Premières pensées d'abdication chez Charles-Quint. — Nécessités qui le détournent longtemps de les réaliser. — Gouvernement de ses États ; étendue de ses entreprises. — Établissements qu'il forme en Italie ; expéditions qu'il fait en Afrique ; résistance qu'il oppose aux conquêtes des Turcs en Hongrie ; guerres qu'il poursuit contre la France ; démêlés religieux qu'il soutient avec les protestants d'Allemagne. — Difficultés pour un seul homme de remplir une tâche si vaste et si compliquée. — Complexion physique de Charles-Quint ; son caractère ; son esprit ; ses sentiments ; ses habitudes ; ses infirmités. — Moment où, après avoir réussi dans ses divers desseins, il croit pouvoir exécuter le dernier et le plus périlleux de tous, en soumettant l'Allemagne à son autorité et en la ramenant au catholicisme. — Ses campagnes et ses victoires sur le Danube et sur l'Elbe. — Soumission momentanée de l'Allemagne. — Voyage du prince d'Espagne, que Charles-Quint prépare à lui succéder et auquel il veut ménager la possession même de la couronne impériale. — Accord à cet égard entre les deux branches de la maison d'Autriche. — Renversement de ce projet et de la domination de Charles-Quint dans l'Empire par l'attaque combinée des princes protestants qui se soulèvent en Allemagne et du roi de France qui envahit la Lorraine. — Situation dangereuse de Charles-Quint ; sa fuite d'Insprück. —Négociations de Passau ; rétablissement de l'indépendance politique et religieuse des États germaniques. — Échec de Chartes-Quint devant Metz. — Dispositions morales et infirmités physiques qui le décident à renoncer au pouvoir et à se retirer du monde. — Ses rapports avec les moines, et parmi les moines ses préférences pour les hiéronymites. — Religieux de Saint-Jérôme en Espagne ; leur règle ; leur savoir ; leurs établissements. — Monastère de Yuste dans l'Estrémadure. — Ordre secret que donne Charles-Quint de construire à côté de ce monastère la résidence où, après avoir renoncé à ses couronnes, il doit passer ses derniers jours.L'empereur Charles-Quint renonça à toutes ses couronnes pour aller, en 1556, finir sa vie dans la solitude d'un cloître. Cette détermination extraordinaire étonna les contemporains et n'est pas restée sans quelque obscurité dans ses causes pour la postérité. Le vieux pape Paul IV considéra Charles-Quint comme ayant perdu l'esprit[1], et le déclara atteint de la même folie que sa mère[2]. Les protestants ne virent dans son abdication qu'un acte de découragement et presque de désespoir. Ils l'attribuèrent aux revers inattendus qu'avait essuyés en Allemagne ce souverain jusque-là tout-puissant, qui s'était promis d'y rétablir l'unité catholique, d'y étendre l'autorité impériale, et dont les plans avaient été soudainement renversés par l'effort commun des luthériens qu'il y avait vaincus et des princes qu'il y tenait assujettis. Beaucoup de catholiques en cherchèrent la raison dans l'ambition impatiente de Philippe II, qui aurait fait descendre prématurément son père du trône pour l'y remplacer plus tôt. Les doutes sur les motifs qui décidèrent Charles-Quint ît l'abdication se sont étendus aux sentiments qu'il éprouva après l'avoir consommée. Les uns lui ont prêté de prompts regrets : ils ont prétendu qu'il s'était vite lassé de la solitude et avait voulu reprendre les couronnes qu'il avait déposées. D'autres, au contraire, lui ont fait mener la vie humble et bornée d'un moine dans le couvent hiéronymite de Yuste : loin de le représenter comme un ambitieux repentant, ils n'ont vu en lui qu'un observateur ponctuel de toutes les règles monastiques, poussant le soin de son salut jusqu'à se donner la discipline dans le chœur de l'église, en même temps que les autres religieux et en leur présence[3]. Sandoval et Robertson, l'historien le plus pompeux et l'historien le plus accrédité de ce grand politique, qui avait été plus de trente ans le dominateur de 1 Europe, l'ont placé à Yuste dans un état de pauvreté plus convenable à un reclus qu'à un souverain retiré du monde, l'y ont rendu insensible à tout ce qui se passait hors de son cloître, l'y ont tenu étranger à toutes les affaires des royaumes qu'il avait gouvernés. Sur la foi des chroniqueurs hiéronymites[4], on l'y a fait mourir à la suite des bizarres funérailles que, dans un accès de pieux désœuvrement et de singularité superstitieuse, il aurait célébrées lui-même de son vivant. Charles-Quint n'abdiqua qu'après y avoir longtemps pensé. Il n'eut aucun repentir d'un acte auquel il fut naturellement conduit, et qu'il accomplit avec une lenteur prudente. En possession de sa forte raison et d'une expérience consommée, il fut instruit, dans son cloître, des affaires de la monarchie espagnole, et consulté sur les plus importantes et les plus délicates d'entre elles par son fils, qui conserva toujours envers lui une respectueuse déférence et une tendresse soumise. Il y vécut séparé des moines, dans les habitudes et avec la dignité d'un ancien souverain. Malgré son extrême dévotion, le chrétien fervent ne cessa point d'y être un politique résolu. Il aurait voulu que son fils, attaqué en Italie par le pape Paul IV, ne ménageât pas plus cet ambitieux pontife qu'il n'avait ménagé lui-même le pape Clément VII ; et, lorsque le timide Philippe II termina en septembre 1557 sans avantage et avec peu de dignité une guerre marquée jusque-là par des succès éclatants, le lier Charles-Quint trouva que la paix avec le saint-siége avait été conclue trop humblement et trop vite. Enfin la maladie à laquelle il succomba survint dans des circonstances et par des causes fort ordinaires ; sa vie s'acheva comme elle s'était passée, simplement, avec une noble piété et une grandeur naturelle. C'est ce que des documents authentiques m'autorisent à avancer et me permettront d'établir. Charles-Quint songea de bonne heure à quitter le pouvoir et à se retirer du monde. Il en conçut la première pensée après l'heureuse et brillante expédition de Tunis en 1555. C'est ce qu'il affirma lui-même à l'ambassadeur portugais Lourenço Pires de Tavora dans un curieux entretien au château de Jarandilla quelques jours avant d'entrer à Yuste[5]. C'est ce qu'il dit aussi aux moines de ce couvent[6], lorsqu'il se fut établi au milieu d'eux. Ce dessein traversa donc son esprit mélancolique près de vingt ans avant qu'il put le mettre à exécution. La solitude l'attirait déjà du vivant de l'impératrice Isabelle sa femme. A la mort de cette princesse, qu'il aimait tendrement et dont la perte prématurée le jeta en 1539 dans une profonde affliction, ce désir pénétra plus avant en son âme. Pendant qu'on transportait les restes de 1 impératrice du palais de Tolède à la chapelle royale de Grenade, où reposaient son aïeul Ferdinand d'Aragon, son aïeule Isabelle de Castille, son père Philippe le Beau, et qui devait servir de tombeau à toute sa race, il s'était enfermé au couvent hiéronymite de la Sysla[7]. Le pieux don Francisco de Borja, alors marquis de Lombay, qui devint bientôt duc héréditaire de Gandia et finit par gouverner la société de Jésus comme son troisième général, fut un de ceux que Charles-Quint désigna pour accompagner jusqu'à sa dernière demeure l'impératrice, dont il avait été le grand écuyer. En déposant dans le caveau funéraire le cercueil de sa noble et belle maîtresse, le marquis de Lombay la laissa sous la garde des hiéronymites sans avoir pu la reconnaître, tant les traits de son visage avaient été déjà décomposés par la mort. Tombant en dégoût de la beauté et de la puissance humaines, qui aboutissaient à une aussi prompte destruction et finissaient dans un aussi étroit réduit, il prit dès ce moment la résolution d'embrasser la vie religieuse[8]. A son retour, il entretint de son projet Charles-Quint, qui en méditait un à peu près semblable, et qui lui fit en 1542[9], aux cortès d'Aragon, la confidence mystérieuse de sa future abdication. Lorsqu'il ressentit ces premiers dégoûts de l'autorité suprême, il avait moins de quarante ans et il était dans tout l'éclat de la puissance. Il avait terminé à son avantage les luttes qui duraient depuis le commencement du siècle entre l'Espagne et la France pour la possession de l'Italie. Vainqueur de François Ier dans trois guerres successives, du souverain pontife Clément VII et de tous les Etats italiens indépendants, il avait eu pour prisonniers un roi et un pape, et il avait soumis à ses arrangements ce pays longtemps disputé. Inébranlablement établi dans le royaume de Naples et dans le duché de Milan, il s'était attaché les Médicis, qu'il avait investis de la souveraineté de Florence ; les ducs de Ferrare, auxquels il avait fait restituer par le saint-siége Modène et Reggio ; les marquis de Mantoue, qu'il avait agrandis du Montferrat. Il disposait de Gênes, où commandait André Doria[10], qui, sous ses auspices, avait été le glorieux libérateur et le sage instituteur de sa patrie en 1528, et qui, joignant la flotte génoise aux flottes espagnole, napolitaine, sicilienne, l'avait rendu maitre de la Méditerranée. Il avait réduit la puissante république de Venise à une neutralité sincère, et soumis à son influence le saint-siége, sur lequel il chercha à mieux assurer encore son ascendant par le mariage de sa fille naturelle Marguerite d'Autriche avec le petit-fils du pape Paul III, Octave Farnèse, créé d'abord duc de Castro, ensuite duc de Parme et de Plaisance. Il occupait ainsi les deux plus vastes Etats de l'Italie au sud et au nord, dominait tous les autres par l'intérêt ou par la crainte, et avait fondé dans cette péninsule un ordre territorial et politique qui devait s'y maintenir durant plusieurs siècles. D'un autre côté, il avait été le victorieux défenseur de l'Allemagne menacée par les Turcs. Il en avait repoussé lui-même le formidable Soliman il, qui s'avançait vers Vienne, et dont il avait arrêté les conquêtes. Marchant ensuite contre son capitan pacha Khaïr-Eddin Barberousse, il avait attaqué sur la côte d'Afrique cet intrépide corsaire devenu maître d'Alger et de Tunis. Il avait continué avec non moins d'éclat que d'utilité les expéditions du cardinal Ximenès et de Ferdinand le Catholique sur ce littoral, où ils avaient poursuivi les anciens dominateurs de l'Espagne. Aux conquêtes d'Oran et de Bougie, faites sous son prédécesseur en 1 ;)OB et 4510, Charles Quint avait ajouté l'occupation de Bone, de Bizerte, de Sousa, de Monastir, et surtout la prise de la Goulette et de Tunis, enlevées à Barberousse dans une campagne aussi glorieuse que rapide. Posséder les principaux points de l'Afrique septentrionale qui faisaient face à ses États depuis le royaume de Grenade jusqu'au royaume de Sicile, c'était tout à la fois préserver de nouvelles invasions musulmanes l'Espagne, qui s'était délivrée si péniblement des anciennes, et mettre à l'abri des déprédations barbaresques les bords maritimes de l'Italie et les îles occidentales delà Méditerranée, presque toutes placées sous sa domination. Jusque-là Charles-Quint n'avait eu au fond que des succès. Il n'avait pas encore tenté, par un effort moitié politique et moitié religieux, de soumettre plus étroitement l'Allemagne à son autorité et de la ramener au catholicisme, entreprise que sa complication et sa gravité devaient rendre fort difficile et extrêmement périlleuse pour lui. Il n'avait donc, en 1555 et en 1559, aucun sillet extérieur de déposer le pouvoir, puisque la fortune n'avait pas encore ébranlé sa confiance par des revers, ni la nature réduit ses forces par des infirmités. Il n'était au-dessous de sa tâche ni par la vigueur de l'esprit, ni par l'activité du corps, ni par la constance de la félicité. Aussi les entraînements qui le poussaient vers la solitude furent-ils longtemps combattus par des nécessités ambitieuses qui le retinrent sur le trône. Trop habile pour en descendre tant que son fils se trouvait hors d'état de l'y remplacer, il ne devait point abandonner au hasard l'œuvre de ses prédécesseurs et la sienne. Mais la disposition qu'une tristesse naturelle[11], une douleur profonde[12] et une piété ardente avaient alors fait naître, une extrême fatigue la renouvela dans la suite en la rendant de plus en plus impérieuse. Les maladies accablèrent Charles-Quint et le vieillirent. Sa constitution physique, son genre de vie, l'administration d'un trop grand nombre de pays, la direction d'une multitude d'entreprises qui se succédaient sans s'achever, la poursuite de guerres renaissantes qui ne le laissaient jamais longtemps dans le même lieu et le jetaient toujours dans de nouveaux périls, le poids de toutes les affaires qu'il fallait porter et conduire, l'usèrent de bonne heure. On peut dire qu'il succomba surtout à l'excès d'une puissance trop considérable et trop éparse pour n'être pas au-dessus de l'activité et du génie d'un homme. Il avait en effet à régir l'Espagne, les Pays-Bas, le royaume de Naples, le Milanais ; à diriger l'empire d'Allemagne ; à maintenir sous sa dépendance ou dans son amitié les Etats d'Italie ; à lutter à peu près constamment contre la France ; à ramener par l'intérêt dans son alliance l'Angleterre, qui s'en était séparée par la foi ; à repousser les Turcs du côté de la Hongrie ; à contenir les Barbaresques sur le littoral de l'Afrique ; à soutenir par les négociations et par les armes son système politique, qui s'étendait à toute l'Europe ; à résister aux progrès d'une révolution religieuse qui avait renversé la vieille Eglise chrétienne dans plusieurs Etats et la menaçait du même sort dans beaucoup d'autres ; à régler la conquête et la colonisation de l'Amérique. Cette immense tâche, il la remplissait presque seul ; ses vice-rois, ses ministres, ses généraux, ses négociateurs, n'étaient que les instruments bien choisis de ses desseins et les habiles exécuteurs de ses volontés. Il dirigeait lui-même la vaste administration de ses pays et de ses affaires depuis 1529. Après la mort du chancelier Gattinara, qui avait succédé, en 1521, à son gouverneur Chièvres dans l'exercice de toute son autorité, il n'avait plus souffert auprès de lui de premier ministre[13] : il avait pris le gouvernement de ses Etats en maître absolu et l'avait conduit en prudent politique. Il s'était entouré d'hommes capables, mais subordonnés, qu'il savait trouver avec art, employer avec à-propos, conserver avec fidélité, enrichir avec lenteur pour s'en servir plus longtemps[14], et qu'il surpassait tous par la sûreté de son jugement[15] et la vigueur de sa résolution. A cette époque et jusqu'à leur mort, survenue en 1547 et en 1550. ses deux principaux ministres furent le secrétaire Covos et le garde du grand sceau Granvelle[16] ; il n'expédiait rien sans la signature du premier et sans l'avis du second. Il appelait Granvelle son premier conseiller[17], et discutait avec lui pendant des heures entières avant de se résoudre[18]. Il écrivait les raisons pour et les raisons contre, afin de mieux voir, après les avoir comptées et pesées, ce qu'il devait faire. Sa décision une fois arrêtée, il retenait souvent plusieurs jours encore le courrier chargé de la porter, pour l'examiner une dernière fois avec sang-froid[19], avant d'en ordonner l'irrévocable exécution. Mais alors rien n'était plus capable de lui faire abandonner le parti qu'il avait embrassé ; il le suivait jusqu'au bout, et, après avoir mis tout son esprit à bien le prendre, il mettait tout son caractère à le bien exécuter. Tant d'Etats à conduire, de pays à parcourir, d'affaires à décider, de mesures à préparer, d'actes à accomplir, devaient épuiser assez promptement les forces d'un seul homme, bien que Charles-Quint eût tout disposé pour rendre ce vaste gouvernement plus facile. Il avait laissé à ses divers États leur administration particulière ; chacun d'eux se régissait intérieurement d'après ses vieilles formes, suivant ses propres lois, et avait à sa tète un représentant supérieur de la puissance souveraine. Son frère Ferdinand présidait, comme roi des Romains, à la direction de l'Allemagne ; sa sœur Marie, reine douairière de Hongrie, était régente des Pays-Bas ; son fils, l'infant don Philippe, était chargé, depuis l'âge de quinze ans, de gouverner l'Espagne, avec l'aide de conseillers prudents, parmi lesquels étaient le cardinal de Tavera et le duc d'Albe[20] ; d'excellents vice-rois résidaient à Palerme, à Naples et à Milan. Mais les affaires générales de tous ces Etats aboutissaient à Charles-Quint, qui en était resté le régulateur suprême, et en surveillait l'administration : il avait organisé pour cela une sorte de gouvernement central attaché à sa personne et le suivant partout. Outre ses ministres, il avait trois chancelleries : l'une allemande, l'autre espagnole, la dernière italienne[21] ; il avait de plus un conseil composé de docteurs et de légistes pris parmi les Siciliens, les Lombards, les Francs-Comtois, les Flamands, les Aragonais, les Castillans, et présidé par l'évêque d'Arras[22], fils du garde du grand sceau Granvelle, destiné à être un des plus habiles hommes d'Etat de ce temps. Charles-Quint était ainsi le centre de ses Etats et le lien de ses peuples. Ceux-ci, fort divers de mœurs et de goûts, se rattachaient à lui par des côtés différents. Un ambassadeur vénitien remarque, avec la finesse judicieuse propre aux politiques de sa nation, qu'il était agréable aux Flamands et aux Bourguignons par sa bienveillance et sa familiarité, aux Italiens par son esprit et sa prudence, aux Espagnols par l'éclat de sa gloire et par sa sévérité[23]. Si son grand sens et les qualités variées de son caractère le rendaient capable de pourvoir aux intérêts et de contenter les sentiments de tous ces peuples, sa complexion naturelle et son genre de vie ne devaient pas lui permettre d'y suffire longtemps. D'une taille ordinaire mais bien prise, avec des membres robustes, il avait eu dans ses jeunes années la force et l'adresse nécessaires pour se livrer à tous les exercices du corps et pour y exceller ; mieux que personne il avait su rompre une lance, courir la bague et lutter à la barre ; il passait pour le meilleur cavalier de son temps[24]. Il avait beaucoup aimé la chasse, et il était même descendu dans l'arène pour y combattre des taureaux qu'il avait terrassés de ses mains[25]. Ces salutaires exercices de sa jeunesse avaient bientôt fait place aux travaux presque exclusifs de la politique et de la guerre. L'activité et la vigueur singulière de son esprit, qui se montraient sur son front spacieux et se lisaient dans son ferme et pénétrant regard[26], n'avaient plus trouvé une salutaire diversion dans ces utiles mouvements du corps : quand il n'était pas en campagne, il menait une vie trop sédentaire. Adonné à certains plaisirs dans lesquels, selon l'expression d'un ambassadeur contemporain, il ne portait pas une volonté assez modérée, il se les procurait partout où il se trouvait, avec des dames de grande et aussi de petite condition[27]. Il était encore moins tempérant à table : il mangeait plusieurs fois par jour et beaucoup[28]. La conformation un peu défectueuse du bas de son visage nuisait à sa santé encore plus qu'à son aspect. Sa mâchoire inférieure, trop large et trop longue, dépassait extrêmement la mâchoire supérieure ; en fermant la bouche, il ne pouvait pas joindre les dents. L'intervalle qui séparait[29] celles-ci, d'ailleurs rares et mauvaises, l'empêchait de bien faire entendre la fin de ses phrases et de broyer ses aliments ; il balbutiait un peu et digérait mal. C'était sans doute pour atténuer quelques effets de cette imperfection physique, et aussi pour donner une saveur plus agréable à ce qu'il mangeait, qu'il faisait usage de mets fortement épicés. Il en était même arrivé au point que tout lui paraissait insipide et qu'il avait souvent besoin de recourir à un vin de séné fabriqué tout exprès pour lui et composé d'une certaine quantité de moût de raisin et de feuilles de séné ayant fermenté ensemble[30]. Un jour, trouvant que ce qu'on lui servait n'avait pas assez de saveur, il s'en plaignit au baron de Montfalconnet, l'un de ses majordomes, et lui reprocha d'avoir corrompu le goût de ses cuisiniers en leur ordonnant de n'apprêter que des mets fades[31]. Montfalconnet, qui était plaisant et dont Charles-Quint aimait les reparties[32], faisant allusion à la manie de l'Empereur pour les horloges, que le fameux mécanicien Juanello lui avait fabriquées en grand nombre et sous toutes les formes, lui répondit facétieusement : Je ne sais plus quel moyen trouver de complaire à Votre Majesté, à moins que je ne parvienne à lui composer un nouveau ragoût d'horloges[33]. L'Empereur rit beaucoup de cette plaisanterie, tout en conservant son goût pour les mets épicés et sa passion pour les horloges. L'excès de ses travaux et ses écarts de régime contribuèrent également à hâter et à accroître ses indispositions. Il n'avait jamais eu une santé tout à fait inaltérable. Dans sa jeunesse, il avait ressenti des accès nerveux qui ressemblaient à des attaques d'épilepsie et que son historien Sepulveda appelle de ce nom[34]. A la fin de 1518 et au commencement de 1519, deux de ces attaques l'avaient renversé sans connaissance, l'une pendant qu'il jouait à la paume, l'autre pendant qu'il entendait la grand'messe dans Saragosse. La dernière, qui avait eu tant de témoins, et que l'ambassadeur de France racontait dans une dépêche à sa cour, l'avait laissé plusieurs heures avec la pâleur de la mort sur son visage bouleversé[35]. Délivré de cette terrible maladie en 1526, après son mariage avec l'infante Isabelle de Portugal, il ne cessa d'éprouver des douleurs de tête qui l'obligèrent à couper ses longs cheveux en 1529. Lorsqu'il fit le sacrifice de cette noble mais pesante coiffure qu'avaient portée ses aïeux Ferdinand d'Aragon et Maximilien d'Autriche et son père Philippe le Beau, tous les grands l'imitèrent, quoiqu'à regret[36], et ce qui pour lui était soulagement devint mode pour les autres. Les maladies fondirent bientôt sur lui en changeant de forme. La goutte l'assaillit à l'âge de trente ans[37]. Ses atteintes, de plus en plus fréquentes et prolongées, se portèrent principalement sur les mains et sur les genoux. Il ne pouvait pas toujours signer, et lorsqu'il était en campagne, bien souvent il était incapable de monter à cheval et suivait l'armée en litière. Envahi par la goutte, tourmenté par l'asthme, sujet à un flux de sang dont les retours aussi rapprochés qu'incommodes l'épuisaient, éprouvant des irritations cutanées à la main droite et aux jambes, la tête et la barbe entièrement grises, il sentit décliner ses forces en même' temps que s'étendaient ses obligations. Cependant en 1546, malgré l'accroissement de ses maux, il entreprit de ramener l'Allemagne à l'obéissance et d'y dompter le parti protestant. C'était son dernier dessein, et le moins aisé à accomplir. Il l'avait ajourné longtemps, malgré son esprit de domination et l'ardeur de son catholicisme. Chrétien fervent, Charles-Quint pratiquait la vieille religion avec une piété soumise et scrupuleuse. Il entendait plusieurs messes par jour. Il communiait aux principales fêtes de l'année[38]. Plus d'une heure, chaque matin, était consacrée à la méditation religieuse[39]. Il avait composé lui-même des prières[40]. La lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament avait un grand attrait pour lui ; la poésie des Psaumes frappait son imagination et remuait son âme[41]. La magnificence des cérémonies catholiques, la grandeur touchante du sacrifice expiatoire dans la messe, la musique mêlée à la prière, la beauté des arts relevant l'austérité du dogme, la puissance miséricordieuse de l'Église secourant par l'absolution, rassurant par la pénitence la faiblesse de l'homme et l'anxiété du chrétien, le retenaient avec ferveur dans l'ancien culte. Sa politique l'y faisait, du reste, persévérer autant que sa foi. Successeur de ces rois catholiques qui avaient conquis la péninsule espagnole sur les musulmans ; possesseur d'une grande partie de cette Italie au centre de laquelle était placé le siège de la tradition apostolique et du gouvernement chrétien ; chef élu de ce saint empire romain dont la couronne, depuis Charlemagne jusqu'à lui, était posée des mains du pape sur le front de l'empereur, il était tenu de garder et de défendre la vieille croyance de ses ancêtres et de ses pays, le culte héréditaire auquel étaient attachés la fidélité de ses sujets, le principe d'existence de plusieurs de ses États, la solide grandeur de sa domination. C'est ce qu'il n'avait pas manqué de faire, en souverain intéressé comme en catholique convaincu. Il avait préservé sans peine ses royaumes d'Espagne et ses Etats d'Italie de l'invasion des idées nouvelles, qu'il avait aussi repoussées des Pays-Bas. L'Allemagne seule s'était soustraite à son action religieuse. Plusieurs fois il avait été sur le point d'y intervenir ; mais il avait été entraîné vers d'autres entreprises par de plus pressantes nécessités. Lors de sa première apparition en Allemagne, pour s'y faire couronner à Aix-la-Chapelle, en 1520, y régler l'état politique et y interdire les changements religieux dans la diète constituante de Worms en 1524, il n'avait pas pu prolonger son séjour dans ce pays qu'agitait l'esprit d'indépendance et de controverse, ni arrêter l'explosion de la réforme protestante, bien qu'il eût mis le réformateur Luther au ban de l'Empire. L'insurrection des communeros en Espagne, les guerres qui se prolongèrent de 1521 à 1529 en Italie, l'appelèrent vers le sud de l'Europe et l'y retinrent jusqu'à ce qu'il eût tout à fait soumis les Espagnols à son autorité les Italiens à ses arrangements, et qu'il eut contraint les deux grands vaincus tombés tour à tour entre ses mains sur le champ de bataille de Pavie et dans le sac de Rome à subir ses volontés triomphantes, François Ier en renonçant à la possession du Milanais et à la suzeraineté de la Flandre, Clément VII en acceptant sa prépondérance souveraine dans la péninsule italienne. Il reparut ensuite en Allemagne. Mais, après huit années d'absence, il la trouva transformée. Ce qui n'était en 1521 que la doctrine d'un homme était devenu en 1550 la croyance d'un peuple. La confession luthérienne d'Augsbourg, qu'avaient adoptée sept princes territoriaux puissants et vingt-quatre cités libres, établissait outre-Rhin, sur de fortes bases, une église dissidente qu'il dut sinon admettre, du moins souffrir. Ses ménagements envers elle se réglèrent sur ses besoins. L'assentiment de l'Allemagne entière lui était nécessaire pour l'élection de son frère l'archiduc Ferdinand comme roi des Romains en 1531, et l'union de toutes ses forces était indispensable pour repousser l'invasion de Soliman en 1552. Depuis lors, et pendant treize années, les expéditions de Charles-Quint contre les Barbaresques, auxquels il reprit Tunis en 1555 et voulut enlever Alger en 1541 ; sa quatrième et sa cinquième guerre avec la France, en 1537 et en 1543 ; ses résistances aux progrès des Turcs du côté de l'Europe orientale, l'avaient conduit à s'entendre avec les protestants d'Allemagne, que la tolérance rendait ses auxiliaires et dont la persécution aurait fait ses ennemis. Il était donc entré avec eux dans des accommodements qui durèrent autant que les exigences de sa politique. A Augsbourg en 1530, à Ratisbonne en 1541, à Spire en 1544, il autorisa momentanément leur dissidence religieuse en Allemagne, afin de pouvoir agir lui-même en Autriche, en Italie, en Afrique, en Hongrie, en France. Les seuls moyens essayés pour les ramener à la croyance qu'ils avaient quittée furent de libres discussions dans des colloques théologiques, où les docteurs des deux cultes ne purent jamais s'entendre, et la convocation d'un concile général où les catholiques parurent seuls et devaient donner une expression de plus en plus rigoureuse aux dogmes de leur foi, concentrer encore davantage les pouvoirs de leur Église. Mais il n'en fut plus de même lorsque Charles-Quint eut terminé heureusement tous ses grands débats politiques et territoriaux. Le peuple espagnol, pleinement' assujetti depuis la défaite décisive des communeros, qui avait changé au delà des Pyrénées la royauté à certains égards limitée du moyen âge en monarchie absolue, était devenu le docile et belliqueux instrument de ses victoires, de ses agrandissements et de sa domination dans le monde entier. Les Pays-Bas accrus au nord et au sud, dégagés de toute vassalité à l'égard de la France, détournés de leur ancienne insubordination par le rude châtiment des Gantois en 1540, préservés des doctrines nouvelles par les terribles dispositions de ses édits contre les hérétiques, étaient sous sa forte main unis, paisibles, prospères et puissants. L'Italie semblait dévolue pour toujours à sa souveraineté ou livrée à son influence. Il était en paix avec François Ier, qui touchait au terme de sa vie belliqueuse et de ses opiniâtres ambitions. Enfin il avait conclu avec Soliman une trêve qui mettait la chrétienté à l'abri d'une agression des Turcs vers l'Europe orientale. Ayant triomphé à peu près partout, ne craignant ni trouble dans ses États, ni diversion sur ses frontières, il agit envers les Allemands en Empereur qui voulait être obéi ; envers les luthériens, en catholique qui prétendait rétablir l'unité de croyance. Dans cette croisade politique et religieuse il eut pour auxiliaire le pape Paul III, de la part duquel il reçut un secours considérable en troupes et en argent. Malgré l'alliance conclue avec le souverain pontife, dans le but formel de supprimer le culte nouveau, il ne se déclara point tout d'abord l'ennemi ouvert du protestantisme. Afin de réussir plus aisément dans son dessein, il poursuivit la ligue de Smalkalde avant de s'attaquer à la confession d'Augsbourg. Par cette habile et trompeuse manœuvre, il obtint l'assistance militaire des protestants avides et soumis, tels que le duc Maurice de Saxe, les margraves Jean et Albert de Brandebourg Custrin et Culmbach ; la neutralité rassurante des protestants timides, comme l'électeur de Brandebourg et l'électeur palatin. Il ne rencontra dès lors que la résistance fort redoutable encore des protestants confédérés à Smalkalde, dont les chefs principaux étaient l'électeur de Saxe, Jean-Frédéric, la landgrave de Hesse Philippe le Magnanime, le duc Ulric de Wurtemberg, qui s'avancèrent contre lui avec une armée de quatre-vingt mille hommes. Après les avoir mis au ban de l'Empire, il les attaqua à la tête des forces espagnoles, flamandes, italiennes, allemandes, sur le Danube et sur l'Elbe. Vainqueur à Ingolstadt en 1546, à Muhlberg en 1547, ayant divisé et battu les troupes des confédérés, pénétré dans leurs villes, occupé leurs pays, pris leurs chefs, il vit tout fléchir sous ses armes et céder à ses volontés à la suite des deux campagnes qui le rendirent maître de l'Allemagne : de Constance à Hambourg, de Nuremberg à Cologne. Voulant y affermir et croyant y perpétuer son ascendant, Charles-Quint retint captifs les deux chefs vaincus du protestantisme armé : le duc Jean-Frédéric, qu'il dépouilla de l'électorat de Saxe donné à son cousin Maurice, et le landgrave de Hesse, dont il redoutait le caractère entreprenant. Il ravit aux villes libres leurs privilèges, s'empara de la grosse artillerie qui servait à les défendre, et dont cinq cents pièces furent transportées dans ses Étals héréditaires. Il désarma les pays tombés en son pouvoir, les frappa de contributions énormes, mit des Italiens et des Espagnols en garnison dans plusieurs de leurs plus importantes places, et prescrivit à tous les États de verser mensuellement dans la caisse militaire de l'Empire l'argent nécessaire à la levée de troupes capables de réprimer un soulèvement ou de repousser une invasion. Après avoir accompli la première partie du plan qu'il avait conçu, en privant l'Allemagne de son indépendance politique, il commença l'exécution de la seconde en essayant de lui enlever son indépendance religieuse. L'ayant réduite à l'obéissance, il espéra la ramener au catholicisme. Le concile général qu'il avait longtemps demandé à Clément VII comme le seul moyen de pacifier les différends en matière de foi et de culte, et qu'il avait arraché à Paul III, avait tenu ses premières séances à Trente, sans que les novateurs en trouvassent la réunion assez sûre pour s'y rendre, la discussion assez libre pour y prendre part. Alarmé en 1547 de la victoire trop complète de Charles-Quint, et craignant que ce protecteur tout-puissant de l'Église ne devînt le conseiller impérieux du saint-siége, Paul III éloigna le concile de l'Allemagne en l'appelant à Bologne, puis le suspendit tout à fait. Charles-Quint ne se laissa point arrêter par les obstacles qu'il rencontra du côté où il avait droit d'espérer des facilités. En attendant les décisions d'un concile universel et libre qu'il ne cessa point de réclamer, il détermina lui-même le culte de l'Allemagne dissidente. Deux évêques catholiques et un pasteur luthérien dressèrent d'après ses ordres le fameux intérim d'Augsbourg : sorte de transaction entre l'ancienne et la nouvelle croyance, qu'il rapprocha par les doctrines et dans les pratiques sans les réunir en une seule. La théorie luthérienne de la justification par la foi y était admise à côté de la prescription catholique des œuvres satisfactoires ; la communion sous les deux espèces y était concédée aux protestants, obligés de revenir à la célébration de la messe et de reconnaître l'existence des sept sacrements ; le mariage des prêtres y était toléré en même temps que tout l'appareil extérieur du catholicisme y était rétabli. Charles-Quint promulgua en 1548 cette loi religieuse dans une assemblée séculière. La diète d'Augsbourg devint une espèce de concile, où il fit recevoir, sans permettre de le discuter, l'intérim, comme règle provisoire de la foi et du culte imposés aux divers États et aux nombreuses villes qui suivaient la confession d'Augsbourg, et d'où furent expulsés plus de cinq cents ministres qui refusèrent d'y obéir. Après avoir assujetti l'Allemagne entière à son autorité, interdit partout l'exercice de la croyance protestante, Charles-Quint, auquel le pape Paul III avait donné les titres de très-grand et de très-fort, parut au comble de la gloire et de la puissance. Le silence de la diète germanique devant ses usurpations, l'adhésion de l'Église romaine à ses empiétements, lui persuadèrent qu'il touchait au terme de son œuvre. Il prépara tout alors pour que son fils devînt son successeur. A la suite de ses campagnes contre les protestants, il avait eu, en 1547 et en 1448[42], deux maladies si graves qu'il avait cru y succomber. En craignant les effets ou le retour, il dicta pour son fils une instruction[43] très-étendue qui, dans un langage simple et haut, contenait les vues de sa politique, les conseils de son habileté, les recommandations de sa tendresse, toutes les maximes d'après lesquelles Philippe devait se conduire envers l'Église, traiter avec les divers princes de l'Europe, gouverner ses propres États et se diriger lui-même. Charles-Quint cherchait par là à lui communiquer son esprit et à lui transmettre son expérience. Le duc d'Albe porta cette instruction de l'Empereur au prince d'Espagne, que l'ordre de son père appelait dans les Pays-Bas à travers les contrées sur lesquelles l'infant régnerait bientôt, afin qu'il en connût les peuples et qu'il se fit connaître d'eux. L'infant don Philippe avait alors vingt et un ans. Charles-Quint avait mis une hâte singulière à développer son esprit, à former son caractère, à lui apprendre l'exercice de l'autorité, à l'engager dans les liens du mariage, comme s'il avait voulu se décharger promptement sur lui du poids des affaires et des fatigues de la souveraineté. Il lui avait donné pour gouverneur un noble, grave et valeureux personnage, le grand commandeur de Castille don Juan de Zuñiga[44], et il avait placé à côté de lui pour l'instruire dans les lettres humaines et dans les sciences religieuses don Juan Martinez Siliceo, théologien éminent qu'il avait nommé évêque de Carthagène, qu'il fit plus tard archevêque de Tolède[45], et que secondèrent deux savants hommes très-versés dans la connaissance des langues grecque et latine, Honorato Juan de Valence[46], qui devint ensuite l'instituteur de l'infant don Carlos, et Juan Ginès Sepulveda de Cordoue, qui devait être l'élégant historien de Charles-Quint[47]. Dès la plus tendre enfance du prince royal, Charles-Quint lui avait fait prêter serment par les cortès de Castille à Valladolid, et en 1542 il avait obtenu pour lui l'obéissance moins facile des peuples d'Aragon, de Valence, de Catalogne, assemblés en cortès dans la ville de Monzon[48]. L'initiant alors aux affaires d'État, il lui avait confié à l'âge de quinze ans l'administration de l'Espagne[49], que l'infant avait conduite avec l'aide d'un conseil dont les membres s'émerveillaient de sa prudence et de son application également précoces. En 1543 il l'avait marié avec sa nièce l'infante doña Maria de Portugal, qui était morte peu de temps après avoir mis au monde le fameux et triste don Carlos. Suivant le désir de Charles-Quint, l'infant quitta pour la première fois l'Espagne, passa en Italie sur une flotte de cinquante-huit voiles que commandait André Doria, et, environné d'une cour splendide, escorté par une garde imposante, dans tout l'éclat de la grandeur, il parcourut la Lombardie, remonta par le Tyrol en Allemagne, et de l'Allemagne se rendit dans les Pays-Bas. Ce voyage, accompli, après les derniers et éclatants succès de l'Empereur, marqua jusqu'où pouvait aller l'idolâtrie envers la puissance victorieuse. Reçu partout sous des arcs de triomphe, au milieu des fêtes et des flatteries, avec des présents et des soumissions, l'infant vit accourir sur son passage les peuples et les princes[50], il entendit appeler grand, invincible, divin, son père, qu'on plaçait alors sans hésiter au-dessus des plus célèbres potentats et qu'on égalait aux plus grands hommes. On le nomma lui-même, le futur héritier du monde[51] et l'espérance du siècle[52]. Parti de Barcelone le 2 novembre 1548, l'infant n'arriva à Bruxelles que le 1er avril 1549. Là, sous les yeux satisfaits du père, le fils parcourut les diverses provinces des Pays-Bas, dont il jura les privilèges et dont il reçut les serments. Tout l'été fut consacré à cette tournée politique, qui était comme une dévolution anticipée de l'héritage paternel. Ce premier voyage, qui dura près d'un an, ne présenta point l'infant sous de favorables auspices et-ne lit pas concevoir de bien grandes espérances de son futur gouvernement. Ayant jusque-là vécu constamment avec des Espagnols, il en avait pris l'humeur altière, l'esprit lent, la tranquillité orgueilleuse. Petit de taille, délicat de complexion[53], il avait le vaste front, l'œil bleu et intelligent de son père, son menton avancé, la couleur blonde de ses cheveux et la blancheur de son teint. Son aspect était d'un Flamand, son caractère d'un Espagnol. Taciturne et hautain, timide et opiniâtre, grave et impérieux, aimant le repos et imposant la crainte, il montra, disent les relations contemporaines, des dispositions sévères et intolérables[54], ne plut guère aux Italiens, déplut beaucoup aux Flamands, et fut odieux aux Allemands. Mais sa tante la reine Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, et l'Empereur son père l'avertirent des dangers d'une pareille sévérité, et lui firent sentir qu'elle n'était pas séante à un prince destiné à régir des nations différentes et chrétiennes[55]. Cette leçon ne fut pas sans fruit. Il en reçut d'autres qui ne lui profitèrent pas au même degré. Les seigneurs des Pays-Bas, par ordre de l'Empereur, le dressèrent aux divers exercices de la chevalerie[56], auxquels ses goûts l'avaient laissé trop étranger en Espagne ; mais ils ne l'y rendirent pas bien habile : dans un des tournois où il parut la lance à la main, il reçut sur le casque un coup qui le lit tomber évanoui de la selle de son cheval[57]. On le rapporta dans le palais de son père sans qu'il eût repris ses sens, et depuis il ne fut jamais un jouteur ni hardi ni adroite[58]. Charles-Quint aurait voulu faire de lui un prince guerrier, il parvint plus aisément à en faire un prince politique. Pendant plusieurs années qu'il le retint à côté de lui, l'Empereur l'appela chaque jour deux ou trois heures dans sa chambre pour le former aux grandes affaires, soit en le rendant témoin des délibérations de son conseil, soit en l'instruisant seul à seul lui-même[59]. A cette forte école, l'infant don Philippe apprit à se contenir et se prépara à gouverner. Charles-Quint ne songea pas seulement à lui laisser ses États héréditaires, il voulut encore lui ménager la possession de l'autorité impériale. Il considéra cette autorité comme nécessaire à la défense des Pays-Bas et à la conservation de l'Italie. Avant de descendre du trône, il essaya de réaliser ce difficile dessein. Dans l'été de 1550, accompagné de l'infant, il partit pour l'Allemagne, depuis deux ans soumise à toutes ses volontés, et il alla tenir une diète à Augsbourg. Il se proposa d'établir un ordre de succession inattendu dans l'Empire, afin d'en assurer la souveraineté à sa famille par des élections alternatives et convenues d'avance entre les princes des deux branches de la maison d'Autriche, dont l'étroite union suppléerait à la vaste unité qui disparaîtrait avec lui. Il avait fait nommer, en 1531, roi des Romains l'archiduc Ferdinand, auquel il avait généreusement cédé, en 1520, l'Autriche, la Styrie, la Carniole, la Carinthie, le Tyrol, et qui y avait joint, après 1525, les royaumes de Bohême et de Hongrie. Depuis lors, les deux frères avaient été inaltérablement unis. En toute rencontre, Charles-Quint avait favorisé les intérêts de Ferdinand, et Ferdinand avait servi les projets de Charles-Quint. Le mariage de l'archiduc Maximilien, fils aîné de Ferdinand, avec l'infante Marie, fille de Charles-Quint, venait d'ajouter un lien de plus à ceux qui existaient déjà entre les deux familles. L'Empereur l'avait envoyé l'année précédente en Espagne pour y devenir son gendre et y remplacer son fils dans le gouvernement de cette péninsule. Ferdinand, comme roi des Romains, était appelé à remplacer Charles-Quint comme empereur, et il était vraisemblable que Maximilien, déjà créé roi de Bohême, le remplacerait à son tour comme roi des Romains. D'un esprit ouvert, d'un caractère modéré, d'une humeur affable, d'un cœur intrépide, Maximilien était tout à la fois cher et agréable aux Allemands, qui détestaient l'infant don Philippe à cause de son origine espagnole, de ses manières hautaines, de ses dispositions sombres, de ses pensées despotiques que cachait mal son silence et qui perçaient à travers sa dissimulation[60]. Charles-Quint n'en projeta pas moins de faire préférer l'un à l'autre par sa famille obéissante et dans l'Empire asservi. Il communiqua d'abord son dessein à Ferdinand, qui n'y fut pas favorable, et, pour la première fois, lui résista[61], en se remettant toutefois à ce que déciderait Maximilien, qu'on fit venir de Valladolid à Augsbourg au cœur de l'hiver. Charles-Quint y appela deux fois[62] des Pays-Bas sa sœur, la reine Marie, à laquelle un esprit supérieur et un caractère décidé assuraient la plus grande influence, afin qu'elle servît de médiatrice entre les deux frères et les deux cousins. Après des débats longs et animés, la volonté de Charles-Quint prévalut. Il fit dresser par l'évêque d'Arras un accord qui fut mystérieusement conclu dans sa chambre le 9 mars 1551[63]. On convint qu'aussitôt que Ferdinand succéderait à l'Empire ; le prince d'Espagne serait élu roi des Romains, titre qui serait dévolu à Maximilien lorsque Philippe deviendrait empereur. Les princes des deux branches s'engageaient à défendre mutuellement leurs États particuliers en même temps qu'ils s'obligeaient à soutenir en commun les affaires de l'Allemagne contre tous ceux qui, par des troubles soit politiques, soit religieux, porteraient atteinte à la dignité impériale ou à la foi catholique. Roi des Romains, Philippe recevrait une partie de l'autorité de Ferdinand ; empereur, il conférerait, durant ses absences, l'administration complète de l'Allemagne à Maximilien. Enfin, pour cimenter encore mieux entre les deux familles l'union fondée par ce traité de succession alternative à l'Empire et d'alliance défensive de leurs États patrimoniaux, Philippe dut épouser l'une des filles de Ferdinand, comme Maximilien avait épousé l'une des filles de Charles-Quint. Cet arrangement, qui rendait la couronne impériale en quelque sorte héréditaire en l'assurant d'avance à plusieurs possesseurs, avait besoin de la ratification de l'Allemagne. Les électeurs qu'il aurait dépouillés de leurs droits ne pouvaient pas l'accepter et n'étaient pas disposés à le subir. Ceux de Mayence et de Trêves, les seuls qui eussent comparu à la diète, disaient ouvertement qu'ils n'y consentiraient point, parce qu'ils avaient juré de garder la loi de l'Empire, et que d'ailleurs ils s'étaient promis tous ensemble de ne faire jamais plus un Espagnol empereur[64]. Le duc Maurice de Saxe, dont l'alliance intéressée, le margrave Joachim de Brandebourg, dont la neutralité accommodante, avaient naguère facilité la victoire de Charles-Quint sur les protestants, sollicités des premiers, ne s'y prêtèrent pas non plus ; le margrave Joachim invita même Ferdinand à y renoncer, s'il ne voulait pas se rendre odieux à toute l'Allemagne[65]. L'Allemagne, en effet, frémissante sous le joug du père, n'entendait point être exposée à la domination du fils. L'esprit comprimé de sa vieille indépendance, l'ardeur étouffée de sa nouvelle foi, étaient sur le point d'éclater, et Charles-Quint allait rencontrer enfin ces difficultés inhérentes à la nature même des choses que la force suspend mais ne supprime pas. Après avoir avancé son œuvre à Augsbourg, il s'était transporté, dans l'espoir de l'y achever, vers les gorges du Tyrol, à Insprück. De là il pouvait diriger le concile, dont il avait obtenu la convocation de Jules III, et qui s'était réuni pour la seconde fois dans la ville de Trente au mois de septembre 1551. Il avait renvoyé en Espagne l'infant don Philippe, investi de tous les pouvoirs de la royauté, enivré des plus ambitieuses espérances. Il croyait agir sur l'Italie catholique comme il avait agi sur l'Allemagne protestante, réformer l'une par le concile après avoir soumis l'autre par l'intérim, et rétablir l'unité détruite dans le monde chrétien. Ce rêve de la toute-puissance se dissipa bientôt. Depuis quatre ans, Charles-Quint commandait au delà du Rhin en empereur absolu, y parlait même en pontife suprême. L'excès de son autorité y devint insupportable aux princes, aux villes, aux protestants, aux catholiques, qui ne virent plus en lui qu'un infracteur des lois, un tyran des consciences, un usurpateur des pouvoirs du saint-siége. Il se forma contre lui une mystérieuse coalition dans laquelle entrèrent ceux qui l'avaient servi durant la précédente guerre, comme ceux qui l'avaient combattu. Le duc Maurice de Saxe et le margrave Albert de Brandebourg, qui avaient été jusque-là les deux principaux appuis de Charles-Quint, s'en tirent les chefs. Alliés à Henri II, qui, politique imitateur de son père François Ier, soutint en Italie les petits Etats mécontents, s'unit à Constantinople avec Soliman II et se déclara le protecteur de la liberté germanique au delà du Rhin, ils concertèrent une attaque simultanée contre leur ennemi commun. Tout d'un coup l'électeur Maurice, le margrave Albert et les fils du landgrave de Hesse, donnant le signal du soulèvement et de la guerre, marchèrent du nord au sud à la tête de forces irrésistibles, revendiquant les droits de l'Allemagne asservie, la délivrance des princes luthériens captifs, relevant partout sur leur passage la croyance protestante proscrite, remettant dans leurs églises les ministres fugitifs, rétablissant dans l'administration des villes les magistrats dépossédés, et ils arrivèrent sans rencontrer d'obstacle jusqu'à Augsbourg. Henri Il s'était avancé, dé son côté, vers l'Allemagne et les Pays-Bas en libérateur et en conquérant ; il s'était emparé des trois évêchés de Metz, de Toul et de Verdun, qui restèrent à jamais incorporés à la France ; il allait occuper la Lorraine et envahir le Luxembourg. En même temps le duché de Parme et la république de Sienne, aidés par les Français, résistèrent avec avantage aux Espagnols, dont ils avaient secoué la domination en Italie, et les pachas de Belgrade et de Bude battaient les Autrichiens à Zegeb et se rendaient maîtres de Temeswar, de Lippa, de Wesprim et de Szolnok, dans la Transylvanie et dans la Hongrie. Charles-Quint était pris au dépourvu. Il n'avait ni armée ni argent[66]. Les troupes de son frère Ferdinand résistaient difficilement aux Turcs sur la Theiss et le Danube ; les siennes, d'un entretien trop dispendieux, avaient été pour la plupart licenciées après la complète soumission de l'Allemagne. A part quelques garnisons laissées dans Francfort, dans Augsbourg, dans Ulm, dans les places du Wurtemberg et dans les passages fortifiés du Tyrol, il avait envoyé dans le Parmesan détaché de son alliance, dans le Siennois impatient de son joug, les vieilles bandes espagnoles et italiennes avec lesquelles il avait vaincu et occupé les pays germaniques. Soudainement exposé à tant d'agressions, affaibli par les maladies, appauvri et désarmé par suite même de ses efforts et de ses victoires, il vit alors, sous les coups de ses ennemis coalisés, tomber son œuvre à peine ébauchée en Allemagne, s'ébranler sa puissance si laborieusement affermie dans les Pays-Bas et en Italie, et sur le point d'être de nouveau franchies les barrières qu'il avait élevées pour la défense de la chrétienté vers l'Europe orientale. En cette extrémité, Charles-Quint, sans trouble et sans faiblesse, jugea sa position avec une fermeté d'esprit incroyable. Calculant ce qui lui restait de ressources, et ne se faisant aucune illusion sur la décadence de sa fortune et l'affaiblissement de sa puissance, il reconnut avant tout qu'il ne resterait pas sans péril à Insprück. Si j'attendois ici plus longtemps, écrivit-il le 4 avril 1552 à son frère en apprenant l'arrivée de Maurice victorieux à Augsbourg[67], je ne pourrois qu'être pris un de ces matins dans mon lit. Après avoir examiné les divers partis qui s'offraient à lui, il ajouta, avec cette hauteur d'orgueil et de pensée qui ne se méprend point sur les jugements humains et se met au-dessus d'eux : Quoi que je fasse, s'il en advient bien, ils le jetteront à la fortune ; si mal, la coulpe en sera mienne[68]. Il se décida à gagner les Pays-Bas comme étant le lieu le plus favorable pour réunir promptement une armée, appeler à lui ses partisans d'Allemagne, ses soldats d'Italie, ses bandes d'Espagne, et, placé entre les troupes de Henri II et celles de Maurice, faire bientôt face aux unes et aux autres. Ce parti était le meilleur, mais il était fort périlleux. Le chemin des Pays-Bas lui était fermé, et il courait le risque de tomber au pouvoir de ses ennemis. Cependant il n'hésita point. Le tout bien considéré, continua-t-il, me voyant dans l'état où je me vois, me recommandant à Dieu et me remettant en ses mains, j'ai mieux aimé prendre détermination que l'on me trouve plustôt un vieux fol, que en mes vieux jours me perdre sans faire ce que je dois et peut-être plus que mes forces et débilités ne me conseilleroient de faire. Me voyant nécessité de recevoir une grande honte ou de me mettre en grand danger, j'aime mieux prendre la part du danger, puisqu'il est en la main de Dieu d'y remédier, que d'attendre celle de la honte[69]. Il se proposa donc d'aller en Flandre en longeant le lac de Constance et en passant par la haute Allemagne[70]. Le 6 avril, entre onze heures du soir et minuit, suivi de cinq serviteurs, il quitta mystérieusement Insprück, sans avoir d'autres confidents de son départ que l'évêque d'Arras et le chambellan la Chaulx, chargés l'un et l'autre de cacher son absence en le disant malade plus que jamais. Il marcha toute la nuit à cheval par des chemins détournés. Le jour suivant, il s'avança à travers les montagnes, et parvint non loin de Füssen. Mais, lorsqu'il approchait des portes du Tyrol, ses forces qui fléchirent et le bruit qui se répandit de l'apparition des ennemis aux débouchés des Alpes l'obligèrent à retourner sur ses pas. Il rentra de nuit dans Insprück, sans qu'on y eût même soupçonné la tentative qu'il venait de faire et qu'avaient arrêtée ses maux bien plus que ses craintes[71]. Là, prescrivant des levées de troupes de tous les côtés, il négocia, par l'entremise de son frère le roi des Romains, avec les insurgés allemands, qu'il voulait séparer des Français, afin de diviser ses ennemis, et il resta exposé pendant plus d'un mois à la surprise qu'il avait prévue et qu'il ne put pas éviter. Les conférences, qui s'étaient ouvertes de bonne heure, n'avaient pas ramené l'accord entre Charles-Quint, qui ne concédait pas assez aux confédérés, et les confédérés, qui exigeaient trop de Charles-Quint. Dans le court espace de temps qui sépara les pourparlers de Lintz des conclusions de Passau, avant la trêve qui avait été convenue comme acheminement à la paix, au moment même où Ferdinand était allé chercher à Insprück les dernières instructions de l'Empereur et lui porter ses supplications conciliantes, Maurice tenta un coup des plus hardis. Dans une marche rapide vers les Alpes, et par une attaque foudroyante, il parut soudainement à Füssen, culbuta à Reutte les troupes impériales qui gardaient les défilés du Tyrol, s'empara de la forteresse d'Ehrenberg, et se porta sur Insprück pour y dicter la loi à celui qui, naguère encore, semblait le dominateur du monde. Instruit le soir même du 19 mai des succès inattendus et de la menaçante approche de Maurice, Charles-Quint s'enfuit précipitamment, et ne lui échappa que de quelques heures[72]. Il partit malade, en litière, aux flambeaux, suivi de sa cour en désordre, et, au milieu d'un temps affreux, il se dirigea vers la Carinthie. Parvenu dans la nuit à Insprück, l'entreprenant Electeur, qui livra le palais de l'Empereur au pillage de ses soldats, aurait pu poursuivre l'Empereur lui-même et l'atteindre. Le duc de Mecklembourg le lui conseillait ; mais Maurice n'avait pas besoin d'une aussi grande victoire, qui l'aurait sans doute embarrassé. Je n'ai pas encore, dit-il, de cage pour y enfermer un oiseau de cette grandeur[73]. Il lui suffisait d'avoir exposé Charles-Quint au danger d'être pris, à l'humiliation de fuir, et, le débusquant de cette position centrale, de l'avoir rejeté sur la Carinthie, d'où il ne pouvait rien entreprendre et voyait l'armée des confédérés s'élever comme une barrière entre l'Allemagne et lui. Après cet audacieux exploit, Maurice alla reprendre à Passau la négociation suspendue à Lintz. L'Empereur comprit qu'il fallait s'entendre avec les Allemands soulevés et renoncer à les assujettir. Il se relâcha de tout ce qui ne touchait point à l'honneur de son caractère, aux droits de son autorité, aux scrupules de sa conscience. Après avoir déjà rendu de lui-même la liberté au duc de Saxe Jean-Frédéric, au moment de quitter Insprück, il accorda la délivrance du landgrave de Hesse, dont la captivité prolongée avait été l'une des causes de la prise d'armes, mais en subordonnant cette délivrance au licenciement préalable des troupes de la confédération. Il exigea, non plus que les confédérés marchassent contre le roi de France, mais qu'ils rompissent avec lui, et ne souffrit point qu'Henri II fût introduit dans la négociation de Passau[74]. Tout en se montrant disposé à rétablir en Allemagne l'accord politique et la paix religieuse, il n'y laissa point affaiblir l'autorité impériale ni consacrer définitivement la foi luthérienne. Il déclara que sa dignité comme chef de l'Empire, sa croyance comme prince catholique ne lui permettaient pas de céder sur ces deux points[75], et tandis qu'on demandait le redressement instantané des griefs et la tolérance immédiate du protestantisme, il annonça qu'il aimait mieux tout rompre, et il s'en remit aux États germaniques assemblés en diète pour régler de concert avec lui l'exercice légal de l'autorité, et décider lequel d'un concile général ou d'un concile national serait le moyen le plus propre à faire cesser les dissidences religieuses et à ramener une foi commune. Le traité de Passau, auquel le firent consentir les pathétiques supplications de son frère Ferdinand et les dangers de la Hongrie, au secours de laquelle Maurice avait promis de marcher avec son armée[76], fut signé le 2 août, dans les termes mêmes exigés par la fierté et par les scrupules de Charles-Quint. Toutefois l'indépendance germanique et la paix religieuse y étaient consacrées, bien que sous une forme provisoire, par la volonté victorieuse et l'on peut dire universelle de l'Allemagne. En attendant la diète définitive à la décision de laquelle tout était renvoyé, les sectateurs de la confession d'Augsbourg ne devaient pas être gênés dans la paisible possession et le libre exercice de leur culte ; la chambre impériale, dont les États luthériens ne pouvaient pas être exclus, devait rendre la justice sans égard à la différence de religion ; le conseil aulique ne devait être composé que de ministres allemands pour délibérer tant sur les affaires générales de l'Empire que sur les affaires particulières des Etats. Après la transaction de Passau, dont les clauses furent transformées trois ans plus tard en loi fondamentale de l'Empire par le recès de la diète d'Augsbourg, auquel Charles-Quint voulut rester étranger, Maurice descendit en Hongrie contre les Turcs et Charles-Quint s'avança vers la France à la tête d'une armée de quatre-vingt mille hommes pour reprendre à Henri Il les villes qu'il avait conquises. Il se porta devant la place extraordinairement fortifiée de Metz, où s'était enfermé le duc de Guise avec une petite armée et la fleur de la noblesse française. Charles-Quint l'assiégea pendant les derniers mois de 1552, au milieu des pluies de l'automne et des froids de l'hiver. Mais le valeureux et vigilant duc de Guise la défendit victorieusement contre lui. Le vieil Empereur ne réussit pas mieux dans ses attaques contre la France qu'il n'avait réussi dans la recherche de la couronne impériale pour son fils et dans l'exécution de ses plans politiques et religieux sur l'Allemagne. Il fut obligé de lever le siège de Metz après avoir perdu la moitié de son armée par les rigueurs du temps, comme il s'était désisté de la candidature du prince royal d'Espagne à l'Empire[77], comme il avait renoncé à rendre toute l'Allemagne dépendante et catholique. A ces revers consécutifs, il comprit que le cours de ses desseins était arrêté, et l'on assure que, faisant allusion à l'âge de ses heureux adversaires, il dit avec autant de profondeur que d'esprit : La fortune n'aime que les jeunes gens[78]. Il ne continua plus la guerre que pour la bien finir. Quoiqu'il eût assisté lui-même au siège de Metz, dont il avait confié la direction au duc d'Albe, il y avait été presque constamment malade[79], et s'il avait paru quelquefois à cheval au milieu de son camp, c'était le plus souvent en litière qu'il s'était rendu aux tranchées. Il ne put pas même commander en personne pendant la campagne de 1553, qui lui fut plus favorable. Retenu à Bruxelles, il fit assiéger, prendre et raser les villes de Thérouanne et du vieil Hesdin, dont les garnisons incommodaient la Flandre par leurs agressions. Il se voyait hors d'état désormais de conduire lui-même ses armées et de pourvoir à l'exécution de ses entreprises. Ses maux s'étaient aggravés[80] avec l'âge et par un défaut de sobriété insurmontable. Ce grand homme, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits ; il était maître de son âme dans les diverses extrémités de la fortune, il ne l'était pas de son estomac à table. Ni les sages conseils de son ancien confesseur[81], ni les sévères avertissements de la maladie n'avaient eu le pouvoir de réformer ses habitudes à cet égard désordonnées. Durant l'hiver douloureux de 1550 à 1551, passé tout entier à Augsbourg dans son appartement chauffé comme une étuve, d'où il ne sortit que trois fois pour se montrer et manger en public dans une salle voisine aux fêtes de Saint-André, de la Noël et des Rois ; lorsqu'il était si exténué qu'on le croyait près de sa fin, et que les médecins eux-mêmes lui donnaient à peine quelques mois à vivre[82], l'anglais Roger Asham, qui assista à l'un de ses repas, fut surpris de ce qu'il mangea et surtout de ce qu'il but. Bœuf bouilli, mouton rôti, levraut cuit au four, chapon apprêté, l'Empereur ne refusa rien. Il plongea, dit Asham, cinq fois sa tête dans le verre, et chaque fois il ne but pas moins d'un quart de gallon de vin du Rhin[83]. Deux ans après le repas décrit par Asham, le spirituel et érudit van Male, ayuda de cámera de Charles-Quint, fait un tableau plein de malice et de grâce des irrésistibles fantaisies de son maître au siège de Metz et des condescendances dangereuses que les médecins avaient pour lui. Le ventre, écrit-il à Louis de Flandre, seigneur de Præt, et une fatale voracité sont la source ancienne et très-profonde des nombreuses maladies de l'Empereur. Il y est assujetti à tel point, que, dans sa plus mauvaise santé et au milieu des tortures du mal, il ne peut pas se priver des mets et des boissons qui lui sont le plus nuisibles. Vous vous récriez et contre cette intempérance de César et contre la légèreté, l'indulgence, la faiblesse des médecins. C'est le sujet de toutes les conversations. L'Empereur dédaigne-t-il la viande ? qu'on l'emporte. Désire-t-il du poisson ? qu'on lui en donne. Veut-il boire de la bière ? qu'on ne lui en refuse pas. A-t-il le dégoût du vin ? qu'on le retire. Le médecin est devenu un complaisant. Ce que César veut ou refuse, il l'ordonne ou le défend. Si la boisson n'est pas glacée, elle lui déplaît. Il est bien certain qu'affligé de tant de maux, la froideur de la bière exposée à l'air pendant la nuit et qu'il boit avant le jour ne lui convient pas. Il s'y est néanmoins tellement habitué qu'il n'a pas craint d'en boire au péril d'une dysenterie imminente. Comme je suis pour cela son échanson avant le jour... je l'ai entendu pousser des gémissements qui attestaient ses souffrances... Je lui ai dit tout ce qui m'a paru le plus propre à le détourner de boire aussi mal à propos une boisson si nuisible, ajoutant que personne de nous, même avec une force et une santé athlétiques, ne supporterait sans en être incommodé de la bière glacée bue avant le jour et pendant l'hiver, et que lui ne craignait pas d'en prendre à son âge, avec une santé détruite parles maladies, les voyages et les travaux. Il en est convenu, et, grâce à ce bon conseil, il a défendu que la bière fût exposée à l'air. Le docteur Corneille — Baërsdorp — ne lui a pas permis non plus le vin trop froid à dîner et à ses repas. Je ne sais s'il s'y résignera longtemps. Nous maudissons souvent ici le soin affectueux qu'a la reine — de Hongrie — de lui envoyer des poissons... Dernièrement il en dévora, et avec un très-grand péril, pendant deux jours de suite. Il fit venir des soles, des huîtres qu'il mangea crues, bouillies, rôties, et presque tous les poissons de la mer[84]. Dans l'été qui suivit la levée du siège de Metz, Charles-Quint, sentant que les défaillances croissantes du corps se prêtaient de moins en moins aux vues toujours fermes de l'esprit, se prépara à accomplir l'abdication qu'il méditait depuis si longtemps. Le repos et la salubrité des climats du Midi lui parurent les seuls remèdes à des infirmités que la fatigue des affaires et la rude température du Nord augmentaient sans cesse. Il choisit donc l'Espagne pour le lieu de sa retraite définitive, et en Espagne la délicieuse vallée appelée la Vera de Plasencia, dans la partie de l'Estrémadure la plus boisée, sur la pente méridionale d'une montagne que le soleil réchauffait pendant l'hiver, que d'épaisses forêts et de nombreux cours d'eau tempéraient pendant l'été. C'est à l'ombre d'un cloître qu'il projeta de se retirer. Charles-Quint avait toujours aimé les moines. Dans ses grandes afflictions, à la veille ou le lendemain de ses plus importantes entreprises, il se rendait souvent au milieu d'eux pour puiser dans la retraite et dans la prière des consolations et des forces. Après son élection à Francfort, au moment où, en 1520, il allait s'embarquer à la Corogne pour les Pays-Bas et l'Allemagne, il avait pieusement visité l'église de saint Jacques de Compostelle, l'apôtre de la Péninsule, dont le religieux patronage avait encouragé durant huit siècles les vieux chrétiens espagnols dans la revendication armée de leur pays, et dont le nom leur avait servi de cri de guerre contre les musulmans[85]. Avant de partir pour l'Italie en 1529[86], afin d'y prendre la couronne de fer des Lombards et la couronne d'or de l'Empire, il avait passé plusieurs jours dans le couvent de Santa Engracia à Saragosse[87]. Lorsqu'il était prêt à monter sur sa flotte pour l'expédition de Tunis en 1535, il avait fait un pèlerinage à la célèbre abbaye du Montserrat, et neuf fois dans sa vie[88], en traversant le comté de Barcelone, il était allé se prosterner devant la Vierge de ce sanctuaire vénéré, à l'image de laquelle il devait conserver jusqu'à son dernier soupir une si tendre dévotion. A la mort de l'Impératrice, en 1539, il avait porté sa douleur et son deuil dans le couvent de la Sysla à deux lieues de Tolède ; et après la dispersion de ses vaisseaux devant Alger, en 1541, et l'abandon forcé de son entreprise, il s'était enfermé dans le monastère de la Mejorada, non loin d'Olmedo[89], avec l'intention sans doute de s'y fortifier contre ce revers. Rien ne peint mieux que ce qui se passa en cette désastreuse rencontre sous Alger la grandeur de sa résignation chrétienne et la confiance extraordinaire qu'il avait dans les prières des moines. L'expédition qui devait le rendre maître de ce point important de l'Afrique septentrionale avait été entreprise avec trop de hâte, à cause d'une guerre imminente du côté de la France. Charles-Quint était arrivé dans le golfe d'Alger la dernière semaine d'octobre, au moment même des tempêtes de l'équinoxe. Elles se déchaînèrent en effet sur la Méditerranée le surlendemain de sa descente à terre, avant qu'il eût tiré de sa flotte de quatre cents navires et la grosse artillerie pour foudroyer la ville en face de laquelle il s'était déjà campé, et les vivres pour nourrir ses soldats. La violence des vents brisa les ancres de la plupart des vaisseaux, qui heurtèrent les uns contre les autres ou furent jetés à la côte. En même temps une pluie serrée et froide inondait son camp. Dans cette terrible extrémité, exposé à périr sur ce rivage faute de pouvoir ou y vivre, ou en partir, Charles-Quint, couvert d'un long manteau blanc, se promenait au milieu des grands et des cavalleros d'Espagne, et s'adressant à Dieu, maître des éléments, il ne laissait entendre que ces religieuses paroles[90] : Fiat voluntas tua ! fiat voluntas tua ! Tout d'un coup, vers onze heures et demie du soir, au plus fort de l'ouragan, il appela des pilotes expérimentés et leur demanda combien de temps les navires de la flotte pouvaient résister encore aux coups de la tempête. — Deux heures, répondirent-ils. — Se souvenant alors des chants qui commençaient à minuit dans tous les couvents de son royaume, et croyant que cette universelle oraison chrétienne monterait vers le ciel et lui concilierait l'assistance divine, il dit aux siens, le visage ranimé par l'espérance : Rassurez-vous, dans une demi-heure tous les moines et toutes les religieuses d'Espagne se lèveront et prieront pour nous[91]. Il est vrai qu'après s'être montré chrétien confiant, il agit en capitaine résolu, et qu'il opéra habilement sa retraite vers le cap Matifou, où s'étaient réfugiés les débris de sa flotte et d'où il ramena son armée en Europe. Parmi les moines, ses préférences étaient pour les hiéronymites. Ceux-ci formaient un ordre presque exclusivement espagnol, fondé par quelques ermites de la Péninsule, qui avaient obtenu en 1373 du pape Grégoire XI l'autorisation de se réunir en congrégations religieuses sous le nom de saint Jérôme et avec la règle de saint Augustin[92]. Leur premier monastère s'était élevé à San Bartholome de Lupiana, près de Guadalajara, sur un des frais coteaux de la Vieille-Castille. De là ils s'étaient promptement répandus dans la plaine de Tolède, dans la forêt de pins de Guisando, parmi les myrtes de Barcelone et de Valence, sous les berceaux de vignes de Ségovie, au milieu des bois de châtaigniers de l'Estrémadure. Placés non loin des villes, dans des sites agréables et solitaires, ils avaient couvert la Péninsule de leurs établissements de Grenade à Lisbonne, de Séville à Saragosse[93]. Ils s'étaient d'abord consacrés à la contemplation et à la prière. Ils vivaient d'aumônes, et depuis le milieu de la nuit jusqu'à l'extrémité du jour ils chantaient avec une assiduité et une pompe singulières les louanges de Dieu[94]. Bientôt enrichis par les dons des peuples et les faveurs des monarques, les hiéronymites, dont l'ordre entier était gouverné par un général élu, dont chaque couvent était administré par un prieur triennal, avaient ajouté la science à la prière, la culture nouvelle des lettres à la pratique conservée des chants, et, de moines pauvres, étaient devenus les possesseurs opulents de vastes terres, de nombreux bestiaux, de riches vergers. Aucuns religieux en Espagne ne célébraient le culte catholique avec une dignité plus imposante, ne faisaient entendre une musique aussi suave dans les chœurs de leurs églises, ne distribuaient de plus abondantes aumônes à la porte de leurs couvents, n'offraient aux voyageurs dans leurs établissements une plus généreuse hospitalité. A Notre-Dame de Guadalupe, qui était l'un des trois sanctuaires les plus vénérés et les plus visités de l'Espagne, et qui avait la grandeur d'une ville par son étendue, la sûreté d'une citadelle par ses fortifications, les hiéronymites gardaient un trésor considérable dans une tour, avaient de larges celliers toujours pleins, de beaux jardins couverts d'orangers et de citronniers, faisaient paître sur les montagnes voisines d'immenses troupeaux de moutons, de vaches, de chèvres, de porcs, possédaient en Estrémadure cinquante mille pieds d'oliviers et de grands bois de cèdres[95], et dans leurs vastes réfectoires couvraient avec profusion la table des hôtes et des pèlerins, qui était mise et levée six ou sept fois par jour[96]. Ce fut près d'un couvent de cet ordre adonné à la prière et à l'étude que Charles-Quint songea à se retirer. Il l'avait toujours eu en singulière vénération. Cette vénération était comme un héritage de famille, qu'il avait reçu de son aïeul et qu'il devait transmettre à son fils. Ferdinand le Catholique, après la victoire de Toro en 1475 et la conquête de Grenade en 1492, avait élevé deux monastères de cet ordre[97] ; il s'était enfermé dans un de ces cloîtres à la mort de la reine Isabelle de Castille[98], et lorsqu'il s'était lui-même senti près de sa fin, il était allé expirer à Madrigalejo[99] dans une maison appartenant aux hiéronymites, qu'il avait rendus les gardiens des sépultures royales[100]. Philippe II devait fonder pour eux, en souvenir de la bataille de Saint-Quentin ; l'immense Escurial, où il irait à son tour vivre et mourir. Charles-Quint, qui, à plusieurs reprises, avait été l'hôte des hiéronymites dans leurs couvents de Santa-Engracia, de la Sysla et de la Mejorada, résolut de terminer ses jours dans leur cloître de Yuste. Yuste, que la demeure de l'Empereur devait rendre si célèbre, avait été fondé au commencement du quinzième siècle, près d'un petit cours d'eau[101] dont il avait pris le nom, dans une chaîne de l'Estrémadure, coupée de vallées, couverte d'arbres, arrosée par des ruisseaux qui descendaient des cimes neigeuses de la montagne. De ce site pittoresque, ayant à l'est et au sud les plaines de Talavera et d'Arañuelo, la vue dominait le cours du Tietar et du Tage, plongeait sur les belles cultures et les riants villages qui s'élevaient du milieu des bois dans le magnifique bassin de la Vera de Plasencia, et apercevait à l'horizon lointain les monts azurés de Guadalupe. Quelques ermites y avaient élevé en 1402 des cabanes dans la forêt de châtaigniers et de noyers qui couvrait les lianes de la montagne. Ils avaient reçu en 1408, par la puissante entremise de l'infant don Ferdinand, une bulle qui les autorisait à transformer leurs humbles cellules en monastère hiéronymite. Mais les moines d'un couvent voisin les avaient troublés dans leurs travaux, et l'évêque de Plasencia s'était opposé à la construction commencée de leur monastère. Ayant invoqué l'appui supérieur de l'archevêque de Saint-Jacques, qui était métropolitain du pays et qui favorisait l'ordre de Saint-Jérôme, ils avaient été placés par lui sous la protection armée de don Garcia Alvarez de Toledo, seigneur d'Oropesa, dont le château de Jarandilla était à deux lieues de Yuste. A la tête de ses vassaux, le châtelain de Jarandilla, déployant sa bannière d'azur et d'argent, s'était porté dans la montagne et avait dispersé les agresseurs de la communauté naissante. La généreuse maison de Toledo ne se bornant pas à défendre les moines de Saint-Jérôme par les armes, les avait assistés de ses richesses. En 1415, elle leur avait assuré un revenu suffisant pour l'entretien d'un prieur et de douze religieux, et les hiéronymites reconnaissants de Yuste avaient déféré aux comtes d'Oropesa le protectorat héréditaire de leur couvent[102]. Depuis lors, enrichis par des dons et par des legs, secondés par le concours des grandes maisons conventuelles de Guisando et de Notre-Dame de Guadalupe, les moines de Yuste, devenus plus nombreux, avaient agrandi leur demeure et leurs possessions. Ils entretenaient des chapelles et des ermitages dans la forêt ; ils avaient planté autour d'eux des vergers d'arbres fruitiers et des bois d'oliviers ; ils avaient donné plus d'étendue à leur hospice, ils avaient reconstruit leur église en la rendant plus spacieuse et plus solide, et ils avaient en dernier lieu ajouté à leur petit cloître primitif, de forme gothique, un cloître assez vaste, dont les lignes régulières et élégantes rappelaient l'architecture gréco-romaine récemment introduite d'Italie en Espagne. Tel était le monastère que Charles-Quint choisit pour sa retraite. L'agréable salubrité du lieu et sa paisible solitude lui semblèrent convenir également à un corps aussi infirme que le sien et à une âme aussi fatiguée. Mais en se retirant au milieu des hiéronymites de Yuste, dont il connaissait le savoir étendu et dont il estimait la pieuse régularité, il ne voulut ni prendre leur genre de vie ni le troubler. Il se proposa de faire construire à côté de leur couvent un édifice contigu et séparé, d'où il pût avoir le libre usage de l'église du monastère et se donner, quand cela lui conviendrait, la compagnie des moines, en conservant ainsi son indépendance et en respectant la leur. Dès le 30 juin 1550, il ordonna de remettre de l'argent au prieur général des hiéronymites[103], et le 13 décembre suivant, deux années avant son abdication, et non quelques mois comme le dit Robertson[104], il écrivit à son fils une lettre réservée et toute de sa main dans laquelle il prescrivait de faire bâtir sur le flanc du monastère de Yuste une habitation suffisante pour y vivre avec la suite des serviteurs les plus indispensables à une personne dans une condition privée[105]. Il recommanda à l'infant et au secrétaire d'État Vasquez de Molina, qu'il instruisit de son dessein sous le plus grand secret, de s'adresser pour l'exécution au prieur général Juan de Ortega, dans lequel il avait la plus grande confiance[106]. Il chargea le contador Francisco Almaguer de mettre à la disposition du prieur l'argent nécessaire pour construire cet édifice sur le plan qu'il en avait fait dresser et dont il soumit l'exécution à Gaspar de Vega et à Alonso de Covarrubias, les deux plus célèbres architectes de l'Espagne[107]. Après avoir prescrit d'élever à côté du couvent la modeste résidence royale dont les religieux de Yuste avaient surpris et divulgué la destination[108], Charles-Quint disposa tout pour laisser à son fils la domination la moins embarrassée. |
[1] C'est ce que dit Paul IV, au mois de décembre 1555, en plein consistoire : Continuant, puis après Sadite Sainteté dit que l'on avoit envoyé un mandat au nom de Charles, naguères empereur, pour résigner l'empire ; qu'il estoit aisé à entendre que ledit Charles n'a voit point parlé ; et quand bien il auroit parlé, que tout ce qu'il auroit fait estoit de nulle valeur, attendu qu'il est notoire à chascun qu'il est impos mentis. (Mémoire du 20 déc. 1555, envoyé de Rome par le cardinal Du Bellay, dans Ribier. Lettres et Mémoires d'Estat des rois, princes et ambassadeurs, etc., sous les règnes de François Ier, Henri II et François II, 2 vol. in-fol, Paris, M.DC.LXVI, t. II, p. 623.)
[2] ... Notre Saint-Père me dit que, quant à l'empereur... il est aujourd'hui comme un homme mort, estant retiré hors du commerce des hommes, et, ainsi qu'il entend, agité de mesme maladie que sa mère. (Lettre de l'évêque d'Angoulême, écrite de Rome au roi Henri II, le 2 juin 1558, dans Ribier, t. II, p. 747.)
[3] Historia de la orden de San Geronimo, etc., por fray Joseph de Siguenza, IIIe parte, lib. I, c. XXXVII, p. 195, éd. petit in-fol. Madrid, 1605. — Strada, De bello belgico, lib. 1, p. 9, éd. infol. Rome, 1652.
[4] Ces chroniqueurs hiéronymites sont : le prieur du monastère de Yuste, fray Martin de Angulo, dont la relation, restée manuscrite, a été consultée par Sandoval (Historia de Carlos quinto, t. II, lib. XXXII, § 5, éd. in-fol. Pampelune, 1634) ; la relation d'un moine hiéronymite de Yuste, dont M. Bakhuizen van den Brink a publié l'analyse en 1850, à Bruxelles, sous le titre de la Retraite de Charles-Quint, etc., par un religieux de l'ordre de Saint-Jérôme, à Yuste, c. XXXIII, p. 44 ; enfin le P. Joseph de Siguenza, qui, dans son histoire, part. III, liv. I, c. XXXVIII, p. 200 et 201, a presque copié le moine anonyme de M. Bakhuizen. Ils ont été suivis entièrement par don Juan Antonio de Vera y Figueroa, conde de la Roca, dans son Epitome de la vida y hechos del invicto emperador Carlos quinto, in-4°, Bruxelles, 1656, p. 249, ainsi que par Strada, De bello belgico, p. 9 ; et avec exagération par Robertson, Histoire de Charles-Quint, liv. XII.
[5] Ce fait précieux pour l'histoire est mis hors de doute par la lettre encore inédite que Lourenço Pires de Tavora écrivit, le 16 janvier 1557, au roi Jean III, et dont je dois l'intéressante communication au savant et obligeant vicomte de Santarem. Voici les termes mêmes de la dépêche de Lourenço Pires : — Dissemé... quanto avia desejada tirar esta carga, e como estava para nam cazar pe la deixar mais sedo, e tambem o quizerd depois fazer quando veyo de Tunis e que o deixao por seu fil ho.
[6] Son contemporain et son chroniqueur, Juan Ginez Sepulveda, qui alla le visiter au monastère de Yuste, dit qu'il avait eu ce projet. (Joannis Genesii Sepulvedæ Opera, vol. II, lib. XXX, p. 540, 541, grand in-4°. Madrid, 1740.) — C'est ce que dit aussi don Juan Antonio de Vera, conde de la Rœa, dans son Epitome, p. 249.
[7] Sepulveda, vol. II, ch. XXIV, p.
95, 96.
[8] Ribadeneyra, Vida del Padre Francisco de Borja, ch. VII, p. 529 à 355, obras del Padre Pedro de Ribadeneyra, in-fol., éd. de Madrid, 1605.
[9] Charles-Quint dit, en 1556, au P. Borja, qui était venu le visiter au château de Jarandilla, à la veille de son entrée au monastère de Yuste : Acordais os que os dixe el año de 1542 en Monçon que avia de retirarme, y hacer lo que he hecho ? — Muy bien me acuerdo, señor. (Ribadeneyra, Vida del Padre Francisco de Borja, ch. XIII, p. 380.)
[10]
Charles-Quint, dont il était le capitaine général sur mer, l'avait fait prince
de Melfi et l'appelait son père. (Relazione di Bernardo Navagero en
1546, dans Alberi, Relazioni degli ambasciatori Veneti, in-8°. Firenze,
1841, série I, vol. I, p.
505.)
[11] Èdi complessione in radice melanconica. (Relazione di Gasparo Contarini ritornato ambasciatore da Carlo quinto, letta in senato a di 16 nov. 1525, dans Alberi, série I, vol. II, p. 60.)
[12] Vers la fin de 1559 et le commencement de 1540, lorsqu'il traversa la France pour se rendre dans les Pays-Bas, où l'appelait la révolte des Gantois, Scepper et Snouckaert de Seauvenburg (Zeconarus), qui allèrent de Bruxelles au-devant de lui, le trouvèrent dans un deuil profond : Cùm Cæsari... ex Belgicà cum Sceppero occurrissem antequam aquitanicum et cellicum illud iter perficeret (quod illum Parisios recta equis commodatitiis, et gallicis in pulla veste ducebat) frequenter nocte per duas, tresque horas, utroque genu inclinatum, orantem repperi, eum septem cereis facibus, in cubiculo nigris undique pannis tecto, accensis. (De republica, vita, moribus, gestis, fama, etc, imperatoris Cæsaris Augusti quinti Caroli, authore Gulielmo Zenocaro a Scauvenburgo, auratæ militiæ equite imperatoris Caroli Maximi, lib. III, p. 169, in-fol. Gand, 1559.)
[13] Relazione di Nicoló Tiepolo, ritornato ambasciatore da Carlo V l'anno 1552, dans Alberi, série I, vol. I, p. 60. — In qualunque maniere di termini, fa le deliberazioni a modo suo. (Ibid., p. 64.)
[14] Relazione di Marino Cavalli, ritornato ambasciatore da Carlo V l'anno 1551, dans Alberi, série I, vol. II, p. 212.
[15]
L'ho ritrovato yo in tutte le azioni sue, molto
prudente, si che si tiene tra i suoi che nessuno sia più sano consiglio che il
suo. (Alberi, série I,
vol. I, p. 64.)
[16] Voyez Relazione di Bernardo
Navagero, ritornato ambasciatore da Carlo V nel luglio 1546. Alberi, série
I, vol. I, p. 54.
[17] È chiamato
da Cesare suo primo consigliero. (Alberi, série I, vol.
I, p. 345.)
[18] Col quale consigliando poi ciascuna cosa, o piccola o grande che sia, si risolve corne gli pare. (Alberi, série I, vol. I, p. 341, 342.) — Nelle cose di stato e in ogni altra particolarità si serve del consiglio solo del signor di Granvela. (Marino Cavalli, Alberi, série I, vol. II, p. 210.)
[19] Marino Cavalli, ibid., p. 215.
[20] Retiro, estancia, etc., por don Gonzalez, fol. 4 r°.
[21] Relazione di Marino Cavalli en 1551, Alberi, série I, vol. II, p. 209.
[22] Relazione di Marino Cavalli en 1551, Alberi, série I, vol. II, p. 209 et 210.
[23] Marino Cavalli, dans Alberi, série I, t. II, p. 217.
[24] Excedió á todos los hombres de à cavallo de su tiempo, à la brida ; y armado parecia tan bien, y era tan sufrido, que dixeron los exercitos, que por aver nacido rey, perdieron en él el mejor cavallo ligero de aquel siglo. (Vera y Figueroa, Epitome de Carlos V, p. 262, 263.)
[25] Marino Cavalli, dans Alberi, série I, t. II, p. 212 ; — et Contarini, ibid., p. 60.
[26] Ha la fronte spatiosa, gli occhi cesii e che danno segno di gran vigore di animo. (Relazione del clarissimo Federico Badouaro, ambasciatore a Carlo quinto e al re di Spagna suo figliuolo, l'anno 1557. Ms. de la Bibliothèque nationale, n° 10,083, 2. 2. A.)
[27] E stato nei piaceri venerei di non temperata volontà in ogni parte dove s'è ritrovato con donne di grande ed anche di piccola conditione. (Relazione ms. di Federico Badouaro en 1557. Bibl. nat., n° 10,083, 2. 2. A.) — Mocenigo dit, dans une relation écrite en 1548 : L'Empereur étoit et est encore, au dire de ses médecins et de ceux qui l'entourent, très-enclin de nature aux plaisirs sensuels. (Cette relation est dans Bucholtz, Geschichte der regierung Ferdinand des Ersten, in-8°. Vienne, 1835, vol, VI, p. 498 à 517.)
[28] Navagero, dans Alberi, série I, vol. I, p. 342. — Federico Badouaro. Ms. de la Bibl. nat., n° 10,083, 2. 2. A.
[29] Relazione di Gasparo Contarini, dans Alberi, série I, vol. II, p. 60. Ce que Contarini dit en 1525, Federico Badouaro le répète en 1557 d'une manière semblable, en remarquant aussi que non puô congiungere li denti e nel finire le parole non è ben' inteso. Il ajoute : Ha pochi denti dinanzi et fracidi. (Ms. de la Bibl. nat., n° 10,085, 2. 2. A.)
[30] La recette en est donnée d'après une lettre de Charles-Quint, écrite de Bruxelles, le 11 oct. 1555, à Vasquez de Molina, dans D. Tomàs Gonzalez, Retiro, etc., fol. 27 r°.
[31] Disse una volta a maiordomo Monfalconetto con sdegno che haveva corrotto il giudicio a dare ordine ai cuochi, perche tutti cibi erano insipidi. (Ms. de la Bibl. nat., n° 10,083, 2. 2. A.)
[32] Marino Cavalli, en 1551, dans Alberi, série I, vol. II, p. 216.
[33] Da quale li fu riposto, non so como poter trovar più modi di compiacere alla Mæstà Vostra, se io non fo prova di farle fare una nuova vivanda di potagi di rilogii. Il che la mosse a quel maggiore e più lungo riso, che sia mai stato veduto in lei et cosi risero quelli della camera. (Relazione di Federico Badouaro. Ms. de la Bibl. nat., n° 10,083, 2. 2. A.)
[34] Annum agens vigesimum sextum Carolus uxorem Hispali duxit Isabellam Emmanuelis Portugalliæ regis et Mariæ uxoris filiam, et ab eo tempore comitiali morbo quo prius tentabatur liberatus est. (Sepulveda, vol. II, lib. XXX, c. XXXV, p. 536.)
[35] Jeudi derrenier en oyant la grant messe, présents beaucoup de gens, il (le roi Charles) tomba par terre estant de genoulx et demeura, cuydant qu'il feust mort, l'espace de plus de deux heures, sans pousser, et avoit le visage tout tourné, et fut emporté en sa chambre... et fut incontinent susbout les deux heures passées. Il avoit été malade une autre foys de mesme sorte il n'y a pas deux moys, toutesfoys je n'en avoye rien sceu jusques à ce coup, et luy print en jouant à la grosse balle de ceste maladye. Il en est grant bruit icy. (Dépêche de la Roche-Beaucourt, écrite de Saragosse le 8 janvier 1519. Ms. Béthune n° 8,486, Bibl. nat.)
[36] Sandoval, vol. II, lib. XVIII, p. 66.
[37] Circa trigesimum setatis annum morbo articulari tentari cœpit. (Sepulveda, vol. II, lib. XXX, c. XXIV, p. 528.)
[38] Bernardo Navagero, dans Alberi, série I, vol. I, p. 342 ; Marino Cavalli, ibid., vol. II, p. 245.
[39] Sandoval, t. II, lib. XXXV, § 16, fol. 381, et Vida del emperador Carlos V en Yuste, ibid., § 16, fol. 853.
[40] Sandoval, t. II, p. 896. — Cartam suapte manu conscriptam, in qua copiose prosecutus erat quæ cuperet a me in compendium redigi ad formulas precum quotidianarum. (Lettres de Malinæus (Van Male) sur la vie intérieure de Charles-Quint, publiées par le baron de Reiffenberg, grand in-8°. Bruxelles, 1843 ; lettre du 11 nov. 1552, p. 31.)
[41] Scripsi ante annum ad te, si recte memini Cæsarem in adversa valetudine sua impense juvari lectione sacra vel psalmodiæ Davidicæ vel Bibliorum. (Sandoval, t. II, p. 30, et lettre du 24 déc. 1552, p. 86.) Theologamur valde serio in psalmodia, spiritus ille Davidicus prorsus in Cæsare resuscitatus. (Ibid., lettre du 5 mai 1551, p. 44.)
[42] Sandoval, t. II, lib. XXIX, § 55 et § 58, p. 627, 633, 634.
[43] Avisos ó instruccion del Emperador al principe su hijo. (Dans Sandoval, t. II, lib. XXX, p. 639 à 657.)
[44] Sepulveda, vol. II, lib. XIX, c. IV, p. 100, 101.
[45] Sepulveda, vol. II, lib. XIX,
c. IV, p. 100, 101.
[46] Sepulveda, vol. II, lib. XXI, c. XXXVII, p. 189, 190. — Ils parlaient uniquement latin devant lui, afin de l'habituer à l'usage de cette langue, que son père regrettait d'avoir négligé d'apprendre.
[47]
Charles-Quint l'avait nommé son historiographe, ou croniste, en 1536. (Sepulveda, vol. III, epistol. XI,
p. 101.)
[48] Sepulveda, vol. II, lib. XXI, c. XIX à XXV, p. 171 à 178.
[49] Sepulveda, vol. II, lib. XXI, c. XXXVII, p. 189.
[50] Ce voyage fut raconté en plus de six cents pages in-folio dans un livre publié quatre ans après à Anvers sous le titre de El felicissimo viaje del muy alto y poderoso principe don Phelippe hijo del emperador don Carlos quinto maximo etc., por Juan Cristoval Calvete de Estrella, in-fol. Anvers, 1552.
[51] Orbis terrarum futurus hæres. (El felicissimo viaje, etc., fol. 33 v°.)
[52] Philippus sæculi spes. (El felicissimo viaje, etc., fol. 58.)
[53] Federico Badouaro. (Ms. de la Bibl. nat. n° 10,683, 2. 2. A.)
[54] Un animo severo et intolerabile. (Relazione di Michele Soriano, de 1559. Ms. de la Bibl. nat., n° 10,083, 2. 2. A.)
[55] Ma essendo avvertito... della regina Maria, et con più efficacia del padre, con questa reputatione et severità non se conveniva a chi doveva dominare nationi varie et populi di cristiani diversi, se muto. (Relazione di Michele Soriano, de 1559. Ms. de la Bibl. nat., n° 10,083, 2. 2. A.)
[56] Marino Cavalli, dans Alberi, série I, vol. II, p. 217.
[57] Sepulveda, vol. II, lib. XXVI, c.
LIV, LV, p. 381.
[58] Dans une joute qui eut lieu sur la place d'Ausbourg, le 1er février 1551, l'ambassadeur de France Marillac, archevêque de Vienne, dit que les seigneurs de la cour s'y distinguèrent peu. Il ajoute, en parlant de Philippe : Le prince d'Espagne fist encore pirement que tous, sans pouvoir jamais rompre une lance ny donner une seule atteinte. (Lettre de Marillac au connétable de Montmorency, du 5 février 1551. Ms. de la Bibl. nat., Brienne, n° 89, fol. 196 v°.)
[59] Marino Cavalli, dans Alberi, série I, vol. II, p. 217.
[60] L'ambassadeur de France, Marillac, dont la correspondance est pleine des sentiments contraires qu'inspiraient les deux jeunes princes en Allemagne, dit : Les Allemands ayment d'aultant plus le jeune roy de Bohême en lui dédiant leur cœur et leur affection, pour la peur qu'ils ont de tomber en la puissance de l'aultre. (Lettre du 10 mars 1551 à Henri II. Ms. Béthune, n° 89, fol. 233 v°.)
[61] Voir la lettre très-intéressante et très-irritée que Charles-Quint écrivit à ce sujet à la reine de Hongrie, sa sœur, le 16 décembre 1550. (Lanz, Correspondenz des Kaisers Karl V, in-8°. Leipzig, 1846, vol. III, p. 15 à 21.)
[62] Le 10 septembre 1550 et le 1er janvier 1551. Ms. Béthune, n° 89, fol. 75 et 175 v°.
[63] La minute de l'acte était écrite de la main de l'évêque d'Arras et doit se trouver aux Archives impériales de Vienne. Il y en a une copie aux Archives de Belgique, dont je dois la communication à l'obligeance de M. Gachard.
[64] Ils le disaient au nonce du pape et à l'ambassadeur de France ; celui-ci le communiquait à sa cour. (Dépêche de Marillac à Henri II, du 16 et du 22 déc. 1550, fol. 158, v°, 166 ; du 6 janv. et du 24 fév. 1551, fol. 174 et 207.)
[65] Bucholtz, vol. VI, p. 465-467.
[66] Instruction ostensible de Charles-Quint donnée à J. de Rye, son premier sommelier de corps envoyé auprès de Ferdinand, du 5 mars ; Lanz, vol. III, p. 99 à 106. Il y dit : Nous trouvons personne, ne à Ausbourg ny ailleurs, se veulle laisser persuader à nous accomoder de finance, quelque grand party que leur voulons offrir. (P. 100.) En parlant des troupes, il dit que les confédérés ont pratiqué de longue main les meilleures en Allemagne, et que, ajoute-t-il, par faulte de finance et attendant la venue dudict duc (Maurice), nous sommes laissé prévenir. (P. 101.)
[67] Lettre de Charles-Quint à Ferdinand. Lanz, vol. III, p. 159.
[68] Lettre de Charles-Quint à Ferdinand. Lanz, vol. III, p. 160.
[69] Lanz, vol. III, p. 161.
[70] Lanz, vol. III, p. 161.
[71] Ce voyage tenté clandestinement et si vite arrêté, Charles-Quint le raconte lui-même dans une lettre du 30 mai 1552, datée de Villach en Carinthie et écrite à sa sœur, la reine de Hongrie. Cette lettre est insérée dans Bucholtz, vol. IX, p. 544 à 547.
[72] Charles-Quint raconte aussi à sa sœur sa fuite d'Insprück dans une autre lettre écrite également de Villach, à la date du 30 mai. Lanz, vol. III, p. 205, 204.
[73] Seckendorf, Histoire de la réformation de l'Église chrétienne en Allemagne, ad ann. 1552.
[74] Voir ses nombreuses lettres, depuis le 21 mars jusqu'au 8 juin, dans Lanz, vol. III.
[75] Déclaration finale de l'Empereur du 10 juillet, dans Lanz, vol. III, p. 558 à 360. — Son instruction en forme d'ordre à ses commissaires, le sommelier J. de Rye et le vice-chancelier Seld. Ibid., p. 361 à 365.
[76] Lettre de Charles-Quint à la reine Marie du 16 juillet 1552, dans Lanz, vol. III, p. 377, 378.
[77] Lettre de Charles-Quint à Ferdinand du 5 fév. 1554, dans Lanz, vol. III, p. 606.
[78] ... Quem auditum ferebant, quum diceret nempe fortunam esse juvenam amicam. Strada, De bello belgico, p. 11. — Bayle remarque judicieusement, dans la note K de son article sur Charles-Quint, que Machiavel avait déjà présenté et commenté cette maxime dans le chap. XXV de son Prince : ... Eperô sempre (la fortuna) come donnaè arnica de' giovani, perchè son meno rispetivi, più feroci e con più audacia la commandano.
[79] Sandoval, vol. II, lib. XXXI, § 24, p. 724 à 726. Lettre de Malinæus, écrite du camp devant Metz le 24 déc. 1552, p. 91, 92.
[80] Mémoire de l'ambassadeur Marillac à la cour de France de 1555. Ms. de la Bibi. nat., et imprimé dans Ranke, Deutsche Geschichtein Zeitalter der Reformation, vol. VI, p. 490 et suivante : Aussitost que le froid approche, il faut qu'il demeure enserré en un poisle, ou pour mieux dire en une fournaise en laquelle peut-on demeurer un quart d'heure, ettoutesfois il yest tout le jour. Au reste, il a trois maladies inveterées, lesquelles à chacune fois le conduisent à l'extrémité.
[81] Le cardinal Loysa, qui avait été son confesseur et qui était son ambassadeur auprès du Saint-Siège, lui écrivait de Rome à ce sujet. Cartas al emperador Carlos V escritas en los anos de 1530-32, copiadas de los autografos en el archivo de Simancas ; par G. Heine, in-8°, Berlin, 1848, p. 69.
[82] Correspondance de Marillac à Henri II et au connétable Anne de Montmorency, datée d'Augsbourg en 1550 et 1551, Bibl. nat., Ms. de Brienne, n° 89.
[83] Works of Roger Asham, London, 1761, in-4°, lettre du 20 janvier 1551, p. 575. — Le gallon contient quatre litres et demi.
[84] Lettre de Malinæus au seigneur de Præt, écrite le 24 décembre 1552, du camp devant Metz, p. 91, 92.
[85] Santiago y á ellos !
[86] Sandoval, vol. II, lib. XXII, § 7, p. 217.
[87] Siguenza, vol. III, lib. II, p. 445.
[88] Fue el emperador devotissimo de Nuestra Senora de Montserrate... Nueve vezes se halla por los libros, que Su Magestad visito esta santa casa... muchas limosnas diô, y cada vez que venia la mandava dar : n° queria que se supiesse lo que mandava dar, parece cantitad de veynte mil ducados por los libros : en una partida se hallan mil ducados, que mando libraren Zaragoça ano de 1524. (Sandoval, vol. II, p. 896,897.)
[89] Sandoval le raconte ainsi, d'après le manuscrit du prieur de Yuste, fray Martin de Angulo : Cuenta este padre... que bolviendo el emperador de la perdida de Argel y jornada de Italia, se recogio en la Mejorada, que es un insigne monasterio cerca de la villa de Olmedo... y que estuvo en el muchos dias, y viernes de la semana santa à la hora de comer se passeava por unas calles de cypreses muy hermosas que tienen en un cercado, preguntô que comia el convento, dixeronle que pan y agua, y mandôque le traxassen dos panezillos de los que los religiosos comian, y un jarro de agua, y en pie passeandose le comiô y beviô el agua, y con aquello passôaquel dia. (Vida del emperador en Yuste, vol. II, p. 830.)
[90] Sandoval, vol. II, lib. XXV, § 12, p. 409.
[91] Sandoval, vol. II, lib. XXV, § 11, p. 408.
[92] Le pape Grégoire XI, dans sa bulle du 18 octobre 1375, les avait appelés frères ou ermites de saint Jérôme, et leur avait donné la règle de saint Augustin comme ayant été l'ami de saint Jérôme. Siguenza, Historia de la orden de San Geronimo, part. II, p. 38, 39.
[93] Voir le deuxième volume de Siguenza.
[94] Ils surpassaient à cet égard tous les autres ordres. Siguenza, Historia de la orden de San Geronimo, part. II, p. 50 à 55. Les jours de fête ils restaient de dix à douze heures au chœur, p. 55.
[95] Don Antonio Ponz, Viage de España, segunda edicion, Madrid, 1784, in-12, vol. VII, carta IV, §§ 28 et 29, p. 69. Chaque année, on consommait dans le monastère 3.000 arrobes d'huile (une arrobe contient un peu plus de douze litres), 28.000 fanègues de blé (la fanègue contient environ cinquante-cinq litres), 3.000 moutons, 1.500 chèvres, 100 vaches, 150 porcs, sans compter les choses moins importantes.
[96] Siguenza, part. II, p. 50.
[97] Santa Maria de la Vitoria, près de Salamanque, et Nuestra Señora de la Concepcion, près de Grenade. Ibid., part. III, lib. I, p. 13 à 19, et fol. 47 à 54.
[98] Ibid., part. III, liv. I, fol. 107.
[99] Don Antonio Ponz, Viage en España, vol. VII, carta IV, § 32, p. 71, 72.
[100] Le prieur du couvent hiéronymite de Grenade en était le chapelain.
[101] Yuste es un sitio, lugar y tierra llamado anzi de un arroyo que está junto à este monasterio, que baxa de una sierra y se llama Yuste. (Manuscrit hiéronymite, c. XI, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. II.)
[102] Siguenza, part. II, ch. XXIX, p. 191 à 197.
[103] Retiro, estancia, etc., fol. 11 r°.
[104] Dans le liv. XII de son Histoire de Charles-Quint.
[105] Retiro, estancia, etc., fol. 11 r°.
[106] Retiro, estancia, etc., fol. 11 r°.
[107] Retiro, estancia, etc., fol. 12.
[108] Le contador Almaguer et le secrétaire Vasquez de Molina écrivirent à l'Empereur que son projet n'avait pas été ébruité par leur faute, ajoutant que c'était par l'indiscrétion des moines : Habladurias de frayles que por n° saber lo que son negocios, n° tenian al secreto que estos requieren. (Retiro, estancia, etc., fol. 12 r°.)