La fin du règne. — Conspiration des Politiques ; La Môle et Coconas. — Mort de Charles IX. On songea cependant à démarier
Marguerite, qui était à peine mariée. Cinq ou six
jours après, dit-elle, ceux qui avaient
commencé cette partie, connaissant qu'ils avaient failli à leur principal
dessein, n'en voulant point tant aux huguenots qu'aux princes du sang,
portaient impatiemment que le roi mon mari et le prince de Condé fussent
demeurés ; et connaissant qu'étant mon mari, nul ne voudrait attenter contre
lui, ils ourdirent une trame : ils vont persuader à la reine ma mère qu'il me
fallait démarier. En cette résolution, étant allée un jour de fête à son
lever que nous devions faire nos pasques[1], elle me prend à serment de lui dire la vérité, et me
demande si le roi mon mari était homme, me disant que si cela n'était, elle
avait moyen de me démarier. Je la suppliai de croire que je ne connaissais
pas ce qu'elle me demandait... mais quoi que
ce fût, puisqu'elle m'y avait mis, j'y voulais demeurer, me doutant bien que
ce qu'on voulait m'en séparer était pour lui faire un mauvais tour. — Catherine, dit à ce propos Bayle, résolue à faire casser le mariage au cas qu'il n'eût pas
été consommé, eût fait faire une interrogation qui eût mis sa fille en état
d'éclaircir la chose. On lui eût appris la définition de l'homme selon les
attributs particuliers qui conviennent à la relation individuelle et spécifique
de mari[2].
— Sans doute, il n'en était pas besoin. Mais Marguerite, si elle n'éprouvait
aucun amour pour Henri de Béarn, n'avait non plus contre lui aucun sujet de
haine. Elle fui assez fine pour éventer le piège et refusa de servir les
projets équivoques de sa mère. Catherine comprit et n'insista pas. Ce qui
acheva de l'indisposer, d'ailleurs, c'est qu'elle apprit que, de Route où il
était alors, le cardinal de Lorraine conseillait de séparer le roi de Navarre
de sa femme. Les Guises n'avaient pour but pie de semer la division entre les
Bourbons et la famille royale, et la vieille reine s'en irrita[3]. Le roi de
Navarre et le prince de Condé demeurèrent ainsi prisonniers de la Cour, assez
petitement traités, semble-t-il[4], et Charles IX,
après bien des débats, se contenta d'une abjuration faite à contre-cœur et
qui n'atténua guère la suspicion dont les deux princes étaient environnés. — Trois choses chargeaient la pensée du roi, dit
d'Aubigné, ce que son beau-frère et le prince de
Condé n'avaient pas encore abjuré ; la réputation qu'il fallait racoutrer
vers les étrangers et principalement en Pologne où l'on négociait alors
l'élection du duc d'Anjou ; et en troisième lieu que quelques réformés
échappés avaient gagné La Rochelle, Sancerre, les Cévennes et quelques autres
lieux de retraite ; les autres s'étaient sauvés en Angleterre, à Heidelberg,
chez les Suisses et à Genève. Pour remédier au premier de ces points, le roi
envoie quérir le capitaine de ses gardes, fait apporter ses armes pour aller
achever tout le reste qui s'était sauvé, en commençant parle prince de Condé.
Mais la reine Élisabeth[5], avec un visage tout difforme de pleurs qu'elle avait
jetés jour et nuit depuis les mauvaises journées, vint se jeter à genoux
devant son époux, qui n'avait encore que le hausse-cou et le corselet, et le
désarma par ses prières[6]. — La guerre se
ralluma d'ailleurs presque de suite. Malgré les massacres de Paris, des
provinces, on n'avait pas suffisamment extirpé cette
impie et sale doctrine de l'hérésiarque Luther et, selon le mot de
François Ier, la méchante, et acerbe peste du
protestantisme. Il est certain que la Saint-Barthélemy fut jugée
insuffisante et qu'en 1587 encore Henri III pensait à la renouveler[7]. Mais, dit très
bien Tavannes, les huguenots, à la suite de ce
carnage, se sont toujours diminués et affaiblis, et ne purent tenir la
campagne qu'avec le secours momentané des mécontents et princes catholiques,
et autrement se trouvaient réduits dans les villes et sur la défensive.
— Décapité, le parti protestant ne se releva jamais en somme du coup qui lui
fut porté en 1572. Mais dans plusieurs provinces, et surtout dans le Midi,
les calvinistes se défendirent avec fureur ; la Rochelle supporta un siège de
trois mois, et toute l'armée royale, commandée par le duc d'Anjou, où l'on
avait traîné le prince de Condé, le roi de Navarre et où rôdait le duc
d'Alençon déjà en quête d'intrigues, ne sut réduire la place. La Noue, revenu
de Mons, après avoir été assiégé par le duc d'Albe dans cette échauffourée de
Flandre où les huguenots, avant la Saint-Barthélemy avaient pensé secourir
leurs coreligionnaires, caressé et menacé à la fois par Charles IX, avait été
chargé d'amener les Rochelais se soumettre. Il allait et venait entre les
deux partis, négociant avec le duc d'Alençon, le roi de Navarre, le prince de
Condé, en Inique temps essayant de conseiller ceux de la ville malgré leur
défiance. — Ces intrigues aidèrent d'ailleurs les calvinistes, jointes au
mauvais état de l'armée royale, mal disciplinée, dont les capitaines
n'avaient jamais le nombre d'hommes qu'ils devaient fournir, et où chacun,
rapporte le duc de Bouillon, portait son courage aux
occasions qu'on pouvait faire naître, sans aviser si elles pourraient servir[8]. Dès ce moment,
en effet, un nouveau parti de mécontents s'était formé ; le duc d'Alençon —
dont le rôle commence alors — qui non seulement n'avait pas trempé dans le
massacre du 24 août, mais le blâmait ouvertement, s'était rendu, au mois de
septembre déjà, chez l'ambassadeur d'Angleterre afin de poursuivre les
négociations du mariage que Catherine avait rêvé entre lui — à défaut de son
frère d'Anjou — et la reine Élisabeth ; de concert avec le roi de Navarre, ambitieux et soupçonneux, mais qui devait
temporiser, il s'était étroitement uni aux protestants, leur avait même promis
par écrit de venger la mort de l'amiral[9]. Il avait conçu
enfin le projet de s'échapper de la Cour et de se réfugier en Angleterre ;
mais il ne put partir ou recula, devenu chaque jour plus suspect. Le roi
ouvrait les lettres qu'il recevait de la reine d'Angleterre et lui faisait
signer les réponses qu'il faisait à sa place. Forcé de se rendre au siège de
La Rochelle, il en fut si irrité que peu s'en fallut qu'il en vînt aux mains
avec le chic d'Anjou. Catherine de nouveau craignit une évasion, qui fut du reste
discutée entre les princes. Élisabeth fit entendre aussi que si la paix
n'était pas conclue, elle ne donnerait pas suite au projet d'union et
prendrait fait et cause pour les protestants[10]. L'élection du
duc d'Anjou au trône de Pologne fut alors annoncée officiellement et la
reine-mère ne pensa plus qu'a traiter (7
juillet 1573). — Mais le duc d'Alençon et le roi de Navarre
demeurèrent les chefs secrets des mécontents et des calvinistes, et jusqu'à
la mort de Charles IX ce ne furent que troubles, conspirations, enquêtes,
violences et exécutions capitales. C'était l'évêque de Valence, Jean de Montluc, qui avait obtenu de la diète polonaise l'élection du duc d'Anjou[11] ; l'or de Catherine, qu'il répandit à profusion, y avait, du reste, aussi puissamment aidé que la crainte de placer sur le trône un prince de la maison d'Autriche. Les ambassadeurs de Pologne bientôt arrivèrent à Paris, et firent une entrée sensationnelle (19 août 1573). Ils étaient cent cinquante gentilshommes, les uns montés sur des chariots attelés de quatre et même de six chevaux aux harnais garnis d'argent ; les autres sur des chevaux à tous crins, aux selles et housses décorées de passementeries d'or et d'argent, aux brides à mors d'argent, couvertes de pierreries. Presque tous étaient de grande taille, portant toute leur barbe, vêtus de toile d'or et d'argent, coiffés de grands bonnets de zibeline aux aigrettes de pierreries, chaussés de hautes bottes de cuir jaune, aux ornements d'acier. Mongez ajoute que l'on fut surpris de leurs longs cimeterres courbes, de leurs arcs et carquois, et de leurs têtes rasées par-derrière[12]. — Après avoir traversé la rue Saint-Martin, où l'on avait élevé des arcs de triomphe portant des inscriptions eu leur honneur, tracées par le poète de la cour, Jean Daurat, ils s'arrêtèrent rue des Augustins, l'hôtel du prévôt de Paris, qui devait recevoir l'évêque de Posen, chef de l'ambassade. Ils allèrent ensuite saluer le roi et les reines, vêtus de robes de drap d'or, et précédés de leurs pages et de leurs écuyers portant, des massues de fer de quatre à cinq pieds de long. On les conduisit de là près du roi et de la reine de Navarre. Marguerite fit sur eux une telle impression, étant si richement parée et accomplie, dit Brantôme, avec si grande majesté et grâce, que l'un des envoyés, Albert Laski, paladin de Siradie, dit en se retirant, avec l'exagération du courtisan et de l'étranger, qu'après une telle beauté il ne voulait plus rien voir. L'évêque de Posen, Adam Konarski, lui adressa un long discours en latin, et elle lui répondit dans la même langue, reprenant la harangue article par article, ce qui enchanta d'autant mieux les ambassadeurs que Catherine pour leur répondre avait été obligée de se servir d'un interprète, Mme d'Annebaut, de la branche de Clermont-Dampierre. — La reine-mère les festoya d'ailleurs merveilleusement aux Tuileries, où elle fit abattre un bois de haute futaie e moins pour placer le pavillon qui devait servir aux convives que pour donner aux Polonais une grande idée de sa somptuosité. Il y eut un ballet qui dura plus d'une heure et où l'on vit seize nymphes, figurant les seize provinces du royaume sur un rocher d'argent ; après avoir dansé, elles récitèrent des vers de Ronsard et de Daurat à la louange de la France et du nouveau roi de Pologne, et remirent à chacun des plaques d'or, grandes comme la paume de la main, bien émaillées et gentiment en œuvre, où étaient gravés les fruits et singularités de chaque province, en quoi elle était plus fertile. Mais la triomphatrice de la fête fut la reine de Navarre, qui était vestue d'une robe de velours incarnat d'Espagne fort chargée de clinquant et d'un bonnet de même velours, tant bien dressé de plumes et de pierreries que rien plus[13]. La fête terminée cependant on s'occupa du départ du roi de
Pologne. Il ne manifestait du reste qu'un très médiocre enthousiasme pour ce
qu'il considérait comme un exil en des pays perclus, loin de la Cour des
Valois qui lui donnait toutes les jouissances qui lui étaient chères, et sa
grande préoccupation était alors Marie de Clèves, princesse de Condé, dont il
fit sa maîtresse, et à qui il écrivait encore de Cracovie avec son sang,
passant une partie de ses nuits à relire ses billets et les vers qui avaient
été faits sur leurs amours[14]. — Le duc
d'Alençon tomba aussi, peu après, dangereusement malade. Le roi Charles, de
même, dépérissait à vue d'œil et devait le précéder au royal enfeu de Saint-Denis
; les médecins l'avaient jugé pulmonique ;
son état maladif, écrit sa sœur Marguerite, avait éveillé
les esprits des deux partis de ce royaume, faisant naître divers projets sur
cet état. Le duc d'Anjou, qui se trouvait l'héritier de la couronne de
France, retarda plus d'un mois son départ et ne se décida enfin que sous la
pression et les menaces de son aîné. — Mon frère,
lui avait dit un jour Charles IX, si vous ne partez
par amour, je vous ferai partir de force. Il était même allé devant,
s'était acheminé jusqu'à Vitry pour accompagner le
duc jusqu'en Lorraine. Une forte fièvre l'y retint, et ce fut là
qu'ils se séparèrent. Catherine laissa son fils préféré à la Fère, et, dit Marguerite,
nous l'accompagnâmes jusqu'à Blamont[15], voyage durant lequel il essaya de renouer d'amitié avec
moi, s'essayant par tous moyens de me faire oublier les mauvais offices de
son ingratitude. — Allez, mon fils,
avait dit la vieille Catherine, qui prévoyait bien la mort prochaine de
Charles IX, vous ne serez pas longtemps absent. Le duc d'Alençon et le roi de Navarre avaient suivi la reine-mère un peu malgré eux, et au retour leur évasion semble avoir été sur le point de réussir. Maisonfleur, envoyé du duc en Angleterre, d'accord avec la reine Élisabeth, l'y poussait vivement. Mais la veille du jour fixé pour l'entreprise, Miossans, ce gentilhomme que Marguerite avait sauvé à la Saint-Barthélemy, et qui était auprès du roi de Navarre, vint tout lui dire et elle se hâta d'avertir sa mère. Les huguenots, explique-t-elle, leur avaient persuadé de se dérober, passant par la Champagne, pour se joindre à certaines troupes qui devaient les venir prendre ; on m'en avertit pour empêcher le mauvais effet qui eût apporté tant de maux à eux et à cet État. Soudain j'allai trouver le roi et la reine ma mère, et leur dis que j'avais chose à leur communiquer qui leur importait fort, et que je ne leur dirais jamais qu'il ne leur plût me promettre que cela ne porterait aucun préjudice à ceux que je leur nommerais, et qu'ils v remédieraient sans faire semblant de rien savoir... ce qu'ils m'accordèrent ; et fut l'affaire conduite par telle prudence que, sans qu'ils pussent savoir d'où leur venait cet empêchement, ils n'eurent jamais moyen d'échapper. — Marguerite crut-elle sérieusement rendre service au duc d'Alençon, qu'elle aimait, elle le dit elle-même, et au roi de Navarre, pour lequel elle affecte de montrer qu'elle fut toujours dévouée ; pensa-t-elle que l'intérêt de sa mère, du roi, de l'État, affaibli et dévoré par ces interminables guerres civiles, devait passer avant ses affections ? Il est malaisé de démêler ses motifs et toute sa conduite à cette époque est difficilement justifiable. Elle était attachée des deux parts, d'ailleurs sous la férule de Catherine, s ayant toujours gardé ce respect à la reine ma mère tant que j'ai été auprès delle, fille ou mariée, de n'aller en un lieu sans lui en demander congé ; elle sacrifia peut-être les projets hasardeux de son frère et de son mari, simplement par esprit de famille, de même que dans la crainte de complications nouvelles, de troubles, d'être impliquée ; par légèreté, étourderie, faux raisonnement de femme, elle devait faire avorter bientôt la grande conspiration des politiques, et causer la perte d'un homme qui, dès cette époque, selon ce qu'on peut croire, lui tenait davantage au cœur. Charles IX, débarrassé du roi de Pologne, avait hâte aussi d'éloigner le duc d'Alençon. Il écrivit à La Mothe-Fénelon, son ambassadeur en Angleterre, de presser la conclusion du mariage avec Élisabeth et mit même à sa disposition une forte somme pour gagner ses conseillers les plus récalcitrants. Mais la reine différa encore, alléguant qu'une tentative venait d'être faite pour reprendra la Rochelle aux protestants[16]. C'est qu'en réalité, bien renseignée par ses agents, elle savait tout ce qui se préparait en France, dit son historien M. de la Ferrière[17]. Favorisée par la maladie du roi, par l'éloignement du roi de Pologne, une vaste conjuration enveloppait le pays, s'appuyant à la fois sur Montgommery, prêt à débarquer en Normandie, sur Nassau, tout disposé à entrer en France, sur le duc de Bouillon[18] qui avait promis d'ouvrir les portes de Sedan, sur Danville allié aux protestants du Midi, enfin sur Montbrun, maitre des montagnes du Dauphiné. Les quatre Montmorency et le maréchal de Cossé en étaient. La Noue avait accepté le commandement des révoltés du Poitou en annonçant qu'on attendait un plus grand chef, le duc d'Alençon. Le sieur de Guitry-Bertichères, à la tête de quelques centaines d'hommes, s'était chargé de forcer les portes du château de Saint-Germain, où séjournait la Cour depuis le voyage de Lorraine, et d'enlever le duc d'Alençon et le roi de Navarre. La prise d'armes avait été fixée au 10 mars 1574 ; mais par trop de précipitation, par ambition personnelle, Guitry devança l'heure et l'alarme fut donnée. On se servit cette fois encore de Marguerite, engagée dans une intrigue avec La Môle, confident et favori du duc d'Alençon et qui avait été son ambassadeur en Angleterre avant la Saint-Barthélemy, car, dit le duc de Bouillon, parmi toutes ces choses, il y avait des amours mêlées, qui font ordinairement à la Cour la plupart des brouilleries, et s'y passent peu ou point d'affaires que les femmes n'y aient part, et le plus souvent sont cause d'infinis malheurs à ceux qui les aiment et qu'elles aiment. — De cœur ardent et d'imagination vive, telle qu'on la peut imaginer alors, délaissée par un mari qui aima toujours trop les femmes pour s'intéresser réellement à la sienne, et que d'ailleurs, malgré tout ce qu'elle affirme, par orgueil peut-être elle recherchait peu, Marguerite écoutait trop sans doute les courtisans qui semblaient mettre toute leur gloire à lui plaire. Tandis que le roi de Navarre, pour faire sa cour à Charles IX, dont il demeurait quasiment captif, cherchait à l'amuser de gaillardises et de reparties, exagérait encore dans les escapades où l'entraînait le roi sa gaieté et sa verve gasconne, jouait le bon compagnon et muguettait les filles de la reine, — autour d'elle ce n'était que galanteries et louanges ; elle était celle à qui tout le bonheur du plus beau ciel se versa dès qu'elle vint en enfance (Ronsard) et la reine délicieuse de cette Cour dissolue que gouvernait Catherine. Il faut rappeler encore tout ce que Brantôme rapporte de cette royauté de femme, dont la renommée avait passé par toute l'Europe, tant que les étrangers venaient à la Cour exprès pour la voir et s'en retournaient en disant qu'ils avaient vu toute la beauté du monde. D'une beauté surprenante en effet, gracieuse et enjouée, elle séduisait même à côté de certaines qui possédaient davantage la finesse des traits ou le alarme des proportions. Ses biographes le répètent à l'envi, elle avait un art exquis pour le choix de ses parures ; elle était déjà la reine Margot de la légende et devait trébucher dans les intrigues de ces damerets qui lui faisaient cortège, prendre le premier à son goût et s'oublier à la galante aventure. Mais l'amourette de cette passionnée avec La Môle allait fournir un des plus tragiques épisodes de la fin du règne. Circonvenue, poussée par Catherine, à qui tous les moyens servaient quand il était nécessaire, Marguerite fit tout dire à son amant, et de suite informa la reine-mère (23 février 1574). — Sur l'entrée de la nuit, continue le duc de Bouillon, engagé lui aussi dans le complot, voilà l'alarme si chaude que, n'en connaissant pas bien la cause, les perturbations étaient grandes ; les bagages chargés, les cardinaux de Lorraine et de Guise à cheval pour s'enfuir à Paris, et à leur exemple plusieurs autres. Les tambours des Suisses, du corps et des compagnies françaises battaient aux champs. Les avis du rendez-vous du sieur de Guitry pour l'assemblée de ses forces se rapportaient de Normandie, de Beauce et du Vexin où il était ; le partement du roi résolu à l'instant, les gardes redoublées au château, mon oncle, M. de Thoré[19], et moi, qui étions au village, au logis de M. le Connétable, prêts à partir si je l'eusse voulu croire... Étant [entré] dans le château, où le roi de Navarre avait été aussi mandé, je cherchai Monsieur et entrai dans la chambre de la reine, où le roi de Navarre s'approcha de moi et me dit : Notre homme, dit tout. Alors je m'approchai de mon oncle de Thoré et lui dis qu'il s'en allât ; s'il fût demeuré, il était mort, d'autant que Monsieur l'avait fort chargé par sa confession qu'il fit à la reine-mère par la faiblesse de sa constance, et par l'induction de La Môle qui, marri de n'avoir pas été de tous nos conseils, pour se venger de nous, estimant que ce mauvais office qu'il faisait à son maître en lui conseillant de perdre sa créance et réputation, et ses meilleurs serviteurs, lui attirerait un grand gré du roi et de la reine. — Catherine, bien au courant, partit de nuit, emmenant dans son propre coche le roi de Navarre et son fils d'Alençon, que cette fois elle ne traita pas si doucement. Charles IX la suivit en litière, entouré des Suisses en bataille comme à la retraite de Meaux, et alla loger à l'hôtel de Retz, dans le faubourg Saint-Honoré. Le 6 mars, il reçut l'ambassadeur d'Angleterre, mais au lit, tant sa faiblesse était grande. Se plaignant de tout ce qui avait été fait pour le brouiller avec son frère, il dit qu'il avait envoyé MM. de Torcy et de Turenne auprès de Guitry, qui promit de licencier sa troupe ; un semblant d'amnistie fut accordé, mais, dit Marguerite, le temps, augmentant toujours l'aigreur, produisit de nouveaux avis au roi pour accroître sa méfiance[20]. Le 10 avril, Charles IX alla s'enfermer à Vincennes avec les Suisses de sa garde. Le duc d'Alençon, qui ne pensait toujours qu'à s'enfuir, y avait décidé de nouveau le roi de Navarre. Mais Catherine veillait. Elle n'osa pas de suite inquiéter son fils et Henri de Béarn, qui cependant durent publier des déclarations pour se purger des calomnies dont ils se prétendaient offensés ; mais La Môle, qu'elle faisait épier, et son ami Coconas — les deux intimes du duc d'Alençon — furent livrés à la justice, ainsi que Cosme Ruggieri, l'astronome de la reine-mère, qui se trouvait lui aussi impliqué dans la conspiration. Ce qui parut singulièrement suspect alors, c'est que la première parole adressée par Ruggieri à ceux qui le vinrent saisir fut pour demander si le roi avait eu des vomissements et des douleurs de tête, et ce qu'on avait fait de La Môle, qui lui serait cher tant qu'il vivrait. Catherine, à qui l'on répéta ces propos, donna des ordres en conséquence. Faites tout dire à Cosme, écrivit-elle. Qu'on sache la vérité du mal du roi, et s'il a fait quelque enchantement pour faire aimer La Môle à mon fils d'Alençon, qu'il le défasse. Dans une autre lettre écrite le même jour, elle ajoute : Quoique Cosme ne dise rien, il est certain qu'il a fait ce que mon fils d'Alençon avait sur lui. L'on me dit qu'il avait fait une figure de cire à qui il a donné des coups à la tête, et l'on dit que c'est contre le roi[21]. Mandez-moi tout ce qu'il aura confessé, et si la dite figure a été trouvée, faites que je la voye[22]. — Marguerite avait sans doute conseillé d'abord à La Môle de parler, dans l'espoir d'arranger les choses comme la première fois. Mais ni Catherine ni Charles IX ne l'aimaient. À Bar-le-Duc, en revenant de Lorraine, la reine-mère avait voulu le chasser d'auprès le duc d'Alençon, disant que c'était lui qui avait toujours maintenu son maître à n'are pas si bien avec le roi de Pologne qu'il devait être. Il tenait, dit encore le duc de Bouillon, des propos mal rangés et assez audacieux. Charles IX, on ne sait pour quelle cause, l'avait si bien en aversion que lors du siège de la Rochelle, il manda deux fois au duc d'Anjou de le faire étrangler[23]. Peu après, il voulut en finir lui-même, et, sachant que La Môle était dans la chambre de madame de Nevers, au Louvre, il prit avec lui le duc de Guise et certains gentilshommes jusqu'à six, auxquels il commanda sur la vie d'étrangler celui qu'il leur dirait, avec des cordes qu'il leur distribua. En cet équipage, le roi lui-même portant une bougie, distribua ses compagnons sur les brisées que La Môle soulait prendre pour aller à la chambre du duc d'Alençon son maître ; mais bien servit au pauvre jeune homme de ce qu'au lieu d'aller à son maître, il descendit trouver sa maîtresse, sans rien savoir toutefois de cette partie. — La Môle, rapporte encore l'Estoile, était le baladin de la Cour, fort aimé des dames et de M. le duc son maître ; et au reste grand superstitieux, grand messier et grand putier (comme disaient les huguenots), comme à la vérité il ne se contentait d'une messe tous les jours, ains en oyait trois ou quatre, et quelquefois cinq ou six, même au milieu des armées, chose rare à ceux de sa profession ; et lui a-t-on ouï dire que, s'il y eût failli un jour, il eût pensé être damné. Le reste du jour et de la nuit, le plus souvent il l'employait à l'amour, ayant cette persuasion que la messe ouïe dévotement expiait tous les péchés et paillardises ; de quoi le roi, bien averti, a dit souvent en riant que qui voulait tenir registre des débauches de La Môle, il ne fallait compter que ses messes. — Le procès, dit d'Aubigné, avait été confié aux présidents de Thou et Hennequin. La Môle interrogé, nia ; la torture ne lui arracha aucun aveu ; présenté au feu, les pieds broyés dans les brodequins de fer : Pauvre La Môle, s'écriait-il au milieu des tourments, ne cessant d'affirmer qu'il n'avait pas conspiré, qu'il n'avait voulu que favoriser l'évasion des princes, et rejetant tout sur Thoré, qui avait prudemment pris la fuite. Coconas confessa qu'ils devaient se sauver de Saint-Germain à Vérine, de là à la Ferté, où le prince de Condé devait se trouver avec une bonne troupe pour se rendre à Sedan[24] ; que le duc de Montmorency était de la partie ; qu'à Sedan devait se trouver le comte Ludovic ; que là, ayant reçu des forces, il devait marcher vers la Guyenne ; que Thevales, gouverneur de Metz, était de l'affaire ; qu'il avait déjà envoyé des armes pour quatre mille hommes[25]. Le duc d'Alençon, qu'il fallut bien interroger à son tour, déclara qu'il avait eu grand désir d'épouser la reine d'Angleterre ; que cela et le projet de la guerre de Flandre l'avait rendu ami de l'amiral et fait conférer avec lui ; que les insolences de Du Gast, lui avaient fait prêter l'oreille à Thoré et à Turenne pour présenter une requête que La Noue avait dressée, et dont ils avaient parlé dès le siège de la Rochelle, et que La Môle l'avait empêché, en lui disant qu'il prit conseil de rainé des Montmorency, et non des cadets et autres. Au retour du roi à Saint-Germain, ils avaient délibéré du parlement, et La Môle, réprouvant toutes ces choses, les avait révélées à la reine premièrement, puis au roi. — Le roi de Navarre, à son audition, ne travailla point à la négative des choses alléguées ; mais encore que le chancelier Birague y fût, il se mit à justifier son désespoir par les maux qu'on lui faisait, pour voir le duc de Guise déjà tenu pour connétable, le duc d'Alençon et les Bourbons destinés à la mort ; ce qui ne leur était pas si dur que celle du roi, qu'on disait procurée par les catholiques zélés, afin que Monsieur, au lieu d'aller en Pologne, achevât d'extirper les hérétiques en France ; qu'au partir de Blamont, ce prince courtois à tout le monde recommanda à la reine tous les principaux qui étaient là ; de lui pas un mot. ; et qu'elle ne l'a regardé que d'un très mauvais œil depuis. — Il déposa la même chose devant la reine et quelques princes joints aux commissaires[26], et Marguerite dit elle-même que n'ayant lors personne de conseil auprès de lui, Henri de Béarn lui commanda de dresser par écrit ce qu'il aurait à répondre, afin que par ce qu'il dirait, il ne mit ni lui ni personne en peine, et que Dieu lui fit la grâce de le dresser si bien qu'il en demeura satisfait, et les commissaires étonnés de le voir si bien préparé[27]. Catherine, cependant, mesurant l'étendue du danger, investie du gouvernement par suite de la maladie de Charles IX, avait pris des mesures énergiques. Elle eut ici le jugement clair et de la décision. A travers les obscurités de ce procès, on comprend ce que cherchaient les conspirateurs ; la mort du roi n'étant plus qu'une question de jours, on voulait faire porter la couronne au duc d'Alençon, qui se serait accommodé avec le roi de Navarre et les huguenots. La reine-mère commença par faire garder à vue son fils et Henri de Béarn. Les deux maréchaux de Montmorency et de Cossé, qui osèrent venir à la Cour présenter leur justification, furent enfermés à la Bastille. En même temps, trois armées marchèrent contre les révoltés de Normandie, du Midi et du Centre. Matignon[28], au nord, barra le chemin à Montgommery et l'enferma dans Saint-Lô ; M. de Montpensier prit Fontenay, et ensuite Lusignan après un long et périlleux siège ; la troisième armée guerroya en Dauphiné sous les ordres du prince Dauphin[29]. Au moins, disait Charles IX de sa chambre de Vincennes, s'ils eussent attendu ma mort ! C'est trop m'en vouloir. Et il retrouva un reste de vigueur pour jurer et protester qu'aussitôt qu'il serait guéri il dresserait une grosse armée contre tous ses rebelles, et nul n'y commanderait que lui seul ; et jamais ne poserait les armes qu'il ne fût roi absolu ; il regretta même son frère, fors et un, et dit qu'il ne l'empêcherait plus à commander en ses armées[30]. Aussitôt l'arrestation de La Môle, qui lui avait été sympathique et que d'ailleurs les contemporains nous disent avoir été de belle mine, engageant et agréable, le plus séduisant cavalier et le plus gracieux danseur de la Cour, la reine Élisabeth avait intercédé auprès de Catherine, et son ambassadeur, Valentin Dale, essaya de l'attendrir. La reine répondit que son fils avait pardonné ses sujets révoltés pour cause de religion mais que ce n'était pas le cas de La Môle, nourri à la Cour de longue date, ayant vécu de leur pain, et traité par le roi non en sujet, mais comme un compagnon[31]. Elle ne pouvait atteindre en somme les principaux coupables. La Môle, ami des Montmorency, les avait ralliés au parti du duc. Il paya pour tous avec son ami Coconas et quelques autres malheureux qui furent encore exécutés[32]. Catherine satisfaisait ainsi sous couvert de justice sa rancune et celle de Charles IX contre le favori du duc d'Alençon, et les Mémoires du duc de Nevers n'ont peut-être pas tort d'affirmer que La Môle et Coconas furent deux victimes de la jalousie — Condamné et présenté à la géhenne, enquis que c'était d'une image de cire piquée au cœur par une aiguille[33] ; qui lui aidait à cela, répondit que c'était pour gagner l'amour d'une fille de Provence, et que son instructeur était Cosme[34]. D'après une note de l'ambassadeur Valentin Dale, le duc d'Alençon aurait fait de nombreuses démarches et se serait traîné aux genoux du roi pour lui arracher la grâce de ses deux favoris. Le duc de Nevers dit que le jour où ils furent décollés, Catherine craignait d'être poignardée par sou fils tant il était exaspéré, et si l'on en croit Le Laboureur[35], le roi de Navarre, se voyant perdu, la voulait étrangler de ses propres mains ou avec le secours du duc d'Alençon, qui recula par lâcheté devant ce parricide, et ensuite commit des indiscrétions qui la mirent au courant. L'ambassadeur anglais dit qu'elle obtint que le supplice serait secret s et que l'on écrirait au parlement pour surseoir à l'exécution ; mais le porteur des lettres, arrivant à Paris, trouva la porte Saint-Antoine fermée, et cependant l'exécution fut tellement avancée qu'en un moment ils furent tous deux exécutés, ce que l'on dit avoir été fait par l'avertissement d'un parfumeur milanais nommé René, qui vint raconter le cas au premier président, disant davantage que la reine-mère avait obtenu leur rémission, qui fut cause de les faire sortir plus tôt de la Conciergerie, et de faire cheminer hâtivement la charrette, et qu'incontinent qu'arrivèrent en place de Grève, de les faire exécuter sans faire la proclamation accoutumée[36] (30 avril 1574). — Ruggieri fut seulement rasé tout le poil comme sorcier, car, écrit d'Aubigné, la reine le favorisait et employait ceux de ce métier. La Môle mourut le premier et s ses dernières paroles sur l'échafaud furent pour dire : Dieu ait merci de mon âme et la benoîte Vierge ! Recommandez-moi bien aux bonnes grâces de la reine de Navarre et des dames ! Portant cependant au supplice un visage effrayé, jusqu'à ne lui pouvoir faire tenir ni baiser la croix, tant il tremblait fort. On lui trouva, quand il fut exécuté, une chemise de Notre-Dame de Chartres, qu'il portait ordinairement sur lui[37]. — Le comte de Coconas, gentilhomme piémontais[38], qui fut décapité ensuite lui ne laissa pas un souvenir aussi sympathique. Cet homme étant fort superstitieux, dit L'Estoile, comme n'ayant point de religion, se montra assuré au supplice comme un meurtrier qu'il était, disant qu'il fallait que les grands capitaines des grandes entreprises mourussent de cette façon pour le service des grands, lesquels sauraient bien, avec le temps, en avoir la raison. Le roi, ayant entendu sa mort, eut vite fait son oraison funèbre. Coconas, dit-il, était gentilhomme, vaillant homme et brave capitaine, mais méchant, voire un des plus méchants que je crois qui fût en mon royaume. — Charles IX n'avait pas perdu le souvenir de ses exploits à la Saint-Barthélemy. Marguerite avait causé en partie la perte de La Môle ; inconstante, mais sincère dans ses attachements passagers, on dit qu'elle le regretta follement. Gomberville, l'auteur des Mémoires qui portent le nom du duc de Nevers et l'écrivain fielleux qui a composé le Divorce satyrique, prétendent que la reine de Navarre et la duchesse de Nevers, maîtresse de Coconas, firent enlever les têtes de leurs amants, les parfumèrent et embaumèrent, afin d'avoir toujours devant elles ce précieux gage de leurs amours[39] ; le second dit que les princesses parèrent les têtes et les portèrent dans leur carrosse pour les enterrer de leurs mains dans une chapelle sous Montmartre[40]. Le lendemain de l'exécution, toujours est-il que, Charles IX ayant mandé à Vincennes l'ambassadeur d'Angleterre, lui dit qu'en face de la mort La Môle et Coconas s'étaient reconnus coupables et justement condamnés. Il avait meilleur visage, disant qu'il espérait tant vivre qu'il verrait la fin de ses conspirateurs, contre lesquels il se montra fort ennemi en demandant fort la vengeance (State papers, Record office, loc. cit). Même, au dire de Marguerite, on craignait si bien pour la vie du duc d'Alençon et du roi de Navarre, qu'elle délibéra de les sauver en les emmenant dans son propre carrosse ; mais, pour ce qu'ils ne pouvaient tous deux ensemble, à cause qu'ils étaient trop éclairés des gardes, et qu'il suffisait qu'il y en eût un dehors pour assurer la vie de l'autre, jamais ils ne se purent accorder lequel c'est qui sortirait, chacun voulant être celui-là, et nul ne voulant demeurer. Le dénouement, du reste était proche. Depuis deux ans,
Charles IX languissait ; son caractère s'était trouvé changé depuis la
Saint-Barthélemy ; il avait des tristesses et des inquiétudes de nuit ;
l'acte terrible auquel il avait été mêlé, dont il portait la responsabilité
formidable, l'obsédait, et il disait à son chirurgien, Ambroise Paré, qu'il
revoyait toujours, aussi bien veillant que dormant,
tous ces corps massacrés se présentant avec des faces hideuses et couvertes
de sang. — Je voudrais, ajoutait-il, que l'on n'y eût pas compris les imbéciles et les innocents.
— Huit jours après la tuerie, raconte
d'Aubigné, il vint une grande multitude de corbeaux
s'appuyer sur le pavillon du Louvre ; leur bruit fit sortir pour les voir et
les dames bigotes firent part au roi de leur épouvantement. La même nuit, le
roi, deux heures après être couché, sauta en place, fit lever ceux de sa
chambre, et envoya quérir son beau-frère entre autres, pour ouïr dans l'air
un bruit de grand éclat, et un concert de voix criantes, gémissantes et
hurlantes, tout semblable à celui qu'on voyait les nuits du massacre. Tels
sons furent. si distincts que le roi croyant désordre nouveau sur ceux de
Montmorency, rit appeler des gardes pour courir en la ville et empêcher le
meurtre ; mais ayant rapporté que la ville était en paix et l'air seul en
trouble, lui demeura troublé, principalement pour ce que ce bruit dura sept
jours, toujours la même heure. Il essaya de fuir ces cauchemars, se
fatigua par des chasses, des jeux, fit dresser une forge, se livrant, dit
l'ambassadeur vénitien Cavalli, des exercices d'une violence incroyable[41]. Il acheva de
s'user le corps et ne retrouva pas le calme. Inutilement on voulut le réjouir
; on le louangea en prose et en vers, on fit frapper des médailles célébrant
l'exécution nécessaire des hérétiques. Il était frappé à mort et le savait,
s'attristait encore d'avoir à remettre le gouvernement aux mains de sa mère,
et la couronne au roi de Pologne, dont il redoutait l'astuce malfaisante, se
félicitant malgré tout de n'avoir point de fils, dans la crainte qu'il ne fût
aussi malheureux que lui-même. — De continuels vomissements et des sueurs de
sang furent les avant-coureurs de sa fin. Le roi,
dit l'ambassadeur anglais, est réduit en telle
maigreur et faiblesse qu'il n'a plus que la peau et les os ; et les jambes et
cuisses si amoindries et atténuées qu'il ne se peut soutenir ; mercredi
dernier, se trouvant tant affaibli de haleine et paroles, qu'on en attendait
plus la mort que la vie, mais depuis sa saignée s'est trouvé mieux. Vrai est
que hier la nuit, il fut plus ému que de coutume, et n'entrait-on point dans
sa chambre ; mais le soleil se haussant, la reine y vint et y entrèrent assez
de gens, mêmement les prêtres qui v firent le service où se trouva la reine
sa mère[42].
Il apprit que Montmorency s'était enfui de Saint-Lô, où l'assiégeait
Matignon, et eut un dernier accès de colère ; dans la nuit du 22 au mai, de terribles
vomissements de sang l'affaiblirent. Le vendredi 28, avant fait appeler son
médecin Mazille, il lui demanda s'il n'était point possible que lui et tant d'autres
grands médecins qu'il y avait dans son royaume lui pussent donner quelque
allègement à son mal, car je suis, dit-il, horriblement et cruellement tourmenté. A quoi ledit
Mazille répondit fort sagement et vertueusement que tout
ce qui dépendait de leur art, ils l'avaient fait et n'y avaient rien oublié,
et que même le jour de devant, tous ceux de leur faculté s'étaient assemblés
pour y donner remède ; mais que pour en parler à la vérité, Dieu était le
grand et souverain médecin en telles maladies, auquel on devait recourir, et
que c'était sa main étendue qu'il fallait reconnaître pour s'humilier sous
elle et en attendre la grâce et la guérison. — Je crois, dit le roi, que ce que vous
dites est vrai, et n'y savez autre chose. Tirez-moi ma custode que j'essaye
de reposer[43]. Le 29, il dicta
encore une lettre pour Matignon, qui avait enfermé Montgommery dans le donjon
de Domfront et l'y tenait de nouveau assiégé. Je
suis aujourd'hui en tel état, disait-il, que
j'attends ce qu'il plaira à Dieu de faire de moi, j'ai prié Madame ma mère
que, suppléant au défaut de ma maladie, elle veuille avoir plus grand soin
que jamais de mes affaires, désirant qu'elle soit obéie en tout ce qu'elle
commandera[44]. — La nuit du 29
au 30 s'annonçait très mauvaise. Le médecin Mazille fit sortir de la chambre
déjà marquée par la mort tous ceux (pli s'y trouvaient, hormis trois
personnes, La Tour, Saint-Pris et la vieille nourrice du roi, qui ne l'avait
pas quitté depuis les premiers jours de sa maladie. Quoi qu'elle fût
protestante, Charles IX l'aimait beaucoup. Comme
elle se fut mise sur un coffre et commençait à sommeiller, rapporte
L'Estoile, dont le récit bien connu doit être pourtant consigné ici, ayant
entendu le roi se plaindre, s'approcha tout doucement, et tirant sa custode,
le roi commença à lui dire, jetant un grand soupir et larmoyant si fort que
les sanglots lui coupaient la parole : Ah ! ma nourrice, ma mie, ma
nourrice ! Que de sang et que de meurtres ! Ah ! que j'ai eu un méchant
conseil ! Ô mon Dieu, pardonne-les-moi et me fais miséricorde, s'il te plaît
! Je ne sais où je suis, tant ils me rendent perplexe et agité. Que deviendra
tout ceci ? Que ferai-je ? Je suis perdu, je le sens bien ! Alors sa
nourrice lui dit : — Sire, les meurtres et le sang soient sur la tête de
ceux qui vous les ont fait faire et sur votre méchant conseil ! Mais de vous,
Sire, vous n'en pouvez mais, et puisque vous n'y prêtez point de consentement
et que vous y avez regret, comme vous venez le protester tout présentement,
croyez que Dieu ne vous les imputera jamais, et qu'en lui demandant pardon de
bon cœur comme vous le faites, il vous le donnera et les couvrira du manteau
de la justice de son fils, auquel seul faut qu'ayez recours. Au matin, on vint lui annoncer la prise de Montgommery, il n'en fit nul semblant. Quoi ! dit Catherine, mon fils, ne vous réjouissez-vous point de la prise de celui qui a tué votre père ! Il répondit qu'il ne se souciait de cela ni d'autre chose, qui fut, dit Brantôme, pour la reine, un présage de sa mort prochaine. Il fit appeler le chancelier de Birague et M. de Sauve, secrétaire d'État, en la présence de Monsieur, son frère, et le roi de Navarre, son beau-frère, le cardinal de Bourbon et plusieurs autres seigneurs et gentilshommes ; il allégua la puissance et autorité de la loi salique, à propos d'une seule fille qu'il laissait de sou mariage, et déclara son frère le roi de Pologne son vrai héritier et successeur, et la reine sa mère régente en France jusqu'à son retour. Dans la nuit, il avait été pris de violents vomissements, suivis d'un frisson mortel ; c'était la fin. Catherine, la reine Élisabeth sa femme, s'agenouillèrent auprès du lit. Le mourant, faisant approcher le roi de Navarre, lui parla longtemps à voix basse ; il n'eut que quelques paroles froides pour le duc d'Alençon. Sentant la voix lui échapper, il se tourna vers Catherine : Il faut bien que je vous dise adieu, ma mère ; adieu ! Il était midi. L'agonie commençait, et, à quatre heures, il mourait, — n'avant pas même vingt-quatre ans[45]. Le jour suivant son corps fut ouvert en présence du magistrat ; et n'y ayant trouvé au dedans aucune meurtrissure ni tache, cela ôta publiquement l'opinion que l'on avait du poison. On demanda l'avis d'Ambroise Paré ; il répondit en passant et sans longs propos que le roi était mort pour avoir trop sonné de la trompe à la chasse du cerf, et ne voulut rien ajouter de plus[46]. |
[1] Pasques est pris ici au sens de communion. On appelait autrefois dans l'Église Pâques toutes les fêtes solennelles. (Dict. de Trévoux.)
[2] BAYLE, Dictionnaire historique, art. Navarre. — Nous étions tous deux jeunes au jour de nos noces, fait dire à Henri IV le Divorce satyrique, parlant de la consommation de son mariage, et l'un et l'autre si paillards qu'il était plus qu'impossible de nous en empêcher.
[3] BOUTARIC, la Saint-Barthélemy, dans la Bibl. de l'École des Chartes, loc. cit.
[4] La veille de la Toussaint, dit L'Estoile, le roi de Navarre jouait avec le duc de Guise à la paume, où le peu de compte qu'on faisait de ce petit prisonnier de roitelet, qu'on galopait à tous propos de paroles et de brocards, comme on eût fait un simple page ou laquais de Cour, faisait bien du mal au cœur à beaucoup d'honnêtes gens qui les regardaient jouer. (Édit. Michaud, I, p. 28.)
[5] Élisabeth d'Autriche, dont le rôle est assez effacé, et que Charles IX avait épousée en 1570.
[6] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. III ; cf. Particularités sur le massacre de la Saint-Barthélemy, tirées du manuscrit d'Augustin Conon, avocat au parlement de Rouen, dans LA PLACE, Recueil de pièces, etc., t. II, p. 254.
[7] Voir une curieuse lettre de la princesse de Condé à la duchesse de Longueville, sa belle-sœur (11 avril 1587), dans l'Annuaire-Bulletin de la Société de l'Histoire de France, 1834.
[8] Mémoires de Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne et depuis duc de Bouillon.
[9] Comte H. DE LA FERRIÈRE, le Seizième Siècle et les Valois, et les Projets de mariage de la reine Élisabeth. — Cf. Mémoires de Marguerite de Valois. — D'après quelques auteurs, cette promesse aurait été faite après la blessure de l'amiral, avant la Saint-Barthélemy. Marguerite dit seulement : A la mort de l'amiral.
[10] H. DE LA FERRIÈRE, Les projets de mariage.
[11] Sur les négociations qui amenèrent l'élection du duc Henri d'Anjou au trône de Pologne, cf. les Mémoires de Choisnin ; édit. Buchon ; édit. Michaud.
[12] MONGEZ, Hist. de Marguerite de Valois, p. 120.
[13] BRANTÔME, les Dames illustres. — Le chroniqueur dit encore : Elle parut si belle ainsi, que depuis elle le porta assez souvent et s'y fit peindre : de sorte qu'entre toutes ses diverses peintures, celle-là emporte sur toute les autres. On a pensé assez justement que c'est d'après ce tableau qui représente Marguerite de Valois à vingt ans, qu'a été fait le crayon si connu du recueil de Niel.
[14] Mongez dit que le duc d'Anjou eut recours à la reine de Navarre, sa sœur, et au duc de Guise pour aider ses amours avec Marie de Clèves, mais il n'indique aucune référence.
[15] A six lieues de Lunéville ; alors bourg et prévôté de Lorraine, entre l'évêché de Metz et le bailliage de Nancy.
[16] Mémoires de Mergey. Édit. Buchon, p. 273. — Les sieurs de Puygaillon et de Landeran avaient pratiqué soldats et bourgeois de la ville, et assigné jour et heure pour faire marcher les garnisons de Saint-Jean [d'Angély], Niort et Angoulême. Mais l'affaire fut éventée et manqua. (Discours merveilleux, p. 547, édit. de Cologne ; cf. D'AUBIGNÉ, t. IV.)
[17] Les projets de mariage de la reine Élisabeth.
[18] Henri-Robert, prince de Sedan, duc de Bouillon, beau-père du vicomte de Turenne, dont les Mémoires sont une source précieuse pour cette époque.
[19] Guillaume, sieur de Thoré, dernier fils du connétable Anne de Montmorency ; ce fut lui qui reprit Senlis sur les Ligueurs en 1589.
[20] Cf. pour la conspiration des Politiques, Sully, L'Estoile, d'Aubigné ; les additions aux Mémoires de Castelnau, édit. Le Laboureur ; F. DE CRUE, Le parti des Politiques au lendemain de la Saint-Barthélemy ; CIMBER et DANJOU, t. VIII, p. 127.
[21] Il faut se rappeler que la croyance aux envoûtements et les pratiques de sorcellerie étaient générales à l'époque. L'Estoile dit à propos de l'exécution d'un Italien, Dominique Miraille, et de sa belle-mère, atteints et convaincus de magie (1587) : On trouva cette exécution toute nouvelle à Paris, pour ce que cette vermine y était toujours demeurée libre et sans être recherchée, principalement à la Cour, où ceux qui s'en mêlent sont vulgairement appelés philosophes et astrologues ; et même au temps du roi Charles IX, était parvenue par l'impunité jusqu'au nombre de trente mille, comme confessa leur chef, l'an 1572.
[22] Lettres de Catherine de Médicis (Documents inédits, t. IV, p. 296). Au procureur général La Guesle, 19 avril 1574.
[23] L'Estoile avance que c'était pour quelques particularités fondées plus sur l'amour que sur la guerre, étant ce gentilhomme meilleur champion de Vénus que de Mars. Édit. Michaud, t. I, p. 30.
[24] Le prince de Condé était à Amiens, observé secrètement comme les autres, dit Sully ; il se déguisa et s'enfuit en Allemagne, lui troisième, où il fut reçu des princes protestants avec honneur et promesse d'assistance, et fut peu après déclaré chef de tous ceux de la Religion en France. (Économies politiques.)
[25] D'AUBIGNÉ, Hist. universelle, t. IV.
[26] D'AUBIGNÉ, Hist. universelle, t. IV.
[27] Le Mémoire justificatif pour Henri de Bourbon a été publié plusieurs fois ; cf. MONGEZ et les éditions des Mémoires, Guessard, Lud. Lalanne, etc.
[28] Odet de Matignon, comte de Thorigny, maréchal en 1579, mort en 1597.
[29] SULLY, Économies royales.
[30] BRANTÔME.
[31] Comte DE LA FERRIÈRE, Le seizième siècle et les Valois ; Les projets de mariage de la reine Élisabeth.
[32] MORERI, art. Montmorency.
[33] C'est sans doute la figure de cire dont parle Catherine, cf. supra.
[34] D'AUBIGNÉ, Hist. universelle, t. IV.
[35] Additions aux Mémoires de Castelnau.
[36] La note ajoute qu'on arrêta encore deux astrologiens qui furent confrontés avec Ruggieri, et termine en disant : Depuis que M. le duc entendit l'exécution de La Môle, il en prit tel deuil qu'il en est tombé malade, gardant le lit et la chambre, où peu de gens ont entré, ne cessant de soupirer et pleurer, regrettant sa condition et fortune. Record Office, State papers, France, vol. LVII ; cf. H. DE LA FERRIÈRE, Le seizième siècle et les Valois.
[37] L'Estoile, édit. Michaud, t. I, p. 30. — Le chroniqueur ajoute que sa fin piteuse fit dire : Mollis vita fuit, mollior interitus.
[38] Coconas a été compté par des historiens légers dans le nombre des amants de Marguerite de Valois, alors que les contemporains, si potiniers, disent qu'il avait pour maîtresse la duchesse de Nevers, femme de Ludovic de Gonzague. Cf. Daniel RAMÉE, la Saint-Barthélemy. Confondant les faits et les personnages, l'auteur dit textuellement : Coconas avait été un des amants de Marguerite de Valois ; cet assassin portait une chemise de Notre-Dame de Chartres.
[39] On cite même le nom de celui qui les enleva ; c'était un gentilhomme d'Auvergne, Jacques d'Oradour, maitre d'hôtel de la reine Marguerite.
[40] La Môle laissa la tête à Saint-Jean en Grève, accompagnée de celle de Coconas, où elles ne moisirent ni ne furent pas longtemps exposées à la vue du peuple, car la nuit venant, ma prude femme — la reine Margot — et Mme de Nevers, sa compagne, fidèle amante de Coconas, les ayant fait enlever, les portèrent dans leurs carrosses enterrer de leurs propres mains dans la chapelle Saint-Martin qui est sous Montmartre, laissant cette mort de La Môle maintes larmes à sa maitresse, qui sous le nom d'Hyacinthe a longuement fait soupirer et chanter ses regrets, nonobstant les fréquentes et nocturnes consolations de saint Luc, etc. (le Divorce satyrique, dans Recueil de pièces servant à l'histoire de Henri III, Cologne, 1666). — Selon Mongez, la reine de Navarre, pour se consoler de la perte de La Môle, engagea le célèbre Du Perron, depuis cardinal, à faire des vers sur sa mort ; et c'est de lui dont il est parlé sous le nom d'Hyacinthe dans une chanson composée en 1574. — Il est bien malaisé de deviner quel fut le zéphire (ou le rival) qui lui fit couper le col, dit encore Le Duchat dans les notes de la Confession de Sancy, mais ce qu'il y a de bien certain, c'est que ce ne fut pas tant son crime que les passions des Grands qui le firent mourir.
[41] Ses regards sont devenus sombres ; dans ses entretiens et ses audiences, il ne regarde pas en face celui qui lui adresse la parole ; il baisse la tête, fertile les yeux, puis il les ouvre tout à coup, et comme s'il souffrait de ce mouvement, il les referme avec non moins de vivacité... Il veut à tout prix la fatigue ; il reste à cheval douze et quatorze heures consécutives ; il va ainsi chassant et courant à travers bois la même bête, le cerf, jusqu'à des deux et trois jours, ne s'arrêtant que pour manger, ne se reposant qu'un instant dans la nuit... Son humeur est toujours à la guerre, l'idée est fixe. Sa mère ne le peut adoucir à cet égard... D'ailleurs on m'a raconté que depuis les événements il se fait dire plus de trois fois une même chose par la reine avant de lui obéir. Relation de l'ambassadeur Cavalli, dans A. BASCHET, la Diplomatie vénitienne. — Quand Sa Majesté ne pouvait aller à la chasse, c'était bien rare d'ailleurs, elle s'adonnait aux armes, à la paume. Bien plus, ce roi poussait la recherche des exercices violents jusqu'à battre une enclume trois ou quatre heures durant, usant d'un marteau énorme, forgeant un corps de cuirasse, ou tout autre arme solide, et rien ne le rendait plus glorieux que de lasser ses rivaux. (Ibid.) Brantôme parle dans le même sens et raconte qu'il fabriquait même de la monnaie, — de la bonne et de la fausse, — falsifiée et sophistiquée Édit. Buchon, t. I.
[42] Record Office, State papers.
[43] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 30-31.
[44] Bibl. nat., Manuscrit 3256, f° 92 ; cf. LA FERRIÈRE, Le seizième siècle et les Valois.
[45] L'ESTOILE, BRANTÔME ; LE MAY, Discours des derniers propos de Charles IX, Rouen, 1574 ; cf. LA FERRIÈRE, Le seizième siècle et les Valois.
[46] BRANTÔME, édit. Buchon, t. I, p. 565.