L'évêque de Paris et autres résignent leurs pouvoirs (7 novembre). — Les
Comités essaient de terroriser l'Assemblée. — Ils s'appuient de la résistance
de Grégoire. — Irritation de Robespierre. — Les Comités frappent la Convention. — Accord
de Chaumette et de la
Convention. — Fête de la Raison à Notre-Dame (10 nov. 1793). — Basire
réclame contre l'asservissement de l'Assemblée et contre l'avilissement de la Justice convention. — La Convention reçoit la Raison et la suit à
Notre-Dame (10 novembre).
La chose fut sue à l'instant même aux Comités de salut
public et de sûreté. Violente fut leur irritation contre ces audacieuses
nouveautés, contre l'initiative hardie de la Commune, contre
l'encouragement secret qu'elle trouvait dans la Montagne. line machine
fut montée pour faire manquer tout l'effet de la scène qui se préparait.
La séance s'ouvrit par la lettre d'un prêtre marié qui
brutalement abjurait, disait que lui et ses confrères n'étaient que des
charlatans, puis demandait pension pour lui, sa femme et ses
enfants. — Lettre habilement combinée pour avilir d'avance la démission de
Gobel, pour montrer que la suppression du clergé ne ferait qu'augmenter les
charges publiques.
Gobel avec son clergé, amené par la Commune, parla avec
convenance, n'abjura aucune doctrine et remit ses fonctions. Il fut imité de
plusieurs prêtres et évêques de la Convention, spécialement du frère de Lindet qui
parla avec beaucoup de noblesse et de gravité : Ce
n'est pas tout de détruire, dit-il, il faut
remplacer... Prévenez le murmure que feraient naître dans les campagnes
l'ennui de la solitude, l'uniformité du travail, la cessation des assemblées...
Je demande un prompt rapport sur les fêtes nationales.
Chaumette pria l'Assemblée de donner dans le calendrier
une place à la fête de la
Raison.
Ce fut au nom de la Raison que deux représentants du peuple, l'un
évêque catholique, l'autre ministre protestant, se réunirent à la tribune, donnèrent leur
démission ensemble et se donnant la main. Ils n'abjurèrent point (quoi qu'en dise le Journal de la Montagne, rédigé alors
par un homme de Robespierre).
A ce moment qui n'était pas sans grandeur, dans l'émotion
de l'Assemblée, Amar, de la douce voix qui lui était ordinaire, prend la
parole, au nom du Comité de sûreté générale ; il demande que les portes de la
salle soient fermées. Nul n'objecte. Décrété. Tous les cœurs se contractèrent.
On savait, depuis le 3 octobre, ce que devait amener ce préalable sinistre ;
il fallait des victimes humaines. Amar lit alors une lettre adressée de Rouen
à un membre peu connu de l'Assemblée ; on lui donnait la nouvelle que Rouen allait en masse au secours de la Vendée.
Le contraire était
exact ; les Comités savaient parfaitement que les Normands étaient en marche
contre la
Vendée. L'invention parut si misérable que l'Assemblée
rassurée demanda d'un cri quel était le signataire d'une telle lettre. Amar
avoua qu'elle était anonyme. Quoi ! dit Basire, notre liberté dépend d'une lettre anonyme ! Si cela suffit
pour arrêter un représentant, la contre-révolution est faite !
Amar descendit de la tribune et alla se cacher.
On avait gardé pour le dernier acte Grégoire l'évêque de
Blois. Il vint enfin fort à point pour les Comités, malade de cette chute.
Absent jusqu'à ce dernier moment de la séance, il vint à leur prière, je n'en
fais nul doute. Leur politique, tristement démasquée par la tentative d'Amar
pour terroriser l'Assemblée, avait grand besoin de secours. On lança le
gallican. Grégoire, courageux de lui-même, sanguin, colérique, fort
d'ailleurs de se sentir défenseur du Gouvernement, fut vaillant à bon marché
contre la Montagne
: Je ne tiens mon autorité ni de vous, ni du peuple.
Je suis évêque, je reste évêque. La Montagne poussa des
cris furieux. Mais, dès lors, les gallicans pouvaient la braver, réfugiés
qu'ils étaient sous l'abri des Comités et de Robespierre.
L'irritation était extrême coutre l'acte inqualifiable des
Comités. Elle passa même aux Jacobins. On y attaqua le faiseur de
Robespierre, un Laveaux, directeur du Journal de la Montagne, qui venait
d'y faire pour lui un article religieux. Les Jacobins lui ôtèrent la
direction du journal, et ils nommèrent président de la Société Anacharsis
Clootz.
Le soir même de la grande séance, Clootz avait été aux
comités, tâter Robespierre. Il le trouva exaspéré, mais se contenant.
Robespierre, sans toucher le fond, ni faire pressentir sa dénonciation
prochaine, ne dit que ce petit mot : Vous vouliez
nous gagner la Belgique
catholique, et vous la mettez contre nous !
Pendant que Clootz parlait à Robespierre, Chaumette, de
retour à la Commune,
siégeant au conseil général, fit la demande hardie que la fête de la Raison, qui devait se
faire au Cirque du Palais-Royal, se fit dans l'église même de Notre-Dame, au
lieu et place du culte supprimé, et sur son autel.
Il prenait là une position agressive contre les Comités.
Ils résolurent d'y répondre par un coup de terreur sur la Convention. Terrorisée,
elle servirait elle-même d'arme pour écraser la Commune.
Ils avaient en main une affaire sérieuse, à faire trembler
la Montagne,
à troubler chacun pour soi. Il n'y avait pas un Montagnard qui n'eût sauvé
quelques proscrits. Les plus terribles en paroles étaient souvent les plus
humains. On avait preuve qu'un des purs, un de ceux qui partaient le mieux le
masque de la Terreur,
cachait chez lui une femme, une jeune femme émigrée. Cette femme éperdue de
peur s'était mise dans l'antre du lion, réfugiée au Comité de sûreté
générale, chez Osselin, qui en était membre : L'aimait-il ? ou fut-il saisi,
comme il arrivait parfois aux plus fermes, d'un violent accès de pitié ? On
ne sait. Elle fut découverte à Paris. Il la sauva, la cacha chez son oncle,
vicaire d'un village dans les bois de Versailles. Osselin, plein de son
péril, pour éloigner les soupçons, devint à la Convention un
implacable terroriste. En septembre, il ne veut pas qu'on entende Perrin
accusé. En octobre, il fait porter le décret cruel qui décapita la Gironde. En
novembre, il fait arrêter Soulés, ami de Chalier, administrateur de police,
pour avoir à la légère élargi des suspects. — Et le même jour, 9 novembre, le
Comité de sûreté vient à la
Convention, arrache à Osselin son masque ; ce terrible
puritain a caché madame Charry.
La
Convention tout entière baissa les yeux, frémit. Bien
d'autres se sentaient coupables.
L'événement eut sur-le-champ son contrecoup à la Commune. A l'occasion
d'une demande de la section d'Henriot pour qu'on poursuivît les électeurs
girondins qui avaient jadis voté pour avoir un autre commandant qu'Henriot,
Chaumette laissa échapper son cœur. Il s'éleva avec une franchise fort
inattendue contre
ce système universel de dénonciations : Ceux
qui dénoncent, dit-il, ne veulent le plus
souvent que détourner les regards d'eux-mêmes, reporter le danger sur
d'autres. On arrête le dénoncé, il
faudrait arrêter pareillement le faux dénonciateur.
C'est sous cette bannière de modération et de justice
indulgente, que s'inaugura le lendemain (10
novembre) la nouvelle religion. Gossec avait fait les chants, Chénier
les paroles. On avait, tant bien que mal, en deux jours bâti dans le chœur,
fort étroit, de Notre-Dame, un temple de la Philosophie,
qu'ornaient les effigies des sages, des pères de la Révolution. Une
montagne portait ce temple ; sur un rocher brûlait le flambeau de la Vérité. Les
magistrats siégeaient sous les colonnes. Point d'armes, point de soldats.
Deux rangs de jeunes filles encore enfants faisaient tout l'ornement de la
fête ; elles étaient en robes blanches, couronnées de chêne, et non, comme on
l'a dit, de roses.
Quel serait le symbole, la figure de la Raison ? Le 7 encore, on
voulait que ce fût une statue. On objecta qu'un simulacre fixe pourrait
rappeler la Vierge
et créer une
autre idolâtrie. On préféra un simulacre mobile, animé et vivant,
qui, changé à chaque fête, ne pourrait devenir un objet de superstition. Les
fondateurs du nouveau culte, qui ne songeaient nullement à l'avilir,
recommandent expressément dans leurs journaux, à ceux qui voudront faire la
fête en d'autres villes, de choisir pour remplir un râle si auguste des personnes
dont le caractère rende la beauté respectable, dont la sévérité de mœurs et
de regards repousse la licence et remplisse les cœurs de sentiments honnêtes
et purs. Ceci fut suivi à la lettre. Ce furent généralement des
demoiselles de familles estimées qui, de gré ou de force, durent représenter la Raison. J'en ai
connu une dans sa vieillesse, qui n'avait jamais été belle, sinon de taille
et de stature ; c'était une femme sérieuse et d'une vie irréprochable. La Raison fut représentée à
Saint-Sulpice par la femme d'un des premiers magistrats de Paris, à
Notre-Dame par une artiste illustre, aimée et estimée, Mlle Maillard. On sait
combien ces premiers sujets sont obligés (par
leur art même) à une vie laborieuse et sérieuse. Ce don divin leur est
vendu au prix d'une grande abstinence de la plupart des plaisirs. Le jour où
le monde plus sage rendra le sacerdoce aux femmes, comme elles l'eurent dans
l'Antiquité, qui s'étonnerait de voir marcher à la tête des pompes nationales
la bonne, la charitable, la sainte Garcia Viardot ?
La Raison,
vêtue de blanc avec un manteau d'azur, sort du temple de la Philosophie, vient
s'asseoir sur un siège de simple verdure. Les jeunes filles lui chantent son
hymne ; elle traverse au pied de la montagne en jetant sur l'assistance un
doux regard, un doux sourire. Elle rentre, et l'on chante encore... On
attendait... C'était tout.
Chaste cérémonie, triste, sèche, ennuyeuse[1].
La
Convention, le matin, avait promis d'assister à la fête,
sûr la demande expresse des Indulgents, réconciliés avec Chaumette, mais une
violente discussion la tint tout le jour. Saisissant une occasion indirecte,
Basire éclata, revint sur l'affaire d'Osselin ; lui aussi, il avait sauvé des
proscrits. Il parla avec une vivacité, une franchise sans réserve, qui fit
frissonner l'Assemblée, une sensibilité violente, comme un homme qui défend
son cœur, sa liberté et sa vie. Où s'arrêtera,
dit-il, cette
boucherie de représentants ? cette
proscription de tous les fondateurs de la République ? cet
audacieux système de terroriser l'Assemblée ? Nous retournons au despotisme...
Assez, assez de victimes !... Eh 1 ne voyez-vous pas que ceux qu'on poursuit, pour avoir
péché par faiblesse, ne sont nullement des ennemis de la Révolution ?...
Savez-vous ce qu'on va faire ? c'est que l'Assemblée
glacée, tombera dans un honteux mutisme ?... Et
qui osera, dans cette mort de l'Assemblée, montrer plus de courage qu'elle ?...
Tous fuiront les fonctions publiques, chacun s'enfermera
chez soi et tout finira dans la solitude.
Elle se faisait déjà sentir. Le désert s'étendait chaque
jour. Il avait fallu payer l'assistance aux sections. Les clubs étaient nuls.
Le club
central des sociétés populaires fut visité un jour par les Jacobins
qui n'y trouvèrent que six personnes. Les Jacobins eux-mêmes n'étaient guère
nombreux à cette époque. Lorsque Couthon leur demanda quarante Jacobins pour
l'aider à Lyon, ils refusèrent ce grand nombre, de crainte de se dépeupler eux-mêmes.
Même les fonctions salariées, et les plus brillantes, n'étaient acceptées que
par force. Kléber dit qu'une nomination de général s'appelait un brevet d'échafaud.
Il fallut un ordre exprès et menaçant du Comité pour forcer Jourdan de se
laisser faire général en chef.
Où était le mal de la situation ? dans
l'anéantissement de la justice.
Le vrai jury d'accusation, c'étaient les Jacobins.
Cette société, si utile politiquement, n'avait nullement la fixité, la suite
qu'aurait demandées ce rôle judiciaire. Le dossier des Girondins, enlevé par
elle, fut quelque temps égaré. Sa mobilité était excessive. En novembre, elle
prit Clootz pour son président, et sans cause, elle le raya outrageusement en
décembre.
Le tribunal révolutionnaire n'était pas organisé.
Sauf Antonelle, Herman, Palan, il ne comptait que des hommes illettrés, ou
des adolescents, dont plusieurs étaient de la réquisition, et jugeaient pour
ne pas combattre. Un garçon léger, étourdi, comme Vilatte dont on a les
mémoires, de jeunes peintres (très-nombreux à
ce tribunal) ne présentaient nullement le haut jury, imposant et
grave, qui pouvait juger sérieusement les crimes de trahison, juger des
représentants, juger Danton ou Robespierre !
Les grands coupables ayant presque tous émigré, ce
tribunal expédiait généralement de pauvres diables qui avaient crié Vive le roi !
ou envoyé une lettre à un émigré. On réparait la qualité par la quantité. Et
il en résultait seulement qu'en voyant tomber pêle-mêle tant de gens obscurs,
et obscurément, sommairement jugés, on les croyait tous innocents.
Un seul procès, un seul exemple, mis en grande lumière,
éclairci avec force et grandeur, entouré d'une grande publicité, aurait
produit infiniment plus d'effet que beaucoup de morts obscures. Un saumon
vaut cent grenouilles», disait très-bien le duc d'Albe.
Le procès de la
Dubarry, habilement conduit, repris dans tous ses
précédents, avec ses ornements naturels du Parc-aux-cerfs, des millions jetés
aux filles, avec ses rapprochements légitimes des vols immenses, des guerres
de la Pompadour,
— enfin l'ouverture totale de l'égout de Louis XV, — le tout tiré à 600.000,
— eût été plus efficace contre le royalisme, que de guillotiner par
vingtaines des domestiques, des porteurs d'eau ivres, ou de vieilles femmes
idiotes.
Les patriotes de Laval écrivirent que les prêtres vendéens
avaient fait rôtir des hommes, nourri les feux des bivouacs de leur armée
fugitive avec de la chair humaine. Si le fait était exact, on ne devait pas
fusiller dans un coin ces cannibales, il fallait les amener au grand jour de
Paris, les juger solennellement et donner au jugement une telle publicité
qu'il n'y eût pas un paysan en France, dans les lieux les plus écartés, qui
n'en eût pleine connaissance.
A ces justes jugements des monstres vivants, la Révolution pouvait mettre
en confrontation le jugement des morts. Que servait de souiller l'air des
cendres de Charles IX ? il fallait amener à comparaître le roi de la Saint-Barthélemy,
en face de ses élèves, les modernes brûleurs d'hommes.
Revenons au discours de Basire et à la Convention.
Elle allait décidément tomber au rôle de machine à
décrets, si, à la moindre parole libre, ses membres les plus illustres,
dénoncés par un jacobin quelconque (Brichet,
Brochet, Blanchet, ou autre), s'en allait, obtorto collo, droit au tribunal
révolutionnaire devant des rapins étourdis, sans pouvoir dire seulement un
mot d'explication à la
Convention.
Il fallait savoir, oui ? ou non ? si l'on voulait une
Assemblée ?
Dans celle-ci, qui fut si cruellement épurée et mutilée,
combien y avait-il d'hommes coupables ? Cinq ou six fripons, pas un traître,
à cette époque, du moins. Le peu qu'il y avait de coupables n'étaient
nullement de ceux qui pouvaient perdre la République. Il
eût encore mieux valu les laisser impunis, que de terroriser, comme on fit,
l'Assemblée jusqu'au suicide.
Ce mutisme, qu'on recommande parfois dans une place
assiégée, au moment de l'assaut, n'était nullement de saison, lorsque la France, sauvée par la
victoire de Watignies, avait devant elle six mois pour se reconnaître. Lyon
était réduit, les Girondins ralliés. Restaient à reprendre deux points sur
l'extrême frontière, Landau et Toulon. Cette situation n'expliquait nullement
un tel anéantissement systématique des libertés de la tribune.
Quoique Chabot, Thuriot, Desmoulins, aient parlé
maladroitement et gâté l'impression, toute l'Assemblée suivit Basire, et
décréta cette chose décrétée par la justice elle-même : Que nul de ses
membres n'irait au tribunal, sans avoir pu s'expliquer auparavant devant la Convention.
La Raison,
à ce moment, entrait dans la salle avec son innocent cortège de petites
filles en blanc ; — la Raison,
l'humanité. Chaumette qui la conduisait, par la courageuse initiative de
justice qu'il avait prise la veille, s'harmonisait entièrement au sentiment
de l'Assemblée.
Une fraternité très-franche éclata entre la Commune, la Convention et le
peuple. Le président fit asseoir la
Raison prés de lui, lui donna, au nom de l'Assemblée,
l'accolade fraternelle, et tous, unis un moment sous son doux regard,
espérèrent de meilleurs jours.
Un pâle soleil d'après-midi (bien
rare en brumaire) pénétrant dans la salle obscure, en éclaircissait un
peu les ombres. Les Dantonistes demandèrent que l'Assemblée tînt sa parole,
qu'elle allât à Notre-Dame, que, visitée par la Raison, elle lui rendit
sa visite. On se leva d'un même élan.
Le temps était admirable, lumineux, austère et pur, comme
sont les beaux jours d'hiver. La Convention se mit en marche, heureuse de cette
lueur d'unité qui avait apparu un moment entre tant de divisions. Beaucoup
s'associaient de cœur à la fête, croyant de bonne foi y voir la vraie
consommation des temps.
Leur pensée est formulée d'une manière ingénieuse dans un
mot de Clootz : Le discordant fédéralisme des sectes
s'évanouit dans l'unité, l'indivisibilité de la Raison.
Romme ajoutait l'immutabilité.
Un jour, dit l'évêque Grégoire, il nous proposait, sur certaines données
astronomiques, de décréter l'année, comme elle serait dans 3.600 ans. — Tu
veux donc, lui dis-je, que nous décrétions l'éternité ?— Sans doute, dit le
stoïcien.
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