L’ÉLOQUENCE DES GRACQUES

 

Armand MESPLÉ

 

 

Les Gracques qui, au IIe siècle avant notre ère, jouèrent le premier rôle dans l’histoire politique de Rome, furent aussi les plus grands orateurs de leur temps. C’est leur éloquence qui est l’objet de cette étude. Mais pour comprendre et pour apprécier à leur juste valeur les fragments qui nous restent de leurs discours, il faut rappeler à quelle occasion les Gracques ont pris la parole, quelle cause ils défendaient, quels étaient leurs alliés et leurs adversaires, quel but ils voulaient atteindre et quel fut le résultat de leurs efforts, en un mot, l’étude de leur éloquence comprend — dans une certaine mesure — l’étude de leur vie politique.

 

Au moment où naquirent les Gracques, la société romaine était en pleine transformation. Les vieux. Romains, sénateurs-fermiers et consuls-laboureurs, avaient disparu. La forte race du Latium s’amollissait sous une influence étrangère : comme l’a dit Horace :

Grœcia capta ferum victorem cepit et artel intulit agresti Latio[1].

De Grèce et d’Orient accouraient à Rome des gens de toute sorte[2] : sans parler des cuisiniers et des baladins, la ville de Romulus regorgeait d’artistes, de rhéteurs et de philosophes grecs. Sur la proposition de Caton, le Sénat avait bien expulsé ces philosophes et ces rhéteurs coupables d’enseigner des choses nouvelles contraires à la coutume et aux usages des ancêtres[3]. Mais le décret était resté sans effet. Caton lui-même avait cédé au torrent : à la fin de ses jours, il avait appris la langue de ceux qu’il avait poursuivis de sa haine pendant toute sa vie. Ennius, dont il avait été le premier protecteur, avait même ouvert sur l’Aventin une école de langue grecque, tandis que Cratès, le célèbre commentateur d’Homère, venait à Rome, l’année de la bataille de Pydna, donner des leçons qui attirèrent une foule d’auditeurs. Les grands de Rome mettaient tout leur cèle à populariser la littérature de leurs voisins orientaux : le vainqueur de la Macédoine, Paul-Émile, ne prenait pour lui-même, comme part du butin, que la riche bibliothèque de Persée ; Scipion Emilien avait appris Homère par cœur et se plaisait à le citer ; presque tous les nobles parlaient couramment le grec et entouraient leurs enfants de précepteurs venus de la Hellade et de l’Asie-Mineure[4]. — Dans ce commerce avec la langue de Platon, le rude idiome du Latium, tout en gardant son énergie propre, acquérait plus de souplesse et d’élégance. En même temps la parole devenait un art sur les bords du Tibre comme sur le rivage de la mer Egée : les Romains, esprits positifs, avaient vite compris l’importance de la rhétorique ; tous ceux qui désiraient paraître un jour au Forum, où s’acquéraient honneurs et dignités, recueillaient avidement de la bouche des rhéteurs grecs les préceptes de l’art oratoire. Enfin, les intelligences les plus élevées s’ouvraient aux idées libérales et généreuses qui faisaient le fonds de la philosophie platonicienne et surtout de la doctrine du Portique. La Grèce prenait ainsi possession de Rome par sa langue, par sa rhétorique, par sa philosophie.

Les Gracques devaient plus que personne ressentir cette triple influence. En effet ils furent, dit Cicéron, instruits dès leur enfance dans les lettres grecques, et ils eurent les maîtres les plus célèbres de la Grèce[5]. Leur professeur de philosophie fut Blosius de Cumes, disciple de Zénon : Il leur fit connaître cette noble doctrine stoïcienne qui identifiait le bien et la raison et proclamait l’égalité de tous les hommes devant la loi morale. Cet enseignement ne fut pas sans effet sur le développement intellectuel et les idées politiques des Gracques ; il leur donna ce qu’on n’avait pas connu jusqu’alors à Rome, l’humanité ; il les débarrassa du préjugé antique qui enferme chaque individu dans les limites étroites de sa cité. et, par là, il les prépara à devenir les défenseurs de la plèbe romaine et des Italiens ; des Italiens en faveur desquels ils revendiqueront les droits civiques , de la plèbe qu’ils s’efforceront d’arracher à la misère et à la corruption par leurs lois agraires.

En même temps qu’ils recevaient les leçons du philosophe Blosius, ils apprenaient l’art de l’éloquence, Tiberius avec Diophane de Mitylène, Caïus avec Diophane et avec Ménélas de Marathon[6]. Ajoutons que Cicéron montre Tiberius écoutant assidûment, dès sa jeunesse, les discours de M. Emilius Porcina, l’orateur qui le premier, au témoignage des Latins, mit en œuvre, et sciemment, les procédés artistiques de l’éloquence grecque[7].

Les deux frères, d’ailleurs, n’avaient pas besoin de prendre pour modèles des étrangers. Leur père Tiberius Sempronius, sans être un grand orateur, n’était pas dénué d’éloquence : plusieurs fois il prit la parole en public dans ses deux consulats et dans ses deux censures[8], il prononça même un discours en grec. Leur mère Cornélie, fille de Scipion l’Africain que Cicéron appelle non infans, était célèbre dans l’antiquité par la variété de ses connaissances et surtout par la pureté de son langage[9]. Ses lettres étaient lues encore avec soin au temps de Cicéron et de Quintilien[10] ; bien que nous ne les possédions plus[11], nous pouvons être assurés, d’après les nombreuses affirmations des anciens, que Cornélie exerça une grande influence sur le talent oratoire de ses deux fils.

Tel est le milieu littéraire dans lequel se développèrent les Gracques. Doués par la nature d’un esprit étendu, d’une âme ardente et de toutes les qualités naturelles qui font les orateurs, ils trouvèrent autour d’eux toutes les circonstances favorables à l’éclosion de leur génie. Rome tranquille au dehors après tant de combats pouvait enfin s’adonner aux travaux de l’esprit ; la diffusion de la langue et de la littérature grecques à Rome avait poli, assoupli la langue romaine et répandu dans les classes élevées de la société le goût des belles-lettres ; la connaissance de la rhétorique avait fait de la parole un art à Rome comme à Athènes, celle de la philosophie avait élargi le cercle des idées. Parmi les grandes familles amies des lumières, une surtout s’était distinguée par la protection qu’elle accordait aux lettrés et aux savants. C’est dans cette famille que naissent les Gracques ; c’est au milieu de la société la plus élégante de Rome qu’ils grandissent ; c’est par les maîtres les plus distingués du temps qu’ils sont préparés à paraître sur le Forum.

Dès que les deux frères prirent la parole devant les tribunaux ou à la tribune, ils se placèrent au rang des premiers orateurs, mais par des qualités différentes. L’éloquence de Caïus, le plus jeune, était, dit Plutarque[12], terrible et passionnée ; elle saisissait violemment les esprits ; celle de Tiberius était plus douce et plus propre à exciter la compassion. Leur action présentait le même contraste. Quand ils parlaient en public, l’un se tenait à la même place avec un maintien plein de réserve ; l’autre fut le premier, chez les Romains, qui donna l’exemple de se promener à la tribune et de tirer sa robe de dessus ses épaules.

Ces différences dans l’action et dans la parole des deux frères s’expliquent bien par la diversité de leurs caractères : Tiberius était doux et posé, Caïus vif et véhément[13] ; mais elle tenait aussi à la diversité de leurs situations : l’un paraissait sur la scène politique sans avoir d’ennemis déclarés ; il était au contraire soutenu par tout ce que Rome comptait de plus illustre ; l’autre eut à venger son frère ; il se vit dès le premier jour, entouré d’adversaires implacables qu’il savait hommes à ne point reculer devant un assassinat : le souvenir de la mort de Tiberius et le danger qui le menaçait lui-même contribuèrent à animer son geste et à enflammer son éloquence.

Sans avoir la parole passionnée de son frère, Tiberius était un orateur éminent dont les discours, dit Cicéron, étaient pleins d’esprit et de solidité[14]. Malheureusement, comme les lettres de Cornélie, ils sont perdus ; nous n’en possédons aucun fragment : ils existaient encore du temps de Cicéron, puisqu’il dit en parlant de Carbon et de Tiberius : Tous deux furent de grands orateurs et ce n’est pas par tradition que nous en parlons ainsi, nous avons leurs discours[15]. Des manuscrits conservant le texte authentique se trouvaient encore à l’époque de Pline l’Ancien ; car il en vit chez le poète Pomponius Secundus, mais ils devaient être fort rares pour que lui-même, grand amateur de livres, ne les eût pas dans sa bibliothèque[16]. Ils disparurent probablement au temps d’Aulu-Gelle : cet admirateur passionné de l’antiquité fait souvent mention des discours de Caïus et ne cite jamais ceux de Tiberius. Il ne nous reste pour juger de l’éloquence de l’aîné des Gracques que quelques fragments traduits en grec par Appien et par Plutarque[17]. Bien qu’Ellendt, Meyer et Westermann les déclarent apocryphes[18], ces passages sont si bien en rapport avec le rôle de Tiberius et avec les circonstances au milieu desquelles les deux historiens grecs les placent ; ils sont même parfois si éloquents, qu’on ne peut les supposer l’œuvre de rhéteurs. S’ils ne sont pas la traduction fidèle des mots latins, on peut croire, du moins, qu’ils rendent avec exactitude l’argumentation et même les mouvements oratoires du véritable texte.

Aussi pouvons-nous regretter qu’il n’y ait dans Plutarque et dans Appien aucun fragment du premier grand discours que Tiberius prononça en 618 de Rome[19]. L’affaire était grave. Tiberius, questeur du consul Mancinus en Espagne, avait signé et garanti le traité désastreux qui sauva l’armée romaine cernée de tous côtés par les Numantins (617)[20].

Le Sénat indigné déclara le traité nul, et voulut livrer aux ennemis le consul et son questeur, nus et poings liés, comme on avait fait lorsque l’armée romaine avait passé sous le joug aux Fourches Caudines. Cité devant un tribunal, Tiberius prononça un discours très éloquent, dont l’argumentation consistait surtout à rejeter la faute de la capitulation sur le général, et il échappa à une condamnation qui semblait certaine[21].

Ce qui contribua en grande partie à son acquittement, ce fut (dit Plutarque), l’affection que le peuple lui portait[22]. La plèbe commençait, en effet, à tourner vers lui ses regards dans ce descendant d’une illustre famille, clans cet orateur déjà si distingué, elle pressentait un défenseur : elle le porta au tribunat (621)[23].

Rome était alors dans une période difficile de son histoire intérieure : la classe moyenne composée de petits propriétaires s’éteignait de jour en jour, et par suite le nombre des légionnaires qu’elle fournissait seule ne cessait de diminuer : Tite-Live avoue que Rome, qui levait contre Annibal vingt-trois légions, avait beaucoup de peine, dès l’année 570 (180 av. J.-C.), à en compléter neuf[24]. Une des causes principales de la disparition de cette classe, c’était, il est vrai, la série incessante des guerres entreprises depuis qu’Annibal avait franchi les Pyrénées : que de légionnaires avaient péri sur les champs de bataille de Trasimène, Cannes, Zama, Pydna, dans les plaines de la Gaule Cisalpine, dans les montagnes de l’Espagne, autour des murs de Corinthe, de Carthage et de Numance ! Mais l’avidité des riches, qui cherchaient sans cesse à étendre leurs domaines, était pour les petits propriétaires un fléau plus terrible encore que la guerre. L’Italie tout entière tendait à devenir la possession de quelques particuliers. Cet accaparement du sol était favorisé par la façon dont Rome procédait à l’égard des territoires des nations vaincues : elle prenait toutes les terres[25], en rendait soit les deux tiers, soit la moitié, soit seulement le tiers[26] au peuple soumis en lui imposant un tribut[27]. Le reste se divisait en deux parties : la première, composée des terres rendues aux citoyens du pays vaincu qui avaient aidé Rome, des terres vendues par les questeurs quand la République avait un besoin pressant d’argent[28], et des terres données aux colons romains, était possédée en toute propriété (jure optima) ; la deuxième, qui comprenait. la. plus grande partie du sol, formait l’ager publicus que l’État louait à des particuliers, ou qu’il abandonnait au premier occupant[29]. Mais qu’arrivait-il ? Les domaines, mis en location par l’intermédiaire des censeurs, formant toujours de gros lots, le plébéien ne pouvait les prendre à ferme. Comment aurait-il pu donner un cautionnement suffisant ? Où aurait-il trouvé les capitaux nécessaires à la culture ? Quant aux parties du sol laissées in vacuo, c’étaient des terrains vagues, stériles, éloignés des centres de population, ruinés par la guerre ; or, pour mettre ou pour remettre une terre en culture, il faut de l’argent et des serviteurs ou des esclaves : le prolétaire manquait de ces deux ressources. Si, pourtant, il parvenait, à force de patience et de travail, à défricher un petit champ, il se voyait tout à coup appelé pour le service militaire[30], ou bien un riche propriétaire voisin trouvait ce coin de terre à sa guise, et, comme rien ne défendait le malheureux plébéien qui avait occupé sans droit bien établi ce terrain in vacuo, il n’avait pas de mal à l’en chasser[31].

Le résultat nécessaire de cette expulsion du travailleur libre, c’était la ruine de l’agriculture en Italie. Les nombreux esclaves qui habitaient les immenses domaines des riches n’auraient pu, loin de l’œil du maître, se plier au dur métier du laboureur : ils n’étaient bons qu’à faire des pâtres[32]. Aussi, partout, la production des céréales faisait-elle place au système des prairies et des pâturages[33]. Rome allait être exposée à manquer de pain si les convois de blé, partis de Sicile, d’Afrique et bientôt même d’Égypte, n’arrivaient pas à temps. Enfin le sol rendu stérile n’allait pas tarder à devenir, dans certaines contrées de l’Italie, le siège de maladies terribles[34].

Pour sauver Rome de ce double désastre, politique et économique, les hommes les plus sages et les plus illustres ne connaissaient qu’un moyen : une loi agraire qui reprendrait aux accapareurs les terres du domaine public et les donnerait à des plébéiens. Avec ces prolétaires arrachés à la corruption de la grande ville, ils espéraient pouvoir reconstituer une classe moyenne, robuste ; honnête, dévouée à la patrie, et en même temps préserver l’Italie de la stérilité. Lélius, à l’instigation de Scipion Émilien, avait présenté un projet de loi conçu dans cet esprit : mais, effrayé des réclamations qui surgirent de tous côtés, il n’eut point le courage de le défendre[35]. Cette faiblesse avait été condamnée par tout ce que Rome comptait d’esprits éclairés et généreux. Appius Claudius, ancien consul, ancien censeur, l’un des personnages les plus importants du Sénat, Quintus Metellus, le vainqueur de la Macédoine et de la Grèce ; estimé moins encore pour ses victoires que pour les vertus de sa vie privée et de sa vie politique ; M. Scævola, le fondateur de la jurisprudence scientifique à Rome ; Pub. Crassus Mucianus, alors grand pontife, tous sentaient la nécessité d’une réforme profonde[36].

Aidé de leurs conseils, Tiberius osa l’entreprendre : il proposa une loi agraire défendant de posséder plus de cinq cents arpents du domaine public[37] ; il ajoutait deux cent cinquante arpents pour chaque enfant mâle[38], et accordait une indemnité pour les constructions et pour les travaux de tout genre qu’on avait pu faire exécuter sur les terres reprises par l’État[39]. Les arpents qu’on laissait à chaque détenteur de l’ager publicus lui étaient concédés à perpétuité et d’une façon définitive[40]. Quant aux terres que l’État allait recouvrer grâce à cette loi, elles devaient être distribuées aux pauvres par des triumvirs ; les lots ne pouvaient en être aliénés et ne devaient payer aucune redevance au trésor public.

Tiberius n’ignorait pas que sa rogation, bien qu’équitable et modérée, aurait contre elle les hautes classes : aussi, dans un discours habile dont Appien nous donne le compte-rendu, chercha-t-il à désarmer les nobles en faisant appel à leur justice et en leur représentant quel était leur véritable intérêt. Il leur montrait la race italienne, si brave et si noble, dépérissant tous les jours sans espoir de salut ; il leur citait les désastres infligés aux armées romaines par les esclaves qui, forts de leur nombre, s’étaient soulevés en Sicile[41] ; il leur demandait s’il était juste de partager entre tous le bien commun ? Si l’on ne devait pas préférer un concitoyen à un esclave ? Si l’on ne servait pas avec plus de zèle l’intérêt public quand on y trouvait le sien ? Il les priait ensuite de considérer les espérances et les craintes de la patrie. Maîtres par les armes de la plus grande partie du monde, et conquérants du reste par espérance, il s’agissait pour eux ou d’accomplir l’œuvre commencée par leur vertu guerrière, ou, s’ils s’affaiblissaient en refusant au peuple sa vie, de perdre à la fois toutes leurs provinces soulevées. Enfin, leur montrant d’un côté l’intérêt et la gloire, de l’autre tant de sujets de terreur, il conseillait aux riches d’y réfléchir ; de ne pas compromettre les plus belles espérances en refusant quelques maigres possessions à ceux qui étaient les enfants de la République, de ne pas disputer pour si peu au risque de tout perdre. Quant aux dépenses faites sur les terres, n’en étaient-ils pas bien dédommagés par le prélèvement et la possession assurée de cinq cents arpents pour eux-mêmes, sans compter les deux cent cinquante attribués à chacun de leurs fils[42].

Toue les efforts de Tiberius restèrent inutiles : les nobles ne furent ni convaincus ni touchés : ils cherchèrent à empêcher le peuple de ratifier la, rogation ; mais Tiberius savait parler à la foule : par un tableau saisissant de la misère dans laquelle elle était plongée, il lui fit honte de se laisser ravir ainsi son patrimoine. Les bêtes sauvages répandues dans l’Italie, ont, disait-il, des tanières et des repaires pour se retirer ; et ceux qui combattent et meurent pour la défense de l’Italie, n’ont d’autre bien, sinon la lumière et l’air qu’ils respirent : sans maison, sans établissement fixe, ils errent çà et là avec leurs femmes et leurs enfants. Les généraux leur mentent, quand, dans les batailles, il les exhortent à combattre pour leurs tombeaux et pour leurs temples ; car, entre tant de Romains, il n’en est pas un seul qui ait ni un autel domestique, ni un tombeau de ses ancêtres. Ils combattent et meurent uniquement pour soutenir le luxe et, l’opulence d’autrui ; et on les appelle les maîtres de l’univers, alors qu’ils ne possèdent pas en propre une seule motte de terre ![43]

Cette éloquence large et retentissante, que faisaient ressortir l’émotion de la voix et le pathétique du geste, remua profondément le peuple. Les nobles comprirent sur le champ qu’ils n’étaient pas de taille à lutter à la tribune avec un tel orateur. Ils voulaient pourtant, à tout prix, écarter cette terrible loi qui leur enlevait le fruit de longues et de patientes usurpations. Que faire ? On recourut à un de ces subterfuges légaux, ressource ordinaire des aristocraties aux abois. Un tribun du peuple Octavius, détenteur lui-même du domaine public, fut gagné secrètement. Au moment où l’on allait procéder au vote qui devait décider du sort de la rogation, il opposa son veto[44]. Tiberius, sur le point de réussir, voyait ainsi sa proposition subitement ajournée. Il aurait dû, suivant l’usage, attendre l’année suivante pour renouveler sa motion ; mais il était impatient d’agir : il résolut de recourir à un parti extrême : Octavius retirerait son vote ou serait suspendu de ses fonctions. Mais, avant d’user de violence, Tiberius chercha à fléchir son collègue, la veille encore son ami[45]. Il prit Octavius à part, le supplia de se désister de son opposition intéressée ; quoique lui-même ne fût pas riche, il alla jusqu’à lui proposer de le rembourser à ses frais[46]. Une autrefois, en pleine assemblée, il le conjura, en lui prenant affectueusement la main, de renoncer à une opposition contraire à la justice et aux intérêts du peuple[47]. Octavius repoussa l’offre et resta insensible aux prières, Tiberius exaspéré par l’opiniâtreté de ce tribun vendu aux nobles, n’hésita plus : il demanda à l’assemblée de décider entre son collègue et lui. Tribuns l’un et l’autre, dit-il à son adversaire, et par conséquent armés d’un pouvoir égal, le différend que nous avons ensemble ne saurait se terminer sans combat : je n’y vois donc aucun remède, sinon que l’un de nous soit déposé de sa charge. En même temps il ordonna à Octavius de faire opiner le peuple sur lui-même, Tiberius, le premier, ajoutant qu’il était prêt à descendre de la tribune et à redevenir simple particulier, si telle était la volonté des citoyens. Mais Octavius n’en voulut rien faire. Je demanderai donc, dit alors Tiberius, que le peuple donne sur toi ses suffrages, à moins qu’après avoir eu le temps de la réflexion, tu n’aies changé d’avis[48]. Le lendemain Octavius fut déposé par le suffrage des tribus. — Ce jour-là, en mettant la volonté du peuple au-dessus de la loi, Tiberius commettait une imprudence en même temps qu’une illégalité : comment respecterait-on en lui cette inviolabilité tribunitienne qu’il avait méconnue dans un autre ?

Il comprit bientôt sa faute, et chercha à se justifier dans un discours dont Plutarque nous a conservé une partie : Oui, dit-il, le tribun est une personne sacrée et inviolable, parce qu’il a été consacré au peuple, parce qu’il veille aux intérêts du peuple. Mais s’il est infidèle à son devoir, s’il fait tort au peuple, s’il lui ôte les moyens d’exprimer sa volonté par les suffrages, il se prive lui-même des privilèges attachés à sa charge, parce qu’il ne remplit pas les engagements que cette charge lui impose. Quoi donc ! il nous faudrait souffrir qu’un tribun abattit le Capitole, qu’il brûlât nos arsenaux ? En commettant ces excès, ce serait sans doute un mauvais tribun, mais enfin il serait encore tribun. Mais quand il veut détruire la puissance même du peuple, il n’est plus tribun. Quelle inconséquence étrange qu’un tribun pût, à son gré, traîner un consul en prison et que le peuple n’e$t pas le droit d’ôter au tribun une autorité dont il abuse au préjudice de celui qui la lui a donnée ! Car c’est le peuple qui élit également et le consul et le tribun. La dignité royale, qui comprend en elle toutes les magistratures, est, de plus, consacrée par des cérémonies augustes, qui lui impriment un caractère divin : cependant Rome chassa Tarquin, qui usait injustement de son autorité ; et le crime d’un seul fit abolir cette magistrature antique, à laquelle Rome devait sa fondation même. Qu’y a-t-il dans Rome qui soit plus saint et plus vénérable que ces vierges qui entretiennent et gardent le feu immortel ? Si pourtant quelqu’une d’elles viole son vœu de virginité, on l’enterre toute vive. La négligence dans le ‘service des dieux leur fait perdre cette inviolabilité qu’elles n’ont que pour servir les dieux. Il n’est donc pas juste qu’un tribun qui offense le peuple conserve une inviolabilité dont il n’est revêtu que dans l’intérêt du peuple, puisqu’il détruit lui-même l’autorité dont il tire la sienne. Si c’est justement que le suffrage du plus grand nombre des tribus lui a conféré le tribunat, comment n’en serait-il pas dépouillé plus justement encore quand toutes les tribus ont donné leurs suffrages pour la déposition ? Est-il rien de si sacré et de si inviolable que les offrandes faites aux dieux ? Mais a-t-on jamais empêché le peuple de s’en servir, de les ôter de leur place et de les transporter ailleurs comme il lui plaît ? Il avait donc le droit de faire du tribunat comme des offrandes, et de le transférer d’une personne à une autre. Mais le tribunat n’est ni inviolable, ni inamovible ; et la preuve, c’est que plus d’une fois ceux qui en étaient investis s’en sont démis eux-mêmes et ont demandé qu’on les en déchargeât[49].

Après la déchéance d’Octavius, la rogation de Tiberius avait naturellement été acceptée par les comices : mais elle avait bien changé de nature depuis le commencement de la lutte : elle ne parlait plus ni de l’indemnité, ni des arpents qui devaient d’abord rester aux détenteurs et à leurs fils ; elle leur ordonnait simplement de sortir sans délai du domaine public[50]. Cette loi était inexécutable. Nommé, avec son beau-père Appius Claudius et son jeune frère Caïus, alors en Espagne, triumvir pour la répartition des terres de l’ager publicus entre les citoyens pauvres[51], Tiberius se heurta à mille difficultés de détail. Il se voyait, à chaque instant dans l’impossibilité de distinguer les domaines privés des terres publiques qui avaient, depuis près d’un siècle, passé de main en main par testament, par vente ou de toute autre façon ; il était accablé de réclamations, de plaintes, de menaces ; chacun de ses arrêts lui créait de nouveaux ennemis. Une rogation imprudente achevait de lui aliéner le premier corps de l’État : au préjudice des droits du Sénat, l’ardent triumvir prit sur lui de disposer de la succession d’Attale[52] ; il fit voter directement par les tribus que tout l’argent provenant de la succession du roi de Pergame serait distribué aux citoyens, auxquels des terres étaient échues par le sort, pour qu’ils pussent se procurer des instruments aratoires et faire face aux premiers frais de culture. La mesure pouvait être bonne en elle-même, mais elle était inopportune. Tiberius, en portant atteinte au pouvoir politique des sénateurs, en faisait les chefs du parti intéressé à sa perte.

Il ne pouvait échapper aux haines qu’il avait soulevées qu’en obtenant une seconde fois le tribunat : il le demanda[53]. Le jour des élections, il se rendit au Capitole, suivi de ses amis ; tout à coup un sénateur P. Flaccus fendit la foule et vint l’avertir que le Sénat avait formé le dessein de l’assassiner. — Tiberius se frappa le front pour montrer au peuple qu’on en voulait à sa tête. Aussitôt ses ennemis coururent annoncer au Sénat qu’il demandait le diadème. Scipion Nasica, souverain pontife — et l’un des principaux détenteurs du domaine — se lève alors et somme le consul de marcher contre le tyran. Sur son refus, il s’écrie : Puisque le premier magistrat trahit la République, que ceux qui veulent aller au secours des lois me suivent. Les sénateurs, avec leurs clients et leurs esclaves, armés de bâtons, montent au Capitole et chassent devant eux les partisans de Tiberius. Le tribun s’enfuit ; mais il est atteint par un de ses collègues, Publius Saturius, qui le frappe à la tête avec le pied d’un banc. Trois cents de ses partisans sont assommés à coups de bâtons et de pierres. Le cadavre de Tiberius fut privé de sépulture et jeté dans le Tibre[54]. Quant aux lettrés grecs, ses amis, on les accusa, à leur honneur et probablement avec raison, de n’avoir pas été étrangers à sa généreuse entreprise : à l’exception de Blosius de Cumes dont on respecta l’héroïque fidélité à l’égard de son malheureux patron, ils furent tous poursuivis et mis à mort[55].

 

Tiberius avait succombé, mais ses idées politiques lui survécurent : son plan de réforme fut repris par son jeune frère Caïus, qui le défendit avec plus d’éloquence encore. Caïus, en effet, était supérieur à son aîné non seulement par les talents de l’homme d’État, mais aussi par la puissance de la parole inyenio etiam eloquentiaque longe præstantiorem dit Velleius Paterculus, dont le témoignage est confirmé par Dion Cassius et par Tite-Live, ou du moins par l’auteur de l’Épitomé de son histoire[56].

Cette supériorité de l’éloquence de Caïus eut un effet fâcheux ; comme l’a bien vu Ellendt[57], c’est à elle surtout qu’il faut attribuer la perte des discours de Tiberius : si l’on négligea de bonne heure de les lire, de les citer, de les transcrire, c’est, selon toute vraisemblance, qu’on n’avait d’admiration que pour ceux du plus jeune des Gracques. En revanche, nous devons à l’enthousiasme que les harangues de Caïus ne cessèrent d’exciter chez les Romains, sinon de les posséder tout entières, du moins d’en trouver des fragments authentiques, surtout dans les grammairiens de l’époque impériale. C’est grâce à ces débris, par malheur trop rares, que nous pouvons nous faire une idée de l’éloquence de celui qui, pendant sa courte Arrière politique, régna en maître au Forum.

Bien que son génie le poussât à la tribune, Caïus sembla d’abord résolu à fuir les affaires publiques. Par crainte des assassins de son frère, il s’abstint de paraître sur le Forum ; il vécut retiré dans sa maison, comme s’il eût pris la résolution de passer ses jours dans l’état d’abaissement où il se trouvait réduit[58].

Mais le triomphe des partisans de Scipion Nasica ne dura qu’un instant : le peuple, qui avait abandonné Tiberius au Capitole, se rappela — quand son vaillant tribun fut mort — tous les services qu’il avait rendus à sa cause. Il se mit à poursuivre son meurtrier d’incessantes malédictions. Nasica fut obligé de s’exiler ; il alla mourir misérablement à Pergame. Le Sénat n’osa pas toucher à la loi agraire ; un nouveau commissaire remplaça Tiberius : ce fut Publius Crassus, dont la fille Licinia était devenue l’épouse de Caïus[59].

Le courage revint au jeune homme. Son âge ne lui permettant pas encore de se porter candidat aux magistratures, il commença par défendre ses amis devant les tribunaux. La première cause qu’il plaida de façon à faire honneur à son nom fut celle de Vettius. Il ne nous reste rien de son discours ; on ne sait même pas exactement l’époque à laquelle il fut prononcé. On connaît seulement l’impression qu’il produisit sur la foule et sur les nobles. Le peuple, dit Plutarque, fut si ravi de l’entendre que les transports de sa joie tenaient de l’enthousiasme et de la fureur ; il est vrai que, dans cette circonstance, les autres orateurs ne parurent que des enfants auprès de Caïus. Ce début inspira la plus grande crainte aux riches[60]...

Leur terreur redoubla, quand, peu de temps après, ils virent Caïus proclamer qu’il ne renonçait ni aux projets, ni à la politique de son frère ; il défendit la loi Papiria, qui permettait de réélire indéfiniment un tribun du peuple[61], et dirigea ses attaques contre l’élite du Sénat, contre le vainqueur de Numance lui-même. Scipion Emilien, il est vrai, les avait provoquées dans plusieurs circonstances : il avait ouvertement blâmé les lois de Tiberius, et, à son retour même d’Espagne, il avait répondu à Carbon qui lui demandait son opinion sur le meurtre du tribun, son parent : Je pense qu’il a été justement tué[62]. Cette parole et l’opposition qu’il faisait de concert avec Lélius à la proposition Papiria, expliquent comment Caïus, par une allusion indirecte non seulement aux sénateurs qui avaient trempé dans l’assassinat de Tiberius, mais encore à Scipion, absent au moment du crime, a pu s’écrier : Les hommes les plus pervers ont égorgé mon frère, le meilleur des hommes ; voyez, citoyens, combien la partie est égale entre nous ![63] Dans le même discours il demandait à la plèbe de le protéger contre ces hommes puissants : Ne permettez pas qu’on nous outrage injustement[64]. Toute son éloquence ne put faire triompher la cause ; les nobles, dont Scipion se fit l’avocat, obtinrent que la rogation fût rejetée[65].

Ils avaient été menacés par la loi Papiria : ils rendirent attaque pour attaque au parti populaire et à Caïus, qui se plaçait déjà, à sa tête. C’est probablement à leur instigation que le tribun du peuple, M. Junius Pennius, promulgua une loi qui chassait de la ville les étrangers[66]. Caïus, alors questeur, comprit bien qu’il avait besoin d’eux à Rome pour lutter contre la faction aristocratique. Aussi s’opposa-t-il à la loi. Nous n’avons de son discours que cette courte phrase. : Ces nations se sont perdues corps et biens par leur avarice et par leur sottise[67]. Les quelques mots que nous trouvons sur cette affaire dans le de Officiis de Cicéron sont peut-être un écho de la harangue de Caïus. Ils agissent mal ceux qui ferment leur ville aux étrangers, et les chassent du pays (comme fit Pennus du temps de nos pères). Qu’il ne soit pas permis à celui qui n’est pas citoyen d’en exercer les droits, rien de plus juste ; mais interdire aux étrangers le séjour d’une ville c’est de l’inhumanité[68].

Les nobles furent alarmés de cette politique qui devenait franchement hostile. Aussi, quand le sort eut désigné Caïus pour accompagner, à titre de questeur, le consul Orestès en Sardaigne, le Sénat prorogea trois ans de suite les pouvoirs du consul, pour retenir loin du Forum le jeune orateur, déjà si populaire. Mais Caïus n’accepta pas cet exil déguisé : il revint tout à coup à Rome[69]. Accusé par ses ennemis d’avoir abandonné son général, il fut cité devant les censeurs, Cn. Servius Cæpio et L. Cassius Longinus. Il allégua pour sa défense qu’obligé paries lois à dix campagnes seulement, il en avait fait douze ; qu’il était resté deux ans questeur auprès de son général, quand la loi lui permettait de se retirer après un an de service[70]. Je me suis conduit dans ma province, ajouta-t-il, en prenant toujours votre intérêt pour guide et non pas les calculs de l’ambition ; chez moi, point d’orgie ; chez moi point de ces beaux esclaves pour servir les convives. A ma table vos enfants devaient montrer plus de réserve que dans la tente du général. Je me suis conduit dans ma province de telle manière que personne ne peut m’accuser avec raison d’avoir reçu un as ou plus en présent, ou d’avoir été pour qui que ce fait une occasion de dépenses : J’y suis resté deux ans : si jamais une courtisane a passé le seuil de ma maison, si jamais j’ai fait solliciter le jeune esclave d’un autre, regardez-moi comme le plus vil, comme le dernier des hommes. La chasteté de ma conduite envers leurs esclaves, vous montre celle de ma vie avec vos enfants. Aussi, Quirites, ma bourse que j’avais, à mon départ de Rome, emportée pleine d’or, je l’ai rapportée vide de ma province : d’autres ont emporté des amphores pleines de vin et les ont rapportées pleines d’argent[71]. Ce dernier trait, dirigé contre les nobles qui pillaient les provinces à titre de gouverneurs ou de généraux, devait être suivi d’attaques directes contre ses adversaires ; c’est, du moins, ce que nous pouvons supposer d’après le mot que nous a conservé Cicéron : Il est bien près de désapprouver les gens de bien, celui qui approuve les méchants[72]. Ce qui nous reste de tout ce discours est encore bien peu de chose : mais ces faibles débris nous permettent d’entrevoir ce que dut être l’ensemble, et nous aident à comprendre l’arrêt des censeurs : Caïus, que Cæpio et Longinus voulaient d’abord priver de son cheval public, c’est-à-dire dégrader du rang de chevalier, fut renvoyé absous[73].

Quelques auteurs, entre autres M. Meyer dans la première édition de ses Fragmenta oratorum romanorum, et M. Berger, dans son Histoire de l’éloquence latine, ont cru que Caïus avait pris une autrefois la parole pour se justifier devant le peuple. Ce qui a donné lieu a cette opinion, c’est la phrase suivante d’Aulu-Gelle : Lorsque Caïus Gracchus revint de la Sardaigne, il fit une harangue au peuple (apud populum in concione)[74]. Il semble, d’après ces mots, qu’il y ait eu un discours autre que l’Oratio apud censores. Mais la fin du fragment cité en latin par Aulu-Gelle est rapportée par Plutarque, qui l’a traduite en grec, à la défense de Caïus devant les censeurs[75]. Il résulte de là que les deux discours qu’on avait cru reconnaître dans les passages traduits plus haut, n’en forment qu’un seul. — D’où vient donc que Cicéron et Plutarque parlent d’un plaidoyer devant les censeurs et Aulu-Gelle d’une harangue au peuple ? Deux textes peuvent, je crois, servir à résoudre la question. Quand Caïus reparut tout à coup à Rome, il fut blâmé, dit Plutarque, non seulement par ses ennemis, mais encore par l e peuple lui-même qui trouvait fort étrange qu’un questeur eût quitté l’armée avant son général[76]. Quelques lignes plus loin, nous voyons : Cité devant les censeurs, Caïus demanda à se défendre et changea si bien les dispositions des auditeurs qu’il fut absous et que chacun s’éloigna persuadé qu’on lui avait fait une grande injustice[77]. Enfin l’on sait que les censeurs avaient le droit de convoquer l’assemblée. D’après cela, voici probablement comment Ies choses se passèrent. Le retour de Caïus aura eu à Rome un retentissement tel que les censeurs, auxquels revenait la décision de cette affaire, voulurent la juger non pas à huis clos, mais en présence de tout le peuple. Aulu-Gelle d’une part, Cicéron et Plutarque de l’autre, n’auraient point ainsi commis d’erreur ; chacun d’eux seulement aurait donné au discours de Caïus un titre incomplet ; il faudrait, pour être exact, l’intituler : Oratio apud censores in concione ad populum[78].

L’acquittement de Caïus était une défaite pour ses adversaires ; ils cherchèrent à prendre leur revanche quand Frégelles, ville du Latium, se souleva, parce qu’on lui refusait le droit de cité[79]. L. Opimius, chargé de la prendre et de la ruiner, était à peine de retour à Rome qu’il accusait Caïus d’être l’auteur de la révolte ; mais le jeune orateur n’eut pas de peine à faire éclater son innocence. C’est peut-être ici qu’il faut placer le court fragment que nous donne Priscien : Si j’obtiens les sympathies du peuple, je ferai le bien de la République[80]. Par ces mots, en effet, Caïus, désireux depuis longtemps d’être nommé tribun, semble préparer le terrain pour sa candidature.

Il la posa peu de temps après ce procès. Les nobles firent tous leurs efforts pour la faire échouer ; mais une multitude de citoyens accourut de toute l’Italie pour prendre part à son élection ; le Champ de Mars n’était pas assez spacieux pour les contenir tous ; plusieurs donnèrent leurs voix de dessus le toit des maisons. L’opposition des nobles ne réussit qu’à faire nommer Caïus le quatrième. Mais, à peine en charge, il fut réellement le premier[81].

Il commença par promulguer deux lois contre les ennemis de son frère : la première atteignait Marcus Octavius, auquel Tiberius avait fait enlever la puissance tribunitienne : elle portait que tout magistrat déposé par le peuple ne pourrait plus exercer aucune charge ; mais Caïus ne tarda pas à la révoquer par condescendance, disait-il, aux prières de sa mère Cornélie. L’autre loi, sur la liberté des citoyens, déclarait que le magistrat qui aurait banni un citoyen sans avoir préalablement instruit son procès serait traduit devant le peuple[82].

Aussitôt qu’elle fut portée, Caïus cita en justice Popilius Lenas qui, dans son consulat (622 de Rome) avait banni sans jugement un grand nombre des compagnons de Tiberius. Il prononça plusieurs discours dans cette affaire. L’un d’eux était désigné dans l’antiquité par ces mots : Oratio de Q. Popilio circum conciliabula[83]. Gracchus, comme ce titre l’indique, parcourut les villes d’Italie pour rassembler des chefs d’accusation contre Popilius qui s’était signalé par ses injustices et par ses cruautés, non seulement à Rome, mais encore dans les différentes villes de la péninsule ; partout où il passait, il exhortait chacun à dire ce qu’il savait, et à porter témoignage contre l’ancien consul. Il n’a rien subsisté de cette harangue.

Nous sommes plus heureux pour celle que Caïus prononça à la tribune de Rome (oratio pro Rostris)[84] ; Plutarque nous en a conservé un fragment assez considérable. Nous y voyons le jeune orateur rappeler aux Romains, qui se pressaient autour des rostres, le respect sacré et l’attachement inviolable que leurs ancêtres avaient pour leurs représentants, et les faire rougir de l’abandon dans lequel eux-mêmes avaient laissé Tiberius, poursuivi par la faction aristocratique. Vos pères, disait-il, déclarèrent la guerre aux Falisques pour avoir insulté le tribun du peuple Genucius. Ils condamnèrent à mort C. Véturius, parce que, un tribun traversant le forum, il avait refusé seul de se ranger devant lui. Et ces hommes ont, sous vos yeux mêmes, assommé Tiberius à coups de bâton ; et son corps a été traîné du Capitole dans les rues de la ville, et jeté dans le Tibre ! Ceux de ses amis qu’on avait arrêtés ont été mis à mort sans forme de procès ; or, c’est un usage immémorial à Rome, quand un citoyen accusé d’un crime capital ne comparaît point, qu’un trompette aille, dès le matin, à la porte de sa maison, le sommer, à son de trompe, de se présenter devant le tribunal ; et les juges ne vont pas aux voix que cette formalité n’ait été remplie, tant nos ancêtres montraient de prudence et de circonspection, dès que la vie des citoyens était en jeu ![85] Plus loin, emporté par l’indignation et par la douleur, il s’écriait : Ce sont des hommes libres, maintenant, que l’on massacre dans la villes ![86] Il terminait en exhortant les Romains à la constance : Si vous renoncez follement à ce que, pendant les dernières années, vous avez désiré et réclamé avec tant d’ardeur, on ne manquera pas de dire que vos demandes ont été faites autrefois avec trop de passion, et abandonnées aujourd’hui avec trop de légèreté[87]. Popilius, effrayé, n’attendit pas le jugement : il s’exila de l’Italie.

Sa vengeance satisfaite, Caïus commença son œuvre d’homme d’État. Pendant les années de son triumvirat, il avait reconnu qu’on ne pouvait pas appliquer la loi agraire de son frère. Eclairé par l’expérience, il se borna à proposer au peuple la fondation d’un certain nombre de colonies[88] ; c’était, en réalité, faire des lois agraires, puisque l’on partageait les terres publiques pour les donner en toute propriété aux colons ; mais la mesure n’étant que partielle ne pouvait provoquer une coalition de tous les riches. En évitant de heurter de front ses adversaires, Caïus espérait atteindre plus facilement son but : la reconstitution d’une classe de petits propriétaires et le défrichement d’une partie de l’Italie. — La population qui restait à Rome était aussi l’objet de son attention. Il proposa en sa faveur une loi frumentaire, qui établissait l’annone, distribution régulière de blé, faite tous les mois aux prolétaires[89]. Ainsi, tout citoyen résidant à Rome, qui se faisait inscrire sur les tables publiques, avait droit à une prestation mensuelle de cinq modii, ou quarante litres environ, fournis par les magasins de l’État, au taux de 6 as 1/3 le modius ou 24 centimes, c’est-à-dire moins de moitié du prix courant le plus bas[90]. — Une troisième loi concernait l’armée : elle portait que les soldats seraient habillés aux frais du trésor public, sans que leur solde fût diminuée pour cela, et qu’on n’enrôlerait aucun citoyen qui n’aurait pas dix-sept ans accomplis[91].

Le peuple, reconnaissant envers son tribun, le chargeait d’ordinaire de faire exécuter les lois qu’il avait soumises à leurs votes : Caïus présidait ainsi lui-même à la fondation des colonies ; il faisait tracer à travers l’Italie de grands chemins qui reliaient les villes nouvelles à Rome ou aux cités voisines ; il surveillait la construction des greniers publics ; on le voyait sans cesse entouré d’une foule d’entrepreneurs, d’architectes et d’artistes qui venaient le consulter sur les travaux qu’il leur avait confiés[92].

Tant d’activité lui attirait d’amères critiques de la part de ses ennemis. Ils cherchaient à lui nuire auprès de ses collègues, et même auprès du peuple, en le représentant comme un de ces hommes remuants et envieux qui veulent tout faire par eux-mêmes pour accaparer toute la gloire. Ce doit être à quelque perfide insinuation de ce genre que Caïus répond au début de son oratio pro legibus a se promulgatis. Il y laisse, en effet, entendre que, loin d’agir par ambition, il se sacrifie au contraire à la cause du peuple. Si je voulais, disait-il à la foule, prendre devant vous la parole et vous demander moi qui suis issu d’une si grande famille, moi qui ai perdu mon frère à cause de vous, et qui, de la famille de l’Africain et de Tiberius Gracchus, reste seul avec un enfant,de souffrir que je trouve maintenant le repos, pour que notre maison ne disparaisse pas tout entière et qu’il reste quelque rejeton de notre race, je ne sais si vous accéderiez volontiers à ma prière[93]. On ne peut voir dans ces paroles l’artifice d’un orateur, d’un homme politique, qui voudrait faire croire au peuple qu’il lui est indispensable. Ce qui frappe, au contraire, dans tout ce passage, c’est un profond accent de sincérité ; on y sent même une réelle mélancolie : instruit par le sort funeste de son frère, Caïus prévoit qu’un jour viendra où ce peuple, qui réclame de lui un dévouement absolu, l’abandonnera aux rancunes de ses ennemis. Ainsi, cet homme d’action énergique et infatigable a eu, lui aussi, ses heures de tristesse ; il a connu les sombres pressentiments. Chez lui, dit Mommsen, il n’y a plus rien de la veine sentimentale de Tiberius[94]. Les lignes citées plus haut prouvent manifestement le contraire.

Dans le courant même du discours, Caïus défendait ses lois qui, au dire de ses adversaires, n’étaient propres qu’à corrompre la plèbe, à lui faire aimer le luxe et à favoriser ses instincts de paresse. Mais, s’écrie Gracchus, faisant allusion à la loi frumentaire, ce n’est pas du luxe que les aliments nécessaires à la vie ![95]

Il en venait ensuite à cette loi sur la liberté des citoyens, si connue dans tout le cours de l’histoire romaine sous le nom de loi Sempronienne. Pour montrer au peuple combien il était nécessaire de la maintenir, il citait les traitements odieux que des magistrats romains avaient fait subir aux personnages les plus importants de villes municipales, comme à de simples particuliers : Dernièrement, le consul arriva à Téanum, au pays des Sidicins ; sa femme déclara qu’elle voulait se baigner dans les bains réservés aux hommes. Aussitôt M. Marius de charger le questeur urbain de faire sortir tous les baigneurs qui s’y trouvaient. La dame vint dire à son mari qu’on l’avait fait attendre et que les bains n’étaient pas suffisamment propres. En conséquence, on dresse un poteau sur le forum ; on y amène le premier citoyen de la ville ; on lui enlève ses vêtements, on le frappe de verges. A cette nouvelle, les habitants de Calès portèrent un décret défendant l’usage des bains, aussi longtemps qu’un magistrat romain serait dans leur ville. A Ferentinum, pour un motif pareil, notre préteur ordonna d’arrêter les questeurs ; l’un se jeta du haut d’un mur, l’autre fut saisi et battu de verges[96]. Ce ne sont pas seulement, continuait Caïus, des magistrats romains qui osent commettre de telles violences ; je vais vous donner un exemple de la licence et du despotisme de nos jeunes gens eux-mêmes. Il y a quelques années, on a envoyé d’Asie, avec une mission publique, un adolescent qui n’avait encore exercé aucune magistrature. Il se faisait porter en litière : un bouvier de Venouse qui le rencontra, ignorant à qui il avait affaire, demanda en plaisantant aux esclaves si c’était un mort qu’ils portaient. Notre jeune homme entend, ordonne de déposer la litière, de détacher les courroies qui la lient, et d’en frapper le malheureux jusqu’à ce que mort s’en suive[97].

Aulu-Gelle qui nous a conservé ces deux passages a mis en regard un fragment du discours de Caton contre Thermus, où l’orateur dépeint le supplice des décemvirs ligures, et les pages dans lesquelles Cicéron fait le récit de la mort de Gavius. Nous ne citerons pas, à cause de sa longueur, le morceau si connu du de Suppliciis ; mais voici celui du de Falsis Pugnis de Caton : Thermus dit que les décemvirs n’avaient pas assez bien pourvu à ses provisions de bouche ; il ordonna qu’on les dépouillât de leurs vêtements et qu’on les battît à coups de fouet. Des Bruttiens frappèrent les décemvirs : un grand nombre de témoins a vu la chose. Qui peut supporter un tel affront, une telle tyrannie, une telle servitude ? Jamais roi n’osa semblable attentat. Vous, gens de bien, approuvez-vous qu’on traite ainsi des gens de bien et nés de bonne race ? Où sont les droits des alliés ? Où est la bonne foi de nos ancêtres ? Quoi ! injures signalées, coups, étrivières, meurtrissures, douleurs, tortures, et avec cela le déshonneur et le plus grand outrage sous les yeux de leurs concitoyens et de nombreux assistants ! Mais quel deuil, quels gémissements, que de pleurs, que de larmes pendant ce supplice ! Les esclaves ne souffrent les injures qu’avec la plus grande peine ; quels sentiments, croyez-vous, ces hommes nés de bonne race, doués d’une grande vertu, ont-ils éprouvés et éprouveront-ils, tant qu’ils vivront ?[98]

Aulu-Gelle, qui rapproche les morceaux des trois orateurs, trouve que la comparaison est défavorable à Caïus. Il lui reconnaît, sans doute, le talent ale raconter et de peindre ; mais, dit-il : Gracchus n’atteint ni à la force, ni à l’abondance de Caton, et il n’a point l’éloquence sévère, âpre, large de Cicéron. — L’auteur des Nuits Attiques est un critique de goût, et l’on doit hésiter avant ale casser un de ses arrêts : je crois pourtant que, dans cette circonstance, il n’a pas porté un jugement équitable. Que, pris en eux-mêmes, les passages de Caïus, cités plus haut, soient inférieurs à ceux des deux autres orateurs ; qu’ils paraissent froids auprès des exclamations précipitées que la colère et l’indignation suggèrent à Caton ; qu’ils semblent ternes auprès du récit coloré et des images saisissantes de Cicéron, rien de plus juste. Mais le tort d’Aulu-Gelle est d’avoir fait ce rapprochement : pourquoi comparer des choses dissemblables ? Dans une harangue destinée à défendre l’ensemble de ses lois, Caïus se borne à. rappeler au peuple qu’il faut, avant tout, conserver celle qui sauvegarde la liberté et la vie des citoyens : c’est une thèse générale qu’il soutient et à l’appui de laquelle il donne quelques exemples. Comment donc mettrait-il dans ses paroles la même chaleur et la même âpreté que Cicéron ou Caton qui font de ces exemples de violence le fonds même de leurs discours ? D’autre part, le tribun attaque le corps entier des magistrats : aussi sa parole est-elle moins ardente que s’il se trouvait face à face avec un adversaire audacieux et puissant qu’il faut démasquer devant les juges et flétrir aux yeux du peuple. Caton veut faire condamner le proconsul barbare qui a épouvanté la Ligurie par ses cruautés ; Cicéron doit terrasser l’insolent préteur qui a courbé la Sicile sous le joug de la plus dure tyrannie : leur éloquence ne saurait être trop pathétique. Mais Caïus ne frappe point tel ou tel personnage ; il n’a besoin que de quelques traits rapides et expressifs pour mettre les Romains en garde contre l’arbitraire des magistrats. L’ironique simplicité du récit, dans les deux passages rapportés par Aulu-Gelle, ne fait que mieux ressortir la grandeur du crime et l’utilité de prévenir des violences aussi étranges.

Cette ironie, déjà sensible dans quelques parties de l’Oratio pro legibus promulgatis, s’accuse plus nettement dans le dis-cours que Caïus prononça pour combattre la loi proposée par Auféius pour trancher le différend qui s’était élevé entre Nicomède, roi de Bithynie et Mithridate, roi de Pont. Il s’agissait de la Cappadoce que tous deux voulaient occuper après la mort d’Ariarathe V Philopator (an 624 de Rome)[99]. Nous ne connaissons pas le texte de la rogation : nous savons seulement qu’elle était favorable aux intérêts de Mithridate et contraire à ceux de Nicomède ; c’est ce que laisse voir le fragment de Gracchus : Si vous voulez, Quirites, user de votre sagesse et de votre jugement, vous trouverez en cherchant bien, qu’aucun de nous ne se présente à cette tribune sans y avoir quelque intérêt. Nous tous, qui prenons ici la parole, nous demandons quelque chose, et nul ne parait devant vous, quel que soit le sujet des délibérations, sans ambitionner quelque salaire. Moi-même, qui vous exhorte maintenant à augmenter vos revenus, pour que vous puissiez plus facilement subvenir à vos besoins et à ceux de l’État, je suis loin de le faire gratuitement. Carie vous demandenon de l’argentmais votre estime et vos suffrages. Ceux qui viennent parler contre la loi veulent, non que vous leur accordiez vos suffrages, mais que Nicomède leur donne de l’or. Ceux qui vous engagent à la voter, cherchent à mériter, non votre estime, mais l’argent que Mithridate leur a promis comme récompense de leur zèle. Quant aux hommes du même ordre et du même rang qui se taisent, ceux-là sont les plus âpres au gain ; car ils reçoivent de l’argent de toutes mains et trompent tout le monde. Et vous, les croyant étrangers à ces honteux marchés, vous leur accordez votre estime. Les ambassadeurs des rois, interprétant ce silence en leur faveur, les comblent de cadeaux et d’argent. C’est l’histoire de l’orateur Démade et du tragédien grec : celui-ci se vantait d’avoir reçu un talent pour une seule représentation ; Démade, l’homme le plus éloquent d’Athènes, lui répondit, à ce qu’il parait : Tu t’étonnes d’avoir reçu un talent pour parler, et moi, pour me taire, j’en ai reçu dix du grand roi. Ceux qui se taisent, sont ceux qui se vendent au plus haut prix[100]. Le mépris avec lequel Caïus traite ceux qui lui faisaient quelque opposition montre à quel degré de puissance il était arrivé : il hait vraiment roi dans Rome.

Pour conserver cette autorité, il résolut de se faire proroger ses pouvoirs. Il profita de ce qu’il avait en mains la puissance législative pour proposer et faire accepter au peuple une rogation qui autorisait à réélire les tribuns. La loi portée, il voulut affermir sa domination en conférant la première magistrature de l’État à un de ses amis : sur sa demande, le peuple donna le consulat à Faunius ; lui-même conserva sa charge[101].

Ce second tribunat fut moins heureux que le premier une fois au pouvoir, Fannius trahit son protecteur, et le sénat, soutenu par le Consul, déguisa moins son hostilité contre le chef du parti populaire. Caïus se raidit contre les difficultés. Il enleva les jugements aux sénateurs et les donna aux chevaliers[102] : en prenant cette mesure, il cédait au désir de se venger du sénat, à l’espérance de former, au moyen d’hommes tenant au peuple par leur origine et à la noblesse par leur fortune, ce troisième ordre (tertius ordo) qu’il ne pouvait décidément pas tirer de la plèbe, enfin à la nécessité de plus en plus pressante de trouver dans les chevaliers l’appui qui commençait à lui manquer du côté du peuple. C’est ce même besoin de se créer des alliés qui le détermina à proposer la loi conférant le droit de cité aux alliés latins et celui de suffrage aux Italiens[103] ou même le droit de cité complet à tous les Italiens[104]. Caïus cherchait enfin à regagner les sympathies de la plèbe romaine, en demandant qu’on envoyât des colonies à Tarente et à Capoue, dans les riches plaines de la Campanie et de l’Italie méridionale.

Mais rien ne lui réussit : les chevaliers et les Italiens, loin de se montrer reconnaissants à son égard, continuent à ne voir en lui que le défenseur des lois agraires qui livrent leurs propriétés à la plèbe ; et la populace de Rome, la turba forensis, qui ne veut partager avec personne lés distributions de blé, les jeux et la venté des suffrages, s’indigne contré l’auteur des rogations, favorables aux Italiens.

Le Sénat voyait avec joie grandir ce mécontentement de la plèbe. Pour achever de ruiner la popularité de Caïus, il employa le moyen le plus sûr : ce fut de le surpasser en démagogie. Il gagna le tribun Livius Drusus qu’à chaque mesure proposée par son collègue, en opposait, au nom du Sénat, une plus libérale encore. Caïus voulait établir deux colonies : Drusus proposa d’en fonder douze de trois mille citoyens chacune. Caïus avait mis un impôt annuel sur les terres distribuées aux pauvres : Drusus le supprima. Caïus avait accordé le droit de cité romaine aux Latins : Livius demanda qu’il fût défendu de frappée de verges un soldat latin, et sa proposition de loi fut appuyée par le Sénat[105].

Fatigué de la lutte perfide qu’il avait à soutenir contre la ligue des nobles et des représentants de la plèbe, Caïus partit pour aller fonder une colonie romaine à Carthage. Quand il revint à Rome, après soixante-dix jours d’absence, il avait perdu toute sa popularité[106]. C’est probablement à cette époque qu’il laisse échapper ces paroles de découragement : Comment pourrais-je le premier leur porter secours[107], et qu’il’ adresse à la foule ce reproche : Se eût-il- ne vous en soyez venu à ce degré d’oubli à mon égard ?[108]

La plèbe abandonnait, en effet, son tribun : Caïus ne fut pas réélu une troisième fois. Le 10 décembre 632 de Rome, il sortait de charge et, pour son malheur, le 1er janvier 633, Opimius, son ennemi personnel, prenait possession du consulat. Le combat ne tarda pas à s’engager entre les deux adversaires : Opimius, appuyé par le tribun Minutius, proposa d’abroger les lois Semproniennes. Caïus prit la parole pour détendre son œuvre. Il ne nous reste de son dernier discours qu’une phrase mutilée, dans laquelle on peut, pourtant, entrevoir qu’il continuait à se faire le protecteur des prolétaires : Quoi d’étonnant qu’on les insulte ? on n’a jamais eu pour eux que de la haine[109].

Beaucoup de plébéiens comprirent, à ce moment, la faute qu’on avait faite en retirant la puissance tribunitienne à Caïus. Le jour où l’on devait casser les lois Semproniennes, ils l’accompagnèrent au forum. Caïus se refusait à violer la légalité pour ne pas donner prise à ses ennemis ; mais la mort d’un licteur du consul, qui tomba frappé de coups de poinçons, fut le prétexte, si ardemment attendu, dont Opimius se servit pour commencer les hostilités dès le lendemain[110]. A son appel, les nobles accoururent, occupèrent le Capitole, marchèrent contre Caïus qui était avec Fulvius, son ami, sur l’Aventin, la montagne plébéienne. Fulvius fut égorgé dans un bain public où il avait cherché un refuge. Quant à Caïus, il se retira sans vouloir combattre, dans un bois consacré aux Furies, où il se fit tuer par un de ses esclaves, qui se poignarda sur le corps de son maître[111].

C’est ainsi que le dernier des Gracques périt pour avoir voulu réorganiser la société romaine. Dans cette généreuse entreprise, il avait déployé les qualités et les vertus les plus rares : une probité que ses ennemis eux-mêmes n’osèrent jamais attaquer, une activité infatigable, une intelligence à la fois ardente et réfléchie, la décision et l’audace, le coup d’œil rapide et sûr de l’homme d’État, enfin une éloquence qui le met au premier rang des orateurs latins.

Jamais, en effet, parole ne fut plus souple et plus variée que la sienne. Elle avait pour caractère distinctif la véhémence : c’est ce que reconnaissent tous les écrivains anciens, dont le témoignage est d’autant plus précieux, qu’ils possédaient les discours de Caïus. Aulu-Gelle déclare qu’il est un orateur vigoureux et passionné[112]. L’auteur du De Claris oratoribus dit qu’il préférait la véhémence de Caïus Gracchus aux frisures de Mécène (ch. 26). D’après Fronton, les harangues de Gracchus sont pleines de violence, d’emportement[113]. Ce jugement des anciens est confirmé par tous les critiques modernes et par le plus grand historien contemporain de l’Allemagne, qui s’est longtemps occupé des Gracques : La passion terrible qui s’agitait en lui, dit-il, en avait fait le premier des orateurs que Rome ait jamais entendus. Si nous jetons les yeux sur les rares débris de ses plus fameuses harangues, nous y retrouverons la trace d’une puissante et irrésistible parole. Nous comprenons comment, à l’entendre ou seulement à le lire, on se sentait emporté par l’ouragan de son discours[114]. — Et pourtant c’est le même orateur dont Cicéron disait : Ses expressions sont nobles, ses pensées solides, l’ensemble de sa composition imposant[115]. C’est Caïus, qui, suivant Servius, commençait ses discours avec une gravité toute religieuse par des prières aux Dieux[116].

Il atteignait aisément au pathétique, comme lorsqu’il jette ce cri déchirant : Malheureux ! où aller ? où me réfugier ? Au Capitole ? Il est encore teint du sang de mon frère ! Dans ma maison ? Pour y voir les larmes et le désespoir de ma mère ![117] Et cependant personne ne mania jamais mieux que lui l’arme de l’ironie. Tantôt il ne fait qu’une légère blessure : Est-ce, dit-il à Q. Ælius Tubéron qui combattait ses lois, est-ce le parti de mes adversaires, est-ce l’amour de la patrie qui te pousse à montrer plus d’activité contre moi que pour toi-même ?[118] Tantôt il enfonce davantage le trait : Citoyens, disait-il au peuple, en lui montrant du doigt son collègue Mænius, regardez sa main gauche, voilà celui que vous écoutez, un homme qui, par amour des femmes, est paré comme une femme ![119] Tantôt, enfin, la pointe pénètre profondément et reste dans la plaie : Oses-tu bien, dit-il à un homme décrié pour l’infamie de ses mœurs, oses-tu bien médire de la mère de Tiberius ?... Sur quel fondement as-tu l’audace de te comparer à Cornélie ? As-tu enfanté comme elle ? Tous les Romains savent qu’elle, une femme, est restée sans mari plus longtemps que toi, un homme ![120]. Et, ajoute Plutarque qui nous a conservé ce mot, on pourrait extraire de ses écrits beaucoup de traits du même genre. Aussi Claudianus Mamertus disait-il qu’il fallait étudier les discours de C. Gracchus si l’on voulait acquérir l’âpreté (acrimoniam)[121].

À ces traits d’une ironie tantôt fine et discrète, tantôt mordante et amère, convenaient les phrases vives et courtes (circumsisas et breves) que Pline le Jeune signale dans les harangues de Caïus[122]. Mais, d’ordinaire, le tribun avait la seule éloquence qui pût entraîner la foule, une parole riche et abondante ; et il l’emportait, en cela, non seulement sur Caton[123], mais aussi sur tous les orateurs romains qui vécurent avant Cicéron[124].

Caïus faisait encore ressortir par l’action les admirables qualités de son génie oratoire ; la voix, le geste, le regard, tout était éloquent en lui. Quelquefois sa parole et son action étaient si pathétiques qu’il arrachait des larmes à ses ennemis eux-mêmes[125]. Le plus souvent, c’était à son impétuosité naturelle qu’il s’abandonnait, il ne craignait point alors de marcher à la tribune, de rejeter sa robe de dessus ses épaules[126]. Il savait bien que tous ces mouvements qui eussent été déplacés dans une salle étroite, devant une assemblée de trois ou quatre cents membres, pris dans l’élite de la nation, produisaient un grand effet sur la foule qui se pressait sur la place publique. Une telle action convenait, d’ailleurs, à l’orateur qui, suivant ses propres expressions du haut des rostres, jetait aux Romains des glaives, des poignards[127]. Sa voix était en rapport avec l’énergique brusquerie de ses gestes. Elle était forte et étendue, et, elle se faisait aisément entendre de la multitude[128]. Quelquefois même Caïus se laissait aller à la hausser outre mesure. Mais, pour remédier à ces écarts, un esclave nommé Licinius, qui ne manquait pas d’intelligence, se tenait derrière lui avec un instrument de musique — une flûte d’ivoire, dit Cicéron[129] —, et, lorsqu’il sentait à l’éclat des sons que son maître s’emportait, il lui soufflait un ton plus doux qui, modérant aussitôt la véhémence de Caïus et lui faisant baisser la voix, adoucissait sa déclamation[130].

L’art, comme on le voit par ce passage, servit à régler l’action de Caïus ; il contribua plus encore à former son style ; le fils de Cornélie n’oublia jamais les leçons que, sous la direction de sa mère, ses maîtres grecs lui avaient données. Il y a, pourtant, cette fois, dans le concert d’éloges que les anciens ont accordés à Caïus, quelques notes discordantes. Quintilien dit quelque part : Il y a deux choses à craindre pour les enfants : l’une, que quelque admirateur exagéré de l’antiquité ne veuille qu’ils s’endurcissent à la lecture, des Gracques, de Caton et d’autres orateurs semblables. Car ils deviendront hérissés et maigres. Ils n’atteindront pas, en effet, à la force de pensée de ces orateurs, et par le style, qui était alors, sans doute, excellent, mais qui n’est plus de notre temps, ils se croironterreur la plus déplorable !semblables à ces grands hommes[131]. Il faut remarquer d’abord que ceux que Quintilien attaqua, ce sont les imitateurs, servum pecus. Quant aux Gracques mêmes, il déclare que leur style n’est plus de son temps. Que doit-on en conclure ? Que ce style en lui-même est mauvais ? Non, certes ; mais que l’auteur de l’Institutio Oratoria et ses contemporains, dominés par l’influence de l’école cicéronienne, ne savaient plus apprécier à leur juste valeur les formes nerveuses de l’éloquence des anciens républicains, plutôt hommes d’action que beaux diseurs. Fait, rare, d’ailleurs, le disciple avait cette fois, adouci la critique du maître. Cicéron veut donner un exemple d’une phrase mal construite d’un orateur sans art[132], et cette phrase ; c’est à Caïus qu’il l’emprunte ; la voici : Abesse non potest quin ejusdem hominis sit probos improbare qui improbos probet[133]. Cicéron la corrige et lui donne cette forme : Abesse non potest quin ejusdeni hominis sit qui improbos probet, probos improbare. En admettant que la période ait ainsi plus d’harmonie et rende le trait plus incisif, il est difficile de s’expliquer comment Cicéron a pu juger avec tant de sévérité la manière d’écrire de Caïus. — Il se montra plus équitable dans le Brutus, où il déclare que les Gracques l’emportèrent sur Galba, Caton, Lepidus et Carbon par un style bien plus libre et bien plus dégagé (multo faciliore et liberiore genere dicendi)[134]. — C’est à ce jugement qu’il faut s’en tenir : il est, d’ailleurs, confirmé par Aulu-Gelle[135], et mieux encore par les fragments qui sont parvenus jusqu’à nous. N’y a-t-il point de l’art dans cette phrase qui donne un modèle parfait de la figure connue en rhétorique sous le nom de climax ou échelle : Pueritia tua adolescentiæ tuæ inhonestum fuit, adolescentia senectuti dedecoranxentunz, senectus reipublicœ flagitium[136]. Et celui qui a écrit cette période si bien cadencée : Quæ vos per hosce annos appetistis, atque voluistis, ea, si temere repudiaritis, abesse non potest, quin aut olim cupide appetisse, aut nunc temere repudiasse dicamini[137], celui-là, dis-je, est-il un orateur sans art presque grossier (inconditus), ou bien un brillant disciple des rhéteurs grecs ?

L’antiquité ne s’y trompa pas : elle regarda toujours les discours de Caïus comme d’admirables modèles. Tous les orateurs qui vécurent avant Cicéron s’efforcèrent le plus possible de les imiter[138]. L’auteur de la Rhétorique à Herennius déclare que si un auteur peut prendre des exemples dans Ennius et dans Gracchus, il y a, de sa part présomption à laisser de côté leurs écrits, et à descendre (devenire) jusqu’à citer les siens[139]. Cicéron, lui-même, qui connaissait à fond les discours de Caïus, en recommandait avec chaleur la lecture incessante : Voici enfin un homme doué du plus beau génie, passionné pour l’étude et formé dès l’enfance par de savantes leçons : c’est Caïus Gracchus. Gardez-vous de croire, Brutus, que personne ait jamais eu une éloquence plus riche et plus abondante... Lisez-le, mon cher Brutus, lisez-le sans cesse. Sa mort prématurée fut une perte pour la république et pour les lettres latines. Peut-être qu’en éloquence il n’eut jamais trouvé personne qui l’égalât. Il n’a pu mettre la dernière main à ses ouvrages. Plusieurs sont d’admirables ébauches qui seraient devenues des chefs-d’œuvre. Oui, Brutus, si un orateur mérite d’être lu par la jeunesse, c’est Caïus Gracchus. La lecture de ses discours peut, à la fois, aiguiser l’esprit et féconder l’imagination[140]. Nous avons vu précédemment que, du temps de Quintilien, Caïus avait encore des admirateurs, et que, dans les écoles, les maîtres donnaient à leurs élèves ses harangues comme des modèles à suivre[141]. Enfin, sous les derniers Antonins, on les lisait encore et Marc-Aurèle écrivait à son professeur de rhétorique Fronton : Je n’ai pas besoin de vous dire combien la lecture de ces discours de Gracchus m’a charmé ; vous le savez fort bien, vous qui m’avez exhorté à les lire, vous dont le goût est si sûr...[142] Il n’y a rien à ajouter à cet hommage rendu par le plus grand des empereurs romains au plus populaire des orateurs de la Rome républicaine.

 

APPENDICE I

Versatus sum in provincia, quomodo ex usu vostro existimabam esse, non quomodo ambitioni meæ conducere arbitrabar. Nulla apud me fuit popina, neque pueri eximia facie stabant, et in convivio liberi vostri modestius erant quam apud principia. »

Deinde : Ita versatus sum in provincia, ut nemo possit vere dicere assem aût eo plus in muneribus me accepisse, atit mea opera.quemquam sumptum fecisse. Biennium fui in, provincia : si ulla meretrix domum meam introivit, aut cujusquam servulus propter me sollicitatus est, omnium nationum postremissimum nequissimumque existimatote. Cura a servis eorum tam caste me habuerim, inde poteritis considerare quomodo me putetis cum liberis vostris vixisse.

Itaque, Quirites, cum Romam profectus sum, zonas, quas plenas argenti extuli, eas ex provincia inanes rettuli. Alii vini amphoras, quas plenas tulerunt, eas argento repletas domum reportaverunt.

AULU-GELLE, XV, 12.

 

APPENDICE II

Nuper Teanum Sidicinum consul venit ; uxor ejus dixit, se in balneis virilibus lavari velle. Quæstori Sidicino a M. Mario datum est negotium, uti balneis exigerentur, qui lavabantur. Uxor renuntiat viro, parum cito sibi balneas traditas esse et partira lautas fuisse. Idcirco palus destitutus est in foro, eoque adductus suæ civitatis nobilissimus homo, M. Marius. Vestimenta detracta sunt, virgis cæsus est. Caleni, ubi id audierunt, edixerunt, ne quis in balneis lavisse vellet, cum magistratus Romanus ibi esset. Ferentini ob eamdem causam prætor noster quæstores arripi jussit : alter se de muro dejeçit, alter prensus et virgis cæsus est.

Ailleurs. Quanta libido quantaque intemperantia sit hominum adolescentium, unum exemplum vobis ostendam. His annis paucis ex Asia missus est, qui per id tempus magistratum non ceperat, homo adolescens pro legato. Is in lectica ferebatur. Ei obviam bubulcus de plebe Veausina advenit, et per jocum, cum ignoraret qui ferretur, rogavit num mortuum ferrent. Ubi id audivit, lecticam jussit deponi, struppis quibus lectica deligata erat, usque adeo verberari jussit, dura animam efflavit.

AULU-GELLE, X, 3.

 

APPENDICE III

Oratio qua legem Aufeiam dissuasit.

Nam von, Quirites, si velitis sapientia atque virtute uti, et, si quæritis, neminem nostrum invenietis sine pretio hue prodire. Omnes nos, qui verba facimus, aliquid petimus, neque ullius rei causa quisquam ad vos prodit, nisi ut aliquid auferat. Ego ipse, qui apud vos verba facio, uti vectigalia vostra augeatis, quo facilius vostra commoda et rempublicam administrare possitis, non gratis prodeo : verum peto a vobis non pecuniam sed bonam existimationem atque honorera. — Qui prodeunt dissuasuri, né hanc legein accipiatis, petunt non honorera a vobis verum a Nic_omede pecuniam. Qui suadent, ut accipiatis, ii quoque petunt non a vobis bonam existimationem verum a Mithridate rei familiâri suœ pretium et prmmium. Qui auteur ex eodem loto atque ordine tacent, ii vel acerrimi sunt : nain ab omnibus pretium accipiunt et omnes fallunt. Vos, cum putatis eos ab his rebus remotos esse, impartitis bonam existimationem. Legationes autem a regibus, cum putant eos sua causa reticere, sumptus atque pecunias maxumas preebeut ; item uti in terra Grœcia quo in tempore Græcus tragædus gloriæ sibi ducebat, talentum magnum ob unam fabulam datum esse, homo eloquentissimus civitatis suce, Demades, ei respondisse dicitur : Mirum tibi videtur, si tu loquendo talentum quæsisti ? Ego ut tacerem, decem talenta a rege accepi. Item nunc isti pretia maxuma ob tacendum accipiunt.

AULU-GELLE, XI, 10.

 

Annales de la Facultés des Lettres de Bordeaux — 1890

 

 

 



[1] Ep., l. II, 1, vers. 156.

[2] Cicéron, pro archia, 3. Erat Italia tunc plena græcarum artium ac disciplinarum.

[3] An 593 de Rome.

[4] Pline, H. N., 35, 11,

[5] Brutus, 27.

[6] Cicéron, Brutus, 26.

[7] Brutus, 35.

[8] Cicéron, Brutus, 20. Tiberius Gracchum, P. F. qui bis censor et consul fuit, habitum eloquentem. — Il est vrai que Cicéron se dément (de orat., I, 9).

[9] Brutus, 19.

[10] Brutus, 58, et Quintilien, I, 16.

[11] Les lettres de Cornélie que l’on trouve dans Cornélius Nepos sont généralement attribuées à un rhéteur.

[12] Plutarque, Tiberius, 2, Ed., Reiske, 612-3.

[13] Plutarque, Tiberius, 2, Ed., Reiske, 612-3.

[14] Cicéron, Brutus, 27.

[15] Cicéron, Brutus, 27.

[16] Pline, Hist. nat., XIII, 42.

[17] Appien, B. C., I, 9, 11 ; Plutarque, Tiberius, 9, 45.

[18] Eplendt, XXXIX. Meyer, Fragmenta oratorum Romanorum, 1837, p. 248. Westermann, p. 71.

[19] L’an 136 avant Jésus-Christ.

[20] Tite-Live, Ep., 55 ; Plutarque, Tiberius, 7 ; Cicéron, de Offic., 3, 30.

[21] Quint., 7, 4, 13 ; Martianus Capella, p. 415, éd. Capperonnier, cité par Meyer, p. 217, Aurel. Victor, de Vir. ill., c. 64, cité par Meyer (id.).

[22] Plutarque, Tiberius, 7, éd. Reiske, 620.

[23] L’an 133 av. J.-C. — Plutarque, Tiberius, éd. Reiske, 622.

[24] Tite-Live, XL, 36 : Is ipse exercitus œgre explebatur. — XLI, 21 : Delectus consulibus difficilior.

[25] Tite-Live, VII, 31 (formule de dédition).

[26] Cicéron, Verrines, III, 6 ; Tite-Live, II, 4.

[27] Tite-Live, IV, 36.

[28] Tite-Live, XXVIII, 46.

[29] Voir Plutarque, Tiberius, 8.

[30] Appien, G. Civ., I, 7.

[31] Appien, G. Civ., I, 9. Salluste, Jugurtha, 41 : Ut quisque potentiori confinis erat, pellebatur sedibus.

[32] Pline l’Anc., XVIII, 6, 7, 4. Colum., préface : Nostro accidere vitio qui rem rusticam pessimo cuique servorum, velut carnifici noxœ dedimus...

[33] Plutarque, Tiberius, 8, éd. Reiske, 623.

[34] La malaria. Cicéron (de Rep., 116), dit de Rome : Locum in regione pestilenti salubrem.

[35] Plutarque, Tiberius, 8, éd. Reiske, p. 622.

[36] Plutarque, Tiberius, 9, éd. Reiske, p. 624.

[37] Tite-Live, Ep. 58.

[38] Appien, B. C., I, 9.

[39] Appien, B. C., I, 11. Et non une indemnité pour les terres rendues, comme l’a dit Plutarque, Tiberius, 9, éd. de Reiske, p. 624.

[40] Appien, B. C., I, 11.

[41] Appien, I, 9.

[42] Appien, I, XI (Berger, p. 156, 157.)

[43] Plutarque, Tiberius, 9, éd. Reiske, p. 625, 6.

[44] Plutarque, Tiberius, 10, éd. Reiske, p. 626.

[45] Plutarque, Tiberius, 10, p. 626.

[46] Plutarque, Tiberius, 10, p. 627.

[47] Plutarque, Tiberius, 11, p. 629.

[48] Plutarque, Tiberius, 11, M. Reiske, p. 629 ; trad. Pierron, p. 185.

[49] Plutarque, Tiberius, 15, éd. Reiske, 636-639, trad. Pierron, p. 190.

[50] Plutarque, Tiberius, 10. Ed. Reiske, 627. Appien ne parle pas de la suppression de ces deux articles.

[51] Plutarque, Tiberius, 13. Ed. Reiske, 632.

[52] Plutarque, Tiberius, 14. Ed. Reiske. 632.

[53] Voir pour la mort de Tiberius et pour les événements qui la précédent Plutarque, chap. 17-20. Ed. Reiske, p. 640-645.

[54] Plutarque, Tiberius, 20. Ed. Reiske, p. 646.

[55] Plutarque, Tiberius, 20. Ed. Reiske, p. 647.

[56] Velleius, II, 61 ; Plutarque, Tiberius, ch. 2 ; Dion Cassius, fragment cité par Meyer ; Tite-Live, Épitomé, 60 : C. Gracchus, tribunus plebis, cloquentior quam frater.

[57] Ellendt : Dissert., p. XXX et XXXI.

[58] Plutarque, Caïus, ch. 1.

[59] Plutarque, Tiberius, 21 ; Ed. Reiske, 648-9.

[60] Plutarque, Caïus, 1 ; Ed. Reiske, p. 650.

[61] Tite-Live, Épitomé, 59.

[62] Plutarque, Tiberius, 21 ; Ed. Reiske, p. 649.

[63] Charisius, II, p. 214. Pessumi fratrem meum optumum interfecerunt. Hem, videte quam par pari sint ! Meyer, p. 227. Ed. 1837.

[64] Charisius, II, p. 181. Ne quam injuriose nobis contumeliam imponi sinatis. Id., 278.

[65] Tite-Live, Épitomé, 59.

[66] An 628 de Rome, 126 avant J.-C. Cicéron, de Off., III, 11.

[67] Festus, au mot Respublicæ. Eæ nationes cum aliis rebus, tum per avaritiam atque stultitiam respublicas suas amiserunt.

[68] Cicéron, de Off., III, 2.

[69] Plutarque, Caïus, 2. Edit. Reiske, p. 652.

[70] Id., p. 653 ; mais Plutarque dit trois ans ; nous avons corrigé, d’après Aulu-Gelle, XV, 12.

[71] Aulu-Gelle, XV, 12. V. Appendice I.

[72] Cicéron, in Orat., 70.

[73] V. Madwig : Opusc., p. 88, cité par Meyer.

[74] Aulu-Gelle XV, 12.

[75] Plutarque, Caïus, 2. Reiske 654.

[76] Plutarque, Caïus, 2. Reiske 653.

[77] Plutarque, Caïus, 2. Reiske 653.

[78] C’est d’ailleurs le titre donné par Meyer dans ses dernières éditions, particulièrement celle de 1842 (Zurich.)

[79] An 629 de Rome, 125 av. J.-C. — Tite-Live, Épitomé, 60. Velleius Paterculus, II, 6.

[80] Priscian, X, 4, p. 488 : Si nanciam populi desideria, comprobabo reipublicæ commoda. Meyer, p. 237.

[81] Plutarque, Caïus, 3. Ed. Reiske p. 654, 5.

[82] Plutarque, Caïus, 4. Reiske p. 656.

[83] Festus, p. 150, cité par Meyer ; Aulu-Gelle, I, 7.

[84] Festus, p. 201, cité par Meyer.

[85] Plutarque, Caïus, 3 ; tr. Pierron, p. 202 ; Ed. Reiske. p. 655.

[86] Festus au mot Occisitantur : Homines liberi nunc in oppido occisitantur.

[87] Aulu-Gelle, XI, 13.

[88] Tite-Live, Épitomé, 60.

[89] Appien, B. C., I, 21.

[90] Mommsen, t. IV, ch. Ier.

[91] Plutarque, Caïus, 5 ; Reiske 657.

[92] Plutarque, Caïus, 6 ; Reiske 659.

[93] Scholiast. Ambrosianus Ciceronis ad. orat. pro Sylla, c. 9 (p. 365, édit. Orelli).

[94] Trad. Alexandre. T. IV, p. 51.

[95] Aulu-Gelle IX, 14.

[96] Aulu-Gelle, X, 3. V. Appendice II.

[97] Aulu-Gelle, X, 3. V. Appendice II.

[98] Aulu-Gelle, X, 3.

[99] 130 avant J.-C.

[100] Aulu-Gelle, XI, 10. V. Appendice III.

[101] Plutarque, Caïus, 8. Reiske p. 661.

[102] Plutarque, Caïus, 5, p. 658 ; Appien I, 22 ; Velleius II, 6 ; Tacite, Annales, XII, 60.

[103] Appien, I, 23.

[104] Velleius, II, 6. Dabat civitatem omnibus Italicis, extendebat eam pœne usque ad Alpes.

[105] Plutarque, Caïus, 8 et 9, pp 662-3.

[106] Plutarque, Caïus, 10, p. 665.

[107] Diomed., I, p. 395 (cité par Meyer) : Quibus ego primus quomodo auxiliem.

[108] Diomed., I, p. 291 (cité par Meyer) : Usque adeo pertœsum vos mihi esse.

[109] Festus, au mot Osi : Mirum si quid his injuriœ fet : semper cos sunt.

[110] Plutarque, Caïus, 13, p. 611.

[111] Plutarque, Caïus, 17, p. 611.

[112] Aulu-Gelle, X, 3

[113] Fronton à César I, 1. Ed. Naber (Leipsig 1867) p. 214. Gracchus tumultuatur et Contionatur turbulente.

[114] Mommsen, Hist. rom., t. IV ; trad. Alexandre, p. 51.

[115] Cicéron, Brutus, 33. ...genere toto gravis.

[116] Servius, Comment. de l’Enéide, XI, v. 30, 1.

[117] Cicéron, de Oratore, III, 56. Quo me miser conferam ? Quo vertam ? In Capitoliumne ? At fratris sanguine redundat ! An domum ? Matremne ut miseram lamentantem videam et abjectam. Quœ sic ab illo acta esse constabat oculis, noce, gestu, inimici ut lacrimas tenere non possent.

[118] Priscian, III, 1, p. 108 (cité par Meyer) : Utrum meorum inimicorum factio an magis sollicitudo te impulit ut in me industrior sis quam in te ?

[119] Isidore, Orig. XIX, 32, 4, p. 116, édit. Linden. Considerate, Quirites, sinistram ejus ! En cujus auctoritatem sequimini qui propter mulierum cupiditatem ut mulier est ornatus.

[120] Plutarque, Caïus, ch. 4 ; et Sénèque, Consolation à Helvia, ch. 16 (le début seulement).

[121] In Epist. ad Sebandum rhetorem (cité par Meyer).

[122] Epist. I, 20.

[123] Dialogue des orateurs, 18.

[124] Brutus, ch. 33.

[125] De Orat., III, 56.

[126] Plutarque, Tiberius, 2. Ed. Reiske, p. 612.

[127] Cicéron, de Legibus, III, 9.

[128] Plutarque, Caïus, 4, Reiske 656.

[129] Cicéron, de Orat. III, ch. 60, cum eburnolea fistula.

[130] Plutarque, Tiberius, 2, Reiske 613.

[131] Quint., Inst. Orat., II, 5, 21.

[132] Orator., ch. 70, alicujus inconditi dissipatam sententiam.

[133] Il n’est pas loin de désapprouver les gens de bien, celui qui approuve les méchants.

[134] Brutus, paragr. 96.

[135] Aulu-Gelle, XI, 13.

[136] Isid., Orig. II, 21 (cité par Meyer) : Ton enfance a fait la honte de ta jeunesse ; ta jeunesse, le déshonneur de ta vieillesse ; ta vieillesse l’opprobre de la république.

[137] Aulu-Gelle, XI, 13, fragment cité et traduit précédemment.

[138] Cicéron, de Or., I, 34.

[139] Auct., ad Her. IV, 1, 2.

[140] Cicéron, Brutus, 33.

[141] Quint., II, 5, 21.

[142] Ep. III, 18. Marcus Cæsar scribit : In quantum me juverit lectio istarum rationum Gracchi, non opus est me dicere.