(25 Septembre 1793).
Violence des Hébertistes. Loi des Suspects. — Désespoir de Danton. — Les Hébertistes dénoncés (25 septembre). — Victoire de Robespierre à la Convention. — Maitre de la Justice et de la Police, il essaie la modération (5 octobre 1793).Merlin de Thionville ne perdit pas une minute. Il arriva derrière Ronsin, chargé des preuves de son-crime, des ordres qu'il avait fait signer à son mannequin Rossignol pour trahir l'armée de Mayence et faire périr Kléber. Que trouve-t-il ? les amis de Ronsin au pinacle. Tout le monde lui rit au nez. On lui conseille d'être prudent, de s'excuser, s'il peut, lui-même, de sa défaite de Torfou. Les Hébertistes ne gardaient aucune mesure. Dans l'affaiblissement de Danton et de Robespierre, ils maîtrisaient les Jacobins et les faisaient marcher. Pour mot de la situation, pour ralliement des patriotes, pour épreuve des bons citoyens, ils avaient pris la mort des Girondins. A tout ce qu'on disait, ils objectaient : Les Girondins vivent encore. Poursuivant tout le monde avec ce verre de sang qu'ils vous forçaient de boire, ils faisaient reculer les Dantonistes, les stigmatisaient du nom d'indulgents. Les Jacobins, poussés, défiés, marchant sous l'aiguillon, voulaient prouver leur énergie. Le 5, le 9, le 15, le 30, le 1er, des députations jacobines vinrent coup sur coup à la Convention, la sommer de tenir parole. Les Jacobins franchirent un pas bien grave. Ils se constituèrent juges, allèrent au Comité de sûreté générale, prirent le dossier de la Gironde, le rapportèrent chez eux, se chargeant d'instruire le procès, à la barbe du Comité et de la Convention. L'Assemblée ne voyait que trop derrière les Jacobins le machiniste Hébert, tirant les fils. Elle fit le 17 une tentative pour reprendre quelque chose de ce qu'elle avait cédé le 5 à la Commune. Elle avait promis la loi des suspects, et elle la donna, mais autre qu'elle n'avait promis. Dans le projet du n, les comités révolutionnaires, chargés d'arrêter les suspects, étaient soumis à la Commune. Dans la loi du 17, ils l'étaient au Comité de sûreté générale de la Convention ; ils devaient lui envoyer leurs motifs et les papiers saisis, En d'autres termes, la Convention (et son Comité de sûreté) restait maîtresse de l'exécution de la loi, et si dans cette loi de terreur, d'immense portée, qui enveloppait tout, on risquait d'enfermer la France, tout au moins l'Assemblée voulait garder la clef, ouvrir et fermer les prisons. C'était neutraliser au profit de la Convention et de son Comité de sûreté, cette dictature de police qu'on avait le 5 septembre donnée à la Commune. Le redoutable Hébert se fâcha, laissa toute prudence et dans sa fureur étourdie, proposa la chose mémo pour laquelle on voulait faire mourir les Girondins, une chose dangereuse, impossible : Que l'on mît en vigueur la Constitution, c'est-à-dire que l'on supprimât les deux Comités dictateurs, qu'on donnât le pouvoir aux ministres (sans doute au grand ministre Hébert). Telle était la reconnaissance des Hébertistes pour Robespierre qui, le 11, les avait si bien soutenus dans l'affaire de Vendée. Ils anéantissaient le Comité de salut public, renvoyaient Robespierre aux spéculations théoriques, à la morale, à la philosophie. Aucun journal n'a osé imprimer cette séance étrange des Jacobins. Nous savons seulement l'impertinente proposition d'Hébert, à laquelle Robespierre aurait répondu avec une douceur exemplaire que la demande était prématurée. Ce même soir (18), Vincent aux Cordeliers fit le dernier outrage à la Convention, la demande d'une loi qui rendit les représentants en mission responsables de favoriser les friponneries des agents militaires. Que les fripons eux-mêmes, les amis de Ronsin, les effrontés pillards de la Vendée, se missent à crier Au voleur ! et contre la Convention c'était chose irritante ! L'Assemblée perdit patience, et renvoya la pétition à qui de droit, pour être poursuivie. Nous ignorons malheureusement ce qui se passa au Comité de salut public. Robespierre s'y trouvait entre Collot, ami d'Hébert, et Thuriot, ami de Danton. La question était de savoir si le Comité tolérerait à jamais les furieuses folies des Hébertistes, qui demandaient sa suppression, et se portaient pour ses successeurs au pouvoir. La connivence du Comité pour ces scélérats étourdis n'était-elle pas lâcheté ? une lâcheté meurtrière contre soi-même ! Il était trop aisé de voir où on allait de faiblesse en faiblesse : la Gironde aujourd'hui, demain les Dantonistes ; que leur manquerait-il alors ? l'immolation de Robespierre lui-même ! Robespierre le voyait aussi bien que les autres, et ne répondait rien. Tout cela se passait au Comité devant Collot-d'Herbois, autrement dit, devant Hébert. Ce silence obstiné, cette patience par-delà tous les saints, étonnait, effrayait. Les Dantonistes aimèrent mieux briser en face, se séparer, que de se laisser toujours entraîner : Ils avaient cédé le 5 septembre, parlé pour leurs ennemis. Qu'y avaient-ils gagné ? Ceux-ci depuis ce jour, étaient plus insolents, plus altérés de leur sang. Thuriot, le président du 5 septembre, donna le 20 sa démission du Comité de salut public. Danton quitta la Convention et partit pour Arcis. Pour rien au monde, il ne voulait livrer les Girondins. Le bon Garat, qui alla le voir avant son départ, le trouva malade, consterné, atterré. La ruine de son parti, sa débâcle personnelle, sa popularité anéantie l'occupaient peu. Ce qui lui perçait le cœur, c'était la mort de ses ennemis. Je ne pourrai les sauver, s'écria-t-il. Et quand il eut arraché le mot de sa poitrine, toutes ses forces étaient abattues. De grosses larmes lui tombaient ; il était hideux de douleur. Plus d'éclairs, la flamme était éteinte, la lave refroidie ; le volcan n'était plus que cendres. Son départ fut une grande faute. Les Hébertistes crièrent partout qu'il avait émigré. Les Dantonistes ne furent pas soutenus de sa grande voix, puissante encore, dans leur bataille décisive du 25 septembre. Les preuves qu'ils apportaient contre Rossignol étaient telles qu'elles devaient le faire guillotiner sur-le-champ, à moins qu'il ne prouvât qu'il était un idiot, qu'il avait signé sans comprendre. Auquel cas, c'était Ronsin qui devait porter sa tête sur l'échafaud. Il se trouvait par une coïncidence singulière qu'au moment même, une autre accusation presque aussi grave contre les Hébertistes du ministère de la Guerre arrivait de l'armée du Nord. C'était une foudroyante lettre écrite en commun par deux montagnards de nuance différente, le maratiste Bentabole et le robespierriste Levasseur. Cette lettre dévoilait l'état épouvantable où Bouchotte et Vincent laissaient nos armées ; celle du Nord était inférieure de quarante mille hommes à ce qu'elle eût dû être pour paraître devant l'ennemi. Il y avait pourtant mois que les trois cent mille hommes étaient votés. Ni subsistances, ni habillements, ni officiers supérieurs. Gossuin l'avait dit le 13 août, et cela l'a mené à la guillotine. Les généraux le disaient ; on les guillotinait. Tout revers était attribué à la trahison. Robespierre, Barrère et le Comité, que faisaient-ils en poursuivant aveuglément, indistinctement, tous les généraux ? ils excusaient Bouchotte, ils appuyaient Hébert, leur ennemi, flattaient la presse populaire, le Père Duchesne qui, s'il eût trouvé jour, aurait hurlé contre eux et les eût menés à la mort. Ici, c'était Levasseur, un homme de Robespierre, qui dénonçait un ministère dont Robespierre était l'allié. La mémorable séance du 25 fut ouverte par Thuriot, de manière à donner une grande attente. Il déplora le sort de la Révolution, tombée dans la main des derniers des hommes : s N'avons-nous donc, dit- il, tant combattu que pour donner le pouvoir aux voleurs, aux hommes de sang ? Nous détrônons le royalisme et nous intronisons le coquinisme. C'était nommer Hébert, Ronsin ; on attendait qu'il conclût à envoyer celui-ci chez Fouquier-Tinville. La Convention applaudissait violemment. Mais point. 11 demanda l'impression d'une feuille morale... Chute étrange ! Elle fut relevée ; on lut la terrible lettre de Levasseur contre le ministère de la guerre. A la chaleur de cette lettre tout dégela. Les paroles glacées en l'air se fondirent et se firent entendre. Le représentant Briez, que la trahison avait forcé de rendre Valenciennes et qui restait depuis en suspicion Uns oser même se justifier, parla et parla si bien que la Convention, non contente de décréter l'impression du discours, décréta l'adjonction de Briez au Comité de salut public, Au moment mi le Comité recevait ce terrible coup, Merlin de Thionville survint, comme le matador sur le taureau blessé, pour enfoncer le glaive. Il donna l'affaire de Ronsin. Plusieurs membres se lèvent : Et que dit à cela le Comité de salut public ? que ne parle-t-il ? Le Comité parla, niais d'abord par Billaud-Varennes, maladroitement, avec fureur, avec menaces contre la Convention, Barrère vint au secours, louvoya, suivant son procédé ordinaire, jetant à la colère de l'Assemblée ce qui suffit pour amuser les foules dans ces moments, une victime humaine. Si l'armée du Nord avait des revers, c'était la faute d'Houchard. Barrère fit de ce pauvre diable du grand, un profond conspirateur. Heureusement, dit-il, le voilà destitué. Avec les lumières des bureaux de la guerre (il flattait les Hébertistes), et les lumières de Carnot (il flattait les neutres), nous ferons de meilleurs choix. — On vient de nommer Jourdan. Prieur, l'ami de Carnot, appuya et couvrit Barrère de son honnêteté connue. Saint-André et Billaud reprirent sur l'utilité du Comité de salut public et la nécessité de tenir secrètes les grandes opérations. — Et Billaud immédiatement : Nous allons faire en Angleterre une descente de cent mille hommes !... Nous avons levé dix-huit cent mille hommes !... — Barrère : En Vendée seulement, quatre cent mille hommes en vingt-quatre heures ! L'Assemblée applaudit vivement ces exagérations, l'indiscrétion surtout de Billaud-Varennes qui, sortant de son caractère, criait dans la Convention un projet si loin de l'exécution, et dont le secret eût pu seul assurer le succès. Dans tout cela pas un mot de réponse à ce qui faisait l'objet de la séance. L'objet, bien posé, était celui-ci : Doit-on guillotiner Ronsin et Rossignol pour avoir livré à la mort une armée de la République ? Doit-on chasser Bouchotte, qui, dans un ministère de cinq mois, n'a rien organisé encore, ni le matériel, ni le personnel, qui, des trois cent mille hommes décrétés en mars, n'envoie presque rien aux-armées ? Les Dantonistes furent pitoyables. Ils n'osèrent rappeler l'Assemblée à la question. Ils avaient en main un procès terrible pour accabler leurs ennemis. Ils s'en servirent à peine. Thuriot aboutit à sa feuille morale. Merlin de Thionville ne montra point à la Convention l'intrépidité qu'il avait sur les champs de bataille. S'il eût pointé aux Hébertistes, aussi juste qu'il le faisait aux Prussiens, Ronsin était perdu. Il fallait écarter vivement et d'un mot toute cette défense du Comité qui n'avait là que faire. Que le Comité eût été faible pour les Hébertistes, pour Bouchotte et Ronsin, c'était une question secondaire qu'on devait ajourner. Il fallait concentrer l'attaque sur la trahison de Vendée. Bien loin qu'on accusât le Comité en cette affaire, le crime de Ronsin était justement de s'être moqué du plan adopté par le Comité, d'avoir fait écraser Kléber, que ce plan l'obligeait de soutenir. Si le Comité n'eût pas eu peur de la presse hébertiste, c'est lui qui aurait accusé Ronsin. Robespierre profita des fautes avec une admirable présence d'esprit. Il ne défendit pas les Hébertistes, et n'en dit pas un mot. Il les laissa hideusement découverts, percés à jour, et dépendants de lui qui dépendait d'eux jusque-là. Il défendit le Comité, assez vaguement, en répétant ce qu'avait dit Barrère, du reste se mettant à part, et parlant pour son compte : Si ma qualité de membre du Comité doit m'empêcher de m'expliquer avec une indépendance extrême, je dois l'abdiquer à l'instant, et après m'être séparé de mes collègues (que j'estime et honore), je vais dire à mon pays des vérités nécessaires... — Grande attente. Ces vérités, c'était qu'il existait un plan d'avilir, de paralyser la Convention. On veut que nous divulguions les secrets de la République, que nous donnions aux traîtres le temps d'échapper... Remplacez-le ce Comité qui vient d'être accusé avec succès dans votre sein... L'argent de l'étranger travaille. Cette journée vaut à Pitt plus de trois victoires. La faction n'est pas morte, elle conspire du fond de ses cachots (il associait ainsi les Girondins aux Dantonistes). Les serpents du Marais ne sont pas encore écrasés. Ici, c'était le centre qui se trouvait atteint. Notes qu'à ce moment où la Convention n'avait guère plus de deux cents membres, la Montagne étant prenne absente et la droite mutilée, le centre c'était à peu près tout. Robespierre n'avait pas l'habitude des basse injures, et il venait d'accuser ceux qui avilissaient la Convention. On fut stupéfait de ce mot. D'après sa prudence excessive au 5 septembre et autres grandes journées on ne le croyait nullement audacieux. Il ne s'avançait qu'à coup sûr. On pensa qu'il était bien fort, puisqu'il avait hasardé une telle injure à la Convention. Si son initiative avait été faible depuis un mois ou deux, dans les choses politiques, elle avait été grande et terrible, judiciairement. C'était par devant Int, comme président des Jacobins, que les juges et jurés du procès de Custine avaient été violemment tancés par la Société. Elle se constitua le 15 et tribunal contre les Girondins, et devint une cotir de justice. Dans de telles circonstances, le chef des Jacobins se trouvait en réalité le grand juge de la République. Le centre, donc, fut muet de terreur. Il commença à respirer un peu, quand des menues vaguée, Robespierre passa à une désignation spéciale, menaçant les seuls Dantonistes : Nos accusateurs seront bientôt accusés. On respira mieux encore, quand, réduisant le nombre, il dit : Deux ou trois traîtres, enfin quand, ajournant les autres, il se limita cette fois à Duhem et Briez, l'un coupable d'excuser Custine, l'autre l'homme déshonoré qui s'est trouvé dans une place rendue. Le mot tombait d'aplomb sur Merlin de Thionville, dont la position avait été analogue à Mayence. Tous se turent, et le peu qu'on dit, ce fut pour s'excuser. Briez déclina le périlleux honneur d'être adjoint au Comité. La Convention se croyait quitte. Robespierre insista. Il vit son avantage et qu'il tenait l'Assemblée sous le pied, et que plus il frapperait, plus elle serait docile. Il dit donc audacieusement : La Convention n'a pas montré l'énergie qu'elle eût dû... J'ai vu applaudir Barrère par ceux qui nous calomnient, qui nous voudraient un poignard dans le sein... Tous frémissaient : Est-ce moi qu'il a vu ? Cependant l'Assemblée n'était pas domptée, à terre et aplatie, tant que Robespierre n'avait pas assommé les représentants dont la gloire militaire relevait la Convention. Il bâtonna Merlin sur le dos de Briez : Si j'avais été dans Valenciennes, je ne serais pas ici pour faire un rapport... J'y aurais péri. Qu'il dise tout ce qu'il voudra, il ne répondra jamais à ceci : Êtes-vous mort ? L'Assemblée foulée aux pieds n'avait qu'à remercier. C'est ce qu'elle fit par Basire. Il fut, comme au 5 septembre, l'organe do la faiblesse commune. Il saisit l'occasion des 50 millions que Billaud voulait rendre, et que Robespierre avec dignité déclara vouloir garder. Où en serions-nous, dit Basire, si Robespierre avait besoin de se justifier devant la Montagne ?... On ne peut repousser sa proposition ; il demande que la Convention déclare que son Comité a toute sa confiance. A cet appel des accusateurs du Comité en faveur du Comité, l'Assemblée entière se leva et donna le vote de confiance. Ce vote eut des conséquences immenses que personne n'attendait. Robespierre et l'Assemblée s'étaient trouvés en face, et l'Assemblée avait tremblé. Celui qui a eu une fois cet avantage, le garde fort longtemps. Robespierre l'a gardé jusqu'au 9 thermidor. La Convention était tellement dominée désormais que, le lendemain 26, elle lui remit en quelque sorte les deux glaives, Justice et Police ; je veux dire que le Tribunal révolutionnaire et le Comité de sûreté générale furent renouvelés entièrement sous son influence. Au tribunal, il mit les siens, des hommes à lui et qui lui appartenaient personnellement, (Herman d'Arras, Dumas, Coffinhal, Fleuriot, Duplay, Nicolas, Renaudin, Topino-Lebrun, Souberbiel, Vilatte, Payan, etc.). Au Comité, avec un art plus grand, une composition plus savante, il ne mit que deux hommes à lui, Lebas, David, deux hommes de son pays, Lebon, Guffroy, et pour le reste, des gens très-compromis et d'autant plus dociles. Ce très-grand tacticien savait qu'en révolution l'ennemi sert souvent mieux que l'ami. L'ami raisonne, examine et discute. L'ennemi, s'il a peur, va bien plus droit. Placé sur un rail de fer, il marche dans la voie rigide ; sachant bien qu'à droite et à gauche, c'est l'a-Mme, il marche très-bien. Qui était le plus consterné ? le Comité de salut public. Il sentait trop que Robespierre, au 25 septembre, s'était défendu seul, qu'il avait vaincu seul, seul profité de la victoire. Un homme dominait la République. Un homme en trois personnes : Robespierre, Couthon et Saint-Just. Les cinq autres membres du Comité qui n'étaient pas en mission se trouvèrent d'accord sans s'être entendus. Le dantoniste Hérault, les impartiaux Barrère, Prieur, Carnot, Billaud-Varennes, la Terreur pure, Collot d'Herbois, avant-garde hébertiste, mais fort indépendant d'Hébert, tous, quelle que fût la diversité de leur nuance, agirent comme un seul homme contre Robespierre. Ils craignaient extrêmement que Couthon qui, alors marchait sur Lyon avec des masses de paysans armés, n'eût la gloire de l'affaire et ne donnât aux Robespierristes la seule chose qui leur manquât, un succès militaire. Dubois-Crancé, dantoniste allié aux enragés de Lyon, avait fait des efforts incroyables, il avait sauvé tout le sud-est. Le fruit de ce travail immense, Couthon allait le recueillir, se couronner, couronner Robespierre. Le 30 septembre et jours suivants, les cinq du Comité écrivirent trois fois en trois jours à Dubois-Crancé qu'il fallait à l'heure même forcer Lyon, y entrer avant l'arrivée de Couthon. Lyon résistait avec des efforts désespérés, du moins pour choisir son vainqueur, aimant mieux, s'il fallait se rendre, se remettre aux mains de Couthon désintéressé dans l'affaire qu'à celles de Dubois-Crancé, aigri par un long siège, ami des amis de Chalier, et qui n'eût pu rentrer qu'en vainqueur irrité, en vengeur du martyr. Le Comité eut beau faire. La fortune de Robespierre eut l'ascendant à Lyon comme à Paris, et presque en même temps il porta un coup très-grave au Comité devant la Convention. Le 3 octobre, par une belle et douce matinée d'automne, où les arbres, épargnés par la saison plus longtemps qu'en 92, semaient lentement leurs feuilles, on annonça à la Convention que le rapporteur du Comité de sûreté, Amar, allait faire son rapport sur les Girondins. La longue et froide diatribe n'ajoutait pas un fait à celle de Saint-Just. Les soixante-treize qui, en juin, avaient protesté contre la violation de l'Assemblée, étaient là présents et la plupart ne se défiaient de rien. Tout à coup Amar demande qu'on décrète que les portes soient fermées. Le tour est fait. Les soixante-treize sont pris, comme au filet. L'arrestation est votée sans discussion. Les voilà parqués, à la barre, pauvre troupeau marqué pour la mort. Dans cette foule de soixante-treize représentants, sans doute fort mêlée, ceux qui ont vécu jusqu'à nous, les Daunou, les Blanqui et autres, étaient très-sincèrement républicains et seraient morts pour la République. Jusque-là l'affaire avait une apparence hideuse, celle d'un guet-apens. Quelques montagnards demandaient que les soixante-treize fussent jugés avec les vingt-deux. Mais voici que les soixante-treize trouvent dans l'Assemblée un défenseur inattendu. Robespierre se lève et parle pour eux. L'étonnement fut au comble. La Convention ne doit pas multiplier les coupables, dit Robespierre, il suffit des chefs. S'il en est d'autres, le Comité de sûreté générale vous en présentera la nomenclature. Je dis mon opinion en présence du peuple, je la dis franchement, et le prends pour juge... Peuple, tu ne seras défendu que par ceux qui auront le courage de te dire la vérité ! Amar,, parlant de lire les preuves contre les soixante-treize : Cette lecture, dit Robespierre, est absolument inutile. Clémence rassurante, effrayante ! La droite, le centre mène avaient entendu avec terreur ce mot sonner à leur oreille : S'il en est d'autres, le Comité en présentera la nomenclature. Ils se voyaient dés lors suspendus à un fil, l'humanité de Robespierre ! La Montagne sentait que ces soixante-treize ainsi réservés, que cette droite tremblante, c'était une arme disponible pour lui ; contre qui ! contre la Montagne, contre le Comité de salut public. La majorité n'était plus celle du Comité et du gouvernement ; c'était celle de Robespierre. Le Comité avait devant l'Assemblée l'odieux du guet-apens, Robespierre seul le mérite de la modération, — tranchons le mot, de la clémence. Ce n'était pas ici un avis modéré d'un représentant quelconque, c'était l'impérieuse clémence d'un homme qui, dominant les Jacobins, le Comité de sûreté, le tribunal révolutionnaire, pouvait accuser, arrêter, juger. C'était une restauration du droit de grâce. Marat l'exerça au 2 juin pour trois représentants, et Robespierre ici pour soixante-treize. Robespierre, jusqu'ici, n'avait fait rien attendre de tel. Quelle était donc cette puissance nouvelle, étrange, qui s'attachait la droite, le centre, en faisant grâce, et qui s'appuyait d'autre part sur ceux qui ne voulaient point de grâce, sur les Hébertistes ? Robespierre, le 25 septembre, par la voix de David, avait répondu de Ronsin, le plus cruel des hébertistes, l'avait lavé devant les Jacobins. Les Robespierristes eux-mêmes ne comprenaient plus Robespierre. L'un d'eux, le rédacteur du Journal de la Montagne, ayant attaqué les bureaux hébertistes, Robespierre le fit tancer aux Jacobins et on lui ôta le journal. |