Ouvrir au genre humain une route nouvelle, c’était aux
yeux des anciens l’entreprise héroïque entre toutes. L’Hercule germanique, le
Siegfrid des Nibelungen, parcourut, dit
le poète, bien des contrées par la force de son
bras. La guerre seule a découvert le monde dans l’antiquité. Mais
pour qu’une route frayée une fois soit durable, il faut qu’elle réponde à des
besoins moins passagers que ceux de la guerre. Alexandre, en ouvrant Comme il sortait des défilés des Pyrénées (218), il rencontra
tous les montagnards en armes. Il fit dire à leurs chefs qu’il voulait
conférer avec eux, que de près on pourrait s’entendre ; que ce n’était pas un
ennemi, mais un hôte qui leur arrivait, qu’il ne craindrait pas d’aller les
trouver, s’ils hésitaient à se rendre dans son camp. Les barbares se
rassurèrent, vinrent, et reçurent des présents. On convint que si les soldats
de Carthage faisaient tort aux indigènes, Hannibal ou ses lieutenants en
seraient juges ; mais que les réclamations contre les indigènes seraient
jugées sans appel par les femmes de ces derniers. Chez les peuples ibériens,
comme chez ceux de Les peuplades ibériennes pouvaient s’arranger avec les
Africains, rapprochés d’eux par les moeurs et peut-être par la langue. Mais
les Gaulois ne voyaient qu’avec un étonnement hostile les hommes noirs du midi,
ces monstrueux éléphants, ces armes et ces costumes bizarres. La dissonance
était trop forte pour les blonds enfants du nord, aux yeux bleus et au teint
de lait. La grande tribu des Volkes n’attendit point l’armée carthaginoise,
elle abandonna le pays et se retira derrière le Rhône, dans un camp retranché
par le fleuve. Il s’agissait de passer en présence d’une armée ennemie ce
fleuve fougueux qui reçoit vingt-deux rivières et dont le courant perce un
lac de dix-huit lieues sans rien perdre de son impétuosité. En deux jours,
Hannibal sut rassurer ceux qui étaient restés en deçà du Rhône, leur acheta
des barques, leur fit construire des canots et des radeaux, et faisant passer
le fleuve un peu plus haut par Hannon, fils de Bomilcar, il mit le camp des
Volkes entre deux dangers. Au moment où parurent les signaux allumés par
Hannon, l’embarquement commença ; les gros bateaux placés au-dessus du
courant servaient à le rompre ; les cavaliers les montaient, soutenant par la
bride leurs chevaux qui passaient à la nage ; il y avait à bord d’autres
chevaux tout bridés et prêts à charger les barbares ; les éléphants étaient
sur un immense radeau couvert de terre. Quant aux Espagnols, ils avaient
passé hardiment avec Hannon sur des outres et des boucliers. Déjà les Gaulois
entonnaient leur chant de guerre, et agitaient leurs armes sur leur tête,
lorsqu’ils voient derrière eux leur camp tout en flammes. Les uns courent
pour sauver leurs femmes et leurs enfants ; les autres persistent et sont
bientôt dispersés. Lorsque l’on entre dans ce froid et triste vestibule des Alpes, que les anciens appelaient pays des Allobroges, et dont fait partie la pauvre Savoie, on est frappé de voir tout diminuer de taille et de force, les arbres, les hommes, les troupeaux. La nature semble se resserrer et s’engourdir comme à l’approche de l’hiver ; elle est longtemps chétive et laide avant de devenir imposante et terrible. Comme il allait du Rhône à ces montagnes, Hannibal fut pris pour arbitre entre deux frères qui se disputaient la royauté ; il décida pour l’aîné, conformément à l’avis des vieillards de la nation, et reçut de son nouvel ami les vêtements dont ses africains allaient avoir si grand besoin. Enfin, l’on découvrit les glaciers au-dessus des noirs
sapins. On était à la fin d’octobre, et déjà les chemins avaient disparu sous
la neige. Quand les hommes du midi aperçurent cette épouvantable désolation
de l’hiver, leur courage tomba. Hannibal leur demandait s’ils croyaient qu’il
y eût des terres qui touchassent le ciel ? Si les députés des Boïes d’Italie
qui étaient dans leur camp, avaient pris des ailes pour passer les Alpes ? Si
autrefois les Gaulois n’avaient pas franchi les mêmes montagnes avec des
femmes et des enfants ? Pour comble de terreur, on voyait les pics couverts
de montagnards qui attendaient l’armée pour l’écraser. Nul autre passage ;
d’un côté des roches escarpées, de l’autre des précipices sans fonds.
Hannibal dressa son camp, et ayant appris que les montagnards se retiraient
la nuit dans leurs villages, il passa avant le jour dans le plus profond
silence, et occupa avec des troupes légères les hauteurs qu’ils avaient
quittées. Le reste de l’armée n’en fut pas moins attaqué. Les barbares
habitués à se jouer des pentes les plus rapides, y jetèrent un affreux
désordre, et par leurs traits, et par leurs cris sauvages qui se répétaient
d’échos en échos. Les chevaux se cabraient, les hommes glissaient ; tous se
heurtaient, s’entraînaient les uns les autres. Les soldats, les chevaux, les
conducteurs des bêtes de sommes roulaient dans les abîmes. Hannibal fut
obligé de descendre pour balayer les montagnards. Plus loin, les députés
d’une peuplade nombreuse viennent à sa rencontre et lui offrent des vivres,
des guides, des otages. Hannibal feint de se confier à eux, et n’en prend que
plus de précautions. En effet lorsqu’il arrive à un chemin étroit que
dominaient les escarpements d’une haute montagne, les barbares l’attaquent de
tous les côtés à la fois, coupent l’armée, et parviennent à isoler pour une
nuit entière la cavalerie et les bagages. Moins inquiété désormais, Hannibal
parvint au bout de neuf jours au sommet des Alpes. Après y avoir campé deux jours,
Hannibal se mit à la tête de l’armée, et parvenu à une sorte de promontoire
d’où la perspective était immense, il fit faire halte à ses soldats. Il leur
montra l’Italie, et le magnifique bassin du Pô et des Alpes. En franchissant
les remparts de l’Italie, leur dit-il, ce sont les murs même de Rome que vous
escaladez. Et il leur montrait du doigt, dans le lointain, le lieu où devait
être Rome. Je ne puis m’empêcher de citer à côté des paroles d’Annibal,
celles qu’une situation analogue inspira au plus grand général des temps
modernes. Ce fut un spectacle sublime que
l’arrivée de l’armée française sur les hauteurs de Montezemoto ; de là se
découvraient les immenses et fertiles plaines du Piémont. Le Pô, le Tanaro et
une foule d’autres rivières serpentaient au loin : une ceinture blanche de
neige et de glace d’une prodigieuse élévation, cernait à l’horizon ce riche
bassin de la terre promise... etc. Le revers italique des Alpes se
trouva beaucoup plus roide et plus court que l’autre. Ce n’était que des
rampes étroites et glissantes qu’on osait à peine descendre, en tâtonnant du
pied et s’accrochant aux broussailles. Tout à coup on se trouva arrêté par un
éboulement de terre qui avait formé un précipice de mille pieds. Il n’y avait
pas moyen d’avancer ni de reculer ; il était tombé de nouvelles neiges sur
celles de l’hiver précédent. La première, foulée par tant d’hommes, fondait
sur l’autre, et formait un verglas ; les hommes ne pouvaient se soutenir, les
bêtes de somme brisaient la glace, et y restaient engagées comme dans un
piège. Il fallut tailler un chemin dans le roc vif, en employant le fer et le
feu. Il descendit ainsi en Italie, cinq mois après son départ de Carthagène ;
le seul passage des Alpes lui avait coûté quinze jours. Son armée était réduite
à vingt-six mille hommes, savoir : huit mille fantassins espagnols, douze
mille africains et six mille cavaliers, la plupart numides ; il fit graver
cette énumération sur une colonne près du promontoire Lacinien. Ce petit
nombre d’hommes était dans un état de maigreur et de délabrement hideux. Les
éléphants et les chevaux avaient tant pâti de la faim, qu’ils ne pouvaient se
soutenir. Il avait, dit-il lui-même à l’historien Cincius, son prisonnier,
perdu trente-six mille hommes depuis le passage du Rhône jusqu’à son arrivée
en Italie. Quand on compare cette poignée d’hommes qui lui restaient aux
forces que Rome pouvait alors lui opposer, l’entreprise d’Hannibal semble
plus audacieuse que celle d’Alexandre. Nous avons dans Polybe, liv. II,
l’énumération des troupes que les différents peuples de l’Italie tenaient à
la disposition des romains sept ans auparavant, lorsque l’on s’attendait à
une invasion générale des Gaulois : les registres
envoyés au sénat portaient quatre-vingt mille hommes de pied et cinq mille
chevaux, parmi les Latins ; chez les Samnites, soixante-dix mille fantassins
et sept mille chevaux. Les Japyges et les Mesapyges fournissaient cinquante
mille fantassins et seize mille cavaliers ; les Lucaniens trente mille hommes
de pied et trois mille chevaux... etc. Il faut avouer que tous ces
peuples disposés à se lever en masse pour repousser l’invasion des Gaulois,
ne l’étaient point également à combattre Hannibal, qui se présentait comme le
libérateur de l’Italie. Le premier plan du sénat avait été de porter la
guerre en Afrique, d’envoyer une seconde armée en Espagne, une troisième dans
Scipion se retira derrière le Pô, derrière Il fallut donc passer le reste de l’hiver dans les fanges
de Au mois de mars (217), il passa l’Apennin, et se dirigea vers Arretium, par le chemin le plus court. Cette route traversait des marais étendus au loin dans la campagne par l’Arno débordé au printemps. Pendant quatre jours et trois nuits, les soldats d’Hannibal marchèrent dans la vase et dans l’eau jusqu’à la ceinture. En tête, passaient les vieilles bandes espagnoles et africaines, foulant un terrain encore assez ferme. Les Gaulois qui venaient ensuite, glissaient ou enfonçaient dans la fange. Ces hommes mous et faciles à décourager se mouraient de fatigue et de sommeil, mais derrière venaient les Numides qui leur tenaient l’épée dans les reins. Un grand nombre désespérait, et se laissant tomber sur des monceaux de bagages, ou sur des tas de cadavres, ils y attendaient la mort. Hannibal lui-même, qui montait le dernier éléphant qui lui restât, perdit un oeil par la fatigue des veilles et l’humidité des nuits. Le consul Flaminius l’attendait avec impatience sous les tours d’Arretium. Cependant on racontait une foule de prodiges qui menaçaient les Romains d’un grand malheur. Une pluie de pierres était tombée dans le Picenum ; en Gaule, un loup avait arraché et enlevé l’épée d’une sentinelle. Dans la vieille ville étrusque de Céré, les caractères qui servaient aux réponses de l’oracle, avaient tout à coup paru rapetissés. Les épis tombaient sanglants sous la faucille. Les rivages étincelaient de mille feux. Flaminius ne voyant dans ces récits qu’un artifice des
patriciens pour le retenir dans Rome, partit furtivement pour l’armée, sans
consulter ni le sénat, ni les auspices. Hannibal profita de son ardeur et
l’attira entre le lac Trasimène et les hauteurs dont il était maître. On
n’entrait dans ce vallon que par une étroite chaussée. Les Romains la
franchissent en aveugles au milieu de l’épais brouillard du matin. Hannibal,
qui d’en haut les voyait sans être vu d’eux, les fait prendre en queue par
ses numides, et les charge de tous côtés à la fois. L’acharnement des
combattants fut si terrible, que dans ce moment même un tremblement de terre
détruisit des villes, renversa des montagnes, fit refluer des rivières, sans
qu’aucun d’eux s’en aperçut. Hannibal passa dans l’Ombrie, attaqua
inutilement la colonie romaine de Spolète, et ne voyant aucune ville se
déclarer pour lui, il n’osa point marcher vers Rome. Il se retira dans le
Picenum, pour refaire son armée dans ce pays riche et fertile en grains. La
faim, les fatigues, les fanges de Cependant le parti des nobles, celui qui ne voulait point
de bataille et qui aimait mieux abandonner les alliés aux ravages, avait
prévalu dans Rome par la terreur qu’y jeta la défaite de Traiymène. On avait
nommé prodictateur le froid et prudent Fabius. Il commença par apaiser les
dieux irrités par Flaminius ; on coucha leurs statues devant les tables d’un
banquet solennel (lectisternium) ; on
leur promit des jeux qui coûteraient trois cent mille trois cent trente-trois
livres et un tiers de cuivre ; enfin on leur voua un printemps sacré. Fabius, sentant le besoin de rassurer les troupes, se tint
constamment sur les hauteurs, et laissa Hannibal ravager à son aise les
terres des Marses, des Péligniens, l’Apulie, le Samnium et Le reste de l’année on suivit ce système de honteuse
temporisation, qui peut-être était le seul possible avec des soldats
découragés, contre la meilleure armée et le premier général du monde. Mais le
sentiment de l’honneur national parla enfin plus haut que la prudence et
l’intérêt. Abandonner ainsi sans protection les terres des alliés et même les
colonies romaines, c’eût été les jeter dans le parti d’Hannibal ; l’empire de
Rome eût été bientôt réduit à ses murailles. Le parti populaire, nous l’avons
vu souvent, sympathisait davantage avec les Italiens. Le peuple éleva au
consulat l’orateur qui avait parlé avec le plus de chaleur en faveur des
alliés. M Terentius Varron, sorti d’un métier servile, était devenu par son
éloquence, questeur, édile et préteur. Fils d’un boucher, employé d’abord par
son père à détailler et colporter la viande, il était l’objet du mépris des
patriciens. Pourquoi cependant un boucher n’aurait-il pas sauvé Rome, comme
les bouchers de Berne sauvèrent Les patriciens, pour opposer un des leurs à Varron,
élevèrent au consulat Paulus Aemilius, l’élève et l’ami du temporiseur. L’opposition des deux généraux
perdit la république. L’un voulait combattre Hannibal, sans choisir le lieu
ni le temps ; l’autre, au moment décisif, décourageait l’armée en déclarant
comme patricien et augure, que les poulets sacrés refusaient de manger, et
condamnaient la bataille. La situation d’Hannibal pouvait en effet engager à
la différer. Au bout de deux ans, il n’avait pas une ville, pas une
forteresse en Italie. Carthage ne lui donnant aucun secours, s’était
contentée d’envoyer au commencement de la guerre une misérable expédition de
trente galères, pour soulever A la nouvelle d’une telle défaite, chacun crut Rome perdue. Tout le midi de l’Italie l’abandonna. De jeunes patriciens même songeaient déjà à chercher des vaisseaux pour fuir au-delà des mers. Les officiers d’Hannibal croyaient qu’il ne s’agissait plus que de marcher sur Rome. L’impétueux Maharbal disait au général carthaginois : laissez-moi prendre les devants avec ma cavalerie ; il faut que vous soupiez dans cinq jours au capitole. Hannibal ne voulut pas s’expliquer, mais il savait bien qu’on ne prenait pas ainsi Rome. Eloignée de plus de quatre-vingts lieues, elle avait le temps de se mettre en état de défense. Dans la ville et dans les environs, il y avait plus de cinquante mille soldats ; et tout le peuple était soldat. En déduisant les morts et les blessés, le Carthaginois ne pouvait guère avoir plus de vingt-six mille hommes. Tous ces peuples qui se déclaraient ses amis, Samnites, Lucaniens, Brutiens, Grecs, n’avaient garde d’augmenter une armée barbare dont ils n’entendaient point la langue, et dont ils avaient les moeurs en exécration. C’était le bruit public en Italie, que les soldats d’Hannibal se nourrissaient au besoin de chair humaine. Les Italiens ne quittaient le parti de Rome qu’afin de ne plus recruter ses armées, et de ne plus prendre part à la guerre. Aussi Hannibal se trouva-t-il si faible après sa victoire, qu’ayant besoin d’un port en face de l’Espagne, il attaqua la petite ville de Naples et ne put la prendre. Il ne fut pas plus heureux devant Nole, Acerres et Nucérie. Partout il trouva les Romains aussi forts qu’avant leurs défaites. Rome fut un prodige de constance. Après les journées du Tésin, de Trébie et de Trasimène, après celle de Cannes, plus funeste encore, abandonnée de presque tous les peuples d’Italie, elle ne demanda point la paix... Rome fut sauvée par la force de son institution... etc. (Montesquieu, gr et déc des rom, ch 4). Hannibal trop faible pour attaquer avec avantage le centre de l’Italie, prit ses quartiers d’hiver à Capoue. Des deux grandes cités du midi, Capoue et Tarente, la seconde était encore tenue par une garnison romaine ; l’autre, encouragée par la défaite de Cannes, demanda aux romains que désormais sur deux consuls, ils en prissent un Campanien. Les Capuans firent ensuite main basse sur les Romains qu’ils avaient dans leur ville, et les étouffèrent dans les étuves des bains, qui se trouvaient en grand nombre dans cette ville voluptueuse. Ce fut le chef du parti populaire de Capoue, Pacuvius, allié aux plus illustres patriciens de Rome, gendre d’un Appius Claudius, beau-père d’un Livius, qui introduisit Hannibal dans Capoue. Il avait grand besoin du séjour de cette riche ville pour refaire un peu son armée, pour guérir ses blessés. Peut-être aussi les soldats d’Hannibal lui rappelaient-ils ses promesses et voulaient-ils enfin du repos. Les vétérans d’Hamilcar, ceux qui duraient encore, après le passage des Alpes et tant de batailles, croyaient sans doute qu’il fallait, au moins un instant avant leur mort, goûter le fruit de la conquête. Combattre, jouir, voilà la vie du soldat mercenaire. Le chef d’une telle armée la suit souvent, tout en paraissant la conduire. On a dit que le séjour de Capoue avait corrompu cette armée. Mais les vainqueurs de Cannes, devenus riches, auraient partout trouvé Capoue. Hannibal ne pouvait pas, comme Alexandre, mettre le feu au bagage de ses soldats. D’ailleurs, ce lieu de repos lui convenait ; il était à portée et de Casilinum qu’il assiégeait, et de la mer d’où il attendait des secours. De là, il pouvait chercher aux Romains de nouveaux ennemis, et remuer le monde contre eux. Si l’on me demande, dit Polybe, qui était l’âme de tout ce qui se passa alors à Rome et à Carthage, c’était Hannibal. Il faisait tout en Italie par lui-même, en Espagne par Hasdrubal son aîné, et ensuite par Magon. Ce furent ces deux capitaines qui défirent en Espagne les généraux romains... etc. Le premier espoir d’Hannibal, son appui naturel, c’était l’Espagne. Il y avait laissé son frère et ses lieutenants ; il comptait en tirer sans cesse de nouvelles recrues. C’est pour cela qu’il avait tracé avec tant de peine une route des Pyrénées aux Alpes. Mais la guerre d’Italie était trop lointaine pour y entraîner facilement les barbares. Cette guerre ne pouvait être nationale pour des hommes qui connaissaient à peine les Romains, et qui n’avaient pas encore éprouvé leur tyrannie. Ils avaient éprouvé celle des Carthaginois, leur rapacité, la dureté avec laquelle ils levaient des hommes pour les envoyer au-delà des Pyrénées dans un monde inconnu. Cette haine qu’Hannibal trouva partout en Italie contre Rome, les deux Scipions la trouvèrent en Espagne contre les lieutenants d’Hannibal. Les Celtibériens avaient déjà taillé en pièces quinze mille carthaginois. Les Scipions remportèrent d’abord de brillantes victoires ; et Hasdrubal, retenu par eux, ne put passer en Italie. Il fallut donc qu’Hannibal se tournât du côté de Carthage.
Magon, son frère, fit verser dans le vestibule du sénat un boisseau d’anneaux
d’or, enlevés aux chevaliers et aux sénateurs romains. Cette preuve éclatante
des pertes de Rome et des succès d’Hannibal ne fit qu’augmenter la défiance
des Carthaginois. Sans exprimer ses craintes, Hannon, chef du parti opposé
aux Barcas, se contenta de dire : si Hannibal exagère ses succès, il ne
mérite point de secours ; s’il est vainqueur, il n’en a pas besoin. Toutefois
on lui envoya de l’argent, quatre mille Numides et quarante éléphants. Un
commissaire du sénat fut adjoint à Magon pour lever en Espagne vingt mille
fantassins et quatre mille chevaux. La politique de Carthage était
d’alimenter seulement la guerre. Hannibal une fois maître de l’Espagne et de
l’Italie, que lui serait-il resté à faire, sinon d’assujettir Carthage ? Si
mal soutenu par sa patrie et par l’Espagne, Hannibal tourna les yeux du côté
du monde grec, vers Syracuse et L’année 213 fut un moment de repos pour les deux partis épuisés ; mais à la campagne suivante, Rome fit un prodigieux effort pour terminer la lutte et étouffer son antagoniste. Elle leva jusqu’à trois cent trente-cinq mille hommes ; elle parvint à enlever au Carthaginois les deux grandes villes qui soutenaient son parti en Italie et en Sicile, Capoue et Syracuse. Hannibal se surpassa lui-même pour sauver Capoue. Il battit les armées romaines devant ses murs, il les battit en Lucanie. Rome ne lâcha pas prise ; c’était pour elle une affaire de vengeance autant que d’intérêt. Ce n’était pas seulement à cause de ses citoyens égorgés ; Hannibal entrant à Capoue avait promis qu’elle deviendrait la capitale de l’Italie. Il fit alors une chose singulièrement audacieuse ; il
laissa les Romains devant Capoue, et marcha sur Rome. Il campa à quarante
stades de ses murs, et profitant du premier effroi, il allait donner l’assaut
; mais deux légions s’y rencontraient par bonheur. Les historiens romains
prétendent que, loin de rien craindre, on prit ce moment pour faire partir
des troupes destinées à l’armée d’Espagne, et qu’on vendit le champ sur
lequel campait Hannibal, sans qu’il perdît rien de sa valeur. Selon eux, le
Carthaginois, prenant avec lui trois cavaliers seulement, se serait approché
la nuit de Rome, et du haut d’une colline, en aurait observé la situation,
remarqué le trouble et la solitude. Les Romains dirigèrent des forces
considérables contre lui, mais il se joua de leurs poursuites, repassa par le
Samnium, traînant après lui un butin prodigieux, et revint par Le siége de Syracuse ne fut pas moins difficile. Le génie d’Archimède la défendit deux ans contre tous les efforts de Marcellus. Ce puissant inventeur était si préoccupé de la poursuite des vérités mathématiques, qu’il en oubliait le manger et le boire ; traîné au bain par ses amis, il traçait encore des figures avec le doigt sur les cendres du foyer et sur son corps frotté d’huile. Un tel homme ne devait se soucier ni des Romains ni des Carthaginois. Mais il prit plaisir à ce siège, comme à tout autre problème, et voulut bien descendre de la géométrie à la mécanique. Il inventa des machines terribles qui lançaient sur la flotte romaine des pierres de six cents livres pesant, ou bien qui s’abaissant dans la mer, enlevaient un vaisseau, le faisait pirouetter et le brisait contre les rochers ; les hommes de l’équipage volaient de tous côtés, comme des pierres lancées par la fronde ; ou bien encore des miroirs concentriques réfléchissant au loin la lumière et la chaleur, allaient brûler en mer la flotte romaine. Les soldats n’osaient plus approcher ; au moindre objet qui paraissait sur la muraille, ils tournaient le dos en criant que c’était encore une invention d’Archimède. Marcellus ne put s’emparer de la ville que par surprise, pendant la nuit d’une fête. Il fit chercher Archimède. Mais il était si absorbé dans ses recherches, qu’il n’entendit ni le bruit de la ville prise, ni le soldat qui lui apportait l’ordre du général, et qui finit par le tuer. Un siècle et demi après, Cicéron, alors questeur en Sicile, fit chercher le tombeau du géomètre. On retrouva sous les ronces une petite colonne qui portait la figure de la sphère inscrite au cylindre. Archimède n’avait pas voulu d’autre épitaphe. Dès qu’il arriva en Espagne, il déclare aux troupes à peine rassurées, que Neptune lui a inspiré d’aller à travers toutes les possessions ennemies, attaquer la grande ville de l’Espagne, Carthagène, le grenier, l’arsenal de l’ennemi. Il prédit le moment où il prendra la ville. Deux soldats lui demandaient justice : demain, dit-il, à pareille heure, je dresserai mon tribunal dans tel temple de Carthagène. Et il tint parole. Il trouva dans la ville les otages de toutes les tribus espagnoles ; il les accueillit avec bonté, leur promit de les renvoyer bientôt chez eux, caressa les enfants et leur fit des présents selon leur âge ; aux petites filles, des portraits et des bracelets, aux garçons des poignards et des épées. Lorsque la vieille épouse du chef Mandonius vint le supplier de faire traiter les femmes avec plus d’égard, et pleura sur les outrages que leur avaient faits les Carthaginois, il se prit lui-même à pleurer. Quelques jeunes soldats qui connaissaient bien le faible de leur général, lui offrirent en présent une captive d’une rare beauté. Scipion n’affecta point de sévérité : si j’étais particulier, leur dit-il, vous ne me pourriez donner rien de plus agréable. Puis il fit venir le père de la jeune fille, et la remit en ses mains. Il acheva de gagner les Espagnols par la confiance héroïque avec laquelle il leur rendit leurs otages. Ils en vinrent alors au point de se prosterner devant lui, et de lui donner le nom de roi. Scipion leur imposa silence. Hasdrubal, désormais sans espoir, ramassa tout l’argent qu’il put pour passer en Italie. Scipion ne se soucia point de barrer le passage à des gens désespérés ; il les laissa, au grand péril de Rome, marcher vers les Alpes pour rejoindre Hannibal. Que serait devenue l’Italie, si cette armée recrutée par les Gaulois, eût dégagé du midi de la péninsule le terrible ennemi de Rome ? Il y avait, il est vrai, perdu toute sa cavalerie numide, exterminée ou séduite par l’argent des Romains ; mais Rome elle-même n’en pouvait plus. Douze colonies épuisées par les dernières levées, lui avaient refusé leur secours. Le consul Claudius Néron, qu’on avait chargé de contenir Hannibal, comprit que tout était perdu, si son frère perçait jusqu’à lui ; il prit ses meilleures troupes, traversa toute l’Italie en huit jours, et se réunit à son collègue près du Métaure. L’armée d’Hasdrubal, voyant les enseignes des deux consuls, crut qu’Hannibal avait péri, et se laissa vaincre. Néron, revenu avec la même célérité, fit jeter dans le camp d’Hannibal la tête de son frère. Cet homme invincible ne prit pas pour lui ce dernier revers, et dit avec une froide amertume : je reconnais la fortune de Carthage. Il s’enferma alors dans le pays des Brutiens, à l’angle de l’Italie. Son frère Magon, qui renouvela pour le joindre la tentative d’Hannibal, n’eut pas un meilleur succès. Cependant Scipion avait compris qu’on ne pouvait délivrer l’Italie qu’en attaquant l’Afrique, que Carthage n’était nulle part plus faible ; qu’une pareille invasion serait à la fois plus facile et plus glorieuse qu’une guerre de tactique dans les âpres montagnes du Brutium ; qu’au lieu d’attaquer le monstre dans son repaire, il fallait le traîner au grand jour, sur la plage nue de l’Afrique, où le nombre et la force matérielle donneraient plus d’avantage. L’opposition jalouse de Fabius rendant le sénat peu favorable à cette proposition, le jeune consul déclara qu’il la porterait devant le peuple. Le sénat céda ; mais il ne tint pas à lui que les moyens ne manquassent à Scipion. On ne lui donna que trente galères, et il ne lui fut point permis de faire des levées d’hommes. L’enthousiasme des Italiens, l’impatience qu’ils avaient de voir enfin Hannibal sorti de l’Italie, suppléèrent à la mauvaise volonté du sénat. Les peuples de l’Étrurie s’engagèrent les premiers à venir au secours du consul, chacun selon ses facultés ; Céré promit de fournir aux équipages tout le blé et tous les approvisionnements nécessaires ; Populonia, le fer ; Tarquinies, la toile à voiles ; Volaterre, du blé, de la poix et du goudron ; etc. Pendant qu’il hâtait les préparatifs à Syracuse, on présentait au sénat diverses accusations contre lui ; il avait, disait-on, corrompu la discipline par une alternative de molle indulgence et de cruauté ; les soldats n’étaient plus ceux de la république, mais ceux de Scipion ; lorsqu’il tomba malade en Espagne et qu’ils le crurent mort, ils se regardèrent comme affranchis de tout serment ; ce ne fut que par une odieuse perfidie qu’il put étouffer la révolte ; en Italie, il ferme les yeux sur la tyrannie atroce de Pléminius à Locres. Et maintenant à Syracuse il oublie l’expédition imprudente qu’il a proposée lui-même ; le consul du peuple romain flatte les alliés en se promenant au gymnase en mules et en manteau grecs, écoutant les vaines disputes et les déclamations des sophistes. Carthage en était encore à interroger les voyageurs sur
les projets du consul, lorsqu’il débarqua en Afrique il espérait l’alliance
du Numide Syphax, dont il avait gagné l’amitié dans une visite téméraire
qu’il fit au barbare dès le temps qu’il était prêteur en Espagne. Mais
depuis, Syphax avait épousé la belle et artificieuse Sophonisbe, fille du
général carthaginois Hasdrubal Giscon. On connaît la faiblesse des hommes de
ces races africaines ; que de fois les juifs et leurs rois furent entraînés à
l’idolâtrie par les séductions des filles de Scipion feignit d’écouter ces propositions, profita de la
confiance et de la facilité de Syphax, disant toujours qu’il voulait la paix,
mais que son conseil était pour la guerre, prolongeant ainsi la négociation
jusqu’à ce que ses envoyés eussent bien reconnu les camps de Syphax et
d’Hasdrubal. Instruit par eux que les huttes des africains étaient toutes
construites de matières combustibles, il attaque les deux camps, et, chose
horrible, brûle les deux armées en une nuit. Elles étaient fortes de
quatre-vingt-treize mille hommes. Le camp était embarrassé des dépouilles
arrachées aux flammes ; Scipion y fit venir des marchands pour les acheter.
Les soldats se croyant bientôt maîtres de toute l’Afrique, donnèrent leur
butin presque pour rien ; ce qui, selon Polybe, fut pour le général un profit
considérable. Scipion avait ramené en Afrique le roi numide Massanasès, ou
Massinissa, que Syphax avait dépouillé de son royaume. Longtemps Syphax avait
poursuivi son compétiteur dans le désert. Celui-ci qui était le meilleur
cavalier de l’Afrique, qui jusqu’à quatre-vingts ans se tenait tout un jour à
cheval, sut toujours éluder son ennemi. Dès qu’il était serré de près, il
congédiait ses cavaliers en leur assignant un lieu de ralliement. Il lui
arriva une fois de se trouver lui troisième dans une caverne, autour de
laquelle campait Syphax. C’est à peu près l’histoire de David caché dans l’antre
où vient dormir son persécuteur Saül, ou celle de Mahomet séparé de ses
ennemis par une toile d’araignée dans la caverne de Thor. Massanasès ramené
par les ennemis de Les Carthaginois privés du secours de Syphax, et voyant toutes les villes ouvrir leurs portes à Scipion, se décidèrent à appeler Hannibal et Magon, et pour gagner du temps demandèrent la permission d’envoyer des ambassadeurs à Rome. Ce message ouvrait à Hannibal une carrière nouvelle. Enfermé dans le Brutium, il ne pouvait plus rien faire en Italie. En Afrique, il pouvait devenir maître de Carthage, soit qu’il y entrât vainqueur de Scipion, soit qu’il la trouvât affaiblie et épuisée par une dernière défaite. Il laissa à l’Italie, qu’il avait désolée pendant quinze années, d’horribles adieux. Dans les derniers temps, il avait accablé de tributs ses fidèles Brutiens eux-mêmes. Il faisait descendre en plaine les cités fortes dont il craignait la défection ; souvent il fit brûler vif les familles de ceux qui quittaient son parti. Pour subvenir aux besoins de son armée il mettait à mort, sur de fausses accusations, les gens dont il envahissait les biens. Au moment du départ, il envoya un de ses lieutenants sous le prétexte de visiter les garnisons des villes alliées, mais en effet pour chasser les citoyens de ces villes, et livrer au pillage tout ce que les propriétaires ne pouvaient sauver. Plusieurs villes le prévinrent et s’insurgèrent ; les citoyens l’emportèrent dans les unes, les soldats dans les autres ; ce n’était partout que meurtres, viols et pillages. Hannibal avait beaucoup de soldats italiens, qu’il essaya d’emmener à force de promesses ; il ne réussit qu’auprès de ceux qui étaient bannis pour leurs crimes. Les autres, il les désarma, et les donna pour esclaves à ses soldats ; mais plusieurs de ceux-ci rougissant de faire esclaves leurs camarades, il réunit ceux qui restaient, avec quatre mille chevaux et une quantité de bêtes de somme qu’il ne pouvait transporter, et fit tout égorger, hommes et animaux. Dès que les Carthaginois eurent l’espoir de voir arriver
Hannibal, ils se crurent déjà vainqueurs ; ils ne se souvinrent plus de la trêve,
ils se jetèrent sur les vaisseaux romains que la tempête avaient poussés sur
leurs côtes. Ils renvoyèrent avec honneur les ambassadeurs romains qui
venaient réclamer, les escortèrent, les embrassèrent au départ, et essayèrent
de les faire périr. Cependant, Hannibal ne se pressait point. Lorsque les
Carthaginois le priaient de combattre et de terminer la guerre, il répondait
froidement qu’à Carthage on devait avoir autre chose à penser ; que c’était à
lui à prendre son temps pour se reposer ou pour agir. Cependant au bout de
quelques jours il vint camper à Zama, à cinq journées de Carthage du côté du
couchant. Il essaya avant de combattre ce que pourraient l’adresse et
l’astuce sur l’esprit du jeune général romain. Il lui demanda une entrevue,
le loua beaucoup et finit par lui dire : nous vous cédons Scipion, considérant les ressources immenses de Carthage, n’entreprit point de la forcer. Il lui accorda les conditions suivantes : les Carthaginois restitueront aux romains tout ce qu’ils leur ont pris injustement pendant les trêves ; leur remettront tous les prisonniers ; leur abandonneront leurs éléphants et tous leurs longs vaisseaux, à l’exception de dix... etc. Ainsi on leur enlevait leur marine, et l’on plaçait à leur porte l’inquiet et ardent Massanasès, qui devait s’étendre sans cesse à leurs dépens, et les insulter à plaisir, tandis que Rome, tenant Carthage à la chaîne, l’empêcherait toujours de s’élancer sur lui. Quand on lut ces conditions dans le sénat, Hasdrubal
Giscon fut d’avis de les rejeter. Hannibal alla à lui, le saisit et le jeta à
bas de son siége. Tout le monde s’indignait. Le général allégua que, sorti
enfant de sa patrie, il n’avait pu se former à la politesse carthaginoise ;
et qu’il croyait que Giscon perdait son pays en repoussant le traité. Cette
apologie superbe cachait mal le mépris du guerrier pour les marchands parmi
lesquels il siégeait. Et quel mépris mieux mérité ? Lorsque l’ambassadeur de
Carthage alla solliciter à Rome la ratification du traité, un sénateur lui
dit : par quels dieux jurerez-vous, après tous
vos parjures ? Le Carthaginois répondit bassement : par les dieux qui les ont punis avec tant de sévérité.
Carthage livra cinq cents vaisseaux qui furent brûlés en pleine mer à la vue
des citoyens consternés. Mais ce qui leur fut plus sensible, ce fut de payer
le premier terme du tribut ; les sénateurs ne pouvaient retenir leurs larmes.
Hannibal se mit à rire. Ces dérisions amères caractérisent ce véritable démon
de la guerre, le Wallenstein de l’antiquité. Vous avez supporté, dit-il,
qu’on vous désarmât, qu’on brûlât vos vaisseaux, qu’on vous interdît la
guerre ; la honte publique ne vous a pas tiré un soupir ; et aujourd’hui vous
pleurez sur votre argent. Hannibal seul avait gagné à la guerre. Rentré à
Carthage avec six mille cinq cents mercenaires, et grossissant aisément ce
nombre, il se trouvait maître d’une ville désarmée par la défaite de Zama. Il
se fit nommer suffète ; et pour mettre Carthage en état de recommencer la
guerre, il entreprit de la réformer. Il abattit l’oligarchie des juges qui étaient
devenus maîtres de tout, et qui vendaient tout ; il fit défendre de les
continuer deux ans dans leurs fonctions. Il porta dans les finances une
sévérité impitoyable, arracha leur proie aux concussionnaires, et apprit au
peuple étonné que, sans nouvel impôt, il était en état d’acquitter ce qu’on
devait aux Romains. Il ouvrit de nouvelles sources de richesses à sa patrie.
Il employa le loisir de ses troupes à planter sur la plage nue de l’Afrique
ces oliviers dont il avait eu lieu d’apprécier l’utilité en Italie. Ainsi
Carthage, devenue un état purement agricole et commerçant, réparait
promptement ses pertes sous la bienfaisante tyrannie d’Hannibal, qui la
destinait à devenir le centre d’une ligue universelle du monde ancien contre
Rome. |