Au moment où le vieux génie italien venait de frapper dans
les Scipions les représentants des moeurs et des idées de Un Titus Sempronius Rutilus avait proposé à son beau-fils
dont il était tuteur, de l’initier aux mystères des bacchanales qui, de
l’Étrurie et de Ce n’était pas la première apparition des cultes orientaux dans Rome. L’an 534 de Rome, le sénat avait décrété la démolition des temples d’Isis et de Sérapis ; et, personne n’osant y porter la main, le consul L. Æmilius Paulus avait le premier frappé d’une hache les portes du temple. En 614, le préteur C. Cornelius Hispallus avait chassé de Rome et de l’Italie les astrologues chaldéens et les adorateurs de Jupiter Sabazius. Mais dans les dangers extrêmes de la seconde guerre punique, le sénat lui-même avait donné l’exemple d’appeler les dieux étrangers. Il avait fait apporter de Phrygie à Rome la pierre noire sous la forme de laquelle on adorait Cybèle. À mesure que la guerre se prolongeait, dit Tite-Live, les esprits flottaient selon les succès et les revers. Les religions étrangères envahissaient la cité ; on eût dit que les dieux ou les hommes s’étaient tout à coup transformés. Ce n’était plus en secret et dans l’ombre des murs domestiques, que l’on outrageait la religion de nos pères : en public, dans le forum, dans le Capitole, on ne voyait que femmes sacrifiant ou priant selon les rites étrangers. Le peuple romain n’était point tel que ses moeurs se corrompissent impunément. Les religions étrangères entraînaient la débauche, la débauche aimait l’assaisonnement du sang et du meurtre. La race romaine est dans tous les temps sensuelle et sanguinaire. Les débauches contre nature et les combats de gladiateurs prennent en même temps faveur à Rome. Un seul fait dira tout. Le frère de T. Quintius Flaminius avait emmené de Rome un enfant qu’il aimait, et celui-ci lui reprochait d’avoir sacrifié pour le suivre un beau combat de gladiateurs ; il regrettait, disait-il, de n’avoir pas encore vu mourir un homme. On annonce pendant le repas à Flaminius qu’un chef gaulois vient se livrer à lui avec sa famille : veux-tu que je te dédommage de tes gladiateurs, dit Flaminius au jeune garçon ; il décharge un coup d’épée sur la tête du Gaulois, et l’étend mort à ses pieds. Le peuple, tout corrompu qu’il était déjà, avait horreur de ces moeurs atroces. Il résolut de donner à son mal le médecin le plus sévère, et malgré les nobles, porta Caton à la censure. Celui-ci chasse du sénat Lucius Flaminius, consomme la ruine des Scipions en ôtant le cheval à l’asiatique ; frappe d’impôts les meubles de luxe, et pousse la sévérité jusqu’à dégrader un sénateur pour avoir donné un baiser à sa femme en présence de sa fille. Hélas ! Que signifiait ce respect exagéré de la pudeur et ces lois somptuaires dans une cité pleine des complices des bacchanales ? L’on trouva en une seule année que deux cents femmes avaient empoisonné leurs maris pour faire place à d’autres époux ! Caton lui-même, déjà bien vieux, entretenait commerce avec une esclave sous les yeux de son fils et de sa belle-fille, et il finit par épouser à quatre-vingts ans la fille d’un de ses clients. Il avait quitté la culture des terres pour l’usure, et il en faisait un précepte à son fils. Quelle devait être la politique d’un pareil peuple ? Quels
ses rapports avec les nations étrangères ? Perfides, injustes, atroces ; on
en serait sûr, quand la ruine de Tant que vécurent Philippe et Hannibal, le sénat craignit
toujours une confédération universelle. Il ménagea Antiochus, Eumène, Rhodes,
l’Achaïe. Mais les succès que Prusias dut à son hôte Hannibal dans ses
guerres contre Eumène, décidèrent les Romains à sortir enfin d’inquiétude.
Flaminius vint demander au roi de Bithynie l’extradition d’Hannibal, et le
vieil ennemi de Rome n’échappa qu’en s’empoisonnant. Alors le sénat rassuré
favorisa L’infortuné Philippe se faisait, jusqu’à sa mort, lire
deux fois par jour son traité avec les Romains. Il ne put que préparer la
guerre et la léguer à son successeur ; ses torts envers les peuples voisins
les empêchaient de se fier à lui. Persée trouva le trésor rempli, la
population augmentée, Les Romains l’ayant attaqué à la fois du côté de On a accusé, avec raison sans doute, l’avarice de Persée,
qui ne paya pas aux Illyriens l’argent qu’il leur avait promis. Toutefois, ce
n’étaient pas quelques talents de plus qui auraient intéressé davantage le
roi de ces barbares dans une guerre où il s’agissait de son trône et de sa
vie. L’argent n’eût pas suffi non plus pour surmonter la terreur que les
armes romaines imprimaient alors à Dans les campagnes suivantes, le consul Marcius, enfermé
dans le défilé de Tempé, n’échappa que par miracle à la honte des fourches
Caudines ; il n’entra en Macédoine que pour en sortir bientôt. Persée se crut
au moment de recueillir les fruits de son habile tactique. Prusias, Eumène,
les Rhodiens, penchèrent pour lui ; mais au lieu de le secourir, ils se
contentèrent d’intervenir par des ambassades qui furent reçues à Rome avec le
plus magnifique mépris. Quant à Antiochus Epiphane, il espérait profiter du
moment où les romains étaient occupés pour s’emparer de l’Égypte. Persée
resta donc encore seul. Rome crut alors qu’il fallait brusquer la fin d’une
guerre dont la prolongation avait pu faire naître aux petits rois de l’Asie
mineure l’idée qu’ils tiendraient la balance entre elle et Les rois de Thrace et d’Illyrie ornèrent le triomphe du préteur Anicius. Pour le roi de Macédoine, il languit deux ans dans un cachot où ses geôliers le firent, dit-on, mourir d’insomnie. Le seul fils qui lui survécut, gagna sa vie au métier de tourneur, et parvint au rang de scribe des magistrats dans la ville d’Albe. Dans quelle agonie de terreur la chute de Persée fit-elle tomber tous les rois de la terre, c'est ce qu’on ne saurait imaginer. Le roi de Syrie, Antiochus l’illustre, avait alors presque conquis l’Égypte. Popilius Lœnas vient lui ordonner au nom du sénat, d’abandonner sa conquête. Antiochus veut délibérer. Alors Popilius traçant un cercle autour du roi avec la baguette qu’il tenait à la main : avant de sortir de ce cercle, dit-il, rendez réponse au sénat. Antiochus promit d’obéir, et sortit de l’Égypte. Popilius partagea entre les deux frères Philométor et Physcon, le royaume qui n’appartenait qu’à l’aîné. Les ambassades humbles et flatteuses affluent au sénat. Le fils de Massinissa vient parler au nom de son père : deux choses ont affligé le roi de Numidie : le sénat lui a fait demander par des ambassadeurs des secours qu’il avait droit d’exiger, et lui a remboursé le prix du blé fourni. Il n’a pas oublié qu’il doit sa couronne au peuple romain ; content du simple usufruit, il sait que la propriété reste au donateur. Puis arrive Prusias, la tête rasée, avec l’habit et le bonnet d’affranchi. Il se prosterne sur le seuil, en disant : je vous salue, dieux sauveurs ! et encore : vous voyez un de vos affranchis prêt à exécuter vos ordres. Eumène et les Rhodiens étaient encore plus compromis. Le sénat offre la couronne au frère d’Eumène, et ne lui laisse son royaume que pour lui donner le temps de s’affaiblir par les incursions des galates. Quant aux Rhodiens, ils ne furent préservés du traitement de l’Épire, que par l’intervention de Caton. Cette âme forte s’intéressa à un peuple libre, qui n’avait fait après tout que souhaiter le maintien de sa liberté. Il tança durement l’orgueil tyrannique du sénat, et le ramena à la modération, en gourmandant la conscience inquiète de ceux qu’il avait fait trembler dans sa censure : je le vois bien, dit-il, les Rhodiens n’auraient pas voulu que nous eussions vaincu Persée. Ils ne sont pas les seuls. Bien d’autres peuples ne le souhaitaient pas. Ils pensaient que si nous n’avions plus personne à craindre, ils tomberaient en servitude. Et pourtant ils n’ont pas secondé le roi de Macédoine. Voyez combien nous sommes plus avisés qu’eux dans nos affaires privées... etc. Ce fut encore en prenant ce ton amer qu’il obtint au bout
de dix-sept ans la liberté des Achéens qu’on retenait en Italie, sous
prétexte de leur faire attendre leur jugement. Le sénat délibérait longuement
si on leur permettrait enfin de retourner dans leur patrie. On dirait, dit Caton, que nous n’avons rien autre chose à faire que de délibérer
si quelques Grecs décrépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou ceux de
leur pays. Cette plaisanterie barbare fit triompher l’humanité. Un
Grec, ami des romains, a froidement raconté par quelles misères, par quelle
suite de persécutions, d’humiliations et d’outrages passa la pauvre Grèce
pour arriver à sa ruine. Pour moi, je n’en ai pas le courage. C’est un
spectacle curieux peut-être de voir comment le plus ingénieux des peuples
disputa pièce à pièce sa liberté et son existence, à la puissance formidable
qui d’un souffle pouvait l’anéantir. Mais il est aussi trop pénible de voir
le faible se débattre si longtemps sous le fort qui l’écrase, et qui s’amuse
de son agonie. Que pouvait la tactique et la vertu de Philopœmen contre les
vainqueurs de Carthage ? Une plaisanterie de Flaminius sur la figure du héros
achéen, caractérise la ligue achéenne elle-même : belles
jambes, belle tête, mais point de corps. Philopœmen ne se
dissimulait pas lui-même la faiblesse de sa patrie, et le sort qui la
menaçait. Eh ! Mon ami, disait-il
tristement à un orateur vendu aux Romains, es-tu
donc si pressé de voir le dernier jour de Par le traité qui termina la seconde guerre punique, Rome
avait lié Carthage, et lui avait attaché un vampire pour sucer son sang
jusqu’à la mort ; je parle de l’inquiet et féroce Massinissa, qui vécut un
siècle pour le désespoir des Carthaginois. Ce barbare, à l’âge de quatre-vingts
et quatre-vingt-dix ans, se tenait nuit et jour à cheval, acharné à la ruine
de ses voisins désarmés. Il leur enlève une province en 199, une en 193, une
autre en 182. Les Carthaginois tendent aux Romains des mains suppliantes.
Rome leur envoie, dès la première usurpation, Scipion l’Africain, qui voit
l’injustice et ne veut point l’arrêter. En 181, Rome garantit le territoire
carthaginois ; et quelques années après ; elle laisse le numide s’emparer
encore d’une province et de soixante-dix villes et villages. Carthage prie
alors le sénat de décider une fois ce qu’elle doit perdre, ou, s’il ne veut
point la protéger comme alliée, de la défendre comme sujette. Les Romains,
qui craignaient alors qu’elle ne s’unît à Persée (172), affectèrent une généreuse
indignation contre Massinissa. Caton fut envoyé en Afrique, mais il se montra
si partial, que les Carthaginois refusèrent d’accepter son arbitrage. Cet
homme dur et vindicatif ne le leur pardonna point. En traversant leur pays,
il avait remarqué l’accroissement extraordinaire de la richesse et de la
population. Il craignit ou parut craindre que Carthage ne redevint redoutable
aux Romains. A son retour, il laisse tomber de sa robe des figues de Libye ;
comme on en admirait la beauté, la terre qui les porte, dit-il, n’est qu’à trois journées de Rome. Dès lors, il
ne prononça aucun discours qu’il n’ajoutât en terminant : et de plus, je pense qu’il faut détruire Carthage. L’occasion vint bientôt. Trois factions déchiraient cette
malheureuse ville : la romaine, la numide, dont le chef était Hannibal le moineau (le lâche ?), et le parti des
patriotes à la tête duquel se trouvait Hamilcar le
Samnite (l’ennemi de Rome ?). Ces derniers étant parvenus à
chasser les partisans de Massinissa, le Numide attaque les Carthaginois qui
perdent enfin patience et prennent les armes. Mais il les enferme, les affame
et leur détruit cinquante-huit mille hommes. Rome avait envoyé des députés à
Massinissa, pour acheter des éléphants. Leurs
ordres secrets étaient d’imposer la paix si Massinissa était vaincu, de
laisser continuer la guerre, s’il était vainqueur. L’un de ces Romains, le
jeune Scipion, qui devait un jour ruiner Carthage, voyait tout d’une hauteur,
et jouissait de la bataille, dit-il
lui-même, comme Jupiter du haut de l’Ida. Les
patriotes vaincus furent à leur tour chassés de Carthage, et Rome déclara
qu’elle punirait cette ville d’avoir violé le traité. En vain, les
Carthaginois demandent quelle satisfaction on exige d’eux : vous devez le
savoir, dit le sénat, sans vouloir autrement s’expliquer. Dès que la trahison
a livré Utique aux Romains, ils éclatent. La nouvelle de la guerre part avec
la flotte et quatre-vingt-quatre mille hommes. Point de paix s’ils ne livrent
trois cents otages ; à ce prix, ils pourront conserver leurs lois et leur
cité. Les otages livrés, on leur demande leurs armes ; ils apportent deux
mille machines et deux cent mille armures complètes. Alors le consul leur
annonce l’arrêt du sénat : ils habiteront à plus
de trois lieues de la mer, et leur ville sera ruinée de fond en comble.
Le sénat a promis de respecter la cité,
c'est-à-dire les citoyens, mais non pas la ville.
Cette indigne équivoque rendit aux Carthaginois la rage et la force. Les
éloigner de la mer, c'était leur ôter le commerce et la vie même. Ils
appellent les esclaves à la liberté. Ils fabriquent des armes avec tous les
métaux qui leur restent : cent boucliers par jour, trois cents épées, cinq
cents lances, mille traits. Les femmes coupent leurs longs cheveux pour faire
des cordages aux machines de guerre. Les consuls furent repoussés dans deux
assauts, leur camp désolé par la peste, leur flotte brûlée. Les carthaginois,
comme les dévoués des modernes armées musulmanes, nagent tout nus
jusqu’aux vaisseaux, jusqu’aux machines pour les incendier. Près de la ville
se forme une nouvelle Carthage, où les Africains affluent chaque jour.
L’armée romaine court le risque trois fois d’être exterminée. Le jeune
Scipion Émilien, fils de Paul Émile, adopté par le fils du grand Scipion,
qui, simple tribun, avait sauvé l’armée dans une de ces rencontres, demandait
l’édilité ; le peuple l’éleva au consulat. Il revint à temps pour dégager le
consul prêt à périr, isola Carthage du continent par une muraille, de la mer
par une prodigieuse digue. Mais les Carthaginois firent un travail plus
merveilleux encore : hommes, femmes, enfants, tous enfin (ils étaient encore
sept cent mille) percèrent sans bruit dans le roc une autre entrée à leur
port, et lancèrent contre les Romains étonnés une flotte construite avec les
charpentes de leurs maisons démolies. Scipion battit cette flotte, et la
renferma en établissant sur les bords de la mer des machines qui battaient le
passage. D’autre part, il avait pris la ville nouvelle qui s’était élevée
pour la défense de l’ancienne. Celle-ci mourait de faim, mais ne songeait pas
à se rendre. Scipion force enfin l’entrée de Carthage. Mais les Carthaginois
défendent les trois passages qui y conduisent ; ils jettent des ponts d’un toit
à l’autre. Les rues étroites sont bientôt comblées de cadavres ; les soldats
n’avancent qu’en déblayant le chemin avec des fourches, et jetant pêle-mêle
dans des fosses les vivants et les morts. Ce combat dura de maison en maison
pendant six nuits et six jours. Cinquante mille hommes enfermés dans la citadelle,
demandèrent et obtinrent la vie. Les transfuges occupaient encore le temple
d’Esculape, sentant bien qu’il n’y avait pas de grâce pour eux. En vain
Scipion leur montrait prosterné à ses pieds le lâche Asdrubal, général des
Carthaginois. Sa femme, qui était restée avec les derniers défenseurs de
Carthage, monte au sommet du temple, parée de ses plus beaux habits, prononce
des imprécations contre son indigne époux, poignarde ses enfants, et se lance
avec eux dans les flammes. Ce fut encore l’ami de Polybe, Scipion Émilien, que le sénat chargea de ruiner Numance après Carthage. Cet homme de manières élégantes et polies, tacticien habile et général impitoyable, était alors partout le monde l’exécuteur des vengeances de Rome. Il fit de Carthage un monceau de cendres, condamna tous les Italiens qu’il y prit à être foulés aux pieds des éléphants, de même que plus tard il coupait les mains aux Espagnols. Reprenons de plus haut les guerres d’Espagne. Les brillants succès de Caton, qui se vantait d’avoir pris quatre cents villes (195), ceux de Tib. Sempronius Gracchus (179-8), qui en prit trois cents, avaient assuré aux Romains l’Espagne entre l’Èbre et les Pyrénées, l’ancienne Castille avec une partie de la nouvelle et de l’Aragon (Carpétans, Celtibériens, etc.). Dans l’Espagne ultérieure, ils avaient soumis, par les armes de P C Scipion, de Posthumus et de plusieurs autres (195-178), le Portugal, Léon et l’Andalousie (Turdétans, Lusitaniens et Vaccéens). Mais la guerre était interminable. Les Romains traitaient l’Espagne à peu près comme les Espagnols traitèrent l’Amérique nouvellement découverte. Il semble qu’ils n’aient vu dans ce beau pays que ses riches mines d’argent. Le triomphe était décerné aux magistrats qui rapportaient le plus de lingots dans le trésor public. Le sénat laissait aux proconsuls d’autres moyens de s’enrichir eux-mêmes. Ils se saisissaient du blé des habitants, le taxaient à un prix énorme et affamaient le pays. De pareilles vexations auraient poussé à bout les hommes plus pacifiques. Qu’on juge si les Espagnols les supportaient. Ce peuple intrépide, où les femmes combattaient comme les hommes, où il était inouï qu’un mourant poussât un soupir, pouvait être vaincu cent fois, jamais subjugué. Après une bataille, ils envoyaient dire aux Romains vainqueurs : nous vous permettrons de sortir de l’Espagne, à condition que vous nous donnerez par homme un habit, un cheval et une épée. De prisonniers, il ne fallait pas songer à en faire. Les Espagnols étaient les plus mauvais esclaves. Ils tuaient leurs maîtres, ou si on les embarquait, ils perçaient le vaisseau et le faisaient couler bas. Ils portaient habituellement du poison sur eux, pour ne pas survivre à une défaite. Cette guerre interminable, dont la prolongation
déshonorait tous ceux qui croyaient l’avoir mise à fin, poussa les généraux
romains aux résolutions de la plus atroce perfidie. Un Lucullus, dans Il défit successivement cinq préteurs (149-145), enferma dans un défilé le consul Fabius Servilianus, et le força de conclure un traité entre le peuple romain et Viriathe (141). Le sénat ratifia le traité, et fit assassiner Viriathe pendant son sommeil. Cet homme n’était pas un chef de bande ordinaire. Il avait cherché à unir ses Lusitaniens aux Celtibériens, seul moyen de donner à l’Espagne ce qui lui manquait pour être plus forte que Rome, l’unité. Sa mort rompit une alliance si dangereuse aux Romains. Toute la guerre de Celtibérie se concentra dans Numance, capitale des Arvaques. Là s’était réfugiée la peuplade des Belles, chassés de leur ville de Ségéda. Numance refusa de les livrer, et soutint pendant dix ans tout l’effort de la puissance romaine (143-134). Cette ville, couverte par deux fleuves, des vallées âpres et des forêts profondes, n’avait, dit-on, que huit mille guerriers. Mais probablement tous les braves de l’Espagne venaient tour à tour renouveler cette population héroïque. Pompéïus fut obligé de traiter avec eux. Mancinus n’échappa à la mort qu’en se livrant lui et son armée. Brutus et Æmilius furent forcés par la famine de lever le siège. Furius et Calpurnius Pison ne furent pas plus heureux. Pas un Romain n’osait désormais regarder un Numantin en face. Pas un à Rome ne voulait s’enrôler pour l’Espagne. Il fallut faire à la petite ville espagnole l’honneur d’envoyer contre elle le second africain, le destructeur de Carthage. Scipion n’emmena en Espagne que des volontaires, amis ou clients, (philôn ilèn), comme il les appelait ; en tout quatre mille hommes. Il commença par une réforme sévère de la discipline ; il retrempa le caractère du soldat, en exigeant de lui d’immenses travaux. Il campait et décampait, élevait des murs pour les détruire, et peu à peu se rapprochait de Numance. Il finit par l’entourer d’une circonvallation d’une lieue d’étendue, et d’une contrevallation de deux lieues. Non loin de là, il éleva un mur de dix pieds de haut, sur huit d’épaisseur, avec des tours et un fossé hérissé de pieux. Il ferma le Douro, qui traversait Numance, avec des câbles et des poutres armées de pointes de fer. C’était la première fois qu’on enfermait de lignes une ville qui ne refusait pas de combattre. Le plus vaillant des Numantins, Retogènes Caraunius, c’est ainsi que le nomme Appien, se fit jour avec quelques autres, et, l’olivier à la main, courut toutes les villes des Arvaques, pour obtenir du secours. Mais ces villes craignaient trop Scipion. La plupart ordonnèrent à Retogènes de sortir sans l’avoir entendu. La seule Lutia semblait s’intéresser au sort de Numance. Scipion la surprit, exigea qu’on lui livrât quatre cents habitants, et leur fit couper les mains. Les Numantins, désormais sans espoir, se trouvaient réduits à une horrible famine. Ils en étaient venus à se manger les uns les autres. Les malades y avaient passé d’abord ; puis les forts commencèrent à manger les faibles. Mais dans cet horrible régime, le coeur et les forces finirent par leur manquer. N’ayant pu obtenir au moins de périr en combattant, ils livrèrent leurs armes et demandèrent un délai, alléguant qu’ils voulaient se donner la mort. Scipion en réserva cinquante pour le triomphe. La soumission de |