LA MARQUISE DE VERNEUIL ET LA MORT D'HENRI IV
PREMIÈRE PARTIE. — LES DERNIÈRES AMOURS DU VERT-GALANT
CHAPITRE IV.
L'enfant d'argent de Cléry. — Négociations pour le nouveau mariage du roi. — Henriette d'Entragues, marquise de Verneuil. — L'expédition de Savoie.Elle passa favorite en titre, comme Gabrielle, et sans qu'Henri IV oubliât du reste de lui faire, de temps à autre, quelque infidélité. Mais il revenait toujours à cette créature captivante, espiègle et fine, si vive, alerte et jolie. C'était la verve, la gaudriole ; et l'esprit l'attachait comme la personne, les sourires et les mines. Elle avait la volupté gaie, amusante ; de la curiosité et de la malice assez pour retenir le roi vieillissant, qui goûtait en connaisseur ce fruit vert et quelque peu acide ; des bons mots, des contes, des joyeusetés imprévues et en même temps des câlineries et des enfantillages qui en auraient pris bien d'autres. Le ménage, toutefois, voyait souvent des disputes, car Henriette avait le caractère pointu[1] et, pour se défendre, usait du bec et des ongles. Sa langue acerbe, maligne et rieuse, ne ménageait personne, et le roi tout le premier était le sujet de ses plaisanteries[2]. — Mais se fiant aux clauses de la promesse consentie, elle désirait un fils et multipliait les rendez-vous. Son amant lui-même les sollicitait en termes fort libres, en phrases cyniquement caressantes, dit M. L. Jarry[3], la traitant à la guisarde, répétait-il souvent[4], car il pouvait la considérer comme un caprice chèrement payé. Elle se trouva enfin enceinte, circonstance qui surexcita son orgueil et son ambition, mais qui fut une nouvelle cause d'inquiétude pour l'entourage du roi, — ceux qui voyaient avec inquiétude ses escapades continuelles et en calculaient les conséquences. Il fallait désormais compter avec elle et, en attendant, monter sa maison, lui témoigner plus de respect. Si elle mettait au monde un garçon, la promesse signée allait jouer un rôle grave. Le Béarnais, d'ailleurs, ne pensait qu'à se délivrer des liens que sa maîtresse s'efforçait de resserrer au contraire, trahissant enfin son caractère véritable : l'égoïsme, lorsque justement la grossesse survenait à propos pour le forcer à prendre un parti. Le tendre roman commencé menaçait en somme de finir par un scandaleux mariage. — Henriette, on peut le penser, désirait surtout un enfant masculin, et il y eut alors un incident curieux : petite-fille de Jean Touchet, qui avait été huguenot, elle se rendit dans un des sanctuaires les plus fameux de l'Orléanais, Notre-Dame-de-Cléry, de tout temps fertile en miracles, et y présenta en ex-voto un enfant d'argent[5]. Mais l'opinion de la Cour, en général, comme du pays même, ne lui était pas favorable. On avait trop redouté l'élévation au trône de Gabrielle d'Estrées pour approuver celle d'Henriette. Sully s'était de suite déclaré son adversaire et répétait que, fût-il seul, il se mettrait en travers de ses ambitions[6]. La rouée commère était du reste bien capable de se procurer un enfant par d'autres moyens que ceux du roi[7]. Mais Henri IV déclarait entre temps à Villeroi et au chancelier qu'il montrerait à son peuple qu'il ne résistait pas à ses désirs et qu'il avait résolu de se remarier hors du royaume. Le propos fut rapporté à Mlle d'Entragues qui accourut avec des cris, éclata en reproches et en invectives, jurant de se servir enfin du fameux papier. Le roi l'avait écoutée impassible, mais assez mortifié. Il lui assura ensuite que, s'il l'aimait toujours, sa résolution, commandée par les circonstances, était irrévocable, puis déclara à Mme d'Entragues, la mère, que si sa fille continuait à lutter, il ne la garderait pas davantage. La bonne dame craignit une rupture et garantit l'obéissance d'Henriette ; elle espérait que Sa Majesté leur ferait du bien... Certainement, affirma le roi qui ne croyait pas si bien dire, je la tiendrai toujours pour ma maîtresse. — Son entourage, cependant, pressait les négociations d'un mariage avec Marie de Médicis, nièce du grand-duc de Toscane, et tout en restant ferme dans ses desseins, le roi hésitait à en informer définitivement Henriette, tant il craignait ses récriminations. Il négociait de préférence avec les parents et finit par envoyer de Fontainebleau (21 avril 1600) deux lettres, l'une à la jeune femme, où il se montrait sec et cassant, lui reprochant son ingratitude (!), la légèreté de son âme, son mauvais naturel, — dont il aurait bien dû s'apercevoir d'abord, — et avec une réponse le jour même, lui réclamait la promesse de mariage et le renvoi d'une bague[8] ; l'autre à François de Balzac où il se montrait plus insinuant, mais demandait toujours l'acte souscrit à Malesherbes, avec promesse, s'il le rapportait, de lui dire ses raisons, qui étaient domestiques et non d'État, l'assurant pour le reste qu'il était un bon maître [9]. — Mais le père et la fille gardèrent un silence de mauvais augure. Le roi, qui désirait un arrangement dans la perspective de son nouveau mariage, hésitait et ne savait comment s'y prendre pour calmer Henriette. Ce fut Mme d'Entragues qui le tira d'embarras ; elle se possédait mieux que sa fille et arriva à lui faire comprendre qu'elle prenait le mauvais chemin ; que rien n'était encore désespéré, et qu'il fallait au moins se faire un mérite de la résignation. Quelques paroles amicales, dont le sens fut interprété favorablement par le roi, amenèrent enfin une détente, et le don de la terre de Verneuil, érigée en marquisat, devint le gage d'un raccommodement, au moins passager. Henriette de Balzac d'Entragues devint marquise de Verneuil[10]. Le monarque, à ce moment, sur les instances de Rosny, devait partir pour Lyon où l'appelaient les affaires de Savoie, et malgré les disputes, malgré les piques et bouderies, il remettait chaque jour, tant avait de puissance sur lui la charmeresse qu'il avait pour compagne. Elle était entrée dans son septième mois de grossesse ; si elle accouchait d'un garçon, il allait se trouver pris entre la promesse qu'il avait faite de l'épouser, — promesse que la marquise s'était bien gardée de lui rendre, — et l'engagement définitif que Sillery, en son nom, venait de signer à Florence, près de Marie de Médicis. La Providence, — ou le hasard, — heureusement pour lui, devait intervenir. Il avait regagné Fontainebleau pour se rapprocher de la Savoie, et Henriette avait obtenu de le suivre, portée en litière à cause de ses couches prochaines, lorsqu'un jour d'orage, la foudre tomba par la fenêtre ouverte dans la chambre qu'elle occupait et passa sous le lit. Henriette, qui était couchée, se sentant lasse, eut une telle frayeur qu'elle fit une fausse couche[11] ; elle mit au monde un garçon que le roi fit ondoyer par le supérieur des Mathurins de Fontainebleau[12]. — Mais la Vierge, qui avait exaucé en somme son vœu de Notre-Dame de Cléry, ne lui accorda rien de ce qu'elle demandait dans la duplicité de son cœur, car l'enfant mourut presque de suite. Elle eut une crise terrible de désespoir, toutes ses espérances évanouies, éclata en cris et en reproches. Le roi, après l'avoir vaguement consolée, — heureux sans doute de ce dénouement imprévu, — partit enfin pour Lyon sur les remontrances de Rosny avec Hurault son aumônier et son confident. Il devait s'occuper de plus près de son mariage et d'une expédition qui se préparait contre la Savoie. Mais il s'arrêta à Moulins, où il retrouva Marie de la Bourdaisière, qui accompagnait toujours la reine Louise de Lorraine, et l'on dit qu'il perdit plus d'une semaine entre ses bras. Il n'arriva à Lyon que le dimanche 9 juillet. Le jour où l'on avait signé à Florence[13] le contrat de mariage de Marie de Médicis, il avait offert à Henriette d'Entragues — à titre de compensation ! — le comté de Beaugency[14], qui fut payé 34.809 écus (?). Elle était cependant décidée à lutter contre le destin qui
lui était si peu favorable, et à la suite de lettres tendres ou aigres-douces
il fut décidé qu'elle irait le rejoindre. Sa forte constitution avait à la
longue pris le dessus ; mais craignant un contre-ordre, elle prit de suite la
route de Lyon, où elle entra enfin le 20 octobre, en litière découverte[15]. Traitée en reine par le prévôt des marchands et les
échevins venus à sa rencontre à la porte du faubourg de Vaise pour la
complimenter[16], elle trouva à
Lyon des lettres du roi qui l'appelaient[17]. Elle le
rencontra à Saint-André-de-la-Côte, à mi-chemin de Grenoble, et les Mémoires
de Bassompierre donnent à ce propos de curieux détails : Bassompierre, tout jeune encore et qui voulait faire son chemin, désirait suivre Lesdiguères qui préparait une expédition dans la Maurienne. La période des guerres, en effet, n'était pas encore close et il restait à obtenir du duc de Savoie la restitution du marquisat de Saluces, occupé depuis 1588 et toutefois annexé à la France par le traité de Cateau-Cambrésis. Le duc avait autrefois répondu à Henri III qui le sommait d'en retirer ses troupes, qu'il ne les y laissait que pour empêcher les huguenots du Dauphiné de s'en emparer. Après la paix de Vervins, une nouvelle négociation avait commencé ; Henri IV, délivré de son plus terrible ennemi, le roi d'Espagne, voulait en terminer avec le duc Charles-Emmanuel, qui voulait faire intervenir le pape, puis en appelait au roi lui-même, et vint enfin à la cour, sous prétexte de traiter, mais de fait pour intriguer plus à son aise : Qu'il vienne, avait dit le Béarnais ; mais qu'il n'espère pas en être quitte pour une visite et des révérences ![18] Le duc se présenta avec une brillante escorte (14 décembre 1599) ; Henri IV le reçut à Fontainebleau, lui montra le château, le mena à la chasse, et enfin le conduisit à Paris. Des appartements lui avaient été préparés au Louvre, mais il préféra loger chez le duc de Nemours, qui était son proche parent. Il y eut cependant à la Cour des divertissements nombreux : courses de bague, tournois, banquets, comédie italienne, ballets ; l'étiquette avec un roi garçon — ou du moins qui se conduisait comme tel — était peu sévère, et le duc de Savoie avait une réputation de galanterie qui, dans l'occurrence, trouva bien encore à se fortifier. La liste de ses maîtresses et des enfants qu'il en avait eus, dit-on, égalait celle du roi, si elle ne la dépassait pas. De petite taille, le dos rond, plus que voûté, il rachetait sa disgrâce physique par tout l'esprit que l'on prête charitablement aux bossus. Il avait de grands yeux, dont la finesse adoucissait l'audace, le front large et haut, sous des cheveux qu'il portait taillés en brosse et parut un grand prince à côté d'un grand roi. Dans ses fourgons, il avait apporté cinq cent mille écus ; à l'occasion du premier de l'an, il les vida. Au roi, qui s'était contenté de lui donner son portrait, il offrit deux vases en cristal de roche, qui lui venaient de son aïeule, Béatrix de Portugal, présent que l'on compara, du reste, à la fragilité de ses promesses[19]. Henriette, qu'il avait gagnée avec un royal présent de perles, diamants et autres pierres précieuses, se hasarda de parler en sa faveur. Mais Henri IV n'admettait guère cette intrusion de femmes dans les affaires politiques ; c'était une de ses rares qualités et il serait injuste, de ne pas lui en tenir compte ; il la rabroua si vertement qu'elle n'eut pas envie d'y revenir. Le duc, à côté de Mme de Verneuil, avait pratiqué Bellièvre ; Biron ensuite, esprit inquiet, tourmenté d'orgueil[20] ; il avait eu avec le maréchal un premier entretien sur la route d'Orléans à Fontainebleau, et le sentait prêt à faiblir. Le roi, au cours des conversations qu'il eut avec lui, avait eu l'imprudence de répondre à ses confidences amoureuses par d'autres plus compromettantes ; de se plaindre ainsi de l'humeur intraitable de Biron, de son ingratitude, de sa vanité excessive[21], allant jusqu'à lui reprocher de n'être vraiment brave que lorsqu'il se battait sous ses yeux. Charles-Emmanuel -répéta ces propos ; il exalta l'orgueil du maréchal, flatta son ambition, en lui offrant la main de sa troisième fille et la souveraineté de la Bourgogne, dont il n'était que gouverneur, et eut finalement partie gagnée. Villeroy et Rosny surveillant leurs menées, les deux complices se virent en secret, à Conflans, et arrêtèrent de communiquer à l'avenir par l'entremise d'un sieur Jacques de La Fin, qui avait été au service du duc d'Alençon et du duc de Guise, et qui devait chaque nuit aller d'un hôtel à l'autre. Ils associèrent aussi à leurs ambitions et à leurs intrigues le duc de Bouillon et le comte d'Auvergne ; quant à Henriette d'Entragues, elle leur était acquise d'avance, Biron ayant encouragé des premiers ses prétentions matrimoniales. Le duc de Savoie cependant dut repartir. A la fin de février, le roi lui fit dire par Zamet qu'il lui céderait le marquisat de Saluces, mais voulait en échange la Bresse, le Valromey et le pays de Gex, — toute la frontière du Rhône, — lui laissant trois mois pour prendre l'avis de ses conseillers et se résoudre[22]. Le 7 mai, feignant d'accepter ces conditions, il quittait Paris. Mais, au terme convenu, il chercha encore des faux-fuyants, décidé surtout à pousser le temps de l'épaule. Cette fois, cependant, le roi était prêt ; la guerre déclarée le 11 août, Bourg en Bresse et Montmeillant furent enlevés par Biron, qui n'osa pas lever le masque, et par Lesdiguères, et le 20 du même mois, Henri IV en personne alla prendre Chambéry. Bassompierre avait été retenu par le roi et l'avait, accompagné presque depuis le début de la campagne. Mme de Verneuil, mandée par son amant, s'était rendue à Saint-André-de-la-Côte, et Henri IV y arrivait peu après avec le gentilhomme pour toute escorte. Ils étaient rompus d'avoir chevauché et dès l'abord une querelle éclata avec Henriette au sujet des infidélités du Béarnais avec Mlle de la Bourdaisière, dont elle avait été charitablement prévenue[23]. Mme de Verneuil ambitionnait sans doute beaucoup plus que la fidélité de son amant ; bien plus politique que tendre, en lui elle n'aimait pas l'homme ; elle n'aimait que le roi ; mais elle ne voulait pas perdre ce qu'elle avait gagné. La querelle tournant à la dispute et des paroles aigres échangées[24], Henri IV, qui était venu avec des intentions plutôt amoureuses, prit brusquement son parti ; il dit à son compagnon de faire seller les chevaux et voulut repartir. Mais Bassompierre, peut-être d'accord secrètement avec la marquise, s'y opposa : Je dirai bien, fit-il, qu'on selle le vôtre ; mais, pour moi, je me déclare du parti de Mme de Verneuil pour rester avec elle ! Le roi fut un peu surpris de cette intervention, mais il en sut gré à Bassompierre. Les deux amants, en somme, ne demandaient comme toujours qu'à se reprendre ; le gentilhomme finit par les accorder et l'on coucha à Saint-André pour reprendre le lendemain seulement la route de Grenoble[25]. Henriette aurait bien voulu en somme reprendre sa place comme si rien ne s'était passé. Mais à l'arrivée du légat, le cardinal Aldobrandini, neveu de Clément VIII, qui avait fait le mariage italien à Florence, et venait s'entremettre pour le bien de la paix, le roi se laissa enfin convaincre de l'inconvenance qu'il y aurait à ne pas éloigner, momentanément au moins, sa maîtresse. Elle voulait rester quand même, montrer l'engagement pris avec elle et faire annuler le mariage ; mais il la cajola si bien qu'il la décida à partir seule pour Lyon, tandis qu'il revenait à Chambéry recevoir le légat pour la fête de la Toussaint. — De Lyon, les échevins avaient envoyé pour la ramener un bateau couvert, luxueusement aménagé ; elle s'embarqua sur le lac du Bourget, descendit le Rhône et regagna Lyon qui lui fit une réception magnifique, comme autrefois à Diane de Poitiers ; elle reçut même les drapeaux conquis sur le duc de Savoie[26] et les hommages des troupes victorieuses, tandis que son frère — le comte d'Auvergne qui commençait déjà ses menées — cherchait à lever des troupes au nom du roi pour le combattre, et à fomenter des révoltes dans le royaume. En apprenant l'arrivée prochaine de Marie de Médicis, elle avait eu un nouvel accès de colère et en hâte avait regagné Paris[27]. Henri IV prit la poste derrière elle, mais ne fut reçu qu'avec des récriminations, des paroles violentes et des injures même. On sait combien l'époque avait son franc-parler. Henriette, décidément trompée dans ses espérances, lui prodigua les épithètes les plus grossières. Puis elle se ravisa ; elle pensa s'être trop laissé entraîner et lui écrivit (novembre 1600). — La langue écrite autrefois, on peut s'en être déjà rendu compte bien ailleurs, était très différente de la langue parlée. Elle procédait surtout par longues périodes ampoulées et qui semblaient à tous du meilleur goût, peut-être simplement parce qu'on n'avait pas trouvé encore, dans le style familier, la manière de dire clairement les choses, surtout lorsqu'il s'agissait de produire non un billet, comme sont presque toutes les lettres d'Henri IV, mais un morceau de longue haleine et développant une certaine éloquence. La lettre d'Henriette qui nous a été conservée n'échappe pas à ces critiques : Je suis, écrivait-elle, réduite au malheur qu'un grand bonheur m'a fait naguère craindre. Il faut que je confesse que je devais cette crainte à la connaissance de moi-même, puisque si grande différence de ma qualité à la vôtre me menaçait du changement qui me précipite du ciel où vous m'avez élevée, en la terre où vous m'avez trouvée. Ce n'est, pas, Sire, qu'en cette chute mortelle, je connaisse avoir plus été en ma fortune qu'un mécontentement qui n'a rien de commun avec les œuvres du sort, car ma félicité dépendait plus de vous que de la puissance du destin, auquel je ne donnerai point la coulpe de ma douleur, puisqu'il vous plaît qu'elle soit le prix des joies publiques que la France reçoit en votre mariage ; douleur, à la vérité, que je suis contrainte d'avouer, non parce que vous devez accomplir le vœu de vos sujets, mais parce que vos noces sont les funérailles de ma vie et qu'elles m'assujettissent au pouvoir d'une cruelle discrétion, qui me bannit de votre royale présence et de votre cœur, pour n'être dorénavant offensée des œillades dédaigneuses de ceux qui m'ont vue au rang de vos bonnes grâces, aimant mieux soupirer en liberté dans ma solitude que respirer avec crainte en bonne compagnie. C'est une humeur que votre générosité a nourrie, ou un courage que vous m'avez inspiré, lequel ne m'ayant pas appris à m'humilier aux infortunes, ne peut permettre que je retourne en ma première condition. Je ne vous parle que par soupirs ; car pour mes plaintes secrètes, Votre Majesté les peut sourdement entendre de ma pensée, puisque vous connaissez aussi bien mon âme que mon corps. En mon misérable exil, il ne me reste que cette seule gloire d'avoir été aimée du plus grand monarque de la terre ; d'un roi qui s'est voulu tant abaisser de donner le titre de maîtresse à sa servante et sujette ; d'un roi qui ne reconnaît que celui des cieux... Souvenez-vous, Sire, d'une demoiselle que vous possédez avec ce qu'elle vous doit naturellement, ce qu'elle ne pouvait faire qu'en votre unique foi, qui a autant de pouvoir sur mon honneur que Votre Royale Majesté a sur la vie de votre très humble et très obéissante servante et sujette[28]. Après ces périodes dans le style noble, Henriette attendit. Le tour en somme était habile avec un homme comme Henri IV, qui se croyait toujours et malgré tout aimé pour lui-même, et la lettre de Mme de Verneuil le flatta d'autant plus qu'il n'avait aucune envie de s'en débarrasser ; il n'aurait voulu que reprendre sa promesse de mariage. Elle resta favorite en titre, toujours est-il, et accompagna même le roi dans une nouvelle expédition contre la Savoie ; mais le duc, instruit par sa précédente mésaventure, crut plus sage de traiter. Il vint au-devant du roi de France et au lieu de bataille, il n'y eut que fêtes et galanteries, où la marquise, a-t-on rapporté, se divertit beaucoup. Les deux princes enfin s'entendirent sur les questions capitales et Henri IV revint à Paris sans attendre la signature du traité[29], pour reprendre ensuite la route de Lyon et aller au-devant de la reine. Mais les politiques, Sully en tête, qui avaient cru habile de le marier en espérant qu'il se tiendrait désormais tranquille, ne devaient réussir qu'à compliquer sa situation domestique. La sotte Italienne qu'ils lui donnèrent alors n'était pas capable de le faire renoncer à ses anciennes passions, et il se trouva que son union de Florence, si honorable fût-elle, devint le point de départ de nouvelles difficultés, ajoutant aux rivalités anciennes de ministres, de favoris et de femmes, les criailleries et les revendications de l'épouse légitime. |
