Ces morts de femmes étaient terribles. La plus simple politique eût dû supprimer l'échafaud pour les femmes. Cela tuait la République. La mort de Charlotte Corday, sublime, intrépide et calme, commença une religion. Celle de la Dubarry, tout horripilée de peur, pauvre vieille fille de chair, qui d'avance sentait la mort dans la chair, reculait de toutes ses forces, criait et se faisait traîner, réveilla toutes les fibres de la pitié animale. Le couteau, disait-on, n'entrait pas dans son cou gras... Tous, au récit, frissonnèrent. Mais le coup le plus terrible fut l'exécution de Lucite. Nulle ne laissa tant de regret, de fureur, ne fut plus âprement vengée. Qu'on sache bien qu'une société qui ne s'occupe point de l'éducation des femmes et qui n'en est pas maîtresse est une société perdue. La médecine préventive est ici d'autant plus nécessaire, que la curative est réellement impossible. Il n'y a, contre les femmes, aucun moyen sérieux de répression. La simple prison est déjà chose difficile : Quis custodiet ipsos custodes ? Elles corrompent tout, brisent tout ; point de clôture assez forte. Mais les montrer à l'échafaud, grand Dieu ! Un gouvernement qui fait cette sottise se guillotine lui-même. La nature, qui, pardessus toutes les lois, place l'amour et la perpétuité de l'espèce, a par cela même mis dans les femmes ce mystère (absurde au premier coup d'œil) : Elles sont très-responsables, et elles ne sont pas punissables. Dans toute la Révolution, je les vois violentes, intrigantes, bien souvent plus coupables que les hommes. Mais, dès qu'on les frappe, on se frappe. Qui les punit se punit. Quelque chose qu'elles aient faite, sous quelque aspect qu'elles paraissent, elles renversent la justice, en détruisent toute idée, la font nier et maudire. Jeunes, on ne peut les punir. Pourquoi ? Parce qu'elles sont jeunes, amour, bonheur, fécondité. Vieilles, on ne peut les punir. Pourquoi ? Parce qu'elles sont vieilles, c'est-à-dire qu'elles furent mères, qu'elles sont restées sacrées, et que leurs cheveux gris ressemblent à ceux de votre mère. Enceintes !... Ah ! c'est là que la pauvre justice n'ose plus dire un seul mot ; à elle de se convertir, de s'humilier, de se faire, s'il le faut, injuste. Une puissance est ici qui brave la loi ; si la loi s'obstine, tant pis ; elle se nuit cruellement, elle apparaît horrible, impie, l'ennemie de Dieu ! Les femmes réclameront peut-être contre tout ceci : peut-être elles demanderont si ce n'est pas les faire éternellement mineures que leur refuser l'échafaud ; elles (liront qu'elles veulent agir, souffrir les conséquences de leurs actes. Qu'y faire pourtant ? Ce n'est pas notre faute, si la nature les a faites, non pas faibles, comme on dit, mais infirmes, périodiquement malades, nature autant que personnes, filles du monde sidéral, donc, par leurs inégalités, écartées de plusieurs fonctions rigides des sociétés politiques. Elles n'y ont pas moins une influence énorme, et le plus souvent fatale jusqu'ici. Il y a paru dans nos révolutions. Ce sont généralement les femmes qui les ont fait avorter ; leurs intrigues les ont minées, et leurs morts (souvent méritées, toujours impolitiques) ont puissamment servi la contre-révolution, Distinguons une chose toutefois. Si elles sont, par leur tempérament, qui est la passion, dangereuses en politique, elles sont peut-être plus propres que l'homme à l'administration. Leurs habitudes sédentaires et le soin qu'elles mettent en tout, leur goût naturel de satisfaire, de plaire et de contenter, en font d'excellents commis. On s'en aperçoit dès aujourd'hui dans l'administration des postes. La Révolution, qui renouvelait tout, en lançant l'homme dans les carrières actives, eût certainement employé la femme dans les carrières sédentaires. Je vois une femme parmi les employés du Comité de salut public. (Archives, Registres manuscrits des procès-verbaux du Comité, 3 juin 93, p. 79.) |