Du haut des Apennins, dont la longue chaîne forme de Aujourd'hui tout ce pays est dépeuplé. Des trente-cinq
tribus, la plupart sont à peine représentées par une villa à moitié ruinée.
Quoique Rome soit toujours une grande ville, le désert commence dans son
enceinte même. Les renards qui se cachent dans les ruines du Palatin vont
boire la nuit au Vélabre. Les troupeaux de chèvres, les grands boeufs, les
chevaux à demi sauvages que vous y rencontrez, au milieu même du bruit et du
luxe d'une capitale moderne, vous rappellent la solitude qui environne la
ville. Si vous passez les portes, si vous vous acheminez vers un des sommets
bleuâtres qui couronnent ce paysage mélancolique, si vous suivez à travers
les marais Pontins l'indestructible voie Appienne, vous trouverez des
tombeaux, des aqueducs, peut-être encore quelque ferme abandonnée avec ses
arcades monumentales ; mais plus de culture, plus de mouvement, plus de vie ;
de loin en loin un troupeau sous la garde d'un chien féroce qui s'élance sur
le passant comme un loup, ou bien encore un buffle sortant du marais sa tête
noire, tandis qu'à l'orient des volées de corneilles s'abattent des montagnes
avec un cri rauque. Si l'on se détourne vers Ostie, vers Ardée, l'on verra
quelques malheureux en haillons, hideux de maigreur, et tremblant de fièvre. Au commencement de ce siècle, un voyageur trouva Ostie
sans autre population que trois vieilles femmes qui gardaient la ville
pendant l'été. Son jeune guide, enfant de quinze ans, qui partageait ses
provisions, lui disait avec l'oeil brillant de la fièvre : et moi aussi, je
sais ce que c'est que la viande, j'en ai goûté une fois. Au milieu de cette misère et de cette désolation, la
contrée conserve un caractère singulièrement imposant et grandiose. Ces lacs
sur des montagnes, encadrés de beaux hêtres, de chênes superbes ; ce Nemi, le
miroir de Dès que vous avez passé la place du peuple et l'obélisque
égyptien qui la décore, vous vous enfoncez dans cette longue et triste rue du
corso, qui est encore la plus vivante de Rome. Poursuivez jusqu'au capitole ;
montez au palais du sénateur, entre la statue de Marc-Aurèle et les trophées
de Marius, vous vous trouvez dans l'asile même de Romulus, intermontium.
Ce lieu élevé sépare la ville des vivants et la ville des morts. Dans la
première, qui couvre l'ancien champ de Mars, vous distinguez les colonnes
trajane et antonine, la rotonde du panthéon, et l'édifice le plus hardi du
monde moderne, le dôme de saint-Pierre. Tournez-vous, sous vos pieds vous
voyez le forum, la voie triomphale, et le moderne hospice de la consolation
près la roche tarpéienne. Ici sont entassés pêle-mêle tous les débris, tous
les siècles de l'antiquité ; les arcs de Septime-Sévère et de Titus, les
colonnes de Jupiter-Tonnant et de la concorde. Au-delà, sur le Palatin, des
ruines sinistres, sombres fondations des palais impériaux. Plus loin encore,
et sur la gauche, la masse énorme du colisée. Cette vue unique arracha un cri
d'admiration et d'horreur au philosophe Montaigne. L'amphithéâtre colossal (colosseum,
Colisée), où tant de chrétiens ont souffert le martyre, efface par sa
grandeur, tout autre ouvrage humain. C'est une monstrueuse montagne de
pierres de cent cinquante-sept pieds de haut sur seize cent quarante de
circonférence. Cette montagne à demi ruinée, mais richement parée par la
nature, a ses plantes, ses arbres, sa flore. La barbarie moderne en a tiré,
comme d'une carrière, des palais entiers. La destination de ce monument de
meurtre, où Trajan faisait périr dix mille captifs en cent jours, est partout
visible dans ses ruines ; vous retrouvez les deux portes par l’une desquelles
sortait la chair vivante, tandis que par l'autre on enlevait la chair morte, sanavivaria,
sandapilaria. A la porte du Colisée se voit la fontaine où, selon la
tradition, les gladiateurs venaient, après le combat, laver leurs blessures.
La borne de cette fontaine était en même temps la première pierre milliaire
de l'empire : toutes les voies du monde romain partaient de ce monument
d'esclavage et de mort. Au-delà du Colisée et du mont Palatin, au-delà de
l'Aventin, Rome se prolonge par ses tombeaux. Là, vous rencontrez le sépulcre
souterrain des Scipions, la pyramide de Cestius, la tour de Cecilia Metella,
et les catacombes, asile et tombeau des martyrs, qui, dit-on, s'étendent sous
Rome, et jusque sous le lit du Tibre. Contemplée ainsi du capitole, cette ville tragique laisse facilement saisir, dans ses principaux monuments, le progrès et l'unité de son histoire. Le forum vous représente la république, le panthéon d'Auguste et d'Agrippa la réunion de tous les peuples et de tous les dieux de l'ancien monde en un même empire, en un même temple. Ce monument de l'époque centrale de l'histoire romaine occupe le point central de Rome, tandis qu'aux deux extrémités vous voyez dans le Colisée les premières luttes du christianisme, son triomphe et sa domination dans l'église de saint-Pierre. |