La pointe méridionale par laquelle l’Italie se lie avec Quelle merveille, qu’au milieu de cette vie fougueuse et demi barbare, la réforme pythagoricienne n’ait pu prévaloir. La philosophie du monde pouvait-elle faire entendre l’harmonie des sphères célestes au milieu du tumulte de l’agora démocratique des villes achéennes ? Pouvait-elle nourrir de lait et de miel celui qui portait un boeuf et le tuait d’un seul coup. La vraie philosophie de la contrée, c’était celle d’Empédocle, celle qui, d’abord préoccupée tristement de l’origine du mal, rapporte tout à l’amour et à la discorde, fond dans sa poésie tous les systèmes comme en une lave ardente, et qui, sous l’accès d’un panthéisme frénétique, se laisse aller à la fascination de cette nature enivrante et terrible qui l’appelle au fond de l’Etna. Ou bien encore, la philosophie italique lutte et résiste avec l’école d’Elée ; à la vue de tous les bouleversements de la nature et de la société, elle nie le changement, ne reconnaît de substance que soi-même, que la pensée, et, s’armant d’une logique intrépide, elle anéantit par représailles la réalité qui l’écrase. La dernière des calamités de la grande Grèce et de C'était alors le mal commun du monde : des armées à
vendre, des tyrannies éphémères, les royaumes gagnés, perdus d’un coup de dé.
Le jour même où Alexandre, exposé au milieu de ses soldats en pleurs, leur
fit baiser sa main mourante, la cavalerie et l’infanterie furent sur le point
de se charger aux portes de Babylone. Pendant qu’on portait le roi au temple
d’Ammon, sa mère, sa femme, ses petits enfants, furent égorgés par des hommes
qui s’évanouissaient encore de frayeur en regardant sa statue. On vit alors
des événements merveilleux, des fortunes prodigieuses ; depuis qu’Alexandre
avait passé Hercule et Bacchus, tout semblait possible. On crut un moment
qu’un de ses gardes (Antigone) allait lui succéder dans l’empire de l’Asie.
Mais les choses se brouillèrent de plus en plus ; tous combattirent contre
tous. On en vit deux à quatre-vingts ans (Séleucus et Lysimaque) se battre
encore à qui emporterait au tombeau ce triste nom du dernier vainqueur (Nicator). Les faibles empires qui sortirent de
ce bouleversement ne subsistaient qu’en achetant sans cesse de nouvelles
troupes. Les Grecs abâtardis de Syrie et d’Égypte, semblables à nos poulains
de la terre sainte, faisaient venir sans cesse des troupes mercenaires
de la mère patrie. Ainsi, la guerre étant devenue un métier, une force
militaire immense flottait depuis Carthage jusqu’à Séleucie. Si jamais cette
force, au lieu de se diviser au service de tant d’états divers, fût venue à
se fixer sur un point, pour faire la guerre à son compte, c’était fait, non
seulement de la liberté et de la civilisation du monde, mais encore de tout
ordre, de toute justice, de toute humanité. Et déjà les mercenaires avaient
essayé de se fixer. Des Mamertins de Ce qui manqua toujours à cette puissance terrible,
dispersée dans le monde, ce fut un chef, une tête, une pensée. L’impétueux
Pyrrhus, gendre d’Agathocles, chef des Épirotes, le Scanderbeg de
l’antiquité, ne fut lui-même, malgré sa tactique, qu’une force brutale. Les
cornes de boucs dont ce brillant soldat chargeait son casque, font penser à
l’impétuosité aveugle des animaux mystiques, qui, dans le songe d’Ézéchiel,
ne vont que par bonds et à force de reins, sans toucher la terre, renversant
les empires sur leur chemin. Malgré son origine royale Pyrrhus, n’avait guère
été plus heureux d’abord qu’Agathocles. À sa naissance, son père venait
d’être tué ; les serviteurs qui l’emportaient dans leur fuite, furent arrêtés
par un fleuve, et sur le point de périr sans pouvoir passer l’enfant à
l’autre bord. Maître trois fois de Les Tarentins étaient assemblés dans leur théâtre, d’où
l’on découvrait la mer, lorsqu’ils aperçoivent à l’horizon dix vaisseaux
latins. Un orateur agréable au peuple, Philocharis, surnommé Thaïs pour
l’infamie de ses moeurs, se lève et soutient qu’un ancien traité défend aux
Romains de doubler le promontoire de Junon Lacinienne. Tout le peuple
s’élance avec des cris pour s’emparer des vaisseaux. Les ambassadeurs envoyés
par Rome à ce sujet, sont reçus au milieu d’un banquet public, hués par le
peuple ; un Grec ose salir d’urine la robe des ambassadeurs. Riez, dit le
Romain, mes habits seront lavés dans votre sang. Les Tarentins effrayés de
leur propre audace, appelèrent Pyrrhus ; et pour le décider, ils lui
écrivirent qu’avec les Lucaniens, Messapiens et Samnites, ils pouvaient lever
vingt mille chevaux et trois cents cinquante mille fantassins. Quelques-uns
d’entre eux prévoyaient pourtant combien il était dangereux de faire venir
les Épirotes. Un citoyen se présente à l’assemblée avec une couronne de
fleurs fanées, un flambeau et une joueuse de flûte, comme s’il sortait ivre
d’un repas. Les uns applaudissent, d’autres rient, tous lui disent de
chanter. Vous avez raison, Tarentins, dit-il, dansons et jouons de la flûte,
pendant que nous le pouvons ; nous aurons autre chose à faire quand Pyrrhus
sera ici. En effet, Pyrrhus à peine arrivé à Tarente, entreprit de
discipliner le peuple, ferma les gymnases et les théâtres, mit des gardes aux
portes pour empêcher de quitter la ville, et il envoyait chez lui, tantôt
l’un, tantôt l’autre, pour les faire périr. Cependant il fallait sortir avec honneur de cette guerre.
Après avoir tenté vainement de gagner Fabricius, envoyé vers lui pour
racheter les prisonniers, il envoya à Rome le rusé Cinéas, par l’éloquence
duquel il avait, disait-il, pris plus de villes que par la force des armes.
L’adresse de l’envoyé et les présents du roi ébranlaient le sénat en sa
faveur. Alors le vieil Appius Claudius, ancien censeur, qui était devenu
aveugle, se fit porter au sénat par ses quatre fils, qui tous avaient été
consuls. Ce vieillard plein de vigueur et d’autorité, gouvernait toujours
avec un pouvoir absolu sa nombreuse maison, ses quatre fils, ses cinq filles
et une foule de client. C’était, dit Cicéron, un arc toujours tendu, que les ans n’avaient pu relâcher.
Ses esclaves le craignaient, ses enfants le révéraient. C’était là une maison
de moeurs et de discipline antique. Appius se rendit odieux dans sa censure, en
mêlant le petit peuple à toutes les tribus, et s’obstinant à rester cinq ans
dans cette magistrature ; mais il s’immortalisa par un magnifique aqueduc et
par l’indestructible monument de Forcé de continuer la guerre, Pyrrhus combattit les
Romains près d’Asculum sans pouvoir décider la victoire. Cette fois, un
soldat ayant blessé un éléphant, dissipa la terreur qu’ils inspiraient. Les
Romains, pour tenir tête à ces monstres, et pour donner plus de stabilité à
leur légion, avaient imaginé un carroccio, dans le genre de celui que
les Lombards du moyen âge opposèrent à Frédéric Barberousse. Ce char était
hérissé de pieux, les chevaux bardés de fer, et les soldats qui le montaient,
armés de torches, pour effrayer les éléphants (280). Pyrrhus découragé,
saisit l’occasion de quitter l’Italie. Les Siciliens l’appelaient contre les
Mamertins et les Carthaginois. Partout il chassa devant lui ces barbares ;
mais les soldats qu’il conduisait ne valaient pas mieux que les Mamertins.
Ils firent regretter aux Siciliens les ennemis dont ils les avaient délivrés.
Pyrrhus repassa en Italie, chargé de l’exécration des peuples ; il y mit le
comble en pillant à Locres le temple révéré de Proserpine, et pénétrant dans
les souterrains où l’on gardait le trésor sacré. Cet or funeste sembla lui
porter malheur. On remarqua que dès lors il échoua dans toutes ses
entreprises. L’expédition de Sicile l’avait empêché de profiter à temps du
découragement des romains. Si l’on en croit un historien, la peste et la
guerre les avaient alors dégoûtés de la vie. Tous refusaient de s’enrôler. Curius
fit tirer au sort toutes les tribus, et ensuite les membres de la première
tribu. Le citoyen désigné refuse ; on déclare ses biens confisqués ; il
réclame, mais les tribuns ne le soutiennent point, et le consul le fait
vendre comme esclave. Cette armée levée avec tant de peine, n’en battit pas
moins Pyrrhus à Bénévent (276). La déroute commença par un jeune éléphant,
qui blessé à la tête, attira sa mère par des cris plaintifs. Les hurlements
de celle-ci effarouchèrent les autres éléphants. Pyrrhus trahit alors Tarente
et retourna dans l’Épire, d’où il devait conquérir encore une fois |