LA COMMUNE

 

DEUXIÈME PARTIE. — RÉPUBLIQUE DU 4 SEPTEMBRE.

 

 

I. — LE 4 SEPTEMBRE

 

Amis, sous l’Empire maudit

Que la République était belle !

(L. M. Chanson des Geôles)

 

À travers l’effroi qu’inspirait l’Empire, l’idée qu’il était à sa fin se répandait dans Paris, et nous, enthousiastes, nous rêvions la révolution sociale dans la plus haute acception d’idées qu’il fût possible.

Les anciens braillards à Berlin, tout en soutenant encore que l’armée française était partout victorieuse, hissaient échapper de lâches tendances vers la reddition, qu’on leur faisait rentrer dans la gorge, en disant, que Paris mourrait plutôt que de se rendre, et on jetterait à la Seine ceux qui en répandraient l’idée ; ils allaient ramper ailleurs.

Le 2 septembre au soir, des bruits de victoires venant de source suspecte, c’est-à-dire du gouvernement, nous firent penser que tout était perdu.

Une foule houleuse emplit les rues tout le jour, la nuit, elle augmenta encore.

Le 3 il y eut séance de nuit au corps législatif, sur la demande de Palikao, qui avouait des dépêches graves.

La place de la Concorde était pleine de groupes ; d’autres suivaient les boulevards, parlant gravement entre eux : il y avait de l’anxiété dans l’air.

Dès le matin, un jeune homme qui l’un des premiers avait lu l’affiche du gouvernement la racontait avec des gestes de stupeur : il fut immédiatement entouré de gens qui criaient aux Prussiens, et conduit au poste de Bonne-Nouvelle où un agent se jetant sur lui le blessa mortellement.

Un autre, affirmant qu’il venait de lire le désastre sur l’affiche, allait être assommé sur place, quand un des assaillants, qui, celui-là, était de bonne foi, levant par hasard les yeux, aperçut la proclamation suivante que tout Paris lisait en ce moment avec stupeur.

LE CONSEIL DES MINISTRES AU PEUPLE FRANÇAIS.

Un grand malheur a frappé la patrie. Après trois jours d’une lutte héroïque soutenue par l’armée du maréchal Mac-Mahon, contre trois cent mille ennemis, quarante mille homme ont été faits prisonniers !

Le général Wimpfen qui avait pris le commandement de l’armée en remplacement du maréchal Mac-Mahon, gravement blessé, a signé une capitulation : ce cruel revers n’ébranle pas notre courage.

Paris est aujourd’hui en état de défense, les forces militaires du pays s’organisent ; avant peu de jours, une armée nouvelle sera sous les murs de Paris.

Une autre armée se forme sur les rives de la Loire.

Votre patriotisme, votre union, votre énergie, sauveront la France.

L’Empereur a été fait prisonnier pendant la lutte.

Le gouvernement, d’accord avec les pouvoirs publics prend toutes les mesures que comporte la gravité des événements.

Le Conseil des Ministres,

Comte de PALIKAO, Henri CHEVREAU, Amiral RIGAULT DE GENOUILLY, Jules BRAME, LATOUR-D’AUVERGNE, GRANDPERRET, Clément DUVERNOIS, MAGNE, BUSSON, BILLOT, Jérôme DAVID.

 

Quelque habile que fût cette proclamation, l’idée ne vint à personne que l’Empire pouvait survivre à la reddition d’une armée avec ses canons, ses armes, son équipement, de quoi lutter et vaincre.

Paris ne s’attarda pas à s’inquiéter de Napoléon III, la république existait avant d’être proclamée.

Et plus haut que la défaite dont la honte était à l’Empire, l’évocation de la République mettait une lueur sur tous les visages, l’avenir s’ouvrait dans une gloire.

Une mer humaine emplissait la place de la Concorde.

Au fond étaient en ordre de bataille les derniers défenseurs de l’Empire, gardes municipaux et sergents de ville se croyant obligés d’obéir à la discipline du coup d’État, mais on savait bien qu’ils ne pourraient le réveiller d’entre les morts.

Vers midi, arrivèrent, par la rue Royale, des gardes nationaux armés.

Devant eux, les municipaux sabre au clair se formèrent en bataillon serré : — ils se replièrent avec les sergents de ville quand les gardes nationaux s’avancèrent baïonnette au canon.

Alors il y eut un grand cri dans la foule, une clameur monta jusqu’au ciel comme semée dans le vent :

Vive la République !

Les sergents de ville et les municipaux entouraient le corps législatif, mais la foule envahissante, allait jusqu’aux grilles criant : Vive la République !

La République ! c’était comme une vision de rêve ! Elle allait donc venir ?

Les sabres des sergents de ville volent en l’air, les grilles sont brisées, la foule et les gardes nationaux entrent au corps législatif.

Le bruit des discussions se répand jusqu’au dehors, coupé de temps à autre par le cri : Vive la République ! Ceux qui sont entrés jettent par les fenêtres, des papiers sur lesquels sont les noms proposé des membres du gouvernement provisoire.

La foule chante la Marseillaise. Mais l’Empire l’a profanée, nous, les révoltés, nous ne la disons plus.

La chanson du Bonhomme passe coupant l’air avec ses refrains vibrants :

Bonhomme, bonhomme

Aiguise bien ta faux !

nous sentons que nous-mêmes sommes la révolte et nous la voulons. On continue de passer des noms ; à certains, tels que Ferry, il y a des murmures, d’autres disent : Qu’importe ! puisqu’on a la République on changera ceux qui ne valent rien. — Ce sont les gouvernants qui font les listes. Sur la dernière, il y a : Arago, Crémieux, Jules Favre, Jules Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Eugène Pelletan, Ernest Picard, Jules Simon, Trochu, gouverneur de Paris.

La foule crie : Rochefort ! On le met sur la liste ; c’est la foule qui commande maintenant.

Une nouvelle clameur s’élève à l’hôtel de ville ! C’était déjà beau devant le corps législatif, c’est bien plus beau dehors ! La foule roule vers l’hôtel de ville ; elle est dans ses jours de splendeur.

Le gouvernement provisoire est déjà là ; un seul a l’écharpe rouge, Rochefort, qui sort de prison.

Encore des cris : Vive la République !

On respire la délivrance ! pense-t-on.

Rochefort, Eudes, Brideau, quatre malheureux qui grâce aux faux rapports des agents avaient été condamnés pour l’affaire de la Villette (dont ils ne savaient rien), les condamnés du procès de Blois, et quelques autres que poursuivait l’Empire, étaient rendus à la liberté.

Le 5 septembre, Blanqui, Flotte, Rigaud, Th. Ferré, Breullé, Granger, Verlet — Henri Place —, Ranvier, et tous les autres attendaient à leur sortie Eudes et Brideau, dont Eugène Pelletan était allé signer la levée d’écrou à la prison du Cherche-Midi.

On croyait qu’avec la République on aurait la victoire et la liberté.

Qui eût parlé de se rendre eût été broyé.

Paris dressait sous le soleil de septembre quinze forts, pareils à des navires de guerre, montés par de hardis marins ; quelle armée d’invasion oserait les prendre à l’abordage.

Du reste, au lieu d’un long siège à subir, il y aurait des sorties en masse ; ce n’était plus Badingue, c’était la République.

La république universelle

Se lève dans les cieux ardents,

Couvrant les peuples de son aile

Comme une mère ses enfants.

A l’orient blanchit l’aurore !

L’aurore du siècle géant,

Debout ! pourquoi dormir encore !

Debout, Peuple, sois fort et grand !

 

Le gouvernement jurait qu’on ne se rendrait jamais.

Toutes les bonnes volontés s’offraient dévouées jusqu’à la mort ; on eût voulu avoir mille existences pour les offrir.

Les révolutionnaires étaient partout, se multipliaient ; on se sentait une puissance de vie énorme, il semblait qu’on fût la révolution même.

On allait Marseillaise vivante, remplaçant celle que l’Empire avait profanée.

Cela ne durera pas, disait le vieux Miot, qui se souvenait de 48.

Un jour, sur la porte de l’hôtel de ville, Jules Favre nous serra trois dans ses grands bras, Rigaud, Ferré et moi, en nous appelant ses chers enfants.

Pour ma part je le connaissais depuis longtemps ; il avait été, comme Eugène Pelletan, président de la société pour l’instruction élémentaire, et rue Hautefeuille où avaient lieu les cours, on criait vive la République bien avant la fin de l’Empire.

Je songeais à cela pendant les jours de mai à Satory, devant la mare sanglante où les vainqueurs lavaient leurs mains, seule eau qui fut donnée à boire aux prisonniers, couchés dans la pluie, dans la boue sanglante de la cour.

 

II. — LA RÉFORME NATIONALE

 

Amis, l’on a la République.

Le sombre passé va finir.

Debout tous, c’est l’heure héroïque.

Fort est celui qui sait mourir.

(L. M., Respublica.)

 

Était-ce donc le pouvoir qui changeait ainsi les hommes de septembre ?

Eux que nous avons vus fiers devant l’Empire étaient pris d’épouvante de la révolution.

Devant le gouffre à franchir ils refusaient de prendre leur élan, ils promettaient, juraient, contemplaient la situation, et y voulaient rester éternellement renfermés. Avec d’autres sentiments nous aussi, nous nous rendions compte.

Guillaume approchait, tant mieux ! Paris en sortie torrentielle écraserait l’invasion ! Les armées de province se rejoindraient, n’avait-on pas la République ?

Et la paix reconquise, elle ne serait pas la République guerroyeuse, agressive aux autres peuples, l’Internationale remplirait le monde sous la brûlante poussée du germinal social.

Et dans la conviction profonde du devoir on demandait des armes que le gouvernement refusait. Peut-être craignait-il d’armer les révolutionnaires ; peut-être en manquait-il réellement ; on avait des promesses, c’était tout. Les Prussiens continuaient d’avancer, ils étaient au point où le chemin de fer cessait de fonctionner pour Paris ; plus près, toujours plus près.

Mais en même temps que les journaux publiaient la marche des Prussiens, une note officielle donnant le chiffre des approvisionnements rassurait la foule.

Dans les parcs, le Luxembourg, le Bois de Boulogne 200.000 moutons, 40.000 bœufs, 12.000 porcs entassés mouraient de faim et de tristesse, les pauvres bêtes ! mais donnaient une espérance visible aux yeux de ceux qui s’inquiétaient.

La provision de farine réunie à celles des boulangers était de plus de 500.000 quintaux, il y en avait environ cent mille de riz, dix mille de café, trente à quarante mille de viandes salées, sans compter l’énorme quantité de denrées que faisaient venir les spéculateurs comptant au centuple le prix, qui en cas désespéré eussent certainement passé avec les autres provisions pour la vie générale.

Les gares, les halles, tous les monuments étaient remplis.

Au nouvel Opéra dont le gros œuvre était achevé, l’architecte Garnier fit forer la couche de béton sur laquelle reposaient les fondations, un courant qui descend de Montmartre s’en échappa : on aurait de l’eau.

Mieux eût valu que tout manquât, le provisoire à ses premiers jours, n’eût pas entravé l’élan héroïque de Paris ; on aurait pu vaincre encore l’invasion.

Quelques maires marchaient d’accord avec la population de Paris ; Malon aux Batignolles, Clemenceau à Montmartre furent ouvertement révolutionnaires.

La mairie de Montmartre avec Jaclard, Dereure, Lafont pour adjoints de Clemenceau, fit par instants trembler la réaction.

Elle se rassura bientôt ; les plus fiers courages devenaient inutiles dans les vieux engrenages de l’Empire où sous des noms nouveaux on continuait à moudre les déshérités.

Les Prussiens gagnaient du terrain ; le 18 septembre ils étaient sous les forts, le 19 ils s’établissaient au plateau de Châtillon. Mais plutôt que de se rendre, Paris s’allumerait comme jadis Moscou.

Des bruits de trahison du gouvernement commençaient à circuler, il n’était qu’incapable. Le pouvoir faisait son œuvre éternelle, il la fera tant que la force soutiendra le privilège.

Le moment était venu où si les gouvernants eussent tourné contre les révolutionnaires les gueules des canons, ils n’en eussent été nullement étonnés.

Mais plus la situation empirait, plus grandissait l’ardeur de la lutte.

L’élan était si général, que tous sentaient le besoin d’en finir.

Le Siècle lui-même, publia le 5 septembre un article intitulé Appel aux audacieux, et commençant ainsi :

À nous les audacieux. Dans les circonstances difficiles, il faut l’intelligence prompte et les hardiesses inconnues.

À nous les jeunes. Les téméraires, les audacieux indisciplinés deviennent nos hommes. L’idée et l’action doivent être libres. Ne vous gênez plus, ne réglementez plus, débarrassez-vous une bonne fois des vieux colliers et des vieilles cordes : c’est le conseil que donnait l’autre jour notre ami Joigneaux et ce conseil-là c’est le salut[1].

 

Ils vinrent en foule les audacieux, on n’avait pas besoin de les appeler, c’était la République ! Bientôt le lent fonctionnement des administrations, les mêmes que sous l’Empire, eut tout paralysé.

Rien n’était changé puisque tous les rouages n’avaient que pris des noms nouveaux, ils avaient un masque, c’était tout.

Les munitions falsifiées, les fournitures par écrit, le manque de tout ce qui était de première nécessité pour le combat, le gain scandaleux des fournisseurs, l’armement insuffisant ne faisaient aucun doute : c’était la même chose.

De l’aveu du Ministre de la guerre, le seul bataillon complètement armé était celui des employés des ministères.

Ne me parlez pas de cette stupidité, disait le général Guyard en parlant de ceux se chargeant par la culasse.

Il est vrai que les plus mauvais eussent été bons employés dans l’élan du désespoir par des hommes décidés à reconquérir leur liberté.

Félix Pyat, trop soupçonneux — mais payé pour l’être — et les échappés de juin et de décembre, revoyaient les jours qu’ils avaient vécus déjà ; les révolutionnaires, espérant se passer pour vaincre du gouvernement, s’adressaient surtout au peuple de Paris dans les comités de vigilance et les clubs.

Strasbourg investie le 13 août, ne s’était pas encore rendue le 18 septembre. Comme on était ce jour-là dans Paris plus angoissé, sentant l’agonie de Strasbourg qui, blessée, bombardée de toutes parts, ne voulait pas mourir, l’idée nous vint à quelques-uns, plutôt quelques-unes, car nous étions en majorité des femmes, d’obtenir des armes et de partir à travers tout pour aider Strasbourg à se défendre ou mourir avec elle.

Notre petit groupe prit la direction de l’Hôtel-de-Ville en criant : À Strasbourg, à Strasbourg ! des volontaires pour Strasbourg !

À chaque pas venaient de nouveaux manifestants, les femmes et les jeunes gens, la plupart étudiants dominaient.

Il y eut bientôt une masse considérable.

Sur les genoux de la statue de Strasbourg était ouvert un livre, nous y allâmes signer notre engagement volontaire.

De là, en silence on se dirigea vers l’Hôtel-de-Ville ; nous étions toute une petite armée.

Bon nombre d’institutrices étaient venues ; il y en avait de la rue du Faubourg-du-Temple que j’ai revues depuis, j’y rencontrai pour la première fois madame Vincent qui peut-être garda de cette manifestation l’idée de groupements féminins.

On nous délégua, André Léo et moi, pour réclamer des armes.

À notre grand étonnement on nous reçut sans difficulté et nous regardions la demande comme accueillie, quand ayant été conduites dans une vaste salle où il n’y avait que des banquettes, on ferma la porte sur nous.

Il y avait déjà deux prisonniers, un étudiant appartenant à la manifestation et qui se nommait, je crois, Senart, et une vieille femme qui ayant traversé la place en tenant la burette d’huile qu’elle venait d’acheter, avait été arrêtée elle ne savait pourquoi et ceux qui l’avaient prise n’en savaient pas davantage. Elle tremblait si fort que l’huile tombait tout autour d’elle et arrosait sa robe.

Au bout de trois ou quatre heures, un colonel vint nous interroger, mais nous ne voulûmes rien répondre avant que la pauvre vieille eût été mise en liberté ; sa frayeur et la burette d’huile vacillant dans ses mains, témoignaient assez qu’elle n’avait pas manifesté.

On finit par se comprendre, elle sortit tremblant sur ses jambes, essayant de ne pas laisser tomber sa burette dont l’huile continuait à se répandre.

Alors on procéda à notre interrogatoire, et comme nous saisissions l’occasion pour exposer notre demande d’armes pour notre bataillon de volontaires, l’officier qui ne paraissait pas comprendre s’écria stupidement : Qu’est-ce que cela vous fait que Strasbourg périsse puisque vous n’y êtes pas !

C’était un gros homme, de figure régulière et bête, carré des épaules, bien campé, un exemplaire doré sur tranches du grade de colonel.

Il n’y avait rien à répondre qu’à le regarder en face.

Comme je disais tout haut le numéro de son képi, il comprit peut-être ce qu’il venait de dire et s’en alla.

Quelques heures plus tard, un membre du gouvernement arrivant à l’Hôtel-de-Ville nous fit mettre en liberté l’étudiant, André Leo et moi.

Moitié par la force, moitié avec des mensonges, la manifestation avait été dispersée.

Ce jour-là même Strasbourg succombait.

On parlait beaucoup de l’armée de la Loire, — Guillaume, disait-on, se trouverait pris entre cette armée et une formidable sortie des Parisiens.

La confiance au gouvernement diminuait de jour en jour ; on le jugeait incapable, comme tout gouvernement, du reste, mais on comptait sur l’élan de Paris.

En attendant, chacun trouvait du temps pour s’exercer au tir dans les baraques ; j’y étais pour ma part devenue assez forte, ce que nous avons pu constater plus tard aux compagnies de marche de la Commune.

Paris voulant se défendre veillait lui-même.

Le conseil fédéral de l’Internationale siégeait à la Corderie du Temple ; là se réunissaient les délégués des clubs ; ainsi fut formé le comité central des vingt arrondissements, qui à son tour créa dans chaque arrondissement des comités de vigilance formés d’ardents révolutionnaires.

Un des premiers actes du comité central fut d’exposer au gouvernement la volonté de Paris ; elle était exprimée en peu de mots sur une affiche rouge qui fut déchirée dans le centre de Paris, par les gens de l’ordre, acclamée dans les faubourgs, et bêtement attribuée par le gouvernement à des agents prussiens ; c’était chez eux une obsession. Voici cette affiche :

LA LEVÉE EN MASSE !

L’ACCÉLÉRATION DE L’ARMEMENT !

LE RATIONNEMENT !

Les signataires étaient Avrial, Beslay, Briosne, Chalain, Combault, Camélinat, Chardon, Demay, Duval, Dereure, Frankel, Th. Ferré, Flourens, Johannard, Jaclard, Lefrançais, Langevin, Longuet, Malon, Oudet, Pottier, Pindy, Ranvier, Régère, Rigaud, Serrailler, Tridon, Theisz, Trinquet, Vaillant, Varlin, Vallès.

En réponse à l’affiche qui bien réellement était la volonté de Paris, des bruits de victoire se répandirent comme sous l’Empire, annonçant la prochaine arrivée de l’armée de la Loire.

Ce n’était pas l’armée de la Loire qui arrivait, mais la nouvelle de la défaite du Bourget et de la reddition de Metz par le maréchal Bazaine, livrant à l’ennemi une place de guerre que nul avant n’avait pu prendre, les forts, les munitions, cent mille hommes, laissant sans défense le Nord et l’Est.

Le 4 septembre, lorsque André Léo et moi nous parcourions Paris, une dame nous ayant invitées à monter dans sa voiture, nous raconta que l’armée était à bout de vivres, de munitions, de tout, répondant d’avance à l’accusation qui devait être formulée après la prise de Metz, assurant que Bazaine ne trahirait jamais. C’était sa sœur.

Peut-être fut-il plus lâche que traître, le résultat est identique.

Le journal le Combat, de Félix Pyat, le 27 octobre, annonçait la reddition de Metz. La nouvelle, disait-il, venait de source certaine ; en effet, elle venait de Rochefort, qui imposé par la foule au gouvernement, le 4 septembre, ne pouvait sans trahir garder le silence et l’avait dit à Flourens, commandant des bataillons de Belleville. Celui-ci le transmit à Félix Pyat, qui le publia dans le Combat.

Aussitôt, la nouvelle fut démentie et les presses du Combat brisées par les gens de l’ordre, mais chaque instant apportait des preuves nouvelles. Pelletan non plus n’avait pas gardé le silence sur la reddition de Metz.

Les autres membres de la défense nationale hypnotisés par leur mauvais génie, le nain Foutriquet qui rentrait dans Paris après avoir préparé la reddition chez tous les souverains de l’Europe, continuaient à nier, affolés entre la défaite et la marée populaire.

Une note parut dans le Journal Officiel, annonçant presque qu’il était question de livrer Félix Pyat à une cour martiale.

Voici cette note datée du 28 octobre 1870 :

Le gouvernement a tenu à honneur de respecter la liberté de la presse. Malgré les inconvénients qu’elle peut quelquefois présenter dans une ville assiégée, il aurait pu, au nom du salut public, la supprimer ou la restreindre ; il a mieux aimé en référer à l’opinion publique qui est sa vraie force. C’est à elle qu’il dénonce les lignes odieuses qui suivent et qui sont écrites dans le journal le Combat, dirigé par M. Félix Pyat.

La reddition de Bazaine, fait vrai, sûr et certain que le gouvernement de la défense nationale retient par devers lui comme un secret d’état et que nous dénonçons à l’indignation de la France comme une haute trahison.

Le maréchal Bazaine a envoyé un colonel au roi de Prusse pour traiter de la reddition de Metz et de la paix au nom de Sa Majesté l’empereur Napoléon III. (Le Combat.)

L’auteur de cette infâme calomnie n’a pas osé faire connaître son nom, il a signé : le Combat. C’est à coup sûr le combat de la Prusse contre la France, car à défaut d’une balle qui aille au cœur du pays, il dirige contre ceux qui le défendent une double accusation aussi infâme qu’elle est fausse, il affirme que le gouvernement trompe le public en lui cachant d’importantes nouvelles et que le glorieux soldat de Metz déshonore son pays par une trahison.

Nous donnons à ces deux inventions le démenti le plus net.

Dénoncées à un conseil de guerre, elles exposeraient leur fabricateur au châtiment le plus sévère. Nous croyons celui de l’opinion le plus efficace ; elle flétrira comme ils le méritent ces prétendus patriotes dont le métier est de semer les défiances en face de l’ennemi et de ruiner par leurs mensonges l’autorité de ceux qui le combattent.

Depuis le 17 août aucune dépêche directe du maréchal Bazaine n’a pu franchir les lignes. Mais nous savons que, loin de songer à la félonie qu’on ne rougit pas de lui imputer, le maréchal n’a cessé de harceler l’ennemi par de brillantes sorties.

Le général Bourbaki a pu s’échapper, et ses relations avec la délégation de Tours, son acceptation d’un commandement important démontrent suffisamment les nouvelles fabriquées que nous livrons à l’indignation de tous les honnêtes gens[2].

 

Le lendemain 29, la déclaration du gouvernement insérée dans le Combat était suivie de cette note :

C’est le citoyen Flourens qui m’a dénoncé pour le salut du peuple le plan Bazaine et qui m’a dit le tenir directement du citoyen Rochefort, membre du gouvernement provisoire de la défense nationale.

Félix PYAT[3].

 

Il ne s’agissait plus seulement du plan Trochu, déposé suivant la chanson et suivant l’histoire aussi, chez Me Duclou, son notaire, mais encore du plan Bazaine lequel consistait à lâcher tout.

Une dépêche officielle affichée à Paris le 29 octobre annonçait avec des précautions infinies la prise du Bourget ; — devant le rapport signé Schmidt, les policiers pouvaient entendre les réflexions des Parisiens peu favorables au gouvernement.

Les imbéciles prétendaient que la dépêche était fausse et les gens de l’ordre s’empressaient pour gagner du temps d’appuyer cette opinion insensée. Le 30 au soir, une nouvelle dépêche avouait presque tel qu’il avait été le massacre du Bourget.

Le lendemain matin, on lisait l’affiche suivante :

M. Thiers est arrivé aujourd’hui à Paris ; il s’est transporté sur-le-champ au ministère des affaires étrangères, il a rendu compte au gouvernement de sa mission. — Grâce à la forte impression produite en Europe par la résistance de Paris, quatre grandes puissances neutres, l’Angleterre, la Suisse, l’Autriche l’Italie se sont ralliées à une idée commune. Elles proposent aux belligérants un armistice qui aurait pour objet la convocation d’une assemblée nationale.

Il est bien entendu qu’un tel armistice devrait avoir pour conditions le ravitaillement proportionné à sa durée pour le pays tout entier.

Le ministre des affaires étrangères chargé par intérim du ministère de l’intérieur.

Jules FAVRE.

 

Suivait la nouvelle de la capitulation de Metz et de l’abandon du Bourget.

Nous ne pouvions, dit Jules Favre, dans son Histoire de la Défense nationale, retarder la divulgation des deux premières nouvelles. L’arrivée de M. Thiers ayant été annoncée, il fallait dire au public ce qu’il allait faire à Versailles.

L’évacuation du Bourget avait été sue à Paris dès le matin du 30 ; le soir, tout le monde à Paris la connaissait. L’hésitation n’était permise que pour Metz ; nous n’avions pas un rapport officiel, mais malheureusement nous ne pouvions douter. Il nous parut que nous n’avions pas le droit de garder le silence. Nous aurions donné raison aux calomnies du journal le Combat. Conformément à notre décision, l’Officiel du 31 publiait ce qui suit :

Le gouvernement vient d’apprendre la douloureuse nouvelle de la reddition de Metz. Le maréchal Bazaine et son armée ont dû se rendre après d’héroïques efforts que le manque de vivres et de munitions ne leur permettait plus de continuer ; ils sont prisonniers de guerre.

Cette cruelle issue d’une lutte de près de trois mois, causera dans toute la France une profonde et pénible émotion, mais elle n’abattra pas notre courage. Pleine de reconnaissance pour les braves soldats, pour la généreuse population qui a combattu pied à pied pour la patrie, la ville de Paris voudra être digne d’eux, elle sera soutenue par leur exemple et par l’espoir de les venger.

 

Enfin le rapport militaire annonçait dans les tenues suivants le désastre et l’abandon du Bourget.

30 octobre, une heure et demie du soir.

Le Bourget, village en avant de nos lignes, qui avait été occupé par nos troupes a été canonné pendant toute la journée d’hier sans succès pour l’ennemi.

Ce matin de bonne heure des masses d’infanterie évaluées à plus de dix-huit mille hommes se sont présentées de front avec une nombreuse artillerie, tandis que d’autres colonnes ont tourné le village venant de Dugny et Blanc-Mesnil.

Certain nombre d’hommes qui étaient dans la partie nord du Bourget ont été coupés du corps principal et sont restés entre les mains de l’ennemi ; on n’en connaît pas exactement le nombre ; il sera précis demain.

Le village de Drancey occupé depuis 24 heures seulement, ne se trouvait plus occupé à sa gauche et le temps a manqué pour le mettre en état respectable de défense.

L’évacuation en a été ordonnée pour ne pas compromettre les troupes qui s’y trouvaient. Le village du Bourget ne faisait pas partie de notre système général de défense, son occupation était d’une importance bien secondaire et les bruits qui attribuent de la gravité aux incidents qui viennent d’être exposés sont sans gravité[4].

 

C’est avec ces flots d’eau bénite de cour que fut avouée la catastrophe. Des farouches tribuns qui combattaient l’Empire, plus rien ne restait : ils étaient entrés comme des écureuils dans la loge où avant eux d’autres couraient, tournant inutilement la même roue que d’autres avaient tournée avant eux, que d’autres tourneront après.

Cette roue-là c’est le pouvoir écrasant éternellement les déshérités.

 

III. — LE 31 OCTOBRE

 

La confiance est morte au fond des cœurs farouche,

Homme, tu mens, soleil, cieux, vous mentez !

Soufflez, vents de la nuit, emportez, emportez

L’honneur et la vertu, cette sombre chimère.

(Victor Hugo.)

 

Les nouvelles des défaites, l’incroyable mystère dont le gouvernement avait voulu les couvrir, la résolution de ne jamais se rendre et la certitude qu’on se rendait en secret firent l’effet d’un courant glacé précipité dans un volcan en ignition. On respirait du feu, de la fumée ardente.

Paris, qui ne voulait ni se rendre ni être rendu et qui en avait assez des mensonges officiels, se leva.

Alors comme on criait au 4 septembre : Vive la République ! on cria au 31 octobre : Vive la Commune !

Ceux qui le 4 septembre s’étaient dirigés sur la chambre allèrent vers l’Hôtel-de-Ville ; parfois sur le chemin, on rencontrait quelque troupeau moutonnier, racontant que l’armée prussienne avait manqué être coupée en deux ou trois tronçons, je ne sais plus par qui ; ou bien déplorant que les officiers français n’eussent pas connu un petit chemin qui les eût menés droit au cœur de l’ennemi ; d’autres encore ajoutaient : Nous tenons toutes les routes. — Les trois tronçons, c’étaient trois armées allemandes et c’étaient elles qui tenaient toutes les routes.

Quelques gobeurs entraînés par des mouchards continuaient à hurler devant les affiches du gouvernement que c’étaient de fausses dépêches fabriquées par Félix Pyat, Rochefort et Flourens pour apporter le trouble et l’émeute devant l’ennemi, ce qui était depuis le commencement de la guerre, et fut pendant tout le temps, qu’elle dura, la phrase consacrée pour entraver la résistance et arrêter tous les généreux élans.

Les courants suivaient la marche vers l’Hôtel-de-Ville. Venant de tous les côtés, on bousculait les gobeurs et les mouchards, la mer humaine grossissait.

La garde nationale se massait devant la grille ; des placards étaient promenés à travers la foule.

PAS D’ARMISTICE

LA COMMUNE

RÉSISTANCE À MORT

VIVE LA RÉPUBLIQUE !

La foule applaudissait et parfois, sentant l’ennemi, poussait en clameurs formidables le cri : À bas Thiers ! on eût dit qu’elle hurlait à la mort. Beaucoup de ceux qui avaient été trompés criaient plus fort que les autres : Trahison ! trahison !

De premiers délégués furent éconduits avec les ordinaires serments que Paris ne serait jamais rendu.

Trochu essaya de parler, affirmant qu’il ne restait plus qu’à battre et chasser les Prussiens avec le patriotisme et l’union.

On ne le laissa pas continuer et toujours comme au 4 septembre un seul cri montait jusqu’au ciel : La Commune ! Vive la Commune !

Une poussée énorme précipite les manifestants sur l’hôtel-de-ville, où les mobiles bretons étaient entassés dans les escaliers. Lefrançais entre comme un coin au milieu d’eux et le vieux Beslay faisant monter sur ses épaules, Lacour de la chambre syndicale des relieurs, le fait passer par une petite fenêtre près de la grande porte, des volontaires de Tibaldi s’y précipitent, la porte est ouverte et engloutit la foule tant qu’elle y peut tenir.

Autour de la table, dans la grande salle étaient Trochu, Jules Favre, Jules Simon, à qui sévèrement des hommes du peuple demandaient compte de la lâcheté du gouvernement.

Trochu, par phrases interrompues de cris indignés, expliqua qu’il avait été avantageux pour la France d’abandonner les places prises la veille par l’armée allemande, étant donné les circonstances !

L’entêté breton continuait quand même, lorsque tout à coup il pâlit ; on venait de lui passer un papier sur lequel étaient écrites les volontés populaires.

Déchéance du gouvernement.

La Commune.

Résistance à mort.

Pas d’amnistie.

C’est la fin de la France ! dit Trochu profondément convaincu.

Il comprenait enfin ce que depuis plusieurs heures on ne cessait de lui répéter, la déchéance du gouvernement de la défense nationale.

À ce moment, Trochu détacha une décoration qu’il portait et la passa à un officier des mobiles bretons.

— Ceci est un signal ! s’écria Cipriani, le compagnon de Flourens.

Se sentant deviné, Trochu regarda autour de lui où les réactionnaires en grand nombre commençaient à se glisser, il parut se rassurer.

Les membres du gouvernement se retirèrent pour délibérer et, sur leur demande, Rochefort consentit à annoncer la nomination de la Commune, car personne ne les croyait plus, il se mit à l’une des fenêtres de l’Hôtel-de-Ville, fit part à la foule de la promesse du gouvernement, déposa sa démission sur la table et fut emmené par des révolutionnaires à Belleville où, disaient-ils, on le demandait.

Autour de Trochu se rangeaient les Bretons, comme naïfs et têtus, le gardant, ainsi qu’ils auraient fait d’une Notre-Dame dans les landes d’Armorique ; ils attendaient ses ordres, mais Trochu n’en donna pas.

Pendant ce temps, quelques membres du gouvernement, escomptant la bonne foi de Flourens et des gardes nationaux, sortirent sous divers prétextes et mirent pour trahir le temps à profit.

Picard faisait battre le rappel et le 106e bataillon de la garde nationale composé entièrement de réactionnaires, vint sous la conduite d’Ibos, dont le courage était digne d’une meilleure cause, se ranger à la grille de l’Hôtel-de-Ville.

Le 106e criant : Vive la Commune ! on le laissa entrer.

Bientôt 40.000 hommes entourèrent l’Hôtel-de-Ville et pour éviter un conflit, dit Jules Ferry, les conventions étant faites les compagnies de Flourens devaient se retirer.

Moins naïf que les autres, le capitaine Greffier, avait arrêté Ibos, mais Trochu, Jules Favre et Jules Ferry donnant de nouveau leur parole de la nomination de la Commune promirent en outre que la liberté serait garantie à tous, quelle que fût l’issue des événements.

Les membres du gouvernement restés à l’Hôtel-de-Ville se groupèrent dans l’embrasure d’une fenêtre d’où l’on voyait rangés les hommes du 106e bataillon.

Millière à ce moment ayant l’idée d’une trahison probable, voulait faire appel aux gardes nationaux des faubourgs, mais Flourens refusa, disant que c’était une défiance inutile, la parole étant donnée. — Millière se rangeant à son avis, renvoya son bataillon qui était venu se ranger sur la grève.

La foule s’était calmée devant l’affiche qu’on placardait annonçant la nomination de la Commune par voie d’élection ; ceux qui confiants rentrèrent chez eux apprirent le lendemain avec stupeur la nouvelle trahison du gouvernement.

Ferry, qui était allé rejoindre Picard, revint à la tête de colonnes nombreuses qui se rangèrent en bataille.

En même temps, par le souterrain qui allait de la caserne Napoléon à l’Hôtel-de-Ville arrivaient de nouveaux renforts de mobiles bretons. — Trochu l’avait dit, ils allaient :

Monsieur de Charette a dit à ceux de chez nous :

Venez tous ;

Il faut combattre les loups.

Le gaz ayant été éteint pour le guet-apens, les Bretons, baïonnette en avant, se glissaient par le souterrain, tandis que les bataillons de l’ordre conduits par Jules Ferry entraient par la grille.

Blanqui ne se doutant pas qu’on pouvait manquer ainsi à sa parole, fit remettre à Constant Martin l’ordre d’installer à la mairie du 1er arrondissement le docteur Pilot en remplacement du maire Tenaille-Saligny. À la porte de la mairie un soldat croise la baïonnette, Constant Martin relève le fusil et entre avec ses amis. À la salle du conseil, Méline épouvanté va chercher le maire non moins épouvanté ; il remet les sceaux et le coffre-fort aux envoyés de Blanqui. Mais le soir la mairie était reprise. — Flourens était sorti avec le vieux Tamisier entre deux haies de soldats ; Blanqui et Millière sortirent également, le gouvernement n’osant pas d’abord montrer son mépris de la parole donnée ; — le soir même du 31 octobre avait lieu à la Bourse une réunion des officiers de la garde nationale à propos des événements des trois derniers jours.

Comme on criait du dehors : Tous les officiers à leurs postes, un homme tenant une affiche blanche s’élança au bureau, la générale battait dans Paris ; l’affiche, c’était le décret de convocation pour le lendemain afin de nommer la Commune !

— Vive la Commune ! crièrent les gardes nationaux présents. — Mieux eût valu, dit une voix, la Commune révolutionnaire nommée par la foule.

— Qu’importe ! s’écria Rochebrune, pourvu qu’elle laisse Paris se défendre de l’envahissement.

Il émit alors cette idée, la même que Lullier proposait quelques semaines auparavant, que Paris investi n’aurait jamais sur un seul point de l’enceinte, que quelques milliers d’hommes, dont une sortie de deux cent mille pouvait et devait avoir raison.

Des acclamations s’élèvent ; on veut nommer Rochebrune général de la garde nationale, mais il s’écrie : — La Commune d’abord !

Alors un nouveau venu s’élance à la tribune, il raconte que le 106e bataillon a délivré le gouvernement, que l’affiche a menti, que la défense nationale a menti, que plus que jamais le plan de Trochu réglait la marche et l’ordre des défaites et que Paris devait plus que jamais veiller lui-même à n’être pas livré. On crie : Vive la Commune !

Un gros homme qui attend on ne sait pourquoi sur la place se mêle aux gardes nationaux et cherche à exprimer son opinion : — Il faut toujours des chefs, dit-il, il faut toujours un gouvernement pour vous mener.

Ce doit être un orateur de la réaction, on a bien autre chose à faire que de l’écouter.

Oui. L’affiche avait menti, le gouvernement avait menti.

Paris ne nommait pas sa Commune.

Tous ceux qui la veille avaient été acclamés étaient décrétés d’accusation : Blanqui, Millière, Flourens, Jaclard, Vermorel, Félix Pyat, Lefrançais, Eudes, Levrault, Tridon, Ranvier, Razoua, Tibaldi, Goupil, Pillot, Vésinier, Régère, Cyrille, Maurice Joly, Eugène Chatelain.

Quelques-uns déjà étaient prisonniers. Félix Pyat, Vésinier, Vermorel, Tibaldi, Lefrançais, Goupil, Tridon, Ranvier, Jaclard, Baüer étaient déjà arrêtés ; les prisons s’emplissaient contenant parmi les révolutionnaires bon nombre de pauvres gens arrêtés comme toujours par méprise, et qui n’avaient rien fait, — ces tristes figurants ne manquent jamais dans toutes les révoltes. Quelques-uns y apprennent pourquoi il y a des révoltés.

L’affaire du 31 octobre fut ainsi libellée par les juges au service de la défense nationale.

Un attentat, dont le but était d’exciter à la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres ; comprenant séquestration arbitraire et menaces sous conditions.

L’Empire va-t-il donc revenir ? disaient les naïfs. Il n’était jamais disparu, ses lois n’ont pas cessé encore d’exister, elles se sont aggravées même, mais le recul des flots rend plus terribles les tempêtes.

Les juges chargés du dossier du 31 octobre étaient Quesenet, ancien juge de l’Empire, Henri Didier, procureur de la République.

Leblond procureur général, — ce même Leblond qui avait défendu l’un des accusés de la haute cour de Blois, il se récusa presque, il est vrai, disant qu’il n’était que le mandataire de Jules Favre et d’Emmanuel Arago.

Edmond Adam, préfet de police, donna sa démission, ne voulant pas opérer les arrestations qui lui étaient ordonnées.

À l’Hôtel-de-Ville, les mobiles bretons, leurs yeux bleus fixés dans le vague, se demandaient si M. Trochu ne débarrasserait pas bientôt la France des criminels qui y causaient tant de désastres afin qu’il leur fût permis de revoir la mer, les rochers de granit durs comme leurs crânes, les landes où s’ébattent les poulpiquets et de danser aux pardons les jours où armor est en fête.

 

IV. — DU 31 OCTOBRE AU 22 JANVIER

 

Les voilà revêtus du linceul de l’empire,

S’y ensevelissant et la France avec eux,

Et le nain foutriquet, le gnome fatidique

Cousant le voile horrible avec ses doigts hideux.

(L. M., Les Spectres.)

 

Oui, c’était bien l’Empire ! les prisons pleines, la peur et les délations à l’ordre du jour, les défaites changées en victoires sur les affiches.

Les sorties refusées ; le nom du vieux Blanqui secoué comme un épouvantail devant la bêtise humaine.

Les généraux, si lents devant l’invasion, se hâtant de menacer la foule.

Juin et décembre à l’horizon, plus épouvantables que par le passé.

Jules Favre, qu’on ne peut accuser de forcer le tableau dans des vues révolutionnaires, raconte ainsi la situation vis-à-vis de l’armée.

Le général Ducrot qui occupait (le 31 octobre) la porte Maillot, apprenant l’échec du gouvernement n’attendit pas les ordres, il fit prendre les armes à sa troupe, atteler ses canons et se mit en marche vers Paris ; il ne rétrograda que quand ce fut fini.

Ducrot pour cette fois n’était pas en retard, aussi il s’agissait de la foule.

Jules Favre, dans le même livre[5], dit à propos de la théorie soutenue par Trochu à propos des places abandonnées par l’armée.

— Quant à la perte du Bourget, le général déclara qu’elle n’avait aucune signification militaire et que la population de Paris s’en était émue fort mal à propos. L’occupation du village avait eu lieu sans ordre et contrairement au système général arrêté par le gouvernement de Paris et le comité de la défense : il aurait toujours fallu se retirer.

 

C’était bien le même Jules Favre qui sous l’Empire avait dit audacieusement : Ce procès peut être regardé comme un fragment d’un miroir brisé où le pays peut se voir tout entier — il s’agissait des corruptions du régime impérial — ; mais nul homme ne résiste au pouvoir, il faut qu’il tombe.

La République de septembre en était aux plébiscites. — Or, tout plébiscite, grâce à l’apeurement, à l’ignorance, donne toujours la majorité contre le droit, c’est-à-dire au gouvernement qui l’invoque.

Les soldats, les marins, les réfugiés des environs de Paris votèrent militairement et peut-être on ajouta les trois cent mille Parisiens qui s’abstinrent, de sorte que la défense nationale compta 321.373 oui.

Les bruits de victoires ne cessaient pas. Le général Cambriel avait accompli tant d’exploits qu’on ne croyait pas à un seul.

La légende courait que les malfaiteurs du 31 octobre avaient emporté de l’Hôtel-de-Ville l’argenterie et les sceaux de l’Etat.

Après le plébiscite du 3 novembre, le gouvernement annonça qu’il allait remplir ses promesses et procéder à des élections municipales.

Pendant ce temps, les prévenus du 31 octobre étaient toujours en prison, mais lorsqu’ils comparurent trois mois après devant un conseil de guerre, il fallut acquitter tous ceux qui étaient présents ; l’accusation leur ayant reproché d’avoir été les adversaires de l’Empire puisqu’on se prétendait en République l’accusation tombait d’elle-même. Constant Martin avait été oublié cette fois-là, on devait se rattraper vingt-six ans après.

Une partie de ceux qui avaient été inculpés furent élus comme protestation dans les diverses mairies de Paris, les maires et adjoints républicains furent réélus.

Il y eut aux diverses mairies, comme maires ou adjoints : Ranvier, Flourens, Lefrançais, Dereure, Jaclard, Millière, Malon, Poirier, Héligon, Tolain, Murat, Clemenceau, Lafont. — Ranvier, Flourens, Lefrançais, Millière, Jaclard, étaient toujours prisonniers.

Montmartre, mairie, comités de vigilance, clubs, habitants étaient, avec Belleville, l’épouvantail des gens de l’ordre.

On avait l’habitude dans les quartiers populaires de ne pas trop s’inquiéter des gouvernants ; la meneuse c’était la liberté ; elle ne capitulerait pas.

Aux comités de vigilance se réunissaient les hommes absolument dévoués à la révolution, promis d’avance à la mort ; là se retrempaient les courages.

On s’y sentait libres, regardant à la fois le passé sans trop copier 93, et l’avenir sans craindre l’inconnu.

On y venait par attirance ayant les caractères s’harmonisant ensemble, les enthousiastes et les sceptiques, fanatiques tous, de la révolution, la voulant belle, idéalement grande !

Une fois réunis au 41 de la Chaussée Clignancourt, où l’on se chauffait plus souvent du feu de l’idée que de bûches ou de charbon, ne jetant que dans les grandes occasions un dictionnaire ou une chaise dans la cheminée quand on recevait quelque délégué, on avait peine à en sortir.

Vers cinq ou six heures du soir, tous arrivaient, on résumait le travail fait dans la journée, celui à faire, le lendemain ; on causait et arrachant jusqu’à la dernière minute, chacun partait à huit heures à son club respectif.

Parfois on allait plusieurs ensemble tomber dans quelque club réactionnaire, faire de la propagande républicaine.

Au comité de vigilance de Montmartre et à la Patrie en danger, j’ai passé mes plus belles heures du siège ; on y vivait un peu en avant, avec une joie de se sentir dans son élément au milieu de la lutte intense pour la liberté.

Plusieurs clubs étaient présidés par des membres du comité de vigilance, celui de la Reine-Blanche l’était par Burlot, un autre par Avronsart, celui de la salle Perot par Ferré et celui de la justice de paix par moi ; on nommait ces deux derniers, clubs de la Révolution district des Grandes Carrières, appellation particulièrement désagréable aux gens qui s’imaginaient y voir passer 93.

Le mot présider ne s’entendait pas alors, par une fonction honorifique, mais par l’acceptation devant le gouvernement, de la responsabilité, ce qui se traduisait par la prison, et par le devoir de rester à son poste en maintenant la liberté de la réunion malgré les bataillons réactionnaires qui venaient jusqu’au bureau menacer et injurier les orateurs.

Je déposais d’ordinaire près de moi sur le bureau un petit vieux pistolet sans chien, qui habilement placé et saisi au bon moment arrêta souvent les gens de l’ordre, qui arrivaient, frappant à terre leurs fusils ornés de la baïonnette.

Les clubs du quartier Latin, ceux des arrondissements populaires étaient d’accord.

Un jeune homme disait, le 13 janvier, rue d’Arras :

La situation est désespérée, mais la Commune fera appel au courage, à la science, à l’énergie, à la jeunesse ; elle repoussera les Prussiens avec une indomptable énergie, mais qu’ils acceptent la République sociale, nous leur tendrons la main et nous marquerons l’ère du bonheur des peuples.

Malgré l’insistance de Paris à réclamer des sorties, Ce fut le 19 janvier seulement que le gouvernement consentit à laisser la garde nationale tenter de reprendre Montretout et Buzenval.

D’abord ces places furent emportées, mais les hommes entrant jusqu’aux chevilles dans la boue détrempée ne purent monter les pièces sur les collines, il fallut se replier.

Là restèrent par centaines, jetant bravement leur vie, des gardes nationaux, hommes du peuple, artistes, jeunes gens ; la terre but le sang de cette première hécatombe parisienne, elle en devait être saturée.

Laissons raconter à Cipriani, qui faisait partie du 19e régiment commandé par Rochebrune, la bataille de Montretout :

Nous quittâmes Paris, dit-il, dans la matinée du 18, le soir, nous campions aux environs de Montretout.

Le 19, à cinq heures du matin, après avoir mangé un morceau de pain et bu un verre de vin, nous nous mîmes en marche pour le champ de bataille ; à 7 heures nous entrions en ligne.

On se battait déjà depuis deux heures.

Rochebrune s’avance rapidement au plus fort du combat, un bataillon commandé par de Boulen resta à la ferme de la Fouilleuse, deux compagnies prirent place au pavillon de Chayne ; le reste du régiment se porta hardiment en première ligne. On se battit encore pendant deux heures. Alors Rochebrune se tournant vers moi, me dit :

— Allez chercher le bataillon resté à la Fouilleuse.

Arrivé à cet endroit, je communiquai l’ordre au major de Boulen.

— Il me faut, répondit-il, un ordre du major commandant pour marcher.

— Comment, lui dis-je, votre colonel le demande parce que le combat l’exige et vous refusez.

— Je ne puis, dit-il.

Je dus porter cette lâche réponse à Rochebrune qui en l’entendant se mordit les mains de rage en s’écriant : Trahison partout, et montant debout sur le mur qui fermait de ce côté, il commanda de le suivre. Mais en même temps il tombait frappé mortellement.

J’ai pris part à quelques batailles, mais dans aucune je n’ai vu de soldats se trouver en si grande perdition que les braves gardes nationaux dans cette journée du 19 janvier.

Ils étaient mitraillés en face par les Prussiens, derrière par le Mont-Valérien qui envoyait ses obus sur nous, croyant viser l’armée ennemie. Là s’était renfermé le fameux gouverneur de Paris qui ne se rend pas ; sur la droite nous étions mitraillés encore par une batterie française placée à Rueil qui trouvait le moyen de nous prendre pour les Prussiens.

Malgré cela, pas un ne bougeait de sa place et ceux qui avaient épuisé leurs cartouches prenaient celles des morts.

À quatre heures de l’après-midi, comme on combattait depuis neuf heures, arriva un ordre de Ducrot de battre en retraite.

Nous refusâmes, continuant la fusillade jusqu’à dix heures du soir. Nous aurions pu continuer toujours, car les premiers qui avaient déjà plié bagage n’avaient nulle envie de nous surprendre. Donc ce 19 janvier, sans la trahison ou l’imbécillité, la trouée était faite, Paris dégagé, la France délivrée.

Trochu, Ducrot, Vinoy et tutti quanti ne l’ont pas voulu — la République victorieuse eût refoulé loin dans passé les espérances de l’Empire et prouvé à jamais l’incapacité des généraux de Napoléon III ; il fallait pour une Restauration impériale que la République sombrât et c’est ce qui fut tenté.

Pendant tout le temps que dura la bataille de Montretout, je vis Ducrot caché derrière un mur, un prêtre à son côté, et devant eux étendu à leurs pieds un nègre qui avait eu la tête emportée par un obus du Mont-Valérien.

Cette bataille coûta la vie à quelques milliers d’hommes.

Vers onze heures du soir, les débris du 19e régiment se mettaient en marche sur Paris pour l’enterrement de Rochebrune.

La nouvelle de la défaite de Montretout avait agité les Parisiens à un tel point que le vaillant Trochu n’osa plus s’y montrer ; Vinoy prit sa place.

Le lendemain 20 janvier, nous fûmes convoqués Boulevard Richard le Noir, pour assister aux funérailles de notre pauvre ami Rochebrune.

Partout on entendait dire qu’il fallait se débarrasser de ceux qui avaient trahi jusqu’à ce jour.

On parlait de s’emparer du corps de Rochebrune et de marcher à l’Hôtel-de-Ville. Le temps avait manqué pour avertir les membres de la légion garibaldienne, de la ligue républicaine et de l’Internationale, disséminés dans tous les bataillons de la garde nationale ; une poignée d’hommes résolus se trouvaient au rendez-vous, mais poignée d’autant plus insuffisante que ceux en qui la foule avait confiance se trouvaient en prison.

L’enterrement de Rochebrune se passa donc sans aucun incident, si ce n’est que je vis de Boulen, lequel m’apercevant voulut me donner une poignée de main en m’appelant un brave, je refusai en lui répondant :

— Cela se peut, mais vous ne pouvez pas le savoir, car vous vous êtes caché ; vous êtes un traître.

Pour en finir avec ce misérable, je dirai que quelques jours après, je le rencontrai de nouveau ; à ma grande stupéfaction je le vis décoré de la légion d’honneur et colonel : c’était le prix de sa trahison.

Un autre aussi fut décoré, c’est le capitaine D… qui n’avait pas paru tout le temps de la bataille.

Voilà les deux seuls fuyards que j’aie vus à Montretout, ils furent faits chevaliers de la légion d’honneur.

 Amilcare CIPRIANI.

 

À Montretout fut tué, entre autres, Gustave Lambert qui peu de temps avant la guerre organisait une expédition pour le pôle nord par le détroit de Béering.

On s’occupa beaucoup ces années-là des pôles ; il avait été question aussi en 70 de la tenter en ballon.

Cette même année 70-71, les explorateurs étaient au nombre de trois, chacun par un chemin différent ; il y avait un Américain, un Anglais, un Français.

Ce dernier seul, qui était Lambert, ne partit pas. Ces passionnantes expéditions trouvaient parmi nous des enthousiastes.

Aujourd’hui semblables voyages se préparent, les explorateurs sont trois également : un Américain, Peary, un Anglais, Jakson.

Un Norvégien, Jansen.

Un autre Norvégien, Nansen, de retour en ce moment raconte son voyage sur l’indestructible navire Le Fram.

Et comme il y a vingt-cinq ans, grand nombre d’entre nous songent au temps ardemment désiré où dans la grande paix de l’humanité la terre sera connue, la science familière à tous, où des flottes traverseront l’air et glisseront sous les flots, parmi les coraux, les forêts sous-marines qui recouvrent tant d’épaves, où les éléments seront domptés, l’âpre nature adoucie pour l’être conscient et libre qui nous succédera.

Souvent, au fond de ma pensée passe l’appel des noms au club de la révolution — c’est l’appel des spectres, mais voir le progrès éternel c’est en quelques heures vivre éternellement.

 

V. — LE 22 JANVIER

 

Les trôneurs aiguisent leur glaive

Et charpentent leurs échafauds,

Bonhomme,

Bonhomme,

Aiguise bien ta faux.

(DEREU, Chanson du bonhomme.)

 

Le soir du 21 janvier, les délégués de tous les clubs se réunirent à la Reine-Blanche, à Montmartre, afin de prendre une résolution suprême avant que la défaite fût consommée.

Les compagnies de la garde nationale, de retour de l’enterrement de Rochebrune se rendirent à la Reine-Blanche, ayant crié sur tout le parcours : Déchéance ! Les gardes nationaux du faubourg convinrent de se trouver en armes le lendemain à midi, place de l’Hôtel-de-Ville.

Les femmes devaient les accompagner pour protester contre le dernier rationnement du pain. On voulait bien le supporter, mais il fallait que ce fût pour la délivrance.

En fait de protestations, je résolus de prendre mon fusil, comme les camarades.

La mesure étant comble des lâchetés et des hontes, Il n’y eut pas d’opposants au rendez-vous du lendemain pour une mise en demeure du gouvernement.

Il n’y a plus de pain, avait-il été déclaré, que jusqu’au 4 février ; mais on ne se rendra pas, dût-on mourir de faim ou s’ensevelir sous les ruines de Paris.

Les délégués des Batignolles promirent de ramener avec eux le maire et les adjoints à l’Hôtel-de-Ville revêtus de leurs insignes.

Ceux de Montmartre se rendirent de suite à leur mairie. Clemenceau étant absent, les adjoints promirent et s’y rendirent en effet.

Une entente générale eut lieu entre les comités de vigilance, les délégués des clubs et la garde nationale.

La séance fut levée aux cris de : Vive la Commune !

Dans l’après-midi du 21 janvier, Henri Place, connu alors sous son pseudonyme de Varlet, Cipriani et plusieurs du groupe blanquiste se rendirent à la prison de Mazas, où Greffier demanda à voir un gardien qu’il avait connu étant prisonnier.

On le laissa passer avec ceux qui l’accompagnaient ; il observa alors qu’il y avait un seul factionnaire à la grande porte d’entrée.

À droite de cette porte en était une autre plus petite et vitrée, où se tenait jour et nuit un gardien et par laquelle on pénétrait dans la prison.

En face, un corps de garde où couchaient des gardes nationaux de l’ordre : c’était un poste. Arrivés au rond-point, en causant avec le gardien d’un air indifférent, il lui demanda où se trouvait le vieux. On appelait ainsi par amitié Gustave Flourens, comme depuis longtemps Blanqui, lui, vieux réellement.

Couloir B, cellule 9, répondit naïvement le gardien.

En effet, à droite du rond-point, ils virent un couloir désigné par la lettre B.

On causa d’autre chose et, quand ils eurent vu tout ce qui leur était nécessaire de savoir, ils sortirent.

Le soir à dix heures, rue des Couronnes, à Belleville, Ils trouvèrent au rendez-vous soixante-quinze hommes armés.

La petite troupe ayant le mot d’ordre s’improvisa patrouille, répondant aux autres patrouilles qui auraient pu les rencontrer dans leur entreprise. Un caporal avec deux hommes vinrent les reconnaître et, satisfaits, les laissèrent passer.

Le coup de main ne pouvait réussir que très rapidement exécuté.

Les premiers douze hommes devaient désarmer le factionnaire, les quatre suivants s’emparer du gardien de la petite porte vitrée.

Trente autres devaient se précipiter dans le corps de garde, se mettre entre le râtelier aux fusils et le lit camp où était couché la garde et la mettre en joue pour l’empêcher de faire le moindre mouvement.

Les autres vingt-cinq devaient monter le rond-point, s’emparer des gardiens, au nombre de six, se faire ouvrir la cellule de Flourens, où ils les enfermeraient, descendre rapidement, fermer à clef la porte vitrée qui donne sur le boulevard et s’éloigner.

Ce plan fut exécuté avec une précision mathématique.

— Il n’y eut, disait Cipriani, que le directeur qui se fit un peu tirer l’oreille ; mais, devant le revolver braqué sur son visage, il céda et Flourens fut délivré.

Après Mazas, la petite troupe, qui commençait par des triomphes, alla sur la mairie du XXe dont Flourens venait d’être nommé adjoint, ils firent sonner le tocsin et, à une vingtaine, proclamèrent la Commune ; mais personne ne répondit, croyant à un guet-apens du parti de l’ordre.

À l’Hôtel-de-Ville, les membres du gouvernement tenaient une séance de nuit ; il eût été possible de les y arrêter.

Flourens, dans sa prison, n’avait pas vu l’importance du mouvement révolutionnaire ; il objecta qu’on était trop peu.

Mais le premier coup d’audace n’avait-il pas réussi déjà ? L’extrême décision fait, à la force, l’effet d’une fronde à la pierre qu’elle lance.

Le matin du 22, une affiche furieuse de Clément Thomas, qui remplaçait Tamisier au commandement de la garde nationale, était placardée dans Paris.

Cette affiche mettait hors la loi les révolutionnaires ; ils y étaient traités de fauteurs de désordre, appel était fait aux hommes d’ordre pour les exterminer.

Cela commençait ainsi :

Hier soir, une poignée de factieux ont pris d’assaut la prison de Mazas et délivré leur chef Flourens.

Suivaient injures et menaces.

La prise de Mazas et la libération de Flourens avaient rempli d’effroi les membres du gouvernement ; s’attendant à voir une seconde édition du 31 octobre, ils en référèrent à Trochu, qui fit bonder l’Hôtel-de-Ville de ses mobiles bretons.

Chaudey y commandait, son hostilité pour la Commune étant connue.

À midi, une foule énorme, en grande partie désarmée, emplissait la place de l’Hôtel-de-Ville.

Grand nombre de gardes nationaux avaient leurs fusils sans munitions, ceux de Montmartre étaient armés.

Des jeunes gens montés aux réverbères criaient : Déchéance ! La tête crépue de Bauer s’y montrait fort animée.

De temps à autre, une clameur passait.

Tous ceux qui avaient promis, aussi ceux qui n’avaient rien dit, étaient là, aussi bon nombre de femmes : André Léo, mesdames Blin, Excoffon, Poirier, Danguet.

Les gardes nationaux qui n’avaient pas pris de munitions commençaient à le regretter.

Une journée se préparait, nous n’en pouvions douter ; — que serait le lendemain ? l’Hôtel-de-Ville était depuis la veille plein de sacs à terre ; les mobiles bretons dont il regorgeait entassés à l’embrasure des fenêtres nous regardaient, leurs faces pâles immobiles, leurs yeux bleus, fixés sur nous avec des reflets d’acier.

Pour eux la chasse aux loups est ouverte.

Car Monsieur Trochu a dit à ceux d’Ancenis :

Mes amis,

Le roy va ramener les fleurs de lys.

Comme au 31 octobre la foule arrivait toujours.

Derrière la grille, devant la façade était le lieutenant-colonel des mobiles, Léger, et le gouverneur de l’Hôtel-de-Ville Chaudey, dont on se défiait.

— Les plus forts, avait-il dit, fusilleront les autres.

Le gouvernement était en possession des forces les plus grandes.

Des délégués furent envoyés, disant que Paris affirmait encore sa volonté de ne jamais se rendre et de ne jamais être rendu ; ils demandèrent vainement à être introduits, toutes les portes étaient fermées. Les bretons étaient toujours aux fenêtres.

L’Hôtel-de-Ville à ce moment ressemblait à un navire, ses sabords ouverts sur l’océan, les vagues humaines eurent d’abord de grands remous, puis elles attendirent immobiles.

Nul ne doutait plus de la façon dont le gouvernement allait recevoir ceux qui ne voulaient pas de la reddition, traînant après elle Badingue remorqué par Guillaume, ou même n’y traînant que la honte : c’était trop.

Tout à coup Chaudey entra dans l’Hôtel-de-Ville ; il va, disait-on, donner l’ordre de tirer sur la foule. Pourtant on essayait de franchir la grille derrière laquelle grossièrement, des officiers insultaient.

— Vous ne savez pas ce qui vous attend en vous opposant à la volonté du peuple, dit aux insulteurs le vieux Mabile, l’un des tirailleurs de Flourens.

— Je m’en fous ! répondit l’officier qui venait de lancer des invectives, et il braqua son revolver sur le voisin de Mabile qui de son côté s’avança sur lui.

Quelques instants après l’entrée de Chaudey dans l’intérieur, il y eut comme un coup de pommeau frappé derrière une des portes, puis un coup de feu partit isolé.

Moins d’une seconde après, une fusillade compacte balayait la place.

Les balles faisaient le bruit de grêle des orages d’été.

Ceux qui étaient armés répondirent ; froidement, sans arrêter, les Bretons tiraient, leurs balles entraient dans la chair vive, les passants, les curieux, hommes, femmes, enfants, tombaient autour de nous.

Certains gardes nationaux avouèrent depuis avoir tiré non sur ceux qui nous canardaient, mais sur les murs où en effet fut marquée la trace de leurs balles.

Je ne fus pas de ceux-là ; si on agissait ainsi, ce serait l’éternelle défaite avec ses entassements de morts et ses longues misères, et même la trahison.

Debout devant les fenêtres maudites, je ne pouvais détacher mes yeux de ces pâles faces de sauvages, qui sans émotion, d’une action machinale, tiraient sur nous comme ils eussent fait sur des bandes de loups et je songeais : Nous vous aurons un jour, brigands, car vous tuez, mais vous croyez ; on vous trompe, on ne vous achète pas, il nous faut ceux qui ne se vendent jamais, et les récits du vieux grand-père passèrent devant mes yeux, de ce temps où héros contre héros, implacablement combattaient, les paysans de Charette de Cathelineau, de Larochejaquelin, contre l’armée de la République.

Près de moi, devant la fenêtre furent tués une femme en noir, grande et qui me ressemblait et un jeune homme qui l’accompagnait. Nous n’avons jamais su leurs noms et personne ne les connaissait.

Deux grands vieillards debout sur la barricade de l’avenue Victoria, tiraient tranquillement, on eût dit deux statues des temps homériques : c’étaient Mabile et Malezieux.

Cette barricade, faite d’un omnibus renversé, soutint quelque temps le feu de l’Hôtel-de-Ville.

Comme Cipriani gagnait l’avenue Victoria avec Dussali et Sapia, il eut l’idée d’arrêter l’horloge de l’Hôtel-de-Ville et tira sur le cadran qui se brisa ; il était quatre heures cinq minutes.

À cet instant même fut tué Sapia d’une balle dans la poitrine.

Henri Place eut le bras cassé, mais comme toujours et toujours la majorité des victimes se composait de gens inoffensifs, venus là par hasard.

Des passants dans les rues voisines furent tués par des balles perdues.

Ayant tenu le plus longtemps possible en tirant des petites bâtisses situées au côté de la place opposé à la façade, il fallut se retirer.

La première fois qu’on défend sa cause par les armes, on vit la lutte si complètement qu’on n’est plus soi-même qu’un projectile.

Le soir, nous vîmes le père Malezieux ayant encore grande redingote trouée de balles comme un crible.

Dereure, qui un instant avait à lui seul occupé la porte de l’Hôtel-de-Ville, était rentré à la mairie de Montmartre, son écharpe rouge toujours à la ceinture.

— Il faut terriblement de plomb pour tuer un homme, disait Malezieux, le vieil insurgé de juin.

Il en fallait beaucoup pour lui, en effet, tant, que toutes les balles de la semaine sanglante passèrent sans l’atteindre, si bien qu’au retour de la déportation il se tua, lui-même, les bourgeois le trouvant trop vieux pour travailler.

Les poursuites à l’occasion du 22 janvier commencèrent de suite.

Le gouvernement jurant toujours qu’il ne se rendrait jamais, essaya de faire rentrer dans le silence les comités de vigilance, les chambres fédérales, les clubs ; alors tout devint club, la rue fut tribune, les pavés se soulevaient d’eux-mêmes.

Des milliers de mandats d’arrêt avaient été lancés, mais on ne put guère opérer que les arrestations immédiates, les mairies les refusaient, disant que ce serait provoquer des émeutes.

On s’est souvent demandé pourquoi, parmi tous les membres du gouvernement, dont pas un ne se montrait à la hauteur des circonstances, Paris eut surtout horreur de Jules Ferry, c’est surtout à cause de son épouvantable duplicité.

Il avait fait, au lendemain du 22 janvier, placarder l’affiche mensongère qui suit :

MAIRIE DE PARIS

22 janvier 4 heures 52 minutes du soir.

Quelques gardes nationaux factieux appartenant au 101e de marche ont tenté de prendre l’Hôtel-de-Ville, tiré sur les officiers et blessé grièvement un adjudant-major de la garde mobile, la troupe a riposté, l’Hôtel-de-Ville a été fusillé des fenêtres des maisons qui lui font face de l’autre côté de la place et qui étaient d’avance occupées.

On a lancé sur nous des bombes et tiré des balles explosibles ; l’agression a été la plus lâche et la plus odieuse d’abord au début puisqu’on a tiré plus de cent coups fusil sur le colonel et les officiers au moment où ils congédiaient une députation admise un instant avant dans l’Hôtel-de-Ville, non moins lâche ensuite quand après la première décharge, la place s’étant vidée et le feu ayant cessé de notre part, nous fûmes fusillés des fenêtres en face.

Dites bien ces choses aux gardes nationaux et tenez-moi au courant, si tout est rentré dans l’ordre.

La garde républicaine et la garde nationale occupent la place et les abords.

Jules FERRY.

 

Un écrivain sympathique au gouvernement de la défense nationale et qui savait la façon de penser bourgeoise fait quelque part cet aveu dépouillé d’artifice à propos de la répression du 22 janvier.

Il fallut se contenter de condamner à mort par contumace Gustave Flourens, Blanqui et Félix Pyat[6].

Jules Favre comprit-il qu’enlever les armes à Paris serait une tentative inutile aboutissant à une révolution certaine, ou lui restait-il ce sentiment de justice que la garde nationale devait les conserver, il ne fut jamais question de la désarmer quoique son affiche du 28 janvier annonçât l’armistice contre lequel Paris s’était toujours élevé.

C’était la reddition assurée, la date seule restait incertaine où l’armée d’invasion entrerait dans la ville livrée.

Ceux qui si longtemps avaient soutenu que le gouvernement ne se rendrait jamais, que Ducrot ne rentrerait que mort ou victorieux, que pas un pouce du territoire, pas une pierre des forteresses ne serait livré virent qu’on les avait trompés.

Voici comment étaient traités les prisonniers du 22 janvier et ceux qui ayant été transférés à Vincennes ne purent être délivrés avec Flourens.

Les malheureux, dit Lefrançais[7], qui avaient été transférés à Vincennes y restèrent huit jours sans feu, il neigeait par les fenêtres de la salle du donjon où ils étaient enfermés, couchés pêle-mêle sur une surface d’à peu près 150 mètres carrés et littéralement dans la fange la plus immonde.

L’un d’eux, le citoyen Tibaldi détenu pour le 31 octobre et qui avait enduré toutes sortes de tortures physiques et morales à Cayenne où l’Empire l’avait tenu pendant treize ans, déclarait qu’il n’avait jamais rien vu de semblable.

Après avoir été transportés de Vincennes à la Santé où ils restèrent quinze jours dans des cellules sans feu et dont les murs suintaient l’eau (à ce point que ni le linge ni la literie n’y pouvaient demeurer secs), ils furent conduits à Pélagie où ils durent attendre encore deux mois le jugement des conseils de guerre.

Parmi les détenus du 22 janvier était Delescluze arrêté et jeté, lui aussi, dans cet enfer. Seulement comme rédacteur en chef du Réveil qu’on venait de supprimer, Deslescluze âgé de soixante-cinq ans, débile, déjà atteint d’une bronchite aiguë, sortit mourant de prison ; aux élections du 8 février suivant on l’envoya à l’assemblée législative à Bordeaux.

Un ouvrier, le citoyen Magne avait été arrêté au moment où il rentrait chez lui, sortant de son atelier.

Déjà malade, il mourut un mois après à Pélagie, victime du traitement qu’il avait enduré.

 

Dans la soirée du 22 janvier avait été affiché le décret suivant qui fermait les clubs dans Paris.

Le Gouvernement de la défense nationale

Considérant que, à la suite d’excitations criminelles dont certains clubs ont été les foyers, la guerre civile a été engagée par quelques agitateurs désavoués par la population tout entière ;

Qu’il importe d’en finir avec ces détestables manœuvres qui sont un danger pour la patrie, et qui, si elles se renouvelaient, entacheraient l’honneur irréprochable jusqu’ici de la défense de Paris, décrète :

Les clubs sont supprimés jusqu’à la fin du siège, les locaux où ils tiennent leurs séances, seront immédiatement fermés.

Les contrevenants seront punis conformément aux lois.

Article 2. Le préfet de police est chargé du présent décret.

Général TROCHU, Jules FAVRE, Emmanuel ARAGO, Jules FERRY.

 

Tant que le bombardement de Paris rassura, on avait toujours l’espoir d’une lutte suprême.

Quand il se tut, après le 28, on se sentit trahis, il restait la ressource de mourir si la révolte ne pouvait vaincre.

Quoi ! toutes les victimes déjà entassées les uns dans les sillons, les autres sur le pavé des rues, les vieux morts des misères du siège, tout cela n’aurait servi qu’à constater l’abaissement populaire, et le nom de République ne serait qu’un masque !

Quoi ! c’était cela que de loin on voyait dans une gloire !

Quiconque était républicain était déclaré ennemi de la République.

Jules Favre, Jules Simon, Garnier Pagès parcouraient les départements ; Gambetta venait d’étouffer les communes de Lyon et de Marseille qu’avait fait lever le 4 septembre, avec la même désinvolture qu’il apportait, au lendemain du 14 août, à appeler la peine de mort sur la tête des bandits de la Villette.

 

VI. — QUELQUES RÉPUBLICAINS DANS L’ARMÉE et DANS LA FLOTTE. – PLANS DE ROSSEL ET DE LULLIER

 

Malgré la discipline on pense quelquefois

L’esprit peut s’évader du bagne des casernes.

(L. M. Les Prisons.)

 

Suivant la capitulation, l’assemblée de Bordeaux devait être nommée au 8 février et se réunir pour statuer sur les conditions de la paix.

L’impression de cette lâcheté était telle que dans l’armée et dans la flotte des officiers se refusaient à la défaite comme s’y refusait Paris, leurs plans à eux étaient logiques et simples.

Les papiers posthumes de Rossel et ceux qui furent trouvés chez Lullier démontrèrent une fois de plus que même d’après la science militaire, il était possible de résister et de vaincre l’invasion.

Voici quelques-uns de ces fragments.

LA LUTTE À OUTRANCE

La lutte à outrance, la continuation de la lutte jusqu’à la victoire n’est pas une utopie, n’est pas une erreur.

La France possède encore un immense matériel de guerre, un grand nombre de soldats.

La ligne de la Loire qui est une excellente position est à peine entamée, tant que Bourges n’est pas perdu, mais fût-elle acquise à l’ennemi, l’attaque des provinces méridionales devient difficile à cause du massif de l’Auvergne qui oblige l’ennemi à partager ses efforts entre Lyon et Bordeaux, un échec des Prussiens sur l’une de ces deux lignes les dégage toutes deux.

Au contraire la résistance a souvent des chances heureuses, rappelez-vous la bataille de Cannes ; la conquête de la Hollande par Louis XIV à la tête de quatre armées, les plus puissantes de l’Europe, commandées par Turenne et Condé ; l’envahissement de l’Espagne par Napoléon en 1808. Voilà trois situations qui étaient de beaucoup plus désespérées, plus accablantes, qui laissaient bien moins de chances à une issue honorable que notre situation après la prise de Paris.

Cependant toutes trois ont été heureuses, et ce n’est pas un effet du hasard mais peut-être l’effet d’une loi constante dont un des caractères les plus nets est le dépérissement des années victorieuses.

Une armée qui fait une guerre active se détruit lors même qu’elle a toutes facilités de se recruter, les recrues qu’elle reçoit maintiennent sa force numérique, mais ne remplacent pas les vieux soldats ni les officiers qu’elle a perdus.

C’est par le défaut d’officiers qu’a péri l’armée de Napoléon, il en est de même de l’armée d’Annibal, il en sera de même de l’armée prussienne et plus promptement encore sans compter que la mort de M. de Bismarck ou de M. de Moltke peut tout emporter.

La mort de Pyrrhus vainqueur n’est pas un paradoxe ; il vient souvent un moment pour les conquérants où le désastre est tout entier en germe dans une victoire : ce moment c’est Cannes ou la Moskowa. — Pourquoi les Prussiens n’auraient-ils pas la même aventure ?

Il ne s’agit que d’attendre le moment de les user, les lasser, non leur faire trouver Capoue dans nos villes, mais ne jamais faire marché avec eux pour notre rançon.

Nous manquons de patience, nous faisons la paix aussi inconsidérément que nous avons fait la guerre, ce peuple est trop mobile et trop sceptique ; il y a quatre-vingts ans on a pu le fanatiser avec des idées de liberté, de propagande égalitaire et de démocratie universelle, qui croira-t-on maintenant ?………

 

C’est bien le style de l’homme de guerre pour qui avait à combattre la guerre de conquête contre une armée disciplinée. Un général tel que Rossel n’eût pas été inutile.

Plus tard, quand il voulut faire de la garde nationale une armée régulière, Rossel ne comprit pas que l’élan révolutionnaire, puisqu’il fallait se hâter, que le temps manquait comme le nombre devait surtout être employé.

Mais dans les situations désespérées, que chacun emploie le moyen qu’il comprend ; l’arme qu’on connaît est la meilleure, il connaissait bien le métier de la guerre, des dévoués auraient dans ce cas subi la discipline.

Rossel écrivait de Nevers, démontrant les fautes commises par les généraux de l’Empire, que la République de septembre maintenait à la tête de ses armées.

Les opérations militaires ont été continuellement malheureuses.

À force d’impéritie, les plans ont toujours été vicieux et les chefs incapables. Chanzy seul a peut-être montré du talent, encore ne sera-t-il jugé que lorsqu’on saura quelles forces il avait devant lui.

Et, ce seul général a été laissé en dehors de l’échiquier occupé avec des forces insuffisantes à courir la Bretagne et le Poitou.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Gambetta était devenu promptement un homme politique, il fallait qu’il devînt un homme de guerre et c’était notre espérance depuis le temps où enfermés dans Metz nous avions approfondi la nullité de nos généraux. Gambetta ne l’a pas voulu.

Nous avons obéi à tous les podagres de l’annuaire, ils ont accepté la responsabilité en s’arrachant les cheveux de terreur et ont péri par leur propre impuissance beaucoup plus que par l’habileté de leurs adversaires. — Toutes les opérations ont été vicieuses.

La reprise d’Orléans a été exécutée par une faute puérile classée dans tous les traités d’art militaire et cataloguée sous le nom de concentration sur un point occupé par l’ennemi.

La seconde prise d’Orléans a aussi son nom parmi les grandes fautes : c’est une retraite divergente.

La bataille d’Amiens s’appelle défensive passive aussi bien que les opérations qui ont précédé la retraite d’Orléans par les Prussiens.

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La marche de Bourbaki dans l’Est a été gâchée. Le crime de coller une armée contre une frontière neutre et de découvrir toute sa ligne d’opérations sur une longueur de 150 kilomètres n’a pas de nom dans la science militaire.

Si Gambetta avait fait lui-même au lieu de se mettre à la discrétion d’un vieux soldat usé qui marchait à regret, la belle opération qu’il avait conçue n’aurait jamais pu se changer en un honteux désastre.

La République est aussi criminelle en cela que l’Empire parce qu’elle a été aussi inintelligente dans le choix des chefs.

Que le gouvernement de Bordeaux récrimine contre le gouvernement de Paris c’est juste, mais il est juste aussi que nous récriminions contre le gouvernement de Bordeaux.

Dirai-je combien l’organisation a été défectueuse et combien l’héritage malheureux de l’Empire a encore été dilapidé entre nos mains.

Nous avons subi la distinction de l’armée et de la mobile, mais c’est nous qui avons inventé les mobilisés, multiplié les uniformes et les systèmes, exclu les hommes mariés de la défense nationale sous le prétexte invalide que cela ruinerait le pays. Est-il assez ruiné désormais le pays ?

Et quels organisateurs incapables ; ils n’avaient qu’une seule crainte, avoir trop de monde à instruire ; ils excluaient du recrutement autant de monde qu’il leur était possible, ils ne savaient ni réunir les hommes ni les commander et le gouvernement multipliait leur travail par la création déraisonnable de camps d’instruction.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ils avaient cependant une tâche déterminée à accomplir dans un temps déterminé, instruire les soldats à cette tâche difficile avait ajouté celle de créer dans le même temps des baraquements nombreux en faisant de nouveaux corps.

L’artillerie n’a pas su sacrifier un clou de son matériel savant et durable, ses canons et ses affûts, ses caissons, ses harnais dureront quarante ans, c’est vrai, mais ils ne seront jamais achevés qu’après la guerre.

Ayant besoin de faire vite, avons nous simplifié notre armement ? Non. Nous l’avons compliqué par l’adoption du canon rayé. Nos défaites ne tenaient pas à l’armement défectueux, mais à des causes d’un ordre incomparablement plus élevé.

Le canon rayé est bon pour les badauds, ayons des canons lisses et tâchons de nous en servir.

La cavalerie a été aussi méthodique que l’artillerie et aussi incapable sur les champs de bataille[8].

 

Cette marche dans l’Est qui, disait Rossel, avait été gâchée, fut également indiquée par Lullier, officier de marine ; que le désespoir de la défaite jeta vers la commune et que l’affaire du Mont-Valérien (où il engagea sur la parole d’honneur du commandant de ce fort la première sortie contre Versailles dans un désastre), rendit depuis sujet à des accès terribles.

Lullier avait dès le 25 novembre 1870, envoyé le plan suivant auquel il avait une confiance profonde et qui resta sans réponse.

Il est curieux de voir aujourd’hui combien il eût été facile au moins d’essayer de débloquer Paris, qui ne demandait qu’à se défendre héroïquement.

I. L’objectif d’opérations commun aux armées de la République doit être de débloquer Paris. Pour obtenir ce résultat, ce serait tomber dans une grave erreur que concevoir un plan d’après lequel chacune de ces armées marcherait isolément quoique par des mouvements simultanés sur Paris, car les armées allemandes occupant en forces autour de cette place une position concentrique, il leur serait facile de combiner leurs mouvements et d’accabler séparément et successivement chacune des armées françaises qui se présenteraient sur l’un des rayons de leur cercle d’action. Il serait bien difficile, au contraire, pour celles-ci d’obtenir une coïncidence exacte de leurs attaques si l’on considère la répartition des forces agissantes sur le théâtre général des occupations.

Marcher directement sur Paris, c’est aller attaquer directement l’ennemi au siège de sa puissance, au centre de ses ressources, c’est vouloir prendre le taureau par les cornes.

D’un autre côté, Paris ne se trouve pas dans les conditions d’une place ordinaire ; il renferme dans ses murs une armée d’environ 390.000 hommes dont l’organisation, l’instruction, l’armement se perfectionnent de jour en jour, armée qui sera bientôt en état de sortir et de donner efficacement au dehors.

Pour dégager Paris, il suffit d’obliger l’ennemi à distraire momentanément une partie importante des forces qui enserrent la capitale et de l’amener à les porter à une distance qui laisse pendant quarante-huit heures seulement libre jeu à l’armée assiégée pour exécuter une sortie générale contre l’armée assiégeante ; or, en manœuvrant en province, il est facile d’obtenir ce résultat et de dégager partiellement Paris.

Quelle est la manœuvre générale à faire ?

 

II. Réunir toutes les forces disponibles dans le Midi à Lyon ; toutes celles du centre au camp de Nevers ; toutes celles de l’Ouest à Tours ; faire replier l’armée de la Loire sur cette dernière ville et au moyen des voies ferrées ; opérer un mouvement général de concentration de toutes ces forces sur Langres.

On peut réunir en moins de quinze jours 300.000 hommes sous cette dernière ville, place forte avec son camp retranché à portée. Cette armée, couverte sur sa droite par les places de Besançon et de Belfort, sera en mesure de se porter soit sur Châlons par Vitry-le-François, soit entre Toul et Nancy, en faisant tomber par l’option pour cette dernière ville la ligne de la Meuse, mauvaise ligne, peu défendue et peu défendable.

Par l’une ou l’autre de ces avancées, l’armée concentrée à Langres menace directement les communications de l’ennemi, lesquelles s’étendent sur une ligne de 110 lieues par Châlons, Verdun et Nancy, de Strasbourg à Paris. Elle oblige ainsi infailliblement l’ennemi à dégager partiellement Paris pour porter une partie considérable de ses forces sur Châlons ou sur Metz au secours de ses communications menacées.

Si l’armée de Langres est battue, elle se repliera sur la chaussée de Paris à Lyon, sa ligne de retraite naturelle qu’elle ne cesse de couvrir dans son mouvement en avant et sur laquelle elle possède Lyon avec son camp retranché comme base et Dijon comme place de ravitaillement et de défense.

Quoi qu’il advienne, le but sera donc atteint : menacer les communications de l’ennemi sans découvrir les siennes.

Dans ce même temps l’armée du Nord doit venir border l’Oise de Chagny à Creil, puis se concentrer sur la gauche pour se porter par Reims sur les communications de l’ennemi et venir donner la main à l’armée de Langres ou, suivant les circonstances, se concentrer sur la droite pour venir donner par Saint-Denis la main à l’armée de Paris et concourir ainsi au résultat de la sortie générale exécutée par celle-ci.

 

III. Menacer les communications de l’ennemi pour l’obliger à lâcher prise et à rétrograder est l’une des manœuvres les plus usuelles à la guerre ; l’expérience de l’histoire militaire prouve qu’une telle manœuvre même médiocrement conduite a presque toujours été couronnée d’un plein succès.

En 1800, le général autrichien Mélas opérait sur le Var contre la France.

Sa ligne de communication passait par Coni, Alexandrie et la rive droite du Pô. Bonaparte avec 36.000 hommes franchit le Saint-Bernard et vint se placer à cheval sur cette ligne à Marengo.

Mélas menacé d’être coupé de Mantoue et de l’Adige, sa base, se concentre en toute hâte sur Alexandrie.

Vaincu en avant de cette place, il se trouve dans l’alternative de s’y renfermer ou de signer un traité qui nous livre l’Italie.

En 1812, après avoir perdu la bataille de la Moskowa et évacué Moscou, le généralissime russe Mutusoff vint se placer au sud de la ligne de communication de l’armée française. Napoléon fut obligé aussitôt de venir à lui et après la bataille indécise de Malo-Jarolaswitz, le général russe ayant appuyé encore d’une marche vers l’Ouest, Napoléon fut obligé de quitter brusquement Moscou et faillit être coupé de sa base, la Pologne et la Bérésina.

En 1813, dès que les alliés s’avisèrent de faire une marche de concentration sur Leipzig, Napoléon est obligé de quitter sa position concentrique de Dresde pour voler au secours de ses communications menacées ; après les trois batailles de Leipzig, il est obligé de se replier en toute hâte vers le Rhin, sa base.

Dans la même année 1813, en Espagne, dès que le général anglais Wellington s’avisa de marcher par Valladolid sur Burgos, le roi Joseph et les généraux français menacés d’être coupés des Pyrénées, leur base, évacuèrent précipitamment Madrid et faillirent être coupés à Vittoria.

En 1814, Wellington était à Bordeaux, se préparant à marcher sur Paris ; mais le maréchal Soult qui avait pris le commandement de l’armée d’Espagne fit une retraite parallèle à la frontière et vint prendre position à Toulouse. Wellington ne pouvant laisser une armée sur le flanc de sa ligne de communication, fut obligé de venir au général français et de lui livrer la bataille de Toulouse.

Dans la même année de 1814, après la bataille indécise de Bar-sur-Aube, Napoléon marcha sur Saint-Dizier pour se porter sur la Lorraine et se jeter sur les communications des armées allemandes. Bien qu’il ne disposât alors que de soixante-cinq mille soldats, cette marche eût été décisive si Paris eût été mis en état de résister seulement quinze jours.

 

IV. Le plan d’une marche de concentration générale de nos forces de Langres, plan qu’on est en mesure d’exécuter avec trois cent mille hommes dès le 15 décembre est donc conforme aux principes de la science stratégique, et le résultat en est pour ainsi dire garanti d’avance par l’expérience de l’histoire ; il est de plus conforme aux lumières du plus simple bon sens.

La France est mutilée, il ne lui reste plus qu’un bras, mais ce bras est encore capable de tenir une épée. Un ennemi enhardi par le succès met la main sur Paris, la capitale saura-t-elle lui saisir cette main, sinon l’ennemi serrera plus fort et de son autre il l’écartera. Mais si du bras qui lui reste elle menace son adversaire, celui-ci lâchera prise aussitôt. Le bras de la Prusse est étendu sur la France de Strasbourg à Paris, c’est ce bras qu’il faut menacer avec toutes les forces disponibles.

Pour que les opérations de la nature de celle que nous précisons réussissent, il faut deux choses :

1° Le secret gardé sur ses intentions qui ne doivent être révélées que tardivement par les faits et alors qu’il n’est plus temps pour l’ennemi d’y parer par des contre-manœuvres. L’art de la guerre n’est si difficile que par la difficulté qu’on éprouve à cacher d’une part ses projets à l’ennemi et de l’autre à pénétrer les siens.

2° L’exacte combinaison des détails, le recensement du matériel, des voies d’exploitation dont on doit se servir, le calcul exact des durées du transport par chemin de fer. La quantité suffisante de munitions de guerre et de denrées alimentaires assurée, de manière à ne laisser jamais aucun corps en l’air ou sans vivres. Dans la guerre, le calcul exact du temps et des distances est tout.

Le plus beau plan du monde échoue parce qu’un corps d’armée arrive quelques heures trop tard sur le champ de bataille.

Arrivé quatre heures trop tard, il se trouve en présence d’une déroute et l’aggrave même.

Quatre heures plus tôt, il change un désastre en victoire.

Ainsi peut et doit être sauvée militairement la France.

Tours, 25 novembre 1870.

Charles LULLIER.

 

La France ne fut sauvée ni militairement ni révolutionnairement, mais égorgée en troupeau par les bourgeois dégénérés, et pourtant, l’avenir est à la Révolution libératrice.

Ces fragments paraissent vieux de mille ans, la science militaire étant une science qui meurt puisque la guerre entre les peuples se meurt ; malgré les efforts des despotes, des tressaillements l’agitent encore, comme ceux d’une bête à l’agonie, elle ne se relèvera plus. Mais Rossel et Lullier furent des intelligences consumées à travers les événements comme les phalènes à travers la flamme.

Aujourd’hui la discipline a fait son temps, les hommes qu’elle a élevés se heurtent et se rebutent dans la libre envolée de l’humanité.

 

VII. — L’ASSEMBLÉE DE BORDEAUX. – ENTRÉE DES PRUSSIENS DANS PARIS

 

Majorité rurale, honte de la France !

(Gaston Crémieux.)

 

Un second délai fut accordé jusqu’au 28 février et le gouvernement qui se défiait de Paris obtint que l’armée allemande n’y entrerait que le 1er mars. Trochu avait donné sa démission afin de tenir sa parole ou plutôt de paraître la tenir. — Le gouverneur de Paris ne capitulera pas ! — Vinoy l’un des complices de Napoléon III au 2 décembre remplaçait Trochu.

Paris, comme toute la France dressait des listes de candidats s’estompant du républicain à l’internationaliste.

Ceux qui avaient encore quelque confiance aux urnes éprouvèrent des surprises, telles que de voir M. Thiers, qui, la veille de la proclamation officielle, avait 61.000 voix, ce qui déjà semblait exagéré, en annoncer le lendemain 103.000 ! Ce sont les secrets du suffrage universel.

Sur quelques listes, dites des quatre comités, le nom de Blanqui avait été proscrit, quoique plusieurs internationaux y fussent inscrits, Blanqui, c’était l’épouvantail.

Les clubs choisirent les noms des internationaux, aussi bien celui de Liebneck qui avait énergiquement protesté contre la guerre que celui des internationaux français.

Un grand nombre de révolutionnaires n’ayant pas de confiance au suffrage universel, moins universel que jamais, s’abstinrent ! ils furent, comme on l’avait fait pour le plébiscite précédent, remplacés par les réfugiés, les soldats, les mobiles bretons.

M. Thiers qui menait la campagne en province fit voter tous les effarements, toutes les réactions, il sut flatter toutes les lâchetés, si bien, qu’il fut élu dans vingt-trois départements. On l’appela le roi des radicaux.

À la première séance de cette assemblée réactionnaire, Garibaldi ne put se faire entendre, les vociférations couvraient sa voix, tandis qu’il offrait ses fils à la République.

Comme le vieillard restait debout au milieu du tumulte, Gaston Crémieux de Marseille, qui devait être fusillé quelques semaines plus tard, s’écria, aux applaudissements de la foule entassée dans les tribunes : Majorité rurale, honte de la France !

L’assemblée de Bordeaux fut jusqu’au bout digne de son début, il fut impossible à quiconque pensait librement de rester dans ce milieu hostile à toute idée généreuse.

Rochefort, Malon, Ranc, Tridon, Clemenceau donnèrent leur démission.

Celle de quatre d’entre eux était collective et conçue en ces termes :

Citoyen président, les électeurs nous avaient donné le mandat de représenter la République française.

Or, par le vote du 1er mars, l’assemblée nationale a consacré le démembrement de la France, la ruine de la patrie, elle a ainsi frappé ses délibérations de nullité :

Le vote de quatre généraux et l’abstention de trois autres démentent formellement les assertions de M. Thiers. Nous ne pouvons demeurer un jour de plus dans cette assemblée.

Nous vous donnons donc avis, citoyen président, que nous n’avons plus qu’à nous retirer.

Henri ROCHEFORT, MALON de l’Internationale, RANC, TRIDON de la Côte-d’Or.

 

Garibaldi, Victor Hugo, Félix Pyat, Delescluze donnèrent également leur démission de députés.

Le gouvernement appelé nouveau parce que c’était surtout la même chose que l’ancien, fut ainsi composé par l’assemblée capitularde.

THIERS, chef du pouvoir exécutif.

Jules FAVRE, ministre des affaires étrangères.

Ernest PICARD, intérieur.

DUFAURE, justice.

Général LE FLO, guerre.

POUYER-QUERTIER, finances.

Jules SIMON, instruction publique.

Amiral POTHUAU, marine.

LALBRECHT, commerce.

DELAREY, travaux publics.

Jules FERRY, maire de Paris.

VINOY, gouverneur de Paris.

 

Les conditions de la paix étaient : la cession de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine avec Metz.

Le paiement en trois années, de cinq milliards d’indemnités de guerre.

L’occupation du territoire jusqu’à parfait paiement des cinq milliards.

L’évacuation à mesure, et en proportion des sommes versées.

Le 27 février, le bruit se répandit dans Paris de l’entrée de l’armée allemande.

Aussitôt les Champs-Élysées furent couverts de gardes nationaux. Le rappel battait dans la nuit.

On se ressouvint qu’à la place Wagram il y avait des canons que les gardes nationaux des faubourgs avaient achetés par souscriptions, et qui leur appartenaient, pour la défense de Paris.

À la place des Vosges, également, étaient des canons achetés par les bataillons du Marais, chaque quartier avait les siens. Hommes, femmes, enfants s’attelèrent ; les pièces de Montmartre roulées jusqu’au boulevard Ornano, sont montées sur la butte.

Belleville et la Villette traînent les leurs aux buttes Chaumont.

Les pièces du Marais sont laissées place des Vosges. C’est le meilleur endroit pour un parc d’artillerie.

Deux mille gardes nationaux se réunissent au comité central. On prépare les affiches suivantes pour le lendemain.

La garde nationale proteste, par l’organe de son comité central, contre toute tentative de désarmement, et déclare qu’au besoin elle y résistera par les armes.

Le Comité central de la garde nationale.

 

Ce manifeste fut affiché le lendemain 28 ainsi que le suivant.

Les révolutionnaires ne voulant pas faire inutilement égorger une partie de la population,

Le sentiment de la population paraît de ne pas s’opposer à l’entrée des Prussiens dans Paris. Le comité central qui avait émis une opinion contraire déclare qu’il se rallie à la proposition suivante :

Il sera établi autour des quartiers que doit occuper l’ennemi, une série de barricades destinées à isoler complètement cette partie de la ville.

Les habitants de la région circonscrite dans ses limites devront l’évacuer immédiatement.

La garde nationale, de concert avec l’armée formée en cordons tout autour, veillera à ce que l’ennemi ainsi isolé sur un sol qui ne sera plus notre ville, ne puisse en aucune façon communiquer avec les parties retranchées de Paris.

Le comité central engage la garde nationale à prêter son concours à l’exécution des mesures nécessaires à ce but, et à éviter toute agression qui serait le renversement immédiat de la République.

Le Comité central de la garde nationale.

Alavoine, Rouit, Frontier, Boursier, David Boison, Baroud, Gritz, Tessier, Ramel, Badois, Arnold, Piconel, Audoynard, Masson, Weber, Lagarde, Laroque, Bergeret, Pouchain, Lavalette, Fleury, Maljournal, Chonteau, Cadaze, Castroni, Dutil, Matté, Ostyn.

 

L’armée se retira sur la rive gauche, la garde nationale seule, sans trouble, sans provocation, sans faiblesse, exécuta son programme.

Cette nuit-là avait une impression de grandeur.

Il semblait que de quelque part de l’espace on regardât passer dans l’ombre d’une ville morte, un fantôme d’armée.

Les demi-tons incisifs du tocsin tombaient dans le noir des rues désertes.

Les deux tambours géants de Montmartre descendaient la rue Ramey, battant un rappel sourd comme une marche funèbre.

Des souffles de révolte passaient dans l’air, mais la moindre agression eût, comme l’avait senti le comité Central, servi de prétexte à un rétablissement de dynastie, sous la protection de Guillaume.

Quelques instants les drapeaux noirs des fenêtres claquèrent dans le vent, puis il n’y en eut plus une haleine de vie.

De la permanence du comité de vigilance, on ne voyait que la nuit dans laquelle sonnait le tocsin. — La nuit s’acheva lourde.

Aux Champs-Elysées, paisiblement comme un devoir, on brisa dans un café qui avait ouvert aux Prussiens, le comptoir et tout ce qui avait servi à leur usage et par devoir aussi, sans pitié ni colère, on fouetta des malheureuses qui pour voir les envahisseurs avaient en toilettes de fête dépassé les barrières.

Que ne pouvait-on faire justice en place de ces produits lamentables du vieux monde de la société putréfiée tout entière.

L’assemblée de Bordeaux continua de voter une série de mesures honteuses. Ceux qui composaient à Paris le gouvernement n’ayant pas comme la défense nationale promis de mourir plutôt que de se rendre, s’en donnaient à cœur joie d’infamies.

Craignant tous les hommes de courage qu’il appelait la lie des faubourgs, l’assemblée qui n’eût jamais osé affronter Paris, préparait une trahison pour désarmer de ses canons l’acropole de l’émeute, Montmartre, que nous appelions avec la vile multitude la citadelle de la liberté, le mont sacré.

Il y eut un instant où le parti de l’ordre disparaissant dans la multitude, Paris n’eut plus qu’une seule âme héroïque criant vers la liberté.

M. Thiers tenant entre ses griffes de gnome l’assemblée de Bordeaux, la pétrissait à sa taille ; et cette assemblée-là, s’appelait la France : la République !

 

VIII. — SOULÈVEMENTS PAR LE MONDE POUR LA LIBERTÉ

 

Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.

(Victor Hugo)

 

Il y eut par le monde autour de 71, de grands soulèvements d’idées.

Un souffle de tempête les semait, elles ont ramifié grandissant dans l’ombre et à travers les égorgements, elles sont aujourd’hui en fleur ; les fruits viendront.

Vers 70 avant, après, toujours, jusqu’à ce que soit accomplie la transformation du monde, l’attirance vers l’idéal vrai continue.

Est-ce qu’on peut empêcher le printemps de venir, lors même qu’on couperait toutes les forêts du monde ?

Vers 70, Cuba, la Grèce, l’Espagne revendiquaient leur liberté : partout, les Esclaves allaient secouant leurs chaînes, les Indes comme aujourd’hui se soulevaient pour la liberté.

Les cœurs montaient assoiffés d’idéal ; tandis que les maîtres plus implacables armaient leurs meutes inconscientes, les entraînant sur le gibier humain, toujours noyée dans le sang, la révolte renaissait sans cesse ; c’était partout une marée montante vers l’étape nouvelle et plus haute, en vue toujours sans qu’elle soit encore atteinte.

Les répressions déchaînées plus féroces et plus stupides à mesure que la fin arrive sollicitaient comme nous le voyons encore ; le pouvoir affolé et croulant.

En novembre 70, les cachots de Russie regorgeaient. Des hommes, des femmes appartenant comme grand nombre d’entre nous à la jeunesse des écoles, avaient adhéré à l’Internationale ; ils essayaient d’éveiller les moujiks courbés depuis si longtemps sur la dure zemlia.

C’était avec des paroles simples, avec des figures qu’il fallait parler à ces hommes simples — les Paroles, par Bakounine — comme le chant matinal du coq les tirèrent du sommeil.

Le peuple russe, disait-il, dans ces images, se trouve actuellement dans des conditions semblables à celles qui le forcèrent à l’insurrection, sous le tzar Alexis, père de Pierre le Grand. Alors, c’était Stanka Razine, cosaque chef des révoltés, qui se mit à sa tête et lui indiqua la voie d’émancipation.

Pour se lever aujourd’hui, disait Bakounine, il y a près de vingt-six ans, le peuple n’attend plus qu’un nouveau Stanka Razine, et cette fois, il sera remplacé par la légion des jeunes hommes déclassés, qui maintenant vivent de la vie populaire ; Stanka Razine se sent derrière eux, non héros personnel, mais collectif et par cela même invincible. Ce sera toute cette magnifique jeunesse sur laquelle plane son esprit.

Michel BAKOUNINE.

 

Dans une poésie d’Ogareff, ami de Bakounine — l’Étudiant —, les jeunes gens au cœur ardent et généreux, voyaient l’un d’eux vivant de science et d’humanité à travers les luttes de la misère.

Voué par la vengeance du tzar et des boyards à la vie nomade, il allait du couchant au levant criant aux paysans : rassemblez-vous ! levez-vous ! Arrêté par la police impériale, il mourait dans les plaines glacées de la Sibérie en répétant jusqu’à son dernier souffle que tout homme doit donner sa vie pour la terre et la liberté.

Lors des procès de la Commune, le procès des internationaux était jugé en Russie avec les mêmes cruautés inspirées par la terreur que tous les despotes ont de la vérité.

Le mouvement en Amérique avait commencé dès 1866 à Philadelphie, où Uriah Stephens propageait l’idée du groupement défensif des travailleurs contre l’exploitation.

Pendant plusieurs années les réunions des knights of labour chevaliers du travail restèrent secrètes, puis tout à coup, James Wright, Robert Macauley, William Cook, Joseph Rennedy et d’autres se réunissant à Uriah Stephens, formèrent un premier groupe de propagande, bientôt suivi d’autres ; aujourd’hui ce n’est plus par centaines mais par centaines de mille que se comptent les knights of labour.

Ils eurent depuis correspondance pour les grèves, avec les trades union, et les associations ouvrières de l’Amérique du Nord, et celles de l’Irlande contre les évictions.

Elle est en réalité depuis toujours, sous tous les noms que prend la révolte, à travers les âges, cette union des spoliés contre les spoliateurs ; mais à certaines époques telles que 71 et maintenant, elle frémit davantage devant des crimes plus grands, ou peut-être, il est l’heure de briser un anneau de la longue chaîne d’esclavage.

L’Algérie, en 70, ployée sous la conquête puisait dans ses souffrances le courage de l’insurrection.

Notre administration, dit Jules Favre lui-même[9], recueillait ainsi les tristes fruits de la politique à laquelle pendant de longues années elle avait sacrifié les intérêts coloniaux.

Vers la fin de février, les Arabes qui connaissaient le despotisme militaire, mais qui ignoraient ce que serait le despotisme civil et préféraient le mal connu au mal inconnu, commencent à se plaindre plus fort, qu’on envoyait jusque dans leurs familles des Français, pour lesquels ils sont toujours des vaincus ; ils réclamaient leurs compatriotes dans les bureaux et craignaient encore plus l’administration civile pour s’immiscer chez eux.

La révolte, qui chez les peuples asservis couve toujours sous la cendre se propagea rapidement.

Le vieux cheik Haddah sortit de la cellule où il s’était muré depuis plus de trente ans, que son pays souffrait de la servitude et commença à prêcher la guerre sainte.

Ses deux fils Mohamed et Ben Azis, El Mokrani, ben Ali Chérif et d’autres, soulevèrent les Kabyles ; ils eurent bientôt une petite armée et vers le 14 mars le bach aga de la Medjana envoya chevaleresquement une déclaration de guerre au gouverneur de l’Algérie.

Pendant huit jours, les Arabes assiégèrent Bordjibou-Arréridj, mais les colonnes Bonvalet composées plusieurs milliers d’hommes les enveloppèrent.

L’un des cheiks, alors, descendit de cheval et gravit lentement la hauteur d’un ravin que balayait la mitraille.

Il reçut, dit encore Jules Favre[10], la mort qu’il cherchait orgueilleux et fier comme il eût fait du triomphe.

Ainsi en mai 71 devait faire Delescluze.

On dirait qu’en écrivant cela, Jules Favre se souvenait du temps où, entouré de la jeunesse des écoles, il était avec nous d’une bonté paternelle et où nous l’aimions, comme nous aimons la révolte pour la République, et pour la liberté.

Ô la res publica que nous rêvions alors, qu’elle était grande et belle !

 

IX. — LES FEMMES DE 70

 

On eut dit que la Gaule en elle s’éveillait :

Libres, voulant mourir, augmentant de courage

Pour des périls plus grands.

(L. M.)

 

Parmi les plus implacables lutteurs qui combattirent l’invasion et défendaient la République comme l’aurore de la liberté, les femmes sont en nombre.

On a voulu faire des femmes une caste, et sous la force qui les écrase à travers les événements, la sélection s’est faite ; on ne nous a pas consultées pour cela, et nous n’avons à consulter personne. Le monde nouveau nous réunira à l’humanité libre dans laquelle chaque être aura sa place.

Le droit des femmes avec Maria Deresme marchait courageusement mais exclusivement pour un seul côté de l’humanité, les écoles professionnelles de mesdames Jules Simon, Paulin, Julie Toussaint. L’enseignement des petits de madame Pape Carpentier se rencontrant rue Hautefeuille à la société d’instruction élémentaire avaient fraternisé sous l’empire, dans une si large acception que les plus actives faisaient partie de tous les groupements à la fois. Nous avions pour cela, comme complice M. Francolin, de l’instruction élémentaire, qu’à cause de sa ressemblance avec les savants du temps de l’alchimie et aussi par amitié nous appelions le docteur Francolinus.

Il avait fondé, presque à lui seul, une école professionnelle gratuite rue Thévenot.

Les cours y avaient lieu le soir. Celles d’entre nous, qui en faisaient pouvaient ainsi se rendre rue Thévenot après leur classe, nous étions presque toutes institutrices — il y avait Maria La Cecillia, alors jeune fille, la directrice était Maria Andreux, plusieurs autres femmes y faisaient des cours, j’en avais trois ; la littérature, où il était si facile de trouver des citations d’auteurs d’autrefois s’adaptant à l’instant présent. La géographie ancienne, où les noms et les recherches du passé, ramenaient aux recherches et aux noms présents, où il faisait si bon évoquer l’avenir sur les ruines, que je me passionnais pour ces cours.

J’avais encore le jeudi, celui de dessin où la police impériale me fit l’honneur de venir voir un Victor Noir sur son lit de mort, dessiné à la craie blanche estompé avec le doigt sur le tableau noir, ce qui fait un relief d’une douceur de rêve.

Quand les événements se multiplièrent, Charles de Sivry prit le cours de littérature, et mademoiselle Potin, ma voisine d’institution et mon amie, prit le cours de dessin.

Toutes les sociétés de femmes ne pensant qu’à l’heure terrible où on était, se rallièrent à la société de secours pour les victimes de la guerre, où les bourgeoises, les femmes de ces membres de la défense nationale qui défendait si peu, furent héroïques.

Je le dis sans esprit de secte, puisque j’étais plus souvent à la patrie en danger et au comité de vigilance qu’au comité de secours pour les victimes de la guerre, l’esprit en fut généreux et large ; les secours furent donnés, émiettés même, afin de soulager un peu toutes les détresses, et aussi afin d’engager encore et toujours, à ne jamais se rendre.

Si quelqu’un, devant le comité de secours pour les victimes de la guerre, eût parlé de reddition, il eût été mis à la porte, aussi énergiquement que dans les clubs de Belleville ou de Montmartre. On était les femmes de Paris tout comme dans les faubourgs, comme il me souvient de la société pour l’instruction élémentaire où à droite du bureau dans le petit cabinet j’avais ma place sur la boîte du squelette, j’avais à la société de secours, ma place sur un tabouret, aux pieds de madame Goodchaux, qui ressemblant sous ses cheveux blancs, à une marquise d’autrefois, jetait parfois en souriant, quelque petite goutte d’eau froide sur mes rêves.

Pourquoi étais-je là une privilégiée ? je n’en sais rien, il est vrai, peut-être que les femmes aiment les révoltes. Nous ne valons pas mieux que les hommes, mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues.

Et le fait est qu’elles m’aimaient et que je les aimais.

Lorsqu’après le 31 octobre je fus prisonnière de M. Cresson, non pas pour avoir pris part à une manifestation, mais pour avoir dit : Je n’étais là que pour partager les dangers des femmes, ne reconnaissant pas le gouvernement ! — madame Meurice, au nom de la société pour les victimes de la guerre, vint me réclamer au même moment où, au nom des clubs, Ferré, Avronsart et Christ y venaient également.

Combien de choses tentèrent les femmes en 71 ! toutes, et partout ! Nous avions d’abord établi des ambulances dans les forts, et comme nous avions contre l’ordinaire usage trouvé la défense nationale disposée à nous accueillir, nous commencions déjà à croire les gouvernants bien disposés pour le combat, lorsqu’ils envoyèrent également dans les forts, une foule de jeunes gens absolument inutiles, ignorantins et petits crevés, qui criaient leurs craintes tandis que les forts regardaient de vivre ; — les unes et les autres, nous nous empressâmes de donner nos démissions, cherchant à nous employer plus utilement ; — j’ai retrouvé l’an dernier l’une de ces braves ambulancières, madame Gaspard.

Les ambulances, les comités de vigilance, les ateliers des mairies où, surtout à Montmartre, mesdames Poirier, Excoffon, Blin, Jarry trouvaient moyen que toutes eussent un salaire également rétribué.

La marmite révolutionnaire où pendant tout le siège madame Lemel, de la chambre syndicale des relieurs, empêcha je ne sais comment tant de gens de mourir de faim, fut un véritable tour de force de dévouement et d’intelligence.

Les femmes ne se demandaient pas si une chose était possible, mais si elle était utile, alors on réussissait à l’accomplir.

Un jour il fut décidé, que Montmartre n’avait pas d’ambulances, alors avec une amie de la société d’instruction élémentaire toute jeune à cette époque, nous résolûmes de la fonder. C’était Jeanne A., depuis Madame B.

Il n’y avait pas un sou, mais nous avions une idée pour faire les fonds,

Nous emmenons avec nous un garde national, de haute taille, à la physionomie d’une gravure de 93, — marchant devant la baïonnette au fusil. Nous, avec de larges ceintures rouges, tenant à la main des bourses faites pour la circonstance, nous partons tous les trois, chez les gens riches, avec des visages sombres. — Nous commençons par les églises, le garde national marchant dans l’allée en frappant son fusil sur les dalles, nous, prenant chacune un coté de la nef, nous quêtons en commençant par les prêtres à l’autel.

À leur tour les dévotes, pâles d’épouvante, versaient en tremblant leur monnaie dans nos aumônières — quelques-uns d’assez bonne grâce, tous les curés donnaient ; puis ce fut le tour de quelques financiers juifs ou chrétiens, puis des braves gens, un pharmacien de la Butte offrit le matériel. L’ambulance était fondée.

On rit beaucoup, à la mairie de Montmartre, de cette expédition que nul n’eût encouragée, si nous en eussions fait confidence avant la réussite.

Le jour où mesdames Poirier, Blin, Excoffons vinrent me trouver à ma classe pour commencer le comité de vigilance des femmes m’est resté présent.

C’était le soir, après la classe, elles étaient assises contre le mur, Excoffons ébouriffée avec ses cheveux blonds, la mère Blin déjà vieille avec une capeline de tricot ; madame Poirier ayant un capuchon d’indienne rouge ; sans compliments, sans hésitation elles me dirent simplement : — Il faut que vous veniez avec nous, et je leur répondis : — J’y vais.

Il y avait en ce moment à ma classe presque deux cents élèves, des fillettes de six à douze ans que nous instruisions ma sous-maîtresse et moi, et de tout petits enfants de trois à six ans, garçons et filles dont ma mère s’était chargée et qu’elle gâtait beaucoup. Les grandes de ma classe l’aidaient, tantôt l’une, tantôt l’autre.

Les petits, dont les parents étaient des gens de la campagne réfugiés à Paris, avaient été envoyés par Clemenceau ; la mairie s’était chargée de leur nourriture, ils avaient du lait, du cheval, des légumes et très souvent quelques friandises.

Un jour que le lait tardait, les plus jeunes peu habitués à attendre se mirent à pleurer, ma mère en les consolant, pleurait avec eux. Je ne sais comment je m’avisai, pour les faire attendre avec plus de patience, de les menacer, s’ils ne se taisaient pas, de les envoyer chez Trochu.

Aussitôt ils crièrent avec effroi : — Mademoiselle, nous serons bien sages, ne nous envoyez pas chez Trochu !

Ces cris et la patience avec laquelle ils attendirent me donnèrent l’idée qu’ils entendaient chez eux tenir en médiocre estime le gouvernement de Paris.

On a souvent parlé des jalousies entre institutrices, je les ai pas éprouvées ; avant la guerre nous faisions des échanges de leçons avec ma plus proche voisine, mademoiselle Potin, donnant les leçons de dessin chez moi, et moi les leçons de musique chez elle, conduisant tantôt l’une tantôt l’autre, nos plus grandes élèves aux cours de la rue Hautefeuille. Pendant le siège elle fit ma classe, lorsque j’étais en prison.

 

 

 



[1] Le Siècle du 7 septembre 1870.

[2] Journal officiel du gouvernement, 28 octobre 1870.

[3] Le Combat, 29 octobre 1870.

[4] L’Officiel du 31 octobre, cité par Jules Favre dans le 1er volume de l’Histoire de la Défense nationale.

[5] Jules Favre, Le Gouvernement de la Défense nationale, 1er volume.

[6] Sempronius, Histoire de la Commune, Décembre, Alonier.

[7] G. Lefrançais, Étude du mouvement communaliste, 1871.

[8] Rossel, Papiers posthumes, recueillis en 1871 par Jules Amigues.

[9] Jules Favre, Simple récit d’un Membre de la défense nationale, page 269, tome 2.

[10] Jules Favre, Simple récit d’un Membre de la défense nationale, 2e volume, page 273.