Irritation de la reine, octobre. — Complots de la cour. — Le roi prisonnier du peuple (novembre-décembre ?). — La reine se défie des princes. — La reine peu liée avec le clergé. Elle avait toujours été gouvernée par l'Autriche. — L'Autriche intéressée à ce que le roi n'agit point. — Louis XVI et Léopold se déclarent amis des constitutions, février-mars. — Procès de Besenval et de Favras. — Mort de Favras, 18 février. — Découragement des royalistes. — Grandes fédérations du Nord.Du spectacle sublime de la fraternité, je retombe, hélas ! sur la terre, dans les intrigues et les complots. Personne n'appréciait l'immensité du mouvement ; personne ne mesurait ce flux rapide, invincible, qui monta d'octobre en juillet. Des populations, jusque-là étrangères entre elles, se liaient, se rapprochaient. Des villes éloignées, des provinces naguère divisées encore par les vieilles rivalités, allaient en quelque sorte au-devant les unes des autres, se donnaient la main et fraternisaient. Ce fait si nouveau, si frappant, était à peine remarqué des grands esprits de l'époque. S'il eût pu l'être de la reine, de la cour, il aurait découragé les résistances inutiles. Qui donc, quand l'Océan monte, oserait marcher contre lui ? La reine se trompa dès le point de départ, et elle resta trompée. Elle vit dans le 6 octobre une affaire arrangée par le duc d'Orléans, un tour que lui jouait l'ennemi. Elle céda, mais, avant de partir, conjura le roi, au nom de son fils, de n'aller à Paris que pour attendre le moment où il pourrait s'éloigner[1]. Dès le premier jour, le maire de Paris, le priant d'y fixer sa résidence, lui disant que le centre de l'Empire était la demeure naturelle des rois, n'avait tiré de lui que cette réponse : Qu'il ferait volontiers de Paris sa résidence la plus habituelle. Le 9, proclamation du roi où il annonce que, s'il n'eût pas été à Paris, il eût craint de causer un grand trouble ; que, la constitution faite, il réalisera son projet d'aller visiter ses provinces ; qu'il se livre à l'espoir de recevoir d'elles des marques d'affection, de les voir encourager l'Assemblée nationale, etc. Cette lettre ambiguë, qui semblait provoquer des adresses royalistes, décida la. commune de Paris à écrire aussi aux provinces ; elle voulait les rassurer, disait-elle, contre certaines insinuations, jetant un voile sur le complot qui avait failli renverser l'ordre nouveau ; elle offrait une fraternité sincère à toutes les communes du royaume. La reine refusa de recevoir les vainqueurs de la Bastille, qui venaient lui présenter leurs hommages. Elle reçut les dames de la Halle, mais à distance, et comme séparée, défendue par les larges paniers des dames de la cour qui se jetèrent au-devant. Elle éloignait d'elle ainsi une classe très royaliste ; plusieurs des dames de la Halle désavouaient le 6 octobre. Elles arrêtèrent elles-mêmes quelques femmes sans aveu, qui pénétraient dans les maisons pour extorquer de l'argent. Ces maladresses de la reine n'étaient pas propres à augmenter la confiance. Comment eût-elle subsisté, au milieu des tentatives de la cour, toujours avortées, découvertes ? D'octobre en mars, on découvrit à peu près un complot par mois (Augeard, Favras, Maillebois, etc.). Le 25 octobre, on arrête un sieur Augeard, garde des sceaux de la reine ; on trouve chez lui un plan pour mener le roi à Metz. Le 21 novembre, dans l'Assemblée, le comité des recherches, provoqué par Malouet, le fait taire en lui disant qu'il existe un nouveau complot pour enlever le roi à Metz, et que Malouet lui-même le connais parfaitement. Le 25 décembre, on arrête le marquis de Favras, encore un enleveur du roi, qui recrutait dans Paris. Si l'on eût eu pour objet de troubler pour toujours l'imagination du peuple, de le rendre fol de défiance et de craintes, l'entourant ainsi- de ténèbres, de complots de pièges, il eût fallu faire exactement ce qu'on fit. Il eût fallu, par une suite de conspirations maladroites, lui montrer à chaque instant le roi en fuite, le roi à la tête des armées, le roi revenant affamer Paris. Sans doute, en supposant la liberté assise, les résistances moins fortes, il eût mieux valu leur ouvrir la porte toute grande, à ce roi, à cette reine, les mener à leur vraie place, à la frontière, en faire cadeau à l'Autriche. Mais, dans l'état chancelant, incertain, où se trouvait la pauvre France, ayant pour chef une assemblée de métaphysiciens, et contre elle des hommes d'exécution et de main, comme était M. de Bouillé, comme nos officiers de marine, comme les gentilshommes bretons, il était bien difficile de lâcher le grand otage, le roi, de donner à toutes ces forces ce qui leur manquait, l'unité. Donc le peuple veillait nuit et jour, rôdait autour des Tuileries ; il ne se fiait à personne. Il allait voir tous les matins si le roi n'était pas parti. La garde nationale lui en répondait, et le commandant de la garde nationale. Mille bruits circulaient, reproduits par des journaux violents, furieux, qui à tout hasard dénonçaient quelque complot.... Les gens modérés s'indignaient, niaient, ne voulaient pas croire... Le complot n'en était pas moins découvert le lendemain. Le résultat de tout ceci, c'est que le roi, qui n'était nullement prisonnier en octobre, l'était en novembre ou décembre. La reine avait manqué un moment unique, admirable, irréparable, le moment où La Fayette et Mirabeau se trouvèrent d'accord pour elle (fin octobre). Elle ne voulait pas être sauvée par la Révolution, par Mirabeau, par La Fayette ; courageuse et rancuneuse, véritable princesse de la maison de Lorraine, elle voulait vaincre et se venger. Elle risquait à la légère, se disant évidemment, comme disait dans une tempête Henriette d'Angleterre, qu'après tout les reines ne pouvaient pas se noyer. Marie-Thérèse avait été bien près de périr, et elle n'avait pas péri. Ce souvenir -héroïque de la mère influait beaucoup sur la fille — à tort — la mère avait pour elle le peuple, la fille l'avait contre elle. M. de La Fayette, peu royaliste avant le 6 octobre, l'était sincèrement depuis. Il avait sauvé la reine, protégé le roi. On s'attache par de telles choses. Les efforts prodigieux qu'exigeait de lui le maintien, de l'ordre lui faisaient vivement désirer que l'autorité reprit force. Il écrivit par deux fois à M. de Bouillé, le priant de s'unir à lui pour sauver la royauté. M. de Bouillé regrette amèrement dans ses Mémoires, de ne point l'avoir écouté. La Fayette avait fait une chose agréable à la reine, en chassant le duc d'Orléans. Il lui faisait une sorte de cour. Il est curieux de voir le général, l'homme occupé, suivre la reine aux églises, assister.aux offices où elle faisait ses pâques[2]. Pour la reine, pour le roi, La Fayette surmonta la répugnance que lui inspirait Mirabeau. Dès le 15 octobre, Mirabeau s'était offert, par une note, que son ami La Marck, l'homme de la reine, ne montra pas même au roi. Le 20, nouvelle note de Mirabeau ; mais celle-ci, il l'envoya à La Fayette, qui s'aboucha avec l'orateur, le conduisit chez le ministre Montmorin. Ce secours inespéré, qui leur tombait du ciel, fut tout à fait mal reçu. Mirabeau aurait voulu que le roi se contentât de un million pour toute dépense ; qu'il se retirât, non à Metz dans l'armée, mais à Rouen, et que de là il publiât des ordonnances plus populaires que les décrets de l'Assemblée[3]. Ainsi point de guerre civile, le roi se faisant plus révolutionnaire que la Révolution même. Étrange projet qui prouve la confiance, la facile crédulité du génie !... Si la cour l'eût accepté pour un jour, si elle eût consenti de feindre c'eût été pour faire pendre le lendemain Mirabeau. Dès novembre, il put bien voir ce qu'il avait à attendre de ceux qu'il voulait sauver. Il lui fallait le ministère, et garder en même temps sa position dominante dans l'Assemblée nationale. Pour cela, il avait besoin que la cour lui ménageât l'appui, la connivence, le silence du retins, des députés royalistes. Loin de là, le garde des sceaux avertit, anima plusieurs députés, mémé de l'opposition, contre le projet. Au ministère, aux Jacobins (ce club était à peine ouvert), on travailla en même temps pour rendre Mirabeau impossible. Deux honnêtes gens, Montlosier du côté droit, Lanjuinais du côté gauche, parlèrent, dans le même sens. Ils proposèrent et firent décréter qu'aucun député en fonction, ni trois ans après, ne pût accepter de place. — Ainsi les royalistes réussirent à interdire le ministre au grand orateur, qui eût été le soutien de leur parti (7 novembre). La reine, nous l'avons dit, ne voulait pas être sauvée par la Révolution, et elle ne voulait pas l'être non plus par l'émigration, par les princes. Elle avait trop bien connu le comte d'Artois pour ne pas savoir le peu que c'était. Elle se défiait avec raison de Monsieur, comme d'un caractère louche et faux. Quelles étaient donc ses espérances ? ses vues ? ses secrets conseillers ? Il ne faut pas compter Mme de Lamballe, jolie[4] petite femme très nulle, amie tendre de la reine, mais sans idées, sans conversation, et qui ne méritait pas la responsabilité terrible que l'on fit peser sur elle. Elle semblait être un centre ; elle tenait avec grâce le véritable salon de Marie-Antoinette, au rez-de-chaussée du pavillon de Flore. Beaucoup de noblesse y venait, un monde indiscret, futile, compromettant, qui croyait, comme au temps de la Fronde, mener tout par des satires, des mots piquants, des chansons. On lisait là le très spirituel journal des Actes des apôtres ; on y chanta telle romance sur la captivité du roi qui fit pleurer tout le monde, les amis et les ennemis. Les relations de Marie-Antoinette étaient toutes avec les nobles, peu avec les prêtres. Elle n'était pas bigote, pas plus, que son frère Joseph II. Les nobles n'étaient pas un parti : c'était une classe nombreuse divisée et sans lien. Mais les prêtres étaient un parti, un corps très serré et matériellement très puissant. La dissidence momentanée des curés et des prélats le faisait paraître faible. Mais la force de la hiérarchie, mais l'esprit de corps, mais le pape, la voix du Saint-Siège, allait tout à l'heure refaire l'unité du Clergé. Alors, par ses membres inférieurs, il allait puiser des forces inconnues dans la terre et dans les hommes de la terre, les habitants des campagnes. Il allait contre le peuple de la Révolution amener un peuple, la Vendée contre la France. Marie-Antoinette ne vit rien de tout cela. Ces grandes forces morales étaient lettres closes pour elle. Elle rêvait la victoire, la force matérielle, Bouillé et l'Autriche. Lorsque, au 10 août, on trouva dans l'armoire de fer les papiers de Louis XVI, on lut avec étonnement que dans les premières années de son mariage, il n'avait vu dans sa jeune femme qu'un, pur agent de l'Autriche[5]. Marié malgré lui par M. de Choiseul dans cette maison deux fois ennemie, comme Lorraine et comme Autriche, obligé de recevoir le précepteur de la reine, l'abbé de Vermond, espion de Marie-Thérèse, il persévéra longtemps dans sa défiance, jusqu'à rester dix-neuf ans sans parler à ce Vermond. On sait comment la pieuse impératrice avait distribué les rôles à sa nombreuse famille, employant surtout ses filles comme agents de sa politique. Par Caroline, elle, gouvernait Naples. Par Marie-Antoinette, elle comptait gouverner la France. Celle-ci, avant tout, Lorraine, Autrichienne, persécuta dix ans Louis XVI pour lui faire donner le ministère au Lorrain Choiseul, l'homme de l'impératrice. Elle réussit du moins à lui faire accepter Breteuil, qui, comme Choiseul, avait été d'abord ambassadeur à Vienne, et comme lui appartenait entièrement à cette cour. Ce fut encore la même influence (celle de Vermond sur la reine) qui, en dernier lieu, surmonta les scrupules de Louis XVI et lui fit prendre un athée pour premier ministre, l'archevêque de Toulouse. La mort de Marie-Thérèse, les paroles sévères de Joseph II sur Versailles et sur sa sœur, semblaient devoir rendre celle-ci moins favorable à l'Autriche. Ce fut alors cependant qu'elle décida le roi à donner les millions que Joseph II voulait extorquer des Hollandais. En 1789, la, reine avait trois confidents, trois conseillers : Vermond, toujours Autrichien, Breteuil, non moins Autrichien, enfin l'ambassadeur d'Autriche, M. de Mercy-Argenteau. Derrière ce vieux Mercy, il faut voir celui qui le pousse, le vieux prince de Kaunitz, ministre septuagénaire de la monarchie autrichienne ; ces deux fats ou ces cieux vieilles, qui semblaient tout occupées de toilettes et de bagatelles, menaient la reine de France. Funeste direction, dangereuse alliance. L'Autriche était alors dans une situation si mauvaise que, loin de servir Marie-Antoinette, elle ne pouvait lui être qu'un obstacle pour agir, un guide pour agir mal, la pousser à toute démarche absurde que pourrait demander l'intérêt autrichien. Cette catholique et dévote Autriche, s'étant faite à moitié philosophe sous Joseph II, avait trouvé moyen de n'avoir personne pour elle. Contre elle se tournait sa propre épée, la Hongrie. Les prêtres belges lui avaient enlevé les Pays-Bas, avec l'encouragement des trois puissances protestantes, Angleterre, Hollande et Prusse. Et pendant ce temps, que faisait l'Autriche ? Elle tournait le dos à l'Europe, se promenait dans les déserts des Turcs, usait ses meilleures armées au profit de la Russie. L'Empereur ne se portait pas mieux que l'Empire. Joseph II était poitrinaire. Il mourait désespéré. Il avait montré, dans l'affaire de Belgique, une variation déplorable, d'abord des menaces furieuses de tuer, brûler, des exécutions barbares qui firent l'horreur de l'Europe, puis (le 25 novembre) amnistie illimitée, dont personne ne voulut. L'Autriche eût été perdue si la Révolution de Belgique eût trouvé appui dans la Révolution de France[6]. Ici tout le monde pensait que les deux, révolutions allaient agir d'ensemble et marcher du même pas. Le plus brillant de nos journalistes, Camille Desmoulins, avait, sans attendre uni en espoir les deux sœurs, intitulant son journal : Révolutions de France et de Brabant. La difficulté à cela, c'est que l'une était une révolution de prêtres, et l'autre de philosophes. Les Belges, sachant cependant qu'ils ne pouvaient pas compter sur leurs protecteurs les trois puissances protestantes s'adressèrent à nous. L'homme du clergé des Pays-Bas, le grand agitateur de la tourbe catholique, Van der Noot, ne se fit pas scrupule d'écrire à l'Assemblée et au roi. La lettre fut renvoyée (10 décembre). Louis XVI se montra un parfait beau-frère de l'Empereur[7]. L'Assemblée méprisa une révolution d'abbés. Les Tuileries, entièrement dominées par l'ambassadeur d'Autriche, parvinrent à endormir l'honnête M. de La Fayette, qui endormit l'Assemblée. L'homme de la reine, La Marck, partit en décembre pour offrir son épée aux Belges, ses compatriotes, contre l'Autrichien. Il avait cependant le consentement de la reine et, par conséquent, celui de l'ambassadeur d'Autriche. On espérait que La Marck, grand-seigneur aimable, ami de toute nouveauté, pourrait servir de médiateur, et peut-être faire accepter aux Belges, alors vainqueurs, un moyen terme qui apaisât tout, une constitution bâtarde sous un prince autrichien. Avec ce mot de constitution, on endort encore La Fayette. La Marck, très justement suspect au parti des prêtres belges et de l'aristocratie, réussit mieux auprès de ceux qu'on appelait progressistes. L'Autriche, pour diviser ses ennemis, se disait alors amie du progrès. L'avènement du philanthrope et réformateur Léopold aidait fort à ce mensonge (20 février). Dans sa participation indirecte à tout cela, la reine se fit grand tort. Elle eût dû se lier de plus en plus au clergé. L'Autriche, en lutte avec le clergé, avait des intérêts absolument différents. Elle espérait apparemment que, si l'Empereur, s'arrangeant avec les Belges se retrouvait enfin libre de ses mouvements, elle pourrait s'abriter sous la protection impériale, montrer à la Révolution une guerre prête à fondre sur la France, peut-être fortifier la petite armée de Bouillé de quelques corps autrichiens. Mauvais calcul. Tout cela était trop long, et le temps marchait très vite. L'Autriche, fort égoïste, était un secours très lointain et très douteux. Quoi qu'il en soit, les deux beaux-frères suivirent exactement la même conduite. Dans le même mois, Louis XVI et Léopold se déclarèrent l'un et l'autre amis de la liberté, défenseurs zélés des constitutions, etc. Même conduite dans deux situations parfaitement opposées. Léopold agissait très-bien pour regagner la Belgique ; il divisait ses ennemis, fortifiait ses amis. Louis XVI, tout au contraire, loin de fortifier ses amis, les jetait par cette parade dans le plus profond découragement ; il paralysait le Clergé, la Noblesse, la contre-révolution. Les modérés, Necker, Malouet croyaient que le roi, par une profession de foi constitutionnelle, presque révolutionnaire, pouvait se constituer le chef la Révolution. C'est ainsi que les conseillers de Henri III lui firent faire la fausse démarche de se dire chef de la Ligue. L'occasion semblait, il est vrai, favorable. Lès désordres de janvier avaient alarmé vivement la propriété. Devant ce grand intérêt social, on supposait que tout intérêt politique allait pâlir. La désorganisation était effrayante ; le pouvoir n'avait garde d'y remédier ; ici il était mort en réalité, et là il faisait le mort, comme disait un des Lameth. Beaucoup avaient déjà assez de révolution, et trop ; de découragement, ils auraient volontiers sacrifié les songes d'or qu'ils avaient faits, à la paix, à l'unité. Au même moment, (du 1er au 4 février) deux événements de même sens : D'abord s'ouvre le club des impartiaux (Malouet, Virieu, etc). Leur impartialité consistait, ils le disent dans leur déclaration, à rendre force au roi et à conserver des terres à l'Église, à subordonner l'aliénation des biens du clergé à la volonté des provinces. Le 4 février, le roi se présente à l'improviste dans l'Assemblée, prononce un discours touchant, qui étonne et attendrit.... Chose incroyable, merveilleuse ! le roi était secrètement épris de cette constitution qui le dépouillait. Il loue, il admire spécialement la belle division des départements. Seulement il conseille à l'Assemblée d'ajourner une partie des réformes. Il déplore les désordres, il défend, console le Clergé et la Noblesse ; mais enfin il est, avant tout, dit-il, l'ami de la constitution. Il se présentait ainsi à l'Assemblée embarrassée de rétablir l'ordre, et semblait dire : Vous ne savez que faire ? Eh bien, rendez-moi le pouvoir. L'effet de la scène fut prodigieux. L'Assemblée perdit la tête. Barère pleurait à chaudes larmes. Le roi sort, on court, après lui, on se précipite. On va chez la reine. Elle reçoit la députation, avec le Dauphin. Toujours altière et gracieuse : Voici mon fils, dit-elle, je lui apprendrai à chérir la liberté ; j'espère qu'il en sera l'appui. Elle ne fut pas ce jour-là la fille de Marie-Thérèse, mais la sœur de Léopold. Peu après, Éon frère lançait le manifeste hypocrite. où il se déclara ami de la liberté, de la constitution des Belge, jusqu'à leur dire, Empereur, qu'après tout ils avaient eu droit de s'armer contre l'Empereur. Pour revenir, l'Assemblée délira complètement, ne sut plus ce qu'elle disait. Elle se lève tout entière, elle jure fidélité à la constitution qui n'est pas encore. Les tribunes se joignent à ces transports, dans un inconcevable enthousiasme. Tout le monde se met à jurer, à l'Hôtel de Ville, à la Grève, dans les rues. On chante un Te Deum. On illumine le soir. Pourquoi ne pas se réjouir ? La Révolution est faite bien faite pour cette fois. Du 5 février au 15, ce fut une suite de fêtes, à Paris et dans les provinces. Partout, sur les places publiques, on se pressait pour prêter le serment. Les écoliers ; les enfant, y étaient conduits en bande. Tout était plein d'élan, de joie et d'enthousiasme. Beaucoup d'amis de la liberté s'effrayaient de ce mouvement, croyant qu'il tournerait au profit du roi. Erreur. La Révolution était une chose si forte, dans un tel mouvement ascendant, que tout événement nouveau, pour ou contre, finissait toujours par la favoriser, la pousser plus vite encore. Dans cette affaire du serment, il arrivait ce qui arrive toujours pour toute passion violente. Chacun, en prononçant des mots, ne leur donnait nul autre sens que ce qu'il avait dans le cœur. Tel avait juré pour le roi, qui n'avait rien entendu sinon jurer pour la patrie. On remarqua qu'au Te Deum, le roi n'était pas venu à Notre-Dame, qu'il n'avait pas, comme on l'espérait, juré sur l'autel. Il voulait bien mentir, mais non pas se parjurer. Dès le 9 février, pendant que les fêtes duraient encore, Grégoire et Lanjuinais dirent que la cause des désordres était la non-exécution des décrets du 4 août ; donc qu'il ne fallait pas faire halte, mais bien avancer. Les tentatives des royalistes pour rendre la force et les armes au pouvoir royal ne furent pas heureuses. Maury essaya la ruse, disant qu'au moins dans les campagnes, il fallait, permettre à la force armée d'agir, sans autorisation des municipalités. Cazalès essaya l'audace, ouvrit l'avis étrange de donner au roi la dictature pour trois mois. Ruse grossière, Mirabeau, Buzot, d'autres encore, déclarèrent nettement qu'on ne pouvait se fier au pouvoir exécutif. L'Assemblée ne se fia qu'aux municipalités, leur donna tout pouvoir d'agir et les rendit responsables des désordres qu'elles ne pourraient empêcher. L'audace inouïe de la proposition de Cazalès ne s'explique que par sa date (20 février). Un sacrifice sanglant avait été fait le 18, qui paraissait répondre de la borine foi de la cour. Elle avait alors deux affaires, deux procès sur les bras celui de Besenval, celui de Favras. Besenval, accusé pour le 14 juillet, n'avait fait après tout qu'exécuter les ordres de son chef le ministre, les ordres du roi. Pourtant, si on l'innocentait, on paraissait condamner la prise de la Bastille et la Révolution même. Il était spécialement odieux comme étant l'homme de la reine, l'ex-confident des parties de Trianon, l'ancien ami de Choiseul, et, Favras intéressait moins la cour. C'était l'homme de Monsieur. Il s'était chargé, pour lui, d'enlever le roi. Monsieur, vraisemblablement, eût été lieutenant général, régent peut-être, si l'on eût interdit le roi, comme le proposaient quelques parlementaires et amis des princes. M. de La Fayette dit, dans ses Mémoires, que Favras devait commencer par tuer Bailly et La Fayette. Favras ayant été arrêté dans la nuit du 25 décembre, Monsieur, très effrayé, fit la démarche singulière d'aller se justifier.... Oh ? devant quel tribunal ? Devant la ville de Paris. Les magistrats municipaux n'étaient nullement qualifiés pour recevoir un tel acte. Monsieur renia Favras, dit qu'il n'avait nulle connaissance de l'affaire, fit une parade hypocrite de sentiments révolutionnaires, d'amour pour la liberté. Favras montra beaucoup de courage et releva fort sa vie par sa mort. Il se défendit très bien, et pas plus qu'il ne fallait, ne compromettant personne. On lui fit comprendre qu'il lui fallait mourir, discrètement, et il le fit. La longue et cruelle promenade à laquelle on le condamna, l'amende honorable à Notre-Dame, etc. n'ébranlèrent pas sa fermeté. À la Grève, il demanda à déposer encore et ne fut pendu qu'aux flambeaux (18 février). C'était la première fois qu'on pendait un gentilhomme. Le peuple montrait une impatience furieuse, croyant toujours que la cour trouverait moyen de le sauver. Ses papiers, recueillis par le lieutenant civil, furent (dit La Fayette) remis par la fille de ce magistrat à Monsieur, devenu roi, qui s'empressa de les brûler. Le dimanche qui suivit l'exécution, la veuve et le fils de Favras vinrent en deuil assister au diner public du roi et de la reine. Les royalistes croyaient qu'ils allaient combler, caresser la famille de la victime. La reine n'osa lever les yeux. Ils virent alors l'impuissance où la cour était réduite, combien peu d'appui pouvaient attendre ceux qui se dévoueraient pour elle. Déjà au 4 février, la visite du roi à l'Assemblée, sa profession de foi patriotique, les avaient fort abattus. Le vicomte de. Mirabeau sortit et, dans son désespoir, brisa son épée..... Que penser ? Que croire en effet ? Les royalistes avaient le choix de croire le roi ou menteur ou transfuge, déserteur de son propre parti. Le roi n'était donc plus royaliste ? Ou bien il sacrifiait son Clergé, sa fidèle Noblesse pour sauver un lambeau de royauté ? M. de Bouillé, laissé sans instructions, dans l'ignorance absolue de ce qu'il avait à faire, tombe alors dans le plus profond découragement. Telle est aussi l'impression de beaucoup de gentilshommes, d'officiers de terre et de mer, qui partent de France. M. de Bouillé lui-même demande la permission d'en faire autant, de servir à l'étranger. Le roi lui fait dire de rester, qu'il aura besoin de lui. On s'est trop hâté d'espérer ; la Révolution était finie le 14 juillet, finie le 6 octobre, elle l'était au 4 février ; je crains maintenant qu'en mars elle ne le soit pas encore. Qu'importe ! la liberté, adulte, robuste au berceau même, doit craindre peu les résistances. Elle vient, en un moment de vaincre la plus redoutable, le désordre et l'anarchie. Ces pillages des campagnes, cette guerre contre les châteaux, qui, gagnant de proche en proche, menaçait tout le pays d'un embrasement immense, tout cela a fini d'un coup. Le mouvement de janvier, février, est déjà apaisé en mars. Pendant que le roi se présentait comme l'unique garant de la paix publique, pendant que l'Assemblée cherchait et ne trouvait pas les moyens de la ramener, la France l'avait faite -elle-même. L'élan de la fraternité avait devancé les lois ; le nœud qu'on ne dénouait pas avait été tranché par la magnanimité nationale. Les villes, armées tout entières, avaient marché à la défense des châteaux ; elles avaient protégé les nobles, leurs ennemis. Les grandes réunions, continuent, et plus grandes chaque jour, si formidables que, sans, agir, par leur seule apparition, elles doivent intimider les cieux ennemis de la France d'une part l'anarchie, le pillage, d'autre part la contre-révolution. Ce ne sont plus seulement les populations plus rares, plus dispersées du Midi, qui s'assemblent ; ce sont les massives, les compactes légions des grandes provinces du Nord ; c'est la Champagne, cent mille hommes ; c'est la Lorraine, cent mille hommes ; les Vosges, l'Alsace, etc. Mouvement plein de grandeur, désintéressé et ans jalousie. Tout se groupe, tout s'unit, tout gravite à l'unité. Paris appelle les provinces, veut s'unir toutes les communes. Et les provinces, d'elles-mêmes, sans la moindre pensée d'envie, veulent encore plus s'unir. La Bretagne, le 20 mars, demande que la France envoie un homme sur mille à Paris. Bordeaux a déjà demandé une fête civique pour le 14 juillet. Les deux propositions tout à l'heure n'en feront qu'une. La France appellera toute la France à cette grande fête, la première du nouveau culte. |
[1] Beaulieu, II, 203.
[2] En cela, M. de La Fayette voulait je crois, faire aussi sa cour à sa dévote et vertueuse femme.
Il lui écrit vite ce grand événement.
[3] Voir les pièces citées dans l'Histoire de M. Droz et les Mémoires de Mirabeau.
[4] Jolie est le mot propre ; rien de plus loin de la beauté. Des traits fort petits peu de front, peu de cerveau. Elle avait les mains un peu grossis ; dit Mme de Genlis. Le portrait de Versailles marque très bien la race et le pays ; c'était une gentille Savoyarde. Les cheveux cachés dans la poudre ; mais (hélas ! il n'y parut que trop !) abondants, admirables....
[5] Il surveillait sa correspondance avec Vienne, par Thugut, à qui elle se confiait. (Lettre en date du 17 octobre 1774, citée par Brissot, Mémoires, IV, 120.)
[6] Un mouvement vigoureux, même de contre-révolution, pouvait lui porter préjudice. Si nos évêques, par exemple, étaient aidés par le roi dans leurs tentatives, s'ils obtenaient quelque avantage, leur succès encourageait les prélats belges, qui avaient chassé l'Autriche.4 Elle trouvait son compte, pour le moment, à se faire modérée, libérale même, pour se rattacher les progressistes belges, dont le libéralisme modéré se rapprochait beaucoup des idées de La Fayette. Si La Fayette eut donné la main à ses progressistes, ils auraient repoussé à coup sûr la main de l'Autriche, préfère l'appui de la France. Donc l'intérêt autrichien était que rien ne se fit chez nous, ni dans un sens, ni dans l'autre.
[7] Je ne crois pas qu'aux Tuileries on ait eu jamais sérieusement l'idée de faire le duc d'Orléans roi de Brabant, comme quelques-uns l'ont dit. Le vrai moyen d'y faire sa cour, c'était de témoigner beaucoup d'intérêt pour l'Empereur. C'est aussi ce que fait Livarot commandant de Lille. (Correspondance inédite, 30 novembre 1789, 13 décembre 1789.)