Complications entre le
gouvernement de Paris et celui de Bordeaux. — Proclamation de M. Gambetta. —
Décret créant des catégories d'inéligibles. — Ce décret était-il utile ? —
Intervention de M. de Bismarck dans les élections : lettre du diplomate
prussien à M Jules Favre ; lettre à M. Gambetta — Arrivée de M. Jules Simon à
Bordeaux. — Conflit : le décret est rapporté. — Arrivée de MM. Arago, Garnier-Pagès
et Pelletan. — Retraite de M. Gambetta. — Les élections à Paris et dans les
départements. — M. Thiers est élu dans vingt-huit départements. — Réunion de
l'Assemblée à Bordeaux. — M. Jules Favre remet à l'Assemblée les pouvoirs du
gouvernement de la Défense nationale. — Démission du général Garibaldi. —
Majorité rurale. — Nomination de M. Grévy à la présidence de l'Assemblée. —
Proposition Dufaure-Grévy. — M. Thiers est nommé chef du Pouvoir exécutif. —
Composition du ministère. — Discours-programme de M. Thiers. Le pacte de Bordeaux.
— MM. Thiers, Favre et Picard sont chargés d'ouvrir les négociations à Versailles
; nomination d'une commission de quinze membres. — Enquête sur les forces
militaires de la France ; rapport de l'amiral Jauréguiberry. — Conditions
posées par M. de Bismarck. — Séance du 28 février. — Séance mémorable du 1er
mars. — Protestation des députés alsaciens. — Vote de déchéance de Napoléon
III et de sa dynastie. — MM. Victor Hugo, Quinet, Vacherot. — La paix est
votée par 546 voix contre 107. — Démission des députés d'Alsace et de
Lorraine. — Les Prussiens dans Paris.
M.
Jules Favre, on s'en souvient, avait prévenu la délégation qu'un membre du
gouvernement parisien allait partir pour la province afin de faire exécuter
l'armistice et procéder aux élections fixées au 8 février. On n'était pas
sans pressentir de sérieuses difficultés. La délégation de province n'avait
pas dissimulé l'irritation que lui causait la convention de Versailles[1] ; elle se montrait justement
sévère pour la facilité de M. Jules Favre à se contenter des renseignements
de source exclusivement prussienne ; elle lui en voulait de n'avoir pas
consulté avant de signer un acte de cette importance ; d'avoir traité pour la
France entière, quand on pouvait ne traiter que pour Paris ; d'avoir causé la
ruine de l'armée de l'Est ; d'avoir laissé tracer pour nos troupes des lignes
de démarcation qui donnaient tout l'avantage aux Allemands et nous mettaient
hors d'état de continuer la guerre, au cas où il faudrait recommencer les
hostilités. M. Gambetta avait dénoncé la « coupable légèreté » de la
convention de Versailles ; il n'avait voulu voir dans l'armistice qu'une
trêve pendant laquelle on devait se préparer à la lutte à outrance, jusqu'à «
complet épuisement. » Il s'écriait, en prévision des exigences de l'ennemi,
que pas un Français n'aurait le courage de signer une paix infâme, et
terminait sa proclamation par ces mots : Aux armes ! aux armes ! On
voit, par ce langage, combien les vues du gouvernement de Bordeaux
différaient de celles du gouvernement parisien. Il est vrai que la
proclamation de M. Gambetta n'exprimait pas le sentiment dominant du pays. La
France était lasse de la guerre. Les revers qui avaient successivement frappé
Chanzy, Faidherbe et Bourbaki avaient fait évanouir tout espoir. Le nombre
des fuyards allait croissant ; les paysans donnaient asile aux soldats et
mobiles qui désertaient leur poste ; les autorités elles-mêmes favorisaient
l'indiscipline par leur faiblesse vis-à-vis des déserteurs ; les départements
qui n'avaient pas encore souffert de l'invasion voyaient approcher avec
effroi le moment où les Allemands les frapperaient à leur tour d'écrasantes
contributions de guerre. En somme, le sentiment de lassitude était général ;
les passions politiques s'en mêlant, il s'était formé un irrésistible courant
d'opinion favorable à la paix. Beaucoup de gens en avaient voulu à Paris de
prolonger la guerre par sa résistance ; ils avaient accueilli sans douleur la
nouvelle de sa capitulation. Cette
divergence de vues ne pouvait manquer de faire naître des complications entre
les gouvernements de Paris et de Bordeaux. Il y eut encore une autre cause de
conflit, bien plus grave : la délégation avait cru devoir proscrire du
scrutin les auteurs directs de la guerre, c'est-à-dire les ministres, députés
et fonctionnaires du gouvernement impérial. A cet effet, elle rendit le
décret suivant : Les
membres du gouvernement de la Défense nationale, délégués pour représenter le
gouvernement et en exercer les pouvoirs, Considérant
qu'il est juste que tous les complices du régime qui a commencé par
l'attentat du 2 décembre pour finir par la capitulation de Sedan, en léguant
a la France la ruine et l'invasion, soient frappés momentanément de la même
déchéance politique que la dynastie à jamais maudite dont ils ont été les
coupables instruments ; Considérant
que c'est là une sanction de la responsabilité qu'ils ont encourue en aidant
et assistant avec connaissance de cause l'ex-empereur dans l'accomplissement
des divers actes de son gouvernement qui ont mis la patrie en danger. Décrètent
: Art.
1er. Ne pourront être élus représentants du peuple à l'Assemblée nationale
les individus qui, depuis le 2 décembre 1851 jusqu'au 4 septembre 1870, ont
accepté les fonctions de ministre, sénateur, conseiller d'Etat et préfet. Art.
2. Sont également exclus de l'éligibilité à l'Assemblée nationale les
individus qui, aux assemblées législatives qui ont eu lieu depuis le 2
décembre 1851 jusqu'au 4 septembre 1870, ont accepté la candidature
officielle, et dont les noms figurent dans les listes des candidatures
recommandées par les préfets aux suffrages des électeurs et ont été au
Moniteur officiel avec les mentions : Candidats
du gouvernement ; Candidats
de l'administration ; Candidats
officiels. Art.
3. Sont nuls, de nullité absolue, les bulletins de vote portant les noms des
individus compris dans les catégories ci-dessus désignées. « Ces bulletins ne
seront pas comptés dans la supputation des voix. CRÉMIEUX, GAMBETTA, GLAIS-BIZOIN, FOURRICHON. Ce
décret était, à vrai dire, inutile. Ou la France était guérie du
bonapartisme, et dans ce cas à quoi bon proscrire du scrutin des hommes
odieux au suffrage universel ? ou les dures expériences que l'on venait de
faire par la faute de l'Empire n'avaient pas porté leurs fruits, et alors à
quoi bon engager avec les électeurs une lutte nécessairement inégale, propre
à piquer et à irriter les amours-propres et à créer des conflits qui
devaient, quoiqu'on fit, tourner à l'avantage du
corps électoral ? Le décret était, en outre, dangereux, car il pouvait amener
une intervention de l'autorité prussienne dans les affaires intérieures et
intimes du pays. C'est, en effet, ce qui arriva. Sous prétexte que l'article
2 de cette convention stipulait que l'Assemblée serait librement élue, M. de
Bismarck s'empressa de dénoncer le décret de la délégation comme illégal ; il
l'accusa de préparer une Assemblée qui, n'étant pas l'image exacte du pays,
n'aurait pas toute l'autorité désirable pour trancher la question de paix ou
de guerre. Il écrivit à M. Jules Favre : Versailles,
le 3 février 1871. On
me communique d'Amiens le contenu d'un décret émanant de la délégation du
gouvernement de la Défense nationale à Bordeaux, qui exclut formellement de
la faculté d'être nommés députés à l'Assemblée tous ceux qui ont servi
l'Empire en qualité de ministres, sénateurs, conseillers d'Etat ou préfets,
ainsi que toutes les personnes qui ont figuré comme candidats du gouvernement
au Moniteur depuis 1851. J'ai
l'honneur de demander à Votre Excellence si elle croit que l'exclusion
décrétée par la délégation de Bordeaux est compatible avec les dispositions
de l'article 2 de la convention, d'après lequel l'Assemblée doit être
librement élue. Permettez-moi
de vous rappeler les négociations qui ont précédé la convention du 28 janvier.
Dès le début, j'exprimai la crainte qu'il serait difficile, dans les
circonstances présentes, d'assurer la liberte
entière des élections et de prévenir toutes tentatives contre la liberté des
élections. Inspiré par cette appréhension, à laquelle la circulaire de M.
Gambetta semble donner raison aujourd'hui, j'ai posé la question, s'il ne
serait pas plus juste de convoquer le Corps législatif qui représente une
autorité légalement élue par le suffrage universel. Votre Excellence déclina
cette proposition en me donnant l'assurance formelle qu'aucune pression ne
serait exercée sur les électeurs, et que la plus entière liberté resterait
assurée aux élections. Je
m'adresse à la loyauté de Votre Excellence pour la prier de décider si
l'exclusion prononcée par le décret en question contre des catégories
entières de candidats est compatible avec la liberté des élections telle
qu'elle a été garantie par la Convention du 28 janvier. Je
crois pouvoir espérer avec certitude que ce décret, dont l'application me
paraîtrait se trouver en contradiction avec les stipulations de la
convention, sera immédiatement révoqué, et que le gouvernement de la Défense
nationale adoptera les mesures nécessaires pour garantir l'exécution de
l'article 2, en ce qui concerne la liberté des élections. Nous ne saurions
reconnaître aux personnes élues sous le régime de la circulaire de Bordeaux
les privilèges accordés aux députés à l'Assemblée par la convention
d'armistice. Signé : BISMARCK. Il
écrit en même temps à M. Gambetta, sans le traiter d'Excellence : À M. Léon Gambetta. — Bordeaux. Versailles,
le 3 février 1871. Au
nom de la liberté des élections stipulée par la convention d'armistice, je
proteste contre les dispositions émises en votre nom pour priver du droit
d'être élus à l'Assemblée des catégories nombreuses de citoyens français. Des
élections faites sous un régime d'oppression arbitraire ne pourront pas
conférer les droits que la convention d'armistice reconnaît aux députés
librement élus. Signé : BISMARCK. Sur ces
entrefaites, M. Jules Simon, délégué du gouvernement de Paris, arrivait à
Bordeaux, ayant reçu pleins pouvoirs pour assurer l'exécution de l'armistice.
Dès qu'il eut connaissance du décret de la délégation, il voulut l'annuler
comme portant atteinte à la liberté électorale. Dans ce conflit, l'opinion
publique était partagée. Le gouvernement de Paris fut un moment plongé dans
de vives alarmes. Dans les séances des 3 et 4 février, divers avis furent
proposés : il fut successivement question de désavouer hautement M. Gambetta,
de le révoquer et de transférer à Bourges le siège du gouvernement. Enfin, on
s'arrêta à un parti plus sage : il fut décidé que MM. Arago, Garnier-Pagès et
Pelletan se rendraient à Bordeaux pour prêter main-forte à M. Jules Simon,
dont la situation devenait de plus en plus critique. M. Gambetta aplanit
toutes les difficultés en donnant sa démission, afin de ne pas prolonger une
querelle pénible à tous égards sous les yeux de l'étranger. Avant de se
retirer il adressa aux préfets une dernière circulaire où il leur
recommandait de faire loyalement exécuter l'armistice et d'assurer les
élections de l'Assemblée pour le jour indiqué. Cet
acte se terminait qu'on s'est plu à appeler la « dictature » de M. Gambetta.
Du mois d'octobre 1870 au mois de février 1871, M. Gambetta n'avait eu qu'une
pensée : sauver la France livrée aux Prussiens par le gouvernement impérial.
Sa voix passionnée avait secoué ce pays prompt à l'abattement, et surpris
d'ailleurs par des revers extraordinaires : avec une célérité prodigieuse, M.
Gambetta avait levé des armées, acheté un immense matériel de guerre, ranimé
l'espoir dans les cœurs découragés par la capitulation de Sedan et achevés
par la capitulation de Metz. Nous avons cherché ailleurs à expliquer pourquoi
ces vastes efforts sont demeurés infructueux. Le vigoureux athlète
abandonnait la scène en butte à des attaques inqualifiables, systématiquement
dénigré par des partis qui ne pouvaient pas s'accoutumer à n'être pas à la
tête du gouvernement, qui étaient jaloux de voir la République recueillir la
gloire de la résistance à l'étranger, gloire réelle en dépit de tous les
revers. Depuis longtemps, des journaux sans patriotisme avaient pris à tâche
de déverser le blâme sur tous les actes de la Défense : ils exploitaient sans
mesure et sans pudeur les fautes inévitables en un pareil moment, et jetaient
un voile sur tous les faits qui honoraient les efforts du gouvernement.
C'était un parti pris de décourager le pays, de grossir les difficultés,
d'amoindrir les chances heureuses qui pouvaient rester encore à la France au
milieu de la tempête. Le temps a déjà fait justice de ces passions et de ces
haines étroites ; malgré le dénigrement et l'envie, M. Gambetta est resté la
personnification du patriotisme, et l'on peut dire hardiment— en laissant de
côté les erreurs et les fautes inévitables dans ces tragiques circonstances —
que le rôle de M. Gambetta pendant la guerre paraîtra toujours plus honorable
au fur et à mesure que les passions des contemporains s'apaiseront pour faire
place à l'équitable jugement de l'histoire. Les
élections du 8 février devaient se ressentir du trouble des esprits : un
désaccord complet éclata entre Paris et les départements. Ceux-ci votèrent en
masse pour les partisans de la paix ; Paris, aigri, irrité, bouillant encore
de la capitulation, choisit de préférence des hommes décidés à voter la
continuation de la guerre. Les membres du gouvernement furent tous repousses,
à l'exception de M. Jules Favre. On était loin de ce plébiscite de novembre
où l'immense majorité des électeurs parisiens avait donné un blanc-seing aux
hommes de l'Hôtel-de-Ville. Quelques-uns parmi les élus étaient des ennemis
déclarés du gouvernement ; leurs titres à la [……….]
publique leur venaient de l’[……….] qu'ils avaient faite au général Trochu, ;
d'autres avaient pris part à l'insurrection du 31 octobre, il semblait qu'on
voulût les dédommager de n'avoir pas écouté les conseils qu'ils donnaient
alors. On n'en serait pas venu là, disait-on, si on avait suivi le mouvement
insurrectionnel du 31 octobre. Le nombre des électeurs inscrits était de 547.853,
dont le huitième exigé par la loi pour être élu était de 68.482. Le chiffre
des volants fut de 328.970 ; celui, des abstentions 218.838. Paris avait à
nommer, en vertu de la loi, quarante-trois députés. Les candidats élus furent
les suivants :
Viennent
ensuite dans l'ordre le plus bizarre : MM. Asseline, Tridon et Corbon, avec 65.000 voix ; Arthur
Arnould, avec 61.000 voix ; Roger du Nord et André Murat, 63.000 ; Lefrançais
et Vitet.62.00) ; Oudet, Krantz,
61.000 ; Desmarest, Chanzy, Regnard, Jules Miot, 60.000 ; Solacroup,
Jaclard, 59.000 ; Assi, Denormandie,
Varlin, 58.000 ; Salicis, 57.000 ; Johannard, 56.000
; Claparède, 55.000 ; Vinoy, 54.000 ; Sebert et
Uhrich, 53.000 ; Blanqui, Guéroult, 52.000 ; Grévy, 51.000 ; Alfred André,
Courbet, Bouruet-Aubertot, 50.000 ; Vaillant,
Theisz, 49.000 ; Dereure, Hébrard, 47.000 ; Cochin,
Coquerel, 46.000 ; Chalain, 45.000 ; Faidherbe, Breslay, Pernolet, 44.000 ;
Lamothe-Tenet, Vautrain, Léo Meillet, 43.000 ; G.
Flourens, 42.000 ; Ranvier, 40.000 ; d'Haussonville, Ernest Picard, 39.000 ;
de Pressensé, Lanfrey, 38.000 ; Michelet, H. SainteClaire-Deville, Fleuriot de Langle,
Dietz-Monin, 37.000 ; Hauréau, 36.000 ; Albert, La
Roncière Le Noury, 35.000 ; Dupont de Bussac, 34.000 ; Eudes, Poulizac, 33.000 ; de Beaurepaire, Madier
de Montjau, Pothier, 32.000 ; Jules Simon, 31.000 ;
Bertholet, Bonvalet, Pindy, 30.000 ; Carnot, Despois, 29.000 ; Amouroux, Havard,
Tony Révillon, Tenaille-Saligny, 28.000 ; Cail,
Barthélémy Saint-Hilaire, docteur Robinet, 26.000 ; J. de Lasteyrie,
John Lemoinne, 25.000 ; de Crisenoy, 24.000 ; Briosne, Dufaure, Mégy, 23.000 ; Jacques Durand, Emile
Duval, 22.000 ; Cluseret, 21.000. Les
membres du gouvernement furent plus heureux en province qu'à Paris.
Impopulaires dans la ville qui les avait vus à l'œuvre pendant un long siège,
ils recueillirent, dans divers départements, le bénéfice d'une résistance
qui, pour l'honneur de la France, ne comptait pas que des détracteurs.
L'Aisne, le Rhône, l'Ain et Seine-et-Oise, donnaient quatre nominations a M. Jules Favre ; M. Emmanuel
Arago était élu dans les Pyrénées-Orientales ; M. Jules Simon, dans la Marne
; M. Pelletan, dans les Bouches-du-Rhône ; M. Jules Ferry, dans les Vosges.
Le général Trochu, populaire encore en province, parce qu'on l'y connaissait
peu, passait à la fois dans la Loire, le Morbihan, la Vendée, les
Côtes-du-Nord, les Bouches-du-Rhône et le Tarn. Quant à M. Gambetta, il était
élu dans dix départements, La Seine, le Bas-Rhin, la Meurthe, la Moselle, la
Côte-d'Or, les Bouches-du-Rhône, le Var, Seine-et-Oise, à Oran et à Alger. Le
général Garibaldi était élu à Alger, à Nice, dans la Côte-d'Or et dans la
Loire. Le prince de Joinville et le duc d'Aumale deviennent députés, le
second de la Loire, le premier de la Manche et de la Haute-Marne, quoiqu'ils
fussent sous le coup d'une loi d'exil. Quant aux bonapartistes, ils
obtenaient quelques nominations en Corse ; dans tout le reste de la France,
on les avait repoussés hautement comme les auteurs de la guerre et les
ouvriers de la défaite du pays. Le décret rendu par la délégation de Bordeaux
et retiré de suite n'aurait eu aucune utilité dans l'état des esprits. Les
bonapartistes étaient appréciés selon leurs mérites. M.
Thiers était élu dans vingt-huit départements. L'ancien ministre de la
monarchie de Juillet avait été désigné à l'opinion publique beaucoup moins
par sa réputation d'homme d'État que par le rôle qu'il avait joué dès le
moment où le gouvernement impérial s'était décidé à faire la guerre. On
n'avait pas oublié ses protestations éloquentes devant le Corps législatif,
et ses avertissements, hélas ! réalisés maintenant. On avait encore présentes
à la mémoire les injures dont les feuilles officieuses avaient poursuivi le
clairvoyant patriote. N'était-on pas allé jusqu'à le traiter d'agent prussien
? Plus tard, après la chute de l'Empire, M. Thiers s'était chargé d'une
mission délicate auprès des principales cours de l'Europe. La France avait
suivi avec anxiété son pèlerinage à Londres, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à
Florence, à la recherche d'un allié. Plus tard encore, après avoir échoué dans
sa mission, M. Thiers, revenu à Tours, avait pris vis-à-vis du gouvernement
l'attitude attristée d'un homme qui juge que tous les efforts tentés pour
sauver le pays seraient inutiles, et qu'il serait plus sage de traiter que de
lutter, dût-on, pour traiter, se voir contraint à d'énormes sacrifices
d'argent, de sang, et à des sacrifices plus pénibles encore pour
l'amour-propre national. M. Thiers avait eu le triste privilège de prévoir notre
échec final ; il ne croyait pas aux armées improvisées. Ici encore, on lui
avait fait un mérite de sa clairvoyance ! Quand le moment de traiter fut
venu, on pensa qu'il était l'homme de France le mieux qualifié pour liquider
la situation. Aucun homme d'État français ne pouvait être mieux vu des cours
d'Europe ; aucun ne jouissait auprès d'elles d'une autorité pareille à la
sienne. C'est ainsi que M. Thiers fut nommé dans vingt-huit départements, y compris
celui de la Seine. Les
députés de Paris avaient publié des professions de foi. Il n'en fut pas de
même pour la plupart des députés de province. D'ailleurs, les questions
politiques jouaient dans l'élection un rôle secondaire, on peut même dire
nul. Ce que la masse des électeurs demandait aux candidats, ce n'était pas un
programme politique, mais une opinion sur la paix ou la guerre. Quiconque se
déclarait partisan de la paix était presque sûr du succès. L'article 2 de la
convention était ainsi conçu : « L'armistice convenu a pour but de permettre
au gouvernement de la Défense nationale de convoquer une Assemblée librement élue
qui se prononcera sur la question de savoir si la guerre doit être continuée,
ou à quelles conditions la paix doit être faite. » Cet article déterminait
nettement le mandat de l'Assemblée. C'est ainsi que l'entendait l'immense
majorité des électeurs ; c'est ainsi que l'avait compris la presse
monarchique elle-même[2]. L'Assemblée
se réunit pour la première fois en séance publique, le 13, février, dans le
grand théâtre de Bordeaux. Tous les députés n'étaient pas présents : un grand
nombre, vu l'état des routes, n'avait pas eu le temps d'arriver. Il fut
décidé que, pour ne pas perdre de temps, on commencerait immédiatement la
vérification des pouvoirs de ceux qui étaient présents, sauf pour les
élections qui soulevaient des difficultés d'un caractère spécial, comme
celles du duc d'Aumale et du prince de Joinville. Il en fut de même pour les
fonctionnaires nommés sans avoir satisfait à la loi qui les rendait
inéligibles, s'ils n'avaient pas donné leur démission six mois au moins avant
l'ouverture du scrutin. La vérification des pouvoirs se poursuivit quelques
jours durant sans donner lieu à des débats sérieux ; les députés étaient
pressés de se trouver en mesure de constituer un gouvernement et d'aborder la
question capitale de paix ou de guerre qui tenait les esprits dans une pénible
attente. Au
début de celle première séance, M. Jules Favre s'était levé, et au nom de ses
collègues, avait déposé les pouvoirs du gouvernement de la Défense nationale.
D'une voix émue, il fit un appel à la concorde et au patriotisme, et dit aux
représentants qui l'écoutaient dans des sentiments fort divers, qu'il était
prêt, avec ses collègues, à répondre de tous les actes du gouvernement qui
avait traversé le long orage de la guerre. « Nous sommes, leur dit-il, vos
justiciables, et nous attendons de vous, dans l'examen de nos actes, une
entière loyauté. » Le président, en acceptant la démission du gouvernement,
prononça quelques paroles banales sur la résolution de l'Assemblée de faire
son devoir avec fermeté et générosité. Il était entendu toutefois que les
ministres actuels rempliraient leurs fonctions jusqu'au jour où un nouveau
pouvoir aurait été constitué. Les
passions qui commençaient à fermenter dans l'Assemblée se manifestèrent dans
l'incident relatif à la démission du général Garibaldi. L'ex-commandant en
chef de l'armée des Vosges, jugeant, son rôle terminé avec la guerre, avait
écrit au président de l'Assemblée la lettre suivante : Citoyen
Président de l'Assemblée nationale, Comme
un dernier devoir rendu à la cause de la République Française, je suis venu
lui porter mon vote, que je dépose entre vos mains. Je
renonce aussi au mandat de député dont j'ai été honoré par divers
départements, Je
vous salue. G. GARIBALDI. Bordeaux,
le 13 février 1871[3]. Cette
lettre, si naturelle, excita des murmures. La présence de Garibaldi au sein
d'une Assemblée française était, aux yeux de certains représentants, un véritable
scandale ; on apportait à l'endroit du patriote italien toutes les haines
cléricales. Garibaldi, cependant, n'avait-il pas été élu par les départements
de la Seine, des Alpes-Maritimes, d'Alger, de la Côte-d'Or et de la Loire ?
Le général savait fort bien qu'en sa qualité d'étranger il lui était interdit
de siéger dans une Assemblée française ; aussi donnait-il sa démission dès la
première séance. La justice, à défaut de la simple politesse, aurait dû
assurer au commandant en chef de l'armée des Vosges le respect de tous les
Français réunis dans le théâtre de Bordeaux. Il n'en fut pas ainsi, et
lorsque, la séance étant levée, Garibaldi voulut monter à la tribune et faire
ses adieux à l'Assemblée, et sans doute aussi à la France, on refusa de
l'écouter, sous le puéril prétexte que le règlement s'oppose à ce qu'un
discours soit prononcé quand le président a déclaré que la séance est levée.
Garibaldi, à la sortie du théâtre, fut acclamé par la foule que les procédés
de l'Assemblée avaient émue. Le lendemain il quittait la France et retournait
à Caprera. Cet incident causa dans toute la France, et notamment dans Paris,
une pénible impression. L'Assemblée commençait mal. Le président avait dû
faire évacuer les tribunes d'où, au milieu du tumulte soulevé par la demande
de Garibaldi, un Méridional avait jeté ces mots : Majorité rurale ! qui
furent le lendemain dans toutes les bouches. Dans la
séance du 17 février, l'Assemblée procédait à la constitution de son bureau
définitif, et offrait le fauteuil de la présidence, par 519 voix sur 538
votants, à M. Jules Grévy, député du Jura, connu par ses convictions
républicaines. M. Grévy avait obtenu la presque unanimité des suffrages,
quoique républicain, à cause de sa modération, de son respect pour la
légalité, et aussi sans doute à cause de la clairvoyance politique dont il
avait fait preuve au sein de l'Assemblée que dispersa le coup d'État de
Décembre. C'est lui qui, à cette époque, avait proposé à l'Assemblée de
garder en ses mains la force armée, au lieu de l'abandonner au président
Louis-Napoléon Bonaparte, qui s'en servit pour consommer son crime. Aux yeux
des représentants réunis à Bordeaux, M. Grévy représentait l'homme du droit
et de la loi. Le fait
saillant de cette séance fut le dépôt de la proposition suivante : Les
représentants du peuple soussignés proposent à l'Assemblée nationale la
résolution suivante : M.
Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif de la République française. Il
exercera ses fonctions sous le contrôle de l'Assemblée nationale, avec le concours
des ministres qu'il aura choisis et qu'il présidera. Signé : DUFAURE, Jules GRÉVY, VITET, Léon DE MALEVILLE, Lucien RIVET, le comte Mathieu DE LA REDOURE, Barthélémy SAINT-HILAIRE. Cette
proposition fut adoptée dans la séance suivante à la presque unanimité, sauf
par certains députés siégeant à l'extrême gauche qui crurent devoir protester
contre les termes du rapport présenté par M. Victor Lefranc, à cause des
réserves que ce travail paraissait contenir relativement à la République. Le
paragraphe contre lequel M. Louis Blanc s'éleva au nom de ses amis contenait,
en effet, des restrictions : « Considérant, y était-il dit, qu'il importe, en
attendant qu'il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir
immédiatement aux nécessités du gouvernement et à la conduite des
négociations, etc. » La République n'était donc pas acceptée à litre
définitif : l'Assemblée prévoyait un jour où il serait statué sur les
institutions de la France, mais elle n'osait pas affirmer qu'elle se
chargerait elle-même de ce soin ; elle ne parlait pas de son pouvoir
constituant ; elle était encore trop rapprochée de son berceau pour émettre
une prétention injustifiable. Aussitôt
après le vote, les ambassadeurs d'Angleterre, d'Italie et d'Autriche
reconnaissaient, au nom de leur pays, le gouvernement que l'Assemblée venait
de donner à la France. M. Thiers composait son ministère comme suit : Justice,
M. Dufaure ; affaires étrangères, M. Jules Favre ; intérieur,
M. Ernest Picard ; guerre, le général Le Flô ; marine, vice-amiral
Pothuau ; instruction publique, M. Jules Simon ; commerce, M.
Lambrecht ; travaux publics, M. de Larcy ; le portefeuille des
finances fut donné à M. Pouyer-Quertier. M. Thiers présenta ses ministres à
l'Assemblée en ces termes : « Dans l'intérêt de l'unité d'action, vous m'avez
laissé le choix de mes collègues ; je les ai choisis sans autre motif de
préférence que l'estime publique universellement accordée à leur caractère, à
leur capacité ; et je les ai pris, non dans l'un des partis qui nous divisent,
mais dans tous, comme l'a fait le pays lui-même en vous donnant ses votes et en
faisant figurer souvent sur la même liste les personnages les plus divers,
les plus opposés en apparence, mais unis par le patriotisme, les lumières et
la communauté des bonnes intentions. » M. Thiers avait voulu former un
ministère de conciliation ; de ses ministres, quatre étaient républicains :
MM. Jules Favre, Ernest Picard, Jules Simon et le général Le Flô ; trois
passaient pour dévoués à M. Thiers, en dehors de toute question politique ;
seul M. de Larcy était notoirement connu comme légitimiste ardent. En le
faisant entrer dans le ministère, M. Thiers donnait satisfaction à un groupe
dont l'importance numérique dans la Chambre était considérable, eu égard à sa
faible influence sur le pays. Au
moment d'exercer les pouvoirs dont l'Assemblée l'avait investi, M. Thiers
devait exposer ses vues politiques et dire comment il entendait gouverner
dans la situation critique où se trouvait la France. Le programme de
l'illustre homme d'État était simple et dicté par le bon sens et le
patriotisme. Il consistait à reléguer au second plan les questions politiques
pour courir au plus pressé, au relèvement du pays. Sur ce terrain, tous les
représentants pouvaient et devaient être d'accord ; la politique, au
contraire ; les aurait immédiatement divisés. M. Thiers parla à l'Assemblée
en ces termes : Dans
une société prospère, régulièrement constituée, cédant paisiblement, sans
secousse, an progrès des esprits, chaque parti représente un système
politique et les réunit tous dans une mème administration ; ce serait, en
opposant des tendances contraires qui s'annuleraient réciproquement ou se
combattraient, ce serait aboutir à l'inertie ou au conflit. Mais,
hélas ! une société régulièrement constituée, cédant doucement au progrès des
esprits, est-ce là notre situation ? (Mouvement.) La
France, précipitée dans une guerre sans motif sérieux, sans préparation
suffisante, a vu une moitié de son sol envahie, son armée détruite, sa belle
organisation brisée, sa vieille et puissante unité compromise, ses finances
ébranlées, la plus grande partie de ses enfants arraches au travail pour
aller mourir sur les champs de bataille, l'ordre profondément troublé par une
subite apparition de l'anarchie, et, après la reddition forcée de Paris, la
guerre, suspendue pour quelques jours seulement, et prête à renaître si un
gouvernement estimé de l'Europe, acceptant courageusement le pouvoir, prenant
sur lui la responsabilité de négociations douloureuses, ne vient mettre un
terme à d'effroyables calamités ! En
présence d'un pareil état de choses, y a-t-il, peut-il y avoir deux
politiques ? Et, au contraire, n'y en a-t-il pas une seule, forcée,
nécessaire, urgente, consistant à faire cesser le plus promptement possible
les maux qui nous accablent ? Quelqu'un
pourrait-il soutenir qu'il ne faut pas le plus tôt, le plus complétement
possible, faire cesser l'occupation étrangère au moyen d'une paix
consciencieusement débattue et qui ne sera acceptée que si elle est honorable
? (Très-bien
! très-bien ! — Applaudissements sur plusieurs bancs.) Débarrasser
nos campagnes de l'ennemi qui les foule et les dévore ; rappeler des prisons
étrangères nos soldats, nos officiers, nos généraux prisonniers ;
reconstituer avec eux une armée disciplinée et vaillante ; rétablir l'ordre
troublé ; remplacer ensuite et sur-le-champ les administrateurs
démissionnaires ou indignes ; reformer par l'élection nos conseils généraux, nos
conseils municipaux dissous (Très-bien ! très-bien !) reconstituer ainsi notre
administration désorganisée ; faire cesser des dépenses ruineuses ; relever
sinon nos finances, — ce qui ne saurait être l'œuvre d'un jour, — du moins
notre crédit, moyen unique de faire face à dos engagements pressants ;
renvoyer aux champs, aux ateliers, nos mobiles, nos mobilisés ; rouvrir les
routes interceptées, relever les ponts détruits, faire renaître ainsi le
travail partout suspendu, le travail qui seul peut procurer le moyen de vivre
à nos ouvriers, à nos paysans ! (Oui ! oui ! très-bien !) y a-t-il quelqu'un qui pourrait
nous dire qu'il y a quelque chose de plus pressant que tout cela ? et y
aurait-il, par exemple, quelqu'un ici qui oserait discuter savamment des
articles de constitution pendant que nos prisonniers expirent de misère dans
des contrées lointaines, ou pendant que nos populations mourantes de faim
sont obligées de livrer aux soldats étrangers le dernier morceau de pain qui
leur reste ? (Sensation marquée.) Non,
non, messieurs, pacifier, réorganiser, relever le crédit, ranimer le travail,
voilà la seule politique possible et même concevable en ce moment. A celle-là
tout homme sensé, honnête, éclairé, quoi qu'il pense sur la monarchie ou sur
la république, peut travailler utilement, dignement ; et n'y eût-il travaillé
qu'un an, six mois, il pourra rentrer dans le sein de la patrie le front
haut, la conscience satisfaite. (Très-bien ! très-bien !) Ah
! sans doute, lorsque nous aurons rendu à notre pays les services pressants
que je viens d'énumérer, quand nous aurons relevé du sol où il gît le noble blessé
qu'on appelle la France, quand nous aurons fermé ses plaies, ranimé ses
forces, nous le rendrons à lui-même, et, rétabli alors, ayant recouvré la
liberté de ses esprits, il verra comment il veut vivre. (Vive
approbation.) Quand
cette œuvre de réparation sera terminée, et elle ne saurait être bien longue,
le temps de discuter, de peser les théories de gouvernement sera venu, et ce
ne sera plus un temps dérobé au salut du pays. Déjà un peu éloignés des
souffrances d'une révolution, nous aurons retrouvé notre sang-froid ; ayant
opéré notre reconstitution sous le gouvernement de la République, nous
pourrons prononcer en connaissance de cause sur nos destinées, et ce jugement
sera prononcé, non par une minorité, mais par la majorité des citoyens,
c'est-à-dire par la volonté nationale elle-même. (Nouvelle
approbation.) Telle
est la seule politique possible, nécessaire, adaptée aux circonstances
douloureuses où nous nous trouvons. C'est celle à laquelle mes honorables
collègues sont prêts à dévouer leurs facultés éprouvées ; c'est celle à
laquelle, pour ma part, malgré l'âge et les fatigues d'une longue vie, je
suis prêt à consacrer les forces qui me restent, sans calcul, sans autre
ambition, je vous l'assure, que celle d'attirer sur mes derniers jours les
regrets de mes concitoyens (Murmures sympathiques. — Vifs
applaudissements)
et, permettez-moi d'ajouter, sans même être assuré après le plus complet
dévouement, d'obtenir justice pour mes efforts. Mais n'importe ! devant le
pays qui souffre, qui périt, toute considération personnelle serait
impardonnable. Unissons-nous,
messieurs, et disons-nous bien qu'en nous montrant capables de concorde et de
sagesse, nous obtiendrons l'estime de l'Europe avec son estime son concours,
de plus le respect de l'ennemi lui-même, et ce sera la plus grande force que
vous puissiez donner à vos négociateurs pour défendre les intérêts de la
France dans les graves négociations qui vont s'ouvrir. Sachez
donc renvoyer à un terme qui ne saurait être bien éloigné les divergences de
principes qui nous ont divisés, qui nous diviseront peut-être encore ; mais
n'y revenons que lorsque ces divergences, résultat, je le sais, de
convictions sincères, ne seront plus un attentat contre l'existence et le
salut du pays. (Bravos prolongés et double salve
d'applaudissements.) Le
programme exposé dans ce discours et accepté par l'Assemblée prit le nom de
pacte de Bordeaux. Les partis se turent par patriotisme, suivant les conseils
de M. Thiers. Il importait, avant tout, de savoir si l'on allait signer la
paix, et à quelles conditions il serait possible de l'obtenir d'un arrogant
vainqueur. Une
commission était nommée, et on la chargeait d'accompagner à Versailles les
négociateurs qui allaient s'aboucher avec M. de Bismarck. MM. Thiers, Jules
Favre et Ernest Picard étaient les trois négociateurs choisis. La commission
se composait des députés suivants : Benoist-d'Azy, Teisserenc
de Bort, de Mérode, Desseligny, Victor Lefranc, Laurenceau, Lespérut,
Saint-Marc Girardin, Barthélémy Saint-Hilaire, d'Aurelle de Paladines, La
Roncière-le-Noury, Pouyer-Quertier, Vitet, Batbie, amiral Saisset. Ces quinze commissaires n'avaient
point charge de se mêler aux négociations, mais de tenir l'Assemblée au
courant des entretiens avec l'autorité prussienne, de donner leur avis à
l'Assemblée et de lui faire un rapport. L'Assemblée
suspendit ses séances au départ des négociateurs et décida de se proroger
jusqu'à leur retour, c'est-à-dire jusqu'au moment où les conditions de la paix
seraient connues. Avant cette suspension de ses travaux, la Chambre avait
voté la nomination de huit commissions, composées chacune de quarante-cinq
membres, et chargées d'ouvrir une vaste enquête sur l'état de la France au
sortir des bouleversements d'une guerre longue et désastreuse. Ces
commissions devaient porter leurs investigations sur les points suivants : 1°
L'état des forces militaires ; 2° l'état de la marine ; 3° l'état des
finances ; 4° l'état des chemins de fer, routes, rivières et canaux ; 5°
l'état des communications postales et télégraphiques ; 6° l'état des
départements envahis ; 7° l'état de l'administration intérieure ; 8° l'état
du commerce général de la France. De ces
diverses enquêtes, dont quelques-unes pouvaient exiger de longues recherches,
la plus importante et la plus pressée était celle qui avait trait aux
ressources militaires du pays. Quoique l'opinion de la plupart des députés
fût faite à l'avance, puisqu'ils avaient été nommés comme partisans déclarés
de la paix, tous cependant désiraient être fixés sur les moyens militaires
que la France disposait encore, alors que les négociations s'ouvraient à
Versailles. La commission qui devait éclairer sa religion sur cette grave
question divisa en trois parties l'objet de ses études : la première s'occupa
du personnel, la seconde du matériel, la troisième des services
administratifs. Le rapport, confié au vaillant amiral Jauréguiberry, était
prêt le 26 février et soumis aux députés. Les conclusions de ce travail
étaient loin d'être favorables à la continuation de la guerre. En voici la
substance : Les
forces militaires de la France présentent un effectif total de 534.452
hommes, disséminées dans les divisions territoriales, les dépôts, les camps
régionaux d'instruction ou en Algérie. Mais sur ces 534.452 soldats, combien
peuvent entrer en ligne ? 53.087 seulement. Les autres ne sont ni équipés, ni
instruits, ni armés, et ne doivent pas compter. « Nous possédons encore, il
est vrai, dans nos armées, disait l'amiral, 14.474 marins ou soldats
d'infanterie de marine et quelques centaines de zouaves remarquables par leur
courage et par leur fermeté. Reste glorieux de 55.000 combattants, ce petit
nombre témoigne hautement de la valeur et du dévouement de ces troupes
d'élite. » La cavalerie et l'artillerie offraient un effectif de 53.000
hommes en bon état, mais les chevaux avaient beaucoup souffert du froid et du
manque de fourrage. Le rapporteur, après avoir compté tous les hommes réunis
sous les drapeaux, ne trouvait, en dehors des armes spéciales, que 220.000
hommes capables d'opposer quelque résistance, et il disait en terminant : Cette
résistance sera-t-elle couronnée du succès que nous désirons si ardemment ?
Nous n'osons même pas l'espérer, car il ne faut pas se le dissimuler, pour
vaincre des armées aussi nombreuses, aussi bien organisées que le sont, à
tous égards, celles contre lesquelles nous sommes appelés à lutter, il est
indispensable que nos troupes soient, non-seulement instruites et bien
armées, mais surtout animées d'un esprit de ténacité indomptable, d'un mépris
du danger, d'un sentiment exalté de patriotisme que malheureusement toutes ne
possèdent pas. L'amiral
Jauréguiberry n'était certes pas suspect de souhaiter la paix à tout prix ;
nul n'avait plus bravement que lui payé sa dette à la patrie. A Villepion, à
Loigny, au Mans, il s'était couvert de gloire. Cependant
les négociateurs français discutaient à Versailles les préliminaires de la
paix. M. de Bismarck exigeait une cession de territoire, une indemnité
pécuniaire, une satisfaction pour l'orgueil de l'armée allemande. Quant à la
cession territoriale, le diplomate prussien demandait l'Alsace et la Lorraine
tout entière, notre colonie de Pondichéry, et, par-dessus le marché,
l'abandon d'une partie de notre flotte. Sur la question d'argent, ses prétentions
n'étaient pas moins exorbitantes : la Prusse voulait se faire donner comme
indemnité de guerre une somme de dix milliards. Enfin, il fallait, pour
contenter l'amour-propre de l'armée allemande, que les Prussiens entrassent
dans Paris. Après avoir entendu l'énoncé de ces prétentions inattendues, M.
Thiers se leva, disant que jamais un Français ne consentirait à subir de si
dures exigences et qu'apparemment la Prusse désirait la continuation de la
guerre. Devant cette résistance, M. de Bismarck modifia ses prétentions : il
descendit de dix milliards à sept, puis à cinq ; quant à la cession
territoriale, il consentit à laisser à la France Nancy et le département de
la Meurthe ; il cessa de demander une partie de la flotte et la colonie de
Pondichéry ; mais M. Thiers, pour conserver Belfort, dût consentir à l'entrée
des troupes allemandes dans Paris. Son opposition sur ce point resta vaine ;
l'état-major prussien tenait à l'entrée de son armée dans la ville prise
après un siège de plus de quatre mois ; seulement il fut convenu que l'armée
allemande se bornerait à occuper le quartier des Champs-Elysées, ce qui était
entrer dans Paris aussi peu que possible. Quant au payement d'une indemnité de cinq milliards, il fut
convenu qu'un milliard serait versé dans les caisses allemandes pendant l'année
1871, et que le reste serait acquitté dans un espace de trois ans. Aussitôt
les préliminaires acceptés par l'Assemblée, l'armée allemande devait sortir
de Paris et évacuer les forts de la rive gauche de la Seine, puis les
départements de l'Orne, du Calvados, de la Sarthe, d'Eure-et-Loir, du Loiret,
de Loir-et-Cher, d'Indre-et-Loire et de l'Yonne, et tous les départements du
nord-ouest, jusqu'à la rive gauche de la Seine. Après le versement d'un demi-milliard
devaient être évacués les départements suivants : Somme, Oise, les parties
des départements de la Seine-Inférieure, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne,
situées sur la rive droite de la Seine, ainsi que les forts situés sur la
même rive. Enfin il était stipulé qu'après le payement de deux milliards,
l'occupation allemande n'embrasserait plus que les départements de la Marne,
des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Meuse, des Vosges, de la Meurthe,
ainsi que la forteresse de Belfort avec son territoire, qui devaient, d'après
les termes du traité, servir de gage pour les trois milliards restants. L'armée
française devait se retirer derrière la Loire en attendant la signature du
traité de paix définitif[4]. L'Assemblée
reprit ses séances le 28 février, pour entendre la lecture des préliminaires
de paix. On en connaissait déjà les dispositions principales : la perte de
l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, l'entrée des Prussiens dans Paris,
l'écrasante indemnité de guerre. La douleur et l'indignation se partageaient
les cœurs. Les députés de l'Est, voyant approcher le moment de la séparation,
laissaient éclater alternativement leur colère et leurs larmes. Dans Paris,
la perspective de l'entrée des Prussiens jetait une exaltation naturelle qui
se traduisait par des projets de-résistance. On parlait de s'opposer à
l'entrée des Prussiens les armes à la main et de recommencer la guerre. Paris
avait-il été pris d'assaut ? l'ennemi avait il
forcé ses portes ? Il avait attendu la reddition de la cité par la famine ;
il l'avait bombardée sans pitié, ne pouvant la vaincre. La dernière
humiliation qu'il voulait lui infliger, celle de sa présence dans ces murs
inviolés, n'était pas tolérable. S'ils entrent, disait-on, on se battra. On
oubliait, en parlant ainsi, que l'ennemi avait commencé par occuper les forts
et qu'il n'aurait fallu qu'un coup de fusil tiré sur les Allemands pour faire
foudroyer la ville et les monuments. C'est
au milieu de ces orages que l'Assemblée se réunit le 28 février ; elle
voulait avoir signé la paix le 1er mars. M. Thiers monta à la tribune, et au
milieu d'un solennel silence il lut le texte du projet de loi présenté par le
gouvernement. Le
chef du Pouvoir exécutif de la République française propose à l'Assemblée
nationale le projet de loi dont la teneur suit : L'Assemblée
nationale, subissant les conséquences de faits dont elle n'est pas l'autour,
ratifie les préliminaires de paix dont le texte est ci-annexé, et qui ont été
signés à Versailles, le 26 février 1871, par le chef du Pouvoir exécutif et
le ministre des affaires étrangères de la République française, d'une part ; Et
d'autre part, par le chancelier de l'empire germanique, M. le comte Otto de
Bismarck-Schœnhausen, le ministre d'État et des affaires étrangères de S. M.
le roi de Bavière, le ministre des affaires étrangères de S. M. le roi de
Wurtemberg, et le ministre d'Etat représentant S. A. R. le grand-duc de Bade
; Et
autorise le chef du Pouvoir exécutif et le ministre des affaires étrangères à
échanger les ratifications. « Je
demande l'urgence, ajouta M. Thiers : des raisons de la plus haute gravité
exigent que le traité soit discuté, mais qu'on perde le moins de temps
possible pour échanger les ratifications. Les ratifications seront le signal
du retour de nos prisonniers et de l'évacuation de notre territoire, Paris
compris. » L'auditoire,
en proie à la plus vive émotion, écoute ensuite la lecture des préliminaires
de paix faite par M. Barthélémy Saint-Hilaire, lecture entrecoupée par des
cris de douleur, d'indignation, de colère, et qui soulève l'Assemblée. La
discussion s'engage sur la demande d'urgence du chef du Pouvoir exécutif. M.
Tolain, député de Paris, s'oppose à la déclaration d'urgence : « Nous sommes
encore, dit-il, sous le coup écrasant des propositions honteuses qui viennent
de nous être faites... Il faut que le traité soit étudié par chacun de nous
d'une manière approfondie, et, puisque l'armistice est prorogé jusqu'au 12
mars, nous avons tout le temps nécessaire pour nous livrer à cet examen. » — « L'urgence,
réplique aussitôt M. Thiers, ne signifie pas qu'on délibérera sans examiner
complétement le traité. Une proposition telle que celle que nous venons de
vous faire est certainement une des plus graves qu'on puisse présenter à un
grand pays. Nous le savons, et notre douleur nous l'a assez appris... (Mouvement.) Mais il faut que l'examen
commence tout de suite, et quand il sera, commencé, ce n'est pas nous,
soyez-en sûrs, qui voudrions restreindre la discussion et empêcher qui que ce
soit de dire sur ce traité fout ce qu'il pense. Non, tout au contraire ! Mais
ce qui importe avant tout, c'est que cette discussion ne soit pas différée. « Quant
au mot que je repousse, continue l'orateur en s'animant, c'est celui de «
propositions honteuses. » — Pas un de nous ne serait capable de vous en faire
une semblable. Mais nous sommes dans une situation malheureuse, et s'il y a
de la honte, la honte sera pour ceux qui, à tous les degrés, à toutes les
époques, auront contribué aux fautes qui ont amené cette situation, (Vives marques
d'approbation.) « Quant
à moi, devant le pays et devant Dieu, je déclare que je suis étranger à ces
fautes-là. » (Applaudissements prolongés.) L'urgence
est déclarée : les députés se réunissent le même jour dans leurs bureaux pour
examiner les bases du traité. La lecture du rapport, la discussion et le vote
sont renvoyés à la séance du lendemain 1er mars. La
séance s'ouvre par la lecture du rapport, rédigé par M. Victor Lefranc, au
nom de la commission chargée par l'Assemblée de suivre les négociations de
Versailles. Le rapporteur raconte les angoisses des négociateurs ; il les a
partagées ; mais il faut se résigner aux sacrifices qu'imposent les
circonstances, et, quoi qu'il en coûte au patriotisme, signer la paix dont
les préliminaires sont soumis aux représentants. « Cette signature est
douloureuse, messieurs ; l'âme se révolte avant de vous conseiller d'y
souscrire, et ce n'est pas trop de toutes les forces de la conscience pour
examiner librement s'il est possible de l'éloigner de vous. » Le plus cruel
des sacrifices est l'abandon de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, de
ces provinces si françaises, qui veulent rester françaises, qui supplient la
France de ne pas consentir à la séparation impie qu'on lui demande, que, pour
leur compte, elles repoussent avec horreur[5]. Les négociateurs ont épuisé
leurs efforts pour épargner ce démembrement à la patrie : ils se sont heurtés
à une résistance invincible. De l'Alsace, du moins, la France conserve
Belfort, que la Prusse avait voulu garder tout d'abord ; de la Lorraine, on a
sauvé les quatre cinquièmes ; on aurait pu la perdre tout entière. Quant à
l'indemnité pécuniaire, elle est énorme ; mais il n'a pas été possible aux
négociateurs de la réduire au-delà du chiffre de 5 milliards. La France,
rendue à la paix et au travail, saura tromper l'attente de ses ennemis dont
l'espoir, en exigeant d'elle tant d'argent, est moins encore de s'enrichir de
ses dépouilles que la réduire pour longtemps à l'in puissance. « Faut-il,
s'écrie M. Victor Lefranc, faut-il recommencer la lutte après les désastres
de nos armées, après les insuffisances de la levée en masse, après l'appel
des forces à peine organisées du pays ? Ne serait-ce pas hasarder les
dernières énergies de la France sans espoir de les voir triompher ? Ne
serait-ce pas pour couvrir contre les conséquences fatales de leurs fautes,
l'honneur de ceux qui nous ont perdus, ou même pour sauver le faux honneur de
ceux qui reculent devant les responsabilités... (C'est cela !
très-bien ! Voilà la vérité). Ne serait-ce pas jouer l'honneur même de la France, compromis
dans le trouble possible de ces suprêmes convulsions du désespoir » ? M.
Edgar Quinet, dans un discours éloquent et ému, combat les conclusions du
rapport. Il suit depuis longtemps d'un œil attentif la politique de la Prusse
et de l'Allemagne. Que demandent-elles à la France en lui proposant cette
paix ruineuse ? De se mutiler de ses propres mains, de légaliser le vol et la
conquête par le suffrage universel. « Jusqu'ici, s'écrie l'orateur, les
conquérants se contentaient de mettre la main sur un territoire, de s'en
emparer par la force. Ils le gardaient s'ils le pouvaient. C'était le droit
de la guerre. Aujourd'hui les prétentions de la Prusse sont toutes nouvelles.
Après avoir saisi l'Alsace et la Lorraine, elle prétend faire voter,
consacrer cette prise de possession par le suffrage universel. Ce qui n'était
jusqu'ici qu'une déprédation deviendrait ainsi le droit consenti par les Français.
» Il ne se sent pas la force de dire à des compatriotes, à des Français comme
lui : En vertu de mon vote et de mon libre arbitre, vous allez cesser d'être
Français. « L'Alsace et la Lorraine ne sont pas seulement des provinces,
continue M. Quinet, elles sont les deux boulevards de la France ; elles en
sont les deux remparts ; ôtez-les à la France, et elle est ouverte à
l'ennemi. Que la Prusse possède ces remparts, et la Prusse peut s'étendre à
son gré dans la France centrale ; elle peut déborder, sans trouver
d'obstacles, jusqu'à la Marne ; l'ennemi est maître chez vous, il est à
perpétuité sur le chemin de Paris, il tient la France à la gorge ! Est-ce là,
je vous le demande, une paix ? Non, c'est la guerre à perpétuité sous le
masque de la paix. Si c'est là ce que demande la Prusse, il est donc bien
vrai qu'elle ne veut pas seulement notre déchéance, mais notre
anéantissement. « Or
c'est là ce que je ne signerai jamais ! Si le présent est funeste, sauvons au
moins le lendemain ! Nous ne le pouvons qu'en repoussant les préliminaires de
paix qui détruisent à la fois le présent et l'avenir ! » Et le
moyen ! le moyen ! s'écrie M. Thiers de sa place. Après
M. Quinet, M. Bamberger, député de la Moselle et Strasbourgeois de naissance,
paraît à la tribune. Ici se
place le mémorable incident qui se dénoua par le vote de déchéance de
Napoléon III et de sa dynastie. Cette page d'histoire, d'un intérêt
dramatique, mérite d'être rapportée dans tous ses détails. On ne peut en
donner un récit plus fidèle que le compte rendu du Journal officiel ; il
reflète toutes les passions que soulève dans l'Assemblée indignée le souvenir
cyniquement invoqué de l'auteur de la guerre, au moment même où la France
pliait sous le poids de malheurs immérités, et que lui seul avait causés ! M. BAMBERGER. Messieurs, député de la
Moselle et Strasbourgeois de naissance, je viens vous adjurer de repousser le
traité de paix, ou de honte, qui est apporté devant vous. Je serai bref : vos
moments, on vous l'a dit déjà souvent, trop souvent peut-être, sont précieux
: d'ailleurs, c'est un arrêt de mort que l'on présente à votre ratification,
et les longs discours ne conviennent point aux mourants. Ce traité constitue, selon moi, une des plus
grandes iniquités que l'histoire des peuples et les annales diplomatiques
auront à enregistrer. Un seul homme, je le déclare tout haut, un seul homme
devait le signer : cet homme, c'est Napoléon III. Sur un très-grand nombre de
bancs. Oui !
oui ! vous avez raison ! M. BAMBERGER. Un seul homme dont le nom
restera éternellement cloué à l'infamant pilori de l'histoire. (Applaudissements
prolongés.) Un membre à droite. Napoléon III n'aurait jamais
signé un traité houleux ! (Murmures et réclamations.) Voix diverses. Qui dit cela ? Le
nom ! le nom de celui qui dit cela ? Le même membre. Galloni d'Istria ! (Bruit
croissant.) M. HAENTJENS. Il vaut mieux blâmer un souverain
prussien qu'un souverain prisonnier de nos cruels ennemis. Ce n'est pas M. de
Bismarck qu'on blâme en ce moment... (Interruptions diverses. — Bruit
prolongé.) M. BAMBERGER. Mon intention n'est pas de
traiter la question au point de vue historique ; d'autres, sans aucun doute,
s'en acquitteront mieux que nous. (Nouvelles interruptions.) M. CONTI et M. GAVINI prononcent des paroles que les
rumeurs et le bruit empêchent complétement de saisir. Plusieurs membres à M. Conti. A. la tribune ! à la tribune !
allez dire cela à la tribune ! M. CONTI monte à la tribune au milieu
d'une vive agitation. M. JULES SIMON, ministre de l'instruction
publique et des cultes, s'adressant à M. Conti. Parlez ! parlez donc !
osez défendre l'auteur de toutes nos catastrophes ! M. LANGLOIS se dirige du côté de la
tribune. M. LE PRÉSIDENT, Monsieur Langlois, veuillez
reprendre votre place. M. LE GÉNÉRAL DUCROT prononce avec animation
quelques paroles qui n'arrivent pas jusqu'à la sténographie. M. CONTI. J'ai été provoqué à porter à
cette tribune... (Interruptions.) M. GAVINI. Vous avez poussé M. Conti à la
tribune : laissez-le donc parler ! M. JULES SIMON. Oui ! oui, qu'il dise donc
quelque chose que d'honnêtes gens puissent entendre ! (Bruit
général.) M. LE PRÉSIDENT. Je supplie l'Assemblée de
vouloir bien écouter. Un membre à gauche. Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT. Vous n'avez pas la parole. Je conjure l'Assemblée de garder le calme que
commande une si grave et si douloureuse discussion. (Très-bien !
très-bien !) M.
Bamberger cède-t-il la parole à M. Conti ? M. BAMBERGER. Je la cède provisoirement,
monsieur le président, et en réservant mon droit. (Oui ! oui !
très-bien !) M. LE PRÉSIDENT à M. Conti. Vous avez la
parole. M. CONTI. J'ai été provoqué à porter à
cette tribune la protestation que je voulais faire de ma place contre les
paroles prononcées par l'honorable préopinant. (Rumeurs.) Cette protestation, je n'hésite pas à la renouveler
; je le ferai avec conviction et avec courage. (Bruyantes
interruptions. — Parlez ! parlez !) M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, puisque vous exigez
que l'orateur parle, ayez la patience de l'écouter. M. CONTI. Cette protestation, je
n'hésite pas à la renouveler, et j'espère qu'elle retentira dans le pays tout
entier, si elle n'est pas ici accueillie par tout le monde avec une égale
faveur. (Nouvelles interruptions.) Messieurs, dans un débat si douloureux, si
poignant, je ne m'attendais pas à des diversions passionnées... (Ah ! ah !), à d'injustes récriminations
contre un passé auquel plusieurs d'entre nous se rattachent... (Allons donc !
allons donc ! — Non ! non !) Vous dites : non ! Est-ce qu'il n'y a pas ici
beaucoup de nos collègues qui, comme moi, ont prêté serment à l'Empire... (Bruyantes
réclamations)
qui, comme moi, l'ont servi avec dévouement et qui, certainement, ne voudront
pas répudier leur passé ?... (Nouvelles et bruyantes réclamations.) Un membre. Et l'empereur, est-ce qu'il
n'avait pas prête serment à la République ? M. DUFAURE, ministre de la justice.
Je demande la parole. M. GAVINI. Je proteste avec M. Conti... (Le bruit
couvre la voix de l'orateur.) M. LE DUC DE MARMIER. Un serment forcé n'oblige
jamais. (Bruit confus.) M. CONTI. Messieurs, j'étais venu ici
dans un esprit de conciliation et de patriotisme associer ma responsabilité à
la vôtre. (Exclamations et murmurés.) (Plusieurs membres se lèvent
et interpellent l'orateur dans le bruit.) M. LE PRÉSIDENT, s'adressant aux
interrupteurs. Messieurs, veuillez vous asseoir
! vous n'avez pas la parole ! Continuez, monsieur Conti. Plusieurs membres. Non ! non ! Assez ! assez ! M. LE PRÉSIDENT. Encore une fois, veuillez ne
pas interrompre, ou je serai contraint de vous rappeler a l'ordre. (Très-bien !) M. CONTI. Je disais que, dans un profond
esprit de conciliation, j'étais venu, comme la plupart d'entre vous, apposer
ma responsabilité au bas de l'acte que nous sommes obligés de souscrire. Oui, je crois que l'heure de la paix est venue, que
le moment est venu de panser nos plaies, de guérir nos maux ; mais à une amertume
déjà si grande, pourquoi venir en joindre une autre ? Pourquoi voulez-vous m'empêcher
d'attester mes convictions les plus intimes et les plus sincères (Vives
interruptions. — Assez ! assez !) M. GAVINI. Protestez contre la violence
qui vous est faite et descendez de la tribune ! M. LE PRÉSIDENT. Monsieur Gavini, vous n'avez
pas la parole. M. CONTI. Ces interruptions ne me feront
pas descendre de la tribune... car je viens défendre des principes, je viens
défendre mon pays... (Exclamations.), tout ce qu'il a honoré. N'est-ce pas
assez d'avoir à voter la mutilation de son pays ? Faut-il encore retrancher
de son histoire quelques années glorieuses et dont la prospérité ne sera pas
oubliée ? (Vives réclamations et murmures sur un grand nombre de bancs.) M. VITET. Allons donc ! glorieuses.
Dites honteuses. M. CONTI. Laissez-moi tenir ce langage.
Vous me répondrez (Assez ! assez !) Vos récriminations... (Bruit.) M. GAVINI. Protestez, et descendez de la
tribune. Puisqu'on refuse de vous entendre, ne prolongez pas davantage ce
douloureux incident. Nous nous joignons à vous ! M. CONTI. Avant de descendre de cotte
tribune, je dirai ce que j'ai à dire : en attaquant le gouvernement que je
défends, vous incriminez la France elle-même qui l'a fondé et soutenu par une
série de plébiscites. (Bruit général.) Oui, messieurs, ce gouvernement pour le fuel vous
n'avez pas assez d'injures... (Nouveaux cris : Assez ! assez !) M. LE MARQUIS DE. FRANCLIEU. Descendez de la tribune ! Les
bourreaux n'ont pas le droit d'insulter les victimes. M. CONTI. Vous me faites souvenir... (Assez ! assez
!) M. HAENTJENS. Descendez de la tribune ! M. CONTI. Je n'en descendrai pas, je ne
subirai pas cette violence ; je dirai toute ma pensée. (Assez ! assez
!) Est-ce donc là la liberté que vous voulez nous
donner ? (Assez ! assez !) Messieurs, en 1836, honorable chef du Pouvoir exécutif
disait... (Bruit général.) M. LE MARQUIS DE FRANCLEU. Nous ne voulons pas vous
entendre ! M. DANIEL WILSON. Il est dommage que Napoléon
III lui-même ne soit pas là ! M. CONTI. Après la guerre de Crimée... (Aux voix ! aux
voix ! — Agitation croissante.) M. LE DUC DE MARMIER. M. Bamberger avait la parole.
Pourquoi ne reprend-il pas son discours ? M. LE PRÉSIDENT. Monsieur le duc de Marmier,
veuillez garder le silence. Messieurs, voulez-vous permettre à votre président
de présider la séance ? (Oui ! oui ! — Écoutons !) M. BAMBERGER remonte à la tribune à côté
de M. Conti, et sa présence y est accueillie par des applaudissements. M. LE PRÉSIDENT. Vous n'avez pas la parole en
ce moment, monsieur Bamberger. Veuillez descendre de la tribune. (M. Victor Hugo remplace à la
tribune M. Bamberger qui en est descendu. — Des applaudissements éclatent sur
plusieurs bancs). Voix à gauche. Parlez, monsieur Victor Hugo ! M. LE PRÉSIDENT. Si un pareil bruit continue,
vous me mettrez dans la nécessité de suspendre la séance. (Le silence se
rétablit.) Vous
avez demandé que M. Conti montât à la tribune. (Non ! non ! —
Si !) M. DUFAURE, ministre de la justice.
Ce n'était pas pour faire un discours et une apologie. M. CONTI. Je comprends bien : c'est
toute la mesure de la liberté que vous me laissez ? Je ne puis... (Interruptions
diverses.) je ne
puis pas répondre à toutes les interpellations qui me sont adressées.
Cependant... (Tumulte.) M. LE MINISTRE DE
LA JUSTICE. Ne nous
faites pas perdre notre temps ! M. Bamberger ne vous a pas cédé la parole
pour cela. M. LE PRÉSIDENT. Si l'Assemblée voulait faire
silence, elle permettrait au président d'entendre l'orateur, et il l'aurait
déjà ramené à la question dont il a paru s'écarter. Je laisse la parole à M.
Conti... (Non ! non ! — Vives protestations.) M. CONTI. Je ne veux pas... (De nouvelles
interpellations sont adresses de divers côtés à l'orateur, au milieu d'un
bruit confus.) M. SCHŒLCHER. Levez la séance, monsieur le président
! Un membre. Les Prussiens sont chez nous,
messieurs ! hâtons-nous ! (Bruit persistant.) M. LE PRÉSIDENT. Je laisse la parole à M.
Conti, à qui je ne peux la retirer sans qu'il se soit mis en infraction au
règlement. Je ne la lui laisse qu'à la condition qu'il se renfermera
strictement dans la question et qu'il ne provoquera pas les émotions de
l'Assemblée. (Mouvements en sens divers.) M. CONTI. Je ne mérite pas le reproche
indirect que M. le président m'adresse : je ne me suis pas écarte de la question
; ce sont les orateurs qui m'ont précédé qui s'en sont écartés en faisant
allusion à des faits qui ne sont pas en cause. (Exclamations
et protestations nombreuses et bruyantes.) M. VITET. Comment ! qui ne sont pas en
cause ? Ils sont bien la cause de la guerre. M. CONTI. Après m'avoir obligé à monter
à cette tribune pour répondre à des accusations inouïes, vous m'opprimez par
vos interruptions et vous attaquez de tous côtés, avec une violence sans exemple,
l'Empire que j'ai servi, que je vénère, et que j'ai bien le droit de
défendre. Je disais tout à l'heure qu'à une certaine époque... (Interruption.) Un membre. C'est pour le Moniteur que
l'orateur parle, car on ne l'entend pas. M. CONTI. Je parle pour que la France
m'entende, et elle m'entendra. (Vives réclamations.) Une voix à droite. Non, elle ne vous entendra pas
! (Bruit.) M. LE COMTE DE DOUHET. Nous demandons la clôture de
l'incident. M. CONTI. Je n'ai jamais vu dans
une assemblée une pareille intolérance. (Nouvelles exclamations.) M. COCHERY. C'est de l'indignation ! M. DUFAURE, ministre de la
justice. Et quand M. Thiers vous recommandait la paix, vous avez été sur le
point de l'arracher de la tribune ! Plusieurs voix à gauche. La déchéance ! la déchéance ! M. PAUL BETHMONT. Il n'y a qu'un moyen de clore
l'incident, c'est de proclamer la déchéance de l'empereur Napoléon et de sa
dynastie. (Oui ! oui !) (Un grand nombre de députés
se lèvent en criant : La déchéance ! la déchéance !) M. TARGET monte à la tribune pour
remettre sur le bureau une proposition. Sur l'invitation de M. le président,
il en descend aussitôt. Voix nombreuses. La déchéance ! M. LE COMTE DE DOUHET. Descendez de la tribune,
monsieur Conti ! ce sera plus sage que de prolonger cet incident. M. LE PRÉSIDENT. Monsieur Conti, vous n'avez eu
la parole que par une concession de M. Bamberger qui était à la tribune, et
pour donner une explication personnelle ; votre explication étant épuisée, je
vous engage à descendre de la tribune. (Oui ! oui !) M. CONTI. Je ne puis que céder à
l'intolérance de la Chambre, et, puisque la parole m'est retirée, je descends
de la tribune. (Exclamations diverses. — De vives interpellations sont
adressées a M. Conti par
plusieurs membres pendant qu'il retourne à sa place.) M. LE PRÉSIDENT. J'invite la Chambre au calme
et au silence. Si l'agitation qui règne en ce moment ne s'apaise pas, je
serai obligé de suspendre la séance. Sur divers bancs. Oui ! oui ! vous ferez bien !
— Suspendez la séance ! M. LANGLOIS. Votons la déchéance des
Bonaparte ! (Oui ! oui ! la déchéance !) (Un grand nombre de membres
se lèvent en criant : La déchéance ! la déchéance ! — Agitation générale et
tumultueuse.) M. LE PRÉSIDENT. Puisque le calme ne se
rétablit pas, je vais suspendre la séance pendant un quart d'heure. (Marques d'approbation.) (M. le président se couvre et
la séance est suspendue à deux heures moins dix minutes.) La séance est reprise à deux heures et un quart. M. LE PRÉSIDENT. Je prie l'Assemblée de ne pas
se laisser distraire par des émotions, quelque légitime qu'elles soient, du
sentiment de gravité et de calme douloureux qui doit présider à cette
délibération. (Très-bien !) Je donne la parole à M. Target pour une motion
d'ordre. M TARGET. L'Assemblée doit être
impatiente de reprendre la discussion du douloureux traité ; mais avant de
donner suite à l'incident qui vient de se produire, je propose la motion
suivante : « L'Assemblée nationale clôt l'incident, et dans
les circonstances douloureuses que traverse la patrie, en face de
protestations et de réserves inattendues, confirme la déchéance de Napoléon
III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le
déclare responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la
France. » (Acclamations prolongées.) Ont signé : MM. Target, Paul Bethmont, Jules
Buisson, René Brice, Charles Rolland, Tallon, le duc de Marmier, Pradié, Ricard, Girard, Lambert de Sainte-Croix, Wilson,
Charles Alexandre, Baragnon, Léon Say. Victor de Laprade, Farcy,
Marcel Barthe, comte d'Osmoy, Wallon, Ch. Rive, comte de Brettes-Thurin, Villain. (Les membres des diverses
parties de l'Assemblée se lèvent en applaudissant et en criant : Très-bien !
très-bien ! Bravo ! bravo !) M. CONTI. Je demande la parole. M. GAVINI. Messieurs... (Non ! non'
c'est voté !) Ayez au moins respect des minorités !
(Interruptions diverses.) Je dois protester de toutes les forces de mon
âme... (Nouvelles et plus bruyantes interruptions.) contre la proposition... (Assez ! assez
!) Cette
Assemblée n'a pas le droit de prononcer sur la question qui lui a été présentée
; élue pour une mission spéciale, elle n'est pas constituante... (Réclamations.) Nouveaux cris. Aux voix ! aux voix ! M. GAVINI. Le suffrage universel seul
peut détruire l'œuvre qu'il a édictée par quatre plébiscites solennels.
Faites appel au suffrage universel, si vous l'osez... (Aux voix ! aux voix !)
et alors, lorsque le peuple aura prononcé. bien criminel celui qui ne se
soumettra pas à sa volonté seule souveraine. (Aux voix ! aux voix ! — Le
bruit couvre la voix de l'orateur.) Je proteste contre la proposition. M. DE TILLANCOURT. Aux voix ! et à l'ordre ! M. LE MARQUIS DE
LA ROCHEJACQUELEIN. Le peuple a prononcé en nous
voyant ici. (M Gavini descend de la
tribune au milieu des cris : Aux voix ! à l'ordre — Une vue agitation règne
dans l'Assemblée.) M. LE PRÉSIDENT. La proposition est la clôture
de l'incident. On a demandé le scrutin public sur cette
proposition. De toutes parts. Non ! non ! C'est inutile ! M. CONTI. Vous ne permettez pas de la
discuter ? M. COCHERY, s'adressant à MM. Conti et
Gavini. Vous froissez tous sentiments de l'Assemblée, et à quel moment ! (Bruit
général.) M. THIERS, chef du pouvoir exécutif.
Donnez la parole à M. Conti ! (Non ! non ! — Oui.) Monsieur le président, donnez-leur la parole pour
qu'ils justifient les fautes de l'Empire. Plusieurs membres. Oui ! oui ! qu'ils le fassent,
s'ils l'osent ! M. THIERS monte à la tribune au milieu
des applaudissements de l'Assemblée. M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Thiers,
chef du pouvoir exécutif. M. THIERS, chef du pouvoir exécutif.
Messieurs, je vous ai proposé une politique de conciliation et de paix, et
j'espérais que tout le monde comprendrait la réserve et le silence dans
lesquels nous nous renfermons à l'égard du passé. Mais lorsque ce passé se
dresse devant le pays... (Vive adhésion. Bravos et applaudissements.) M. CONTI. Je demande la parole. M. LE CHEF DU
POUVOIR EXÉCUTIF...
lorsque ce passé semble se jouer de nos malheurs dont il est l'auteur... (Oui ! oui !
Nouveaux bravos.),
le jour où ce passé se dresse devant nous, quand nous voudrions l'oublier,
lorsque nous courbons la tête sous ses fautes, permettez-moi de le dire, sous
ses crimes... (Oui ! oui ! c'est vrai !), savez-vous ce que disent en Europe les princes
que vous représentez ? —je l'ai entendu de la bouche des souverains. — Ils
disent que ce n'est pas eux qui sont coupables de la guerre, que c'est la
France ; ils disent que c'est nous. Eh bien, je leur donne un démenti à la
face de l'Europe. (Applaudissements.) Non, la Franco n'a pas voulu la
guerre... (Non ! non !) c'est vous, vous qui protestez, c'est vous qui l'avez
voulue. (Oui ! oui !) M. CONTI, au pied de la tribune,
adresse à l'orateur des paroles qui sont étouffées par les cris :
N'interrompez pas ! A l'ordre ! à l'ordre ! (Plusieurs représentants, au
pied de la tribune, interpellent vivement M. Conti.) M. LE PRÉSIDENT. J'engage MM. les représentants
à s'éloigner du pied de la tribune, et à prendre leurs places ; c'est une
condition du silence et de l'ordre dans la discussion. (C'est vrai ! —
Très-bien !) M. THIERS, chef du pouvoir exécutif. Vous
avez méconnu la vérité. Elle se dresse aujourd'hui devant vous, et c'est une
punition du ciel de vous voir ici, obligés de subir le jugement de la nation,
qui sera le jugement de la postérité. (Oui ! oui ! — Vifs applaudissements.) Vous venez soutenir ici l'innocence du maître que
vous serviez. Je respecte toujours toutes les douleurs : ce n'est pas
l'individu que j'attaque. M. CONTI. Il n'y paraît guère. M. LE CHEF DU
POUVOIR EXÉCUTIF.
Vous voulez soutenir l'innocence du maître que vous avez servi. Si
l'Assemblée écoute mon conseil, elle vous laissera la parole. Venez parler des services rendus à la France par
l'Empire : il on est beaucoup de nous ici qui vous répondront à l'instant même.
(C'est
vrai ! très-bien !) Si l'Assemblée veut clore l'incident... (Oui ! oui
!), ce sera plus sage et plus digne... (Assentiment.) mais si elle ne veut
pas clore l'incident, je la supplie de laisser parler à cette tribune les
représentants de l'Empire. Je n'ajoute plus qu'un mot : Quant au droit national, vous dites que nous ne
sommes pas une Constituante ; mais il y a une chose qui ne fait pas question,
c'est que nous sommes souverains. (Oui ! oui ! souverains !) Savez-vous pourquoi ? c'est que depuis vingt ans,
c'est la première fois que les élections ont été parfaitement libres... (Acclamations.) et que le, pays a pu dire
librement sa volonté. (Réclamations de M. Conti et de M. Gavini.) M. DUCUING, s'adressant à MM. Conti et
Gavini. La preuve, c'est que vous avez été nommés ! M. LE CHEF DU
POUVOIR EXÉCUTIF.
La clôture de l'incident, c'est ce qui serait le plus digne... (Oui ! oui !) ; mais si la clôture ne
prévalait pas, écoutez alors ceux qui voudraient venir se justifier : nous
leur répondrons. Pour moi, je demande la clôture de l'incident. (Vive adhésion.
— Très-bien ! l'ordre du jour !) M. CONTI. Vous voulez étouffer la
discussion ! c'est ainsi que vous procédez. Je demande la parole pour
combattre la proposition qui a été faite (Exclamations nombreuses.) M. LE PRÉSIDENT. La clôture de l'incident a été
demandée... M. LOUIS BLANC. Je demande la parole. Cris nombreux. La clôture ! la clôture ! M. LE PRÉSIDENT. La clôture de l'incident ayant
été demandée, je dois la mettre, aux voix Il m'a été remis une demande de
scrutin de division. (Exclamations.) Les auteurs de la demande de scrutin
persistent-ils ? (Non ! non !) M. PAUL BETHMONT. Votons par acclamation ! M. LE PRÉSIDENT. Je mets aux voix la clôture de
l'incident dans les termes où elle a été proposée, et que voici : « L'Assemblée nationale clôt l'incident, et dans
les circonstances douloureuses que traverse la patrie, en face de
protestations et de réserves inattendues, confirme la déchéance de Napoléon
III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le déclare
responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France. » (Aux voix ! aux
voix !) M. CONTI. Je demande la parole. (Non ! non !
assez !) M. LE PRÉSIDENT. Je mets aux voix la clôture de
l'incident dans ces termes. (La clôture est mise aux voix
et adoptée à une très-grande majorité. — Quelques membres se lèvent à la
contre-épreuve ; plusieurs autres s'abstiennent.) M. COCHERY. Je constate que cinq membres
seulement se sont levés à la contre-épreuve. M. DANIEL WILSON. Il y en a six, pas un de plus
; je demande que cela soit constaté au Moniteur. Cet
acte de justice fut un véritable soulagement pour la conscience publique.
L'Assemblée ne pouvait, pour flétrir le gouvernement impérial, mieux choisir
son moment. Il était juste que la responsabilité du démembrement de la France
fût rejetée sur ceux qui, après en avoir été les principaux instruments, ne
rougissaient pas d'étaler une arrogance qui était un outrage pour la douleur
commune. De sa captivité de Wilhelmshöhe, Napoléon III n'avait pas craint,
quelques jours auparavant, d'adresser un manifeste au peuple français. Le
César tombé, au lieu de s'enfermer dans le silence du remords, redoutait
d'être oublié du pays qu'il avait ruiné. « Maintenant, disait-il, que la
lutte est suspendue, que la capitale, malgré une résistance héroïque, a
succombé, et que toute chance raisonnable de vaincre a disparu, il est temps
de demander compte à ceux qui ont usurpé le pouvoir du sang répandu sans
nécessité, des ruines amoncelées sans raison, des ressources du pays
gaspillées sans contrôle. Les destinées de la France ne peuvent être
abandonnées à un gouvernement sans mandat, qui, en désorganisant
l'administration, n'a pas laissé debout une seule autorité émanant du
suffrage universel. » Tel était le langage qu'osait faire entendre l'homme de
Sedan, dont les partisans étaient au nombre de six au sein d'une Assemblée
composée de sept cent cinquante membres. Le suffrage universel, auquel il
adressait un hommage hypocrite, avait répondu une première fois à ses prétentions
en repoussant les hommes de l'Empire. L'Assemblée, aux applaudissements du
pays tout entier, venait de répondre au manifeste de Wilhelmshöhe en
déclarant que Napoléon III était responsable de la ruine, de l'invasion et du
démembrement de la France, et en prononçant la déchéance de sa dynastie. Cet
orageux incident était enfin terminé. M. Victor Hugo se lève à son tour pour
combattre la paix offerte par la Prusse à la France. Au nom de Paris, M. Victor
Hugo repousse cette paix qui arrache à la patrie deux de ses plus belles
provinces. « Cette ville, s'écrie-t-il, en parlant de Paris, cette ville,
qu'aucune n'égale dans l'histoire, cette ville majestueuse comme Rome et stoïque
comme Sparte, cette ville que les Prussiens peuvent souiller, mais qu'ils
n'ont pas prise... (Très bien ! très-bien !) Paris nous a donné un mandat
qui aurait son péril, et qui ajoute à sa gloire, c'est de voter contre le
démembrement de la patrie... (Bravos à gauche !) Paris a accepté pour lui les
mutilations, mais il n'en veut pas pour la France. » Le grand poète déclare
qu'il ne votera point cette paix, parce qu'une paix honteuse est une paix
terrible. M. Vacherot répond froidement que l'on ne fait pas de politique
pratique avec des sentiments, et qu'avant tout il faut tenir compte des faits
et des réalités. « Eh bien ! dit-il, connaissant la situation actuelle,
sachant notre état militaire, notre état financier, notre état moral surtout,
je suis de ceux qui pensent qu'à l'heure qu'il est, la France ne peut être
sauvée que par la paix. Voilà pourquoi je la voterai. » M.
Louis Blanc demande ensuite, dans un discours très-étendu, s'il n'y aurait
pas lieu d'examiner « si un nouveau système de défense nationale ne nous
fournirait pas le moyen de déconcerter la supériorité des Prussiens dans la
science du meurtre et du carnage ; si nous ne ramènerions pas à nous le
succès en faisant de tous les éléments de nos forces un tout homogène, en
substituant la guerre de partisan à la grande guerre (rumeurs), en évitant
les batailles rangées, en opposant aux armées ennemies, si fortes par
l'organisation et par le nombre, non plus des masses d'hommes levés au hasard
et indisciplinés, mais un grand nombre de petits corps mobiles, dont l'action
variée, continue, imprévue, aurait pour but de harceler l'ennemi, de
l'épuiser et de déjouer sa stratégie savante. » Le chef
du pouvoir exécutif répond aux députés qui préféreraient la continuation de
la guerre à la paix qu'on leur offre, que s'il y avait à ses yeux une seule
chance de soutenir la lutte, de la soutenir heureusement, jamais il ne se
serait imposé une douleur « qui a été, dit-il, une des plus grandes de ma
vie, celle de signer les préliminaires du traité que je vous ai apporté ;
c'est la conviction que j'ai de l'impossibilité d'entamer cette lutte qui m'a
contraint à courber la tête sous la force de l'étranger. Je supplie, ajoute
M. Thiers, qu'on ne m'impose pas la nécessité de donner les motifs de ma
conviction ; mon silence est un sacrifice que je fais à la sûreté et à
l'avenir de mon pays. Oui, ma conviction profonde, c'est qu'en faisant la
paix aujourd'hui et en nous soumettant à une grande douleur, c'est l'avenir
du pays que nous sauvons, c'est sa future grandeur que nous assurons. Il n'y
a que cette espérance et cette espérance seule qui ait pu me décider. » L'Assemblée,
à bout d'émotions et depuis longtemps fixée d'ailleurs, ratifie par 546 voix
contre 107[6] le traité soumis à ses
délibérations. Le grand sacrifice était consommé. L'Alsace et une partie de
la Lorraine étaient, malgré leurs protestations, violemment séparées de la
France. Les députés des deux malheureuses provinces pouvaient, dès ce moment,
se considérer comme des étrangers au milieu d'une assemblée française. Ils
protestèrent de nouveau contre une spoliation criminelle et firent leurs
adieux à la France. L'honorable
M. Grosjean, député de la Moselle, fut leur interprète : Messieurs,
dit-il, je suis chargé par tous mes collègues des départements de la Moselle,
du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, présents à Bordeaux, de déposer sur le bureau,
après en avoir donné lecture, la déclaration suivante : Les
représentants de l'Alsace et de la Lorraine ont déposé, avant toute
négociation de paix, sur le bureau de l'Assemblée nationale, une déclaration
affirmant de la manière la plus formelle, au nom de ces provinces, leur
volonté et leur droit de rester françaises. Livrés,
au mépris de toute justice et par un odieux abus de la force, à la domination
de l'étranger, nous avons un dernier devoir à remplir. Nous
déclarons encore une fois nul et non avenu un pacte qui dispose de nous sans
notre consentement. (Très-bien ! très-bien !) La
revendication de nos droits reste à jamais ouverte à tous et à chacun dans la
forme et dans la mesure que notre conscience nous dictera. Au
moment de quitter cette enceinte, où notre dignité ne nous permet plus de siéger,
et maigre l'amertume de notre douleur, la pensée suprême que nous trouvons au
fond de nos cœurs est une pensée de reconnaissance pour ceux qui, pendant six
mois, n'ont pas cessé de nous défendre, et d'inaltérable attachement à la
patrie dont nous sommes violemment arraches. (Marques
d'émotion et applaudissements.) Nous
vous suivrons de nos vœux et nous attendrons avec une confiance entière dans
l'avenir, que la France régénérée reprenne le cours de sa grande destinée. Vos
frères d'Alsace et de Lorraine, séparés en ce moment de la famille commune,
conserveront à la France, absente de leurs foyers, une affection filiale,
jusqu'au jour ou elle viendra y reprendre sa place.
(Nouveaux
applaudissements.) Bordeaux,
le 1er mars 1871. Les
députés de l'Alsace et de la Lorraine sortirent alors de l'Assemblée, où
régnait la plus profonde émotion. A la même heure, mourait dans Bordeaux un
patriote obscur dont l'histoire doit conserver le nom, M. Küss, maire de
Strasbourg, qui succombait sous le poids de sa douleur. Malade depuis longtemps,
lorsqu'il apprit que l'Alsace avait cessé d'être française, il ferma les yeux
pour ne plus les rouvrir : il sembla ne vouloir pas rester plus longtemps
dans un monde où se commettaient à la face des peuples indifférents de si
criantes iniquités. Une foule immense et recueillie accompagna les restes de
cet enfant de l'Alsace. Sur la proposition de M. Pelletan, l'Assemblée avait
décidé que les frais des funérailles seraient supportés par la nation. Le vote
de la paix avait été précipité. M. Thiers avait dit au cours des débats que
la conduite des négociations l'obligeait à ne pas s'appesantir sur des
détails trop douloureux pour le patriotisme. La précipitation de l'Assemblée
avait une autre cause : il fallait renvoyer les Prussiens de Paris où, aux
termes de l'armistice, ils devaient entrer et rester jusqu'à la ratification
des préliminaires de paix. Cette dernière humiliation infligée à la ville
irritée offrait les plus grands dangers, mais on sait que M. Thiers s'était
brisé contre une résistance insurmontable. L'entrée a Paris était offerte à l'armée allemande comme la
récompense suprême de ses longues fatigues : elle devait achever, couronner
la campagne. Au prix de cette concession, les négociateurs avaient du moins
pu conserver Belfort à la France ; ils avaient, en outre, obtenu que l'armée
allemande n'occuperait dans Paris que la partie de la ville comprise entre la
Seine, la rue du Faubourg-Saint-Honoré et l'avenue des Ternes, c'est-à-dire
le quartier des Champs-Elysées, et que le chiffre des soldats étrangers
entrant dans la ville ne dépasserait pas 30.000 hommes. Le bruit de l'entrée
des Prussiens avait soulevé dans Paris une émotion indescriptible. Ce dernier
affront était comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Si l'armée
allemande avait emporté Paris d'assaut, le défilé souhaité eût paru naturel,
mais c'est par la famine que la ville avait succombé. Le caprice de l'armée
allemande ressemblait à une dernière humiliation. Le peuple de Paris ne
croyait pas avoir mérité cette suprême offense. Le 26 février, quand la
nouvelle de l'entrée des Allemands est officielle, les gardes nationaux se
précipitent vers la place Wagram, située dans les quartiers menacés d'être
occupés ; il y avait sur cette place un parc d'artillerie. Des gardes
nationaux, des femmes, des enfants enlèvent les canons et les traînent à
l'autre extrémité de Paris, vers la place Royale. « Ainsi, disait-on, ces
pièces ne tomberont pas entre les mains des Prussiens. » Le passage de cette
artillerie à travers la ville ne fit qu'augmenter la fièvre. Dans les
réunions publiques, on jurait de s'opposer par les armes à l'entrée de
l'ennemi. Un soir, le dimanche 26 février, le bruit se répand tout à coup que
c'est pour cette nuit. 50.000 gardes nationaux courent en armes aux
Champs-Elysées et dans le quartier des Ternes. On ne sait pas ce qui serait
arrivé si les Prussiens étaient effectivement entrés cette nuit. L'état moral
de la population s'exaspérait de jour en jour ; des manifestations autour de
la colonne de Juillet montaient les imaginations : sur le piédestal de la
colonne des orateurs excitaient les bataillons qui défilaient. Un jour, un
agent de police déguisé, du nom de Vicentini, est saisi pendant qu'il prend
le numéro des bataillons. La foule demande sa mort avec des cris féroces ;
l'agent de police est entraîné dans le poste voisin, puis on l'en arrache
pour le conduire au bord de la Seine. On criait de toutes parts : « A l'eau !
à l'eau ! c'est un Prussien ! » Sur le quai Henri IV, on attache le
malheureux Vicentini sur une planche, on lui lie les pieds et les mains, on
le jette dans la Seine, et la foule applaudit. Le corps flotte Un instant et
disparaît. Des mariniers, pour avoir voulu le sauver, furent menacés. Plus de
six mille personnes avaient assisté à ce drame lugubre, et personne n'avait
osé disputer la victime aux misérables qui demandaient sa mort. Le
gouvernement était dévoré d'inquiétudes. Le 28, jour de la signature des
préliminaires, il avait adressé un appel à la population pour lui recommander
l'ordre et le calme pendant l'épreuve qu'elle allait subir[7]. Le
gouverneur de Paris, général Vinoy, en appelait aussi à l'intelligence et au
patriotisme de la garde nationale : Le
rappel a été battu cette nuit, sans ordre. Quelques
bataillons, la plupart trompés, ont pris les armes, et ont servi, à leur
insu, de coupables desseins. Il
n'en est pas moins constant que l'immense majorité de la garde nationale
résiste à ces excitations, et qu'elle a compris les devoirs imposés en ce
moment à tout bon citoyen, tout Français digne de ce nom. Le
gouvernement lui confie sans hésitation la garde de la cité ; il compte sur
son dévouement et son intelligence pour maintenir dans ses quartiers un ordre
scrupuleux dont elle comprend plus que jamais la nécessité. La
moindre agitation peut fournir des prétextes et amener d'irréparables
malheurs. La garde nationale aidera ainsi la ville de Paris à traverser une
crise douloureuse, et elle la préservera de périls que le calme et la dignité
peuvent seuls conjurer. Les
auteurs des désordres seront recherchés activement et mis dans l'impuissance
de nuire. Le gouvernement s'est adressé à la population tout entière, et il
lui a fait connaître la situation générale. Le
général commandant supérieur fait appel à la garde nationale, et, au nom des
intérêts les plus sacrés de Paris et de la France, il attend d'elle un
concours actif, dévoué et patriotique. Général VINOY. Les
organes de la presse faisaient de leur côté une déclaration collective : Au
moment où l'entrée des Prussiens dans Paris est officiellement annoncée, les
directeurs des journaux soussignés, confondus dans un même sentiment de
patriotisme, croient devoir insister de nouveau auprès de la population
parisienne pour qu'elle conserve, en face de la situation cruelle qui lui est
faite, le calme et la dignité que les circonstances commandent
impérieusement. Ils
ont résolu, pour leur part, de suspendre le publication des feuilles qu'ils
dirigent pendant l'occupation prussienne. Le jour
de l'entrée arrive. Les boutiques se ferment, des drapeaux noirs flottent sur
les principaux monuments, les rues et les boulevards sont presque déserts. La
rue de Rivoli et la rue Royale, à l'endroit où elles débouchent sur la place
de la Concorde, sont barrées par des poutres et des planches. Derrière cette barrière,
les gardes nationaux font sentinelle. Les Prussiens commencent leur entrée à
huit heures du matin ; elle ne fut complète que vers trois heures. Alors la
curiosité l'emportant, quelques personnes, beaucoup d'enfants surtout,
franchissent les barrières pour voir de près les Allemands : des femmes
suspectes furent publiquement fouettées pour leur avoir souri. Les statues de
pierre de la place de la Concorde, images des grandes villes de France,
disparaissaient sous un voile noir. Le soir, les rues et les boulevards
furent littéralement déserts ; on n'y rencontrait, à des intervalles
réguliers, que des patrouilles de gardes nationaux. Paris montrait dans son
deuil autant de dignité qu'il avait déployé de virilité pendant le siège. L'occupation
cessa le jour du vote des préliminaires de paix par l'Assemblée. Les
Prussiens sortirent de la cité, qu'ils sentaient menaçante dans son
indifférence. Des feux de paille furent allumés dans les Champs-Elysées : la
foule purifiait ainsi les endroits où avaient stationné les troupes
allemandes. Ni à l'entrée, ni au départ, les Prussiens ne passèrent sous
l'arc de triomphe de l'Étoile. —o—o—o—o—o— PIÈCE JUSTIFICATIVE
PRÉLIMINAIRES DE PAIX. Entre
le chef du pouvoir exécutif de la République française, M. Thiers, et Le
ministre des affaires étrangères, M. Jules Favre, représentant de la France,
d'un côté ; Et de
l'autre : Le
chancelier de l'empire germanique, M. le comte Otto de Bismarck-Schœnhausen,
muni des pleins pouvoirs de S. M. l'empereur d'Allemagne, roi de Prusse ; Le
ministre d'Etat et des affaires étrangères de S. M. le roi de Bavière, M. le
comte Otto de Bray-Steinburg ; Le
ministre des affaires étrangères de S. M. le roi de Wurtemberg, le baron Auguste
de Waechter ; Le
ministre d'Etat président du conseil des ministres de S. A. Mgr le grand-duc
de Bade, M. Jules Jolly, représentants de l'empire germanique ; Les
pleins pouvoirs des parties contractantes ayant été trouvés en bonnes et dues
formes, il a été convenu ce qui suit, pour servir de base préliminaire à la
paix définitive à conclure ultérieurement. Art.
1er. — La France renonce, en faveur de l'empire allemand, à tous ses droits
et titres sur les territoires situés à l'est de la frontière ci-après
désignée : La
ligne de démarcation commence à la frontière nord-ouest du canton de
Cattenom, vers le grand-duché de Luxembourg, suit, vers le sud, les
frontières occidentales des cantons de Cattenom et Thionville, passe par le
canton de Briey en longeant les frontières occidentales dos communes de
Montois-la-Montaigne et Roncourt, ainsi que les frontières orientales des
communes de Marie-aux-Chênes, Saint-Ail, atteint la frontière du canton de
Gorze qu'elle traverse le long des frontières communales de Vionville, Chambley et Onville, suit la frontière sud-ouest resp. sud de l'arrondissement de Metz, la frontière occidentale
de l'arrondissement de Château-Salins jusqu'à la commune de Pettoncourt dont
elle embrasse les frontières occidentale et méridionale, pour suivre la crête
des montagnes entre la Seille et Moncel, jusqu'à la
frontière de l'arrondissement de Strasbourg au sud de Garde. La démarcation
coïncide ensuite avec la frontière de cet arrondissement jusqu'à la commune de
Tanconville dont elle a atteint la frontière au nord ; de là elle suit la
crête des montagnes entre les sources de la Sarre blanche et de la Vezouse jusqu'à la frontière du canton de Schirmeck,
longe la frontière occidentale de ce canton, embrasse les communes de Saales,
Bourg-Bruche, Colroy, la Roche, Plaine, Ranrupt,
Saulxures et Saint-Blaise-la-Roche du canton de Saales, et coïncide avec la
frontière occidentale des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin jusqu'au
canton de Belfort dont elle quitte la frontière méridionale non loin de Vourvenans pour traverser le canton de Delle, aux limites
méridionales des communes de Bourgone et Froide
Fontaine, et atteindre la frontière suisse, en longeant les frontières
orientales des communes de Jonchéry et Delle. La
frontière, telle qu'elle vient d'être d'écrite, se trouve marquée en vert sur
deux exemplaires conformes de la carte du territoire formant le gouvernement
général d'Alsace, publiée à Berlin en septembre 1870 par la division
géographique et statistique de l'état-major général, et dont un exemplaire
sera joint à chacune des deux expéditions du présent traité. Toutefois,
le traité indiqué a subi les modifications suivantes de l'œuvre dos deux
parties contractantes : dans l'ancien département de la Moselle, les villages
de Marie-aux-Chênes, près de Saint-Privat-la-Montagne et de Vionville, à
l'ouest de Rozonville, seront cédés à l'Allemagne.
Par contre, la ville et les fortifications de Belfort resteront à la France
avec un rayon qui sera déterminé ultérieurement. Art. 2.
— La France payera à S. M. l'empereur d'Allemagne la somme de cinq milliards
de francs. Le
payement d'au moins un milliard de francs aura lieu dans le courant de
l'année 1871, et celui de tout le reste de la dette dans un espace de trois
années à partir de la ratification du présent article. Art. 3.
— L'évacuation des territoires français occupés par les troupes allemandes
commencera après la ratification du présent traité par l'Assemblée nationale
siégeant à Bordeaux. Immédiatement
après cette ratification, les troupes allemandes quitteront l'intérieur de la
ville de Paris ainsi que les forts situés à la rive gauche de la Seine ; et
dans le plus bref délai possible, fixé par une entente entre les autorités militaires
des deux pays, elles évacueront entièrement les départements du Calvados, de
l'Orne, de la Sarthe, d'Eure-et-Loir, du Loiret, de Loir-et-Cher,
d'Indre-et-Loire, de l'Yonne, et, de plus, les départements de la
Seine-Inférieure, de l'Eure, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, de l'Aube
et de la Côte-d'Or, jusqu'à la rive gauche de la Seine. Les
troupes françaises se retireront en même temps derrière la Loire, qu'elles ne
pourront dépasser avant la signature du traité de paix définitif. Sont
exceptées de cette disposition la garnison de Paris, dont le nombre ne pourra
dépasser quarante mille hommes, et les garnisons indispensables à la sûreté
des places fortes. L'évacuation
des départements situés entre la rive droite de la Seine et les frontières de
l'est, par les troupes allemandes, s'opérera graduellement après la
ratification du traité définitif et le payement du premier demi-milliard de
la contribution stipulée par l'article 2, en commençant par les départements
les plus rapprochés de Paris, et se continuera au fur et à mesure que les
versements de la contribution seront effectués ; après le premier versement
d'un demi-milliard, cette évacuation aura lieu dans les départements suivants
: Somme, Oise, et les parties des départements de la Seine-Inférieure,
Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, situées sur la rive droite de la Seine, ainsi
que la partie du département de la Seine et les forts situés sur la rive
droite. Après
le payement de 2 milliards, l'occupation allemande ne comprendra plus que les
départements de la Marne, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Meuse, des
Vosges, de la Meurthe, ainsi que la forteresse de Belfort avec son
territoire, qui serviront de gages pour les 3 milliards restants, et où le
nombre des troupes allemandes ne dépassera pas 50.000 hommes. Sa
Majesté l'empereur sera disposé à substituer à la garantie territoriale,
consistant en l'occupation partielle du territoire français, une garantie
financière, si elle est offerte par le gouvernement français dans dos
conditions reconnues suffisantes par Sa Majesté l'empereur et roi pour les intérêts
de l'Allemagne. Les 3 milliards dont l'acquittement, aura été différé
porteront intérêt à 5 p. 100, à partir de la ratification de la présente
convention. Art. 4.
— Les troupes allemandes s'abstiendront de faire des réquisitions, soit en
argent, soit en nature, dans les départements occupés. Par contre,
l'alimentation des troupes allemandes qui restent en France aura lieu aux
frais du gouvernement français dans la mesure convenue avec l'intendance
militaire allemande. Art. 5.
— Les habitants des territoires cédés par la France, en tout ce qui concerne
leur commerce et leurs droits civils, seront réglés aussi favorablement que
possible lorsque seront arrêtées les conditions de la paix définitive. Il
sera fixé, à cet effet, un espace de temps pendant lequel ils jouiront de
facilités particulières pour la circulation de leurs produits. Le
gouvernement allemand n'opposera aucun obstacle à la libre émigration des
habitants des territoires cédés, et ne pourra prendre contre eux aucune
mesure atteignant leurs personnes ou leurs propriétés. Art. 6.
— Les prisonniers de guerre, qui n'auront pas déjà été mis en liberté par
voie d'échange, seront rendus immédiatement après la ratification des
présents préliminaires. Afin d'accélérer le transport des prisonniers français,
le gouvernement français mettra à la disposition des autorités allemandes, à
l'intérieur du territoire allemand, une partie du matériel roulant de ses
chemins de fer dans une mesure qui sera déterminée par des arrangements
spéciaux et aux prix payés en France par le gouvernement français pour les
transports militaires. Art. 7.
— L'ouverture des négociations, pour le traité de paix définitif à conclure
sur la base des présents préliminaires, aura lieu à Bruxelles, immédiatement
après la ratification de ces derniers par l'Assemblée nationale et par Sa
Majesté l'empereur d'Allemagne. Art. 8.
— Après la conclusion et la ratification du traité de paix définitif,
l'administration des départements devant encore rester occupés par les
troupes allemandes sera remise aux autorités françaises ; mais ces dernières
seront tenues de se conformer aux ordres que le commandant des troupes
allemandes croirait devoir donner dans l'intérêt de la sûreté, de l'entretien
et de la distribution des troupes. Dans
les départements occupés, la perception des impôts, après la ratification du
présent traité, s'opérera pour le compte du gouvernement français et par le
moyen de ses employés. Art. 9.
— Il est bien entendu que les présentes ne peuvent donner à l'autorité
militaire allemande aucun droit sur les parties du territoire qu'elle
n'occupe point actuellement. Art.
10. Les présentes seront immédiatement soumises à la ratification de
l'Assemblée nationale française siégeant à Bordeaux et de Sa Majesté
l'empereur d'Allemagne. En foi
de quoi les soussignés ont revêtu le présent traité préliminaire de leurs
signatures et de leurs sceaux. V. BISMARCK. — A. THIERS & JULES FAVRE. Fait
à Versailles, le 26 février 1871. Les
royaumes de Bavière et de Wurtemberg et le grand-duché de Bade ayant pris
part à la guerre actuelle comme alliés de la Prusse et faisant partie de
l'empire germanique, les soussignés adhèrent à la présente convention au nom
de leurs souverains respectifs. Comte DE BRAY-STEINBURG, baron DE WAECHTER, MITENACH, JOLLY. Versailles,
26 février 1871. |
[1]
Voir la proclamation de M. Gambetta aux pièces justificatives du présent
chapitre.
M. Laurier avait adressé aux préfets une circulaire où
on lisait les instructions suivantes :
Intérieur à
préfets et sous-préfets.
« ... La politique soutenue et pratiquée par le
ministre de l'intérieur et de la guerre est toujours la même.
« Guerre à outrance ! résistance jusqu'à complet
épuisement !
« Employez donc toute votre énergie à maintenir le
moral des populations,
« Le temps de l'armistice va être mis à profit pour renforcer
nos trois armées en hommes, en munitions, en vivres.
« ... Ce qu'il faut à la France, c'est une Assemblée
qui veuille la guerre et soit décidée à tout pour la faire.
« Le membre du gouvernement qui est attendu arrivera,
sans doute, demain matin.
« Le ministre s'est fixé un délai qui expire demain à
trois heures.
« Vous recevrez demain une proclamation aux citoyens,
avec l'ensemble des décrets et des mesures qui, dans sa pensée, doivent parer aux
nécessités de la situation actuelle.
« Donc, patience ! courage ! fermeté ! union !
discipline !
« Vive la République !
«
Signé : C. LAURIER.
»
[2]
Voici à cet égard des déclarations catégoriques :
La Gazette de France du 1er février 1871
s'exprimait ainsi : « Personne n'est prêt ; personne ne sera prêt… Des
élections accomplies sans entente, sans discussion préalables, c'est-à-dire à
l'aveuglette, manqueront de sincérité ; l'Assemblée sera dépourvue de toute
autorité. Il est évident pour qui veut raisonner, pour qui examine loyalement
la situation de plus de trente de nos départements, où les électeurs ne
pourront que très-difficilement exercer leur droit de vote, sans presque aucune
garantie de liberté, pour qui se rend compte de la façon hâtive, précipitée,
dont les élections auront lieu partout ailleurs, que les députés élus pourront
tout au plus recevoir le mandat de traiter avec la Prusse. Si la future
Assemblée devait recevoir les pouvoirs constituants, le délai qui nous est
accordé ne serait évidemment pas suffisant... »
Le lendemain, 2 février, la Gazette de France
revenait sur la même question en ces termes :
« C'est le couteau sur la gorge que nous allons voter.
L'Assemblée que le pays va nommer ne peut et ne doit être autre chose que le
syndicat de notre faillite ; elle ne peut être autre chose. Ce serait une
singulière prétention de vouloir que, sous le coup de nos défaites et en
présence de l'ennemi occupant plus d'un tiers de notre territoire, elle eût la
mission de bâcler une constitution. Au nom du bon sens, au nom du plus ardent
patriotisme, nous protestons énergiquement contre une telle prétention. »
Le Français disait à son tour, le 10 février :
« Des maintenant, il est constant qu'on ne saurait
donner l'espèce de comédie électorale, grotesque et lugubre, à laquelle la
France vient d'assister, pour une manifestation sérieuse du suffrage universel.
»
L'Univers, du 30 janvier :
« Pour nous, après avoir donné les raisons qui font une
obligation à la future Assemblée de ne se prononcer que sur la question pour
laquelle elle est spécialement réunie, nous devons constater que la plupart des
journaux partagent notre opinion. Non, la Chambre élue dans les douloureuses
circonstances où nous sommes, ne peut devenir constituante. »
La Patrie, du 30 janvier 1871 :
« Le délai pour les élections est insuffisant. Comment,
d'ici au 5 février, les candidats éloignés de leurs départements pourront-ils
circuler sur tant de lignes rompues, arriver et préparer leurs élections ? Tant
de choses à faire en cinq jours c'est impossible. »
La Liberté, du 4 février :
« Le mandat de nos futurs représentants est limité à la
paix ou à la guerre : il est impératif en ce sens que la guerre est impossible
; il est restreint en ce sens qu'on ne peut en si peu de jours choisir des constituants.
»
Le Soir, enfin disait le 28 février :
« Nous ne voulons plus ni surprises, ni coups d'État,
ni arrière-pensées, ni trompe-l'œil d'aucune sorte... Ce n'est pas une Chambre
nommée à la hâte, dans un pays envahi, par des électeurs tenant à la main le
fusil, qui peut avoir qualité pour édifier un gouvernement stable... »
[3]
M. Ledru-Rollin adressait, quelques jours après, sa démission en ces termes :
« Paris le 18 février 1871.
« Sous la main de l'ennemi, au milieu des nécessités
désastreuses, inéluctables ou nous a jetés une série de perfidies et de
trahisons, le vote des dernières élections ne pouvait et n'a pu présenter les
conditions d'indépendance et de spontanéité qui sont l'essence même du suffrage
universel.
« Puisqu'il m'a été donné de présider à son
organisation première, il m'était imposé de faire, en son nom, cette réserve
qui, isolée aujourd'hui, sera, contre ce qui va s'accomplir de déchirant et de
funeste, la protestation unanime de l'avenir.
« Cette réserve, c'est pour la mieux caractériser, pour
la rendre plus saisissable et plus tangible, c'est pour dégager plus
irrémissiblement la grande et tutélaire institution du suffrage universel, que
je n'ai pas hésité à immoler une fois de plus l'homme au principe.
« Il ne me reste donc, après avoir préalablement refusé
toute candidature, qu'à donner ma démission de député, pour les départements
dos Bouches-du-Rhône, de la Seine et du Var ;
« Ce que je fais ici.
« J'ai l'honneur, etc.
«
Signé : LEDRU-ROLIN »
[4]
Voir aux pièces justificatives le texte des préliminaires de paix.
[5]
M. Keller, député de l'Alsace, avait, dans sa séance du 17 février, apporté à
la tribune la déclaration suivante aux applaudissements de toute l'Assemblée :
DÉCLARATION.
I. — L'Alsace et la Lorraine ne veulent pas être aliénées.
Associées depuis plus de deux siècles à la France, dans
la bonne comme dans la mauvaise fortune, ces deux provinces, sans cesse
exposées aux coups de l'ennemi, se sont constamment sacrifices pour la grandeur
nationale ; elles ont scellé de leur sans l'indissoluble pacte qui les rattache
à l'unité française. Mises aujourd'hui en question par les prétentions
étrangères, elles affirment, à travers, les obstacles et tous les dangers, sous
le joug même de l'envahisseur, leur inébranlable fidélité.
Tous unanimes, les citoyens demeurés dans leurs foyers,
comme les soldats accourus sous les drapeaux, les uns en votant, les autres en
combattant, signifient à l'Allemagne et au monde l'immuable volonté de l'Alsace
et de la Lorraine de rester françaises.
II. — La France ne peut consentir ni signer la cession
de la Lorraine et de l'Alsace. Elle ne peut pas, sans mettre en péril la
continuité de son existence nationale, porter elle-même un coup mortel à sa
propre unité en abandonnant ceux qui ont conquis, par deux cents ans de
dévouement patriotique, le droit d'être défendus par le pays tout entier contre
les entreprises de la force victorieuse.
Une assemblée, même issue du suffrage universel, ne
pourrait invoquer sa souveraineté pour couvrir ou ratifier des exigences
destructives de l'intégrité nationale. (Approbation à gauche.) Elle
s'arrogerait un droit qui n'appartient même pas au peuple réuni dans ses
comices. (Même mouvement.)
Un pareil excès de pouvoir, qui aurait pour effet de
mutiler la mère commune, dénoncerait aux justes sévérités de l'histoire ceux
qui s'en rendraient coupables. La France peut subir les coups de la force, elle
ne peut sanctionner ses arrêts. (Applaudissements à gauche.)
III. — L'Europe ne peut permettre ni ratifier l'abandon
de l'Alsace et de la Lorraine.
Gardiennes des règles de la justice et du droit des
gens les nations civilisées ne sauraient rester plus longtemps insensibles au
sort de leurs voisines, sous peine d'être, à leur tour, victimes des attentats
qu'elles auraient tolérés. L'Europe moderne ne peut laisser saisir un peuple
comme un vil troupeau ; elle ne peut lester sourde aux protestations répétées
des populations menacées. ; elle doit à sa propre conservation d'interdire de
pareils abus de la force. Elle sait d'ailleurs que l'unité de la France est,
aujourd'hui comme dans le passé, une garantie de l'ordre général du monde, une
barrière contre l'esprit de Conquête et d'invasion.
La paix faite au prix d'une cession de territoire ne
serait qu'une trêve ruineuse et non une paix définitive. Elle serait pour tous
une cuise d'agitation intestine, une provocation légitime et permanente à la
guerre... Et qua il a nous, Alsaciens et Lorrains, nous serions prêts à
recommencer la guerre aujourd'hui, demain, à toute heure, à tout instant (Très-bien,
sur plusieurs bancs.)
En résumé, l'Alsace et la Lorraine protestent hautement
contre toute cession. La France ne peut la consentir l'Europe ne peut la
sanctionner
En foi de quoi, nous prenons nos concitoyens de Francs
les gouvernements et les peuples du monde entier à témoin que nous le tenons
d'avance pour nuls et non avenus tous actes et traités, vote ou plébiscite qui
consentiraient abandon en faveur de l'étranger de tout ou partie de nos
provinces de l'Alsace et de la Lorraine. (Bravo à gauche.)
Nous proclamons, par les présentes, à jamais inviolable
le droit des Alsaciens et des Lorrains de rester membres de la nation
française, et nous jurons, tant pour nous que pour nos commettants, nos enfants
et leurs descendants, de le revendiquer éternelle ment et par toutes les voies,
envers et contre tous les usurpateurs. (Bravo ! bravo ! Applaudissements
redoubles à gauche.)
[6]
Voici les noms des 107 :
Adam (Edmond), Albrecht, Amat, Ancelon, André
(docteur), Andrieu, Arago (Emmanuel), Arnaud (de l'Ariége), Bamberger,
Barbaroux (docteur), Bardon, Berlet (Meurthe), Bernard (Martin), Billot
(general), Billy, Blanc (Louis), Bœll, Bœrscli, Brice, Brisson. Brun (Ch 1,
Brunet, Carion, Carnot fils, Chaix Chanzy (général), Chauffour, Claude
(Meurthe), Claude (Vosges), Clemenceau, Coras, Cournet (Seine), Delescluze,
Deschange, Dorian, Dornès (Léon), Dubois, Duclerc, Ducoux, Durieu, Esquiros,
Farcy (lieutenant de vaisseau), Floquet (Charles), Gambetta, Gambon, Gent,
George, Girerd (Cyprien), Grandpierre, Gieppo, Grosjean, Guiter, Hartmann,
Humbert (Haute-Garonne), Humbert (Louis Amédée), Jaubert (comte), Joignaux,
Jouvenel (baron de), Kable, Keller, Laflize, Lamy, Langlois, Laserve, Laurier,
Lefranc (Pierre), Lepère, Lockroy, Loysel (général), Lucet,Mahy (de), Malens,
Malon, Marc-Dufraisse, Mazure (général), Melsheim, Millière, Monteil, Moreau,
Noblot, Osteermann, Peyrat, Pyat (Félix), Quinet (Edgar), Ranc, Rathier,
Razoua, Reuker, Rochefort, Saglio, Saisy (Hervé de), Scheurer-Kestner.
Schneegans, Schœlcher, Taberlet, Tachard, Teusch, Tirard, Titot, Tolain,
Tridon, Varroy, Victor Hugo, Villain, Viox.
[7]
Voici cette note :
« Le gouvernement fait appel à votre patriotisme et à
votre sagesse ; vous avez dans vos mains le sort de Paris et de la France
elle-même. Après une résistance héroïque, la faim vous a contraints de livrer
vos forts à l'ennemi victorieux
« Les armées qui pouvaient venir à votre secours ont
été rejetées derrière la Loire. Ces faits, incontestables, ont obligé le
gouvernement et l'Assemblée nationale à ouvrir des négociations de paix.
Pendant six jours, vos négociateurs ont disputé le terrain pied a pied. Ils ont
fait tout ce qui était humainement possible pour obtenir les conditions les
moins dommageables.
« Ils ont signé des préliminaires de paix qui vont être
soumis à l'Assemblée nationale. Pendant le temps nécessaire à l'examen de ces
préliminaires, les hostilités eussent recommencé et le sang aurait inutilement
coulé, sans une prolongation d'armistice
« Cette prolongation n'a pu être obtenue qu'à la condition
d'une occupation partielle et très-momentanée d'un quartier de Paris. Cette
occupation sera limitée au quartier des Champs-Elysées. Il ne pourra entrer
dans Paris que trente mille hommes, et ils devront se retirer des, que les
préliminaires de la paix auront été ratifiés, ce qui ne peut exiger qu'un petit
nombre de jours.
« Si cette convention n'était pas respectée,
l'armistice serait rompu.
« L'ennemi, déjà maître de nos forts, occuperait de
vive force la cité tout entière. Vos propriétés, vos chefs-d'œuvre, vos
monuments, garantis aujourd'hui par la convention, cesseraient de l'être. Ce
malheur atteindrait toute la France. Les affreux ravages de la guerre, qui
n'ont pas encore dépassé la Loire, s'étendraient jusqu'aux Pyrénées.
« Il est donc absolument vrai de dire qu'il s'agit du
salut de Paris et de la France N'imitez pas la faute de ceux qui n'ont pas
voulu nous croire lorsque, il y a huit mois, nous les adjurions de ne pas
entreprendre une guerre qui devait être funeste.
« L'armée française, qui a défendu Paris avec tant de
courage, occupera la rive gauche de la Seine pour assurer la loyale exécution
du nouvel armistice.
« C'est à la garde nationale à s'unir à elle pour
maintenir l'ordre dans le reste de la cité.
« Que tous les bons citoyens qui se sont honorés à sa
tête et se sont montrés si braves devant l'ennemi reprennent leur ascendant, et
cette cruelle situation d'aujourd'hui se terminera par la paix et le retour de
la prospérité publique.
«
THIERS, chef du
pouvoir exécutif de la République française ; Jules FAVRE, ministre des affaires étrangères
; Ernest PICARD,
ministre de l'intérieur.
« Paris le 27 février 1871. »