Comment La Commune
est-elle composée ? — L'Internationale y est sans influence sensible. —
Proclamation solennelle du nouveau gouvernement sur la place de l'Hô
tel-de-Ville. — Le citoyen Beslay, président d'âge ; il trace le programme de
la Commune. — Destitution de MM Wurtz et Colmet-d’Aage ; la conscription est
abolie. — Décret en faveur des locataires. — Les scellés sont apposés dans
les bureaux de cinq compagnies d'assurances. — La délation devient un devoir
civique. — Départ de M. Rampont, directeur des postes. — Paris de nouveau
isolé. — Dix commissions instituées. Adieu le programme du citoyen Beslay ! —
Démissions au sein de la Commune. — Que fait Versailles ? Dépêche de M.
Picard. — La guerre civile commence au pont de Neuilly. — Exécutions
sommaires du général de Galiffet à Chatou. — Conseils du Père-Duchêne. — Les généraux
Eudes, Duval, Bergeret. — Sortie du 3 avril ; mitraillade du Mont-Valérien. —
Mort de Flourens. — Déroule de Chatillon. — Duval fusillé par ordre du
général Vinoy. — On provoque les représailles. — Cluseret est « délégué à la
guerre. » — L'enrôlement forcé. — Décret des otages. — Ce décret est le
triomphe de la modération. — Adresse de la Commune « aux départements. » — La
conciliation ; l'Union des chambres syndicales ; l'Union républicaine des
droits de Paris. — Tentative de M. Ranc, membre de la Commune. — Déclaration
de l'Union républicaine. — Conciliation, c'est trahison ! — Les francs-maçons,
les délégués provinciaux à Versailles ; déclarations de M. Thiers. — La
Commune s'exaspère ; atteinte à la liberté de la presse, a la liberté
individuelle, à la liberté de conscience. — Arrestations de MM. Bonjean,
Darboy, Deguerry. Les délégués de la Ligue des droits de Paris à Versailles ;
les barricades ; le sort en est jeté.
La
Commune était nommée, constituée. Quels étaient les hommes qu'une maladresse
du gouvernement venait de porter au pouvoir ? La plupart étaient inconnus. On voit
parmi eux des hommes politiques, des journalistes connus pour leurs idées
très-avancées : Delescluze, Pyat, Vermorel ; des orateurs de clubs, des
jacobins, quelques fédéralistes. Peu de membres du comité central ont été
élus. On a beaucoup accusé la Société internationale des travailleurs d'avoir
eu la main dans le mouvement du 18 mars. La frayeur que cette société inspire
a fait commettre ici une erreur. D'abord, dans le comité central,
l'Internationale ne comptait que deux membres : Varlin et Avoine fils. Les
internationaux sont plus nombreux dans la Commune ; on en compte dix-neuf sur
quatre-vingt membres, et ce ne sont pas les plus influents. Les personnages
importants de la Commune, ceux qui vont montrer jusqu'au bout une résistance
acharnée, Cournet, Delescluze, Eudes, Ferré, Pyat, Ranvier, Raoul Rigault
sont des adversaires déclarés de l'Association internationale. Fait encore
plus significatif : le président de la Commune, Lefrançois, babouviste
déterminé, est notoirement connu pour avoir attaqué dans les clubs
l'Internationale et ses tendances. Il n'aurait donc pas été appelé à occuper
le fauteuil, si l'Internationale avait eu dans la Commune une influence
prépondérante. Venus de divers points de l'horizon, ayant des aspirations
différentes et des programmes dissemblables, les membres de la Commune
avaient été réunis comme par le hasard. On peut
prévoir, dès le principe, que l'harmonie et l'unité leur feront défaut quand
ils sortiront du nuage de la phrase pour mettre leur gouvernement à l'œuvre. En attendant,
la première chose à faire est de proclamer la Commune avec une grande
solennité. Le jour de la cérémonie est fixé au 28 mars. Les bataillons
fidèles arrivent sur la place de l'Hôtel-de-Ville, tambours en tête,
enseignes déployées, au milieu d'une foule immense, plus curieuse que sympathique.
C'est en souriant que le peuple de Paris voit arriver le cortège sur
l'estrade élevée pour la circonstance. Il ne prend pas encore au sérieux ce
gouvernement du hasard, maître pourtant de la capitale, des palais, des
ministères et obéi par des milliers de gardes nationaux. Le fond de la pensée
de la foule, c'est que tout s'arrangera et que cet appareil théâtral n'est
qu'un enfantillage dont il vaut mieux rire que pleurer. Les membres de la
Commune prennent les choses plus au tragique. Ceints de l'écharpe rouge, les
uns en habit noir et en cravate blanche, les autres en uniforme galonné de
gardes nationaux, ils apparaissent sur l'estrade au roulement des tambours,
aux acclamations des bataillons dévoués. Le canon tonne, les fanfares
éclatent ; mille cris de Vive la Commune ! Vive la République !
fendent l'air. Après quelques courtes harangues sur la victoire du peuple, il
est donné lecture du résultat des élections, le nom des élus est proclamé et
le citoyen Assi s'écrie : « Au nom du peuple, la Commune de Paris est
déclarée. » Le
programme du gouvernement est tracé par le citoyen Beslay, doyen d'âge, dans
la séance d'installation. Socialiste proudhonien et l'un des fondateurs de
l'Internationale, le citoyen Beslay est un homme d'une honnêteté reconnue. Il
est de ceux qui croient qu'une société peut se régénérer au moyen d'une
formule magique. Jugeant les autres d'après lui-même, il leur prête
généreusement ses propres aspirations. « Citoyens, dit-il, depuis cinquante
ans les routiniers de la vieille politique nous bernaient avec les grands
mots de décentralisation et de gouvernement du pays par le pays ; grandes
phrases qui ne nous ont rien donné. Plus vaillants que vos devanciers, vous
avez fait comme le sage qui marchait pour prouver le mouvement ; vous avez
marché, et l'on peut compter que la République marchera avec vous ! Paix et
travail ! voilà notre avenir ! voilà la certitude de notre revanche et de
notre régénération sociale, et ainsi comprise, la République peut encore
faire de la France le soutien des faibles, la protectrice des travailleurs,
l'espérance des opprimés dans le monde et le fondement de la République
universelle. L'affranchissement de la commune est donc l'affranchissement de
la République elle-même ; chacun des groupes va retrouver son indépendance et
sa complète liberté d'action : La
commune s'occupera de ce qui est local ; Le
département s'occupera de ce qui est régional ; Le
gouvernement s'occupera de ce qui est national ; Et,
disons-le hautement, la commune que nous fondons sera la Commune modèle…..
Voilà, à mon avis, citoyens, la route à suivre : entrez-y hardiment et
résolument : Ne dépassons pas cette limite fixée par notre programme, et le
pays et le gouvernement seront heureux et fiers d'applaudir à cette
révolution, si grande et si simple, et qui sera la plus féconde révolution de
notre histoire. Le
citoyen Beslay était sincère sans doute en résumant le programme de la
Commune dans ces deux mots : paix et travail, et en délimitant ses attributions
aux affaires locales, de son ressort immédiat ; mais cette double utopie,
permise à un pouvoir solidement établi, ne l'était pas à la Commune,
constituée par surprise, ayant en face d'elle un pouvoir légal, avec qui la
lutte était inévitable à bref délai. Paix et travail, quelle ironie ! Il n'y
avait pas moins d'ironie, involontaire sans doute, dans la promesse que la.
Commune bornerait son gouvernement aux affaires municipales, à
l'administration des intérêts de la cité. Les actes officiels ne devaient pas
tarder à montrer au citoyen Beslay qu'il est des courants auxquels on ne
résiste pas, des situations dont on n'est pas le maître. Dès le lendemain, la
Commune commence la série de ses usurpations. Elle destitue M. Wurtz, doyen
de la faculté de médecine, et M. Colmet-d'Aage, doyen de la faculté de droit,
pour les remplacer par MM. Naquet et E. Accolas ; elle abolit la conscription
; elle public un décret qui dispense les locataires de payer leur loyer,
décret ainsi conçu Art.
1er. Remise générale est faite aux locataires des termes d'octobre 1870,
janvier et avril 1871. Art.
2. Toutes les sommes payées par les locataires, pendant les neuf mois, seront
imputables sur les termes à venir. Art.
3. Il est également fait remise des sommes dues pour les locations en garni. Art.
4. Tous les baux sont résiliables, à la volonté des locataires, pendant une
durée de six mois, à partir du présent décret. Art.
5. Tous congés donnés seront sur la demande des locataires, prorogés de trois
mois. Le but
de la Commune en publiant ce décret était de faire supporter à « la propriété
sa part de sacrifices, » attendu que toutes les charges de la guerre avaient
pesé principalement sur le commerce et l'industrie. On oubliait d'abord que
certains industriels, tels que les marchands de vin et de comestibles, pour
ne citer que ceux-là, avaient réalisé de grands bénéfices pendant le siège et
se trouvaient par là même en mesure de payer leurs loyers ; on oubliait
ensuite que les propriétaires, ne touchant pas le revenu de leurs immeubles,
n'étaient pas dispensés pour cela de payer leurs impôts. La mesure était
inique, mais les membres de la Commune avaient voulu se concilier l'appui des
locataires, beaucoup plus nombreux que les propriétaires, et mettre de leur
côté la grande majorité de la population. Toutefois le décret du 29 mars
n'entraîna point autant d'abus qu'on pouvait légitimement en attendre. Il
n'empêcha pas les locataires honnêtes — la grande majorité — de remplir leurs
obligations, sauf à obtenir des propriétaires les délais rendus nécessaires
par les circonstances. Dans la
journée du 30 mars, un acte non moins condamnable est commis par ordre de la
Commune Les scellés sont apposés par ses agents dans les bureaux de cinq compagnies
d'assurance, la Nationale, l'Urbaine, le Phénix, la Générale,
l'Union ; les espèces en caisse sont mises en réquisition. C'était une
atteinte bien caractérisée à la propriété privée. C'était assez pour éloigner
définitivement du mouvement communal les esprits encore indécis, suspendus
entre Paris et Versailles. Il n'y avait rien à faire avec des hommes
politiques de ce caractère. Engagés dans une mauvaise voie, ils semblaient
condamnés à s'y enfoncer toujours plus. Ils en vinrent, le 31 mars, à
recommander la délation comme un devoir civique et à faire de l'espionnage
une vertu. Témoin le document suivant, affiché par ordre de la préfecture de
police, sous forme « d'avis » : La
plupart des services publics étant désorganisés à la suite des manœuvres de
Versailles, les gardes nationaux, sont priés d'adresser par lettres, à la
police municipale, tous les renseignements pouvant intéresser la commission
de sûreté générale. Le chef de la police municipale. A. DUPONT. Paris,
le 31 mars 1871. Cet «
avis » qui enrôlait toute la garde nationale dans la police secrète révolta
toutes les consciences. Conséquente d'ailleurs avec elle-même, la Commune
s'était emparée du service des postes dans la crainte de l'existence d'un
cabinet noir. Le délégué qu'elle installa rue Jean-Jacques-Rousseau à la
place de M. Rampont trouva le service entièrement désorganisé par le départ
du directeur et du personnel rappelés à Versailles par le gouvernement. Paris
fut de nouveau sans communication avec le dehors, comme au temps du siège.
Cet isolement porta un coup funeste aux opérations industrielles et
commerciales qui avaient repris leurs cours depuis la capitulation. C'est en
vain que le haut commerce parisien envoya une députation à Versailles pour
demander, au nom de ses intérêts, la liberté des correspondances. La délégation
fut éconduite sans avoir rien obtenu. Le gouvernement paraissait prendre à
tâche de faire expier à la population parisienne son indifférence au 18 mars.
Peu s'en fallait qu'il ne lui dise : « Vous avez voulu la Commune, eh bien,
vous l'avez, débarrassez-vous-en. » Reproche injuste, qui ne ramenait pas les
sympathies au gouvernement. Ces propos aigrissaient les adhérents de la Commune
et paralysaient les hommes de bonne volonté. Ce qui donnait à l'isolement
auquel Paris était de nouveau condamné un caractère de vexation puérile,
c'est qu'on pouvait aller jeter des correspondances à la poste des localités
voisines et y retirer les lettres venues de province et de l'étranger. On
disait donc : Si le gouvernement redoute la propagande communaliste par voie postale,
pourquoi donner aux Parisiens cette facilite ? S'il ne la craint pas,
pourquoi ne pas laisser la poste fonctionner librement ? A peine
installée, la Commune s'organise en diverses commissions : commission exécutive,
chargée de faire exécuter les décrets de la Commune et tous les arrêtés des
autres commissions ; commission militaire, ayant dans ses attributions la
discipline, l'armement, l'habillement et l'équipement de la garde nationale :
elle remplace le ministère de la guerre ; commission des subsistances, qui
veille à l'approvisionnement de Paris ; commission des finances, chargée
d'établir sur de nouvelles bases le budget de la ville de Paris, de recouvrer
l'impôt, d'examiner les moyens les plus sûrs et les moins coûteux d'assurer
la réussite d'un emprunt, si le besoin s'en fait sentir ; commission de la
justice, chargée de mettre la justice actuelle à la hauteur des institutions
démocratiques et sociales ; commission de sûreté générale : elle doit veiller
à la sûreté de la République, au maintien de la sécurité, au respect de la
liberté individuelle et de la morale publique et exercer une surveillance sur
tous les citoyens ; commission du travail : elle est chargée de la
propagation des doctrines socialistes ; elle doit chercher les moyens d'égaliser
le travail et le salaire, de favoriser les industries nationales et
parisiennes, de développer le commerce international d'échange, tout en
attirant à Paris les industries étrangères de façon à faire de cette ville un
grand centre de production ; commission des services publics : elle a la
surveillance des grands services, postes, télégraphes, voirie ; elle
surveille les compagnies de chemins de fer ; elle doit organiser les
relations avec les services de province ; commission des relations extérieures
: sa mission consiste à entretenir avec les communes de France des relations
amicales qui doivent amener la fédération ; elle devra aussi, dès que les
circonstances le permettront, accréditer des représentants auprès des divers
Etats de l'Europe, surtout auprès de la Prusse, quand on connaîtra l'attitude
de cette puissance vis-à-vis de la Commune ; commission de l'enseignement,
enfin, chargée de préparer un projet de décret rendant l'instruction
gratuite, obligatoire et laïque. En
tout, dix commissions embrassant tout le système gouvernemental. La Commune
ne limite pas son action à Paris ainsi que l'a promis son doyen d'âge, M.
Beslay, dans son discours d'ouverture ; elle aspire a gouverner la France. Cette
prétention produisit le plus fâcheux effet. Déjà plusieurs membres de la
Commune s'étaient retirés. Une seule séance avait suffi pour les désenchanter
et leur ôter tout espoir d'imprimer à la révolution du 18 mars une marche
sensée. De ce nombre étaient MM. Adam, Barré, Brelay, de Bouteiller, Chéron,
Marmottan, Méline, Tirard. D'autres avaient refusé de siéger même une seule
fois ; il leur avait suffi de voir les noms de la majorité de leurs collègues
pour refuser de pousser plus loin l'expérience. MM. Desmarest, E. Ferry, Nast
furent ces démissionnaires de la première heure. Le départ de MM.
Loiseau-Pinson, À. Leroy et Bobinet causa un nouvel affaiblissement au sein
de la Commune. Pourquoi ces démissions successives ? La Commune mentait à son
origine et à son programme. Gouvernement purement municipal à sa naissance,
elle était peu à peu sortie de ses attributions pour se substituer au gouvernement
légal du pays. Cette attitude imprudente devait fatalement provoquer un grave
conflit, car des deux gouvernements en présence, l'un était condamné, soit à
l'abdication volontaire, soit à la disparition violente. Les hommes sages
s'écartaient ; en minorité dans la Commune, ils ne pouvaient se flatter de
l'espoir d'être écoutés. Leur sagesse passait pour de la pusillanimité ; la
fraction jacobine leur faisait volontiers de la modération un crime.
Gouvernement formé en apparence sous les auspices de la liberté, du grand
jour, de la discussion, la Commune n'avait pas voulu que ses séances fussent
publiques ; elle fermait ses portes au peuple, elle redoutait les débats en
présence de ses commettants. Était-ce haine de la publicité ? non sans doute,
mais plutôt crainte du ridicule que les journaux pourraient déverser sur la
Commune à cause de l'insuffisance notoire d'un grand nombre de ses membres.
On délibérait portes closes, en comité secret. Singulière façon de pratiquer
le libéralisme. Cette peur de la publicité fut peut-être plus nuisible à la
Commune que tel de ses décrets usurpateurs. L'indifférence devient défiance ;
la défiance se change en hostilité. Cependant
il faut pourvoir aux sièges devenus vacants ; les électeurs sont convoqués
pour le 16 avril. Que
fait Versailles ? M. Picard, ministre de l'intérieur, télégraphie à la
province qu'une portion considérable de la population et de la garde
nationale de Paris sollicite le concours des départements pour le rétablissement
de l'ordre : « Formez et organisez des bataillons de volontaires pour
répondre à cet appel et à celui de l'Assemblée nationale. » Les
renseignements du ministre n'avaient aucun fondement sérieux. La population
parisienne était inquiète, comment ne l'eût-elle pas été ? mais elle ne
sollicitait point le concours des départements pour rétablir l'ordre. Elle
croyait encore dans les moyens pacifiques. La province partageait sans doute
cet espoir, car elle ne répondit nullement à l'appel du ministre. Les
volontaires ne se levèrent pas. L'Assemblée n'était pas de celles qui
inspirent les dévouements à toute épreuve. Le gouvernement comptait sur un
autre concours pour réduire la Commune. Il obtint du gouvernement allemand
une dérogation aux préliminaires de paix qui fixaient à 40.000 hommes les
troupes de l'armée de Paris. Il put doubler ce chiffre en rappelant en hâte
d'Allemagne les soldats que le traité de paix avait rendu libres. Le chef du
pouvoir exécutif écrivait aux départements à la date du 1er avril : A
Paris, la Commune, déjà divisée, essayant de semer partout de fausses
nouvelles et pillant les caisses publiques, s'agite impuissante et elle est
en horreur aux Parisiens, qui attendent avec impatience le moment d'en être
délivrés. L'Assemblée
nationale, serrée autour du gouvernement, siège paisiblement à Versailles, où
achève de s'organiser une des plus belles armées que la France ait possédées. Les
bons citoyens peuvent donc se rassurer et espérer la fin prochaine d'une
crise qui aura été douloureuse, mais courte. Ils peuvent être certains qu'on
ne leur laissera rien ignorer, et que, lorsque le gouvernement se taira,
c'est qu'il n'aura aucun fait grave ou intéressant à leur faire connaître. A. THIERS. Le 2
avril, la guerre civile éclate au pont de Neuilly. Les gardes nationaux
gardaient le pont. Un détachement de gendarmes est envoyé pour s'en emparer ;
sommés de se retirer, les gardes nationaux invitent les gendarmes à faire
cause commune avec eux ; sur leur refus, ils ouvrent le feu, et les troupes
régulières se replient jusqu'au rond-point de Courbevoie, où les fédérés
essayent, mais en vain, de se frayer un passage. Ramenés au pont de Neuilly
par la fusillade, poursuivis un moment après par l'artillerie disposée par le
général Vinoy, ils sont repoussés jusqu'au rempart de la porte Maillot au
milieu d'une pluie de projectiles qui couvre l'avenue de Neuilly. Une grande
stupeur régnait dans Paris, d'où l'on entendait distinctement le bruit du
canon. Toutes les appréhensions des bons citoyens s'étaient justifiées : le
sang avait coulé. Le médecin en chef de l'armée, M. Pasquier, avait été tué
par les fédérés au rond-point de Courbevoie, tandis qu'il s'avançait en
parlementaire. Ce lâche assassinat, commis sous les yeux des troupes, dissipa
toute hésitation dans le cœur des soldats. Dès lors, plus de ces défections
qui avaient rendu possible la révolution du 18 mars. Le même jour, l'aile
gauche de l'armée régulière, formée par une brigade de chasseurs sous les
ordres du général de Galiffet, surprenait dans Chatou trois gardes nationaux,
dont un officier, et les passait par les armes sans jugement[1]. Toutes les portes de Paris
furent fermées. La générale l'ut battue dans tous les quartiers ; le tocsin
fut sonné ; on amène des canons sur les remparts du côté de Versailles. Les
gardes nationaux sortaient de leurs maisons en armes au bruit du tambour et
se rassemblaient sur les places. Le tumulte était indescriptible. La garde
nationale veut marcher contre Versailles. Depuis plusieurs jours déjà les
journaux de la Commune jetaient ce mot d'ordre aux fédérés. Le Père Duchêne,
très-lu par le peuple, s'écriait : « Ecrasez l'Assemblée ! Cent mille
baïonnettes luiront bientôt autour du théâtre de Versailles ! » Les trois
généraux Eudes, Duval et Bergeret se rendent auprès de la commission exécutive
de la Commune, et se font les interprètes du désir du peuple de marcher
contre Versailles. Leur plan d'attaque est tout préparé. Ils divisent la
garde nationale en trois colonnes : la première, sortant par la porte de
Vaugirard, s'avancera par Issy, Châtillon, Sèvres et Meudon ; la seconde,
marchera par Courbevoie, Puteaux et les hauteurs de Buzenval ; la troisième,
tournant le Mont-Valérien, doit déboucher sur Versailles par Rueil et
Bougival. Les trois généraux ne se préoccupent pas de l'artillerie du
Mont-Valérien ; ils se croient sûrs de sa neutralité. La Commune et la
commission exécutive écoutèrent l'exposé de ce plan sans élever aucune
objection ; au fond, elles ne le croyaient pas sérieux ; les généraux leur
paraissaient dévorés d'un zèle excessif. On verrait, on attendrait, rien ne
pressait encore ; telle était la pensée intime des membres de la commission exécutive.
Il fut convenu qu'avant de tenter une sortie, une seconde conférence aurait
lieu et que la décision suprême serait prise dans ce conseil. Mais
l'impatience des gardes nationaux était extrême ; ils demandaient à marcher
immédiatement. Tous les bataillons sont réunis avec armes et bagages. « En
avant ! » à Versailles ! tel est le cri universel, et ce torrent humain se
précipite aux portes de Paris, pêle-mêle, au hasard, chaque bataillon se
groupant autour du chef préféré, quelques-uns sans vivres, tous croyant
marcher à une victoire certaine. Les généraux n'étaient ni moins
inexpérimentés, ni moins ignorants que leurs soldats. Plus de 100.000 hommes
sortirent follement de Paris pendant la nuit, au désespoir des gens sensés
qui prévoyaient les suites de cette criminelle aventure. Duval et Eudes
avaient pris le commandement des bataillons massés à Vaugirard, vers les
portes de Versailles et de Vanves. Bergeret et Gustave Flourens s'étaient mis
à la tête des bataillons de l'avenue de Neuilly. Vers
sept heures du matin, les fédérés conduits par Bergeret — celui-ci en calèche
— arrivent au pied du Mont-Valérien sans défiance, quand tout à coup une
décharge d'artillerie coupe leur colonne en deux. La panique se met dans
leurs rangs. Ils courent et se sauvent, criant à la trahison parce que le
Mont-Valérien tire sur eux. Quelques
bataillons repassent la Seine et rentrent dans Paris ; le gros de la troupe
continue à marcher dans la direction de Nanterre où, enveloppé par les
soldats de Versailles, il est fait en partie prisonnier. Flourens, pendant la
débandade, s'était réfugié à Rueil dans la maison d'un marchand de vins, au
bord de la Seine. Un seul officier de son état-major l'accompagnait. Des
gendarmes apparaissent pour fouiller la maison, Flourens saisit son revolver
et tire sur eux. On le saisit, on l'entraine hors de la maison. Le capitaine
Desmarest lui fend la tête d'un coup de sabre. Ainsi mourut Flourens, digne
d'un meilleur sort. Presque en même temps, l'insurrection perdait un autre de
ses chefs du côté de Clamart, le général Duval. Une des
colonnes d'attaque de la Commune devait s'avancer par Clamart et Châtillon. Les
troupes de Versailles l'attendaient sur les hauteurs. Au moment où les
fédérés vont pénétrer sous-bois, ils sont arrêtés par un feu terrible de
mitrailleuses. Ils prennent la fuite, fous de terreur et se croyant trahis,
comme les autres, tant ils étaient convaincus que rien ne s'opposerait à leur
marche sur Versailles. Ils
courent, dans un désordre indicible, pendant que les gendarmes et les mobiles
les poursuivent à la baïonnette. Le plateau de Châtillon était également
tombé aux mains des troupes de Versailles. Quelques bataillons de fédérés
firent une résistance sérieuse. Somme toute, ce fut pour les troupes de la
Commune une journée désastreuse. Cinq ou six mille prisonniers lurent emmenés
à Versailles ; le nombre des morts et des blessés qui jonchaient le terrain
était considérable. L'armée insurrectionnelle revint entièrement démoralisée.
Les hommes tombaient d'épuisement et de fatigue dans les champs, au bord des
chemins. Un très-grand nombre avaient jeté leurs fusils. Les
fuyards étaient rentrés dans Paris en proie à un découragement profond.
Cependant les journaux de la Commune publiaient une dépêche ainsi conçue : «
Bergeret et Flourens ont fait leur jonction ; ils marchent sur Versailles.
Succès certain. » Le
général Duval avait été fait prisonnier à Châtillon avec deux de ses
aides-de-camp. Pendant qu'on les emmène à Versailles avec une centaine de
fédérés, le cortège rencontre en chemin le général Vinoy. Quand il sait que
Duval se trouve au nombre des prisonniers, Vinoy le fait amener en sa
présence : — Quel
est, lui dit-il, le sort que vous me réserviez si j'étais tombé entre vos
mains ? — Je
vous aurais fait immédiatement fusiller, aurait, dit-on, répondu Duval. — Eh
bien, reprit Vinoy, vous venez de prononcer votre sentence.... Duval
ne se fit pas prier. Il ôta sa tunique, se plaça en présence du peloton
d'exécution et cria : En joue, feu ! Vive la République ! Il
tomba foudroyé. Ses deux aides de camp furent fusillés à ses côtés. Il est
d'usage de rejeter ces exécutions sommaires sur la vivacité de la lutte et de
les justifier en quelque sorte par la nécessité où l'on est de « faire des
exemples » afin de décourager les rebelles. Triste manière d'excuser des
actes barbares, que la justice réprouve, que le péril social ne réclame pas,
et dont la civilisation rougit. On s'imagine couper le mal dans sa racine, on
ne fait que l'aggraver ; on croit inspirer la terreur, on n'excite que la
vengeance, on prépare imprudemment l'heure des représailles ; on inspire aux
hommes égarés qu'on espère épouvanter une haine encore plus profonde pour la
loi qui semble couvrir de telles cruautés et pour la société qui semble les
ordonner. La Commune répondra aux exécutions par la loi des otages ; il y
aura des deux côtés un redoublement de fureur, et d'innocentes victimes
tomberont, qui auraient été épargnées, si une justice trop pressée et indigne
de ce beau nom n'était venue exaspérer les passions. Le
grand espoir de la Commune s'était évanoui[2] : les troupes de Versailles
n'avaient point levé la crosse en l'air. Dès cet instant, la Commune est
vaincue et ses jours sont comptés. Elle a vu ses défenseurs refoulés du
plateau de Châtillon, elle a perdu en dehors de l'enceinte de Paris toutes
les positions stratégiques de quelque importance ; elle tient encore, à la
vérité, les forts du sud, mais dominés par les collines environnantes, à la
merci du bombardement, ces forts doivent ou se rendre ou voler en poussière.
La déroute du 3 avril a jeté une véritable démoralisation dans les rangs de
l'armée insurrectionnelle. Qu'espère désormais la Commune ? Le concours des
départements ? Rien ne l'autorise à compter sur leur aide. Ce n'est pas son
agression insensée du 3 avril qui réchauffera ses partisans, s'il en existe. Il
est trop évident désormais que force restera à l'armée régulière et au
gouvernement légal. La Commune ne peut nourrir aucune illusion à cet égard.
Que fera-t-elle ? Voici son crime et sa honte devant l'histoire : sûre de
succomber, elle voudra envelopper Paris dans sa chute ; elle fera de son
passage une tourmente d'autant plus violente qu'elle est plus courte. Ces
prétendus hommes politiques du 18 mars goûteront une âpre jouissance â
succomber avec éclat, après avoir fait beaucoup de mal à la société qui ne
s'accommode pas de leur joug. On va les voir se débattre et s'exaspérer dans
leur impuissance, tenant pour suspects au même titre les membres du
gouvernement et les hommes de bonne volonté qui s'interposent entre les
combattants, et osant dire à ceux-ci : « Conciliation, c'est trahison. » Le 4
avril, tous les pouvoirs militaires passent entre les mains du général
Cluseret. Eudes et Bergeret disparaissent de la scène. La marche sur
Versailles avait mis leurs rares talents en évidence. Cluseret prend le ministère
de la guerre. Il avait fait la guerre en Amérique ; il jouissait d'une
certaine réputation, sans qu'on sût pourquoi ; il s'agitait beaucoup. La
Commune crut avoir trouvé l'homme dont elle avait besoin pour organiser la
défense de Paris. Un des premiers actes du commandant en chef fut de décréter
que tous les hommes valides de dix-sept à trente-cinq ans seraient incorporés
dans les bataillons de guerre de la garde nationale. Qu'on le voulût ou non,
il fallait prendre les armes pour la défense de la Commune et l'exécution des
décrets qu'elle rendait en abondance. C'est ainsi que les gouvernants de
l'Hôtel-de-Ville entendaient la liberté des opinions. C'est la première fois
que, dans une guerre civile, on a vu les citoyens obligés de se prononcer et
de s'armer pour l'un des partis en présence. Le général Cluseret fit un pas
de plus ; il invita les gardes nationaux fidèles à dénoncer les hommes qui
n'obéiraient pas à ses ordres[3]. La délation devint une vertu
civique. Le premier effet du décret fut de faire prendre la fuite à des
milliers d'individus. Les portes de la ville étaient bien gardées ; les
fuyards descendaient la nuit dans les fosses des remparts au moyen de cordes
et de poulies. Les autres se cachaient. Dans certains quartiers, les gardes
nationaux se livraient à des perquisitions quotidiennes ; les rues étaient
cernées, pendant que des patrouilles pénétraient dans les maisons,
saisissaient les armes qui leur tombaient sous la main, et emmenaient les «
réfractaires. » On vit des jeunes gens traqués dans les rues comme des bêtes
fauves. Et la Commune avait aboli la conscription ! Malgré le zèle de ses
agents, malgré les dénonciations, le citoyen Cluseret n'eut pas le bonheur de
retirer de son décret les avantages qu'il en avait attendus. Mais s'il
n'amena pas des soldats à la Commune, il lui fit, en revanche, une foule
d'ennemis nouveaux. C'est le propre des certaines iniquités de soulever
toutes les consciences. L'irritation
causée à la Commune par la défaite du 3 avril et par l'exécution du général
Duval se traduisit par un décret non moins odieux que le précédent. C'est le
décret dit des otages : La
Commune de Paris, Considérant
que le gouvernement de Versailles foule aux pieds les droits de l'humanité
comme ceux de la guerre ; qu'il s'est rendu coupable d'horreurs dont ne se
sont même pas souilles les envahisseurs du sol français ; Considérant
que les représentants de la Commune de Paris ont le devoir impérieux de
défendre l'honneur et la vie des deux millions d'habitants qui ont remis
entre leurs mains le soin de leurs destinées ; qu'il importe de prendre sur
l'heure toutes les mesures nécessitées par la situation ; Considérant
que des hommes politiques et des magistrats de la cité doivent concilier le
salut commun avec le respect des libertés publiques, DÉCRÈTE : Art.
1er Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles
sera immédiatement décrétée d'accusation et incarcérée. Art.
2. Un jury d'accusation sera institué dans les vingt-quatre heures pour
connaître des crimes qui lui seront déférés. Art.
3. Le jury statuera dans les quarante-huit heures. Art.
4 Tous accusés retenus par le verdict du jury d'accusation seront les otages
du peuple de Paris. Art.
5. Toute exécution d'un prisonnier de guerre ou d'un partisan du gouvernement
régulier de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie de l'exécution d'un
nombre triple des otages retenus en vertu de l'article 4, et qui seront
désignés par le sort. Art.
6 Tout prisonnier de guerre sera traduit devant le jury d'accusation, qui
décidera s'il sera immédiatement remis en liberté ou retenu comme otage. Hôtel-de-Ville,
3 avril 1871. Une
proclamation « au peuple de Paris » accompagnait ce sauvage décret qui
ramenait brusquement le dix-neuvième siècle aux pratiques des temps barbares.
On cherchait à faire accepter ce retour au système des otages en accusant les
« bandits » de Versailles d'égorger chaque jour des prisonniers ; en
alléguant que les « soldats vendéens » de Charette et de Cathelineau
marchaient contre l'armée de Paris au cri de Vive le Roi !... On disait que
le gouvernement de Versailles s'était mis hors la loi et qu'il était temps
pour le peuple de Paris d'user de représailles. La proclamation se terminait
par ces mots : « Toujours généreux et juste, même dans sa colère, le peuple
abhorre le sang, comme il abhorre la guerre civile ; mais il a le devoir de
se protéger contre les attentats sauvages de ses ennemis, et, quoiqu'il lui
en coûte, il rendra œil pour œil et dent pour dent. » Ainsi
répondait la Commune aux actes de certains chefs de l'armée régulière. C'est
avec une profonde irritation qu'on avait appris la mort tragique de Duval et
de Flourens, et les exécutions sommaires ordonnées à Chatou par le général de
Galiffet. On aura peut-être quelque peine à le croire : mais le décret des otages
fut proposé par Delescluze comme une mesure relativement modérée comme un
adoucissement aux motions féroces de quelques membres de la Commune. Fous de
colère, Pyat, Rigault et Vallès, demandaient qu'on se saisît immédiatement
d'un certain nombre de citoyens suspects de complicité avec Versailles et
qu'on répondît sur l'heure même aux exécutions sommaires par des exécutions
sommaires : œil pour œil, dent pour dent, suivant l'antique loi du talion. Ce
ne fut pas sans quelque peine que Delescluze, moins emporté, fit adopter par
ses collègues, le décret sur les otages ; c'est ainsi que ce vote put passer
encore pour une victoire de la modération. Il fut, dit-on, tacitement entendu
que le décret ne serait pas appliqué. Toujours est-il que la formation du
jury d'accusation, qui devait être créé dans les vingt-quatre heures, fut
différée. Le jour même où la Commune, parodiant la Terreur se jetait dans
cette voie déplorable, un appel était adressé par elle aux départements. Dans
son isolement, la Commune se croit perdue. Paris se détourne de plus en plus
et l'abandonne. C'en est fait d'elle, si la province ne lui donne la main et
ne se soulève, à son exemple. On écrit donc aux « départements » : Vous
avez soif de vérité, et, jusqu'à présent, le gouvernement de Versailles ne
vous a nourris que de mensonges et de calomnies. C'est
le gouvernement de Versailles qui a commencé la guerre civile en égorgeant
nos avant-postes, trompés par l'apparence pacifique de ses sicaires ; c'est
aussi ce gouvernement de Versailles qui fait assassiner nos prisonniers, et
qui menace Paris des horreurs de la famine et du siège, sans souci des
intérêts et des souffrances d'une population déjà éprouvée par cinq mois d'investissement.
Nous ne parlerons pas de l'interruption du service des postes, si
préjudiciable au commerce, de l'accaparement des produits de l'octroi, etc.,
etc. Ce
qui nous préoccupe avant tout, c'est la propagande infâme organisée dans les
départements par le gouvernement de Versailles pour noircir le mouvement
sublime de la population parisienne. On vous trompe, frères, en vous disant
que Paris veut gouverner la France et exercer une dictature qui serait la
négation de la souveraineté nationale. On vous trompe, lorsqu'on vous dit que
le vol et l'assassinat s'étalent publiquement dans Paris. Jamais nos rues
n'ont été plus tranquilles. Depuis trois semaines, pas un vol n'a été commis,
pas une tentative d'assassinat ne s'est produite. Paris
n'aspire qu'à fonder la République et à conquérir ses franchises communales,
heureux de fournir un exemple aux autres communes de France. Si
la Commune de Paris est sortie du cercle de ses attributions normales, c'est
à son grand regret, c'est pour répondre à l'état de guerre provoqué par le
gouvernement de Versailles. Paris n'aspire qu'à se renfermer dans son
autonomie, plein de respect pour les droits égaux des autres communes de
France. Quant
aux membres de la Commune, ils n'ont d'autre ambition que de voir arriver le
jour ou Paris, délivré des royalistes qui le menacent, pourra procéder à de
nouvelles élections. Encore
une fois, frères, ne vous laissez pas prendre aux monstrueuses inventions des
royalistes de Versailles. Songez que c'est pour vous autant que pour lui que
Paris lutte et combat en ce moment. Que vos efforts se joignent aux nôtres,
et nous vaincrons, car nous représentons le droit et la justice, c'est-à-dire
le bonheur de tous par tous, la liberté pour tous el pour chacun sous les
auspices d'une solidarité volontaire et féconde. La commission exécutive : COURNET, DELESCLUZE, FÉLIX PYAT, TRIDON, VAILLANT, VERMOREL. Paris,
le 6 avril 1871. Cependant,
la Commune roule sur la pente fatale : déjà, c'est un crime de parler de
conciliation. En dépit de la gravité croissante des malentendus et quoique
l'abîme s'élargisse de jour en jour entre Paris et Versailles, les hommes de
cœur ne désespèrent pas de suspendre la lutte en taisant entendre aux deux
camps le langage de la raison. Se pourrait- il que l'on poursuivît cette
guerre fratricide sous les yeux de l'ennemi ? Cette perspective faisait
horreur. Des voix s'élèvent de toutes parts en faveur d'une transaction. On
dit à la Commune qu'elle doit renoncer à l'espoir de vaincre le gouvernement
de Versailles, puisqu'elle est désormais refoulée dans Paris et dans les forts
du sud, sans pouvoir se flatter de gagner du terrain, sans pouvoir se faire
illusion sur la défaite finale ; et on dit au gouvernement de Versailles
qu'il ne peut souhaiter d'enlever Paris de vive force, à cause des immenses
malheurs qui en découleraient. Dans cet état de choses, il faut que, des deux
parts, on se prête à une transaction. Le commerce et l'industrie de Paris
venaient, sous l'empire de ces sentiments, de former une association connue
sous le nom d'Union nationale des chambres syndicales. Cette association
représentant cinquante-six chambres syndicales et plus de sept mille
industriels et commerçants avait quelque droit d'élever la voix au nom des
grands intérêts dont elle était l'organe, quand ces intérêts étaient en
périls. Le temps pressait. Dans une réunion tenue le 4 avril, l'Union des
chambres syndicales nomme une commission chargée de rechercher les moyens de
mettre un terme à la lutte qui désole tous les bons citoyens. Les efforts de
la commission demeurent infructueux. Presque en même temps, prend naissance
l'Union républicaine des droits de Paris, composée d'anciens maires,
de représentants du peuple, de républicains connus pour la fermeté de leurs
convictions. M. Ranc, membre de la Commune, qui ne partage point
l'aveuglement de la plupart de ses collègues, se met en rapport avec les
membres de l'Union républicaine. Il est convenu qu'il essayera
d'amener la Commune sur le terrain de la conciliation. Cette tentative devait
échouer complètement. Les ambitieux de l'Hôtel-de-Ville savaient très-bien
qu'une transaction les rejetterait dans l'ombre ; ils étaient trop vaniteux
pour reconnaître leur incapacité, trop bornés et trop égoïstes pour faire le
sacrifice de leurs appétits au bien public. Le mot de transaction les
révoltait. Ils répondirent à M. Ranc qu'ils étaient résolus à aller jusqu'au
bout, coûte que coûte. Les membres de l'Union républicaine prirent
alors le parti de s'adresser directement à la population parisienne afin de
provoquer un mouvement d'opinion tellement puissant, que la Commune se vît
forcée de compter avec lui. Ils firent afficher la déclaration que voici : La
guerre civile n'a pu être évitée. L'obstination
de l'Assemblée de Versailles à ne pas reconnaître les droits légitimes de
Paris a amené fatalement l'effusion du sang. Il
faut maintenant aviser à ce que la lutte qui jette la consternation dans le
cœur de tous les citoyens n'ait point pour résultat la perte de la République
et de nos libertés. A
cet effet, il importe qu'un programme nettement déterminé, ralliant dans une
pensée commune l'immense majorité des citoyens de Paris, mette fin à la
confusion des esprits et à la divergence des efforts. Les
citoyens soussignés, sous la dénomination de LIGUE DE L'UNION RÉPUBLICAINE
DES DROITS DE PARIS, ont adopté le programme suivant, qui leur paraît
exprimer les vœux de la population parisienne : Reconnaissance
de la République ! Reconnaissance
des droits de Paris à se gouverner, à régler par un conseil librement élu et
souverain dans la limite de ses attributions, sa police, ses finances, son
assistance publique, son enseignement et l'exercice de la liberté de conscience
; La
garde de Paris exclusivement confiée à la garde nationale composée de tous
les électeurs valides. C'est
à la défense de ce programme que les membres de la ligue veulent consacrer
tous leurs efforts, et ils engagent tous les citoyens à les aider dans cette
tâche, en faisant connaître leur adhésion, afin que les membres de la ligue,
forts de cette adhésion, puissent exercer une énergique action médiatrice,
capable d'amener le rétablissement de la paix et de maintenir la République. Paris,
le 6 avril 1871. Un
autre appel, non moins chaleureux et non moins sage était placardé sur tous
les murs de Paris. On s'y adressait tour à tour à la Commune et au gouvernement
; à la Commune on disait : Renfermez-vous
strictement dans l'édification de nos franchises municipales. Engagez-vous à
déposer votre mandat, sitôt qu'une loi équitable et juste, ayant statué sur
la reconnaissance de nos droits, nous appellera à des élections libres et
discutées. On
disait à Versailles : Reconnaissez
franchement ce que veut l'opinion publique : le temps presse ; votez sans
délai des institutions vraiment républicaines, au moins en ce qui concerne la
ville de Paris qui par ses votes, depuis vingt ans, n'a jamais varié dans ses
aspirations. Pas de projets de loi qui sont autant de brandons de discorde,
tels que celui sur l'élection des conseillers municipaux où l'on propose : Le
maire choisi par les conseillers dans les villes jusqu'à 6.000 âmes ; Le
maire imposé par le pouvoir exécutif dans les villes de plus de 6.000 âmes. Pas
de défiance, mais de la confiance, et alors, oubliant les noms de
réactionnaires, et de révolutionnaires nous nous tendrons la main ; nous nous
souviendrons seulement que nous sommes tous frères d'une même patrie qui est
faible aujourd'hui, mais que nous voulons forte bientôt pour des destinées
prochaines. Vive
la France ! vive la République. C'était
signé « un groupe de citoyens. » Les auteurs de cet appel invitaient leurs
concitoyens à se réunir le jour même dans le palais de la Bourse. Là on
discuterait librement et l'on aviserait aux démarches à tenter dans l'intérêt
de la République et de la paix, soit auprès de la Commune, soit auprès du gouvernement.
Rien n'était plus patriotique assurément qu'une tentative de conciliation.
Mais la Commune n'en juge pas ainsi. Ce placard lui porte ombrage ; ces
hommes qui parlent de pacification sont des ennemis déguisés. La commission exécutive,
qui ne s'endort pas et qui tient à faire savoir qu'elle existe, rédige
aussitôt l'avis suivant : Citoyens, La
réaction prend tous les masques : aujourd'hui celui de la conciliation ; La
conciliation avec les chouans et les mouchards qui égorgent nos généraux et
frappent nos prisonniers désarmés ; La
conciliation, dans de telles circonstances, c'est la trahison. Considérant
qu'il est du devoir des élus de Paris de ne pas laisser rapper par derrière
les combattants qui défendent la cité ; Que
nous savons de source certaine que des Vendéens et des gendarmes déguisés
doivent figurer dans ces réunions dites conciliatrices ; La
commission exécutive arrête que la réunion annoncée est interdite et que
toute manifestation propre à troubler l'ordre et à exciter la guerre
intestine pendant la bataille sera rigoureusement réprimée par la force. «
Conciliation, c'est trahison. » Paroles impies qui trahissent l'état d'esprit
des membres de la Commune. Ils voient partout des ennemis, des traîtres ;
c'est leur terme favori. Tout ce qui s'agite pour épargner au pays le fléau
de la guerre civile leur porte ombrage, éveille leurs soupçons, allume leur
fureur. On écarte de propos délibéré, comme un conseiller perfide, quiconque
s'interpose. Gouvernement contre gouvernement ; armée contre armée, et
bataille à outrance ! En vain les francs-maçons organisent-ils une
démonstration solennelle et vont-ils planter leurs bannières sur les remparts
pour arrêter le feu. Leur longue et grave procession se déroule en vain sur
les boulevards. On sent que tout cela est inutile et théâtral. Une députation
de francs-maçons ira même à Versailles. Que répond le chef du pouvoir
exécutif ? Il exige que la Commune désarme et se soumette. Toute autre base
de transaction est chimérique. Mêmes réponses aux délégués envoyés par les grandes
villes, profondément émues et bouillonnantes. A ces envoyés, comme aux
francs-maçons de Paris, comme aux délégués de tous les corps constitués, M.
Thiers répond qu'on a tort de s'effrayer de prétendues menaces dirigées
contre la République[4] ; que la République n'est pas
en péril ; que les insurgés seuls la compromettent ; que les franchises
communales dont Paris est si jaloux seront examinées par l'Assemblée, saisie
à cet effet d'une loi dont le gouvernement a pris l'initiative. Il faut donc,
avant tout, selon M. Thiers, que la Commune mette bas les armes. Les gardes
nationaux qui rendront leurs fusils auront la vie et la liberté sauves ; le
solde de 1 fr. 50 c. par jour leur sera servie jusqu'à la reprise du travail.
Mais on ne fera pas grâce aux principaux chefs. De son
côté, la Commune est de moins en moins disposée à transiger. Elle a déclaré dans
un document officiel que la lutte ne peut finir que par « l'extermination de
l'un des partis » : elle ira jusqu'au bout. Plus elle avance, plus elle cède
à un entraînement vertigineux ; il ne dépend plus d'elle de s'arrêter. Dans
les forts, et aux avant-postes à Neuilly, à Courbevoie, à Asnières, ses
soldats font rage, se battent avec l'énergie du désespoir. Dans l'intérieur
de Paris, la Commune s'irrite et s'exaspère d'autant plus qu'elle se voit
condamnée au mépris et à l'abandon. Elle ne rêve que « chouans et mouchards.
» C'est son cauchemar perpétuel. Avec ces deux mots, elle entretient, elle
attise les passions irréfléchies de ses défenseurs. Elle sait pertinemment que
les Vendéens de Charette et de Cathelineau ne figurent pas à côté des troupes
régulières. N'importe ; elle grise ses soldats avec ces mensonges Elle
soulève dans les masses les appétits du pauvre contre le riche. «
Travailleurs, — s'écrie le comité central dans une proclamation, — ne vous y
trompez pas : c'est la grande lutte, c'est le parasitisme et le travail,
l'exploitation et la production qui sont aux prises. Si vous êtes las de
végéter dans l'ignorance et de croupir dans la misère ; si vous voulez que
vos enfants soient des hommes ayant le bénéfice de leur travail, et non des
sortes d'animaux dressés pour l'atelier ou pour le combat, fécondant de leurs
sueurs la fortune d'un exploiteur ou répandant leur sang pour un despote ; si
vous ne voulez plus que vos filles, que vous ne pouvez élever et surveiller à
votre gré, soient des instruments de plaisir au bras de l'aristocratie
d'argent ; si vous ne voulez plus que la débauche et la misère poussent les
hommes dans la police et les femmes à la prostitution ; si vous voulez enfin
le règne de la justice, travailleurs, soyez intelligents, debout ! et que vos
fortes mains jettent sous vos talons l'immonde réaction ! » Plus de
liberté de la presse : quatre journaux, dont le Journal des Débats et le
Constitutionnel, sont supprimés. Plus de liberté individuelle : la Commune ne
se contente pas de faire la chasse aux réfractaires : elle arrête les prêtres
en masse. Par suite d'une haine niaise contre tout ce qui touche aux églises,
on traque les ecclésiastiques comme complices de Versailles et on les
emprisonne comme otages[5]. L'archevêque de Paris, M.
Darboy, et M. Deguerry, curé de la Madeleine, sont arrêtés. M. Bonjean, le
seul membre libéral du sénat impérial, est détenu depuis le 21 mars comme otage.
Plus de liberté de conscience : la plupart des églises sont fermées et
converties en clubs. On en a emporté les vases et les ustensiles précieux
servant à l'exercice du culte. Ces persécutions imbéciles créaient autour du
clergé une légende dangereuse ; on croyait détruire son influence et, au
contraire, on la fortifiait. C'est ainsi que parfois on va directement contre
le but que l'on se propose. La
ligue d'union républicaine des droits de Paris avait, elle aussi, envoyé
trois délégués à Versailles afin de présenter au chef du pouvoir exécutif le
programme qu'elle avait adopté et dont elle attendait un armistice, en
attendant la réconciliation complète. Que répondit M. Thiers ? Que, chef du
pouvoir exécutif du seul gouvernement légal existant en France, il n'avait
pas à discuter les bases d'un traité, mais que cependant il était tout
disposé à faire connaître ses intentions à des républicains sincères. Ces
intentions, dont il fut fait un rapport fidèle, se résumaient ainsi : En ce
qui touche la reconnaissance de la République, M. Thiers en garantit
l'existence, tant qu'il demeurera à la tête du pouvoir. Il a reçu un État
républicain, il met son honneur à conserver cet Etat. En ce
qui touche les franchises municipales de Paris, M. Thiers expose que Paris jouira
de ses franchises dans les conditions où en jouiront toutes les villes,
d'après la loi commune, telle qu'elle sera élaborée par l'Assemblée des
représentants de la France. Paris aura le droit commun, rien de moins, rien
de plus. En ce
qui touche la garde de Paris, exclusivement confiée à la garde nationale. M.
Thiers déclare qu'il sera procédé à une organisation de la garde nationale,
mais qu'il ne saurait admettre le principe de l'exclusion absolue de l'armée. En ce
qui concerne la situation actuelle et les moyens de mettre fin à l'effusion
du sang, M. Thiers déclare que, ne reconnaissant point la qualité de
belligérants aux personnes engagées dans la lutte contre l'Assemblée
nationale, il ne peut ni ne veut traiter d'un armistice ; mais il dit que si
les gardes nationaux de Paris ne tirent ni un coup de fusil ni un coup de
canon, les troupes de Versailles ne tireront ni un coup de fusil ni un coup
de canon, jusqu'au moment indéterminé où le pouvoir exécutif se résoudra à
une action et commencera la guerre. M. Thiers ajoute : Quiconque renoncera à
la lutte armée, c'est-à-dire quiconque rentrera dans ses foyers en quittant
toute attitude hostile, sera à l'abri de toute recherché. M. Thiers excepte
seulement les assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas, qui seront
jugés, si on les trouve. Enfin M. Thiers, reconnaissant l'impossibilité pour
une partie de la population, actuellement privée de travail, de vivre sans la
solde allouée, continuera le service de cette solde pendant quelques
semaines. La commission
exécutive de la Commune avait entendu les délégués qui rapportaient de
Versailles les instructions qu'on vient de lire. Elle ne s'en émut nullement
et ne daigna pas même les examiner ; encore moins mettre son programme en
face du programme de M. Thiers. Elle se contenta de déclarer dans le Journal
officiel qu'elle avait écouté, mais à titre officieux seulement, le rapport
des délégués de la Ligue et qu'elle n'avait pas besoin d'y répondre. La
ligue, disait-elle, a pris librement une initiative à laquelle la commission exécutive,
aussi bien que la Commune, sont et veulent demeurer étrangères. On repoussait
donc avec une hauteur fort déplacée les propositions dont les délégués
étaient porteurs. On voulait la guerre, rien que la guerre. La Commune venait
de décréter, pour soutenir le courage de ses soldats, que tout citoyen blessé
à l'ennemi pour la défense des droits de Paris recevrait une pension variant
entre huit cents et douze cents francs. Elle avait institué une commission
des barricades qui commença immédiatement ses travaux sous la présidence du
citoyen Napoléon Gaillard, cordonnier de son état, orateur très-écouté de
certains clubs pour la violence de son langage. Des
barricades s'élevaient rapidement à l'intérieur de l'enceinte, sur le parcours
de la roule militaire et en face des portes de sortie. Ce n'étaient plus,
comme au 18 mars, d'informes amas de pavés, mais de solides retranchements
constituant de véritables redoutes établies avec beaucoup d'art. Faites avec
de la terre amoncelée sur une hauteur de 4 mètres et une épaisseur de 6
mètres, ces barricades, construites sur toute la largeur de la voie, étaient
revêtues extérieurement de sacs de terre ; elles présentaient généralement
trois embrasures, et elles étaient précédées par un fossé de 2 mètres de
profondeur et d'une largeur proportionnée au massif. Cette tranchée mettait à
découvert les conduites d'eau et de gaz, ainsi que les égouts. Dans la partie
de l'égout comprise dans le fossé devait être placée une torpille, et à 50
mètres en avant de la barricade on devait en mettre une autre, de façon à
pouvoir faire sauter le terrain, si c'était nécessaire, sur un vaste
périmètre[6]. Le sort
en est jeté : c'est la guerre qui l'emporte. —o—o—o—o—o— PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I DÉCLARATION DE PRINCIPES de la Commune au peuple français. Dans le
conflit douloureux et terrible qui impose encore une fois à Paris les
horreurs du siège et du bombardement, qui fait couler le sang français, qui
fait périr nos frères, nos femmes, nos enfants écrasés sous les obus et la
mitraille, il est nécessaire que l'opinion publique ne soit pas divisée, que
la conscience nationale ne soit point troublée. Il faut
que Paris et le pays tout entier sachent quelle est la nature, la raison, le
but de la révolution qui s'accomplit. Il faut enfin que la responsabilité des
deuils, des souffrances et des malheurs dont nous sommes les victimes retombe
sur roux qui, après avoir trahi la France et livré Paris a l'étranger,
poursuivent avec une aveugle et cruelle obstination la ruine de la capitale,
afin d'enterrer, dans le désastre de la République et de la liberté, le
double témoignage de leur trahison et de leur crime. La
Commune a le devoir d'affirmer et de déterminer les aspirations et les vœux
de la population de Paris ; de préciser le caractère du mouvement du 18 mars,
incompris, inconnu et calomnié par les hommes politiques qui siègent à
Versailles. Cette
fois encore, Paris travaille et souffre pour la France entière, dont il
prépare, par ses combats et ses sacrifices, la régénération intellectuelle,
morale, administrative et économique, la gloire et la prospérité. Que
demande-t-il ? La
reconnaissance et la consolidation de la République, seule forme de
gouvernement compatible avec les droits du peuple et le développement régulier
et libre de la société. L'autonomie
absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France, et
assurant à chacune l'intégralité de ses droits, et tout Français le plein
exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme homme, citoyen et travailleur. L'autonomie
de la Commune n'aura pour limites que le droit d'autonomie égal pour toutes
les autres communes adhérentes au contrat, dont l'association doit assurer
l'unité française. Les
droits inhérents à la commune sont : Le vote
du budget communal, recettes et dépenses ; la fixation et la répartition de
l'impôt : la direction des services locaux ; l'organisation de la
magistrature, de la police intérieure et de l'enseignement ; l'administration
des biens appartenant à la Commune ; Le
choix pur l'élection ou le concours, avec la responsabilité, et le droit permanent
de contrôle et de révocation des magistrats ou fonctionnaires communaux de
tous ordres ; La
garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et
de la liberté du travail ; L'intervention
permanente des citoyens dans les affaires communales par le libre manifestation de
leurs idées, la libre défense de leurs intérêts : garanties données à ces
manifestations par la Commune, seule chargée de surveiller et d'assurer le
libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité. L'organisation
de la défense urbaine et de la garde nationale, qui élit ses chefs et veille
seule au maintien de l'ordre dans la cité. Paris
ne veut rien de plus à titre de garanties locales, à condition, bien entendu,
de retrouver dans l'administration centrale, délégation des communes
fédérées, la réalisation et la pratique des mêmes principes. Mais, à
la faveur de son autonomie et profitant de sa liberté d'action, Paris se
réserve d'opérer comme il l'entendra, chez lui, les réformes administratives
et économiques que réclame sa population ; de créer des institutions propres
à développer et à propager l'instruction, la production, l'échange et le crédit
; à universaliser le pouvoir et la propriété, suivant les nécessités du
moment, le vœu des intéressés, et les données fournies par l'expérience. Nos
ennemis se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de vouloir
imposer sa volonté ou sa suprématie au reste de la nation, et de prétendre à
une dictature qui serait un véritable attentat contre l'indépendance et la
souveraineté des autres communes Ils se
trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de poursuivre la
destruction de l'unité française constituée par la Révolution, aux
acclamations de nos pères, accourus à la fête de la Fédération de tous les
points de la vieille France. L'unité,
telle qu'elle nous a été imposée par l'empire, la monarchie et le
parlementarisme, n'est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire
ou onéreuse. L'unité
politique, telle que la veut Paris, c'est l'association volontaire de toutes
les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies
individuelles en vue d'un but commun, le bien-être, la liberté et la sécurité
de tous. La
révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars,
inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C'est
la fin vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du
fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges,
auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses
désastres. Que
cette chère et grande patrie, trompée par les mensonges et les calomnies, se
rassure donc ! La
lutte engagée entre Paris et Versailles est de celles qui ne peuvent se
terminer par des compromis illusoires ; l'issue n'en saurait être douteuse.
La victoire, poursuivie avec une indomptable énergie par la garde nationale,
restera à l'idée et au droit. Nous en
appelons à la France ! Avertie
que Paris en armes possède autant de calme et de bravoure ; qu'il soutient
l'ordre avec autant d'énergie que d'enthousiasme ; qu'il se sacrifie avec
autant de raison que d'héroïsme ; qu'il ne s'est armé que par dévouement pour
la liberté et la gloire de tous, que la France fasse cesser ce sanglant
conflit ! C'est à
la France à désarmer Versailles par la manifestation solennelle de son irrésistible
volonté. Appelée
à bénéficier de nos conquêtes, qu'elle se déclare solidaire de nos efforts
qu'elle soit notre alliée dans ce combat qui ne peut finir que par l'idée
communale ou par la ruine de Paris ! Quant à
nous, citoyens de Paris, nous avons la mission d'accomplir la révolution
moderne, la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé
l'histoire. Nous
avons le devoir de lutter et de vaincre ! La Commune de Paris. Paris,
le 10 avril 1871. —o—o—o— II COMMUNE DE PARIS. Aux travailleurs des campagnes. Frère,
on te trompe. Nos intérêts sont les mêmes. Ce que je demande, lu le veux
aussi : l'affranchissement que je réclame, c'est le tien Qu'importe si c'est
à la ville ou à la campagne que le pain, le vêtement, l'abri, le secours
manquent à celui qui produit toute la richesse de ce monde ? Qu'importe que
l'oppresseur ait nom : gros propriétaire ou industriel ? Chez loi, comme chez
nous, la journée est longue est rude et ne rapporte pas même ce qu'il faut
aux besoins du corps. A loi comme à moi, la liberté, le loisir, la vie de
l'esprit et du cœur manquent. Nous sommes encore et toujours, toi et moi, les
vassaux de la misère. Voilà
près d'un siècle, paysan, pauvre journalier, qu'on te répète que la propriété
est le fruit sacré du travail, et tu le crois. Mais ouvre donc les yeux et
regarde autour de toi ; regarde toi-même et tu verras que c'est un mensonge.
Te voilà vieux ; tu as toujours travaillé ; tous tes jours se sont passés la
bêche ou la faucille à la main, de l'aube à la nuit, et tu n'es pas riche
cependant, et tu n'as pas même un morceau de pain pour ta vieillesse. Tous
tes gains ont passé à élever péniblement des enfants que la conscription va
te prendre, ou qui, se mariant à leur tour, mèneront la même vie de bête de
somme que tu as menée, et finiront comme tu vas finir, misérablement ; car,
la vigueur de tes membres s'étant épuisée, tu ne trouveras guère plus de
travail ; lu chagrineras tes enfants du poids de ta vieillesse et te verras
bientôt obligé, le bissac sur le dos et courbant la tête, d'aller mendier de
porte en porte l'aumône méprisante et sèche. Cela
n'est pas juste, frère paysan, ne le sens-tu pas ? Tu vois donc bien que l'on
te trompe ; car s'il était vrai que la propriété est le fruit du travail, Lu
serais propriétaire, toi qui as tant travaille. Tu posséderais cette petite
maison, avec un jardin et un enclos, qui a été le rêve, le but, la passion de
toute ta vie, mais qu'il t'a été impossible d'acquérir, — ou que tu n'as acquise
peut-être, malheureux, qu'en contractant une dette qui l'épuisé, te ronge, et
va forcer tes enfants à vendre, aussitôt que tu seras mort, peut-être avant,
ce toit qui t'a déjà tant coûté. Non, frère, le travail ne donne pas la
propriété. Elle se transmet par hasard ou se gagne par ruse. Les riches sont
des oisifs, les travailleurs sont des pauvres, — et restent pauvres. C'est la
règle ; le reste n'est que l'exception. Cela
n'est pas juste. Et voilà pourquoi Paris, que tu accuses sur la foi de gens
intéressés à te tromper, voilà pourquoi Paris s'agite, réclame, se soulève et
veut changer les lois qui donnent tout pouvoir aux riches sur les
travailleurs. Paris veut que le fils du paysan soit aussi instruit que le
fils du riche, et pour rien, attendu que la science humaine est le bien
commun de tous les hommes, et n'est pas moins utile pour se conduire dans la
vie que les yeux pour voir. Paris
veut qu'il n'y ait plus de roi qui reçoive trente millions de l'argent du
peuple, et qui engraisse de plus sa famille et ses favoris : Paris veut que,
cette grosse dépense n'étant plus à faire, l'impôt diminue grandement. Paris
demande qu'il n'y ail plus de fonctions payées 20.000, 30.000, 100.000 francs
; donnant à manger à un homme, en une seule année, la fortune de plusieurs
familles ; et qu'avec cette économie, on établisse des asiles pour la
vieillesse des travailleurs. Paris
demande que tout homme qui n'est pas propriétaire ne paye pas un sou d'impôt
; que celui qui ne possède qu'une maison et son jardin ne paye rien encore ;
que les petites fortunes soit imposées légèrement, et que tout le poids de
l'impôt tombe sur les richards. Paris demande
que ce soient les députes, les sénateurs et les bonapartistes, auteurs de la
guerre, qui payent les cinq milliards de la Prusse, et qu'on vende pour cela
leurs propriétés, avec ce qu'on appelle les biens de la couronne, dont il
n'est plus besoin en France. Paris
demande que la justice ne coûte plus rien à ceux qui en ont besoin, et que ce
soit le peuple lui-même qui choisisse les juges parmi les honnêtes gens du
canton. Paris
veut enfin, — écoute bien ceci, travailleur des campagnes, pauvre journalier,
petit propriétaire que ronge l'usure, bordier, métayer, fermier, vous tous
qui semez, récoltez, suez, pour que le plus clair de vos produits aille à
quelqu'un qui ne fait rien ; — ce que Paris veut, en fin de compte, c'est la
terre au paysan, l'outil à l'ouvrier, le travail pour tous. La
guerre que fait Paris en ce moment, c'est la guerre à l'usure, au mensonge et
à la paresse. On vous dit : « Les Parisiens, les socialistes sont des
partageux. » Eh ! bonnes gens, ne voyez-vous pas qui vous dit cela ? Ne
sont-ils pas des partageux ceux qui, ne faisant rien, vivent grassement du
travail des autres ? N'avez-vous jamais entendu les voleurs, pour donner le
change, crier : « Au voleur ! » et détaler tandis qu'on arrête le volé ? Oui,
les fruits de la terre à ceux qui la cultivent. A chacun le sien, le travail
pour tous. Plus de
très-riches ni de très-pauvres. Plus de
travail sans repos, ni de repos sans travail. Cela se
peut ; car il vaudrait mieux ne croire à rien que de croire que la justice ne
soit pas possible. Il ne
faut pour cela que de bonnes lois, qui se feront quand les travailleurs
cesseront de vouloir être dupés par les oisifs. Et dans
ce temps-là, croyez-le bien, frères cultivateurs, les foires et les marchés
seront meilleurs pour qui produit le blé et la viande, et plus abondants pour
tous, qu'ils ne le furent jamais sous aucun empereur ou roi. Car alors, le
travailleur sera fort et bien nourri, et le travail sera libre des gros impôts,
des patentes et des redevances, que la Révolution n'a pas toutes emportées,
comme il paraît bien. Donc,
habitants des campagnes, vous le voyez, la cause de Paris est la vôtre, et
c'est pour vous qu'il travaille, en même temps que pour l'ouvrier. Ces
généraux, qui l'attaquent en ce moment, ce sont les généraux qui ont trahi la
France. Ces députés, que vous avez nommés sans les connaître, veulent nous
ramener Henri V. Si Paris tombe, le joug de misère restera sur votre cou et
passera sur celui de vos enfants. Aidez-le donc à triompher, cl, quoi qu'il
arrive, rappelez-vous bien ces paroles — car il y aura des révolutions dans
le monde jusqu'à ce qu'elles soient accomplies : — LA TERRE AU PAYSAN, L'OUTIL À
L'OUVRIER, LE TRAVAIL POUR TOUS. Les travailleurs de Paris. —o—o—o— III ADRESSE DE LA MUNICIPALITÉ
LYONNAISE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET À LA COMMUNE DE PARIS. Citoyens, Délégués
du conseil municipal de Lyon, nous n'avons pu voir, sans une profonde
douleur, se prolonger la lutte sanglante entre Paris et l'Assemblée de
Versailles. Nous
sommes accourus sur le champ de bataille pour tenter un effort suprême de
conciliation entre les belligérants. Où est
l'ennemi ? Pour nous, il n'y a parmi les combattants que des Français. Nous
intervenons entre eux au nom d'un principe sacré : la fraternité. Nous
trouvons en présence deux pouvoirs rivaux qui se disputent les destinées de
la France : d'un côté, l'Assemblée nationale dans laquelle nous respectons le
principe du suffrage universel ; de l'autre, la Commune, qui personnifie un
droit incontestable, celui qu'ont les villes de s'administrer elles-mêmes.
Nous venons leur rappeler, à tous deux, une chose plus sainte encore, le
devoir d'épargner la France et la République. A
l'Assemblée nationale, nous dirons : « Voici déjà trop longtemps que vous
dirigez contre Paris des attaques meurtrières, que vous lui faites une guerre
sans trêve. Le sang coule à flots. Après le siège des Prussiens, dont vous
avez pris la place, le blocus des Français contre les Français !... Qu'espérez-vous
? Votre dessein est-il d'enlever Paris d'assaut ? vous n'y entrerez, dans
tous les cas, que sur des monceaux de cadavres et de ruines fumantes,
poursuivis par les malédictions des veuves et des orphelins. Vous ne
trouveriez devant vous qu'un spectre de ville. Elle lendemain d'une telle
victoire, quelle serait votre autorité morale dans le pays ? Ouvrez les yeux,
il en est temps encore, reconnaissez qu'une ville qui se défend avec cet héroïsme
contre toute une armée française est animée par quelque chose de plus sérieux
qu'une vaine passion et une aveugle turbulence. Elle protège un droit, elle
proclame une vérité. Ne
vous retranchez pas derrière une analogie qui n'est que spécieuse. Dans la
guerre civile qui a désolé la grande République américaine, le Sud combattait
pour le maintien de l'esclavage ; Paris, au contraire, s'est soulevé au nom
de la liberté. Si vous voulez emprunter des leçons à l'histoire,
souvenez-vous plutôt des hommes d'état de la Prusse qui, au lendemain des
désastres d'Iéna, donnèrent à leur pays meurtri et humilié les mâles
consolations de la liberté qui relève et régénère les peuples. A la
Commune, nous dirons : « Prenez-y-garde ; en sortant du cercle de vos
attributions, vous vous aliénez les esprits sincères et justes. Rentrez dans
la limite des revendications municipales. Sur ce terrain, vous avez pour vous
le droit et la raison. N'employez pas, pour défendre la liberté, des armes
qu'elle désavoue. Plus de suppressions de journaux ! Ce ne sont pas les
critiques, ce sont vos propres fautes que vous devez redouter. Plus
d'arrestations arbitraires ! Plus d'enrôlements forcés ! Contraindre à la
guerre civile, c'est violenter la conscience. Songez, du reste, aux dangers
imminents et terribles que la prolongation d'une lutte fratricide fait courir
à la République. Assez de sang répandu ! Vous avez le droit de sacrifier
votre vie et votre mémoire ; vous n'avez pas le droit d'exposer la démocratie
à une défaite irréparable. » Notre
mission, on le voit, est toute pacifique. Aux uns et aux autres nous crions :
« Trêve ! déposez les armes ; faites taire la voix du canon et écoutez celle
de la justice. » Paris
réclame ses franchises municipales : le droit de nommer ses maires,
d'organiser sa garde nationale, de pourvoir lui-même à son administration
intérieure. Qui peut lui donner tort ? Sont-ce les hommes aujourd'hui au
pouvoir, qui n'ont cessé de revendiquer pendant vingt ans le gouvernement du
pays par le pays ? Que
l'Assemblée nationale veuille bien y réfléchir. Sa résistance se briserait
tôt ou tard contre la volonté des citoyens appuyée sur le droit ; car la
cause de Paris est celle de toutes les villes de France. Leurs revendications
légitimes, étouffées aujourd'hui, éclateraient demain plus irrésistibles.
Quand une idée a pris racine dans l'esprit d'un peuple, on ne l'en arrache
point à coups de fusil. C'est
donc au nom de l'ordre, comme au nom de la liberté, que nous adjurons les
deux partis belligérants de songer à la responsabilité de leurs actes. Derrière
le voile de sang et de fumée qui couvre le terrain de la lutte, ne perdons
point de vue deux choses sinistres : la République déchirée de nos propres
mains et les Prussiens qui nous observent, la mèche allumée sur leurs canons. BARODET, CRESTIN, FERROUILLAT, OUTHIER, VALLIER. Conseillers municipaux de Lyon,
délégués. |
[1]
Le général de Galiffet fit publier à son de caisse la proclamation suivante :
« La guerre a été déclarée par les bandits de Paris.
« Hier, avant-hier, aujourd'hui, ils m'ont assassiné
mes soldats.
« C'est une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à
ces assassins. J'ai dû faire un exemple ce matin ; qu'il soit salutaire ; je
désire ne pas être réduit de nouveau à une pareille extrémité.
« N'oubliez pas que le pays, que la loi, que le droit,
par conséquent, sont à Versailles et à l'Assemblée nationale, et non pas à la
grotesque assemblée de Paris qui s'intitule la Commune.
«
Le général commandant la brigade,
«
GALIFFET.
« 3 avril 1871. »
A la suite de cette lecture, le crieur ajoutait :
« Le président de la commission municipale de Chatou
prévient les habitants, dans l'intérêt de leur sécurité, que ceux qui
donneraient asile aux ennemis de l'Assemblée se rendraient passibles des lois
de la guerre.
«
Le président de la commission,
«
LAUBEUF. »
[2]
Le soir, la Commune faisait afficher celle pièce curieuse :
« Les conspirateurs royalistes ont ATTAQUÉ.
« Malgré la modération de notre attitude, ils ont ATTAQUÉ.
« Ne pouvant plus compter sur l'armée française, ils
ont ATTAQUÉ avec
les zouaves pontificaux et la police impériale.
« Non contents de couper les correspondances avec la
province et de faire de vains efforts pour nous réduire par la famine, ces
furieux ont voulu imiter jusqu'au bout les Prussiens et bombarder la capitale.
« Ce matin, les chouans de Charette, les Vendéens de
Cathelineau, les Bretons de Trochu, flanqués des gendarmes de Valentin, ont
couvert de mitraille et d'obus le village inoffensif de Neuilly et engagé la
guerre civile avec nos gardes nationaux.
« Il y a eu des morts et des blessés.
« Élus par la population de Paris, notre devoir est de
défendre la grande cité contre ces coupables agresseurs. Avec votre aide, nous
la défendrons.
«
La commission exécutive :
«
BERGERET, EUDES, DU VAL, LEFRANÇAIS, Felix PYAT, G. TRIDON, E. VAILLANT.
« Paris, le 2 avril 1871. »
[3]
Voici le décret et l'arrêté qui le suivit à deux jours de distance :
MINISTÈRE DE LA
GUERRE.
« Les compagnies de marche seront immédiatement
réorganisées.
« Les officiers, sous-officiers et gardes entreront en
solde à partir du 7 avril
« Les gardes toucheront 1 fr. 30 et les vivres.
« Les sous-officiers, 2 francs.
« Les officiers, 2 fr. 30
« Quand les compagnies agiront en dehors du service,
les officiers toucheront la solde de leur grade dans l'armée.
« Les quatre compagnies de chaque bataillon éliront un
chef de bataillon spécial.
« Les élections auront lieu le 6 avril.
« La revue sera passée au Champ-de-Mars par les membres
de la Commune, le 7 avril, à deux heures de l'après-midi.
« Bureau d'organisation et de renseignements au
ministère de la guerre et à la place.
« Font partie des bataillons de guerre tous les
citoyens de dix-sept a trente-cinq ans non mariés, les gardes mobiles
licenciés, les volontaires de l'armée on civils (A). Les effets de campement
seront complétés dans le plus bref délai.
« Paris, le 4 avril 1871.
«
Par ordre de la Commune :
«
Le délégué au ministère de la guerre,
«
CLUSERET.
(A) « Considérant les patriotiques réclamations d'un
grand nombre de gardes nationaux qui tiennent, quoique mariés, a l'honneur de
défendre leur indépendance municipale, même au prix de leur vie, le décret du 5
avril est ainsi modifié :
« De dix-sept a dix-neuf ans, le service dans les
compagnies de guerre sera volontaire, et de dix-neuf a quarante obligatoire
pour les gardes nationaux, mariés ou non.
« J'engage les bons patriotes à faire eux-mêmes la
police de leur arrondissement et à forcer les réfractaires à servir.
«
Le délégué à la guerre,
«
Général CLUSERET.
»
[4]
Le chef du pouvoir exécutif disait du haut de la tribune :
« Nous ne voulons que précipiter une chose : la
convalescence et la santé du pays. (Vive approbation.) A ceux qui disent que
nous voulons renverser la République, je leur donne un démenti formel ; ils
mentent au pays et veulent le troubler en disant cela. (Nouvelles marques
d'approbation.)
« Nous avons trouvé la République établie. C'est un
fait dont nous ne sommes pas les auteurs, mais je ne la trahirai pas. Je le
jure devant Dieu. La réorganisation du pays sera notre seule préoccupation, et
ils mentent cent fois, les misérables qui osent se servir de cet argument pour
troubler le pays. (Mouvement.)
« Savez-vous a qui appartiendra le résultat Aux plus
sages. Travaillez ; lâchez de remporter le véritable prix pour gouverner, le
prix de la raison et de la bonne conduite. Quant à moi, je ne puis accepter
d'autre responsabilité que celle que je prends ici. »
[5]
Le citoyen Le Moussu, qui remplissait une fonction quelconque dans le XVIIIe
arrondissement, publiait l'ordonnance suivante :
« Attendu que les prêtres sont des bandits et que les
églises sont des repaires ou ils ont assassiné moralement les masses en,
courbant la France sous la griffe des infâmes Bonaparte, Favre et Trochu.
« Le délégué civil des Carrières, près l'ex-préfecture
de police, ordonne que l'église Saint-Pierre-Montmartre sera fermée et décrète
l'arrestation des prêtres et des ignorantins.
«
Signé : LE MOUSSU. »
[6]
Histoire de la Révolution du 18 mars, par P. Lanjalley et P. Corriez, p.
253.