L’époque qui fait le sujet de ce chapitre fut moins remarquable par les événements que par la séparation de plus en plus prononcée des partis. À mesure que les changements s’opéraient dans l’état et dans les lois, ceux dont ils blessaient les intérêts ou les opinions se déclaraient contre eux. La révolution avait eu pour adversaires, dès le commencement des états généraux, la cour ; dès la réunion des ordres et l’abolition des privilèges, la noblesse ; dès l'établissement d’une seule assemblée et le rejet des deux chambres, le ministère et les partisans du gouvernement anglais. Elle eut de plus contre elle, dès l’organisation départementale, les pays d’états ; dès le décret sur les biens et sur la constitution civile du clergé, tout le corps ecclésiastique ; dès les nouvelles lois militaires, tous les officiers de l’armée. Il semble que l’assemblée n’aurait point dû opérer tant de changements à la fois, pour ne pas se faire un si grand nombre d’ennemis ; mais ses plans généraux, ses besoins et les menées mêmes de ses adversaires conduisirent à toutes ces innovations. L’assemblée, après les 5 et 6 octobre, eut son émigration, comme la cour avait eu la sienne après le 14 juillet. Mounier et Lally-Tollendal la quittèrent, désespérant de la liberté au moment où leurs idées cessèrent d’être suivies. Absolus dans leurs plans, ils auraient voulu que le peuple, après avoir délivré l’assemblée au 14 juillet, cessât tout d’un coup d’agir, ce qui était méconnaître l’entraînement des révolutions. Lorsqu’on s’est servi du peuple, il devient très difficile de le licencier ; et le plus prudent n’est pas de contester, mais de régulariser son intervention. Lally-Tollendal renonça à son titre de Français et retourna en Angleterre, pays de ses aïeux. Mounier se rendit dans le Dauphiné, sa province, qu’il tenta de soulever contre l’assemblée. Il y avait de l’inconséquence à se plaindre d’une insurrection et à en provoquer une, lors surtout qu’elle eût profité à un autre parti ; car le sien était trop faible pour se soutenir entre l’ancien régime et la révolution. Malgré son influence dans le Dauphiné, dont il avait dirigé les anciens mouvements, Mounier ne put pas y établir un centre de résistance durable ; mais l’assemblée fut avertie par là de détruire l’ancienne organisation provinciale, qui pouvait servir de cadre à la guerre civile. Après les 5 et 6 octobre, la représentation nationale
avait suivi le roi dans la capitale, que leur présence commune avait beaucoup
contribué à calmer. Le peuple était satisfait de posséder le roi ; les motifs
qui excitaient son effervescence avaient cessé. Le duc d’Orléans, qui, à tort
ou à raison, était considéré comme le machinateur de l’insurrection, venait
d’être éloigné ; il avait consenti à se rendre en Angleterre avec une
mission. Elle commença par distribuer le royaume d’une manière plus égale et plus régulière. Les provinces, qui avaient vu avec regret la perte de leurs privilèges, formaient de petits états, dont l’étendue était trop vaste et l’administration trop indépendante. Il importait de réduire leur dimension, de changer leurs noms et de les soumettre au même régime. Le 22 décembre, l’assemblée adopta à cet égard le projet conçu par Sieyès et présenté par Thouret au nom d’un comité qui s’occupa sans relâche de cette matière pendant deux mois. L’exécution de ce plan, qui organisait la souveraineté du
peuple, qui faisait concourir tous les citoyens à l’élection de leurs
magistrats, qui leur confiait leur propre administration et les distribuait
dans des cadres qui, en permettant à l’état entier de se mouvoir,
maintenaient la correspondance entre ses parties et prévenaient leur
isolement, excita le mécontentement de quelques provinces. Les états du
Languedoc et de Bretagne protestèrent contre la nouvelle division du royaume
; et, de leur côté, les parlements de Metz, de Rouen, de Bordeaux, de
Toulouse, s’élevèrent contre les opérations de l’assemblée, qui supprima les
chambres de vacations, abolit les ordres et déclara incompétentes les commissions
des états. Les partisans de l’ancien régime saisissaient tous les moyens de
l’inquiéter dans sa marche : la noblesse excitait les provinces, les
parlements prenaient des arrêtés, le clergé faisait des mandements, et les
écrivains profitaient de la liberté de la presse pour attaquer la révolution.
Ses deux principaux ennemis furent les nobles et les évêques. Le parlement,
n’ayant pas de racine dans la nation, ne formait qu’une magistrature dont on
prévenait les attaques en la détruisant, au lieu que la noblesse et le clergé
avaient des moyens d’action qui survivaient à leur influence de corps. Les
malheurs de ces deux classes furent en grande partie occasionnés par
elles-mêmes : après avoir harcelé la révolution dans l’assemblée, elles
l’attaquèrent plus tard à force ouverte, le clergé par des soulèvements
intérieurs, la noblesse en armant l’Europe contre elle. Ils espérèrent
beaucoup de l’anarchie, qui causa, il est vrai, de grands maux à La révolution avait commencé par les finances et n’avait pas pu faire cesser encore les embarras qui l’avaient produite. De plus importants objets avaient occupé les moments de l’assemblée. Appelée, non plus à alimenter l’administration, mais à constituer l’état, elle avait de temps en temps suspendu ses discussions législatives pour satisfaire aux besoins les plus pressants du trésor. Necker avait proposé des moyens provisoires, qui avaient été adoptés de confiance et presque sans discussion. Malgré cet empressement, il ne voyait pas sans humeur les finances subordonnées à la constitution et le ministère à l’assemblée. Un premier emprunt de trente millions, décrété le 9 août, n’avait pas réussi ; un emprunt postérieur de quatre-vingts millions, décrété le 27 du même mois, avait été insuffisant. Les impôts étaient réduits ou abolis, et ils ne produisaient presque rien à cause de la difficulté de leur perception. Il devenait inutile de recourir à la confiance publique qui refusait ses secours ; et en septembre Necker avait proposé, comme unique moyen, une contribution extraordinaire du quart du revenu, une fois payé. Chaque citoyen devait le fixer lui-même en employant cette formule de serment si simple et qui peint si bien ces premiers temps de loyauté et de patriotisme : je déclare avec vérité. Ce fut alors que Mirabeau fit décerner à Necker une véritable dictature financière. Il parla des besoins urgents de l’état, des travaux de l’assemblée qui ne lui permettaient pas de discuter le plan du ministre et qui lui interdisaient d’en examiner un autre, de l’habileté de Necker, qui promettait la réussite du sien ; et il pressa l’assemblée de se décharger sur lui de la responsabilité du succès, en l’adoptant de confiance. Comme les uns n’approuvaient pas les vues du ministre, comme les autres suspectaient les intentions de Mirabeau à son égard, il finit ce discours, l’un des plus éloquents qu’il ait prononcés, en montrant la banqueroute menaçante, et en s’écriant : Votez ce subside extraordinaire, et puisse-t-il être suffisant ! Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les moyens, vous n’en avez pas sur la nécessité et notre impuissance à le remplacer ; votez-le, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps ; le malheur n’en accorde jamais... Hé ! Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible incursion qui n’eut jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et, certes, il n’y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là : elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez ! Mirabeau avait entraîné l’assemblée, et l’on avait voté la contribution patriotique au milieu des applaudissements universels. Mais cette ressource n’avait produit qu’un soulagement momentané. Les finances de la révolution dépendaient d’une mesure plus hardie et plus vaste ; il fallait non seulement faire subsister la révolution, mais encore combler l’immense déficit qui retardait sa marche et menaçait son avenir. Il ne restait qu’un moyen, celui de déclarer nationales les propriétés ecclésiastiques, et de les vendre à la décharge de l’état. L’intérêt public le prescrivait ainsi, et on le pouvait en toute justice, le clergé n’étant pas propriétaire, mais simple administrateur de ses biens, qui avaient été donnés au culte, et non aux prêtres. La nation, en se chargeant des frais de l’autel et de l’entretien de ses ministres, pouvait donc se les approprier, se procurer par là une ressource financière considérable, et obtenir un grand résultat politique. Il importait de ne plus laisser dans l’état de corps indépendant et surtout ancien ; car, en temps de révolution, tout ce qui est ancien est ennemi. Le clergé, par sa formidable hiérarchie et son opulence, étranger aux changements nouveaux, se serait maintenu en république dans le royaume. Cette forme convenait à un autre régime : lorsqu’il n’y avait pas d’état, mais seulement des corps, chaque ordre avait pourvu à son organisation et à son existence. Le clergé avait ses décrétales, la noblesse sa loi des fiefs, le peuple ses municipalités ; tout était indépendant, parce que tout était particulier. Mais aujourd’hui que les fonctions devenaient publiques, on prétendait faire du sacerdoce une magistrature religieuse, comme on faisait de la royauté la plus haute magistrature politique ; et, pour rendre l’église nationale, on voulait faire salarier le clergé par l’état, et lui reprendre ses biens, en lui accordant une dotation convenable. Voici comment fut conduite cette grande opération qui détruisit l’ancien régime ecclésiastique. Un des besoins les plus pressants était l’abolition des dîmes. Comme c’était un impôt payé au clergé par le peuple des campagnes, le sacrifice devait tourner au profit de ceux qui en étaient écrasés. Aussi, après les avoir déclarées rachetables dans la nuit du 4 août, on les supprima sans équivalent le 11 du même mois ; le clergé s’y opposa d’abord, mais il eut ensuite le bon esprit d’y consentir. L’archevêque de Paris abandonna les dîmes, au nom de tous ses confrères, et, par cet acte de prudence, il se montra fidèle à la conduite des privilégiés dans la nuit du 4 août, mais ce fut le terme de ses sacrifices. Peu de temps après, la discussion commença sur la propriété des biens ecclésiastiques. L’évêque d’Autun, Talleyrand, proposa au clergé d’y renoncer en faveur de la nation, qui les emploierait à l’entretien des autels et au payement de sa dette. Il établit la justice et la convenance de cette mesure ; et il montra les grands avantages qui en résulteraient pour l’état. Les biens du clergé s’élevaient à plusieurs milliards ; en se chargeant de ses dettes, du service ecclésiastique, de celui des hôpitaux, de la dotation de ses ministres, il restait encore de quoi éteindre toutes les rentes publiques, tant perpétuelles que viagères, et de quoi rembourser le prix des offices de judicature. Le clergé se souleva contre cette proposition. La discussion fut très vive ; et l’on décida, malgré sa résistance, qu’il n’était pas propriétaire, mais simple dépositaire des biens consacrés aux autels par la piété des rois ou des fidèles, et que la nation, en fournissant au service, devait rentrer dans les biens. Le décret qui les mit à sa disposition fut porté le 2 décembre 1789. Dès lors éclata la haine du clergé contre la révolution. Il avait été moins intraitable que la noblesse au commencement des états généraux ; depuis la perte de ses richesses il se montra aussi opposé qu’elle au nouveau régime, dont il devint l’ennemi le plus ardent et le plus tenace. Cependant, comme le décret mettait les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation sans les dénaturer encore, il n’éclata pas tout de suite. L’administration ne cessa pas de lui en être confiée, et il espéra qu’ils serviraient d’hypothèque à la dette, mais qu’ils ne seraient point vendus. Il était difficile, en effet, de consommer cette vente, qui ne pouvait cependant pas être retardée, le trésor ne subsistant que d’anticipations, et la caisse d’escompte, qui lui fournissait ses billets, commençant à perdre tout crédit, à cause de la grande quantité de ses émissions. Cependant on en vint à bout en cherchant à procurer à l’état de nouvelles ressources financières. Les besoins de cette année et de l’année suivante exigeaient une vente de quatre cents millions de ces biens : pour la faciliter, la municipalité de Paris fit une soumission considérable, et les municipalités du royaume suivirent l’exemple de celle de Paris. Elles devaient remettre au trésor l’équivalent des biens qu’elles recevaient de l’état pour les vendre aux particuliers ; mais elles manquaient d’argent, et elles ne pouvaient pas en verser le prix, puisqu’elles n’avaient pas encore d’acheteurs. Que firent-elles alors ? Elles fournirent des billets municipaux, destinés à rembourser les créanciers publics, jusqu’à ce qu’elles eussent acquis les fonds nécessaires pour retirer ces billets. Lorsqu’on en fut arrivé là, on comprit qu’au lieu de ces billets municipaux il valait mieux créer des billets d’état qui eussent un cours forcé et qui fissent fonction de monnaie : c’était simplifier l’opération en la généralisant. Ainsi naquirent les assignats. Cette découverte servit beaucoup la révolution, et permit seule la vente des biens ecclésiastiques ; les assignats, qui étaient un moyen d’acquittement pour l’état, devinrent un gage pour les créanciers. Ceux-ci, en les recevant, n’étaient point tenus de se payer en terres de ce qu’ils avaient fourni en numéraire. Mais tôt ou tard les assignats devaient parvenir à des hommes disposés à les réaliser, et alors ils devaient être détruits en même temps que leur gage cessait. Afin qu’ils remplissent leur but, on exigea leur circulation forcée ; afin qu’ils fussent solides, on en limita la quantité à la valeur des biens qu’on mit en vente ; afin qu’ils ne tombassent pas par un change trop subit, on leur fit porter intérêt ; l’assemblée voulut leur donner, dès l’instant même de leur émission, toute la consistance d’une monnaie. Elle espéra que le numéraire, enfoui par la défiance, reparaîtrait aussitôt, et que les assignats entreraient en concurrence avec lui. L’hypothèque les rendait aussi assurés et l’intérêt plus avantageux ; mais cet intérêt, qui avait de grands inconvénients, disparut à la seconde émission. Tel fut le commencement de ce papier-monnaie émis d’abord avec nécessité et prudence, qui permit à la révolution l’accomplissement de si grandes choses, et qui fut discrédité par des causes qui tenaient moins encore à sa nature qu’à l’usage postérieur qu’on en fit. Lorsque le clergé vit, par un décret du 29 décembre, l’administration de ses biens transférée aux municipalités, la vente de quatre cent millions qu’on en allait faire, la création d’un papier-monnaie qui facilitait son dépouillement et le rendait définitif, il n’oublia rien pour défendre la cause de ses richesses. Il fit une dernière tentative : il offrit de réaliser en son nom l’emprunt des 400 millions, ce qui fut rejeté, parce qu’autrement on l’eût de nouveau reconnu propriétaire après avoir décidé qu’il ne l’était pas. Il chercha alors tous les moyens d’entraver les opérations des municipalités. Dans le midi, il souleva les catholiques contre les protestants ; dans la chaire, il alarma les consciences ; dans le confessionnal, il traita les ventes de sacrilèges, et à la tribune il chercha à rendre suspects les sentiments de l’assemblée. Il fit naître, autant qu’il put, des questions religieuses, afin de la compromettre et de confondre la cause de son propre intérêt avec celle de la religion. Les abus et l’inopportunité des voeux monastiques étaient à cette époque reconnus par tout le monde, même par le clergé. Lors de leur abolition, le 13 février 1790, l’évêque de Nancy proposa incidemment et d’une manière insidieuse que la religion catholique eût seule un culte public. L’assemblée s’éleva contre les motifs qui avaient suggéré cette proposition et elle passa outre. Mais la même proposition fut présentée de nouveau dans une autre séance ; et après les plus orageux débats l’assemblée déclara que, par respect pour l’être suprême et la religion catholique, la seule qui fût entretenue aux frais de l’état, elle ne croyait pas devoir prononcer sur la question qui lui était soumise. Le clergé était dans ces dispositions lorsque, dans les mois de juin et de juillet 1790, l’assemblée s’occupa de son organisation intérieure. Il attendait avec impatience cette occasion d’exciter un schisme. Ce projet imprudent, dont l’adoption a fait tant de mal, tendait à reconstituer l’église sur ses plus antiques bases, et à ramener la pureté des croyances ; il n’était point l’oeuvre des philosophes, mais de chrétiens austères, qui voulaient appuyer le culte sur la constitution, et les faire concourir l’un et l’autre au bonheur de l’état. La réduction des évêchés au même nombre que les départements, la conformité de la circonscription ecclésiastique avec la circonscription civile, la nomination des évêques par les électeurs qui choisissaient les administrateurs et les députés, la suppression des chapitres et le remplacement des chanoines par des vicaires, tel était ce plan : rien de cela n’attaquait le dogme ou le culte de l’église. Pendant longtemps les évêques et les autres ministres de l’église avaient été nommés par le peuple ; et quant aux limites diocésaines, c’était une opération purement matérielle, et qui n’avait rien de religieux. Il était, d’ailleurs, pourvu généreusement à l’entretien des membres du clergé, et, si les hauts dignitaires voyaient leurs revenus réduits, les curés, qui en formaient la portion la plus nombreuse, obtenaient une augmentation dans les leurs. Mais la constitution civile du clergé fournissait un prétexte trop plausible pour qu’il ne fût pas saisi. Dès l’ouverture de la discussion, l’archevêque d’Aix protesta contre les principes du comité ecclésiastique. Selon lui, la discipline s’opposait à ce que les évêques fussent institués par l’autorité civile ou destitués par elle ; et, au moment où le décret allait être mis aux voix, l’évêque de Clermont rappela les principes exposés par l’archevêque d’Aix, et il sortit de la salle à la tête de tous les membres dissidents. Le décret passa ; mais le clergé se mit en guerre contre la révolution. Il se ligua dès ce moment d’une manière plus étroite avec la noblesse dissidente. également ramenées à la condition commune, les deux classes privilégiées employèrent tous leurs efforts pour empêcher l’exécution des réformes. À peine les départements furent-ils formés qu’elles y envoyèrent des commissaires pour réunir les électeurs et tenter de nouvelles nominations. Leur espoir n’était point d’obtenir des choix favorables, mais de faire naître des divisions entre l’assemblée et les départements. Ce projet fut dénoncé à la tribune, et, dès qu’il fut connu, il échoua. Ses auteurs s’y prirent alors d’une autre manière : le terme des mandats donnés aux députés des états généraux était arrivé, leur pouvoir ne devait durer qu’un an d’après le voeu des bailliages. Les anciens privilégiés profitèrent de cette expiration pour demander le renouvellement de l’assemblée. S’ils l’eussent obtenu, ils auraient remporté un très grand avantage, et c’est pour cela qu’ils invoquaient eux-mêmes la souveraineté du peuple. Sans doute, leur répondit Chapelier, toute souveraineté réside dans le peuple ; mais ce principe est sans application dans la circonstance présente. Ce serait détruire la constitution et la liberté que de renouveler l’assemblée avant même que cette constitution soit finie ; tel est, en effet, l’espoir de ceux qui voudraient voir périr la constitution et la liberté, et voir renaître la distinction des ordres, la prodigalité du revenu public et les abus qui marchent à la suite du despotisme. Tous les regards se dirigèrent en ce moment vers le côté droit, et s’arrêtèrent sur l’abbé Maury. Envoyez ces gens-là au Châtelet, s’écria brusquement celui-ci, ou si vous ne les connaissez pas, n’en parlez point. — Il est impossible, continua Chapelier, que la constitution ne soit pas faite par une seule assemblée. D’ailleurs les anciens électeurs n’existent plus, les bailliages sont confondus dans les départements ; les ordres ne sont plus séparés. La clause de la limitation des pouvoirs devient donc sans valeur ; il est donc contraire aux principes de la constitution que les députés dont les mandats en sont frappés ne demeurent pas dans cette assemblée ; leur serment leur commande d’y rester, et l’intérêt public l’exige. On nous environne de sophismes, reprit alors l’abbé Maury ; depuis quand sommes-nous une convention nationale ? On parle du serment que nous avons fait le 20 juin, sans songer qu’il ne saurait infirmer celui que nous avions fait à nos commettants. Et puis, messieurs, la constitution est achevée ; il ne vous reste qu’à déclarer que le roi possède la plénitude du pouvoir exécutif ; nous ne sommes ici que pour assurer au peuple français le droit d’influer sur sa législation, pour établir que l’impôt sera consenti par le peuple, pour assurer notre liberté. Oui, la constitution est faite, et je m’oppose à tout décret qui limiterait les droits du peuple sur les représentants. Les fondateurs de la liberté doivent respecter la liberté de la nation : elle est au-dessus de nous ; et nous détruisons notre autorité en bornant l’autorité nationale. Les applaudissements du côté droit accueillirent ces
paroles de l’abbé Maury. Mirabeau monta sur-le-champ à la tribune. On demande, dit-il, depuis
quand les députés du peuple sont devenus convention nationale. Je réponds :
c’est le jour où, trouvant l’entrée de leurs séances environnée de soldats,
ils allèrent se réunir dans le premier endroit où ils purent se rassembler,
pour jurer de plutôt périr que de trahir et d’abandonner les droits de la
nation. Nos pouvoirs, quels qu’ils fussent, ont changé ce jour de nature ; quels
que soient les pouvoirs que nous avons exercés, nos efforts, nos travaux les
ont légitimés ; l’adhésion de la nation les a sanctifiés. Vous vous rappelez
tous le mot de ce grand homme de l’antiquité qui avait négligé les formes
légales pour sauver sa patrie. Sommé par un tribun factieux de dire s’il
avait observé les lois, il répondit : je jure que j’ai sauvé la patrie !
Messieurs (en se tournant vers les députés des communes), je jure que vous avez sauvé Les tentatives contre-révolutionnaires se multiplièrent vers le même temps au dehors de l’assemblée. On essaya de séduire ou de désorganiser l’armée ; mais l’assemblée prit de sages mesures à cet égard : elle attacha les troupes à la révolution, en rendant les grades et l’avancement indépendants de la cour et des titres nobiliaires. Le comte d’Artois et le prince de Condé, qui s’étaient retirés à Turin après le 14 juillet, établirent des intelligences avec Lyon et le midi ; mais l’émigration n’ayant pas encore, à cette époque, la consistance extérieure qu’elle eut plus tard à Coblentz, et manquant d’appui dans l’intérieur, tous ses projets échouèrent. Les essais de soulèvement que le clergé tenta dans le Languedoc furent alors sans résultat ; ils amenèrent quelques troubles de peu de durée, mais ils n’engagèrent point une guerre religieuse. Il faut du temps pour former un parti, et il en faut davantage pour le décider à combattre sérieusement. Un dessein moins impraticable fut celui d’enlever le roi et de le conduire à Péronne. Le marquis de Favras, avec l’appui de monsieur, frère du roi, s’apprêtait à l’exécuter lorsqu’il fut découvert. Le Châtelet condamna à mort cet intrépide aventurier, qui manqua son entreprise parce qu’il y mit trop d’appareil. L’évasion du roi, après les événements d’octobre, ne pouvait plus avoir lieu que d’une manière furtive, comme elle fut tentée plus tard. La cour était dans une position équivoque et embarrassée.
Elle encourageait toutes les entreprises contre-révolutionnaires, elle n’en
avouait aucune ; elle sentait plus que jamais sa faiblesse et sa dépendance
de l’assemblée, et tout en désirant de s’y soustraire, elle craignait de le
tenter, parce que le succès lui paraissait difficile. Aussi excitait-elle les
résistances sans y prendre part ouvertement : avec les uns elle rêvait
l’ancien régime ; avec les autres elle ne cherchait qu’à modérer la
révolution. Mirabeau avait depuis peu traité avec elle. Après avoir été un
des principaux auteurs des réformes, il voulait leur donner de la stabilité
en enchaînant les factions ; son but était de convertir la cour à la
révolution, et non de livrer la révolution à la cour. L’appui qu’il offrit
était constitutionnel ; il ne pouvait pas en proposer d’autre, car sa
puissance tenait à sa popularité, et sa popularité à ses principes. Mais il
eut le tort de le faire acheter ; si ses immenses besoins ne lui avaient pas
fait accepter de l’argent et vendre ses conseils, il n’eût pas été plus
blâmable que l’inaltérable Au milieu de tous ces complots et de toutes ces intrigues,
l’assemblée travaillait sans relâche à la constitution. Elle décréta la
nouvelle organisation judiciaire de Dans une autre matière tout aussi importante, le droit de paix et de guerre, l’assemblée décida une question neuve, délicate, et le fit d’une manière prompte, sûre et juste, après une des discussions les plus lumineuses et les plus éloquentes qui aient illustré ses séances. Comme la guerre et la paix tenaient plus à l’action qu’à la volonté, contre la règle ordinaire, elle en donna l’initiative au roi. Celui qui était le plus à portée d’en connaître la convenance devait la proposer ; mais c’était au corps législatif à la décider. Le torrent populaire, après avoir débordé contre l’ancien régime, rentrait peu à peu dans son lit. De nouvelles digues le contenaient de toutes parts. Le gouvernement de la révolution s’établissait avec promptitude : l’assemblée avait donné au nouveau régime son monarque, sa représentation nationale, sa division territoriale, sa force armée, ses pouvoirs municipaux et administratifs, ses tribunaux populaires, son clergé, sa monnaie ; elle avait trouvé une hypothèque pour sa dette et un moyen de déplacer certaines propriétés sans injustice. Le 14 juillet approchait : ce jour était pour la nation l’anniversaire de sa délivrance ; on se préparait à le célébrer par une solennité qui élevât l’âme des citoyens et resserrât les liens communs. Une confédération de tout le royaume devait avoir lieu dans le Champ de Mars ; et là, en plein air, des députés envoyés par les quatre-vingt-trois départements, la représentation nationale, la garde parisienne et le monarque devaient prêter serment à la constitution. Pour préluder à cette fête patriotique, les membres populaires de la noblesse proposèrent l’abolition des titres, et l’assemblée vit se renouveler une séance semblable à celle du 4 août. Les titres, les armoiries, les livrées, les ordres de chevalerie furent abolis le 20 juin, et la vanité perdit ses privilèges comme le pouvoir avait perdu les siens. Cette séance plaça l’égalité partout, et mit d’accord les mots avec les choses en détruisant ces restes d’un autre temps. Les titres avaient autrefois désigné les fonctions ; les armoiries avaient distingué de puissantes familles ; les livrées avaient été revêtues par des armées de vassaux ; les ordres de chevalerie avaient défendu l’état contre l’étranger, ou l’Europe contre l’islamisme. Mais aujourd’hui rien de cela n’était plus : les titres avaient perdu leur réalité et leur convenance ; la noblesse, après avoir cessé d’être une magistrature, cessait même d’être une illustration ; et le pouvoir comme la gloire devaient sortir désormais aussi des rangs plébéiens. Mais, soit que l’aristocratie tînt plus à ses titres qu’à ses privilèges, soit qu’elle n’attendît qu’un prétexte pour se déclarer ouvertement, cette dernière mesure détermina plus qu’aucune autre son émigration et ses attaques. Elle fut pour la noblesse ce que la constitution civile fut pour le clergé, une occasion plus encore qu’une cause d’hostilité. Le 14 juillet arriva, la révolution eut peu de journées si belles ; le temps seul ne répondit point à cette magnifique fête. Les députés de tous les départements furent présentés au roi, qui les accueillit avec beaucoup d’affabilité ; il reçut aussi les plus touchants témoignages d’amour, mais comme roi constitutionnel. — Sire, lui dit le chef de la députation bretonne en mettant un genou en terre et en lui présentant son épée, je remets en vos mains l’épée fidèle des braves Bretons ; elle ne se teindra que du sang de vos ennemis. Louis XVI le releva, l’embrassa, lui remit son épée. Elle ne saurait être mieux, répondit-il, qu’entre les mains de mes chers Bretons ; je n’ai jamais douté de leur tendresse et de leur fidélité ; assurez-les que je suis le père, le frère, l’ami de tous les Français. — Sire, ajouta le député, tous les Français vous chérissent et vous chériront, parce que vous êtes un roi citoyen. C’était dans le Champ de Mars que devait avoir lieu la
fédération ; les immenses préparatifs de cette fête venaient à peine d’être
terminés. Paris entier avait concouru pendant plusieurs semaines aux travaux,
afin que tout fût prêt le 14. Le matin, à sept heures, le cortége des
électeurs, des représentants de la commune, des présidents des districts, de
l’assemblée nationale, de la garde parisienne, des députés de l’armée, des
fédérés des départements partit avec ordre de l’emplacement de Il se fit alors un profond silence dans cette vaste
enceinte ; et Les fêtes de la fédération se prolongèrent quelque temps
encore ; des joutes, des illuminations, des danses, furent données par la
ville de Paris aux députés des départements. Un bal eut lieu sur le sol même
où, un an auparavant, s’élevait La fédération ne fit que suspendre les hostilités des partis. On recommença de petites intrigues tant dans l’assemblée qu’au dehors. Le duc d’Orléans était revenu de sa mission, ou, pour mieux dire, de son exil. L’information sur les journées des 5 et 6 octobre, dont on l’accusait d’être l’auteur avec Mirabeau, avait été conduite par le Châtelet. Cette procédure, qui avait été suspendue, fut alors reprise. La cour, par cette attaque, se montra de nouveau imprévoyante ; car il fallait démontrer l’accusation ou ne pas l’entamer. L’assemblée, qui était décidée à livrer les coupables, si elle en avait trouvé, déclara qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre ; et Mirabeau, après une foudroyante sortie contre cette procédure, força le côté droit au silence, et demeura triomphant d’une accusation qu’on n’avait élevée que pour l’effrayer. On n’attaquait pas seulement quelques députés, mais l’assemblée elle-même. La cour intriguait contre elle ; le côté droit la poussait à l’exagération. Nous aimons ses décrets, disait l’abbé Maury ; il nous en faut encore trois ou quatre. Des libellistes soudoyés faisaient vendre à sa porte des écrits propres à lui enlever le respect du peuple ; les ministres blâmaient et contrariaient sa marche. Necker, que le souvenir de son ancien ascendant poursuivait toujours, lui adressait des mémoires, dans lesquels il combattait ses décrets et lui donnait des conseils. Ce ministre ne pouvait pas s’accoutumer à un rôle secondaire, il ne voulait pas suivre les plans brusques de l’assemblée, entièrement contraires à ses idées de réformes successives. Enfin, convaincu ou lassé de l’inutilité de ses efforts, Necker partit de Paris après avoir donné sa démission le 4 septembre 1790 ; et il traversa obscurément les provinces que quatorze mois auparavant il avait parcourues en triomphateur. En révolution, les hommes sont facilement oubliés, parce que les peuples en voient beaucoup et vivent vite. Si l’on ne veut pas qu’ils soient ingrats, il ne faut pas cesser un instant de les servir à leur manière. D’un autre côté, la noblesse, qui avait reçu un nouveau sujet de mécontentement par l’abolition des titres, continua ses tentatives contre-révolutionnaires. Comme elle ne parvenait pas à soulever le peuple, qui, par sa position, trouvait les changements nouveaux très avantageux, elle recourut à un autre moyen qui lui parut plus sûr : elle quitta le royaume pour y rentrer ensuite, en mettant l’Europe dans sa querelle. Mais, en attendant que l’émigration pût s’organiser, en attendant qu’elle trouvât à la révolution des ennemis étrangers, elle continua à lui en susciter dans l’intérieur du royaume. Les troupes étaient depuis quelque temps travaillées en sens divers, comme il a été dit plus haut. Le nouveau code militaire était favorable aux soldats : les grades accordés auparavant à la noblesse, il les donnait à l’ancienneté. La plupart des officiers étaient attachés au régime détruit, et ils ne s’en cachaient pas. Obligés de prêter le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, qui était devenu le serment commun, les uns quittaient l’armée et allaient grossir les rangs de l’émigration ; les autres cherchaient à gagner les soldats à leur parti. Le général marquis de Bouillé était de ce nombre ; après
avoir longtemps refusé le serment civique, il l’avait enfin prêté dans cette
intention. Il avait sous son commandement des troupes assez nombreuses ; il
était près de la frontière du nord ; habile, résolu, attaché au roi, ennemi
de la révolution telle qu’elle était devenue, quoique partisan d’une réforme,
ce qui le rendit par la suite suspect à Coblentz, il maintint son armée
séparée des citoyens, afin qu’elle demeurât fidèle, et qu’elle ne prît pas
l’esprit d’insubordination qu’ils communiquaient aux troupes. Il sut aussi
conserver, par une conduite ménagée et par l’ascendant d’un grand caractère,
la confiance et l’attachement des soldats. Il n’en était pas de même
ailleurs. Les officiers étaient l’objet d’un déchaînement général ; on les
accusait de diminuer la solde, et de ne rendre aucun compte des masses
militaires ; les opinions s’y mêlaient aussi. Ces causes réunies excitèrent
des révoltes de la part des soldats. Celle de Nancy, en août 1790, produisit
de vives alarmes, et devint presque le signal d’une guerre civile. Trois
régiments, celui de Châteaux-Vieux, celui de Maistre-de-Camp et celui du roi,
s’insurgèrent contre leurs chefs. Bouillé reçut ordre de marcher sur eux ; ce
qu’il fit à la tête de la garnison et des gardes nationales de Metz. Après un
combat assez vif, il les soumit. L’assemblée l’en félicita ; mais Paris, qui
voyait dans les soldats des patriotes, dans Bouillé un conspirateur, fut dans
l’agitation à cette nouvelle. Des attroupements se formèrent, et l’on demanda
l’accusation des ministres qui avaient donné l’ordre à Bouillé de marcher
contre Nancy. Néanmoins En voulant déjouer cette ligue, l’assemblée la fortifia. Si elle eût abandonné les prêtres dissidents à eux-mêmes, malgré leur désir ils n’auraient pas trouvé les éléments d’une guerre religieuse. Mais l’assemblée décréta que les ecclésiastiques jureraient d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi et de maintenir la constitution civile du clergé. Le refus de ce serment devait entraîner le remplacement des titulaires à leurs évêchés ou à leurs cures. L’assemblée espéra que le haut clergé par intérêt, ou le clergé inférieur par ambition, adhéreraient à cette mesure. Les évêques crurent au contraire que tous les ecclésiastiques suivraient leur propre exemple, et qu’en refusant de jurer ils laisseraient l’état sans culte et le peuple sans prêtres. Il n’en arriva selon le voeu ni de l’un ni de l’autre parti. Le plus grand nombre des évêques et des cures de l’assemblée refusa le serment ; mais quelques évêques et beaucoup de curés le prêtèrent. Les titulaires opposants furent destitués, et les électeurs leur nommèrent des remplaçants, qui reçurent l’institution canonique des évêques d’Autun et de Lida. Mais les ecclésiastiques destitués refusèrent d’abandonner leurs fonctions, déclarèrent leurs successeurs des intrus ; les sacrements administrés par eux nuls ; les chrétiens qui ne craindraient pas de les reconnaître ex-communiés. Ils ne quittèrent point leur diocèse ; ils y firent des mandements, y excitèrent à la désobéissance aux lois ; et c’est ainsi qu’une affaire d’intérêt et d’organisation devint d’abord une affaire de religion, et ensuite une affaire de parti. Il y eut deux clergés, l’un constitutionnel, l’autre réfractaire ; ils eurent chacun leurs sectateurs, et se traitèrent de rebelles ou d’hérétiques. La religion devint, selon les passions et les intérêts, un instrument ou un obstacle ; et lorsque les prêtres firent des fanatiques, les révolutionnaires firent des incrédules. Le peuple, que n’avait pas encore atteint ce mal des hautes classes, perdit, dans les villes surtout, la foi de ses pères à cause de l’imprudence de ceux qui le placèrent entre la révolution et son culte. Les évêques, dit le marquis de Ferrières, dont on ne suspectera pas le blâme, refusèrent de se prêter à aucun arrangement, et par leurs intrigues coupables fermèrent toute voie de conciliation, sacrifiant la religion catholique à un fol entêtement et à un attachement condamnable à leurs richesses. Le peuple était recherché par tous les partis ; on le courtisait comme le souverain de ces temps. Après avoir tenté d’agir sur lui par la religion, on mit en usage un autre moyen, tout-puissant alors, celui des clubs. Les clubs étaient, à cette époque, des réunions privées dans lesquelles on discutait sur les mesures du gouvernement, sur les affaires de l’état et sur les décrets de l’assemblée ; leurs délibérations n’avaient aucune autorité, mais elles n’étaient pas sans influence. Le premier club avait dû son origine aux députés bretons, qui déjà à Versailles s’assemblaient entre eux pour concerter leurs démarches. Lorsque la représentation nationale se transporta de Versailles à Paris, les députés bretons et ceux de l’assemblée qui pensaient comme eux tinrent leurs séances dans l’ancien couvent des Jacobins, qui donna son nom à leur réunion. Elle ne cessa pas d’abord d’être une assemblée préparatoire ; mais, comme tout ce qui existe s’étend, le club des Jacobins ne se contenta pas d’influencer l’assemblée ; il voulut encore agir sur la municipalité et sur le peuple, et il admit comme sociétaires des membres de la commune et de simples citoyens. Son organisation devint plus étendue, son action plus forte ; ses séances furent régulièrement publiées dans les journaux ; il fit des affiliations dans les provinces, et il éleva à côté de la puissance légale une autre puissance, qui commença par la conseiller et finit presque par la conduire. Le club des Jacobins, en perdant son caractère primitif et
en devenant une assemblée populaire, avait été abandonné par une partie de
ses fondateurs. Ceux-ci avaient établi une société sous le nom de club de 89.
Sieyès, Chapelier, La défiance de la multitude était extrême ; le départ des
tantes du roi, dont elle s’exagérait l’importance, vint accroître son
inquiétude, et fit supposer qu’on préparait un autre départ. Les soupçons
n’étaient point sans fondement, et ils occasionnèrent une sorte d’émeute dont
les contre-révolutionnaires voulurent profiter pour enlever le roi. Ce projet
échoua par la détermination et l’habileté de Cette tentative fit craindre plus que jamais l’évasion de
Louis XVI. Aussi, lorsqu’il voulut, quelque temps après, se rendre à Saint-Cloud,
il en fut empêché par la foule et par sa garde elle-même, malgré les efforts
de Ce fut alors que, pour la première fois, l’assemblée
voulut arrêter les progrès de l’émigration par un décret ; mais ce décret
était difficile. Si l’on punissait ceux qui sortaient du royaume, on violait
les maximes de liberté consacrées dans la déclaration des droits ; si l’on ne
mettait pas d’entraves à l’émigration, on exposait la sûreté de Mirabeau ne jouit pas longtemps d’une popularité dont il
se croyait si sûr. Cette séance fut la dernière pour lui ; il finit en peu de
jours une vie usée par les passions et dans les travaux. Sa mort, survenue le
2 mars 1791, parut une calamité publique ; tout Paris assista à ses
funérailles, Depuis les 5 et 6 octobre 1789 jusqu’au mois d’avril 1791,
l’assemblée nationale compléta la réorganisation de |