Praslin avait été chargé, non surtout de courir après le Prince, mais plutôt de porter cette réclamation officielle aux Archiducs[1] qui gouvernaient les Pays-Bas. A mon frère l'Archiduc d'Autriche. — Mon frère, envoyant par delà le sieur de Praslin, capitaine de mes gardes pour le sujet qu'il vous dira, je vous prie de lui donner moyen d'exécuter mes commandements, et de me témoigner en cet endroit que vous affectionnez mon contentement. Je prie Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. — Ecrit à Paris 1609 le dernier jour de novembre. Exerçant tous deux une vice-royauté dans les Pays-Bas, avec un pouvoir très large, la coutume était de les appeler les Archiducs. Et encore cette lettre, toujours confiée à Praslin. A ma sœur et bonne nièce, l'infante d'Espagne, Archiduchesse. — Ma sœur et bonne nièce. — Vous entendrez du sieur de Praslin, capitaine de mes gardes, qui est porteur de la présente, l'assistance que je me promets que vous lui départirez en l'exécution de mes intentions, comme je vous en prie, étant chose qui regarde mon contentement, que j'attends de votre affection, et dont je me revengerai en tout ce que vous désirerez de votre frère et bien bon oncle Henri. Puis, tout son cœur déborde, trois ou quatre jours après il envoie le récit de cette fuite à de Vaucelas, ambassadeur en Espagne. Monsieur de Vaucelas. — Vous savez combien j'ai toujours aimé et chéri mon neveu le Prince de Condé ; quels ont été les honneurs que je lui ai départis et confiés et les singulières grâces et faveurs qu'il a reçues de moi depuis son enfance jusqu'à présent et, partant, quel est l'état que j'ai dû faire de son affection et obéissance ; et néanmoins je me trouve, à présent, trompé avec déplaisir, de mon espérance et des effets que je m'étais promis de sa gratitude, tant pour mon contentement particulier, que pour le bien et avantage public de mon royaume, auquel il a telle part et intérêt qu'il devrait en préférer le soin et avancement à toutes autres considérations ; de quoi je l'ai si souvent admonesté, faisant l'office de vrai père et bon maître en son endroit, que j'ai quelquefois reconnu que la peine que j'y ai employée avec grande diligence et affection était inutile et sans fruit ; et principalement depuis deux ans qu'il lui prit fantaisie de vouloir voyager hors de mon royaume ; de quoi il m'aurait fait et réitéré telles instances, que j'aurais été conseillé, voire contraint, de lui en refuser la permission, ouvertement, à cause de sa qualité et de la connaissance que j'avais de son inquiétude. Ce qui fut cause que je pris la résolution de le marier, afin de l'arrêter, joint que je m'apercevais que c'était chose qu'il prétendait faire de sa tête et volonté, en lieux peu sortables à sa condition. Mais, il n'a pas été plutôt marié, que le même désir de voyager et se tenir loin de moi l'a repris et maîtrisé avec plus d'inquiétude que devant, sans que mes raisons, remontrances et conseils aient pu le contenir et modérer, ni même les menaces que j'y ai quelquefois ajoutées de mon indignation et de la perte de ma bonne grâce. Toutefois, comme je me promettais toujours que le soin de son honneur et de sa Maison modéreraient avec l'âge son humeur impatiente, je temporisais aussi avec lui et supportais doucement tels défauts. Tellement que, la dernière fois qu'il vint ici, je le traitais fort favorablement. Aussi, promit-il à la Reine, ma femme, qu'il viendrait nous voir après qu'elle serait accouchée[2]. Mais, au lieu de le faire, dimanche dernier XXIX du mois passé, il partit de sa maison de Muret, qui est à six lieues par delà la ville de Soissons, accompagné de sa femme suivie de deux femmes et de sept ou huit chevaux ; prit le chemin des Pays-Bas sans m'en avoir averti ni donné congé, chemina toute la nuit en effroi et discorde, de façon qu'il arrivait à Landrecy à sept heures du matin par un très mauvais temps et pires chemins. Il trouva la ville fermée, logea aux faubourgs et entra en ville vers les dix heures du matin. Je fus averti, le soir du dimanche susdit qu'il partit, de son départ et dessein ; de quoi je fus, à bon droit, aussi scandalisé qu'indigné. A la même heure je dépêchai après lui, par un côté, l'exempt de mes gardes nommé La Chaussée, suivi d'un des archers d'icelle et, par l'autre, le chevalier du guet de cette ville, pour, s'ils le trouvaient et atteignaient en mon royaume, l'arrêter et le ramener ; et s'il était sorti d'icelui, le suivre et réclamer en tels lieux qu'ils le joindraient, et pour ce faire, avoir recours aux gouverneurs et magistrats d'iceux suivant mes lettres de commission. Je fis partir aussi, le lendemain, le sieur de Praslin, capitaine de mes gardes, pour aller trouver les Archiducs aux mêmes fins, et s'il était passé à Breda ou en places obéissantes aux États des Provinces-Unies, de recourir à iceux pour le même effet. Or, il est advenu que le dit Prince aurait été contraint par l'indisposition de sa femme et la lassitude de ses chevaux de séjourner un jour ou deux au dit Landrecie, ce qui donnait moyen et temps au dit exempt et au dit chevalier du guet de le trouver encore au dit lieu avec sa suite, où le dit exempt, qui y arriva le premier, lui fit commandement de ma part de retourner en mon royaume ; de quoi il fut fort surpris et néanmoins répondit qu'étant hors de mon dit royaume il n'était pas tenu d'obéir au mien commandement, et au reste, qu'il n'avait entrepris ce voyage sans biscuit, voulant dire, à mon avis, sans bonne sûreté de la part de ceux qui la lui pourraient donner où il était — et si j'entendais l'empêcher d'aller voir le Prince d'Orange, son beau-frère, à Bréda. A quoi le dit exempt ne répondit autre chose, sinon qu'il prendrait bon conseil de me contenter. Dont il fit peu de compte. Quoi voyant le dit exempt exhorta les dits magistrats de ne permettre qu'il sortît de la ville sans le commandement des dits Archiducs, vers lesquels il leur dit que j'avais envoyé le dit sieur de Praslin, étant si assuré de leur bonne amitié qu'il espérait qu'ils accorderaient que le dit sieur de Praslin pût ramener en mon royaume le dit Prince et sa suite. Quoi entendu le dit Prince, il dépêcha, la même heure, Rochefort aux Archiducs, qui étaient encore à Marimont, qui fut accompagné du Major de la ville ; et le dit exempt prit conseil aussi de faire le même voyage pour représenter[3] aux dits Archiducs sa commission et mes intentions... De Charlotte Henri IV, au cœur encombré par cet amour, pouvait dire comme le berger de Virgile songeant à sa bergère : Te veniente die te decedente canebam ! A l'arrivée du jour, à son déclin, je te chantais. C'est le 30 novembre que le Prince atteignait le territoire des Pays-Bas : à Landrecies la première petite ville espagnole de la frontière. Il pleuvait toujours, les fugitifs étaient plus qu'exténués[4]. A peine depuis le départ de Muret, s'étaient-ils reposés quelques instants. Force avait été, à cause des chemins difficiles, dangereux même, d'abandonner en route le carrosse, et la Princesse avait dû passer quinze heures en croupe sur le cheval de Rochefort ; il ne lui était plus possible, mouillée jusqu'aux os, vaincue par la fatigue, d'aller plus loin. D'ailleurs le Prince avait tout lieu de croire qu'à Landrecies il était en parfaite sécurité. La Chaussée, l'envoyé du Roi, attendait et bientôt après arrivaient le chevalier du guet, Balagny, des cavaliers et quelques archers. Leur mission était d'arrêter Condé et sa femme, pour les ramener à Paris. Le gouverneur de Landrecies était absent. La Chaussée alors montra l'ordre royal aux magistrats de la ville qui furent très perplexes. Résisteraient-ils au Roi de France, ce monarque singulièrement puissant et qui paraissait tenir au delà du possible à cette arrestation ? Livreraient-ils, alors, les fugitifs ? Ne les livreraient-ils point ? En quel embarras tel ou tel de leur acte ne mettrait-il pas les Archiducs ? Hésitants, les magistrats leur écrivirent, laissant à Condé ainsi qu'à Charlotte toute liberté de quitter la ville, pensant qu'un heureux départ simplifierait toutes choses. Ils permirent toutefois à Rochefort, gentilhomme du Prince, de se rendre auprès de Leurs Altesses avec mission de porter cette lettre dans laquelle, en ces termes, Henri II demandait aide et protection. LE PRINCE DE CONDÉ AUX ARCHIDUCS. — Landrecies, le 1er décembre 1609. — Messeigneurs : aiant dessaim d'envoïer ma femme vers Madame ma sœur la princesse d'Orange et moy d'aller trouver Vos Altesses, pour des raisons que je les supplie très humblement vouloir ouïr de ma bouche, j'ai despéché ce gentilhomme exprès pour suplier très humblement Vos Altesses vouloir me donner seureté en vos terres et permission de vous aller béser les mains. Si vous ne m'accordés cette grâce, il y va de mon honneur et de ma vie, mais l'assurance que j'ay que Vos Altesses ne refuseront refuge aux affligés m'a fait entreprendre ce chemin. Croïès, Messeigneurs, que vous n'obligerès un ingrat, qui aura avec la grace de Dieu, moïen de vous rendre du service, vous suppliant très humblement me tenir à jamais, rviesseigneurs, Vostre très humble et très obéissant serviteur : HENRY DE BOURBON, Prince de Condé. La nouvelle que Condé venait d'arriver dans les Pays-Bas avait désagréablement surpris les Archiducs. Ils étaient alors en leur charmante maison de plaisance, à Marimont, dans le Hainaut. Fort ennuyés ils ne voulurent point recevoir Rochefort et, alors, la lettre qu'il leur apportait. Trois jours se passèrent en courses, en négociations. Il fallait, toutefois, d'autant plus se résoudre que Praslin, arrivé à Bruxelles, exigeait une solution. Rochefort et sa lettre furent envoyés au duc d'Harshat, gouverneur de la Province, qui, redoutant de prendre une décision aussi grave, refusait, également, de donner audience à Rochefort et, par suite, de connaître sa lettre. Enfin il y eut une transaction. Charlotte de Montmorency viendrait à Bruxelles, auprès de la Princesse d'Orange, sa belle-sœur, et son mari partirait des Pays-Bas. La petite cour de Bruxelles témoignait ainsi du désir qu'elle avait de plaire au Roi de France, tout en faisant respecter le droit des gens. Aussitôt cette décision connue, Henri II, dès le matin, montait à cheval, et par Liège, Aix-la-Chapelle et Juliers, allait à Cologne où il arrivait le 8 décembre, se mettant sous la protection des vieilles libertés germaniques. Quatre jours après Charlotte, avec une faible escorte, quittait Landrecies et, le soir même, était à Bruxelles, à l'hôtel du Prince d'Orange. Les Archiducs étaient toujours à Marimont, le Prince et la Princesse d'Orange à Breda, si bien que leur palais était désert. Et Virey craignit fort une tentative que, s'imaginait-il, pourrait faire Praslin, pour enlever la jeune femme et la ramener au Roi Henri, qui l'attendait plus qu'impatiemment. Mais Praslin n'était ni décidé, ni préparé, surtout, à ce coup de force si délicat. Il voulait avoir l'assentiment du Prince d'Orange. Aussi se déterminait-il à partir pour Bréda. Dans sa tentative il échouait, d'autant plus que si Philippe de Nassau, prince d'Orange, s'était montré plus qu'irrésolu, sa femme Éléonore de Bourbon, sœur aînée de Condé, très énergique, très dévouée à son frère, dont, alors, elle soutenait, de toutes ses forces, la conduite, avait fait comprendre à Praslin qu'il devait, considérant sa mission comme terminée et absolument infructueuse, regagner Paris par les voies les plus rapides. Et c'est ce que Praslin estima très prudent de faire[5]. En l'absence du Prince d'Orange, son maître d'hôtel et Kerremans, son secrétaire, se mirent aux ordres de Charlotte. Avertie de son arrivée, la femme de notre ambassadeur, Mme de Berny accourut tout aussitôt la voir et, dès ce jour, devint sa compagne presque inséparable. Puis M. de Berny écrivait au roi : Sire, nous fûmes, hier, toute l'après-dînée avec Madame la Princesse pour lui faire compagnie à prendre l'air dans mon carrosse comme elle n'était pas encore sortie de son logis et ne désirait être vue. Mais Kerremans et le maître d'hôtel du Prince d'Orange, qui la couvent des yeux, nous suivirent incontinent ; ils empêchent que ma femme y soit si souvent ; mais cela ne la retiendra pas, puisque je sais que Madame l'a très agréable et que nous ne manquons de lui porter toutes sortes de petits régalements que nous voyons qui lui plaisent. La rusée coquette fit bientôt perdre la tête à tous les jeunes gentilshommes de la Cour bruxelloise ; son salon ne désemplissait pas ; à ce point que ses deux gardiens pensèrent prudent d'y mettre bon ordre[6]. Ces deux hommes, écrit encore Berny, ont moyenné que l'Archiduc faisait dire à ceux de la Cour qu'on ne l'allât point tant visiter. Ils la voudraient tenir enfermée dans une boîte et que personne ne la vît ni ne lui parlât qu'eux[7]... Est-il nécessaire de dire que Henri IV accueillait Praslin très froidement. Alors on s'avisait de faire écrire par le père de Charlotte, et, aussi au nom de sa tante, une lettre que porterait aux Archiducs le sieur des Préaux, gentilhomme. A Leurs Altesses Sérénissimes — était-il
écrit dans cette lettre — Diane, fille légitimée de France, tante de Madame
la Princesse de Condé, et le duc de Montmorency, Pair et Connétable de
France, son père, remontrent humblement à Vos Altesses que la dite dame
Princesse de Condé s'est plainte à eux plusieurs fois par lettres et propos
qu'elle tenait à personnes de qualités et à d'autres leurs serviteurs, pour
leur rapporter des outrages, indignités et mauvais traitements qu'elle a reçu
de Monsieur le Prince de Condé, son mari, pendant qu'ils étaient ensemble et
qu'elle désirait leur représenter sur ce sujet des particularités qu'elle
n'ose commettre à des lettres[8] et moins encore
déclarer à qui que ce soit, sinon à eux, à qui elle estime ne devoir rien
celer ; et desquels elle se promet aussi recevoir les conseils qu'une fille
et nièce qui leur a toutjours été très obéissante doit attendre de leur piété
et charité, les priant à cette occasion les retirer du lieu où elle est pour
la tenir près d'eux ; sur laquelle plainte réitérée à diverses fois ils
auraient été induits d'envoyer Vos Altesses pour la supplier de permettre à
la dite dame Princesse de les venir trouver, attendu qu'à cause de leur
indisposition et ancien âge, ils ne se pouvaient transporter vers elle pour
lui rendre ce devoir d'amitié ; ayant toujours cru qu'ils ne seraient
éconduits de cette demande trouvée juste par tous leurs parents, agents de
conseil auxquels ils en ont communiqué, néanmoins Vos Altesses en auraient
fait refus, dont la dite dame Princesse de Condé, avertie, aurait derechef eu
recours à eux avec pleurs et gémissements pour les prier de répéter et
continuer encore la même supplication avec si furieuse insistance qu'elle ne
soit plus retenue où elle est contre son gré, et par ce moyen, empêcher de
suivre en toute liberté la séparation à laquelle elle veut tendre, en y employant
les remèdes que les lois et la justice lui permettent, par l'avis et avec
l'assistance de ceux qui lui appartiennent ; au moyen de quoi ceux qui
l'aiment chèrement et compatissent en son affliction supplient humblement Vos
Altesses, par cette requête signée de leurs mains et qui leur sera présentée
par le sieur des Préaux, gentilhomme exprès, leur accorder cette juste
demande après tant d'insistance qu'ils en ont fait sans leur donner sujet de
se plaindre et d'avoir recours à la protection de leur Roi, pour obtenir par
son moyen ce qu'ils estiment ne leur pouvoir être justement dénié[9]. Puis ce fut M. de Montmorency-Boutteville qu'Henri IV dépêchait lui-même à Bruxelles. — Venez-vous donc chercher la Princesse ? lui demanda très sèchement l'Archiduc. — Nullement, répondit l'ambassadeur, je suis envoyé par son père et par sa tante pour la consoler. Le connétable supplie Votre Altesse de vouloir bien la garder auprès d'elle et de ne pas souffrir qu'elle aille à l'aventure courir le monde[10]. Il compte même sur votre intervention bienveillante à l'effet de ménager une réconciliation entre le Roi et le Prince ; dans ce but il vous prie de lui envoyer un sauf-conduit et de le faire venir dans vos États, afin qu'il soit plus facile de parvenir à bonne entente. Ce langage modéré faisait impression excellente. L'Archiduc, alors, ne demanda pas mieux que d'entrer dans une voie de conciliation. Il n'avait pas, jusqu'à cette heure, étant revenu à Bruxelles, voulu visiter la Princesse ou la recevoir en son palais. Il la fit prévenir qu'il l'attendait. — Madame, lui dit l'Infante, en l'accueillant, je ne puis que vous approuver, une femme doit toujours suivre son mari. Le lendemain l'Archiduc lui rendait sa visite à l'hôtel de Nassau. Charlotte de Montmorency le recevait au bas de l'escalier, qu'il montait, le chapeau à la main. Ils demeurèrent deux heures ensemble, l'Archiduc les yeux fixés à terre sans oser regarder la Princesse. Comme elle le reconduisait, ils traversèrent les salles où étaient appendus de nombreux portraits des grandes dames du XVIe siècle ; des portraits de famille. — Autrefois, dit-il galamment, on les tenait pour belles ; mais aujourd'hui pourrait-on parler d'une autre beauté que la vôtre ? En son intime pensée ne donnait-il pas, ainsi, raison à Henri IV : Omnia vincit amor et nos cedamus amori, écrivait Virgile : Puisque l'amour a vaincu toutes choses, cédons nous aussi à l'amour. Berny, l'ambassadeur de France, n'aurait pas voulu que Condé vînt à Bruxelles ; il eût préféré qu'il ne dépassât pas Louvain, où M. de Montmorency-Boutteville serait allé négocier avec lui. — Trop tard, répliquait l'Archiduc, j'ai donné le sauf-conduit que demande le Roi de France, étant fort aisé de lui être agréable et le Prince arrivera bientôt à Bruxelles. C'est le 2 décembre 1609 qu'il y arrivait. On lui rendit tous les honneurs que prescrit l'étiquette espagnole. Les Archiducs le recevaient avec grands égards, sa sœur et son beau-frère avec affection, sa femme plus que froidement, ils ne s'étaient jamais, d'ailleurs, témoigné tendresse excessive. Henri IV, nous le savons, les avait fiancés par force et c'est par devoir qu'ils s'étaient mariés. Condé n'était pas d'humeur aimable ; en outre, il était jaloux et si la Princesse n'avait rien fait pour absolument encourager la passion du Roi, du moins est-il possible de croire qu'elle n'était pas insensible aux hommages d'un si grand Prince. Longtemps après, dans sa vieillesse, retirée à Chantilly, pendant la captivité de son fils le grand Condé, elle évoquait non sans émotion et orgueil, ce souvenir. Lorsqu'il lui fallut quitter Muret elle ne put retenir ses larmes et, depuis son arrivée à Bruxelles elle était d'une tristesse que ses premières communications avec sa famille n'étaient point de nature à chasser[11]. L'arrivée du mari à Bruxelles inquiéta fort l'amoureux qu'était Henri IV, plus forcené-ment que jamais. A tout prendre, Coude n'eût pas demandé mieux que de revenir en France, mais il voulait, entre autres choses, comme garanties, une place sur la frontière pour être sans doute plus prêt à fuite nouvelle. Si je n'avais pas de femme, disait-il, j'irais me jeter au cou du Roi ; mais son amour persistant toujours, je me garderai bien de ne pas rester en pays étranger. Je me porterai plutôt à toutes sortes d'extrémités ; j'irai, s'il le faut, en Espagne. Tant que j'aurai ma femme, il ne m'est pas possible d'agir autrement. Ce qu'ayant su Henri IV riposta : Jamais je ne lui pardonnerai, tant qu'il ne voudra pas rentrer en France. Et à son ambassadeur de Berny il écrivait encore : Je désire que vous donniez charge à votre femme de voir souvent la Princesse et l'assurer que vous avez parole de moi de l'assister et lui bailler tout ce dont elle aura besoin ; mais surtout que ce soit de façon que ni le Prince ni pas une de ses femmes n'en sache rien[12]. Mais nous ne pouvons nous attarder au récit méticuleux de toutes ces intrigues qui virevoltaient autour de Condé et de sa femme[13]. Disons pour couper au court, que Henri IV, voulant avoir Charlotte à toute force, résolut de la faire enlever. Et c'est ici que la comédie avoisine le tragique. Un enlèvement comme dans un de nos drames modernes ! Aussi bien la Princesse qui s'ennuyait à Bruxelles ne voyait pas de mauvais cœur cet enlèvement qu'eussent favorisé toutes les dames de son entourage. Spinola[14] fut averti et ne demanda pas mieux que de s'engager dans l'affaire ; d'autant plus qu'il était, sans que l'on s'en doutât, devenu subitement amoureux de la femme si fort désirable de Henri II. Qui sait ? Qu'adviendrait-il, pour lui, de l'aventure ? Henri IV, bavard comme tous les amoureux, avait parlé de son projet, et le comble, vraiment, c'est qu'il l'avait naïvement avoué à sa femme Marie de Médicis, laquelle avait fait prévenir Condé de surtout se méfier le plus qu'il pourrait. Henri IV envoyait de Cœuvres[15] à Bruxelles. Il avait mission officielle de négocier avec Condé, mais cette mission officielle n'avait d'autre objet que cette autre très secrète enlever la Princesse. On croyait être assuré à Paris — ici nous suivons, jusqu'au départ de Condé[16] pour Milan, la version que donne le duc d'Aumale — on croyait être assuré à Paris que Charlotte ; nous venons de le dire, ferait peu de résistance. Les intrigues de tout genre qui avaient pour objet de la détacher de plus en plu s de son mari avaient continué. Mme de Berny, éloignée par la vigilance du Prince, ne pouvait plus guère visiter la Princesse ; mais les deux femmes qui ne l'avaient point quittée depuis le départ de Muret étaient gagnées. Girard, un secrétaire du Connétable, allait et venait sans cesse entre Paris, Chantilly et Bruxelles, portant des lettres, des avis, des instructions. Le Roi était l'âme de ces manœuvres. Toute la famille de Charlotte en était complice. Celle-ci se fatiguait chaque jour davantage de la triste vie qu'elle menait à Bruxelles, où aucun plaisir, aucune distraction ne venaient rompre la monotonie d'une étroite surveillance, Isolée, séparée des siens, de sa tante Madame d'Angoulême qui avait été pour elle comme une seconde mère et dont elle reconnaissait les soins par une tendre affection, elle regrettait sa patrie, sa famille, le beau séjour de Chantilly, et cette brillante Cour de France où elle n'avait paru qu'un moment. Elle hésitait encore, retenue par les liens du devoir et de l'honneur mais déjà ébranlée et assez disposée à se laisser forcer la main. Donc une lettre de Paris mettait en éveil les serviteurs de Monsieur le Prince ; sur une indication donnée par de Thou, avec tous les ménagements que lui commandaient sa position et son caractère, Harlay de Beaumont écrivit à Virey qu'un pèlerinage projeté aux environs de Bruxelles, pour la Chandeleur, devait servir d'occasion à l'enlèvement. Le pèlerinage fut contremandé, et Virey redoubla de vigilance. Son cœur était cependant rempli d'inquiétude et de tristesse. On lui avait dit que sa femme avait été arrêtée, conduite à la Conciergerie, et confondue avec des filles de mauvaise vie. On ajoutait aussi que son fils, âgé de neuf ans, avait été jeté en prison. On trouvait ainsi moyen d'aggraver la conduite déjà fort dure et injuste du Roi. La femme de Virey n'avait pas été menée à la Conciergerie mais laissée d'abord en garde au grand Prévôt de l'Hôtel, puis envoyée à Châlons chez son père, qui dut répondre d'elle. Son fils avait été remis à l'un de ses amis, Dollé, qui s'était chargé de le garder chez lui. Ces rigueurs ne faisaient que redoubler l'activité de l'honnête et courageux secrétaire. Il épiait avec soin les démarches de Girard et se tenait aux aguets. Bientôt un de ses agents, qu'il avait recruté pour l'assister, de Vallobre, gentilhomme avignonnais fixé à Bruxelles, ancien page du Connétable, véritable coupe-jarret qui avait dû quitter la France pour se soustraire à des poursuites judiciaires, l'informa que le marquis de Cœuvres venait de le prendre à son service. Les renseignements que le marquis lui avait demandés sur la région, sur la ville, les instructions qu'il lui avait données ne permettaient point de douter qu'un coup de main se préparât. Virey avertissait Spinola qui lui conseillait de s'engager plus avant avec de Cœuvres. On apprit alors qu'un trou devait être percé dans les murailles de Bruxelles ; qu'on enrôlait des hommes ; qu'on cherchait des chevaux et que des intelligences avaient été pratiquées jusque dans la garde des Archiducs. Vardes, gouverneur de- la Capelle, venait d'arriver. Il était appelé, affirmait-il, par des affaires particulières ; mais on tenait comme certain que sa mission était de conduire la Princesse dans son gouvernement. Le péril devenait sérieux et prochain. Il fallait prévenir l'Archiduc. Quant à Condé, afin d'éviter un éclat, on ne lui faisait qu'une demi-révélation ; bien que de France on l'eût avisé déjà de se méfier. On voulait l'amener surtout à demander que sa femme habitât le palais archiducal ; ce qui, d'ailleurs, fut accordé très facilement. C'était déranger toutes les combinaisons préparées par l'ambassadeur de France. Mais quels prétextes pour s'opposer à ce changement d'habitation ? Alors, il imaginait ceci : Les femmes de la Princesse étaient à sa discrétion. Elles insinuèrent à leur maîtresse l'idée de demander à Spinola, le galant marquis ne pouvait refuser, de lui donner les violons, c'est-à-dire, d'après le langage courant, un bal, et ce bal dans le lieu même qu'elle habitait. Un assez appréciable délai serait évidemment nécessaire pour organiser cette fête ; force donc de prolonger d'autant le séjour de la Princesse à l'hôtel d'Orange ; car pareils divertissements n'étaient point permis — de par l'étiquette en usage — dans le palais archiducal. Le piège fut éventé par Spinola, qui refusait. De Cœuvres n'avait donc plus qu'à brusquer l'entreprise. Le 14 février — nous sommes en 1610 — était le jour convenu pour l'entrée de la Princesse au palais. C'est alors que, pour l'enlever dans la nuit du treize au quatorze, il prenait ses dispositions. Spinola, quelques heures auparavant, en fut informe. Cette fois il fallait bien tout dire à Condé, qui, bien que sur le qui-vive, ne put maîtriser son émotion. Non content de réclamer une garde à l'Archiduc, il remplissait le palais de ses plaintes. Puis il courut par la ville, implorant l'assistance de tous ceux qu'il rencontrait. Le Prince d'Orange, non moins exaspéré, convoquait, en armes, tous ses amis, voulant tout prendre et tout tuer. La nuit commençait. Les gens de guerre s'appelaient à haute voix ; des piquets de cavalerie, que des torches précédaient, parcouraient tout Bruxelles d'un point à l'autre. Autour de l'hôtel d'Orange, on postait des soldats ; on allumait des feux. Toute la ville était en émoi. On assurait même que le Roi de France était aux portes. Le marquis de Cœuvres caché dans la chambre de la Princesse, n'eut que le temps de se sauver. Mais comme on n'avait pu saisir aucune preuve de la tentative qu'il avait préparée, il nia. Certes, il était homme à faire bonne contenance ; et même, pour mieux prendre le taureau par les cornes, il se plaignit de l'affront qui, la veille, avait été fait au Roi, son maître. Avec une modération très grande l'Archiduc répondait qu'il n'avait pu refuser une garde à Condé, qui la lui avait demandée. Puis, du palais archiducal, de Cœuvres courait à l'hôtel d'Orange. Ayant annoncé au Prince qu'il le déclarait coupable de lèse-majesté, s'il ne se soumettait au Roi, il partait, lui laissant un procès-verbal de cette sommation. Le Prince prit aussitôt la plume pour répondre, affirmant qu'il obéirait aux ordres du Roi, ainsi qu'il l'avait toujours dit et le disait encore, dès qu'on lui donnerait les sûretés dont il avait besoin pour son honneur ; ajoutant qu'il était incapable de jamais rien entreprendre contre le service de Sa Majesté. Cette déclaration fut rédigée dans la forme authentique par Michel Nourisseur, notaire et tabellion qui Fallait porter à de Cœuvres, sans plus tarder. De Cœuvres la prenait, négligemment, puis la lisait. Et l'ayant lue, il courait vite après le notaire pour la lui rendre et le forcer, l'épée à la main, à reprendre son papier. A la suite de cette scène Condé craignit, ou feignit de craindre que le séjour de Bruxelles ne lui offrît plus sécurité suffisante ; qu'il y fût trop exposé aux conséquences de la colère qu'il pouvait redouter du Roi ; et non sans raison. Aussi bien cette évasion manquée le rendait-il tant soit peu ridicule. Il se décidait donc à quitter Bruxelles, laissant la Princesse sous la garde des Archiducs qui lui jurèrent qu'elle ne quitterait point leur palais sans qu'il y eût consenti. Ce départ bien arrêté, restait à choisir le lieu de la nouvelle retraite. Condé choisissait Milan, où le duc de Fuentes était gouverneur pour le Roi d'Espagne et il fut convenu que le voyage se ferait le plus secrètement possible. Seuls, outre les Archiducs et peut-être Charlotte, furent dans la confidence Spinola et le comte d'Anovar, que le roi d'Espagne avait accrédité auprès de Condé. Le 21 février[17] il partait de Bruxelles avec ses trois compagnons habillés comme lui, à la Walorme. Une neige abondante se refermait sur les pas des chevaux, favorisait la fuite. Le voyage fut long, pénible ; le froid était dur, les gîtes mauvais. Personne n'avait reconnu le fugitif sauf, par hasard, un négociant hollandais que Virey, parce qu'il ne croyait pas à la discrétion, voulut jeter dans un précipice ; toutefois il ne l'y jeta point. Le 30 mars, le Prince entrait dans le château de Milan, où l'éclat et la solennité de l'accueil furent évidemment calculés. De Cœuvres était revenu fort quinaud à Paris. Le Roi le malmena plus que de raison. C'est, écrivait Malherbe à Peiresc, c'est la coutume d'attribuer les mauvais événements des affaires à ceux qui les ont négociées. Quelques jours après le départ de Condé, M. de Berny, qui n'avait pas encore eu l'occasion de revoir la Princesse, la rencontrait par hasard au pèlerinage de Notre-Dame-du-Lac, où l'Infante l'avait menée. Il la trouva souriante. — Le bruit court, Madame, lui dit-il, que vous vous plaisez fort dans votre paradis — elle habitait tout en haut du palais archiducal — que si, maintenant, on vous offrait de revenir en France, vous vous y refuseriez. Ceux qui disent cela — se trompent, répondit-elle, je cherche seulement à me distraire, avec mes femmes qui me sont toutes attachées et toutes m'aiment. — La Princesse, reprit alors l'Infante, sait très bien l'espagnol et le pourrait parler si elle le voulait. — Je crains alors, répondait Berny, qu'elle n'oublie totalement le français. — Rassurez-vous, répliqua la Princesse, je m'en garderai bien. — L'Infante sourit de la réponse et Berny se retira sans ajouter un mot[18]. Nous n'insisterons plus sur toutes les nouvelles tentatives — alors que Condé était à Milan — faites par Henri pour que sa Charlotte revînt en France et aussi sur les tentatives qu'il faisait faire par le Connétable. Les Archiducs, loyalement, n'eurent jamais l'intention, leur parole étant formelle, d'insinuer à Charlotte de revenir en France, mais, en réalité, fort perplexes, n'ignorant point que Henri IV était sur le point de déclarer la guerre à l'Espagne, ils écrivirent à Condé pour lui offrir de lui renvoyer sa femme. Et la lettre n'était pas des plus aimables. Il faut dire que la mort du Roi survenant, cette lettre ne fut pas envoyée. Ayant considéré — mandait-elle au Prince — le peu d'affection que la Princesse découvre envers vous, à ce point que depuis votre partement, il n'y a jamais eu moyen de lui faire recevoir ni lire seulement aucune lettre venant de vous ; ce qu'ayant considéré et le dégoût, ennui et déplaisir que la Princesse découvre journellement de plus en plus, de se voir retenue chez nous, nous avons été occasionnés de vous en donner compte, afin qu'y avisiez sérieusement et à donner aussitôt réponse et quelque sorte de satisfaction sur la réquisition du Connétable[19]. |
[1] L'archiduc Albert, qui gouvernait les Pays-Bas, avait épousé Claire-Eugénie, fille de Philippe II, roi d'Espagne.
[2] De l'enfant qui fut Louis XIII. La Reine, pour se trouver mieux consolidée, et plus forte contre les maîtresses du Roi, désirait beaucoup que son sacre eût lieu avant les couches. — Le Roi poussa la naïveté amoureuse jusqu'à prier sa femme de vouloir bien intervenir auprès des Archiducs qui auraient prié la princesse de revenir à Paris — fût-ce seulement une semaine — pour embellir son couronnement. Me prenez vous pour une rouffiane ? répondit-elle en son jargon italien. L'amour-propre de la femme légitime était d'autant plus surexcité qu'elle était quasi seule de son parti alors que toute la cour intriguait et se démenait pour le Roi dont l'amour était, d'après l'énergique expression du cardinal Bentivoglio, comme un sortilège que l'on aurait jeté sur lui. Cf. p. 97, JÉRÔME et JEAN THARAUD, op. cit., la Tragédie de Ravaillac.
L'Histoire nous représente Marie de Médicis de façon très désavantageuse. Pour Henri IV, ce mariage était une affaire d'argent. Il devait la forte somme aux Médicis, et voilà qu'il épousait la grosse banquière. D'ailleurs, sur la dot fut compris le remboursement de la dette pour la moitié. Avant son mariage Marie, de figure commune, était fraîche, éclatante de santé, imposante, mais sans charme. Cet imposteur de Rubens fut pour elle un peintre trop complaisant. A vingt-sept ans, sa fraîcheur se change en couperose, ses formes rondes en obésité. Elle a la mâchoire épaisse, le front bas, l'aspect lourd. Intellectuellement, c'est une femme d'une épaisse sottise, une balourde, une vaniteuse sans orgueil véritable, une sotte majestueuse montrant à chaque instant une morgue ridicule, une mère sans tendresse. Henri IV ne prit jamais au sérieux son couronnement. Pendant toute la cérémonie dans la basilique de Saint-Denis, il affecta d'être plus gai que de coutume et lorsque la reine sortit de l'église il l'avait devancée, pour, en manière de moquerie, lui jeter au passage quelques gouttes d'eau.
[3] Ces trois lettres dans op. cit., pp. 807-810. Lettres Missives.
[4] Il (le Prince) avait dû, en route, coucher dans un moulin, où il n'y avait ni commodité, ni vivres, ni lit, ni feu ? La Princesse était tellement fatiguée que, sans y penser, elle mangeait avec ses gants, lesquels étaient, d'ailleurs, tellement mouillés, qu'elle ne pouvait les retirer sans s'écorcher les mains... L'ESTOILE, II, 547, op. cit., éd. Michaud.
[5] A propos de ce voyage, l'ambassadeur, M. de Rémy, écrivait : M. de Praslin est un bon seigneur, peu pratique de négociation. Il est bien vrai qu'il est assisté de trois conseillers qui tous s'en veulent faire croire avec divers avis, sinon qu'il faut parler bien haut pour faire peur. Je perds mon nord en la conduite de cette affaire, de laquelle ils disent tous que je ne sais pas le secret ; en un mot, ils eussent été plus propres, s'il eût fallu tenir des couteaux. Ma femme est depuis dix heures du matin avec cette belle princesse logée chez le Prince d'Orange. Il me trompera bien si M. de Praslin fait davantage en Hollande qu'ici, ayant sujet de croire que la longueur de ces gens-là donnera tout loisir au Prince de faire retraite...
[6] On la trouvait charmante. Tous ces gens de Bruxelles, gourde pâte flamande ou furieux tempéraments espagnols, brûlaient à cette grâce de Française et d'enfant. THARAUD, la Tragédie de Ravaillac. Émile Paul, Paris, p. 81, op. cit.
[7] Ces deux lettres dans Bibl. Nat., fonds français, 16129, p. 83.
Henri IV, lui, écrivait à M. de Remy, son ambassadeur à Bruxelles : Renseignez-moi amplement de toutes choses de ce qu'on dit d'elle, et qu'on la trouve.
[8] Faut-il faire remarquer qu'imaginaires sont ces griefs ? Sans doute, écrit MERKI (op. cit., p. 253, la Marquise de Verneuil), le prince, par lui-même, n'inspirait qu'un intérêt médiocre ; son infortune était plutôt ordinaire et la beauté de sa femme disposait chacun à l'indulgence envers le roi... Mais, pourtant, les Espagnols ne pouvaient admettre qu'un exilé français de son rang ne trouvât point de refuge sur es terres du roi catholique, alors surtout qu'en France les criminels politiques d'Espagne étaient favorablement accueillis et même protégés.
[9] Reproduite par duc D'AUMALE, Histoire des Princes de Condé, op. cit., Appendice, 535-536.
Le Connétable, à Paris, affectait de réclamer sa fille pour qu'elle revînt être la consolation, l'appui de sa vieillesse, et bien que de nature assez peu tendre ou sentimental, il s'apitoyait volontiers, mais ostensiblement, sur les malheurs de Charlotte.
[10] Ils la voulaient tenir enfermée dans une boîte ni que personne ne la vît et ne leur parlât qu'eux... Lettre de Berny.
[11] Duc D'AUMALE, Histoire des Princes de Condé, op. cit., p. 284. — Cf. DE LA FERRIÈRE, Henri IV, op. cit., pp. 270-273 ; — MERKI, la Marquise de Verneuil, op. cit., pp. 239-241 ; — JÉRÔME et JEAN THARAUD, op. cit., la Tragédie de Ravaillac, pp. 86-87, qui disent : On ne voyait dans Bruxelles que des cavaliers français. Les auberges retentissaient de leurs disputes et de leurs fanfaronnades. Monsieur le Prince ne se promenait plus qu'un pistolet à la ceinture, car le bruit s'était répandu que le Roi avait payé tous ces cavaliers pour le tuer. Il était d'esprit fantasque et d'humeur voyageuse. Déjà les Pays-Bas lui semblaient trop peu sûrs de nouveau, il songeait à fuir, à allonger les lieues qui le séparaient du Louvre, et ses regards, maintenant, se tournaient vers l'Espagne ou le Milanais.
[12] Lettres Missives, op. cit.
[13] Aussi bien, tournerions-nous toujours dans le même cercle : intrigues et lettres du Roi pour que Charlotte soit soustraite à son mari, surveillance du mari pour que sa femme soit soustraite au Roi, lassitude de Charlotte et, peut-être enfin, son indécision entre l'époux et l'amant ; puis les archiducs qu'amuse, au fond, cette pièce héroï-comique non, toutefois, sans qu'une pointe d'inquiétude ; car nous verrons, bientôt, qu'ils écrivent à Condé pour lui offrir de renvoyer sa femme.
[14] Né à Gênes (1571-1630), d'une des plus illustres familles génoises : tour à tour commerçant, littérateur, mathématicien ; puis général, équipant à sa solde 10.000 soldats, qu'il conduit dans les Flandres ; commande l'armée de Philippe III, assiège et prend Ostende (1601). Au commencement de la guerre de Trente ans soutient la cause de Ferdinand II et, alors, s'empare du Palatinat, s'empare de Juliers (1622), de Bréda (1625), mais ne peut prendre Casai et meurt dans un château voisin de cette ville. Homme de guerre supérieur. L'un des plus célèbres aventuriers que l'histoire connaisse, mais aventurier de large envergure.
[15] François-Annibal, duc d'Estrées (1573-1670), était frère de Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort. S'appela marquis de Cœuvres, lorsqu'il quittait l'épiscopat, étant évêque de Noyon. Envoyé par Richelieu pour restituer la Valteline aux Grisons. En 1626, maréchal de France. De 1639 à 1642 ambassadeur à Rome. Était, à l'avènement de Louis XIV, gouverneur de l'Ile de France. Écrivit la Relation du siège de Mantoue qu'il soutenait en 1629 et a laissé des Mémoires.
[16] Duc D'AUMALE, Histoire des Princes de Condé, op. cit., II, pp. 296-302.
[17] Au moment même où Condé partait de Bruxelles pour Milan, Henri IV écrivait à Preaux.
Preaux ; j'écris à mon bel ange ; faites-lui tenir ma lettre si vous pouvez. Puisque Girard et notre hôtesse y vont, il peuvait m'obliger en cela de les bailler, tous autres moyens m'étant interdits. Priez-en l'une de ma part et le commandez à l'autre. Renvoyez-moi celles que je lui ai écrites et qu'on ne lui a baillées. Je crois que le partement de notre fou suivra de près celui du marquis, alors vous pourrez juger des intentions des Archiducs. Les père et tante ont parlé à Pécus : ils me donnent bien de a peine, car ils sont froids plus que la saison, mais mon fou les dégèle dès que j'en approche. Mandez-moi le plus de nouvelles que vous pourrez, principalement de votre prisonnière. Dans Henri IV raconté par lui-même. Choix de lettres. Paris Picard, 1913, p. 371.
Le fou est le prince de Condé. Pecquius est le représentant des Archiducs à Paris. On voit que Charlotte est toujours obstinément présente dans la pensée de Henri IV.
[18] Bibliothèque nationale, Mss. fr. 16129.
[19] La minute de cette lettre est conservée dans les archives de Belgique.