La mort de Gabrielle d'Estrées. — Un vieux problème historique.Le 6 avril 1599, Gabrielle d'Estrées, maîtresse d'Henri IV, était descendue chez le financier et traitant Sébastien Zamet, — proche l'Arsenal et sur l'emplacement de l'ancien hôtel Saint-Paul[1], — quand, aux Ténèbres du Petit-Saint-Antoine, elle se trouva prise d'un violent malaise. On était alors dans la semaine sainte et Gabrielle était venue à Paris sur les indications du roi, qui avait encore à faire sa cour aux catholiques. Elle rentra chez Zamet aussitôt, eut une nouvelle crise et se trouva si mal qu'après avoir voulu gagner le Louvre, où déjà commençaient à se réaliser ses rêves de grandeur, elle se fit transporter chez sa tante, Mme de Sourdis[2], au cloître Saint-Germain-l'Auxerrois, où elle trépassa après quarante heures de souffrances si atroces qu'on se hâta de dire qu'elle avait été empoisonnée[3]. Henri IV, on le sait, projetait alors de l'asseoir sur le trône de France ; il le lui avait promis du moins, — comme il promettait toujours, — et cette fois semble avoir été sincère[4]. Depuis 1592, on avait commencé avec Marguerite de Valois — la célèbre reine Margot, qui depuis longtemps n'était plus sa femme que de nom et s'était confinée dans le château d'Usson, en Auvergne — des négociations qui devaient aboutir à l'annulation par le pape de leur mariage. Henri IV, si versatile d'humeur, avait alors Gabrielle pour maîtresse depuis neuf ans[5]. Elle avait été mariée avec un M. de Liancourt[6], puis démariée. On lui avait donné le marquisat de Monceaux ; on l'avait faite ensuite duchesse de Beaufort[7]. Les enfants qu'en avait eus le Béarnais avaient été légitimés, à commencer par le jeune César, né en 1594 à Coucy-le-Château, où l'on montre encore, mais très arrangée, à l'ancien hôtel du gouverneur, la chambre qu'habitait sa mère. César fut fait duc de Vendôme, pair de France, et obtint enfin la fille du duc de Mercœur, qui se démit pour lui de son gouvernement de Bretagne[8]. Il vécut jusqu'en 1665[9]. Son frère Alexandre vint au monde à Nantes (9 avril 1598) et fut baptisé à Saint-Germain-l'Auxerrois avec le cérémonial usité pour les enfants de France ; il fut grand prieur et mourut en 1629[10]. Gabrielle eut enfin une fille, Catherine-Henriette, née à Rouen en 1596, et que le roi légitima l'année suivante[11]. Elle fut mariée à Charles II de Lorraine, duc d'Elbeuf, et ne disparut qu'en 1663. — La duchesse de Beaufort, jolie et charmante femme, d'un caractère agréable et gracieux pour tous, mais, il semble bien, d'intelligence médiocre[12], légère, inconsistante, sans esprit de suite, toutefois guidée par sa tante, Mme de Sourdis, qui semble avoir été la forte tête de la famille, avait surtout à compter sur l'opposition de Sully, qu'elle avait pourtant protégé, fait entrer au conseil des finances ; qui était ensuite devenu surintendant et toujours à rechigner, toujours à gronder, ne mettait en avant que l'État et la gloire du roi, les grands mots d'économie et de bien public [13]. Henri IV, qui n'avait qu'à vouloir, essaya pourtant de le circonvenir, et travailla inutilement à le rendre favorable à ses projets de mariage avec Gabrielle. — Rosny, aussi bien, était un singulier personnage, et si l'on s'en tenait à sa seule narration, durant le règne du premier Bourbon il a tout fait et tout conduit à bien ; le roi n'était entre ses mains qu'une sorte de marionnette dont il tirait les fils. Ses Mémoires des sages et royales économies d'Estat... dédiés à la France, à tous les bons soldats et tous peuples français — écrits sur le tard dans son château de Sully et lorsqu'il débordait de fiel en voyant les avantages de ses rivaux victorieux[14] — sont en somme peu véridiques ; c'est un monument de médisance, de présomption et d'orgueil[15], mais où il donne toutefois une certaine couleur à ses démêlés avec la maîtresse en titre. Ce fut entre eux deux une lutte sourde et continue. Sully aussi bien ne manquait pas de bons arguments, et aujourd'hui encore, au point de vue de la raison d'État, nous aurions du mal à le condamner. Gabrielle pensa l'emporter néanmoins, lorsqu'une opération que le roi dut subir à Monceaux[16] le mit, au dire des médecins, dans l'impossibilité d'avoir de nouveaux enfants[17]. Pour assurer sa succession et la tranquillité du pays après sa mort, il n'avait plus qu'à faire une situation régulière à ceux qu'il possédait déjà. Mais durant le séjour de Monceaux, la duchesse redevint enceinte ; le prétexte donné au mariage disparaissait par le fait même et les intrigues contre elle recommencèrent. La noblesse protestante, qui lui était cependant redevable de l'édit de Nantes, car elle y avait poussé son amant[18], voyait sans enthousiasme la perspective de cette union ; parmi les dames, qui s'indignaient en songeant qu'il leur faudrait un jour assister au petit lever de cette bagasse[19], c'était un monde de cancans et de médisances[20]. Le roi était obligé de tenir la balance entre les deux partis, mais les protestants sentaient trop que par intérêt il inclinait vers les catholiques, — qui ne pouvaient d'autre part lui pardonner les concessions faites aux huguenots. En vain il avait voulu faire publier en France les décisions du concile de Trente, et n'y avait renoncé que sur l'opposition des membres de son Conseil. Pour gage de son attachement à la religion nationale et malgré l'attentat de Jean Châtel, il avait fini par tolérer ses fauteurs les jésuites aux endroits du royaume où ils étaient restés[21]. Gabrielle, suivant la même politique, s'efforçait de gagner les uns et de ménager les autres[22]. Sa vie passée de même que sa petite naissance donnaient cependant de la tristesse pour les projets du roi, — projets détestables, où la mort dut intervenir. C'était un scandale énorme, dit M. L. Jarry, où Henri IV ne voyait qu'une fin[23], et lorsque se produisit la catastrophe qui emporta la duchesse, — qu'elle ait été provoquée ou non, — ce fut un réel soulagement. Mais fut-elle empoisonnée, selon la croyance des contemporains ? Michelet le pensait. Sully, dit-il, savait visiblement ce qui allait se passer, et d'autres encore. Selon du Maurier, ambassadeur en Hollande (Mémoires), la mort de Gabrielle était attendue. L'Espagne avait été avertie par un commis de Villeroy qui tenait Madrid au courant de tous les secrets du Conseil et de la Cour. Le pape, si l'on en croit Dupleix, sut l'événement d'une façon surnaturelle, au jour et à l'heure où il se produisit. Le grand-duc de Toscane de même fut averti. M. de Vernhyes rapporte qu'on soupçonna le poison, principalement les siens[24] ; les médecins disaient qu'un citron qu'elle avait mangé chez Zamet lui avait fait du mal. Gabrielle sentait du reste toute l'hostilité qui était autour d'elle. Trop de gens avaient intérêt à la voir disparaître et ses astrologues parlaient à coup sûr lorsqu'ils lui disaient qu'elle mourrait bientôt, qu'elle ne serait jamais reine. La question de l'empoisonnement, sans doute, n'a jamais été résolue par l'affirmative ; il n'y a que des doutes. Mais le fait certain, c'est que la malheureuse femme se trouva frappée au moment où elle allait quand même atteindre son but. Le seul qui l'assista fut La Varenne, si diffamé par l'histoire[25], et qui servait les amours du roi, mais d une bravoure folle à la guerre et peut-être moins digne de blâme qu'on n'a voulu le montrer. Lorsque tous s'éloignaient, La Varenne demeura ; à chaque convulsion violente, il retenait Gabrielle entre ses bras ; il s'improvisa femme de chambre et sage-femme. On avait mandé le médecin La Rivière, mais qui n'osa rien prescrire, se sachant suspect ; on n'eût pas manqué de tout rejeter sur lui, dit Michelet, et crié qu'il l'avait fait mourir. Il s'excusa sur la grossesse et attendit le dénouement. La duchesse lutta quarante heures, avec des accès, des transports, des mieux, des rechutes cruelles. Elle voulut écrire au roi et réussit à confectionner une première lettre ; La Varenne y avait joint quelques mots, mais peu pressants, car Henri IV pensa qu'il s'agissait de quelque petit accident de grossesse. La duchesse se mourait cependant et le médecin La Rivière sortant de la chambre où gisait, défigurée, devenue hideuse par les convulsions, celle qui avait été la belle Gabrielle, donna le mot de la situation : Hic est manus Dei, fit-il[26]. Ses robes de noces étaient prêtes[27] et le roi lui avait donné l'anneau nuptial de son sacre, avec le plat d'or où il avait reçu les clefs de Calais ; les offrandes solennelles de Lyon et de Bordeaux, comme il lui avait remis maintes fois, de ses mains victorieuses, lès enseignes prises à l'ennemi[28]. Il accourait de Fontainebleau, cependant, inquiet malgré le mot de La Varenne, et avait envoyé devant lui, pour faire tenir prêt le bac des Tuileries et passer du faubourg Saint-Germain au Louvre sans entrer dans Paris ; mais à Villeneuve-Saint-Georges, il eut de si mauvaises nouvelles que les plus sages et avisés le détournèrent et empêchèrent d'aller plus avant ; la duchesse était morte ou allait mourir[29] ; elle ne reconnaissait plus personne et était devenue affreuse par les convulsions, — effroyable, dit d'Aubigné, peut-être d'après M. de Vernhyes, — la tête presque tournée devant derrière[30]. Le roi, paraît-il, fut comme foudroyé. Ses gentilshommes, Roquelaure et Frontenac, le firent entrer à l'abbaye de Villejuif[31] et le mirent sur un lit. Mais son désespoir était indicible. Il voulait voir Gabrielle, la tenir dans ses bras ; on dut presque user de violence pour le mettre dans un carrosse et le ramener à Fontainebleau. La nouvelle de cette mort si brusque révolutionna d'ailleurs tout Paris, et vingt mille personnes, dit Cheverny, vinrent défiler dans la chambre mortuaire[32]. Les obsèques eurent lieu le 17 avril, et, sur les indications du roi, eurent le caractère de celles des princesses du sang[33]. Une effigie de la défunte fut exposée, selon l'usage, durant quatre jours sur un lit de parade, aux couleurs de la Maison de France, — velours cramoisi et glands d'or, — qui était celui même qui avait été commandé par Mme de Beaufort pour être placé au Louvre dans la chambre des reines au jour de son mariage. On avait couché la morte dans un manteau de satin blanc[34], et bien qu'elle n'eût pas été administrée, une messe fut célébrée pour elle à Saint-Germain-l'Auxerrois ; le corps de la mère avec celui de l'enfant furent enfin portés à Saint-Denis, où eut lieu le service solennel. On les inhuma à l'abbaye de Maubuisson, dont une des sœurs de Gabrielle était abbesse, où ils restèrent jusqu'en 1793 qui viola la tombe, comme tant d'autres, lors du sac du monastère. Une figure qui surmontait le tombeau fut retrouvée par Lenoir et transportée au musée de Laon. Cependant une enquête sur cette fin étrange avait été ouverte ; elle ne donna du reste aucun résultat. On paraît avoir voulu ignorer tant le complot, — s'il y eut complot, — que son exécution[35]. Zamet, dans la maison duquel la duchesse avait eu sa première crise, fut soupçonné ; puis on convint qu'on faisait fausse route[36]. L'affaire fut abandonnée ; il n'y avait rien, ou l'on ne voulut rien trouver, et le souvenir de Gabrielle d'Estrées ne resta bientôt que comme attaché aux plus heureux jours d'Henri IV[37]. Encore aujourd'hui, les logis, pavillons, immeubles que l'on prétend avoir été occupés par elle dans l'Ile-de-France se rencontrent à chaque pas ; on en montre à Mantes, à Bagneux, à Courbevoie, à Montmartre[38], comme sur le sol de l'ancien Paris[39]. C'est un peu comme les rendez-vous de chasse du roi, pour nonnes et gentilles dames ; un de ses historiens en a compté quarante, rien que dans les environs de la capitale[40]. Mme de Liancourt disparue enfin, ce fut le tour d'une autre, car si les impressions du Béarnais étaient vives, elles étaient rapides et nombreuses. Après la grande crise de larmes, les lamentations, le désespoir, il fut bientôt consolé. Trois semaines plus tard, dit cette mauvaise langue de Mlle de Guise, il était amoureux d'Henriette de Balzac, fille du marquis d'Entragues, qui allait prendre la succession de la belle Gabrielle[41]. |
[1] L'hôtel de Zamet, que l'on appelait la maison des Menus-Plaisirs du roi, qui s'y rendait souvent en partie galante, était rue de la Bastille, depuis rue de la Cerisaie, au coin de la rue Lesdiguières. C'était en réduction l'hôtel de Mayenne, construit en briques et pierres de taille : la maison devint ensuite l'hôtel de Lesdiguières et fut abattue en 1741. (Bibl. de l'Ecole des Chartes, série A, t. III, p. 148.) Au temps où écrivait le comte de La Borde (Organisation des bibliothèques, lettre IV, note 403), le jardin était encombré de masures, le grand escalier à gauche avait disparu et au premier étage s'était installé un fabricant d'ornements en bronze. Il ne restait rien de l'ancienne décoration. (Cf. TALLEMANT DES RÉAUX, t. I. Notes de l'édit Monmarqué.) La Cerisaie était un ancien verger de l'hôtel Saint-Paul et devint en partie le jardin de l'hôtel Zamet.
[2] Mme de Sourdis était alors à Chartres ; on la manda de suite.
[3] C'est la version courante ; Gabrielle d'Estrées était alors enceinte de six mois. Les détails sur les circonstances de sa maladie et de sa mort sont assez incertains. Cheverny (Mémoires) affirme qu'après le décès le corps fut ouvert et qu'on trouva l'enfant mort depuis le début des attaques. La belle Gabrielle fut emportée, peut-on croire, par une attaque d'éclampsie ou des convulsions puerpérales. (Cf. J. LOISELEUR, Problèmes historiques, Paris, 1867, et lettre de Jehan de Vernhyes, président de la Cour des aides de Montferrand et membre du Conseil de Navarre (16 avril 1599), publiée par le même auteur : la Mort de Gabrielle d'Estrées, à la suite de Ravaillac et ses complices, Paris, 1873.) D'après les bruits de l'époque elle aurait été empoisonnée par Zamet, pour des raisons d'ailleurs politiques. (Cf. TALLEMANT, t. I) Nous analysons plus loin la lettre de Jehan de Vernhyes et l'autopsie fut réellement faite. Le corps fut ouvert le samedi ; on trouva que la duchesse avait le poumon et le foie gâtés ; une pierre en pointe dans le rognon et le cerveau offensé. Il n'y avait rien dans l'estomac ; mais les désordres constatés étaient tels qu'ils suffisaient pour déterminer la mort.
[4] On devait déclarer M. le prince (Condé) bâtard. Le comte de boissons se faisait cardinal avec 300.000 livres de rentes en bénéfices. Le prince de Conti était marié avec une vieille qui ne pouvait avoir d'enfants. Le maréchal de Biron devait épouser la fille de Mme d'Estrées, qui a été depuis Mme de Sanzay, et M. d'Estrées la devait avouer, bien que pendant cinq ou six ans, il n'eût couché avec sa femme. (TALLEMANT, t. I.)
[5] Il l'avait connue à Cœuvres, sur la route de Compiègne. Elle avait alors seize ans ; elle était cousine de Claude de Beauvillers, abbesse de Montmartre, qui était sa maîtresse au moment du siège de Paris.
[6] Liancourt d'Amerval ; elle avait pris d'abord le nom de Mme de la Rocheguyon.
[7] Gabrielle d'Estrées était duchesse de Beaufort depuis le 10 juillet 1597.
Certains, dit l'Estoile, ne l'appelaient que la duchesse d'ordure. (Édit. Michaud, t. II, p. 286.) On lui a même donné Henri III pour amant, sans parler d'une infinité d'autres (?).
[8] Le roi accordait au duc de Mercœur 236.000 écus de dédommagement pour les frais de la guerre, 17.000 écus de pension et une compagnie de cent hommes d'armes. Françoise de Lorraine, sa fille, que l'on mariait au jeune César, n'avait alors que six ans.
[9] 22 octobre ; il avait soixante et onze ans.
[10] Reçu chevalier de Malte en 1604 : Louis XIII lui donna en 1620 l'abbaye de Marmoutiers, et le fit grand prieur de France et général des galères de Malte.
[11] Le roi y allait tous les jours, dit l'Estoile, et la regardait remuer. Le jour de son baptême, il donna une grande fête à laquelle furent invités les premiers seigneurs du royaume et les ambassadeurs des cours étrangères qui vinrent conduits par le duc de Mercœur et assistèrent à la cérémonie... ce qui donna occasion à plusieurs de blâmer cette ostentation, croyant qu'il eût été mieux de cacher cette enfant que de l'exposer à la vue de tout le royaume. (Note de l'édit. Michaud, t. II.)
[12] Elle était blanche et blonde ; elle avait des cheveux d'or fin, relevés en masse et mi-crêpés sur les bords ; le nez droit et régulier ; les yeux bleus doux et clairs ; la bouche petite, souriante et purpurine ; la taille d'une élégance suprême. La physionomie, en somme, était engageante et tendre ; elle était femme dans ses gestes, dans ses ambitions, dans ses défauts même (Sainte-Beuve). Ceux qui ne voulaient pas l'aimer, en a dit la princesse de Conti, ne pouvaient pas la haïr.
[13] J. LOISELEUR, Problèmes historiques, p. 173.
[14] LOISELEUR, Ravaillac, etc. ; la Mort de Gabrielle d'Estrées.
[15] Il faut voir comment il énumère lui-même ses titres, inscrits, dit l'Estoile, sous la rubrique Qualités (juillet 1609) : Maximilien de Béthune, chevalier, duc de Sully, pair de France ; prince souverain de Henrichemont et de Boisbelle, marquis de Rosny, comte de Dourdan, sire d'Orval, Montrond et Saint-Amand ; baron d'Epimesnil, Bruières, Le Chastelet, Villebon, La Chapelle, Novion, Bangy et Boutin ; conseiller du roi en tous ses conseils ; capitaine lieutenant de deux cents hommes d'armes d'ordonnances du roi sous le titre de la reine ; grand maître et capitaine général de l'artillerie, grand voyer de France, surintendant des finances, fortifications et bâtiments du roi ; gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en Poitou, Châtelraudois et Lodunois ; gouverneur de Mantes et Jargeau et capitaine au château de la Bastille à Paris. (Édit. Michaud, t. II, p. 553.) Ses portraits restent d'un gros homme plein de soi, suffisant et bouffi ; c'est le protestant arrivé, qui garde un petit sourire d'indulgence méprisante pour ses adversaires. Rosny fut fait duc de Sully en février 1606.
[16] Le château de Monceaux en Brie, à deux lieues environ de Meaux, avait été bâti par Catherine de Médicis et modifié par Henri IV, qui le donna à Gabrielle d'Estrées. Il n'en reste guère aujourd'hui que des décombres. (Cf. Th. LHUILLIER, l'Ancien château de Monceaux, Meaux, 1894.)
[17] Henri IV, né en 1553, avait alors quarante-cinq ans et commençait bien à vieillir. Il avait la goutte, parfois une rétention d'urine, la fièvre et des insomnies. On n'a point de détails sur l'opération que les médecins jugèrent nécessaire et qui est simplement désignée comme l'ablation d'une excroissance. Ce fut le chirurgien Bérault qui l'opéra. (CHEVERNY, Mémoires, Édit. Michaud, p. 573.)
[18] L'édit fut enregistré le 23 février 1599, malgré l'opposition du Parlement.
[19] Le mot est de Sully ; c'est un exemple de ses aménités.
[20] Gabrielle avait d'abord été la maîtresse de Bellegarde, — Roger de Saint-Léry, qu'on appelait M. le Grand, parce qu'il avait été fait grand écuyer, — et ce fut lui-même qui commit l'imprudence de la faire connaître au roi, devant lequel il s'effaçait depuis, tout en ménageant sa maîtresse par intérêt, mais resté si avant dans les bonnes grâces de la dame qu'Henri IV, dit Tallemant, commanda dix fois de le tuer. Si l'on en croit les potins, d'ailleurs elle avait copieusement rôti le balai ; on comptait parmi ses amants l'amiral de Villars et le duc de Longueville, — et c'est contre elle qu'avaient été faits les vers que rapporte l'Estoile à propos des projets de mariage d'Henri IV :
N'est-ce pas une chose étrange
De voir un grand roi serviteur,
Les femmes vivre sans honneur
Et d'une putain faire un ange.
(Édit. Michaud, t. II, p. 200.) Sa famille de même était peu recommandable, comptant vingt-cinq ou vingt-six, soit religieuses ou mariées, ayant toutes fait l'amour hautement ; sa mère, Mme d'Estrées, qui fut tuée à Issoire dans une émeute avec le marquis d'Allègre son amant, se vantait d'avoir couché avec le pape Clément VII à Nice ; avec l'empereur Charles-Quint lorsqu'il passa en France et avec François Ier ; aussi faisait-on remarquer que les Babou écartelaient aux deux et trois fretté de sable, un et quatre d'argent, au bras de gueules sortant d'un nuage d'azur, tenant une poignée de vesces en rameau, — allusion délicate à la descendance de la dame, — six fils et un fils, — l'aîné avait été tué au siège de Laon — et que l'on appelait les sept péchés mortels. (TALLEMANT.)
[21] On les avait expulsés en 1595, à la suite de cette tentative d'assassinat.
[22] Le roi ayant été voir sa sœur Catherine qui était malade, rapporte encore l'Estoile, y trouva Vaumesnil qui pour la désennuyer touchait le luth et jouait le psaume 78. Les gens entrés, le roi commença à chanter avec les autres, mais Mme de Monceaux, qui était auprès de lui, lui dit qu'il prît bien garde de poursuivre, et lui mettant la main sur la bouche, le pria de ne plus chanter. Elle voulait, en somme, le garder de perdre le bénéfice de sa conversion ; mais les seigneurs protestants de son entourage murmurèrent sans comprendre ses raisons. (Cf. Édit. Michaud, t. II, p. 38.)
[23] Parmi les huguenots la princesse d'Orange, fille de Coligny, poussait cependant au mariage de la favorite, craignant une union italienne et pour rattacher le roi à l'intérêt de ses coreligionnaires. C'était toujours la lutte des huguenots et des catholiques.
[24] Voyez ce que dit DESCLOZEAUX, la Duchesse de Beaufort.
[25] Cf. la Revue Henri IV, t. I, 1908, et l'ouvrage qu'elle indique : Un ami de Henri IV, Guillaume Fouquet, marquis de La Varenne-Mamers, in-8°, 1906.
[26] On sait également le mot du président Harlay : Laquens contristus est. Gabrielle mourut dans la nuit du vendredi au samedi saint (9 au 10 avril 1599) et si l'on en croit Cheverny, elle aurait eu le pressentiment de sa fin, car il rapporte : Et comme il fallut se séparer, entrant en bateau, il sembla que ladite duchesse se doutât de son prochain malheur, car avec infinis pleurs et baisers, témoins publics de leur amour, elle recommanda au roi le soin de ses enfants, avec très grande affliction, n'ayant jamais accoutumé à leur séparation qui était assez ordinaire, de lui en faire peine. Et ainsi le roi retourna tout triste à Fontainebleau. (Mémoires de Cheverny, édit. Michaud, p. 572.) Les ennemis de la duchesse, encouragés par la décomposition rapide du corps, — détail important, mais qui n'a pas attiré jusqu'ici l'attention, — firent croire au peuple que c'était le diable qui l'avait mise en cet état ; qu'elle s était donnée à lui pour posséder seule les bonnes grâces du roi, et qu'il lui avait ensuite rompu le col. (MÉZERAY, Abrégé, liv. LXVII, t. VII, p. 351, edit. de 1698.) C'était une croyance bien dans les idées de l'époque, mais l'empoisonnement est indiqué, d'autre part, par Mézeray lui-même. (Ibid., p. 349-351. Cf. encore, sur Gabrielle d'Estrées, les Mémoires de Claude Goulart, édit. Floquet, Rouen.)
[27] Le luxe excessif de Gabrielle, ses toilettes causaient presque du scandale. Au retour de l'expédition de Laon, rappelle encore l'Estoile, le roi fit son entrée à Paris aux flambeaux, entre sept et huit heures du soir. Il était monté sur un cheval pommelé et avait un habit de velours gris, tout chamarré d'or, avec un chapeau gris et le panache blanc (15 septembre 1594). Les garnisons de Mantes et de Saint-Denis furent au-devant avec le corps de ville et échevins, la cour avec leurs robes rouges allèrent l'attendre à Notre-Dame, où le Te Deum fut chanté. Mme de Liancourt marchait un peu devant lui dans une litière magnifique toute découverte, chargée de tant de perles et pierreries si reluisantes qu'elles offusquaient la lueur des flambeaux (t. II, p. 245). Le dimanche 6 novembre, fut fait le baptême du fils de Mme de Sourdis, à Saint-Germain-l'Auxerrois, duquel le roi fut le compère avec Mme de Liancourt qui avait une robe de satin noir, tant chargée de perles et pierreries qu'elle ne se pouvait soutenir, et à laquelle on disait que Mmes de Nemours et de Montpensier avaient servi de chambrières. (Ibid., p. 250.) A quoi les gens répétaient comme à Charpin imprimeur de Genève, nouvellement arrivé à Paris, et qui s'informait près d'un archer de la garde : Mon ami, ce n'est rien qui vaille ; c'est la putain du roi. Le dimanche 23 février (1597), ajoute le même chroniqueur, le roi fit une mascarade de sorciers et alla voir les compagnies de Paris, ayant toujours la marquise à son côté, qui le démasquait et baisait partout où ils entraient. (Ibid., p. 281.) Gabrielle le suivait ordinairement dans ses expéditions ; ainsi lorsqu'il alla reprendre Amiens en disant : C'est assez faire le roi de France, il est temps de faire le roi de Navarre, elle partit une heure après lui dans sa litière, ne se sentant pas assurée à Paris, ainsi qu'elle disait, le roi en étant sorti.
[28] On peut voir dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes (série A, t. III, p. 148) l'inventaire fait après la mort de Gabrielle et publié par M. Fréville. Il mentionne des propriétés à Vandeuil, à Jacquis, à Beaufort, Jaulcourt, Largicourt, Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux... les joyaux, bagues, pierreries, le mobilier, une pièce d'orfèvrerie figurant un roi d'argent, à ses pieds un lion d'or, don de la ville de Lyon ; un morceau d'ambre gris dans une boîte d'argent, don de la ville de Bordeaux ; un diamant en table que le roi avait reçu à son sacre, et qui avait été prisé 900 écus ; un lit à passementeries à franges de soie verte, pour coucher sous la tente lorsque la duchesse accompagnait le roi, et entre autres curiosités pour le temps, des fourchettes à deux dents, avec le manche de cristal, d'ivoire ou de corail ; c'est cet usage des fourchettes qui commence alors que Vile des Hermaphrodites, pamphlet de l'époque (édit. de Cologne, in-12, 1724) trouve ridicule. Aussi Henri IV et sa suite, même chez elle, mangeaient avec leurs doigts. La liste des vêtements que donne l'inventaire : robes, manteaux, sauts du lit, une robe cotée 1.200 écus (18.000 francs), est, du reste, interminable et fournit de curieuses indications sur la toilette des élégantes de l'époque. Les revenus de Gabrielle, au moment de sa mort, étaient d'environ 20.000 écus (300.000 francs d'aujourd'hui) ; ses diamants passèrent à Marie de Médicis. L'inventaire fait par ordre du roi dura trois jours, à Paris seulement, et donna une estimation totale de 156.322 écus, 43 sous, 8 deniers. (Cf. Arch. nat. KK. 157. Chambre des comptes. Registre en parchemin de 65 feuillets ; DESCLOZEAUX, la Duchesse de Beaufort.) On peut rapprocher de cette pièce l'inventaire des habillements et parures d'une dame de Provence en 1580, publié dans la Revue des Sociétés savantes (Ann. 1874, 5e série, t. VIII, p. 116, 125). Divers objets et souvenirs de Gabrielle d'Estrées sont enfin conservés à Coucy-le-Château, dans l'ancien hôtel des gouverneurs. — A Paris elle avait habité d'abord l'hôtel du Bouchage, puis la rue Saint-Honoré, à deux pas du Louvre, et qui devint ainsi l'hôtel d'Estrées. En 1596, Henri IV l'installa plus près encore, rue Fromenteau, hôtel des Trois-Pas-de-Degrés qui avait été acheté à G. de Schomberg. (R. HÉNARD, la Rue Saint-Honoré.)
[29] D'après le récit de M. de Vernhyes (op. cit.), Gabrielle d'Estrées, descendue à Paris le 6 avril, avait soupé chez Zamet, et dès le soir, malade, vint se loger au doyenné de Saint-Germain-l'Auxerrois chez sa tante, à laquelle elle envoya un laquais pour la presser d'accourir. Le mercredi elle reposa sans douleurs ; le jeudi elle assista à la messe à Saint-Germain et revint se coucher vers deux heures ; à quatre heures les douleurs la reprirent ; le vendredi, elle en eut de nouvelles et très fortes, avec perte de sang. On lui tira peu après un enfant mort, à pièces et lopins ; elle fut saignée trois fois ; on lui administra trois clystères, et quatre suppositoires furent chargés d'attirer le second flux. Ses douleurs et convulsions étaient si terribles que les médecins affirmèrent n'en avoir point vu de pareilles ; à partir de six heures, elle perdit la parole, l'ouïe, la vue et le mouvement et resta ainsi jusqu'au samedi matin, cinq heures, où elle mourut après une agonie effroyable. Une lettre de La Varenne racontant la fin de Gabrielle d'Estrées et que reproduit Sully (t. I, p. 313) est fausse, dit M. Loiseleur ; elle a été inventée par le surintendant qui était du reste coutumier du fait. Le jeudi, vers les quatre heures, ajoute-t-il, La Varenne avait été dépêché vers Sa Majesté ; le lendemain le maréchal d'Ornano accourut au-devant de lui pour l'arrêter ; il le rencontra à Villeneuve-Saint-Georges et eut d'abord une conférence rapide avec Bellièvre ; tous deux conseillèrent au roi de retourner à Fontainebleau. Béringhem, qui avait été envoyé aux nouvelles, revint de Paris en disant que la duchesse était à l'agonie. — M. de la Barre-Duparcq parle également d'une fièvre puerpérale à mouvements ataxiques. (Henri IV, p. 148.)
[30] Elle vivait encore à ce moment, dit Michelet, mais déjà défigurée, les yeux chavirés, le col tordu, la tête tournée sur l'épaule, si affreuse qu'on l'eût dite morte d'un mois.
[31] Mémoires de Bassompierre, édit. de la Société de l'Histoire de France, t. I.
[32] Mémoires de Cheverny, édit. Michaud, p. 572.
[33] Il porta le deuil en noir, dit Michelet, contre l'usage des rois qui le portaient en violet, et le garda trois mois. Au service de Saint-Germain-l'Auxerrois, il envoya toute la Cour, et reçut les condoléances des ambassadeurs étrangers et même du Parlement qui adressa à Fontainebleau une députation solennelle.
[34] On la montra le vendredi et le samedi, plus changée qu'autre qui jamais se soit vue, dit M. de Vernhyes. Trois heures après la mort, on l'avait mise dans le cercueil.
[35] LOISELEUR, Problèmes historiques. Michelet, qui semble heureux d'appuyer sur le côté romanesque de l'aventure, se hâte de dire : Il n'y eut pas de recherche, pas d'enquête ; le roi sans doute savait qu'il trouverait plus qu'il ne voulait.
[36] Zamet, ex-cordonnier, faquin de race mauresque, financier devenu un gros richard, — il s'intitulait seigneur de dix-huit cent mille écus ! — courtisan et entremetteur, de cette séquelle de familiers dont étaient La Varenne et le bouffon Roquelaure, ne fut d'ailleurs nullement inquiété. Intéressé, joueur, luxurieux, le roi allait volontiers chez lui en parties tines, et y trouvait table mise, accueil empressé, le lit toujours ouvert. Zamet qui était de Lucques et avait été valet de garde-robe sous Henri III, s'était surtout élevé par son esprit d'intrigue. Mais il prêtait à toute la cour, à commencer par le roi, bien entendu lorsqu'on avait de solides garanties ; après la mort de Gabrielle, on le voit ainsi réclamer le bassin d'argent doré avec le portrait de la ville de Calais où Henri IV avait reçu les clefs de la ville et que possédait la duchesse. Le roi disposa en sa faveur, aussitôt, de la lieutenance de la capitainerie de Fontainebleau, charge dont il dépouilla un des protégés de sa maîtresse ; il fut plus tard chargé de négociations avec le duc de Savoie. C'est chez lui que descendit Marie de Médicis, après un court séjour chez Albert de Gondi, et en attendant qu'on eût préparé son appartement du Louvre ; c'est chez lui qu'on apporta le dauphin, venu au monde à Fontainebleau, avant de le transporter à Saint-Germain (27 octobre 1601) ; c'est chez lui encore que le roi, quelques jours après, fit le festin de sa naissance, où se trouvèrent la reine, la duchesse de Bar et son mari, les ambassadeurs des puissances étrangères, des princes, seigneurs et dames de la Cour. Si fin politique que fût Henri IV, on peut dire ainsi qu'il n'avait plus de soupçons ; mais peut-être aussi, à bien réfléchir, avait-il pensé qu'il valait mieux ne pas chercher trop, d'autant que le mal était sans remède.
[37] Il resta aussi quelques vers selon la mode du temps, et des quatrains médiocres :
Ci-gît madame la Marquise,
D'un esprit plus grossier que fin,
Qui mourut pour s'être trop enquise
Qui serait Monsieur le Dauphin.
[38] En contrebas du Sacré-Cœur, sur le versant nord de la Butte ; ce pavillon a été récemment abattu.
[39] Rue Brantôme, 15. (G. PESSARD, Nouv. Dict. hist. de Paris.)
[40] Un des plus coquets est à Croissy, sur la route qui domine la Seine. Il a d'ailleurs été fortement remanié.
[41] Cf. les Amours du Grand Alcandre. Après lui avoir laissé exhaler sa douleur, Fervaques lui aurait dit, presque en riant, qu'il était bien heureux de cet événement et qu'en songeant à ce qu'il allait faire sans cette mort, il jugeait que Dieu lui avait fait une grande grâce. Dans les Œconomies Royales, Sully, comme il fallait s'y attendre, se donne le mérite d'avoir consolé le roi. Le propos de Fervaques est mis ailleurs sur le compte d'Albert de Gondi, duc de Retz, et il ne faut pas oublier que les paroles du Grand Alcandre ne sont que les affirmations d'un pamphlet et d'un pamphlet de femme. (Cf. édit. Didot, 1786, t. I, p. 74.) L'attribution de l'ouvrage à la princesse de Conti a d'ailleurs été contestée par M. Paulin Paris. M. Loiseleur répète d'après les potins que le roi reconnut que Dieu aimait cet État et ne le voulait perdre, et protesta qu'il n'abuserait pas de ses miséricordes et ne garderait renchoir à de si grandes fautes. Il commanda à Beringhem d'aller voir Gabrielle d'Estrées rendre le dernier soupir et retourna à Fontainebleau. Le dimanche matin Beringhem apporta la nouvelle de la mort et l'inventaire des bagues et joyaux fait par Bellièvre. C'est du reste brusquer les choses, car nous avons vu que l'inventaire dura trois jours.