Le gouvernement commet
une faute en s'enfermant dans Paris. — Envoi d'une délégation à Tours. — MM.
Crémieux, Fourichon et Glais-Bizoin. — Fièvre de la France à leur arrivée. — Les
partis s'agitent et demandent l'élection d'une Assemblée. — Symptômes de sécession
à l'Ouest et dans le Midi. — Intrigues nouées autour du gouvernement :
bonapartistes, orléanistes, légitimistes. — Conflits entre les autorités
civiles et militaires ; menaces de guerre civile à Lyon. — Le général Mazure arrêté
et emprisonné. — Démission de l'amiral Fourichon. — M. Crémieux, ministre de
la guerre. Lassitude de la délégation. — Arrivée inopinée de M. Gambetta. — Etat
militaire de la France au 10 octobre. — Orléans perdu par le général
Lamotterouge. — Le général d'Aurelles de Paladines nommé commandant en chef
de l'armée en Sologne. — Le général Cambriels évacue les Vosges et se retire
à Besançon. — Corps en formation dans l'Ouest. — Proclamation de M. Gambetta aux
départements. — Ajournement indéfini des élections. — La France debout. —
Prodigieuse activité pour la réorganisation administrative et militaire. —
Bureau des cartes ; bureau des reconnaissances ; création du corps auxiliaire
du génie civil ; réorganisation de l'intendance et des ambulances. — Réorganisation
militaire : formation des cadres ; création de l'armée auxiliaire ; comités
départementaux de défense ; création de l'artillerie départementale ; camps
régionaux ; commissions d'équipement et d'armement. Opérations militaires :
le général d'Aurelles de Paladines remplace le général de Lamotterouge ; le
camp de Salbris ; effectif du l3e corps ; formation du 10e corps à Blois. —
Dépêche de Jules Favre annonçant une sortie du général Trochu, pour le 6 novembre.
— Conseil de guerre a Salbris. Marche sur Orléans. — Bataille et victoire de
Coulmiers. — Orléans évacué par les Bavarois. — Disposition militaire pour
couvrir la ville. — Immense sensation produite par cet évènement.
Quand
la République avait été proclamée, le 4 septembre, toutes les pensées
s'étaient concentrées sur Paris. Il sembla qu'on oubliait la province et que
Paris seul fût appelé à soutenir le choc des armées allemandes et à sauver la
France. Le gouvernement élu se composait exclusivement de députés parisiens.
Obéissant à l'impulsion de son origine, il résolut de s'enfermer dans la
grande ville, comme si le sort de la France eût été indissolublement lié à
celui de sa capitale. Ce fut une grande erreur et une source abondante de difficultés
ultérieures. Paris assiégé, réduit au rôle de place forte, et la plus importante
des places fortes françaises, devenait une citadelle et devait passer sous le
commandement d'un gouverneur militaire. C'était une imprudence de lier la fortune
du pays à la sienne et de retenir dans ses murs le ministre de la guerre,
dont l'activité était si puissamment sollicitée par l'état de dénuement
militaire de la province, et le ministre des affaires étrangères, qui devait
se tenir sans cesse en rapport avec les puissances voisines. L'envoi d'une
délégation gouvernementale à Tours ne remédia qu'imparfaitement à cette faute.
Cette délégation fut composée de MM. Crémieux, ministre de la justice, qui
réunit provisoirement tous les ministères entre ses mains, assisté d'un personnel
de choix détaché de chaque ministère et envoyé de Paris pour reconstituer
l'administration. Peu de jours après, l'amiral Fourichon, commandant de
l'escadre, était rappelé de la mer du Nord par le général Trochu et venait rejoindre
M. Crémieux, comme ministre de la marine et de la guerre. M. Glais-Bizoin,
ancien député de l'opposition, compléta la délégation ; M. Glais-Bizoin ne
reçut aucun portefeuille ; il assistait de ses conseils ses deux collègues,
chargés de toutes les attributions ministérielles, et s'occupait avec toute
l'activité dont il était capable de l'organisation de la défense. Les membres
du gouvernement provincial s'étaient installés à Tours peu de jours avant
l'investissement de Paris. La
fièvre dévorait alors la France, accablée par des catastrophes imprévues. L'armée
allemande cernait Metz, assiégeait Strasbourg, enveloppait toutes les places
fortes disséminées sur le territoire compris entre le Rhin et la Seine, et
s'approchait de Paris, favorisée par un automne splendide. L'invasion
s'étendait de jour en jour et l'on pouvait prévoir le moment où, après avoir
investi la capitale, elle rayonnerait dans la direction de Chartres,
d'Orléans et de Châteaudun. Les mobiles de la province, au nombre de cent
mille, venaient de s'enfermer dans Paris, toujours en vertu de cette erreur
que Paris allait devenir le centre presque unique de la résistance. La
province se trouvait donc dépourvue de soldats, surtout d'officiers et de
matériel de guerre ; la délégation de Tours voyait se dresser devant elle une
tâche immense, bien propre par sa grandeur et par ses difficultés à
épouvanter les esprits les plus résolus. Pour comble de malheur, des
symptômes d'agitation naissaient dans l'Ouest et dans le Midi ; la ligue de
l'Ouest travaillait à s'affranchir du gouvernement central pour organiser des
forces armées locales, manifestant l'intention de localiser la résistance.
Quinze départements du Midi, obéissant au même esprit de séparation,
constituaient, de leur côté, une ligue spéciale. Coups funestes portés au
pouvoir central et à la défense du pays, si une main énergique n'arrêtait à
temps le mouvement sécessionniste. A côté de ces esprits égarés par un
patriotisme imprudent, bouillonnaient les passions politiques des partis : du
parti renversé par la révolution du 4 septembre et cherchant à se reconnaître
pour ressaisir le pouvoir échappé de ses mains coupables et débiles ; des
partis monarchiques réclamant à grands cris l'élection d'une Assemblée
nationale, dans l'espoir de prendre la direction des affaires et d'avoir
raison du gouvernement républicain, improvisé dans la détresse de la patrie.
La délégation de Tours avait apporté de Paris un décret convoquant pour le 16
octobre les électeurs dans leurs comices, décret dont l'investissement de
Paris, l'insuccès de l'entrevue de Ferrières, l'invasion toujours plus
menaçante allaient rendre l'exécution impossible, au grand déplaisir de la
délégation. Les membres du gouvernement, dès leur arrivée à Tours, avaient vu
accourir auprès d'eux tous les représentants des partis monarchiques ; ces
hommes, fondant plus d'espoir sur la délégation isolée en province que sur le
gouvernement enfermé dans Paris, avaient, sans perdre de temps, noué leurs
intrigues : les bonapartistes s'efforçant, au moyen des conseils généraux
encore debout, de reconstituer l'Empire brisé et excitant l'opinion par des
manifestes ; les orléanistes appelant leurs princes au milieu des armées en formation
; les légitimistes invitant le comte de Chambord à revendiquer ses droits à
la couronne de France. Ce n'étaient pas, d'ailleurs, les seules difficultés
suscitées par la politique aux membres de la délégation. Les républicains
ardents, spectateurs des intrigues auxquelles participaient les
fonctionnaires du régime déchu, pressaient le gouvernement de se séparer de
ces dangereux serviteurs. Le ministre de la justice révoqua les magistrats
qui avaient fait partie des commissions mixtes, lors du coup d'État de
décembre ; il frappa de la même peine une foule de juges de paix dont la
conduite pendant le plébiscite avait justement soulevé la conscience
publique. La délégation, fatiguée, presque effrayée des orages qui grondaient
autour d'elle, attendait avec impatience l'ouverture du scrutin pour
l'élection d'une Assemblée nationale. Avant
de déposer le lourd fardeau qui pesait sur leurs épaules, les délégués
songeaient à l'œuvre essentielle : à la défense du sol de la patrie envahi
par l'étranger. La France, malgré ses rapides et prodigieux revers, possédait
encore d'immenses ressources, et elle était animée d'un magnifique
patriotisme qui la disposait a tous les sacrifices en hommes et en argent.
Les hommes appelés sous les drapeaux par un décret de la délégation accouraient
de toutes parts, mais il fallait les habiller, les équiper, les instruire,
former des cadres, et les officiers manquaient ; l'artillerie, les fusils,
les munitions, tout était à créer, et cela en présence de l'ennemi. Si l'on
trouvait de vieux fusils à Avignon, dans le palais des papes, ou en Algérie,
il fallait commencer par les transformer ; si les ports et les arsenaux
pouvaient fournir des bouches à feu, les pièces manquaient d'attelages, de
harnais et surtout de servants. Ces obstacles ne sont pas franchis aussi vite
qu'on le voudrait, surtout lorsque les représentants de l'autorité militaire
nourrissent la conviction que tous ces efforts sont une dépense superflue.
Or, tel était à cette époque le sentiment dominant chez la plupart des
généraux : depuis l'effondrement de la puissance militaire de la France à
Sedan, ils ne croyaient plus à un retour de fortune ; toute l'activité qu'on
pouvait déployer pour créer de nouvelles armées leur paraissait, noblement,
sans doute, mais follement dépensée. Ce découragement, que la population
civile ne partageait point, fut une source féconde de conflits entre
l'autorité civile et l'autorité militaire. C'est ainsi qu'à Lyon surgit entre
le préfet, M. Challemel-Lacourt, et le général Mazure une querelle qui aurait
peut-être déchaîné la guerre civile, si la délégation de Tours n'avait remis
tous les pouvoirs entre les mains du préfet. Le conflit se termina par
l'arrestation et l'emprisonnement du général qui, d'ailleurs, bientôt remis
en liberté, se comporta devant l'ennemi comme un brave soldat. Cet incident
amena la démission de l'amiral Fourichon. M. Crémieux remplit à sa place les
fonctions de ministre de la guerre depuis le 3 octobre jusqu'à l'arrivée de
M. Gambetta. La
délégation de Tours s'était mise à l'œuvre vers le milieu de septembre. Dans
les premiers jours d'octobre, elle avait réuni sous le commandement du
général de Lamotterouge une armée de trente-cinq mille hommes environ,
premier noyau de l'armée de la Loire. L'ennemi ayant menace Orléans, le 8
octobre, celle armée encore imparfaitement instruite fut appelée trop précipitamment
de Bourges, où elle se formait : elle rencontra les Prussiens vers Arthenay,
fut battue et obligée d'abandonner Orléans, après un combat acharné sous les
murs de cette ville. Le général Lamotterouge fut relevé de son commandement
et remplacé par le général d'Aurelles de Paladines, qui ramena ses troupes au
fond de la Sologne. Dans l'Est, le général Cambriels, à la tête de vingt-cinq
mille hommes, évacuait les Vosges et se retirait à Besançon ; il y avait,
dans l'Ouest, des corps en formation comptant trente-cinq mille hommes, sans
cavalerie ni artillerie, et s'appuyant par leur droite à l'armée de la Loire
; dans le Nord, quarante mille hommes environ, retirés sous tes places
fortes, se préparaient à la lutte sous le commandement du général Bourbaki.
Si, à ce total, on ajoute quelques corps francs, ceux notamment de Lispowski
et de Cathelineau, on aura sous les yeux le tableau complet des forces de la
France au moment où M. Gambetta, parti de Paris en ballon, arriva inopinément
à Tours. On aura rendu pleine et entière justice à la délégation, quand on
aura rappelé qu'elle pressait les opérations de la commission d'armement
présidée par M. Lecesne, commission chargée d'acheter des munitions et des
armes sur toutes les places du monde. Les marchés conclus vers le 10 octobre
s'élevaient à seize millions. La
France bouillonnait, s'agitait, mais ne sentait pas l'impulsion souveraine
qui devait en quelque sorte l'élever au-dessus d'elle-même, ranimer sa foi
ébranlée alors que l'espérance lui semblait interdite, la faire croire à son
génie quand son génie paraissait s'être voilé pour toujours. Le patriotisme
et l'activité des membres de la délégation n'étaient point contestables ;
mais ils n'avaient ni l'enthousiasme, ni la jeunesse, ni le pouvoir qu'il
fallait pour précipiter tous les esprits vers un but unique : la guerre sans
merci contre l'étranger. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les passions
politiques s'agitaient dans leur entourage et ils allaient peut-être s'abandonner
à des suggestions perfides, lorsque M. Gambetta parut subitement. Cet
événement inattendu, romanesque, fit sur la France une impression profonde. M.
Gambetta apportait aux départements un ardent appel aux armes ; sa voix
résonne du Rhin aux Pyrénées, de l'Océan aux Alpes comme celle de la patrie
frémissante. Un décret ajourne les élections jusqu'après la cessation de la
guerre. Comment procéder à la nomination d'une Assemblée, quand Paris était
séparé du reste de la France, quand plus de vingt-cinq départements étaient
envahis ? Froidement accueilli néanmoins par les membres de la délégation,
amèrement discuté et condamné par la presse monarchique, le décret
d'ajournement fut approuvé par l'immense majorité du pays et il reçut sa
pleine exécution. Toute
diversion à l'œuvre de la défense ne pouvait être que funeste, car il fallait
dans le plus bref délai réorganiser le pays tant au point de vue administratif
qu'au point de vue militaire. A la fois ministre de la guerre et de
l'intérieur, M. Gambetta se mit immédiatement à l'œuvre, avec l'aide d'un
ingénieur distingué, M. de Freycinet, qui prit le titre de délégué à la
guerre. La France ne marchanda point, d'ailleurs, son concours et ses
encouragements à l'homme qui ne désespérait point d'elle ; les partis
eux-mêmes oublièrent un moment leurs rancunes pour se dévouer à la défense du
territoire : les hommes de bonne volonté, ingénieurs, médecins, administrateurs
des grandes compagnies, accouraient à Tours et offraient leurs services ; la
France entière était debout et s'associait sans murmure au gouvernement qui
voulait la sauver. L'administration
brusquement implantée de Paris à Tours se trouvait dans un état
très-défectueux ; on n'avait emmené en province qu'un personnel numériquement
insuffisant, par suite de la croyance où l'on était que la province jouerait
dans la guerre un rôle secondaire : les services les plus divers avaient dû
être concentrés dans les mains d'un seul homme, et la prompte expédition des
affaires souffrait de cette insuffisance. On n'avait au siège de la
délégation ni les documents administratifs, ni les dossiers de l'armée
faisant connaître les antécédents des officiers auxquels on allait donner des
commandements, ni les caries indispensables pour la combinaison et
l'exécution des plans de campagne. Les armées en formation n'étaient pas
mieux partagées sous ce rapport que l'administration centrale. Un habile
officier de marine put heureusement mettre un terme à l'anxiété causée par le
manque de cartes, en reproduisant par la photographie une carte de l'état-major
qu'on avait eu la bonne fortune de se procurer. Un bureau des cartes,
rapidement installé, put fournir environ quinze mille caries dans un espace
de quatre mois. A côté de lui fonctionnait un bureau d'études topographique
ajoutant aux cartes les roules et chemins de fer tracés depuis le relevé de
l'état-major. Le
gouvernement impérial, aussi imprévoyant que présomptueux, n'avait jamais
pratiqué l'espionnage, et cette incurie avait coûté cher à la France. Il
importait, au moment où l'ennemi se répandait sur le territoire, de connaître
exactement le chiffre de ses forces, les lieux qu'il occupait et d'avoir au
milieu de ses armées des émissaires sûrs avec lesquels on se tiendrait en
communication. On créa dans ce but le service des reconnaissances, dont les
agents parcouraient les pays occupés et recueillaient des informations
précises auprès des maires, des employés du télégraphe, des cantonniers. Avec
ces renseignements, le bureau des reconnaissances rédigeait des rapports qui
étaient adressés aux chefs de corps. A la
création du bureau des cartes et du bureau des reconnaissances, vient se
joindre l'installation d'un corps auxiliaire du génie, appelé corps du génie
civil, dont les membres, choisis parmi les ingénieurs, les agents voyers, les
conducteurs des ponts et chaussées, rendirent au pays des services signalés.
Gomme toutes les branches d'administration, le génie militaire ne possédait
en province qu'un personnel insuffisant. En outre, les traditions bureaucratiques
auxquelles il obéissait avaient paru présenter des inconvénients au point de
vue de la célérité des travaux à construire, des ouvrages à réparer, des
routes à tracer ou à défoncer ; la délégation pensa que l'adjonction à ce
corps d'ingénieurs civils et d'hommes actifs, compétents, serait très-utile à
la défense ; elle ne se trompait point : la création du corps auxiliaire du
génie civil est une de ses meilleures inspirations, dont l'avenir profitera
sûrement. L'intendance
et les ambulances sont soumises, à leur tour, à une réorganisation,
d'ailleurs indispensable, vu l'état de leur personnel et de leur matériel. On
sait tous les reproches très-mérités dont l'intendance avait été accablée à
l'ouverture de la campagne. D'immenses approvisionnements étaient maintes
fois tombés aux mains de l'ennemi par suite d'une retraite précipitée qui ne
laissait pas le temps nécessaire à l'évacuation des marchandises. Instruite
par l'expérience, l'intendance de Tours conçut l'idée ingénieuse de créer des
magasins mobiles consistant en wagons stationnés avec leurs
approvisionnements sur une voie ferrée, et pouvant, à la première alerte,
être ramenés en arrière. Grâce à ce système, les Prussiens n'opérèrent plus
les fructueuses captures du commencement de la guerre. Quant aux ambulances,
réduites en matériel et en personnel au service d'un corps d'armée, elles
purent promptement se réorganiser : les grandes villes fabriquèrent un
matériel en peu de temps ; chaque ambulance fut desservie par un
médecin-major de 1re classe, trois aides-majors et un pharmacien. Les
obstacles accumulés devant le gouvernement au point de vue militaire étaient
bien plus considérables qu'au point de vue administratif. Dans un grand pays
comme la France on trouve toujours des ingénieurs éclairés et des administrateurs
dont l'intelligence égale le zèle ; il est plus malaisé d'improviser des
officiers capables de reformer les cadres d'une grande armée, quand par
l'investissement de deux villes comme Metz et Paris et par une catastrophe comme
celle de Sedan, on s'est vu privé tout à coup de ce que la nation comptait de
plus expérimenté dans l'art de la guerre. On prit tous les officiers restant
dans les dépôts, on rappela ceux qui étaient en Afrique ; une foule
d'officiers en retraite demandèrent à reprendre du service ; les officiers de
marine sollicitèrent de l'emploi ; mais ces ressources ne pouvaient suffire à
l'instruction des recrues qui venaient sans cesse grossir les corps en
formation. Les chefs de corps distribuèrent des grades aux sous-officiers, aux
soldats les plus capables. Un décret du 13 octobre avait suspendu les lois
ordinaires de l'avancement pendant la durée de la guerre. Il fut spécifié que
ces avancements accordés sous le feu de la nécessité ne seraient valables
après la guerre que s'ils avaient été justifiés par quelque action d'éclat ou
par des services extraordinaires dûment constatés. La
création d'une armée auxiliaire à côté de l'armée régulière permit au
gouvernement de conférer des grades à toute personne en état de les exercer
avec intelligence. Les officiers ou chefs de corps de cette armée ne
prenaient d'engagement que pour la durée de la campagne. Cette utile création
permit à des hommes comme MM. Cathelineau et Lispowski, à des étrangers comme
Bossack et Garibaldi, à d'intrépides officiers de marine comme MM. Jaurès,
Jauréguiberry, Penhoat d'apporter un concours très-efficace à l'œuvre de la
défense. Pendant
que l'armée régulière et l'armée auxiliaire tenaient la campagne au-devant de
l'ennemi, et se portaient d'une région à l'autre, suivant les besoins de la
stratégie, les comités départementaux préparaient la défense locale, soit en
coupant les routes, soit en ramenant hors du cercle d'action de l'ennemi les
denrées et approvisionnements dont il aurait pu s'emparer, soit en élevant
des ouvrages sur les lieux où il devait faire passer ses colonnes. Ces
comités étaient présidés par l'autorité militaire et composés avec les hommes
du département qui, par leurs études spéciales, pouvaient le plus utilement
concourir à la défense de la région. Tout département était déclaré en état
de guerre aussitôt que les armées étrangères se trouvaient à cent kilomètres
de ses limites et le comité central entrait immédiatement en fonctions. Cette
innovation offrait entre autres avantages celui d'associer directement les
départements à la défense du pays ; à ce point de vue, elle fut heureusement
complétée par la création des batteries d'artillerie départementale qui
contribua puissamment à développer l'esprit de résistance. En vertu du décret
du 3 novembre, chaque département organisait, à ses frais, autant de batteries
qu'il comptait de fois 100.000 âmes. Les
armées qui allaient entrer en campagne se composaient de quelques milliers de
vieux soldats et de jeunes recrues mobiles levées depuis quelques semaines et
encore imparfaitement instruites. Des camps régionaux créés en vertu d'un décret
du 2 novembre préparaient des renforts prochains à ces premières troupes ; on
y dirigeait incessamment les mobilisés appelés sous les drapeaux, et, après
une instruction militaire forcément abrégée par les nécessités de la résistance,
les camps déversaient les troupes sur le champ de bataille. Onze camps furent
créés par le gouvernement de Tours et placés sous la direction d'un conseil
administratif ; il y en avait quatre dans la région de l'Ouest : Saint-Omer,
Cherbourg, La Rochelle, Conlie ; deux au Centre ; Nevers, Clermont-Ferrand ;
quatre dans la région Sud : Bordeaux, Toulouse, Montpellier, les Alpines, et
en remontant vers l'Est, le camp de Sathonay, aux portes de Lyon. Les
commissions d'habillement et d'équipement instituées dans chaque chef-lieu de
préfecture pourvurent avec toute la célérité possible aux immenses besoins
créés par ces grandes levées d'hommes. La commission d'armement présidée par
M. Lecesne achetait des fusils, des canons, des munitions sur tous les marchés
du monde et se voyait sans cesse aux prises avec les plus redoutables
difficultés. Nous n'en donnerons ici qu'un exemple : elle fut obligée de
faire venir de Paris par ballon les capsules pour les cartouches des fusils
chassepot, en attendant qu'une fulminaterie installée d'abord à Bourges, puis
transportée à Toulouse, fût en état de pourvoir à la fourniture des armées[1]. L'historien
qui raconte ces efforts gigantesques, et le lecteur qui en suit le récit ne
doivent pas perdre de vue que l'admirable mouvement qui soulève la France sur
elle-même s'accomplissait sous les yeux de l'étranger, qu'il fallait conduire
les hommes au feu du jour au lendemain, que l'une des fatalités de cette
guerre, liant le sort de la province à celui de Paris, obligeait ces armées
inexpérimentées à marcher sur la capitale, et à s'exposer, pour la sauver,
aux plus périlleuses aventures. Ajoutons que l'intermittence des
communications empêchait tout concert stratégique entre l'armée de Paris et
l'armée de la Loire, que ces deux armées étaient presque sûrement condamnées
à manœuvrer sans l'ensemble dont dépendait le succès, et qu'enfin la délégation
de Tours, dans la pensée que Paris serait réduit à la famine dans un délai
maximum de trois mois à partir de l'investissement, se voyait condamnée à
précipiter ses mouvements. Si l'on veut juger avec équité les événements qui
vont suivre, il importe d'avoir ces considérations présentes à l'esprit. Après
la perte d'Orléans par le général de Lamotterouge, on a vu le général d'Aurelles
de Paladines prendre le commandement de l'armée de la Loire (15e corps) et se retirer en Sologne.
L'ennemi poursuivit jusqu'à la Motte-Beuvron ces troupes démoralisées et l'on
eut un instant la très-vive inquiétude de voir ses colonnes avancer jusqu'à
Vierzon, d'où elles auraient pu menacer les arsenaux de Bourges et de Nevers
et se rabattre sur Tours, siège du gouvernement. Cette crainte cessa bientôt
; les Allemands remontaient vers Orléans. Le
général d'Aurelles de Paladines, qui entre en scène à ce moment, faisait
partie du cadre de réserve depuis le 15 janvier 1870 ; à la déclaration de
guerre, il avait repris du service et avait été appelé au commandement
supérieur régional de l'Ouest, dont le siège était au Mans. Nommé commandant
en chef de l'armée de la Loire par un décret de M.. Gambetta, en date du 11
octobre, il arrivait le 12 à la Ferté-Saint-Aubin, petit bourg situé au sud
d'Orléans sur la route de Vierzon. Les troupes du 15e corps se trouvaient dans
le plus triste état au point de vue disciplinaire : il les lit rétrograder
sur la route de Vierzon jusqu'à Salbris, village bâti sur des collines qui
dominent la rive gauche de la Sauldre et dont la situation se prêtait
facilement à l'établissement d'un camp. Dominant de ces hauteurs la route et
la voie terrée de Vierzon et Orléans, on couvrait Nevers, Bourges et Tours. Le
commandant en chef résolut de s'y fortifier et de refaire son armée : c'est
une tâche dont il s'acquitta en très-peu de temps avec le plus grand honneur.
La discipline très-relâchée se rétablit, grâce à la sollicitude du général
pour ses soldats qu'il visitait fréquemment et chez lesquels il s'efforçait
de réveiller les sentiments patriotiques par un noble et paternel langage ;
quelques exécutions sommaires ordonnées par la cour martiale ne contribuèrent
pas médiocrement à ramener le respect dû aux officiers et à faire disparaître
la triste habitude du maraudage. Les troupes s'instruisaient au maniement des
armes et aux manœuvres, elles apprenaient à se garder contre les surprises.
Au bout de peu de temps, l'armée de la Loire avait changé d'allure et la France
pouvait fonder sur elle de grandes espérances. Les chemins de fer amenaient
sans cesse de nouveaux renforts au général d'Aurelles ; le 15e corps compta
bientôt plus de 60.000 hommes munis d'une bonne artillerie. Pendant que deux
divisions du corps occupèrent Salbris, une troisième placée sous les ordres
du général Martin des Pallières gardait sur la droite la position d'Argent ;
une brigade de cavalerie commandée par le général Michel reliait Argent à
Salbris par Pierrefitte et poussait ses reconnaissances jusqu'à Gien,
surveillant la rive de la Loire. Après
avoir mis Nevers et Bourges en sûreté, le gouvernement voulut couvrir Blois et
Vendôme, jusqu'aux abords de la forêt de Marchenoir. Dans ce but, il forma le
16e corps dont le commandement fut confié au général Pourcet, récemment
arrivé d'Afrique ; ce corps, qui ne tarda pas d'ailleurs à être réuni au
commandement en chef du général d'Aurelles de Paladines, s'étendit dans la
région comprise entre la lisière de la forêt de Marchenoir et Mer, sur la
rive droite de la Loire ; il comptait environ 35.000 hommes. Il était couvert
sur sa gauche par le corps de volontaires du colonel Lispowski, ces
volontaires qui défendirent si brillamment Châteaudun ; il se reliait par la
droite au camp de Salbris par le corps de volontaires du colonel Cathelineau
qui, occupant le parc et les environs de Chambord, fouillait vigoureusement
les bois jusqu'aux approches d'Orléans. Les
positions de Nevers, Bourges, Blois et Tours se trouvant assurées contre une
pointe de l'ennemi, le moment était venu de prendre l'offensive. On avait
atteint, au milieu de ces préparatifs, la seconde quinzaine d'octobre. Le 17,
une dépêche de M. Jules Favre annonçait pour les premiers jours de novembre
une grande sortie du général Trochu. Il fallait donc agir. Dans un
conseil de guerre réuni le 24 octobre au quartier général de Salbris entre
les chefs de corps et le représentant du ministre de la guerre, M. de
Freycinet, on décide à l'unanimité de marcher sur Orléans. Le général d'Aurelles
de Paladines transmet aussitôt ses instructions aux chefs de corps placés
sous ses ordres. Le plan arrêté en conseil de guerre consiste à se porter sur
Orléans par l'ouest avec la majeure partie des troupes, qui partiront de
Blois en suivant la rive droite de la Loire, pendant que la division Martin
des Pallières, passant le fleuve à Gien, marchera sur Orléans par l'est en suivant
la route qui s'allonge entre la Loire et la forêt, de manière à prendre à
revers l'armée allemande, qui devait être attaquée de front à jour fixe (1er
novembre) par le général en chef. La
division Martin des Pallières avait le trajet le plus long à parcourir, en
passant par Gien pour se rabattre sur Orléans ; elle partit la première avec
entrain et confiance. Les deux divisions du 15e corps qui devaient agir de
concert avec le 16e sur la rive droite de la Loire furent transportées en
chemin de fer, de Salbris à Blois, le 28 octobre ; elles devaient quitter
Blois le lendemain et se porter en avant pour atteindre l'ennemi le 1er
novembre. Malheureusement, le transport par chemin de fer occasionna des
retards imprévus ; les corps se trouvèrent séparés de leurs bagages. Les
agents du chemin de fer ne chargèrent pas le matériel avec tout l'ordre
désirable ; des munitions d'artillerie de divers calibres se trouvèrent
mélangées et l'on perdit un temps considérable à réparer ce désordre. En
outre, le temps devint tout à coup très-mauvais ; des pluies torrentielles détrempèrent
les roules à rendre impossibles les manœuvres de l'artillerie[2]. Le général d'Aurelles de
Paladines crut devoir retarder d'un jour le départ de l'armée et informa le
ministre de la guerre de ce fâcheux contre-temps. La division Martin des
Pallières fut immédiatement avertie de suspendre son mouvement. En attendant de
continuer la marche sur Orléans, le général en chef prit position, la droite
à Beaugency, la gauche et le centre en arrière de la forêt de Marchenoir. La
délégation de Tours fut vivement contrariée de ce temps d'arrêt, qu'elle
croyait propre à compromettre le succès de la tentative sur Orléans ; elle se
demandait si le mauvais temps était bien, en effet, la cause du retard de
cette importante opération, lorsqu'elle apprit par le général Tripart, arrivé
des avant-postes, que le bruit de la capitulation de Metz avait été répandu dans
l'armée à la suite du passage de M. Thiers[3]. M. Thiers venait, en effet, de
traverser les pays occupés par les armées en se rendant de Tours à Paris, où
il allait porter la proposition d'armistice des puissances neutres. La
délégation pensa que cette douloureuse nouvelle avait apporté de nouveaux
sujets d'hésitation au général d'Aurelles de Paladines, hésitant par nature ;
elle comprit avec une amère douleur, que tout retard de notre côté donnait
aux deux cent mille hommes du prince Frédéric-Charles le temps d'accourir sur
la Loire et de changer à notre désavantage les conditions de la lutte.
Désolante fatalité bien propre à tuer l'espérance dans les cœurs les plus
fermes ! le maréchal Bazaine capitulait au moment où les jeunes armées de la
République se levaient, inexpérimentées encore, mais pleines d'ardeur, pour
marcher contre l'ennemi. Ce n'était donc pas assez pour ces recrues lancées sur
la route de Paris, d'avoir à culbuter le corps d'armée du général de Tann à
Orléans, avant de se mesurer avec l'armée du prince royal de Prusse sous les
murs de Paris ? Voici l'armée aguerrie du prince Frédéric-Charles ; elle
s'est mise en marche et dans quelques jours elle fera son apparition sur les
bords de la Loire. De tous les coups dont la fortune s'était montrée si
prodigue pour notre malheureuse patrie, celui-ci était le plus décisif. Un
long frémissement de douleur agita la France ; il importait cependant de ne
pas laisser croire que tout était perdu désormais ; la délégation de Tours
flétrit en termes indignés la trahison de Bazaine, dont elle eut bientôt les
preuves : FRANÇAIS, disait sa proclamation, élevez
vos âmes et vos résolutions à la hauteur dos effroyables périls qui fondent
sur la patrie. Il dépend encore de nous de lasser la mauvaise fortune et de
montrer à l'univers ce qu'est un grand peuple qui ne veut pas périr et dont
le courage s'exalte au soin même des catastrophes. Metz
a capitulé. Un général sur qui la France comptait, même après le Mexique,
vient d'enlever à la patrie en danger plus de cent mille de ses défenseurs.
Le général Bazaine a trahi. Il s'est fait l'agent de l'homme de Sedan, le
complice de l'envahisseur, et au mépris de l'honneur de l'armée dont il avait
la garde, il a livré, sans même essayer un suprême effort, cent vingt mille
combattants, vingt mille blessés, ses fusils, ses canons, ses drapeaux et la
plus forte citadelle de la France, Metz, vierge jusqu'à lui des souillures de
l'étranger. Un
tel crime est au-dessus même des châtiments de la justice. Et maintenant,
Français, mesurez la profondeur de l'abîme où nous a précipités l'Empire. Vingt
ans la France a subi ce pouvoir corrupteur qui tarissait en elle toutes les
sources de la grandeur et de la vie. L'armée
de la France, dépouillée de son caractère national, devenue sans le savoir un
instrument de règne et de servitude, est engloutie, malgré l'héroïsme de ses
soldats, par la trahison des chefs, dans les désastres de la patrie. En
moins de deux mois, 250.000 hommes ont été livrés à l'ennemi ; sinistre
épilogue du coup de main militaire de décembre ! Il est temps de nous
ressaisir, citoyens, et, sous l'égide de la République, que nous sommes bien
décidés à ne laisser capituler ni au dedans ni nu dehors, de puiser dans
l'extrémité de nos malheurs le rajeunissement de notre moralité et de notre
virilité politique et sociale. Oui,
quelle que soit l'étendue du désastre, il ne nous trouve ni consternés ni
hésitants. Nous sommes prêts aux derniers sacrifices, et, en face d'ennemis
que tout favorise, nous jurons de ne jamais nous rendre. Tant qu'il restera un
pouce du sol sacré sous nos semelles, nous tiendrons ferme le glorieux
drapeau de la République française. Notre cause est celle de la justice et du
droit. L'Europe le voit, l'Europe le sent ; devant tant de malheurs
immérités, spontanément, sans avoir reçu de nous ni invitation ni adhésion,
elle s'est émue, elle s'agite. Pas d'illusions, ne nous laissons ni alanguir
ni énerver, et prouvons par des actes que nous voulons, que nous pouvons
tenir de nous-mêmes l'honneur, l'indépendance, l'intégrité, tout ce qui fait
la patrie libre et fière ! Vive
la France ! Vivo la République, une, indivisible ! Les membres du gouvernement : CRÉMIEUX, GLAIS-BIZOIN, GAMBETTA 1[4]. Quelques
jours s'écoulent pendant lesquels l'armée de la Loire reste dans ses
campements. Les bruits d'armistice suspendaient l'action. M. Thiers était, en
effet, au quartier général prussien à Versailles et conférait avec M. de
Bismarck. Quoique le repos offrît beaucoup d'inconvénients, parce qu'il
donnait au prince Charles le temps de se rapprocher, il fallait bien s'y
résigner en attendant l'issue des négociations. Le 6 novembre, on apprit
enfin que les propositions d'armistice étaient repoussées ; l'ordre de marche
fut donné pour le lendemain. On avait perdu dix jours dans l'attente. Dans l'intervalle,
le général Pourcet, dont la santé laissait beaucoup à désirer, avait été
remplacé à la tête du 16e corps par le général Chanzy, qui avait pris possession
de son commandement à Marchenoir. Le 7
novembre, après avoir fait parvenir ses instructions à tous les chefs de
corps, le général en chef donna le signal du départ dans l'ordre suivant :
Les deux divisions du 15e corps, directement commandées par le général
d'Aurelles, s'avancent en suivant la rive droite du fleuve. Sur la gauche, le
16e corps, sous les ordres du général Chanzy, s'ébranle de Marchenoir dans la
direction de Saint-Laurent-des-Bois, protégé sur sa gauche par la cavalerie
du général Reyau, éclairée elle-même en avant de Châteaudun et de Chartres
par les francs-tireurs du colonel Lispowski. Les volontaires de Cathelineau
avançaient par la rive gauche du fleuve, à travers les bois qui couvrent
Orléans ; à l'extrême droite, la division Martin des Pallières passe la Loire
à Gien pour prendre l'ennemi à revers. L'avant-garde
du général Chanzy rencontre aux environs de Saint-Laurent-des-Bois une
colonne ennemie forte de deux bataillons d'infanterie et de deux mille
cavaliers ; ces troupes, venant de Baccon pour reconnaître les positions de
l'armée française, ouvrent le feu de dix pièces d'artillerie sur le village
de Saint-Laurent. Le 3° bataillon de chasseurs à pied et les mobiles de
Loir-et-Cher se portent résolument en avant et, pendant deux heures, donnant
au canon le temps d'arriver, soutiennent un feu violent d'artillerie et de
mousqueterie dans une plaine découverte. Au bruit du canon, le général
Abdelal accourt avec un régiment de dragons ; une batterie de 4 et des
mitrailleuses entrent en ligne à leur tour ; l'infanterie se sentant soutenue
se précipite alors sur les Bavarois, qui se retirent dans le village de
Vallière, d'où les dragons du général Abdelal les débusquent vivement,
faisant prisonnière toute une compagnie bavaroise. Ce brillant combat avait
duré cinq heures ; nos jeunes troupes avaient montré un sang-froid et une
décision remarquables et le général en chef conçut le meilleur espoir. Nous
eûmes dans cette rencontre 4 morts et 35 blessés ; parmi ces derniers le
commandant Lebrun, auquel revenait en grande partie l'honneur de ce brillant
début. De son côté, le général Chanzy avait gagné la confiance de ses troupes
; le combat de Vallière fut salué par l'armée comme un heureux présage : ses premiers
pas étaient marqués par un succès. Dans la
matinée du 9, le mouvement en avant se prononce dans le plus grand ordre.
L'objectif est une attaque sur Coulmiers où l'ennemi s'est fortement
retranché. Les villages de Charsonville, Epieds, Saint-Sigismond, défendus
par dos barricades et solidement occupés par l'armée allemande, doivent être
emportés comme Coulmiers ; l'armée opérant un mouvement tournant sur sa
gauche occupera, le soir, d'après les instructions, la route de Châteaudun à
Orléans. Vers neuf
heures et demie, par un temps froid et sombre, les troupes sont rangées en
bataille sur deux lignes. Un silence imposant règne sur la plaine et dans les
rangs ; officiers et soldats attendent recueillis, mais avec confiance, le signal
du combat. Le canon retentit tout à coup sur la droite, en avant de Baccon :
c'est l'artillerie de la division Peytavin qui, des hauteurs de Champdry,
ouvre le feu sur le bourg de Baccon, dont le clocher sert d'observatoire aux
Prussiens. L'infanterie se porte en avant avec résolution, aborde le village
par les passages que les boulets viennent d'ouvrir et engage avec les
Prussiens une lutte acharnée, qui se termine par la fuite de l'ennemi. Baccon
est à nous à dix heures. Le gros de la bataille est maintenant autour du
château de la Renardière, dont le parc est crénelé et vigoureusement défendu
par les Bavarois : nos braves soldats s'élancent de Baccon sur le château,
franchissent les murs du parc, poussent, culbutent les Bavarois. Ceux-ci,
ramenés par leurs officiers, essayent un retour offensif, mais le général en
chef, qui suit de l'œil leurs mouvements, a fait avancer une batterie qui les
arrête. L'intrépide général Peytavin profite de cet instant d'hésitation et,
entraînant ses soldats enflammés de confiance, il enlève le château à la
baïonnette. Pendant
que les troupes du 15e corps obtenaient ces brillants succès, la division
Barry du 16e corps avait à soutenir une lutte opiniâtre devant Coulmiers
fortement défendu ; plus loin, la brigade Deplanque attaquait Rosières,
Saint-Sigismond et Gémigny, sans gagner du terrain. Le général Barry enlève
une première fois les abords du village et les jardins ; les Allemands
chassent nos soldats ; une seconde attaque, accueillie par une vigoureuse
fusillade, jette une grande hésitation dans nos rangs ; le général Barry met alors
pied à terre et, s'élançant à l'assaut aux cris de : Vive la France ! En
avant les mobiles ! imprime à ses troupes un élan irrésistible. L'ennemi
se replie des jardins et du parc, laissant un grand nombre de prisonniers. A
quatre heures Coulmiers est à nous. A
l'extrême gauche, l'amiral Jauréguiberry, exposé au feu d'une nombreuse
artillerie, faisait des prodiges d'énergie pour maintenir ses troupes sur
leurs positions. Il était parvenu à faire occuper le village de Champ par un
bataillon du 37e ; un retour offensif de l'ennemi oblige ses troupes à
évacuer la position. Enfin, après avoir essuyé le feu convergent des
batteries allemandes, dont les unes tirent de Saint-Sigismond, les autres de Coulmiers
avant l'attaque du général Barry, l'énergique amiral reçoit vers cinq heures
un renfort d'artillerie qui maîtrise le feu de l'ennemi. Il lance alors
toutes ses troupes contre les villages de Champ et d'Ormeteau, et ces positions
sont enlevées au pas de charge. De ce moment, l'ennemi, chassé de toutes ses
positions, se trouve en pleine retraite. On le poursuivit, tant qu'il fit jour,
du feu de l'artillerie ; on aurait pu brillamment compléter cette victoire,
si le général Reyau, pour avoir mal compris ou mal rempli ses instructions,
n'avait annihilé l'action de la cavalerie. Après avoir perdu beaucoup
d'hommes et de chevaux dans une attaque imprudente contre Saint-Sigismond, ce
général s'était replié, sur la nouvelle qu'une colonne ennemie menaçait de le
tourner sur sa gauche. On sut bientôt que cette colonne n'était autre que
celle des francs-tireurs Lispowski. Cette déplorable méprise enleva à nos
jeunes troupes une partie des avantages que faisait espérer le succès de la journée.
Une autre circonstance fâcheuse pour nous facilita la retraite de l'armée
allemande. La division des Pallières, qui devait prendre le général de Tann à
revers, n'arriva qu'à la nuit au poste qui lui avait été assigné : c'était
trop tard pour prendre part à la bataille et trop tard pour se jeter à la
poursuite de l'ennemi. La faute n'en était pas à ce général, qui avait marché
quatorze heures au canon, mais au général en chef qui lui avait donné
rendez-vous pour le 10 ou le 11 novembre, et nullement pour le 9. En avançant
de deux jours la date convenue, le général d'Aurelles de Paladines s'était
volontairement privé du concours de 30.000 hommes, de 800 chevaux et de 44
pièces de canon ; et s'il s'était fait battre, il aurait exposé ces 30.000 hommes
isolés à une déroute certaine. La déroute eût été pour les Allemands si le
général Martin des Pallières eût paru sur leurs derrières pendant la
bataille. Cette déroute pouvait même se changer en désastre. Quoi
qu'il en soit, la journée du 9 novembre fut glorieuse et décisive. Orléans
fut abandonné par l'armée bavaroise, qui n'eut pas le temps d'évacuer ses
hôpitaux. Cathelineau entrait le soir même dans la ville, au milieu d'une
population ivre de joie. La bataille de Coulmiers nous donna 2.500 prisonniers,
sans compter les blessés, plusieurs pièces d'artillerie et un convoi de
munitions et de bagages. De notre côté, nous avions 1.500 hommes tués ou blessés[5]. L'armée bavaroise abandonna
toutes les positions qu'elle occupait autour d'Orléans et se retira par
Arthenay dans la direction de Toury, où le duc de Mecklembourg vint, deux
jours après, renforcer le général de Tann. Au quartier général de Versailles,
l'émotion fut très-vive, mais on eut soin d'atténuer l'échec du général de
Tann et de dissimuler les craintes qu'avait subitement réveillées la jeune armée
de la Loire[6]. L'effet
produit en France par cette victoire fut immense. C'était le premier succès
de nos armes depuis l'ouverture de cette guerre féconde en désastres. Des
généraux dont le nom était inconnu la veille venaient de se révéler par un coup
d'éclat ; la reconnaissance publique se partageait entre le général
d'Aurelles de Paladines, le patient organisateur de l'armée, le général
Chanzy, qui avait montré dans le commandement du 16e corps de grandes
qualités d'homme de guerre, l'amiral Jauréguiberry, dont la ténacité sous le
feu était un sujet d'admiration, le général Borel, chef d'état-major de
d'Aurelles de Paladines, et le général Barry, que nous avons vu conduire ses troupes
à l'assaut de Coulmiers au cri de Vive la France ! Le colonel Lispowski et le
commandant Cathelineau avaient bravement fait leur devoir aussi. Cette jeune
armée de la Loire, encore mal équipée et mal vêtue, était pleine d'entrain et
de confiance ; il semblait qu'enfin la fortune se fût lassée de nous
accabler. Le grand cœur de la France se gonflait d'espoir. Le 12
novembre, M. Gambetta arrivait au quartier général à Villeneuve-d'Ingré et
remerciait, au nom de la France, les braves soldats de Coulmiers : SOLDATS DE L'ARMEE DE LA LOIRE ! Votre
courage et vos efforts nous ont enfin ramené la victoire, depuis trois mois
déshabitués de nos drapeaux ; la France en deuil vous doit sa première
consolation, son premier rayon d'espérance. Je
suis heureux de vous apporter, avec l'expression de la reconnaissance
publique, les éloges et les récompenses que le gouvernement décerne a vos
succès. Sous
la main de chefs vigilants, fidèles, dignes de vous, vous avez retrouvé la
discipline et la force ; vous nous avez rendu Orléans, enlevé avec l'entrain
de vieilles troupes depuis longtemps accoutumées à vaincre. À
la dernière et cruelle injure de la mauvaise fortune, vous avez montré que la
France, loin d'être abattue par tant de revers inouïs jusqu'à présent dans
l'histoire, entendait répondre par une générale et vigoureuse offensive. Avant-garde
du pays tout entier, vous êtes aujourd'hui sur le chemin de Paris ;
n'oublions jamais que Paris nous attend et qu'il y va de notre honneur de
l'arracher aux étreintes des barbares qui le menacent du pillage et de
l'incendie. Redoublez
donc de confiance et d'ardeur ; vous connaissez maintenant nos ennemis ;
jusqu'ici leur supériorité n'a tenu qu'au nombre de leurs canons ; comme soldats,
ils ne vous égalent ni on courage ni en dévouement ; retrouvez cet clan,
cette furie française, qui ont fait notre gloire dans le monde et qui doivent,
aujourd'hui, nous aider à sauver la patrie. Avec
des soldats tels que vous, la République sortira triomphante des éprouves
qu'elle traverse, car après avoir organisé la défense, elle est en mesure, à
présent, d'assurer la revanche nationale. Vivo
la France ! vive la République, une et indivisible ! Léon GAMBETTA. Un
conseil de guerre fut tenu pour régler les opérations ultérieures. Il y avait
deux partis à prendre : ou marcher sur Paris en profitant de l'élan des
troupes et du désarroi de l'ennemi, ou se fortifier autour d'Orléans contre
un retour offensif qui paraissait probable. Le général en chef se prononça
pour le second parti. Il voyait de sérieux dangers dans la marche en avant :
l'armée fatiguée avait besoin de repos ; son artillerie était incomplète ; si
l'on marchait et si l'on achevait la déroute de de Tann, on se heurterait au
corps du duc de Mecklembourg avant d'arriver sous les murs de Paris ; et
pendant ce temps les troupes du prince Frédéric-Charles, dont les premiers
détachements venaient de paraître à Montargis, nous attaqueraient par le
flanc droit. Ce serait, selon le général d'Aurelles, exposer l'armée de la
Loire à une destruction certaine et encourir devant le pays une responsabilité
qu'il repoussait, pour sa part. Faut-il donc compromettre par trop de
précipitation ou par un amour-propre aveugle le fruit de la victoire de
Coulmiers ? Quant à lui, il refuse de s'associer à cette entreprise téméraire
; il conseille de se fortifier autour d'Orléans, de compléter l'équipement et
l'armement des troupes, et de reprendre l'offensive en temps opportun. Au
surplus, le temps était devenu très-mauvais : la pluie et la neige
défonçaient les routes ; l'artillerie ne pouvait plus manœuvrer dans les
terres détrempées ; enfin la petite vérole avait fait invasion dans les
bivouacs, transformés en bourbiers, et causait de sérieux ravages. Les
généraux Borel et Chanzy étaient d'une opinion tout opposée. On aurait dû,
suivant eux, marcher contre l'armée bavaroise, achever sa défaite, et se
jeter ensuite sur le corps du duc de Mecklembourg, dont Chartres était le
point de ralliement. On se serait ensuite retourné contre les troupes de
Frédéric-Charles qui allaient former vers Montargis une agglomération
menaçante. Le général d'Aurelles de Paladines répondit qu'il était plus sûr
d'attendre l'ennemi dans le camp retranché d'Orléans ; que ces marches
hardies contre les Bavarois et le duc de Mecklembourg exigeraient de son
armée des efforts, une constance qu'on ne pouvait raisonnablement attendre de
soldats peu instruits et mal vêtus ; qu'un revers succédant à la victoire de
Coulmiers porterait au moral des troupes un coup funeste et, qu'enfin,
pendant qu'on irait chercher le duc de Mecklembourg, le prince Frédéric-Charles
pressant sa marche nous placerait entre deux feux ; ainsi nous aurions perdu
Orléans et découvert aux incursions de l'ennemi Bourges, Nevers et Tours. Le plan
du général en chef était prudent et sage, et laissait le moins possible au
hasard. Celui des généraux Borel et Chanzy était audacieux et ouvrait le
champ aux vicissitudes de la guerre. Il nu fut pas adopté cependant, quoiqu'une
longue expérience ait prouvé qu'à la guerre l'audace accomplit de plus
grandes choses que la sagesse. Si, l'on doit regretter la prudence excessive
du général d'Aurelles, on n'ose cependant pas blâmer le chef qui craint de
perdre en un jour les fruits d'un mois d'efforts et de voir périr une armée
formée par ses soins patients, à l'instant même où elle vient de ramener la
victoire sous ses drapeaux. Les
ordres du général en chef ayant prévalu, on commence les travaux du camp
retranché qui doit couvrir Orléans et l'on distribue les troupes en avant de
la ville. Le 15e corps (Martin des Pallières) protège la route de Paris à
Orléans à la hauteur de Chevilly ; le 16e' corps (Chanzy), échelonné à gauche sur la
route de Châteaudun, occupe Saint-Peravy, Saint-Sigismond, Gemigny et
Coulmiers. Les volontaires de Cathelineau quittent Orléans pour remonter dans
la forêt, à la hauteur de Chilleurs et de Loury. Trois nouveaux corps (17e, 18e, 20e) formés en peu de jours viennent
grossir l'armée de la Loire, dont l'effectif atteint bientôt deux cent mille
hommes. Un 21e corps est en voie de formation au Mans. De son côté, le génie
civil poussait avec vigueur les travaux de fortification autour d'Orléans.
Des ouvriers et des outils furent requis dans cinq départements pour creuser
les fossés, ouvrir les tranchées, dresser des palissades. Le camp retranché,
armé de pièces de marine, put au bout de peu de temps défier toute attaque. Tels
étaient, après un mois d'une activité prodigieuse, les résultats obtenus :
une victoire suivie de l'évacuation d'Orléans et la mise sur pied d'une armée
d'environ deux cent mille hommes avec cinq cents bouches à feu. La force
morale que la victoire de Coulmiers donnait à la France était immense. Le
gouvernement donna des encouragements à la jeune armée en portant à l'ordre
du jour les régiments qui s'étaient le plus distingués et en accordant des
récompenses aux officiers et soldats dont la bravoure avait été particulièrement
remarquée. Les régiments de la garde mobile de la Dordogne et de la Sarthe
furent l'objet d'une mention spéciale pour leur belle conduite à l'assaut de
Coulmiers. Le
mauvais temps et l'opinion du général en chef s'étaient opposés, comme nous l'avons
dit, à la marche en avant immédiate. Orléans fut fortifié, l'équipement des troupes
complété. Des renforts arrivèrent en même temps. Le ministre de la guerre
s'était rendu à Besançon, où le général Michel avait remplacé dans son
commandement le général Cambriels qu'une blessure à la tête, reçue à Sedan
mettait dans l'impossibilité de diriger l'armée de l'Est. Des considérations
supérieures firent bientôt passer le commandement dans les mains du général
Crouzat, qui se vit au bout de peu de temps à la tête de cinquante mille
hommes. L'Est, gardé par Garibaldi, alors à Autun, ne se trouvait pas
sérieusement menacé. Il fut décidé que le corps d'armée du général Crouzat
serait amené par les voies rapides sur les bords de la Loire, où l'on
s'attendait à d'importants événements. Le déplacement s'opéra sans éveiller
l'attention de l'ennemi. Le Midi de la France et Lyon se trouvaient
découverts, à la vérité, mais on n'avait pas cru pouvoir faire autrement. Les
cinquante mille hommes du général Crouzat furent donc transportés à Gien dans
l'espace de trois jours et formèrent le 21e corps. Pendant
ce temps, l'armée du prince Frédéric-Charles arrivait par détachements de 5 à
6.000 hommes à Montargis. Le gouvernement donna des instructions au général
d'Aurelles de Paladines, instructions dont le but était de lancer des
colonnes expéditionnaires contre les troupes allemandes en marche. On disait
au général en chef : « Vous devez considérer Orléans comme une nouvelle base
d'opérations. Il importe donc de ne pas s'y enfermer indéfiniment ; il faut,
au contraire, envisager le camp retranché que vous y faites établir comme un
refuge dans lequel vous rentrerez après des expéditions heureuses. » On
ajoutait qu'il serait dangereux d'attendre patiemment à Orléans que des forces
supérieures vinssent attaquer l'armée et on invitait le général en chef à
examiner s'il ne serait pas sage de se porter à la rencontre des détachements
partiels qui passaient au-devant du camp retranché, du côté de Pithiviers et
de Montargis. A ces
invitations réitérées, le général d'Aurelles de Paladines répondit que le
mauvais état des routes, et le danger qu'il y aurait à dégarnir les positions
occupées s'opposaient aux expéditions proposées. On
atteignit, dans cette inaction, la seconde moitié de novembre. A cette date,
les instances du ministre de la guerre deviennent plus pressantes. Le 19
novembre, M. de Freycinet écrit au nom du ministre : « Je vous engage à
étudier avec vos généraux la meilleure direction à donner à cette force de
250.000 hommes[7] que vous allez avoir sous la
main. Nous ne pouvons demeurer éternellement à Orléans. Paris a faim et nous
réclame. Étudiez donc la marche à suivre pour arriver à nous donner la main
avec Trochu qui marcherait à notre rencontre avec 150.000 hommes, en même temps
qu'une diversion serait tentée dans le Nord. De notre côté, nous étudions un
plan ici ; dès que vos idées seront un peu arrêtées sur cette grave affaire,
prévenez-moi ; nous nous réunirons à Tours ou à votre quartier général pour
en disserter. » Le général
en chef répond : « Pour étudier un plan à suivre •pour arriver à donner la
main au général Trochu, il serait nécessaire que je fusse au courant de ce
qui se passe à Paris et des intentions de cet officier général. » Mais on
était sans nouvelles de Paris et le concert préalable exigé par d'Aurelles de
Paladines n'était pas possible. Le ministre de la guerre écrit de nouveau : Je
vous prie de méditer de votre côté un projet d'opérations ayant pour suprême
objectif Paris. Je ne peux accepter que cette préparation implique pour vous
la connaissance préalable des projets du général Trochu. Nous sommes sans
nouvelles ; le hasard seul nous permet, d'une façon tout à fait
intermittente, d'en obtenir ; c'est comme une inconnue de plus dans notre problème,
que nous devons être résolus à vaincre, comme bien d'autres. Pour
cela, il suffit de supposer une simple chose, c'est que Paris connaît notre
présence à Orléans, et que, dès lors, c'est dans l'arc de cercle dont Orléans
est le point médian que les Parisiens seront fatalement amenés à agir. Je
compte que vous voudrez prendre en considération les vues générales, mais
sûres, d'après lesquelles nous devons opérer. A ces
observations, le général en chef répond, le 23 novembre : Vous
me demandez de méditer un projet d'opérations ayant Paris pour suprême
objectif. La solution du problème n'est pas la moindre de mes préoccupations. Pour
la résoudre, il faut la coopération et l'entente commune du gouvernement et
de l'armée représentée par les chefs que vous avez investis de votre
confiance. En ce qui me concerne, vous pouvez compter sur mon dévouement
absolu. Dieu veuille mettre mes forces à la hauteur de mon dévouement ! No recevant
aucun plan, du général en chef, le ministère de la guerre conçut la pensée de
porter l'armée en avant, dans la direction de Fontainebleau ; il fallait
occuper Pithiviers et Beaune-la-. Rolande pour être en mesure de donner la
main à l'armée de Paris. C'est sur ces points que l'on projeta de diriger les
18e et 20e corps. Le succès de cette opération devait assurer un solide point
d'appui à l'armée de la Loire avançant sur Paris ; elle avait aussi un autre
but très-important : c'était d'arrêter les mouvements inquiétants que l'armée
ennemie faisait dans la direction du Mans pour tourner l'armée de la Loire
par la gauche. A cette date, en effet, les Allemands poussaient des pointes
fréquentes vers Évreux, Dreux, Chartres et Châteaudun et menaçaient le département
de la Sarthe. Le gouvernement pensait, non sans raison, que le but du prince
Frédéric-Charles était d'attirer de ce côté une partie de l'armée de la Loire
pour se jeter ensuite à travers son centre et la couper en deux. Nous
n'avions alors au Mans qu'une poignée d'hommes que le brillant officier de
marine Jaurès, promu depuis peu général, travaillait à reconstituer. Le
résultat d'une diversion sur Pithiviers devait être d'obliger l'ennemi à
ramener le gros de ses forces vers le nord-est et de dégager l'ouest. Les 18e
et 20e corps, stationnés à Nevers et à Gien, furent chargés d'opérer cette
diversion avec l'appui de la division du général Martin des Pallières que nous
avons laissée à Chevilly, en avant de la forêt d'Orléans. Le commandement du
18e corps venait d'être confié à un jeune colonel, chef de l'état-major, qui
se montra digne de cet honneur. C'était le colonel Billot, plus tard général
de division à titre provisoire. On avait d'abord désigné pour ce poste le
général Bourbaki, alors à l'armée du Nord, mais il n'avait pu arriver en
temps voulu. Le
général d'Aurelles de Paladines présenta diverses objections contre le plan
arrêté au ministère. Ces objections n'étaient pas toutes sans fondement ;
mais l'impérieuse nécessité était là qui ordonnait d'aller on avant. Le
délégué à la guerre écrivait au général en chef qu'il ne méconnaissait pas la
portée des critiques que la marche sur Fontainebleau suggérait à sa vieille
expérience ; mais, disait-il, j'y ferai cette simple réponse : Si
vous m'apportiez un plan meilleur que le mien, ou même si vous m'apportiez un
plan quelconque, je pourrais abandonner le mien et révoquer mes ordres. Mais
depuis douze jours que vous êtes à Orléans, vous ne nous avez, malgré nos
invitations réitérées, de M. Gambetta et de moi, proposé aucune espèce de
plan, vous vous êtes borné à fortifier Orléans, selon nos indications, après
avoir déclaré que la position n'y était pas tenable. Votre avis, sur ce
point, je me plais à le reconnaître, paraît s'être grandement modifié puisque
vous ne désirez plus abandonner vos lignes. Malheureusement
ce désir, que je comprends, n'est pas réalisable. Des nécessités d'ordre
supérieur nous obligent à faire quelque chose et par conséquent à sortir
d'Orléans. Ainsi que M. Gambetta et moi vous l'avons expliqué, Paris a
faim et veut être secouru[8]. Il ne dépend pas de nous de
vous laisser passer l'hiver à Orléans. Je dis passer l'hiver, car il n'y a guère
de chance que la saison devienne moins mauvaise, pendant trois ou quatre
mois, qu'elle l'est en ce moment et que l'ennemi soit moins nombreux autour
de vous. Or le nombre des Prussiens, d'un côté, et l'humidité du sol, d'un
autre côté, sont les deux objections que vous mettez en avant. Elles
subsisteront, je le répète, beaucoup plus longtemps que Paris n'aura de
vivres pour se nourrir. Il faut donc sortir de l'immobilité dans laquelle le
salut suprême de la patrie nous condamne à ne pas rester Nous aurions déjà dû
nous porter vers ces positions de Pithiviers et de Montargis qui vous
inquiètent aujourd'hui si fort, et troubler par des pointes hardies l'éternel
défilé que l'armée de Frédéric-Charles a fait au-dessus de nos têtes. Les
opérations commencèrent le 24 novembre. Le général Martin des Pallières avait
ordre de se mettre entre Chilleurs-aux-Bois et Loury. Quant aux 18° et 20e
corps, chargés de l'action principale, ils abordèrent après deux jours de
marche Boismorand et Bellegarde, sans avoir aperçu de soldats allemands.
L'ennemi avait en effet évacué Montargis à l'approche de nos troupes et
s'était retiré vers Beaune-la-Rolande et Pithiviers. Le 28, le général
Crouzat déloge les Allemands du village de Côtelles et ne se retire de cette
position qu'après avoir essuyé un retour offensif du prince Frédéric-Charles,
qui est venu commander en personne. Toutefois, le prince Charles, se voyant
sérieusement menacé, évacue pendant la nuit Beaune-la-Rolande, après avoir
incendié les maisons qui pouvaient le mieux défendre le village. L'évacuation
de Beaune-la-Rolande n'était pas d'ailleurs le seul résultat important de la
journée ; des engagements heureux avaient eu lieu à Ladon, Maizières et Juranville.
Ces avantages signalés, dus à l'initiative hardie du colonel Billot, valurent
aux troupes du 18e corps un ordre du jour du gouvernement et au jeune
commandant le titre de général de brigade à titre définitif. L'objet que le
gouvernement avait poursuivi se trouvait atteint. L'ennemi cessa brusquement
ses incursions dans les régions de l'Ouest pour se concentrer sur les points
menacés par suite des derniers engagements. De nouvelles instructions furent
aussitôt données aux généraux Crouzat et Billot. On leur écrivit de Tours, 29
novembre : Nous
sommes très-satisfaits de votre vigoureuse pointe sur Maizières, Juranville,
Beaune-la-Rolande, qui a pleinement atteint notre but en arrêtant le
mouvement tournant de l'ennemi sur le Mans et Vendôme et rappelant ses forces
sur son centre... Vous prendrez les positions suivantes : Crouzat
s'établira entre Chambon, Moulin-de-Bezault, Boiscommun, Nibelle, s'appuyant
ainsi sur les magnifiques positions de la lisière de la forêt. Billot
s'établira vers Bellegarde et Ladon, donnant la main à Crouzat. Le poste de
Montargis conserverait sa position et, en cas de menace sérieuse, rejoindrait
le 18e corps. Vous avez par-dessus tout et comme premier soin à vous
retrancher dans vos positions. Requérez hommes et choses pour vos travaux. Telle
était la situation de l'armée de la Loire au 29 novembre : Orléans fortement
occupe ; les positions dans la direction de Pithiviers entre nos mains ; une
armée confiante en elle-même à la suite de la victoire de Coulmiers et des
engagements heureux que l'on vient de raconter en peu de mots. Cette armée
n'attendait plus, comme le gouvernement, qu'un signal de Paris pour marcher
en avant et se porter sur Fontainebleau à la rencontre du général Trochu. Ce
signal, le général Trochu l'avait donné de Paris quelques jours auparavant
par un ballon parti le 24 novembre. C'est ce ballon qui fut emporté par une tempête
au fond de la Norvège ! La dépêche n'arriva à Tours que le 30 novembre, six
jours après ! Le général Trochu disait : « Les nouvelles reçues de l'armée de
la Loire m'ont naturellement décidé a sortir par le sud et à aller au-devant
d'elle coûte que coûte ; c'est lundi (28 novembre) que j'aurai fini mes
préparatifs, poussés de jour et de nuit. Mardi 29, l'armée extérieure
commandée par le général Ducrot, le plus énergique de nous, abordera les
positions fortifiées de l'ennemi et, s'il les enlève, poussera vers la Loire,
probablement dans la direction de Gien. » A
l'heure où cette dépêche, qu'on avait eu le tort d'expédier par un seul ballon,
arrivait à Tours, les opérations de l'armée de Paris étaient commencées. Il
n'y avait pas une minute à perdre. Il fut décidé que l'armée de la Loire se
mettrait en marche immédiatement à la rencontre du général Ducrot. Nous
devons suspendre un moment le récit des opérations de l'armée de la Loire
pour tourner nos regards vers Paris. ———————————————
Rapport du général d'Aurelles de Paladine sur la bataille de Coulmiers.
«
L'ordre de marche pour la journée du lendemain (le 9, jour de la bataille) portait qu'une partie des
troupes du général Martineau irait prendre position entre le Bardou, à
droite, et le château de la Touanne à gauche ; que le général Peytavin
s'emparerait successivement de Baccon, de la Renardière et du Grand-Lus pour
donner ensuite la main à la droite du général de Chanzy, en vue d'attaquer le
village de Coulmiers, où, d'après nos renseignements, l'ennemi s'était
fortement retranché. « Ma réserve
d'artillerie et le général Daries avec ses bataillons de réserve devaient
soutenir lo mouvement. « Le
général de Chanzy devait exécuter par Charsonville, Epieds et Gémigny un
mouvement tournant appuyé sur la gauche par la cavalerie du général Reyau,
lequel avait pour instructions de chercher à déborder autant que possible
l'ennemi par sa droite. Les francs-tireurs de Paris, sous les ordres du
lieutenant-colonel Lispowski, avaient l'ordre d'appuyer, sur la gauche, le
mouvement de la cavalerie. « Le 9,
des huit heures du malin, toutes les troupes se mirent en mouvement, après
avoir mangé la soupe. « La
portion des troupes du général Martineau désignée pour agir sur la droite
effectua son mouvement sans rencontrer l'ennemi. « Une
moitié des forces commandées par le général Peytavin, soutenue elle-même par
la réserve d'artillerie, enleva d'abord le village de Baccon et se dirigea
ensuite sur le village de la Rivière et le château de la Renardière, ou l'ennemi
était fortement établi dans toutes les maisons du village et dans le parc.
Cette position, vivement attaquée par trois bataillons : le 6e bataillon de
chasseurs de marche, un bataillon du 16e de ligne et un du 33e de marche, fut
enlevée, malgré tous les efforts de l'ennemi pour s'y maintenir. Dans cette
attaque, dirigée par le général Peytavin en personne, qui ne pouvait être
soutenue que très-difficilement par l'artillerie parce que nos tirailleurs
occupaient une partie du village, les troupes déployèrent une vigueur
remarquable. « La
seconde partie des troupes du général Peytavin se portait en avant tandis que
la position de la Renardière était enlevée, occupait le château du Grand-Lus
sans trouver de résistance, et faisait appuyer sa gauche vers le village de
Coulmiers. « Sur
la gauche, les troupes du général Barry marchaient par Champdry et Villarceau
qui était le centre de la ligne ennemie et qui était très-fortement occupé.
Arrêtées dans leur marche par l'artillerie prussienne, elles ne purent
arriver que vers deux heures et demie a Coulmiers, devant lequel se trouvaient
déjà les tirailleurs du général Peytavin. « Ces
tirailleurs, auxquels se joignirent les tirailleurs du général Barry, se
jetèrent au pas de course, aux cris de Vive la France ! dans les jardins et
les bois qui sont au sud de Coulmiers, y pénétrèrent malgré la résistance
furieuse de l'ennemi, mais ne purent se rendre maîtres du village. L'ennemi,
qui s'y était retranché et qui avait accumulé sur ce point une grande partie
de ses forces et de son artillerie, faisait les plus grands efforts pour s'y
maintenir afin de protéger la retraite des troupes de sa gauche, qui se trouvaient
d'autant plus compromises que notre mouvement en avant s'accentuait davantage. « Pour
faire cesser cette résistance, le général en chef appela le général Daries et
la réserve d'artillerie. Cette dernière s'établit en batterie à la hauteur du
Grand-Lus, et, après un fou des plus violents de plus d'une demi-heure, finit
par réduire au silence les batteries de l'ennemi. En ce moment les tirailleurs,
soutenus pur quelques) bataillons du général Barry conduits par le général en
personne, reprirent leur marche en avant et pénétrèrent dans le village, d'où
ils chassèrent l'ennemi vers quatre heures du soir. « Dans
cette attaque les troupes du général Bairy, 7e bataillon de chasseurs de marche,
31e régiment d'infanterie de marche et le 22e régiment de mobiles (Dordogne) montrèrent beaucoup de vigueur
et d'entrain. « A
gauche du général Barry, une partie des troupes du contre-amiral
Jauréguiberry, éclairées sur leur gauche par les francs-tireurs du commandant
Lienard, traversèrent Charsonville et Epieds et arrivèrent devant Cheminiers,
où elles furent assaillies par une grêle d'obus. Elles mirent leurs batteries
en position ; leurs tirailleurs continuèrent leur marche en ouvrant un feu de
mousqueterie. La lutte que soutinrent ces troupes fut d'autant plus sérieuse
qu'elles furent longtemps exposées non-seulement aux feux partant de
Saint-Sigismond et de Gérigny qui étaient devant elles, mais encore a ceux de
Coulmiers et de Rosières qui n'attiraient pas encore l'attention du général
Barry. Il était à peu près deux heures et demie. À ce moment, le général
Reyau lit prévenir le général de Chanzy que sa cavalerie avait éprouvé une
résistance sérieuse, que son artillerie avait fait de grandes pertes en
hommes et en chevaux, qu'elle n'avait plus de munitions et qu'il était dans
l'obligation de se retirer. Pour éviter un mouvement tournant que l'ennemi
aurait pu tenter par suite de cette retraite, le général de Chanzy, qui dans
cette journée a montré du coup d'œil et de la résolution, porta sa réserve en
avant dans la direction de Saint-Sigismond, en la faisant soutenir par le
reste de son artillerie de réserve. « Le
contre-amiral Jauréguiberry était parvenu à faire occuper le village de Champ
par un bataillon du 37e ; mais à peine arrivé, attaqué par de l'artillerie et
des colonnes d'infanterie qui entraient en ligne, ce bataillon dut abandonner
le village. L'énergique volonté de l'amiral parvint cependant a nous
maintenir dans nos positions jusqu'à quatre heures et demie, ou l'arrivée
d'une batterie de 12 réussit à maîtriser l'artillerie ennemie. «
Pendant ce laps de temps, le 37° de marche et le 33' de mobiles ont été grandement
éprouvés. « A
cinq heures, toutes les troupes de l'amiral Jauréguiberry se portèrent à la
fois en avant et s'emparèrent, au pas de charge, des villages de Champ et
d'Ormeteau. « Apres
la prise de ces villages, dont le dernier avait été soigneusement crénelé et
admirablement disposé pour la défense, l'ennemi, en pleine retraite, fut poursuivi,
tant qu'il fit clair, par le feu de notre artillerie. « En
résumé, dans la journée du 9, nous avons enlevé toutes les positions de
l'ennemi, qui, d'après l'aveu d'officiers bavarois faits prisonniers, doit
avoir subi des pertes considérables. Nous avons eu a lutter contre le 1er
corps d'armée bavarois assisté de cavalerie et d'artillerie prussiennes. « Cette
journée eut pour résultat d'obliger l'ennemi à évacuer non-seulement toutes
les positions retranchées qu'il occupait derrière la Mauve et dans les
environs d'Orléans, mais encore d'abandonner en toute hâte cette ville, pour
battre en retraite sur Artenay, par Saint-Peravy et Patay, en laissant entre nos
mains plus de 2.000 prisonniers sans compter tous les blessés. « La
pluie et la neige, qui étaient tombées toute la nuit et dans la journée du
lendemain et qui avaient détrempé les terres, rendirent impossible une
poursuite qui eut pu nous donner de plus grands résultats. Malgré ces
difficultés, une reconnaissance poussée jusqu'à Saint-Peravy s'empara de deux
pièces d'artillerie, d'un convoi de munitions et d'une centaine de
prisonniers, dont cinq officiers. « Le général
des Pallières, dont la marche sur Orléans avait été calculée sur une plus
longue résistance de l'ennemi, marcha, pendant quatorze heures, dans la
journée du 8, dans la direction du canon, et, malgré tous ses efforts, ses
têtes de colonne ne purent arriver à la nuit que jusqu'à Chevilly. « Nos
troupes d'infanterie de ligne et nos mobiles, qui voyaient le feu pour la
première fois, ont été admirables d'entrain, d'aplomb et de solidité. «
L'artillerie mérite de grands éloges, car, malgré des pertes sensibles, elle
a dirigé son feu et manœuvre, sous une grêle de projectiles, avec une
précision et une habileté remarquables. « Nos
pertes, dans cette journée, ont été d'environ 1.500 hommes tués ou blessés. « Le
colonel de Foulonge, du 31e de marche, a été tué. « Le
général de division Ressayre, commandant la cavalerie du 16e corps, a été
blessé par un éclat d'obus. « Je ne saurais trop vous dire, Monsieur le Ministre, combien j'ai eu à me louer de la vigueur que l'armée tout entière a montrée dans cette journée. Il serait trop long de citer tous les actes de courage et de dévouement qui me sont signalés. J'ai l'honneur de recommander à votre sollicitude les demandes de récompenses que je vous adresse, et qui sont justifiées par des faits d'armes accomplis dans cette circonstance. » |
[1]
Voir, pour tous les détails d'organisation administrative, l'ouvrage de M. de
Freycinet : La Guerre en province pendant le siège de Paris.
[2]
La première armée de la Loire, par le général d'Aurelles de Paladines,
p. 59.
[3]
Telle est la version donnée par M. de Freycinet dans son ouvrage, La Guerre
en province. Le général d'Aurelles de Paladines en donne une autre que
voici :
« Un jeune officier allemand, appartenant à une grande
famille, avait été tué quelques jours auparavant dans un engagement avec les troupes
de la brigade de cavalerie Tripart, et inhumé près de Mer. Le général qui
commandait à Orléans, M. de Tann, fit réclamer par un parlementaire la dépouille
de cet officier au général Tripart ; celui-ci, avec une courtoisie parfaite,
donna des ordres pour faire procéder a l'exhumation, et le corps fut remis à
l'envoyé de M. de Tann.
« Le général allemand fit porter par un de ses aides de
camp une lettre de remercîments au général Tripart. Dans cette lettre, il
disait que, voulant donner au général français une preuve de son estime, il
l'informait qu'une dépêche télégraphique de Versailles venait de lui annoncer
la capitulation de Metz ; que cette nouvelle était un secret pour l'armée
allemande et que l'armée française l'ignorait complétement.
« Un officier d'état-major avait été envoyé de Blois à
Mer pour les besoins du service ; il y apprit cette fatale nouvelle et vint eu
rendre compte aussitôt au général en chef. Le général Bord, son chef
d'état-major et M. Jalaguier, délégué du ministre de la guerre, étaient
précisément réunis chez lui. Tous furent atterrés de cette nouvelle ; mais
pensant qu'elle pouvait être fausse et donnée dans le but de réagir sur le moral
des troupes, il fut recommandé expressément de ne pas la propager. M. Jalaguier
partait pour Tours ; il ne manqua pas, en arrivant, d'annoncer qu'il avait
appris au quartier général la capitulation de Metz » (p. 68).
D'après ce récit, M. Thiers n'aurait donc appris la
nouvelle qu'à Orléans, où il vit le général de Tann.
[4]
Des personnes qui connaissaient imparfaitement le triste drame de Metz ayant
interprété cette proclamation comme une offense à l'armée, M. Gambetta en
publia une seconde ainsi conçue :
« Soldats !
« Vous avez été trahis, mais non déshonorés ! Depuis
trois mois, la fortune trompe voire héroïsme. Vous savez aujourd'hui à quels
désastres l'ineptie et la trahison peuvent conduire les plus vaillantes armées.
« Débarrassés de chefs indignes de vous et de la
France, êtes-vous prêts, sous la conduite de chefs qui méritent votre
confiance, à laver dans le sang des envahisseurs l'outrage infligé au vieux nom
français ?
« En avant ! vous ne lutterez plus pour l'intérêt ou
les caprices d'un despote : vous combattrez pour le salut même de la patrie,
pour vos foyers incendiés, pour vos familles outragées, pour la France, notre
mère à tous, livrée aux fureurs d'un implacable ennemi. Guerre sainte et
nationale, mission sublime, pour le succès de laquelle il faut, sans jamais
regarder en arrière, nous sacrifier tous et tout entiers !
« D'indignes citoyens ont osé dire que l'armée avait
été rendue solidaire de l'infamie de son chef. Honte à ces calomniateurs, qui,
fidèles au système des Bonapartes, cherchent à séparer l'armée du peuple, les
soldats de la République !
« Non ! non ! j'ai flétri, comme je le devais, la
trahison de Sedan et le crime de Metz, et je vous appelle à venger votre propre
honneur qui est celui de la France !
« Vos frères d'armes de l'armée du Rhin ont déjà
protesté contre ce lâche attentat, et retiré avec horreur leur main de cette
capitulation maudite.
« A vous de relever le drapeau de la France, qui, dans
l'espace de quatorze siècles, n'a jamais subi pareille flétrissure !
« Le dernier Bonaparte et ses séides pouvaient seuls
amonceler sur nous tant de honte en si peu de jours ! Vous nous ramènerez la
victoire ; mais sachez la mériter par la pratique des vertus républicaines, le
respect de la discipline, l'austérité de la vie, le mépris de la mort. Ayez
toujours présente l'image de la patrie en péril ; n'oubliez jamais que faiblir
devant l'ennemi à l'heure où nous sommes, c'est commettre un parricide et en
mériter le châtiment.
« Mais le temps dos défaillances est passe, c'est fini
des trahisons ! Les destinées du pays vous sont confiées, car vous êtes la
jeunesse française, l'espoir armé de la patrie : vous vaincrez ! et après avoir
rendu à la France son rang dans le monde, vous resterez les citoyens d'une
République paisible, libre et respectée.
« Vive la France !
« Vive la République !
« Le membre du
gouvernement, ministre de l'intérieur et de la guerre,
« Léon GAMBETTA.
[5]
Voir à la fin du chapitre le rapport du général d'Aurelles de Paladines sur la
bataille de Coulmiers.
[6]
Dans un ouvrage riche de documents et d'informations sur le séjour des
Prussiens à Versailles, nous lisons, à la date du 12 novembre :
« Des trains chargés de blessés allemands arrivaient
sans cesse à la gare des Chantiers. Los conducteurs français des chevaux qui traînaient
ces trains n'obtinrent pas, pondant plusieurs jours, la permission d'entrer en
ville : on craignait sans doute qu'ils ne donnassent des détails sur ce qu'ils
avaient vu ; mais peu à peu, comme toujours, la vente se répandit, mêlée, il
est vrai, à beaucoup d'erreurs ; il fut du moins certain que les Allemands
avaient dû évacuer Orléans. Pour la première fois ils reculaient.
« L'attitude des officiels avait sensiblement changé.
Ils ne caracolaient plus avec tant d'insolence sur les avenues. Les réjouissances
nocturnes de l'hôtel des Réservoirs avaient cessé ; à 9 heures tous les princes
étaient couches. Dans la ville : on voyait de tous côtés des préparatifs de
dopait plus ou moins avoues. La plupart des malles d'officiers étaient prêtes
et plusieurs d'entre eux firent leurs adieux a leurs hôtes. Chez, le roi
Guillaume et chez M. de Moltke les fourgons lurent chargés, comme au 21
octobre, de l'argenterie et des archives. »
(Versailles pendant l'occupation, recueil de
documents pour servir à l'histoire de l'invasion allemande, publie par E.
Delerot.)
[7]
Dans cette évaluation était compris le corps dont la formation s'achevait au
Mans.
[8]
L'opinion répandue en province assignait le 13 décembre comme limite dernière
de la résistance de Paris. M. Jules Favre avait écrit a Tours, la 26 novembre.
« Nous ne dépasserons pas cette date, si nous pouvons l'atteindre. » Il fallait
donc agir promptement.