une affaire de religion, et ensuite une affaire de parti. Il y eut deux clergés, l’un constitutionnel, l’autre réfractaire ; ils eurent chacun leurs sectateurs, et se traitèrent de rebelles ou d’hérétiques. La religion devint, selon les passions et les intérêts, un instrument ou un obstacle ; et lorsque les prêtres firent des fanatiques, les révolutionnaires firent des incrédules. Le peuple, que n’avait pas encore atteint ce mal des hautes classes, perdit, dans les villes surtout, la foi de ses pères à cause de l’imprudence de ceux qui le placèrent entre la révolution et son culte. Les évêques, dit le marquis de Ferrières, dont on ne suspectera pas le blâme, refusèrent de se prêter à aucun arrangement, et par leurs intrigues coupables fermèrent toute voie de conciliation, sacrifiant la religion catholique à un fol entêtement et à un attachement condamnable à leurs richesses.

Le peuple était recherché par tous les partis ; on le courtisait comme le souverain de ces temps. Après avoir tenté d’agir sur lui par la religion, on mit en usage un autre moyen, tout-puissant alors, celui des clubs. Les clubs étaient, à cette époque, des réunions privées dans lesquelles on discutait sur les mesures du gouvernement, sur les affaires de l’état et sur les décrets de l’assemblée ; leurs délibérations n’avaient aucune autorité, mais elles n’étaient pas sans influence. Le premier club avait dû son origine aux députés bretons, qui déjà à Versailles s’assemblaient entre eux pour concerter leurs démarches.

Lorsque la représentation nationale se transporta de Versailles à Paris, les députés bretons et ceux de l’assemblée qui pensaient comme eux tinrent leurs séances dans l’ancien couvent des Jacobins, qui donna son nom à leur réunion. Elle ne cessa pas d’abord d’être une assemblée préparatoire ; mais, comme tout ce qui existe s’étend, le club des Jacobins ne se contenta pas d’influencer l’assemblée ; il voulut encore agir sur la municipalité et sur le peuple, et il admit comme sociétaires des membres de la commune et de simples citoyens. Son organisation devint plus étendue, son action plus forte ; ses séances furent régulièrement publiées dans les journaux ; il fit des affiliations dans les provinces, et il éleva à côté de la puissance légale une autre puissance, qui commença par la conseiller et finit presque par la conduire.

Le club des Jacobins, en perdant son caractère primitif et en devenant une assemblée populaire, avait été abandonné par une partie de ses fondateurs. Ceux-ci avaient établi une société sous le nom de club de 89. Sieyès, Chapelier, la Fayette, la Rochefoucauld, le dirigeaient, comme les Lameth et Barnave dirigeaient celui des Jacobins. Mirabeau faisait partie de l’un et de l’autre, et y était également recherché. Ces clubs, dont l’un dominait dans l’assemblée et l’autre sur le peuple, étaient attachés à l’ordre nouveau, quoique à divers degrés. Le parti aristocratique voulut attaquer la révolution avec ses propres armes ; il ouvrit des clubs royalistes pour les opposer aux clubs populaires. Celui qui fut établi le premier, sous le nom de club des impartiaux, ne put pas se soutenir, parce qu’il ne s’adressait à aucune opinion. Ayant reparu sous le nom de club monarchique, il eut pour membres tous ceux dont il représentait les voeux. Il voulut se rendre favorable le peuple, il lui fit des distributions de pain ; mais, loin de les accepter, le peuple considéra cet établissement comme une manoeuvre contre-révolutionnaire ; il en troubla les séances, et le força à changer plusieurs fois le lieu de ses réunions. Enfin l’autorité municipale se vit obligée, en janvier 1791, de fermer ce club, devenu l’occasion d’émeutes fréquentes.

La défiance de la multitude était extrême ; le départ des tantes du roi, dont elle s’exagérait l’importance, vint accroître son inquiétude, et fit supposer qu’on préparait un autre départ. Les soupçons n’étaient point sans fondement, et ils occasionnèrent une sorte d’émeute dont les contre-révolutionnaires voulurent profiter pour enlever le roi. Ce projet échoua par la détermination et l’habileté de la Fayette. Pendant que la multitude se transportait à Vincennes pour abattre le donjon, qui, selon elle, communiquait avec les Tuileries et devait servir à la fuite du roi, plus de six cents personnes armées envahirent les Tuileries, afin d’entraîner le roi à fuir. La Fayette, qui s’était rendu à Vincennes, à la tête de la garde nationale, pour disperser la multitude, vint désarmer les contre-révolutionnaires du château après avoir dissipé l’attroupement populaire ; et il reconquit par sa seconde expédition la confiance que devait lui faire perdre la première.

Cette tentative fit craindre plus que jamais l’évasion de Louis XVI. Aussi, lorsqu’il voulut, quelque temps après, se rendre à Saint-Cloud, il en fut empêché par la foule et par sa garde elle-même, malgré les efforts de la Fayette, qui tenait à faire respecter la loi et la liberté du monarque. L’assemblée, de son côté, après avoir décrété l’inviolabilité du prince, après avoir réglé sa garde constitutionnelle, attribué la régence au plus proche héritier mâle de la couronne, déclara que sa fuite hors du royaume entraînerait sa déchéance. Le redoublement de l’émigration, ses projets bien avoués, l’attitude déjà menaçante des cabinets de l’Europe, étaient bien propres à faire craindre que le roi ne prît une semblable détermination.

Ce fut alors que, pour la première fois, l’assemblée voulut arrêter les progrès de l’émigration par un décret ; mais ce décret était difficile. Si l’on punissait ceux qui sortaient du royaume, on violait les maximes de liberté consacrées dans la déclaration des droits ; si l’on ne mettait pas d’entraves à l’émigration, on exposait la sûreté de la France, que les nobles ne quittaient un moment que pour l’envahir. Dans l’assemblée, à part le côté favorable à l’émigration, les uns ne voyaient que le droit, les autres que le danger ; et, selon sa manière d’envisager la question, chacun se déclarait pour ou contre une loi répressive. Ceux qui la demandaient la voulaient douce ; mais, dans le moment, il n’y en avait qu’une praticable, et heureusement l’assemblée recula devant elle. Cette loi, sur la désignation arbitraire d’un comité de trois membres, devait prononcer la mort civile du fugitif et la confiscation de ses biens. Le frémissement qui s’est fait entendre à la lecture de ce projet, s’écria Mirabeau, prouve que cette loi est digne d’être placée dans le code de Dracon, et ne pourra figurer parmi les décrets de l’assemblée nationale de France. Je déclare que je me croirais délié de tout serment de fidélité envers ceux qui auraient l’infamie de nommer une commission dictatoriale. La popularité que j’ambitionne et dont j’ai eu l’honneur de jouir n’est pas un faible roseau ; c’est dans la terre que je veux l’enraciner, sur les bases de la justice et de la liberté. La situation extérieure n’était pas encore assez alarmante pour amener une pareille mesure de sûreté et de défense révolutionnaire.

Mirabeau ne jouit pas longtemps d’une popularité dont il se croyait si sûr. Cette séance fut la dernière pour lui ; il finit en peu de jours une vie usée par les passions et dans les travaux. Sa mort, survenue le 2 mars 1791, parut une calamité publique ; tout Paris assista à ses funérailles, la France porta son deuil, et ses restes furent déposés dans la demeure qui venait d’être consacrée aux grands hommes, au nom de la patrie reconnaissante. Il n’eut point de successeur en puissance et en popularité, et après sa mort, dans les discussions difficiles, les regards de l’assemblée se dirigèrent encore sur le siége d’où partait cette parole souveraine qui terminait ses débats. Mirabeau, après avoir aidé la révolution de son audace dans ses temps d’épreuve, et de sa puissante raison depuis sa victoire, mourut à propos. Il roulait dans sa tête de vastes desseins : il voulait renforcer le trône et consolider la révolution, deux choses bien difficiles en pareil temps. Il est à craindre que la royauté, s’il l’eût rendue indépendante, n’eût voulu soumettre la révolution, ou, s’il eût échoué, que la révolution n’eût aboli la royauté. Peut-être est-il impossible de convertir un pouvoir ancien à un ordre nouveau ; peut-être faut-il qu’une révolution se prolonge pour qu’elle se légitime, et que le trône acquière, en se relevant, la nouveauté des autres institutions.

Depuis les 5 et 6 octobre 1789 jusqu’au mois d’avril 1791, l’assemblée nationale compléta la réorganisation de la France ; la cour se livra à de petites intrigues et à des projets de fuite ; les classes privilégiées cherchèrent de nouveaux moyens de puissance, ceux qu’elles possédaient autrefois leur ayant été successivement enlevés. Elles se servirent de toutes les occasions de désordre que leur fournirent les circonstances pour attaquer le nouveau régime et ramener l’ancien à l’aide de l’anarchie. Au moment de la rentrée des parlements, la noblesse fit protester les chambres de vacations ; lorsque les provinces furent abolies, elle fit protester les ordres ; dès que les départements furent formés, elle tenta de nouvelles élections ; dès que les anciens mandats expirèrent, elle demanda la dissolution de l’assemblée ; dès que le nouveau code militaire fut décrété, elle provoqua la défection des officiers ; enfin, tous ces moyens d’opposition ne la conduisant pas au terme de ses desseins, elle émigra pour exciter l’Europe contre la révolution. De son côté, le clergé, mécontent de la perte de ses biens tout autant que de la constitution ecclésiastique, voulut détruire l’ordre nouveau par des soulèvements et amener les soulèvements par un schisme. Ainsi ce fut pendant cette époque que les partis se désunirent de plus en plus, et que les deux classes ennemies de la révolution préparèrent les éléments de la guerre civile et de la guerre étrangère.