Henriette d'Entragues. — Sa famille. — La nouvelle maîtresse fait ses conditions. — La promesse de mariage.Après la mort de la marquise de Monceaux, le roi qui avait toujours besoin de s'occuper d'une jupe, pourrait-on dire, fut quelques jours mélancolique, désheuré, confiné dans son chagrin, ne recevant que de rares visites et manifestant sa douleur en dépit de son entourage. Revenu à Fontainebleau, il disait à Bassompierre qui avait conduit Gabrielle chez Zamet : Vous avez été le dernier auprès de ma maîtresse ; demeurez près de moi pour m'en entretenir[1]. Mais impressionnable, ardent au plaisir, toujours prêt à goûter les distractions, même frelatées qu'on pouvait lui offrir, vieux galant épris de toutes les femmes, il ne croyait plus sentir battre son cœur dès qu'il cessait d'aimer, a dit un de ses historiens[2]. C'était bien le travers de cet homme si remarquable à d'autres égards, le côté faible que savaient exploiter les courtisans, et il ne devait sortir d'une intrigue que pour tomber dans une autre. Les familiers, Fouquet de la Varenne en tête[3], voulurent pour le distraire l'emmener à la chasse et s'inquiétèrent de lui donner une consolatrice. Tandis que Sully, qui représentait toujours la raison d'État, — ne voyant que l'avenir de la dynastie que quelques bâtards ne pouvaient assurer, — poursuivait des négociations avec la Toscane à l'effet d'obtenir la main de Marie de Médicis, ou réussit à entraîner le roi dans une nouvelle aventure[4]. Il y avait encore des troubles dans le Midi et il manifestait l'intention d'y aller voir. C'était faire diversion à son chagrin. En traversant la Beauce, on lui conseilla de s'arrêter au château de Malesherbes, qui était la propriété de François de Balzac d'Entragues. De jolies filles s'y trouvaient, — ses filles, — ce qui était bien suffisant pour décider le monarque. Il allait d'ailleurs tomber dans une famille d'intrigants, tous de conscience élastique, et sans le moindre scrupule lorsqu'il y allait de leur avantage. A tour de rôle guisards, puis royalistes, fanatiques de Villeroy et ensuite ses ennemis, les Entragues louvoyaient, si l'on peut ainsi dire, vivaient d'expédients et d'arrangements toujours provisoires, mais qui se succédaient avec régularité. Ils étaient originaires de Balzac en Auvergne, à deux lieues de Brioude, et avaient pris le nom d'Entragues au mariage de Jeanne de Balzac avec Claude d'Urfé, bailli de Forez ; ils se rattachaient aux comtes de Clermont, aux barons des Dunes et aux seigneurs de Montaigu, et certains d'entre eux avaient en même temps une certaine notoriété : Jean de Balzac, qui avait aidé de ses deniers Charles VII contre les Anglais ; Roffec, sénéchal d'Agenais et gouverneur de Pise sous Charles VIII ; Guillaume, gouverneur du Havre-de-Grâce. Ils portaient d'azur à trois sautoirs d'argent, au chef d'or à trois sautoirs d'azur. Guillaume de Balzac, un des fidèles de la maison de Lorraine, était lieutenant de la compagnie de gens d'armes de François de Guise. De ses deux fils, Charles et François, Charles d'Entragues fut le bel Entraguet, un des favoris d'Henri III qu'il aidait même dans ses escapades[5]. Mais le roi le prit en aversion à la suite du fameux duel des Mignons, au Marché-aux-Chevaux, où il se battit contre Quélus, et il ne s'en tira que grâce à la protection du duc Henri de Guise. Son frère François était en 1567 commandant de cinquante hommes d'armes des ordonnances, l'année même où Condé s'empara d'Orléans[6]. Après la paix de Longjumeau il fut nommé gouverneur de Chartres ; mais le mauvais accueil de la duchesse de Ferrare[7] força à le transférer au gouvernement d'Orléans, où il était encore au moment de la Saint-Barthélemy. Chargé de missions les années suivantes, il fortifia Orléans et Beaugency contre les entreprises toujours à craindre des huguenots, et en reconnaissance de ce service, reçut à Marcoussis, sa propriété, dix poinçons de vin, un coffre de bahut, un lit de camp, une poche où étaient plusieurs meubles et une robe mise en une toilette noire que la municipalité d'Orléans envoyait à Mme d'Entragues, Jacqueline de Rohan[8]. Pour obéir au roi, il favorisa ensuite les débuts de la Ligue, à Orléans encore et à Pithiviers (1578). A la mort de Cossé, Cheverny fut nommé gouverneur de l'Orléanais (1582) et d'Entragues resta lieutenant général pour le roi. Il était toujours guisard cependant et les pamphlets royalistes de l'époque ne l'appellent que l'âne de la Ligue. Henri III ayant envoyé enfin le maréchal d'Aumont et le duc de Montpensier pour occuper la citadelle, il les reçut à coups de canon (7 avril 1585). On l'appela dès lors le roi d'Orléans, ce qui ne l'empêcha pas d'abandonner ensuite le parti et de négocier avec le souverain. De multiples intrigues suivirent et lorsque vint la journée des Barricades, Henri III essaya de nouveau de se saisir de la grande ville de la Loire. Entragues, pour prix de ses services, demandait le gouvernement du pays chartrain, du Blaisois, d'Amboise et de Loudun, qui appartenaient à Cheverny, et finit par se contenter d'une somme de vingt mille écus d'or. Le roi l'avait alors promu gouverneur d'Orléans, malgré le vœu formel des échevins et députés, qui se méfiaient justement de ce personnage versatile[9] ; mais ce n'était en somme qu'un poste illusoire, qui ne consistait dès lors qu'à garder les fortifications de la porte Banière. Avec son frère, il avait alors intrigué contre Villeroy, qui fut exilé de la cour avec toute une faction comprenant Pomponne de Bellièvre, Claude Pinart, Pierre Brulart et autres, mais avait été obligé de déguerpir d'Orléans lors des troubles qui avaient suivi la mort du duc de Guise[10] et de se retirer à Beaugency dont il avait fait un poste avancé pour l'armée royale. A l'avènement d'Henri IV, les Entragues se retrouvèrent de la coterie hostile, tant qu'à son entrée à Paris, le roi avait recommandé à Sully de chasser les Balzac et toute leur séquelle[11]. — Veuf en mai 1578, François avait épousé dès le mois d'octobre la célèbre Marie Touchet, femme d'esprit et d'ailleurs d'une grande beauté, qui avait été sa maîtresse avant de devenir celle de Charles IX[12]. Il devait sans doute se flatter de tirer bon parti d'une telle alliance, et l'union d'ailleurs donnait aux Entragues la parenté du comte d'Auvergne, bâtard du roi, et bien digne par son naturel brouillon et son esprit d'intrigue de prendre rang dans la famille[13]. De son mariage avec Marie Touchet, François de Balzac avait eu un fils et deux filles, — deux filles vicieuses comme leur mère, a-t-on dit, — et sur lesquelles elle veillait jalousement, leur voulant un avenir mirifique[14] et tout en préférant à une existence calme les agitations de l'hôtel Groslot d'Orléans, ou du château de Langeais qu'elle tenait des libéralités de Charles IX ; voire le grand train de Marcoussis ou de Malesherbes que possédait son mari. Henri IV enfin ayant fait son entrée dans Paris et Gabrielle considérée déjà comme reine, le roi lui avait constitué une cour de dames et de seigneurs, qui pouvait rappeler — d'assez loin sans doute — celle de Catherine de Médicis, et François de Balzac, si décrié toutefois pour sa profonde immoralité, réussit à y produire sa femme, et Henriette, l'aînée de ses filles. La demoiselle figura même dans un ballet qui fut donné aux Tuileries, puis chez la duchesse de Bar, avec onze autres dames et des masques (1598), et l'on rapporte qu'elle y dansa le branle[15]. Le cœur du roi était pris en ce moment, et Gabrielle d'Estrées ne se doutait guère que ses applaudissements allaient à celle qui devait la remplacer. C'était en effet sur Mlle d'Entragues, l'aînée, que les courtisans avaient principalement compté pour dérider le roi lorsqu'ils lui conseillaient de s'arrêter au château du Bois-Malesherbes, proche Pithiviers[16]. Henriette, née en 1579, à Orléans, croit-on, atteignait sa vingtième année à la mort de la duchesse de Beaufort. C'était une jolie fille, svelte et fine, souple, vive et dont la physionomie mobile contrefaisait facilement au besoin la fausse ingénuité. Elle avait des yeux bleus, un air dégagé, intelligent, — provocant même, — le sourire enjoué et malin ; c'était une blonde délicieuse, toute jeune, lorsque déjà Gabrielle mûrissait, avait eu trop d'enfants pour faire encore la jeune fille. Les portraits qui nous en restent, assez nombreux, sont presque tous séduisants ; mais je me méfierais de la bouche rentrée que certains lui donnent ; elle est d'une chipie[17]. De fait, elle pouvait jouer bien des personnages ; inconstante et fantasque, elle se transformait à volonté, et de bonne heure façonnée aux manigances de la Cour, — naïve, enchanteresse, caressante, prometteuse, réservée, froide, sévère, irritée même, — elle avait, non seulement la beauté, mais l'esprit du diable. Avec son bec acéré, — bec effilé, dit Sully, — sa fine langue, maligne et rieuse, elle ne ménageait personne, le roi pas plus que nul autre ; mais cela même lui plaisait ; il la trouva de son goût. Elle aimait, paraît-il, la théologie, les discussions subtiles. Elle avait employé, dit un panégyriste bénévole, le maître des requêtes Hémeri d'Amboise[18], qui lui donna une instruction solide, la vivacité de son esprit divin (!) à la lecture des sacrés cahiers et avait tous les jours entre les mains saint Augustin et autres semblables auteurs. Nous voulons bien croire sur parole Hémeri d'Amboise, mais on peut penser que les distractions d'Henriette — l'aventure du page, rapportée plus haut, en ferait foi — n'étaient pas uniquement la théologie. Ses allures, du reste, étaient plutôt celles d'une fille libre, et son esprit captivait sans qu'elle y mît d'abandon, — sinon par calcul, — toujours maîtresse d'elle-même et se gardant bien d'oublier les combinaisons préméditées[19]. Le roi, toujours est-il, le lendemain de sa visite, expédiait à Malesherbes Castelnau et le comte de Lude, chargés de négociations vagues et uniquement destinées à lui donner un prétexte pour revenir. Entragues, au cours de la conversation, insinua que pour passer sa tristesse, il devrait venir à Malesherbes où l'on chassait beaucoup. Henri IV en somme ne demandait qu'à se laisser prendre, malgré le deuil de Gabrielle, pris en noir à Fontainebleau et que la Cour devait ensuite porter trois mois en violet. Il accourut avec dix ou douze gentilshommes[20] ; la nouveauté de la femme, son charme, sa joyeuse humeur l'avaient captivé. Afin de la voir plus facilement, il se rendit au château du Hallier, qui appartenait à Louis de l'Hôpital, son capitaine des gardes, tandis que les Entragues gagnaient Chemault, à peine à une lieue de distance, et qui était la propriété de Guillaume Pot, premier écuyer tranchant[21]. Ils y mettaient en somme de la complaisance et le sentiment du roi s'enhardit. Henriette, fine mouche, feignait un amour désintéressé et en donna au même monarque quelques preuves légères. Mais Henri IV était peu platonique. Il n'en devint que plus pressant et commença à se lancer dans les promesses. — Les procédés amoureux du roi, aujourd'hui feraient sourire : une somme d'argent en perspective, tout au plus un engagement, la possibilité d'un mariage. Mais il ne s'engageait que le plus tard possible, trop tard même avec Corisande et afin de raviver la passion ; à la longue et par habitude avec Gabrielle d'Estrées, pour laquelle il eut véritablement de l'affection et qui l'avait si bien rendu père[22]. Pour d'autres, c'était la concession d'un titre, duché ou marquisat, lettres officielles de l'établissement d'une favorite en pied. Les Entragues, toutefois, l'ayant si bien capté, pensèrent qu'ils en tireraient mieux. La jeune fille simula la dignité froissée, la pudeur offensée même, invoqua le soin de son honneur, car avec la beauté, la cajolerie, l'esprit, il y avait, nous l'avons dit, un grand fond de calcul chez cette rouée ingénue ; puis un matin, son frère, le comte d'Auvergne, interrompit le colloque qu'elle poursuivait avec le roi avec assez de brutalité. Il feignit de trouver mauvais les assiduités d'Henri IV avec lequel il se prit de querelle en présence de Sainte-Marie du Mont et de Bassompierre, tant que le monarque mécontent partit pour Châteauneuf, où l'attendait la maréchale de La Châtre, flanquée de ses deux filles, toutes deux d'une grande beauté et entre lesquelles on espérait qu'il allait choisir. Il se laissa bien prendre aux avances de la plus jolie ; mais ce ne fut qu'un caprice ; le souvenir d'Henriette lui tenait trop l'esprit. Il revint à Paris en poste ; la veille ou le lendemain de la Saint-Jean[23], il descendit chez Gondy, et Mme d'Entragues, selon un plan qui avait dû être examiné longuement, vint se loger aussitôt en face, à l'hôtel de Lyon. Le roi, dès qu'il en fut informé, envoya le comte de Lude pour avoir des nouvelles d'Henriette, mais qui s'y prit assez mal, semble-t-il, et fut pauvrement reçu. Billets doux et visites du monarque n'eurent guère plus de succès[24]. La demoiselle finit par déguerpir avec ses parents, et gagna Marcoussis, où le Béarnais, décidément épris, devait bientôt la suivre[25]. Il faut bien en convenir, du reste, Henri IV — surtout à l'époque où nous sommes arrivés — n'avait rien qui pût faire tourner la tête d'une femme. Mme de Simier, qui avait connu Henri III son prédécesseur, disait ordinairement : J'ai vu le roi, mais je n'ai pas vu Sa Majesté ! L'amour, ensuite, ajoutait par plaisanterie Mme de Rohan, n'aurait pu se nicher entre un nez et un menton qui se mêlaient l'un à l'autre, — nous dirions aujourd'hui : qui faisaient carnaval ensemble ; son nez était celui d'un capitan ou d'un polichinelle. Il avait de l'esprit, sans doute, l'œil vif et goguenard, tout plein de convoitises amoureuses, mais le dos déjà courbé, le visage basané, sillonné de rides précoces, la barbe grisonnante, et n'avait jamais été beau[26]. Pire défaut, sans doute, il puait, sentait le bouc, et il était sale[27]. Il n'avait pour l'avantager, outre son titre de roi, que sa bonne humeur, son enjouement, sa faconde de Méridional. Mais c'était peu pour une femme du reste aussi spirituelle que lui-même[28] et le visage d'un beau garçon lui eût été sans doute plus agréable. — Henriette, qui était de sang-froid, sut d'ailleurs parfaitement calculer ses coups. Quand le roi fut à Marcoussis, elle se laissa prier, supplier, implorer, puis demanda de l'argent, une somme de cent mille écus[29]. Sans trop de surprise, l'amoureux réclama la somme à Sully, qui du reste jeta des cris de paon, ayant à fournir encore trois ou quatre millions pour le renouvellement de l'alliance des Suisses ; il dut s'exécuter pourtant, et commença par envoyer la moitié de la somme en écus, dont il étala les sacs dans le cabinet du roi : Ventre Saint-Gris ! ne put s'empêcher de dire Henri IV, voilà une nuit bien payée. Mais quand même, Rosny dut verser le reste et en fut pour sa petite méchanceté. Mlle d'Entragues, bien stylée et d'ailleurs cherchant son propre avantage, y met tait aussi de la malice, car elle fit intervenir plusieurs fois ses père et mère, qui semblaient la tenir en observation si serrée qu'il lui était à peu près impossible de consentir aux volontés du monarque. Le personnage de Balzac d'Entragues, c'était déjà, en somme, le prototype de M. Cardinal, heureux de faire du déshonneur de sa fille un bon placement, et paraître encore l'ignorer, tandis que sa femme au besoin servait d'entremetteuse. Henriette, pressée cependant par le roi, répondait qu'elle était disposée, mais qu'il fallait d'abord gagner ses parents. Enfin, elle fit connaître leurs conditions ; elle lâcha le grand mot. Comme elle se trouvait seule avec Henri IV dans le salon du Bois-Malesherbes, dans un tête-à-tête qu'avait bien dû lui ménager sa mère, elle avoua qu'ils exigeaient, outre un titre de marquisat pour elle, — afin de garantir leur honneur dans le monde et leur conscience envers Dieu, — une promesse de mariage ; une promesse écrite. L'exemple de la duchesse de Beaufort, Gabrielle d'Estrées, que la mort seule avait empêchée de devenir reine de France, était bien tentant, en effet ; Henriette avait l'idée fixe de se faire épouser ; elle ne voulait céder qu'à ce prix. Elle ajoutait d'ailleurs, pour se donner le beau rôle, qu'elle avait bien essayé de faire revenir ses parents sur leur décision, leur représentant qu'ils devaient se contenter d'une promesse verbale, mais qu'ils n'y voulaient consentir. C'était ainsi à prendre ou à laisser ; le père et la mère étaient d'accord avec la fille. Cependant, ajoutait-elle, c'est bien la même chose, car il n'y a pas d'official suffisant pour contraindre un homme qui porte une si bonne épée et qui a tant de courage ; qui peut lever d'un mot trente mille hommes de troupes et faire marcher trente canons. Ainsi, puisque les miens tiennent tant à cette formalité, vous n'avez qu'à céder si vous m'aimez, satisfait que je puisse enfin accéder à vos moindres désirs. Le roi fut-il dupe de cette comédie ? On a quelque
répugnance à suivre un tel marchandage qui n'était pas plus honorable pour
l'un que pour l'autre. Mais Henri IV était pris par un amour sénile, peut-on
dire le plus opiniâtre de tous et le moins scrupuleux pour arriver au fait.
On avait compté pourtant sans la duplicité foncière d'un homme expert en
matière de femmes, sceptique et défiant, qui pouvait sans doute céder à la
poussée du désir, mais restait aussi vif à se libérer des concessions qu'à
les faire, lorsque justement, avec un peu de patience et moins d'avidité, les
chances d'Henriette, pour se substituer à la belle Gabrielle, auraient été
plus nombreuses. Le roi ne céda qu'en apparence, toujours est-il, et
l'insupportable Sully, qui ne digérait pas l'ennui d'avoir tiré de ses
coffres la somme énorme que devait coûter au Trésor l'agrément de son maître,
écrit à ce propos : Et sut cette pimbêche et rusée
femelle le cajoler si bien, le tourner de tous côtés et gagner de telle sorte
tous les porte-poulets, cajoleurs et persuadeurs de débauches, qui étaient
tous les jours à lui proposer un plaisir ou une autre, qu'il se laissa enfin
persuader de faire cette promesse, puisque autrement ne pouvait-il avoir l'effet
de celle qui lui avait déjà tant coûté et lui avait tant de fois été promise[30]. La pièce, dont
la copie au moins nous est parvenue, est datée du Bois-Malesherbes, 1er
octobre 1599 : Nous, Henri quatrième, par la grâce
de Dieu roi de France et de Navarre, promettons et jurons, en foi et parole
de roi, à messire François de Balzac, sieur d'Entragues, chevalier de nos
ordres, que nous donnant pour compagne demoiselle Henriette-Catherine de
Balzac, sa fille, au cas que dans six mois à commencer du premier jour de ce
présent, elle devienne grosse et accouche d'un fils, nous la prendrons à
femme et légitime épouse, dont nous solenniserons le mariage publiquement et
en face de Notre Mère l'Église, selon les solennités en tel cas requises et
accoutumées ; pour la plus grande approbation de laquelle promesse, nous
promettons et jurons comme dessus de la ratifier et renouveler sous notre
seing, incontinent après que nous aurons obtenu de Notre Saint-Père le Pape
la dissolution du mariage d'entre nous et dame Marguerite de France, avec
permission de nous remarier où bon nous semblera. En témoin de quoi nous
avons écrit et signé la présente, etc.[31]. Voilà donc où en était arrivé Henri IV, après avoir été amoureux de tant de femmes et filles de son royaume ; promettre d'asseoir à ses côtés, sur le trône de France, une petite intrigante, une coquette avec laquelle il avait envie de coucher ! Mais, nous le savons, il était médiocrement scrupuleux, dépourvu même de tout sens moral à certains égards, et un arrangement de ce genre ne lui coûtait guère ; il pouvait tout jurer et promettre, il était parfaitement résolu à ne pas tenir. Il devait en somme tromper Henriette d'Entragues comme Marie de Médicis, comme tant d'autres déjà et comme il avait trompé et abusé la reine Marguerite, qui refusait obstinément le divorce dont devait bénéficier Gabrielle d'Estrées, mais qu'elle accepta, poussée encore par ses créanciers, lorsqu'elle apprit le projet d'union en Toscane. Quelques jours, du reste, se passèrent en négociations et avant qu'il se décidât à remettre la pièce compromettante. Le 5 octobre, il écrivait encore à Mlle d'Entragues à propos de son frère le comte d'Auvergne et lui demandait un rendez-vous particulier[32]. Mais, défiante, elle répondit qu'elle ne le recevrait qu'en public. C'était du reste piquer le vieil amoureux, qui lui reprocha les termes de ce refus en lui disant qu'elle n'avait pas les yeux bien ouverts. Il faut, ajoutait-il, cesser ces brusquetés si vous voulez l'entière possession de mon amour. Car comme roi et comme Gascon, je ne sais pas endurer ; aussi ceux qui aiment parfaitement comme moi veulent être flattés, non rudoyés[33]. Et il terminait en s'écriant : Je ne suis pas bien satisfait, je ne puis vous le taire. Henriette avait accepté une chienne demandée au connétable pour en faire les noces avec son chien. Mais Entragues montrait de nouvelles exigences ; peut-être aurait-il voulu un bâton de maréchal, comme on l'a insinué. Henri IV, toujours est-il, fit la sourde oreille. Entragues le vint voir, et, pressé de s'expliquer, prétendit qu'il ne pouvait parler qu'en présence de son homme de confiance, un nommé Nau, qui était aussi celui de sa fille. Le roi voulut bien ajourner l'entretien, qui eut lieu le lendemain. En sortant du château[34], toutefois, Entragues dit assez haut pour qu'on pût l'entendre, et avec intention : Je vois bien que le roi et ma fille se sont mis d'accord pour me tromper. Le propos fut rapporté naturellement et le Béarnais en profita pour écrire à Henriette : Je ne m'offense pas de ce qui a été dit, mais cela vous fait tort[35]. Le lendemain, du reste, ni Entragues ni l'homme de confiance Nau ne parurent. On avait trouvé un autre prétexte pour gagner du temps[36]. Henriette feignait d'ailleurs d'être jalouse et reprocha au roi sa liaison passagère avec Mlle de La Châtre, qu'après une courte indisposition il se hâta de renvoyer de Fontainebleau : J'ai prononcé à la belle son arrêt, écrit-il ensuite. Dès que ses chevaux seront venus, elle s'en ira. Ça n'a pas été sans pleurs et les plus grands serments du monde[37]. Puis le Parlement ayant délégué au roi le procureur général La Guesle pour l'engager à s'unir avec une princesse digne de lui après son divorce, on dut bien insinuer à Mlle d'Entragues qu'il y avait là une circonstance nouvelle, favorable à ses convoitises, car elle se montra moins rigoureuse. Le monarque en était venu à déclarer qu'il ne voulait plus parler à Entragues, toujours récalcitrant, mais à s'arranger avec elle seule[38]. Pour la décider enfin, il devait lui acheter une terre, peut-être celle de Beaugency, vivement désirée et que céda le maréchal de La Châtre au cours de l'année 1600[39]. Avant de remettre l'engagement de mariage dont il a été question plus haut, Henri IV toutefois avait voulu consulter Sully, éternel mentor dont il redoutait le blâme, mais qui restait toujours sa grande ressource dans les cas difficiles. Un matin, à Fontainebleau, il l'entraîna familièrement dans une galerie et lui montra le papier. Rosny, qui s'attendait à tout, lut la déclaration sans paraître troublé et voulut la remettre. Le roi le poussant enfin, il dit qu'il avait besoin de réfléchir avant de se prononcer ; mais ces réserves ne satisfaisaient pas Henri IV : Là, fit-il, parlez-en librement. Votre silence m'offense plus que ne sauraient faire vos plus contrariantes paroles, car sur un tel sujet, je me doute bien que vous ne m'approuvez pas, quand cela ne serait que pour les cent mille écus que je vous ai fait bailler avec tant de regret. Je vous promets de ne pas me fâcher de ce que vous pourrez me dire ; parlez-en donc librement ; je le veux et vous le commande. — Vous le voulez, Sire, reprit Sully, et me promettez de ne point vous fâcher de ce que je pourrai dire ou faire ? — Oui ! oui ! dit encore le roi, je vous promets tout ce que vous voudrez, car aussi bien il n'en sera pas davantage. Sully tenait le papier et le déchira aussitôt. Voilà, Sire, fit-il, puisqu'il vous plaît savoir ce qu'il me semble d'une telle promesse ! — Comment, morbleu ! criait Henri IV ; je crois que vous êtes fou ! — Il est vrai, reprit l'autre, je suis un fou et un sot, et voudrais l'être si fort que je le fusse tout seul en France ! Le roi, furieux, réclamait le papier, déjà prêt à en recoller les morceaux, et ce fut bien inutilement que Rosny lui représenta combien un tel acte était ridicule, et lorsque lui-même avait dit tant de mal de la famille d'Entragues, du vivant de Gabrielle d'Estrées, et jusqu'à commander à son ministre de faire sortir de Paris tout ce bagage, comme il les désignait alors. Quant à la fille, vaille que vaille, il n'en aurait pas pour son argent, car il y avait longtemps sans doute que la pie n'était plus au nid. Et il tenta encore de lui montrer tout ce que cachait d'intrigues et de calcul la conduite d'Henriette ; il lui fit remarquer même que, dans ces conditions, ni le pape ni la reine Marguerite n'accepteraient son divorce. Mais le vieux galant était buté. Il sortit de la galerie, demanda à Loménie du papier et de l'encre et refit la promesse. Il alla ensuite la remettre lui-même, passant auprès de Sully qui l'attendait au bas de la galerie sans même faire semblant de le voir[40]. Mes belles amours, avait-il mandé de suite à Mlle d'Entragues, deux heures après ce porteur vous verrez un cavalier qui vous aime fort ; que l'on appelle roi de France et de Navarre, titre certainement bien honéreux (honorable), mais bien pénible. Celui de votre sujet est bien plus délicieux. Tous trois sont bons à quelque rang qu'on veuille les mettre et j'ai résolu de ne les céder à personne. La veille, 14 octobre, Henriette lui avait dépêché Nau, qui était décidément l'homme à tout faire de la famille, avec des instructions spéciales, et le jour même le roi avait répondu que tout était enfin accordé, mais craignant quelque embûche, il l'engageait à faire croire que la partie était rompue[41]. Mais le lendemain au matin il eut une conversation avec Entragues qui voulut le dissuader de courir à Malesherbes sous prétexte que les dames en étaient parties. Il avait en effet emmené sa fille à Marcoussis, véritable forteresse défendue par trois ponts-levis et qui avait soutenu plus d'un siège[42]. Après avoir feint de consentir à tout, Balzac avait peut-être été pris de remords ; il reculait au moment d'accepter le déshonneur qui allait être infligé à son nom. Sa femme, Marie Touchet, se montra pourtant moins scrupuleuse. Elle n'écouta que son ambition impatiente. Croyant n'avoir plus que la main à étendre pour saisir la couronne de France et la mettre sur la tête de sa fille, elle fit secrètement avertir le roi d'éloigner Entragues. Henri IV était trop impatient pour discuter ; il se hâta de donner l'ordre et courut à Malesherbes. Henriette, qui avait serré précieusement la promesse du roi, lui ouvrit aussitôt son lit. Les amoureux se virent ensuite à Marcoussis, à Villeroi et à Courance[43] ; puis le monarque ramena sa belle dans la capitale où il lui avait fait préparer l'hôtel de Larchant : A un tel oiseau, disait-il, il faut une belle cage. La famille d'Entragues comptait ainsi une nouvelle maîtresse royale, la fille après la mère, et, l'on peut dire, par ses soins[44]. |
[1] Il écrivait à Mme de Bar, sa sœur : Les regrets et les pleurs me suivront jusqu'au tombeau. La racine de mon cœur est morte. Cependant, puisque Dieu m'a fait naître pour ce royaume, tous mes desseins et mes soucis ne seront plus employés qu'à sa conservation (Lettres-Missives, t. V), puis finit par avouer à de Retz, dit Mlle de Guise, qu'il était bien heureux du trépas de Gabrielle d'Estrées et en remerciait le ciel. Mais il n'y a là, peut-être, ici encore, qu'une méchanceté, car ayant trouvé, dit l'Estoile, au pied d'un oranger, dans le parc de Saint-Germain où il se promenait, des vers qu'on y avait mis exprès et faits contre la marquise : Ventre Saint-Gris, s'écria-t-il, si j'en tenais l'auteur, je ne le ferais pas enter sur un oranger, mais sur un chêne. (T. II, édit. Michaud, p. 308.)
[2] L. JARRY, Henriette d'Entragues et son vœu à Notre-Dame-de-Cléry. Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, etc., d'Orléans, 1897.
[3] La Varenne, de cuisinier devenu confident, entremetteur, seigneur de la Flèche par la grâce du roi, chambellan du bougeoir et de la clef secrète, s'immortalisa enfin par une fondation pieuse ; entre deux diarrhées, Henri IV signa grâce à ses sollicitations (1603) le rappel des jésuites qu'il avait chassés en 1595. Seulement il leur imposa ses conditions. (MICHELET, Histoire, t. XII, et la Revue Henri IV, t. I, 1908.)
[4] Après la mort de Gabrielle et au début de la passion du roi pour Mlle d'Entragues, les Mémoires de Bassompierre indiquent dans la succession des maîtresses trois femmes : la Glandée, dont le nom dit assez l'état social ; Mme de Boinville et une Mlle Clein. Il y avait un conseiller du Parlement du nom de Clein ou Clain en 1626. (Dreux DU RADIER, t. V. ; D'AUBIGNÉ, Histoire, t. III, liv. 2, chap. VTII ; Confession de Sancy, t. V, et les remarques du même chapitre ; Baron de Freneste, liv. II, p. 89 de l'édit. de Maillé.)
[5] J. BAILLEU, Henriette d'Entragues, p. 8.
[6] On raconte à ce propos qu'il eut alors à son actif une action peu recommandable ; au lendemain de la journée de Meaux, préface de la seconde guerre civile, la marquise de Rothelin, sa tante, s'était enfermée dans le château de Blandy, avec les enfants de son gendre, le prince de Condé. Elle s'y croyait en sûreté et avait refusé de suivre les femmes et filles des chefs protestants réfugiées à Orléans. D'Entragues, sous prétexte de lui donner des nouvelles, se fit ouvrir les portes du château et avec ses hommes d'armes massacra les serviteurs de sa tante. Il amena ensuite à Catherine de Médicis la marquise et les enfants de Condé, (Cf. H. DE LA FERRIÈRE, Henri IV, p. 183.)
[7] Renée de France, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne, qui avait épousé Hercule II d'Este, avant-dernier duc de Ferrare et tenait Chartres et le comté d'Évreux. Elle mourut en 1575, au château de Montargis.
[8] Elle était dame de Gié et héritière de Françoise de Rohan. (L. JARRY, op. cit.)
[9] François de Balzac était gouverneur de la ville et son frère se trouvait son lieutenant. — Un des Entragues est encore nommé parmi les assassins du duc de Guise au guet-apens de Blois. Entragues aurait pris au doigt du duc mort un cœur de diamant. (Récit du médecin Miron.)
[10] On sait qu'Orléans et Bourges avaient été cédés à la Ligue comme places de sûreté.
[11] Une autre histoire édifiante est mise ici encore sur le compte de François d'Entragues. Il avait offert à Henri IV de lui ouvrir les portes d'Orléans dont il était toujours gouverneur. Si le marché ne fut pas tenu, c'est grâce à l'énergie des défenseurs de la place qui refusèrent de se rendre. (Cf. LA FERRIÈRE, Henri IV, p. 184.)
[12] Marie Jacossie ou Marie Touchet était fille de Jean Touchet, lieutenant général au bailliage d'Orléans et sieur de Beauvais, et de Marie Mathys, qui descendait de Pierre Mathys, marchand flamand. Elle était de 1550, du même âge que Charles IX, qui l'aima dans ses parties de chasse à Blois, à Orléans et à Montpipeau, et ses ardeurs de tempérament durent bien contribuer à la fin prématurée du roi. Après sa mort, elle vécut à Orléans dans une demi-retraite. Mais son mariage avec Entragues, qui unissait deux caractères ambitieux lui montrait surtout la perspective de sa rentrée à la Cour : l'ombrageuse et défiante Catherine de Médicis l'avait tenue à l'écart, et elle voulait justifier — par ses filles, sinon par elle-même qui vieillissait — l'anagramme qu'on avait autrefois tiré de son nom : Je charme tout. — Tallemant, toujours mauvaise langue, fait de Marie Touchet la fille d'un boulanger d'Orléans. (Cf. sa généalogie dans l'édition Monmerqué, t. I, p. 25, note 1.)
[13] J. BAILLEU, op. cit., p. 11. — Charles de Valois avait hérite du bâtard d'Angoulême qui était fils d'Henri II et de l'Ecossaise Seviston, demoiselle d'honneur de Marie Stuart, mais à l'exception du gouvernement de Provence, qui fut donné à d'Épernon. On l'appelait par un ressouvenir glorieux le bâtard d'Orléans ; il fut duc d'Angoulême et Grand prieur de France dans l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem qu'il quitta pour le mariage sur une dispense du pape. Brave, mais de caractère indécis, esprit naturellement crédule et plus mal avisé que méchant, il se laissa du reste exploiter par sa famille maternelle. Ligueur en 1590 et colonel de cavalerie légère, il avait ensuite servi sous Henri IV près duquel il se battit à Ivry et à Fontaine-Française. Le roi qui l'aimait beaucoup l'appelait volontiers l'enfant prodigue. Il en abusa sans doute, par la suite, et le personnage reste douteux, flottant et versatile, triste individualité en somme, tenant à la fois du mécontent et du traître et qui ne devait hésiter nullement, dans les conspirations qui suivirent, à charger ses complices pour se tirer d'affaire, — à les trahir même lorsqu'il le crut de son avantage.
[14] Cf. les pamphlets sur Marie Touchet que donne l'Estoile. — On disait tout bas, rapporte M. de La Ferrière, qu'elle avait poignardé de sa main un jeune page trop familier avec Henriette. (Henri IV, p. 184.) Dans la suite, Marie d'Entragues, la seconde fille, devint la maîtresse de Bassompierre. Elle se faisait appeler Mme la Maréchale ; on comprend ainsi le mot de Michelet : Ses filles avaient besoin d'être gardées.
[15] BASSOMPIERRE, Mémoires, t. I, p. 63.
[16] Sur la vallée de l'Essonne. Le château a été en partie reconstruit sous Louis XIII, — la façade à l'époque d'Henri IV, — et il en reste deux des tours, sur quatre, ainsi que la chapelle en ruine ; mais la chambre d'Henriette est intacte avec les tentures et tapisseries du temps : le Triomphe de la Renommée ; la Vision d'Ezéchiel. (Cf. DE LA TOUR, Notice sur le château de Malesherbes. Orléans, 1862.)
[17] Voyez à la Bibl. nat. le portrait coté N a, 21 ; un bon portrait gravé par Hyéronyme Viérix est cité par LESCURE (les Amours d'Henri IV) ; une peinture de Versailles (attique du Nord, 2e salle, 3333) est très inférieure. Le portrait que nous donnons a figuré à la vente de M. Ch. W... (Crayons français) 3 mai 1900.
[18] Préface et épître dédicatoire à la traduction de Grégoire de Tours, par Cl. BRUNET du Dauphiné.
[19] Les contemporains, en somme, lui donnent tous les défauts : sensualité, gourmandise, vénalité et ambition ; elle était surtout coquette et féline, ce que ne pouvait guère comprendre un lourd personnage comme Sully. Dupée par le roi, trompée dans ses espérances, nous verrons aussi qu'elle mit une singulière suite dans ses idées de vengeance.
[20] Henri IV ne se cachait guère dans ses escapades et de ce premier séjour au Bois-Malesherbes sont datées des lettres à Biron, au cardinal Baronius, à la reine d'Angleterre ; ce fut là également qu'il reçut de Rosny l'inventaire des meubles de Gabrielle d'Estrées. (Comte DE LA FERRIÈRE, op. cit., p. 186.)
[21] LOISELEUR, le Château du Hallier, Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, etc., d'Orléans, t. XII.
[22] Ce fut malgré tout la grande raison de ses succès amoureux ; il promettait toujours, faisait miroiter des avantages : titre, argent, mariage. Les procédés de ceux qu'on appelle des séducteurs sont en somme toujours les mêmes lorsqu'ils sont dépourvus de tout avantage physique.
[23] BASSOMPIERRE, Mémoires. — Peut-être le roi plaisanta-t-il ensuite de l'incident avec Henriette, mais il est certain qu'elle exerça plus tard des représailles contre la maréchale qui était pourtant son alliée, ayant marié une autre de ses filles avec un Entragues de Marcoussis (1595). Henri IV, nous le savons, ne se piquait pas de fidélité, et Bassompierre raconte encore qu'il s'éprit à ce moment de Marie de la Bourdaisière, fille d'honneur de la reine Louise de Lorraine qu'il allait voir à Chenonceaux, amours naissantes que vinrent déranger la faveur déclarée d'Henriette.
[24] Le roi lui avait envoyé un magnifique collier de perles, mais qui lui fut retourné de suite. Il le remplaça par un cent d'abricots. (L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. VII, p. 192.)
[25] De l'hôtel de Gondy, le roi s'était transporté chez Zamet, et ici Bassompierre, qui du reste écrivait de mémoire et lorsque sous Louis XIII il fut enfermé à la Bastille, place un incident que d'autres historiens n'indiquent que beaucoup plus tard et lorsque Mlle d'Entragues était devenue la maîtresse d'Henri IV ; c'est la querelle du prince de Joinville et de Bellegarde. Le roi n'avait pas amené sa maison et tous les seigneurs de la cour briguaient l'honneur de le recevoir. Le 10 août, le marquis d'Elbeuf l'avait eu à souper et le repas s'était prolongé assez tard ; il était plus de minuit lorsque son carrosse reprit le chemin de la Bastille, sous l'escorte de tous les convives qui s'étaient hâtés de monter à cheval. Le roi se lit mettre au lit de suite, — avec la Glandée, qui était une belle garce, — mais la plupart des seigneurs, des jeunes gens, restèrent à deviser dans la cour. L'un d'eux, le prince de Joinville, s'était déjà occupé d'Henriette, et les mauvaises langues le lui avaient même donné pour amant. Il en voulait à Bellegarde, qui l'avait aussi courtisée et auquel il reprochait d'en avoir, par dépit, parlé au roi. Échauffés par les vins du souper, ils se prirent de querelle et Joinville, tirant l'épée, frappa Bellegarde à la fesse. Villars était accouru et voulait tuer Joinville ; mais le jeune Rambouillet se jeta entre eux et reçut le coup. La mêlée devint générale, tant qu'au bruit, Henri IV parut sur le perron tout en chemise et l'épée à la main. Joinville s'était prudemment enfui, mais le roi, pris de colère, voulait que le Parlement informât ; il défendit même de donner des soins à Rambouillet, et il fallut que le lendemain la duchesse de Nemours, mère du prince, vînt accompagnée de sa fille implorer la grâce du coupable. Il refusa tout d'abord, a-t-on rapporté, et la jalousie entrait bien pour quelque chose dans sa sévérité. — Le 18 août il était encore à Paris, dit M. de La Ferrière, et la veille de son départ, il pria Henriette, faveur très remarquée (!) d'aller à Saint-Germain voir les enfants qu'il avait eus de la duchesse de Beaufort. Il lui envoyait en même temps une garniture de lit de la valeur de 3.000 écus. (Cf. le récit de M. J. BAILLEU, Henriette d'Entragues ; H. DE LA FERRIÈRE, Henri IV.
[26] Voyez le curieux portrait publié par M. DE LA BARRE-DUPARCQ (Histoire d'Henri IV.) Il avait les yeux vifs, mais bons, à chaque instant moites, dit Michelet, une singulière facilité de larmes. Il pleurait d'amour, pleurait d'amitié, pleurait de pitié, et n'en était pas plus sûr. (Histoire, t. XII.)
[27] Il puait comme charogne, dit tout net Tallemant, et il ajoute que le roi Louis XIII, son fils, pensant faire le bon compagnon, aimait à répéter : Je tiens de mon père, moi, je sens le gousset. D'Aubigné, fervent huguenot et qui avait longtemps vécu dans son intimité lorsqu'il n'était encore que roi de Navarre, parle dans le même sens ; il le montre pouilleux et sale, rongé par la pire vermine, — tant il est vrai qu'on n'est jamais trahi que par les siens.
[28] On se rappelle son mot concernant le divorce d'Henri IV. Dieu fit un aussi grand miracle en vous quand il vous tira du ventre de la reine Marguerite, que lorsqu'il retira Jonas du ventre de la baleine. (L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. X, p. 315. — Cf. la Reine Margot, etc., p. 398, note 1.) — Lorsqu'il était mal en train, elle l'appelait volontiers : Le Capitaine Bon Vouloir.
[29] Trois cent mille, selon d'autres anecdotiers ; 100.000 écus représentent déjà 500.000 livres au calcul de Dreux du Radier. — D'après une version en somme vraisemblable, adoptée par M. H. de La Ferrière, Henriette ne demanda pas directement la somme, mais la fit demander par l'intermédiaire de de Lude et de La Varenne.
[30] SULLY, Œconomies royales, édit. Michaud, t. I, p. 310-311.
[31] Bibl. nat., fonds Dupuy, mss 407, f° 36 recto, copie, et Supp. français, mss 1009-4. — L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 209 note 1 ; Lettres-Missives, t. V, p. 225.
[32] Mon menon. J'ai vu la lettre de votre frère. Je crois qu'il a jugé que vous me la montreriez, ou il en a écrit deux ; car au langage que m'a tenu M. de Guise anuyt (aujourd'hui) ces propos ne sont pas pareils à Paris. Mais que je vous voie, je vous en dirai davantage. Il a l'âme mauvaise, vous l'avouerez aussi. Je vous enverrai demain la petite chienne de M. le Connétable. Mon cœur, je vous aime si fort que je ne puis plus vivre absent de vous. Je vous verrai cette semaine, mais je désirerais que ce fût en particulier. Donnez m'en quelque moyen, etc. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 737. Orig. autog. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 28, recto.) — Récemment, il avait fait pourvoir le comte d'Auvergne d'une pension.
[33] Quand M. d'Entragues sera ici, je vous témoignerai si je vous aime ou non. Cependant il vous sied mal d'en douter et cela m'offense. Hier soir votre diamant tomba hors d'œuvre et fort heureusement je le retrouvai. Dieu sait si j'en fus en peine, car j'eusse mieux aimé avoir perdu le doigt, tenant si cher tout ce qui vient de vous, que rien n'en approche en comparaison... J'espère vous voir dimanche en public, puisque vous me l'avez, dénié en particulier, etc. 7 octobre. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 738. Orig. autog. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 1, recto.)
[34] De Fontainebleau.
[35] Mes chères amours. Votre lettre m'a apporté les mêmes effets que la mienne a fait sur vous, car j'étais tout estomaqué. Votre père est arrivé de bonne heure ; je l'ai fort entretenu et mis sur tous propos, sur lesquels il me remet à la venue de Nau. J'y ai encore dépêché pour le faire venir. Cependant il dit à ceux qu'il pense ses amis que tout ce que je lui dis est pour le tromper et que vous êtes consentante à ce dessein. Pour moi je ne m'offense pas de ces discours, mais ils vous font tort. J'aurai l'honneur de vous voir dimanche, etc. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 741, 8 octobre 1599. Orig. autog. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 9, recto.)
[36] Mes chères amours. J'avais assigne M. d'Entragues à six heures ; il en est huit et il n'est pas encore venu. Je viens de l'envoyer quérir. Cependant, je vais voir une dépêche de Rome, dont je vous donnerai avis après dîner. Je vous envoie des ortolans qu'on m'a envoyés de Lyon. Il ne tiendra qu'à votre père que je n'en baille demain à votre aîné, — le comte d'Auvergne, — qu'il avalerait plus doucement. Bonjour le cœur à moi ; devant que je boive ni mange, je résoudrai d'une façon ou de l'autre avec M. d'Entragues, etc. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 742. Orig. autog. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 29, recto.)
[37] Tout le reste de la compagnie est si fort étonné, ajoute-t-il, qu'ils ne savent ce qu'ils font. 11 octobre. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 743. Orig. autog. Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 21, recto.)
[38] J'ai vu par votre lettre l'étonnement de votre père ; il a bien raison, car sa procédure m'a aliéné de toute sorte de traité avec lui. Vous me mandez que vous espérez qu'il me contentera ; je vous supplie à mains jointes, ma l'hère âme, que je n'aie plus affaire à lui. Pouvant trouver notre contentement entre nous deux, sachons-nous-en le gré tout entier. L'argent pour vous acheter une terre est tout prêt ; rien ne vous manquera... S'il vous plaisait vendredi venir dîner à Fleury, je tâcherai à vous y faire bonne chère. Aimez-moi comme celui qui n'aimera jamais que vous, etc. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 745, 13 octobre. Orig. autog. Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 11, recto.) — Plusieurs de ces lettres se terminent par la même formule : Je baise un million de fois mes petits garçons. On a pensé que c'était une allusion grivoise.
[39] Les Mémoires de HURAULT DE CHEVERNY, prétendent à tort que le roi avait donné Beaugency à Henriette d'Entragues pour la retirer des mains de ses père et mère, et la posséder ce lui semblait tout à son aise. Les dates prouvent que la négociation n'eut lieu qu'en août 1600. (Cf. LE JARRY, op. cit.)
[40] Je rappelle que toutes les histoires où Sully est en scène sont rapportées par lui-même, dans les Mémoires qu'il a dictés à ses secrétaires. C'est dire une fois pour toutes qu'il se donne partout le beau rôle et parle toujours à son avantage. (Cf. les Œconomies royales, t. I, p. 319-320.)
[41] Mes chères amours, votre père a résolu tout ce que je voulais. Demain au soir, mes petits garçons seront bien caressés de moi. Il faut faire semblant que tout est comme rompu ; mais je plierai tout plutôt que de rompre. La joie que j'ai ne se peut écrire ; je vous la témoignerai demain. Cette lettre est courte, afin que vous vous rendormiez après l'avoir lue. Je vous donne mille bonsoirs... et me recommande à Mme d'Entragues. Qu'elle se souvienne de faire coucher la veuve en sa chambre. Ce 14 octobre. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 747. Orig. autog. Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 77.)
[42] Mon cœur, je résolus arsoyr avec Nau que j'irais coucher ce soir à Malesherbes et ferions toutes nos affaires là, d'une main. M. d'Entragues m'en a parlé ce matin fort honnêtement, et comme je voulais monter à cheval, il m'est venu supplier de ne vouloir point aller à Malesherbes, et que je ne vous y trouverais pas ; que je voulusse remettre le tout à Orléans, où je sais qu'il ne vient point. Cela ne m'ôte pas l'opinion qu'il ne veut qu'allonger et croyez qu'il vous trompe et Nau, et non moi, qui en ai toujours cru ce que j'en vois. Comme j'ai été à cheval, il a dit tout haut, M. le Premier et Praslin l'ont ouï : Par la morbleu, il sera bien trompé, car il ne trouvera pas ma fille à Orléans ; ma femme ira, mais ma fille demeurera avec moi. Toutefois je lui ai dit en partant que j'irais ce soir. Je n'y suis allé ce matin pour les raisons que je vous dirai. Montrez cette lettre à Nau. Bonjour le tout à moi, etc. Ce 15 octobre. (Lettres-Missives, t. VIII, p. 747. Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 17, recto.)
[43] Cf. les lettres des 23 et 24 octobre 1599. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 43, 47, 53, Lettres-Missives, t. VIII, p. 748-750. — Mandez-moi, écrivait Henri IV, si à Courance vous coucherez à part, car je pourrais bien, mardi matin, vous aller donner la chemise et vous faire payer ce service par avance. Je vous aime trop, etc. (Lettre du 24 octobre.)
[44] Un des premiers actes d'Henriette, après ces épousailles, fut d'obtenir la grâce de Joinville. Accompagné de Mayenne, son oncle, le prince vint à Saint-Germain (7 novembre) pour solliciter son pardon que le roi lui accorda de suite, — et, dit-on, qu'il n'eut même pas à promettre de ne plus retomber dans la même faute. (H. DE LA FERRIÈRE, Henri IV, p. 200.)