(15 Octobre. — 8 Novembre 1793).
La victoire sauve Robespierre de Collot et de Philippeaux (19 octobre). — Procès des Girondins (24-30 octobre 1793). — On étouffe le procès par un décret (29 octobre). — Mort des Girondins (30 octobre 1793). — Faible effet de l'exécution. — Mort de madame Roland, (8 novembre 1793). — Mort de Roland.La bataille se donna plus tard qu'on ne croyait. Tout le monde attendait à Paris dans une extrême anxiété, mais personne plus que Robespierre. Si elle était gagnée, elle allait remplir les esprits, rendre minime l'affaire de Lyon, balancer l'effet dangereux du vainqueur de Lyon arrêté. Dubois-Crancé était en route, captif et portant ses drapeaux. Point de nouvelle le 13, point le 14. Robespierre
s'alarma, il chercha une occasion de se mettre à part de Couthon, de se laver
les mains de ce qui pouvait se faire à Lyon. Pour se disculper d'indulgence,
il attaqua un indulgent, le très-suspect Julien de Toulouse, qui (surprenant effet de la coalition) avait fait
approuver d'Hébert, de Ainsi Robespierre reculait, il abandonnait Couthon. Hébert
à l'instant recula ; La reculade de Robespierre aurait été sans dignité, s'il n'eût au moment même frappé un nouveau coup. Un Jacobin influent, ami d'Hébert et de Collot, disparut le matin du 15, sans que personne pût en donner nouvelle. Collot, le soir, aux Jacobins, arriva si furieux, que les
Robespierristes, effrayés, le prévinrent eux-mêmes, demandèrent une enquête.
L'homme enlevé était Desfieux, ex-espion du Comité de salut public. à logeait
avec un homme plus suspect encore, un Proly, Autrichien, bâtard du prince de
Kaunitz. Ils avaient disparu tous deux. Collot jette feu et flamme ; il se
garde bien de vouloir deviner que l'enlèvement mystérieux est l'œuvre du
Comité de sûreté générale. Il veut ignorer, crie, cherche, pleure, rugit : On nous prendra tous, dit-il, aujourd'hui l'un, demain
l'autre. De là il court à Un Jacobin enlevé, à l'insu de Collot, le même jour, y montait une forte scène contre
Couthon et Robespierre, voulant rendre coup pour coup. Couthon, pour se
concilier La société, peu satisfaite, accueillit d'autant mieux une proposition que jadis Robespierre avait fait rejeter, celle de mettre Marat au Panthéon, avec Chalier et J.-J. Rousseau. Il devenait probable, d'après ceci, que Dubois-Crancé allait trouver un accueil sympathique. Avec lui, arrivait de Lyon l'ami de Chalier, le second Chalier, la victime des Girondins, Gaillard, qui, pendant tout le siège, était resté dans les cachots, et qui, n'espérant rien de Couthon, venait demander vengeance à l'Assemblée, aux Jacobins. Dubois-Crancé arriva le 19 avec Gaillard. Et ce jour même où Robespierre avait à redouter cette terrible accusation de modérantisme, paraissait un violent rapport de Philippeaux, contre la protection que Robespierre avait donnée en septembre, à Ronsin, aux exagérés. Il était pris de deux côtés. Mais ce même jour, 19 octobre, tomba, comme du ciel, la nouvelle de la victoire. Robespierre était sauvé, l'effort de ses ennemis atténué.
Dubois-Crancé, reçu à Les Jacobins montrèrent en cette circonstance qu'ils étaient des politiques, bien moins prenables au fanatisme qu'on n'aurait pu le croire. Couthon, qui les connaissait parfaitement et qui comptait
sur eux, montra plus de sang-froid que Robespierre. Il neutralisa à Lyon tout
l'élan des vengeances. Il se hâta lentement d'organiser ses tribunaux. Quand
il reçut le décret exterminateur, il répondit avec admiration, avec
enthousiasme à La mort des Girondins, demandée tant de fois, fut le calmant qu'on crut devoir donner à la fureur des violents qui s'indignaient de voir cette immense proie de Lyon fondre et s'échapper de leurs mains. Les vingt-deux députés arrêtés le 2 juin étaient réduits
par la fuite ou la mort à une douzaine. On en ajouta d'autres qui n'étaient
point de Fouquier-Tinville avait pour la dixième fois demandé les pièces. On a vu que les Jacobins s'en étaient emparés. Ils les cherchèrent dans leurs archives et plusieurs jours. On retrouva enfin dans un coin un petit dossier, si nul que Fouquier n'osa le montrer. Nulle pièce ne fut communiquée d'avance aux défenseurs. Au jour de l'ouverture des débats, Fouquier cherchait encore. On n'était pas sans inquiétude sur la manière dont Paris prendrait cette hécatombe. L'immense majorité des sections était girondine, et quoiqu'elles fussent muettes, terrifiées, tenues comme aplaties par leurs comités révolution t'aires, on craignait un réveil. A tort. Paris était très-mort. Les Girondins étaient très-vieux. L'attention était ailleurs. On les exhuma pour les tuer. Toutefois on crut utile de créer une diversion (et burlesque) à la tragédie, comme la queue
du chien d'Alcibiade. Des femmes de clubs, coiffées du bonnet rouge,
habillées en hommes et armées, se promenèrent aux Halles, trouvèrent mauvais
que les poissardes n'eussent pas la cocarde. Celles-ci, royalistes et fort colères,
comme on sait, tombèrent sur les belles amazones, et de leurs robustes mains
leur appliquèrent, au grand amusement des hommes, une indécente correction.
Paris ne parla d'autre chose. Une autre chose fit tort aux Girondins. On plaça leur
procès immédiatement après celui du député Perrin, condamné aux fers pour
spéculations scandaleuses, exposé le 19 à la place de Royalistes et Girondins furent habilement entremêlés. La
reine périt le 16, les Girondins le 30, Mme Roland le 8, et le surlendemain
un royaliste, Bailly. Le Girondin Girey-Dupré le 21, et peu de jours après le
royaliste Barnave. En décembre, les exécutions des Girondins Kersaint,
Rehaut, furent faites ainsi pêle-mêle avec celle de Qu'il eût bien mieux valu pour eux périr le 2 juin, sur
les bancs de Sauf cette faiblesse qu'ils eurent de plaider, ils montrèrent beaucoup de constance dans leurs principes, Républicains sincères, invariables dans la haine des rois, pleins d'immuable foi aux libertés du monde. Du reste, fidèles aussi à la philosophie du XVIIIe siècle, sauf deux, le marquis et l'évêque, Fauchet et Sillery, tous les autres étaient de la religion de Voltaire ou de Condorcet. On voit encore aux Carmes les trois ou quatre greniers qu'y occupèrent les Girondins. Les murs sont couverts d'inscriptions. Pas une n'est chrétienne. Le mot Dieu n'y est qu'une fois. Toutes respirent le sentiment de l'héroïsme antique, le génie stoïcien. Celle-ci est de Vergniaud : Potius more quam fœdari. La mort ! Et non le crime. Les faibles Mémoires de Brissot, écrits dans sa longue prison, témoignent du même caractère. On sent un cœur qui ne s'appuie que sur le droit et le devoir, sur le sentiment de son innocence, sur l'espoir du progrès et le futur bonheur des hommes. Croirait-on que l'infortuné qui écrit sous la guillotine ne s'occupe que d'une chose sur laquelle il revient toujours, l'esclavage des noirs ! Indifférent à ses fers, il ne sent peser sur lui que les fers du genre humain. Les trois grands procès du tribunal révolutionnaire (ceux de la reine, des Girondins, de Danton) ont été conduits par le même homme, Herman, président du tribunal. C'était un homme d'Arras, compatriote et ami personnel de Robespierre. Dans les différentes listes que celui-ci a laissées d'hommes qui devaient arriver aux grands emplois, le premier nommé en tête est toujours Herman. Un homme de lettres distingué, d'Arras, qui vit encore dans un grand âge, m'a souvent conté qu'il l'avait connu. Herman était un homme de maintien posé, de parole douce, de figure sinistre ; il louchait extrêmement d'un œil et paraissait borgne. Il n'y eut aucune hypocrisie dans le procès. Tout le monde vit de suite qu'il ne s'agissait que de tuer. On dédaigna toutes les formalités, usitées encore à cette époque au tribunal révolutionnaire. Point de pièces communiquées. Les accusateurs (Hébert et Chaumette), reçus comme témoins. Aucune défense d'avocat. Plusieurs des accusés ne purent parler, chose bien nécessaire pourtant dans un procès où l'on accolait ensemble des hommes accusés de crimes tout différents, les uns de faits, les autres de paroles, quelques-uns d'opinions. Ce qui fut très-choquant, ce fut de voir arriver pour accabler les vingt-deux, morts d'avance, jugés pour la cérémonie, des hommes eux-mêmes en péril, et qui, sous le coup d'une extrême peur, croyaient racheter leur vie en se faisant bourreaux. Desfieux, que l'on a vu tout à l'heure arrêté et
violemment délivré par Collot, par l'émeute de Chabot était dans le même cas. Il n'était nullement cruel,
et quand Garat alla prier Robespierre pour les Girondins, Chabot qui était
là, laissa voir de l'intérêt pour eux. Mais l'ex-moine, homme de chair,
paillard, lâche et bas, mourait de peur, faisant en même temps ce qu'il
fallait pour mourir. Il se faisait riche, engraissait, épousait une fille de
banque. Et plus il engraissait, plus sa peur croissait. Il s'évanouissait
presque devant Robespierre. Il l'avait, par étourderie, blessé sur l'article
délicat de Les Girondins étaient accusés d'avoir été amis de
Lafayette, d'Orléans et de Dumouriez. Tous trois, s'ils n'eussent été
absents, auraient dit, sans nul doute, ce qui était vrai, qu'au contraire ils
avaient trouvé dans La déclaration de guerre à tous les rois leur fut imputée au procès, avec raison. — Elle leur appartient et leur reste dans l'histoire ; c'est leur titre de gloire éternelle. Du reste, que les Girondins fussent coupables ou non, il eût fallu du moins, dans ces vingt-deux, mettre à part ceux qui se trouvaient là introduits par erreur, et qui, en réalité, n'étaient pas Girondins. Fonfrède et Ducos, par exemple, assis à la droite, avaient
le plus souvent voté avec Deux hommes encore étaient à part, et ne pouvaient se
mêler avec Qu'avaient-ils eu pour allié, pour ami, dans cette guerre
d'Avignon ? Le maire d'Arles, Antonello, et c'était lui justement qui
présidait le jury. Antonelle, ex-marquis, forcé par là d'être implacable,
âpre d'ailleurs de nature, sincère amant de Il y avait déjà sept jours que durait le triste procès. à était beaucoup moins avancé que le premier jour. Il devenait impossible de le dénouer sans le glaive. Il fallut à la lettre guillotiner le procès, afin de pouvoir ensuite guillotiner les accusés. Le matin du 29 octobre, Fouquier-Tinville fait lire la loi sur l'accélération des jugements. Herman demande si les jurés sont suffisamment éclairés. Antonelle répond négativement. Cependant on voulait finir. On court aux Jacobins. On obtient d'eux une députation pour demander à l'Assemblée de décréter qu'au troisième jour le jury peut se dire éclairé, et fermer les débats. La minute du décret s'est retrouvée, écrite par Robespierre. Chose étrange ! ce fut un indulgent qui appuya la chose, le dantoniste Osselin. C'était lui-même un homme terrorisé, en péril ; il avait chez lui une jeune femme émigrée, qu'il cachait. Dans son anxiété, il croyait se couvrir en donnant ce couteau pour en finir avec les Girondins. Lui-même il fut pris quelques jours après. Le décret demanda du temps. Herman, pour passer quelques
heures, pour empêcher surtout de parler Gensonné, le logicien de Ils sont tous condamnés à mort. Plusieurs des condamnés n'y croyaient pas. Ils poussèrent des cris de malédiction. Vergniaud, préparé sur son sort, demeurait impassible. Valazé se perça le cœur. La scène fut si terrible, dit Chaumette, qui était présent, que les gendarmes restèrent littéralement paralysés. Les accusés qui maudissaient leurs juges, auraient pu les poignarder, sans que rien y fit obstacle. Mais le plus tragique accident eut lieu dans l'auditoire. Camille Desmoulins s'y trouvait. La sentence lui arracha un cri : Ah ! malheureux ! c'est moi, c'est mon livre qui les a tués. Il n'était pas loin de minuit. Le mort et les vivants
redescendirent du tribunal dans les ténèbres de D'une voix grave, ils marquaient la descente du funèbre
escalier par le chant de Contre nous de la tyrannie Le couteau sanglant est levé. Les autres prisonniers veillaient et attendaient. Ce mot
convenu leur dit la sentence, et que c’était fait de Eux, ils ne pleuraient pas. Un repas soigné, délicat, avait été envoyé par un ami pour le dernier banquet. Deux prêtres voulaient les confesser. L'évêque et le marquis, Fauchet et Sillery, acceptèrent seuls. Si l'on en croit l'un de ces prêtres (qui lui-même avoue ne pas être entré dans la salle),
ils auraient passé la nuit à parler de religion. Pour le croire, il faudrait
bien peu connaître ces temps et De quoi donc parlèrent-ils ? Pauvres gens, pourquoi vous le dire ? Etes-vous dignes de le savoir, vous qui pouvez le demander ? Ils parlèrent de Ils parlèrent (nous
l'affirmons et le jurons au besoin) de Fondateurs de Le 30 octobre se leva pâle et pluvieux, un de ces jours blafards qui ont l'ennui de l'hiver et n'en ont pas le nerf, la salutaire austérité. Dans ces tristes jours détrempés, la fibre mollit ; beaucoup sont au-dessous d'eux-mêmes. Et l'on avait eu soin de défendre qu'on donnât désormais aucun cordial aux condamnés. Le cadavre, déjà livide, de Valazé, mis dans les mêmes charrettes, la tête pendante, sur un banc, était là pour énerver les cœurs, réveiller l'horreur de la mort ; ballotté misérablement à tous les cahots du pavé, il avait l'air de dire : Tel je suis, et tel tu vas être. Au moment où le lugubre cortège des cinq charrettes sortit
de la sombre arcade de Ils allaient forts de leur foi, d'une foi simple, où tant de questions obscures qui devaient surgir depuis, ne se mêlaient pas encore. Forts de leur ignorance aussi sur nos destinées futures, sur nos malheurs et sur nos fautes. Forts de leur amitié, la plupart allaient deux à deux et
se réjouissaient de mourir ensemble. Fonfrède et Ducos, couple jeune,
innocent, frères par l'hymen de deux sœurs, n'auraient pas voulu de la vie,
pour survivre séparés. Mainvielle et Duprat, couple souillé, voué à la
fatalité, frères dans l'amour d'une femme, frères dans ce frénétique amour de
Le chœur allait diminuant, à mesure que la faulx tombait.
Rien n'arrêtait les survivants. On entendait de moins en moins dans
l'immensité de la place. Quand la voix grave et sainte de Vergniaud chanta la
dernière, on eût cru entendre la voix défaillante de Les assistants des débats, les spectateurs du supplice, furent également émus, mais, s'il faut le dire, l'impression fut assez faible dans Paris. Ce grand et terrible événement n'entraîna pas l'agitation qu'avait excitée l'affaire de Custine, si peu importante relativement. Les morts stoïques affectaient peu. Les masses jugeaient ces tragédies uniquement au point de vue de la sensibilité. Les larmes que le vieux général versait sur ses moustaches grises, sa dévotion attendrie et l'étreinte de son confesseur, son intéressante belle-fille qui l'avait entouré, défendu de sa piété filiale, tout cela faisait un tableau touchant de nature et de faiblesse qui émouvait et troublait. L'émotion fut au comble, le jour de l'exécution de la plus indigne victime, de madame Dubarry. Son désespoir, ses cris, sa peur et ses défaillances, son violent amour de la vie, firent vibrer en tous une corde matérielle, la sensibilité instinctive ; on se souvint que la mort est quelque chose ; on douta que la guillotine, ce supplice si doux, ne fût rien. La mort de madame Roland, justement pour cette raison, fut
à peine remarquée (8 novembre). Cette
reine de Elle avait fait la gloire de son parti, de son époux, et n'avait pas peu contribué à les perdre. Elle a involontairement obscurci Roland dans l'avenir. Mais elle lui rendait justice, elle avait pour cette âme antique, enthousiaste et austère, une sorte de religion. Lorsqu'elle eut un moment l'idée de s'empoisonner, elle lui écrivit pour s'excuser près de lui de disposer de sa vie sans son aveu. Elle savait que Roland n'avait qu'une unique faiblesse, son violent amour pour elle, d'autant plus profond qu'il le contenait. Quand on la jugea, elle dit : Roland se tuera. On ne put lui cacher sa mort. Retiré près de Rouen, chez des dames, amies très-sûres, il se déroba, et pour faire perdre sa trace, voulut s'éloigner. Le vieillard, par cette saison, n'aurait pas été bien loin. Il trouva une mauvaise diligence qui allait au pas ; les routes de 93 n'étaient que fondrières. Il n'arriva que le soir aux confins de l'Eure. Dans l'anéantissement de toute police, les voleurs couraient les routes, attaquaient les fermes ; des gendarmes les poursuivaient. Cela inquiéta Roland, il ne remit pas plus loin ce qu'il avait résolu. Il descendit, quitta la route, suivit une allée qui tourne pour conduire à un château ; il s'arrêta au pied d'un chêne, tira sa canne à dard et se perça d'outre en outre. On trouva sur lui son nom, et ce mot : Respectez les restes d'un homme vertueux. L'avenir ne l'a pas démenti. Il a emporté avec lui l'estime de ses adversaires, spécialement de Robert Lindet. On le trouva le matin, et, l'autorisation venue, on l'enfouit négligemment, hors de la propriété, à l'angle de la grande route. On lui jeta deux pieds de terre. Les jours suivants, les enfants y venaient jouer, et enfonçaient des baguettes pour sentir le corps. Nulle attention du public. |