Avènement de Henri IV. — Pourparlers avec Marguerite de Valois. — Le divorce (1599). Après l'assassinat de Henri III, la guerre continua, les Ligueurs et même une partie des royalistes catholiques refusant de reconnaître le nouveau roi qui demeurai t huguenot. Henri IV leva le siège de Paris et commença la conquête de son royaume. Le jour même de la bataille d'Ivry (14 mars 1590), les Ligueurs dont la reine de Navarre suivait la fortune étaient battus sous les murs d'Issoire, et le lendemain elle apprenait la mort du comte de Randan qui l'avait jusqu'alors assistée de tout son pouvoir. Du rocher d'Usson, elle suivait anxieusement les progrès de la cause royale, espérant peu, craignant tout, dit le P. Hilarion de Coste, car tout était en feu et en désordre autour d'elle, et lorsque Henri IV eut abjuré et eut été sacré à Chartres, elle eut la prudence de lui écrire pour le féliciter de son avènement[1]. — La reddition de Paris suivit de près le sacre de Chartres. — La reine Marguerite semblait assez oubliée du roi parmi les événements de cette époque : ses conquêtes, ses maîtresses, les mille préoccupations du nouveau régime, les dernières résistances à vaincre tenaient plus de place en sa pensée que la pauvre princesse des montagnes d'Auvergne[2]. Mais ses ministres y pensaient pour lui, non pour la rappeler, lui rendre enfin sa place de souveraine, mais pour l'en écarter définitivement. Il fallait assurer à la France une dynastie ; Henri de Navarre et Marguerite n'avaient pas d'enfants ; la reine vieillissait et si les époux même s'étaient repris, on avait peu d'espérance qu'ils en eussent jamais. On voulait éviter, à la mort du roi, de nouvelles querelles pour la succession elles misères qui avaient affligé le pays pendant tant d'années. Tout le règne de Henri III déjà n'avait été que guerres, promenades d'armées, réunion de gens d'armes, pilleries, villes prises et reprises. Dès 1586, L'Estoile écrivait : En ce mois d'août, quasi par toute la France, les pauvres gens des champs, mourant de faim, allaient par troupes sur la terre couper les épis de blé à demi taus, et les manger à l'instant pour assouvir leur faim effrénée ; et ce, en dépit des laboureurs et autres auxquels les blés pouvaient appartenir, si d'aventure ils ne se trouvaient les plus forts, même les menaçaient ces pauvres gens de les manger eux-mêmes s'ils ne leur permettaient de manger les épis de leur blé. — On sait aussi comment les Ligueurs faisaient la guerre et quels étaient leurs exploits. — Sur la fin de ce mois (avril 1589), le capitaine Commeronde, lequel avec son régiment avait couru, pillé et ravagé tout le pays d'Anjou et comté de Laval, s'empara du bourg d'Arquenay, lequel il pilla et saccagea, après avoir tué, rançonné et violé femmes et filles ; finalement vint à l'église, du pillage de laquelle on pensait, comme zélé catholique de l'Union qu'il était, qu'il se dût abstenir, et aussi que les huguenots y avaient passé un peu auparavant, qui n'y avaient point touché ; mais tout au contraire, en ayant brûlé les portes, y entra avec ses troupes qui la pillèrent entièrement, tuèrent un pauvre homme au pied du crucifix parce qu'il se plaignait qu'au lieu même on avait violé sa femme en sa présence ; firent leur ordure dans le bénitier et par toute l'église, et des accoutrements dont étaient parées quelques images de Notre-Daine, en firent des livrées à leurs putains et à leurs gouges. Et pour le comble de leurs exploits, prirent le ciboire en argent où il v avait vingt-quatre hosties, et dit-ou qu'un des plus gens de bien de leur compagnie, s'étant revêtu des ornements sacerdotaux, ayant fait mettre douze ou quinze de ses compagnons à genoux, ayant les mains toutes pleines de sang. leur distribua ce saint-sacrement, et ce qu'il resta d'hosties ils le jetèrent par terre et foulèrent aux pieds[3]. — Parlant ensuite de la retraite de Mayenne, du faubourg Saint-Symphorien à Tours, le chroniqueur dit qu'il eût pu tenir davantage, s'il n'eût eu peur d'être suivi et puni pour les violements de filles et femmes, que firent ses gens au milieu d'une église, qui furent tels et si grands que le vicaire du dit Symphorien a depuis assuré y avoir vu forcer les femmes et filles réfugiées, en la présence de leurs maris et de leurs pères et mères, et que leur en voulant remontrer quelque chose, ces gens de bien de l'Union l'auraient, l'épée à la gorge, menacé de lui en faire autant. — Le chevalier d'Aumale, étant arrivé assez longtemps après l'escarmouche, se logea chez le prévost de Saint-Symphorien, où après l'avoir fouillé et volé, et fait poignarder à ses pieds quelques soldats royaux qui, désarmés, lui demandaient miséricorde, fit violer trente ou quarante, que femmes, que filles, qui furent trouvées dans une cave ; connue aussi, par tout le reste du faubourg, on y voyait le lendemain les lits qui étaient encore sur le carreau, où quelques prêtres disaient avoir vu jeter et trainer les filles et femmes par les cheveux. Ayant assouvi de cette façon leur brutalité, comme bons catholiques se transportèrent en l'église. où par la dévotion qu'ils eurent au saint-sacrement, coupèrent la corde qui tenait le ciboire, pensant qu'il fût d'argent ; mais trouvant que ce n'était que cuivre, le jetèrent par dépit contre terre, et avant trouvé deux calices, l'un d'étain, l'autre d'argent, laissèrent celui d'étain, pour ce qu'ils disaient qu'il était de la Ligue et faisaient conscience d'y toucher, et prirent celui d'argent qui était hérétique et royal, et partant de bonne prise... En cette expédition, le butin du chevalier d'Aumale fut une fille de douze ans, des meilleures maisons de Tours, laquelle il força dans un grenier, lui tenant toujours le poignard à la gorge[4]. — On peut voir au reste quelle était la misère de la France après les guerres de la Ligue par les détails que donne Vaultier, chroniqueur de Senlis[5]. Les guerres de religion, calculées seulement depuis 1516, dans le diocèse de Sens, avaient coûté en dix-huit ans la vie à plus de dix-huit mille personnes ; dans l'Auxerrois, en 1580, on comptait douze mille trois cent quatre-vingts personnes occises, exécutées et massacrées. Quant aux dégâts matériels, un procès-verbal d'enquête et d'information fait en 1601, c'est-à-dire quatre ans après la fin des troubles, à la requête du syndic du clergé, indique l'état effrayant du diocèse — et par suite la dévastation de tout le royaume[6]. — Pour assurer la paix, il fallait que le roi eût un fils légitime, appelé à lui succéder selon les lois et coutumes séculaires, et pour cela il était nécessaire de le remarier. — Telle fut la pensée et l'œuvre des ministres de Henri IV, Duplessis-Mornay et Sully. On a écrit des livres entiers sur les amours du premier des Bourbons, et nous avons vu qu'il y avait là ample matière. A cette époque, on nomme parmi ses maîtresses Charlotte des Essards, dont il eut deux filles ; l'abbesse de Montmartre ; Martine Montaigu[7] et une autre femme appelée Armandine — sans compter Gabrielle d'Estrées qui lui donna deux fils[8]. — Duplessis-Mornay, paraît-il, lui représenta enfin a tous les dangers qu'il courait dans ses attachements frivoles, et auxquels il exposait son corps, son âme et sa réputation. Le roi lui répondit : — Pourquoi ne pense-t-on pas à me marier ? — Certes, repartit Mornay, à vous marier ! Ne trouvez-vous pas étrange si l'on n'ose y penser ; il y a double peine, parce qu'il faut vous démarier premier. Mais si c'est à bon escient — et je le crois, car vous connaissez assez le besoin que vous avez de fortifier par là votre État — j'oserai encore par votre commandement tenter cette affaire[9]. Mornay, dès le commencement de 1593, s'était donc abouché
avec M. Érard, maitre des requêtes de la reine Marguerite, et l'avait envoyé
à Usson. Il fallait d'abord obtenir un consentement de ce côté, et l'on
demandait à la reine une procuration en blanc, avec promesse de déclarer
devant l'official qu'elle n'avait jamais consenti à ce mariage, contracté
d'ailleurs sans dispense et à un degré prohibé par l'Église ; qu'elle
désirait le faire dissoudre et déclarer nul pour apaiser ses remords et ses
inquiétudes. — Le ministre espérait que le roi n'aurait pas besoin de
recourir au pape et que les tribunaux ecclésiastiques et séculiers de France
prononceraient le divorce. — Marguerite, on peut le penser, ne tenait
aucunement à rester la femme de Henri IV : Toutefois, elle fut longue à se
décider. Venu à Usson en avril, M. Érard n'en repartit qu'en juillet
rapportant la procuration et des lettres qu'elle affecta d'écrire très
soumises[10].
La reine avait vu là une occasion inespérée de recouvrer sa liberté et sa
quiétude ; de plus, on lui donnait le beau rôle et elle avait l'air de se
sacrifier au bien de l'État. — Elle avait écrit en même temps à
Duplessis-Mornay (avril 1593) : Monsieur Duplessis, bien que j'attribue à la seule bonté
de Dieu et bon naturel du roi mon mari l'honneur qu'il lui a plu me faire par
le sieur Érard, de m'assurer de sa bonne grâce, le bien du monde que j'ai le
plus cher, et l'honneur de sa protection ; sachant néanmoins combien peuvent
les conseils de personnes accompagnées de telle suffisance et affection que
vous, auprès d'un grand qui les estime et y croit, comme je sais que fait le
roi mon mari, je ne doute point combien vos bons offices m'y ont pu servir,
de quoi j'eusse pensé rester par trop ingrate de ne vous en remercier par
celle-ci. Le sieur Érard vous communiquera toutes choses. Si vous m'obligez
tant de tenir la main à la perfection d'un si commencement, duquel dépend
tout le repos et la sûreté de ma vie, vous vous acquérerez une immortelle
obligation sur moi, qui par tous effets serai à jamais désireuse de me
témoigner votre plus affectueuse et fidèle amie[11]. M. Érard dès son retour eut une première conférence avec Bellièvre, de Sancy et Révol, tous trois du Conseil et d'après ses explications on pensa que à roi lui-même devait écrire à sa femme : Dès que j'ai entendu bien au long ce qu'Érard a traité avec vous, ce m'a été un extrême contentement de la résolution que vous avez prise d'apporter au bien de nos affaires tout ce qui dépend de vous. Quant à ce que m'a dit Érard touchant votre pension et au pavement de vos dettes, je vous ferai bailler telles et si sûres expéditions et assignations que le saurez désirer (2)[12]. — On lui avait offert en effet une somme de 250.000 écus pour ses dettes, qui étaient nombreuses car elle avait toujours donné beaucoup, emprunté à chacun en ne rendant jamais[13] ; de plus une rente viagère et une place de sûreté sans la désigner. La pension devait être de 12.000 écus ; elle en demanda 14.000 en écrivant à Duplessis-Mornay (12 novembre) : Ce n'est rien pour Sa Majesté et beaucoup pour moi qui reste avec si peu de moyens. En rendant tout ce que je rends, il me sera presque impossible de pouvoir entretenir mon train suivant ma qualité[14]. — Comme place de sûreté, elle demanda Usson ; on ne lui répondit pas d'abord ; elle y revint en disant : Le roi doit plutôt se fier à moi qu'à ceux qui veulent me l'ôter. De guerre lasse on lui laissa la forteresse, d'où l'on espérait d'ailleurs qu'elle ne descendrait jamais[15]. — Toutefois, la Ligue à ce moment n'était pas entièrement détruite. Les derniers Ligueurs essayèrent d'influencer la reine et lui dépêchèrent un nommé Vermand, chargé de lui représenter, en exagérant quelques prétendues injustices qu'elle croyait avoir éprouvées des tribunaux du roi, combien son sort serait malheureux si, dans le temps même de la négociation, on avait pour elle si peu d'égards[16]. — Mais Marguerite savait ce qu'elle voulait[17]. Érard avait fait un deuxième voyage à Usson et elle avait donné une procuration nouvelle où le roi avait fait ajouter quelques mots nécessaires[18] ; elle continuait à correspondre avec lui et Duplessis-Mornay, et tout eût été pour le mieux si la pension promise avait été payée régulièrement. Dans sine lettre du 29 juillet 1594, adressée à Henri IV, elle se plaint amèrement de son manque de parole[19] ; dans une autre de la même année (8 novembre), elle demande, à la place de ce qui lui était assigné sur Clermont, que l'on vent me réduire presque à rien, un état de président vacant à Toulouse, et qu'elle s'offrait de prendre en payement pour autant qu'il s'en tirerait de finances[20]. Le roi plaida les circonstances atténuantes, attribua ces retards au malheur du temps plutôt qu'à sa mauvaise volonté. — Puis il y eut autre chose ; Marguerite avait la nomination de l'abbaye de Saint-Corneille à Compiègne ; sans tenir compte de ses droits, Henri IV venait d'en disposer en faveur de Gabrielle d'Estrées. La reine lui écrivit (24 janvier 1595) : Je ne puis croire que ce soit au préjudice du pouvoir qu'il a plu à Votre Majesté m'y donner, ayant reçu trop de plaisir que chose qui dépendait de moi ait pu être propre pour témoigner à cette honnête femme combien j'aurai toujours la volonté de servir à son contentement et combien je suis résolue d'honorer et d'aimer tout ce que vous aimez[21]. En revanche, elle demandait l'approbation du choix qu'elle avait fait de l'archidiacre Bertier, son chancelier, pour l'évêché de Condom, — et avec un air de condescendance et de soumission, fort habilement avait dit son fait au roi. Au reste, malgré beaucoup de protestations, les choses traînèrent. Érard. auquel elle avait accordé une gratification de 10.000 écus, laissait ses intérêts souffrir, ne lui écrivait même plus[22]. Elle avait affecté à l'extinction de ses dettes 23.000 écus que lui rendaient ses terres de Picardie ; mais le roi, cette fois encore, en avait disposé autrement et, les compensations promises tardant à venir, ses créanciers la harcelaient. Mes affaires, écrit-elle à Duplessis-Mornay[23], sont au même état que quand vous les entreprîtes ; c'est toujours à recommencer. Puis elle savait que Henri IV ne poursuivait leur séparation que dans le dessein bien arrêté d'épouser la belle Gabrielle, sa maîtresse. Elle avait trop souffert par les favorites pour ne pas leur garder rancune et bien que, dans une lettre qui nous a été conservée[24], elle ait alors et par sa situation incertaine cherché à gagner les bonnes grâces de celle qui pouvait tout sur son mari, elle refusa de lui céder la place[25]. Les négociations se poursuivirent cependant, si nous acceptons le récit de Sully[26] auquel la reine écrivit le 20 septembre 1598 : Mon cousin, j'ai reçu une lettre de vous qui contient plusieurs choses qui méritent considération, d'aucunes desquelles il m'était quelquefois bien souvenu, des autres votre lettre m'en a rafraîchi la mémoire, et toutes donné sujet de chérir votre affection à mon bien et repos. Ne doutez point que je n'aie reçu vos propositions d'une espérance de mieux comme elles le méritent, et ne tiendra point à ce qui dépend de moi que le succès n'en soit tel que vous témoignez le désirer, et partant pouvez-vous donner commencement à un si bon œuvre toutes les fois que vous le jugerez à propos ; j'en laisse la conduite à votre prudence et votre affection, desquelles j'attendrai les effets avec impatience[27]. Mais il fallait une nouvelle procuration, l'ancienne n'étant plus valable. Le roi ayant résolu d'épouser Gabrielle d'Estrées — malgré l'opposition de Sully, d'ailleurs — on envoya Martin Langlois, un des hommes de confiance de la reine et qui avait déjà été son procurateur en 1594. Il avait mission de la décider et ce ne fut pas sans peine. Il me répugne, disait-elle, de mettre à ma place une femme de si basse extraction et si vilaine vie, comme celle dont on fait courir le bruit. Enfin, le 7 février 1599, elle signa. Mais ses lenteurs permirent à la Cour de Boule, à laquelle le roi avait été obligé de recourir, de prétexter non seulement la disproportion qui existait entre Henri IV et sa favorite, mais le défaut d'adhésion de la reine. Le roi, irrité de ces retards, prodiguait honneurs et titres A sa maîtresse ; il l'avait faite duchesse de Beaufort et marquise de Monceaux, et dès 1595 avait légitimé son premier fils, César de Vendôme ; à Nantes, il obtint pour lui la fille unique du duc de Mercœur et les fiançailles furent célébrées avec autant de pompe que celles d'un fils de France[28]. Il envoyait à Rome courrier sur courrier et le pape Clément VIII se défendant d'autoriser un mariage qui rendait incertain le sort des enfants nés avant la séparation et qui rejetait la France, après la mort du roi, dans les troubles dont elle venait à peine de sortir, avait pour lui l'opinion générale du royaume. D'Ossat et Sillery, ambassadeurs de Henri IV, le pressaient vainement et l'on craignait que le roi, devant les hésitations de sua femme, ne prît le parti violent de lui faire un procès et obtenir sa répudiation pour cause d'adultère. Certains aussi voulaient se passer du Saint-Siège, quittes à créer un schisme et faire prononcer la nullité par l'évêque de Paris ou le grand aumônier[29]. Les envoyés à nome représentaient dès lors à Clément VIII que leur maître saurait se passer de la dispense si elle était refusée trop longtemps. — Un événement inattendu vint tout arranger. Gabrielle d'Estrées mourut à Paris chez le financier Zamet où elle était descendue, après avoir accouché d'un enfant mort (10 avril 1599), et si à propos, justement dans une maison italienne, après trente-six heures de convulsions, que le bruit courut qu'elle avait été empoisonnée[30]. — Le même jour, le roi était parti de Fontainebleau pour la venir voir. Il apprit son décès à Villejuif et s'en retourna aussitôt, ne pouvant cacher sa douleur. On n'en fit pas d'autre recherche d'ailleurs, et les ministres. Sully, Duplessis-Mornay, se hâtèrent de terminer les négociations avec Marguerite : Je vous supplie, madame, écrivit Rosny, de croire absolument le conseil de ceux qui sont tout à vous en cette Cour, et savent mieux que nuls autres les voies et sentiers qu'il vous faut tenir pour posséder un bonheur certain. La reine n'avait plus de raison pour refuser son assentiment : Mon cousin, répondit-elle à Sully, je commence à prendre bonne espérance de mes affaires ; puisque j'ai tant d'heur que vous les voulez prendre en votre protection, j'en désire l'avancement avec bon succès pour le contentement du roi et celui de tous les bons Français, que vous m'écrivez désirer si ardemment de lui voir des enfants légitimes, qui lui pussent sans dispute succéder à cette couronne qu'il a retirée de ruine, que si j'ai ci-devant usé de longueurs et interposé des doutes et difficultés, vous en savez aussi bien les causes que nul autre, ne voulant voir en ma place une tant décriée bagasce, que j'estime sujet indigne de la posséder ; mais maintenant que les choses sont changées par un bénéfice du ciel et que je ne doute nullement de la prudence du roi et du sage conseil de ses bons serviteurs pour faire une bonne élection, lorsque je le verrai faire une sûreté à mes affaires et à Mes titres, à ma condition et forme de vivre, car je veux achever le reste de mes jours en repos de corps et tranquillité d'esprit, en quoi le roi et vous pouvez tout, je m'accommoderai à tout ce qui sera convenable et que vous-même me conseillerez[31]. Le roi, enfin, lui écrivit directement, alléguant le vieil unanime de la nation de lui voir contracter une union nouvelle et susceptible de lui donner une postérité[32]. C'était une honnêteté trop significative, et Marguerite répondit en passant devant notaire un nouvel acte par lequel elle constituait ses procurateurs : Martin Langlois, maitre des requêtes, et Édouard Molé, conseiller au Parlement. Elle y déclarait que pour les raisons déjà connues elle ne croyait pas avoir contracté un mariage valide, ni regarder le roi comme son mari, et avait dû s'en éloigner depuis longtemps ; que d'ailleurs elle n'était plus en âge de lui donner des successeurs et le suppliait de lui permettre de s'adresser au pape et à tous autres juges ecclésiastiques pour faire déclarer leur union nulle. — La pièce fut envoyée à Rome et enfin, par un bref du 24 septembre, Clément VIII délégua le cardinal de Joyeuse, Gaspar, évêque de Modène, nonce en France, et Horace Montan, archevêque d'Arles, pour connaître de l'affaire. — Le 15 octobre suivant, le pli fut ouvert en présence du procureur général La Guesle, et des deux procurateurs de la reine. Puis, on suivit les formalités d'usage en telle matière[33]. Le roi fut interrogé sur vingt-deux chefs dans son château du Louvre, et les commissaires allaient partir pour Usson, lorsque Duplessis-Mornay reçut une nouvelle lettre de Marguerite : Monsieur Duplessis, écrivait-elle, ayant le contentement du roi non moins cher que le mien propre, j'ai loué Dieu que Sa Majesté eut obtenu de Rome ce qu'il désirait. Pour le fait de ma procuration, j'écris à Sa Majesté pour l'assurer que tua volonté ne changera jamais au vœu que je lui ai fait d'une entière et parfaite obéissance ; et que s'il reste, à cet effet, chose qui dépende de moi, que je la supplie très humblement croire que j'accomplirai tout cc que Sa Majesté m'ordonnera. Bien désirerais-je, s'il faut que je sois ouïe sur ce fait, que ce fut de personne plus privée : mon courage pour vous en parler comme à mon intime ami n'étant composé pour supporter si publiquement une telle diminution. Je le fais, je le proteste, très volontiers et sans aucun regret, connaissant que c'est le contentement du roi et le bien de ce royaume. Mais l'opinion que j'aurais que tout ce qui y assisterait ne serait de même opinion que moi, me ferait une confusion et un déplaisir si grand que je sais bien que je ne la pourrais supporter et craindrais que mes larmes ne fissent juger à ces cardinaux quelque force ou quelque contrainte qui nuirait à l'effet que le roi désire. Pour éviter cet accident, il serait bon de faire que messieurs les Commissaires entremissent, comme ils le peuvent, M. l'archidiacre Bertier, personne qualifiée en l'Église et syndic du clergé. Car cependant qu'eux seront avec le roi, ce qui est leur commission, M. Bertier viendra ici en poste et, en huit ou dix jours, il rapportera à Sa Majesté tout ce qu'il faudra ; car, soit par notaire ou de ma main, je ferai tous les actes qu'il plaira au roi m'ordonner. Vous n'obligerez autant que si vous nie donniez la vie, de faire que cela se passe ainsi ; vous le saurez trop mieux représenter au roi que cette lettre, que je désire que Sa Majesté eût vue, ne lui en ayant osé écrire si long[34]. Henri IV respecta cette délicatesse de sa femme et sa
tristesse que l'on sent véritable au moment de renoncer en faveur d'une autre
à la couronne et au titre de reine de France qui lui revenaient de droit. Il
lui envoya l'agent du clergé Bertier qui l'interrogea et reçut son
consentement. Jamais, lui dit-elle, je n'ai eu au cœur la volonté de ce mariage ; j'y ai été
forcée par le roi Charles IX et la reine ma mère. Je les ai suppliés à
chaudes larmes ; mais le roi nie menaça, si je n'y consentais, que je serais
la plus malheureuse de son royaume. Combien que je n'aie pu porter aucune
affection au roi de Navarre, et dit et répété que mon désir était d'épouser
un autre prince, j'ai dû obéir. Elle ajouta : A
mon grand regret, l'amitié conjugale n'a pas été entre nous comme le devoir
le requérait durant les sept mois qui ont précédé la fuite du roi mon mari en
1575 ; ayant eu la même couche, nous ne nous sommes jamais entre-parlé[35]. — Lorsqu'il
tint enfin l'acte nécessaire, le roi, selon Dupleix qui éprouve ici le besoin
d'ajouter quelque chose à son plaidoyer, se serait écrié en pleurant : Ah ! la malheureuse, elle sait bien que je l'ai toujours
aimée et honorée, et elle point moi, et que ses mauvais déportements nous ont
fait séparer, il y a longtemps, l'un de l'autre ![36] Mais il est à peine
besoin de s'arrêter sur ces inventions de son cru. Le roi envoya le comte de
Beaumont pour remercier Marguerite : Je ne veux pas
moins vous chérir et vous aimer, lui disait-il, pour ce qui est avenu que je
faisais avant ; au contraire avoir plus de soin de ce qui vous concerne que
jamais et vous faire voir, en toute occasion, que je ne veux pas être votre
frère seulement de nom, mais d'effet. Il ajoutait : Je suis très satisfait de l'ingénuité et candeur de votre
procédure[37]. Mais, au fait,
la déposition de la reine contenait beaucoup plus de vérité qu'il ne voulait
le croire. — Le comte de Beaumont, enfin, avait eu charge de lui assurer que
le roi lui accorderait tout ce qu'elle désirerait et lui permettrait de
choisir pour séjourner l'endroit qui lui plairait davantage. Par ses lettres
patentes du 29 décembre, il déclara d'ailleurs qu'elle conservait à titre de
reine et duchesse de Valois, et lui confirma pour elle et ses successeurs la
jouissance paisible des domaines d'Agenais, Condomois, Rouergue et tout ce
qui avait constitué sa dot et les donations de 1582, sauf la souveraineté, le
ressort, la juridiction et la faculté de rachat. Enfin, il donna de l'argent
pour ses dettes, et la reine le remercia par une lettre affectueuse, où elle
cherchait même à excuser les torts qu'il avait pu avoir et qui venaient plutôt des excès de temps que des effets
de son humeur[38]. — Par un
caprice singulier elle attrait cependant désiré qu'on insérât dans la
procédure que le roi ne l'avait jamais connue
; mais on lui fit observer que cela ferait rire le pape et toute l'Europe. Le
10 novembre, les commissaires nommés par Clément VIII avaient déclaré le
mariage nul, de fait et de droit, et le 17 décembre 1599 la dissolution fut
prononcée pour cause de parenté, d'affinité, de violence et de défaut de
consentement d'une des deux parties. Le 22e de ce
mois, dit L'Estoile, la dissolution du
mariage du roi, homologuée par la cour de Parlement, fut publiée
solennellement et publiquement, à huis ouverts, dans l'église de
Saint-Germain-l'Auxerrois, paroisse du Louvre. Restait à remarier Henri IV, et ses ministres eurent encore bien à faire. A peine la mort de Gabrielle d'Estrées survenue, il s'était épris d'une autre, Henriette d'Entragues, qui était habilement dirigée par son père, et d'ailleurs par ses propres instincts d'intrigue et d'ambition. Henriette se fit donner trois cent mille livres et le marquisat de Verneuil, puis exigea une promesse de mariage que le roi eut la faiblesse de lui souscrire. Il s'engageait, au cas où elle deviendrait enceinte dans les six mois et lui donnerait un fils, à la prendre pour femme et légitime épouse, en face de notre Sainte Église, selon les solennités en tels cas requises. Sully, qui eut la promesse en main, la déchira. Le roi prit la peine de la refaire. Mais un accident le tira encore de peine, car, le tonnerre étant tombé dans la chambre d'Henriette, de frayeur elle accoucha d'un enfant mort. Henri IV qui avait autorisé depuis un an, mais sans grand enthousiasme. des pourparlers avec la Cour de Toscane, se décida enfin à demander Marie de Médicis, nièce du grand-duc et du pape. Sire, nous vous avons marié, lui dit enfin Sully. — Le roi exigeait un million de dot ; après avoir bien marchandé, on s'arrangea pour 600.000 écus d'or. — Le 6 octobre 1600, Roger de Bellegarde, grand écuyer de France, épousait officiellement la reine à Florence. Elle entra le 2 décembre à Lyon et le roi y arriva le 9. Sans attendre le sacrement, il demanda l'hospitalité à la nouvelle reine et, le 27 septembre 1601, Marie de Médicis accouchait de l'enfant qui devait être Louis VIII. |
[1] Lettre publiée par le Bulletin du Bouquiniste, 9 mai 1594. — Coll. Godefroy, portef. 376.
[2] Les prédicateurs de la Ligue seuls lui donnaient de temps à autre un mot dans leurs sermons et lorsqu'il s'agissait de dauber sur le roi : M. Rose qui prêchait à Saint-Germain-le-Vieil, où étaient les prières, dit que pendant que cette bonne reine, cette sainte reine (entendant la reine Marguerite) était enfermée entre quatre murailles, son mari avait un haras de femmes et de putains. L'ESTOILE, octobre 1592. — Rose était évêque de Senlis.
[3] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. III, p. 274-275. — Dans un autre passage, le chroniqueur dit que pour les Ligueurs, piller, rançonner, violer les femmes, c'était vaillantise et galanterie.
[4] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. III, p. 287. Cf. encore le pillage de Villeneuve-Saint-Georges, où les Ligueurs firent dérisoirement baptiser les veaux, cochons, chevreaux, poules et chapons et leur bailler les noms de brochets, carpes, truites, etc., parce que c'était un vendredi. — Ibid., p. 298.
[5] Jehan Vaultier, dans A. BERNIER, Monuments inédits de l'Histoire de France (1400-1600), Paris, 1835.
[6] Histoire des guerres du Calvinisme et de la Ligue dans l'Auxerrois, le Sénonais et les autres contrées qui forment le département de l'Yonne, par M. Challe, dans Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, années 1863 et 1864.
[7] Martine était fille d'un docteur de la princesse de Condé. — Confession de Sancy.
[8] Cf. Les Amours du Grand Alcandre, opuscule attribué à Louise Marguerite de Lorraine, princesse de Conti, qui parut d'abord avec des noms supposés ; au dix-septième siècle on le réédita sous le titre : Histoire des amours de Henri IV. — CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, série I, t. XIV. — L'attribution de ce pamphlet à la princesse de Conti a été contestée par M. Paulin Paris.
[9] Mémoires et correspondance de Duplessis-Mornay, Paris, 1824. Cf. MONGEZ, Histoire de Marguerite de Valois, p. 361.
[10] On a également une lettre de Marguerite à Henri IV datée du 9 avril et relative aux propositions de M. Érard. A partir de ce moment sa correspondance est nombreuse, sinon riche de faits. Cf. l'édit. Guessard, et Revue rétrospective (1838).
[11] GUESSARD, Mémoires et lettres, p. 300-301 ; coll. Brienne, t. 295, f° 237. — Le 12 novembre 1593, elle lui fit don de 14.000 livres — espérant ainsi stimuler son zèle et en témoignage de gratitude.
[12] Lettres-missives, t. IV, p. 213, 14 septembre 1593.
[13] Aux plus grands elle faisait honte en libéralité, dit Brantôme. Elle était libérale jusqu'à la prodigalité, pompeuse et magnifique, mais ne savait pas ce que c'était que de payer ses dettes. H. DE PREFIXE, Histoire de Henri le Grand.
[14] Mémoires de Duplessis-Mornay, t. IV, p. 568. Cf. Mémoires et lettres, édit. Guessard, p. 312, lettre au roi en date du 10 novembre, remerciant des brevets que le sieur Érard lui a baillés, tant pour la continuation des biens et privilèges qu'elle avait eus des rois ses frères que pour les 250.000 écus destinés à l'acquit des dettes. Il est question aussi de sa pension qu'elle demande de 50.000 francs. Pour les négociations du divorce, H. DE LA FERRIÈRE, Trois Amoureuses.
[15] Mémoires de Duplessis-Mornay, t. IV, p. 568. Lorsqu'on lui eut accordé ce qu'elle désirait tant, elle écrivit au roi : A cette heure qu'il vous a plu me rendre votre bonne grâce, l'assurance d'un si grand bien me fera autant aimer la vie que je la haïssais. Si Votre Majesté avait vu la façon dont je me garde, je m'assure que riant de la timidité propre à mon sexe elle jugerait cette entreprise réservée à Dieu seul, et qu'à bon droit j'ai estimé cet ermitage avoir été miraculeusement bâti pour m'être une arche de salut (14 octobre 1594). Autog. coll. Dupuy, 217, f° 34 ; édit. Guessard, p. 306.
[16] Lettres de Mornay, t. II, p. 420, MONGEZ, p. 365.
[17] La reine parait avoir été sincère dans son désir de se rapprocher du roi dont, elle le dit elle-même, dépendaient sa tranquillité et son salut. A propos de l'attentat de Pierre Barrière, exécuté à Melun (1593), L'Estoile écrit : On dit que cet homme avait été à la reine de Navarre et que, peu auparavant son arrivée à Lyon, il l'avait vue et parlé à elle, et qu'ayant ouï quelque vent de son entreprise, elle le lui aurait dit, et en pleurant et se retournant vers la muraille, l'aurait exhorte de n'en rien faire et qu'il s'en gardât bien. Édit. Jouaust, t. VI, p. 86.
[18] Lettres-missives, t. V.
[19] Autog. coll. Dupuy ; Guessard, p.
305, 308.
[20] Autog. coll. Dupuy ; Guessard, p.
305, 308.
[21] Autog. coll. Dupuy ; Guessard, p. 313.
[22] Lettre à Duplessy-Mornay, 9 février 1597.
[23] Lettre à Duplessy-Mornay, 9 février 1597.
[24] Je vous parle librement, lui écrivait-elle, et comme à celle que je veux tenir pour ma sœur. J'ai pris tant de confiance en l'assurance que m'avez donnée de m'aimer que je ne veux avoir auprès du roi d'autre protection que vous ; de votre belle bouche, je sais qu'il ne peut être que bien reçu. Elle expose ensuite qu'elle n'a rien touché de ses assignations et de sa pension l'an passé. S'il plaît au roi trouver bon qu'elle aille en quelqu'une de ses maisons de France, la plus éloignée qu'elle pourra choisir de la Cour, pour de là donner ordre à ses affaires, il lui serait bien nécessaire, etc. (24 février 1597). Autogr. coll. Dupuy, 217, f° 58. Édit. Guessard, p. 316. — Autre acte de diplomatie, le 11 novembre 1598, elle fit don à Gabrielle d'Estrées du duché d'Etampes, par devant maîtres Mathurin et Portail, notaires à Usson.
[25] Mornay lui-même y allait plus retenu parce qu'il voyait le roi de plus en plus s'engager en l'amour de Gabrielle d'Estrées sa concubine, et que c'était faire planche à ce mariage. Cf. L. DE SAINT-PONCY, t. II, 360.
[26] Selon une thèse soutenue par M. Desclozeaux, Sully, qui s'attacha à déchirer la mémoire de Gabrielle, aurait inventé une partie de la correspondance échangée avec la reine Marguerite ; elle n'aurait jamais songé à empêcher le mariage de Henri IV avec sa maitresse ; non seulement elle n'hésita pas, mais sollicita de tons son divorce. — Ce qu'elle sollicita surtout, ses lettres le montrent assez, c'est le concours de tous ceux qui pouvaient l'aider à sortir de ses embarras financiers. Voir le curieux travail de M. DESCLOZEAUX, Gabrielle d'Estrées et Sully, Étude critique sur les Économies royales, dans la Revue historique, 1887, et du même auteur, Gabrielle d'Estrées, marquise de Monceaux, duchesse de Beaufort, Paris, 1889.
[27] Mémoires de Sully, t. I. GUESSARD, Mémoires et lettres, p. 330. C'est sans doute à une lettre écrite dans le même sens quelques jours avant que le roi répond le 22 septembre : Mamie, j'avoue que j'ai toujours cru que vous ne manqueriez nullement à ce que vous m'avez promis. Si ai-je été très aise d'en être assuré par la vôtre et que pour rien vous ne changeriez la résolution que vous avez prise, etc. Lettres-missives, t. V, p. 29.
[28] César de Vendôme était né à Coucy-le-Château en 1597e, où l'on montre encore la chambre de Gabrielle. Le mariage n'eut lieu qu'en 1609, après une vive résistance de la duchesse de Mercœur ; le roi même demanda les cent mille écus stipulés en cas de dédit, et deux cent mille écus davantage. La fille s'était retirée aux Capucins, protestant de s'y rendre plutôt que de consentir, et la duchesse s'excusant sur la volonté de sa fille, qu'elle ne pouvait forcer, offrait les cent mille écus, et pour le regard des deux cent mille autres, a recours à ses yeux, et à Sa Majesté prendre tout son bien s'il en a affaire. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 461.
[29] L. RANKE, Histoire de France.
[30] Le jeudi-saint 8 avril, après avoir bien diné, elle est allée entendre les Ténèbres au Petit-Saint-Antoine. A son retour en promenant dans le jardin dudit Zamet, elle a été prise d'une grande apoplexie qui lui a ôté la connaissance. Étant revenue un peu à elle-même une heure après, elle s'est fait porter chez la dame de Sourdis, sa parente, dans le cloître de Saint-Germain-l'Auxerrois, où elle a eu de nouveaux accès plus grands que le premier. Les médecins et les chirurgiens n'ont pas osé lui faire des remèdes à cause de sa grossesse. Le samedi 10 avril, elle est morte environ vers les sept heures du matin, après de grandes syncopes et des efforts si violents que sa bouche fut tournée sur la nuque du col ; et est devenue si hideuse qu'on ne peut la regarder qu'avec peine. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 302.
[31] Lettre du 20 juillet 1599 ; Mémoires de Sully ou Économies royales, t. I, p, 537. — C'est surtout l'authenticité de cette lettre qui a été discutée, et il semble bien que Sully a arrangé dans ses Économies royales l'affaire du divorce pour se donner le rôle de médiateur ; les pourparlers étaient engagés bien avant 1598 où il indique qu'il en prit l'initiative, et l'on a fait remarquer que la procuration de la reine avait été renouvelée dès le 3 février 1599, deux mois avant la mort toute accidentelle de la duchesse de Beaufort. Mais la procuration ne terminait rien ; la reine pouvait changer de sentiment et tout était à refaire. On a vu d'autre part, et assez justement je crois, dans la manière dont elle parle de la défunte Gabrielle d'Estrées, le ressentiment resté vivace de l'humiliation qu'elle dut éprouver lorsqu'elle se vit réduite à demander l'assistance d'une maitresse de son mari. Toutefois, il ne faut pas donner à Marguerite une fierté trop entière, car beaucoup de ses lettres nous démentiraient. Elle avait sans doute l'orgueil de son sang et de son nom ; mais elle avait été habituée à se prêter à toutes les exigences, agissait selon les nécessités, flattait volontiers qui pouvait la servir, quitte à se reprendre plus tard. C'est même un des traits les plus curieux de cette psychologie. Elle avait été élevée, avait vécu trop en tutelle pour ne pas avoir un peu de l'esprit courtisan. Elle était fort souple, dit Tallement des Réaux, et savait s'accommoder au temps. — On s'explique ainsi les tendresses de sa lettre à Gabrielle alors toute-puissante, une autre lettre à la comtesse de Moret (Revue nobiliaire, janvier 1870) dont on lui fait de même un reproche. Il est bon de rappeler enfin que si elle eut des mots uni peu vifs pour les maitresses du roi, les maitresses à l'occasion ne la ménageaient guère. On connait le propos de la marquise de Verneuil, Dieu fit un aussi grand miracle en vous, disait-elle à Henri IV, quand il vous tira du ventre de la reine Marguerite, que quand il retira Jonas du ventre de la baleine. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. X, p. 315.
[32] MONGEZ, Histoire de Marguerite de Valois, p. 375.
[33] La procédure relative au divorce forme tout un volume de la collection du président Bouhier. Bibl. nat., t. XX.
[34] 21 octobre 1599. Coll. Brienne, 295, f° 241. GUESSARD, Mémoires et lettres, p. 339.
[35] Bibl. nat., fonds fr., n° 25020 ; Cinq cents Colbert, n° 82. — Dupleix rapporte encore la déposition de Mme de Sauve qui reparait à ce moment dans cette histoire où elle avait joué un assez vilain rôle. Lorsqu'on l'interrogea sur les motifs qui en 1583 avaient déterminé Henri III à chasser sa sœur, elle retrouva de la haine pour répondre : Pendant son séjour à la Cour, par ses déportements et ses propos, la reine donna assez à connaître le peu d'affection qu'elle portait au roi son mari, et se passèrent pendant ce temps bien des choses qu'il est plus séant de supprimer que de dire. (DUPLEIX, Histoire de Henri IV.) Et elle signa sa déposition de son nom de fille, Charlotte de Beaune. Cf. H. DE LA FERRIÈRE, Trois Amoureuses.
[36] Selon L'Estoile, Henri IV aurait dit : Elle se plaint que je suis cause de son malheur ; mais il n'y a point d'autre qu'elle-même, Dieu m'en est témoin. On voit comment le propos a été arrangé.
[37] Lettres-missives, t. V, p. 194, et GUESSARD, Mémoires et lettres, p. 341 ; coll. Béthune, 8955, f° 46.
[38] Lettre insérée dans le recueil de L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. VII, p. 198 ; le chroniqueur la reproduit textuellement. Cf. Mémoires et lettres, édit. Guessard, p. 348 ; coll. Dupuy, t. 217, f° 185.