La Saint-Barthélemy.Cependant le roi de Navarre, traînant derrière lui toute
la gentilhommerie huguenote, avait fait son entrée dans Paris à grand arroi et cavalcade et avait été reçu par le
corps de ville, les ducs d'Anjou et d'Alençon, Guise et les maréchaux. Ses
fiançailles furent célébrées le 17 août au Louvre, et le mariage eut lieu le
lendemain tandis que le cardinal de Lorraine poursuivait inutilement à Rome
des démarches afin d'obtenir la dispense du Pape. Dans la hâte d'en finir, ne
pouvant avoir la pièce véritable, on en avait fait fabriquer une fausse[1]. — On avait fait dresser aux portes de l'église Notre-Dame,
rapporte de Thou, un échafaud fort élevé, avec un
degré par où l'on descendait sur un autre échafaud qui était enfermé de tous
côtés pour écarter la foule. Cet échafaud conduisait par le milieu de la nef
jusqu'au chœur. En sortant du chœur, il y en avait un autre, à gauche,
entouré de cloisons de bois, et qui s'étendait jusqu'au palais épiscopal. Le
Roi, la Reine sa mère, les ducs d'Anjou et d'Alençon, les Guise, les
maréchaux de France et les grands du royaume, tous en habits magnifiques et
avec une pompe vraiment royale, se rendirent à l'évêché où ils prirent la
nouvelle mariée qui y avait passé la nuit, et la conduisirent à l'église. De
l'autre côté arriva le roi de Navarre avec les princes de Condé et de Conty,
l'amiral, La Rochefoucauld et une grande suite de seigneurs. Le Roi monta sur
le grand échafaud et le cardinal de Bourbon ayant fait la cérémonie du
mariage, Charles IX et le roi de Navarre avec leur suite se rendirent dans le
chœur par le petit échafaud et placèrent la mariée devant le grand autel où
elle entendit la messe. — Pendant ce temps,
le roi de Navarre, Coligny, La Rochefoucauld et tous les autres seigneurs
sortirent par la petite porte opposée et s'en allèrent à l'évêché. Après la
messe, Damville alla les chercher. Le roi de Navarre revint au chœur et ayant
baisé sa femme en présence du Roi, de la Reine, des ducs d'Anjou et
d'Alençon, il s'entretint quelque temps avec elle. Toute la compagnie
alla ensuite à l'évêché où l'on avait préparé le dîner. — Comme j'avais les yeux fixés sur l'amiral au cours de la
cérémonie, ajoute encore de Thou, je vis
qu'il montrait à Damville les drapeaux de Jarnac et de Moncontour, tristes
monuments de la défaite de leur parti, qui étaient suspendus aux voûtes de
l'église : — Dans peu, fit-il alors, on les arrachera de là et l'on en mettra
d'autres à leur place qui seront plus agréables à voir. — Il voulait parler sans doute de ceux que l'on gagnerait
dans la guerre contre Philippe II qu'il croyait résolue[2]. Après le dîner, il y eut réception dans la grande salle du palais, et le soir le Roi ouvrit le bal et figura dans une mascarade. Le lendemain, la fête se continua à l'hôtel d'Anjou et il y eut bal au Louvre ; le 20, tournoi à l'hôtel de Bourbon. Il y avait à la cour si grand appareil de jeux, telle magnificence et banquets et passe-temps ; le Roi aussi-était tellement transporté que bien loin de vaquer aux affaires, il ne prenait même pas le temps de dormir. Les vanités et folies empêchèrent l'amiral de parler au Roi[3]. — Mais Catherine devait profiter de ce moment et les préparatifs de la guerre de Flandre, qui préoccupait surtout Coligny, allaient être interrompus par une catastrophe. La paix entre catholiques et protestants n'était qu'apparente. Il y avait eu de nouveau des désordres près de Troyes, à Rouen et à Orléans. Des bruits sinistres couraient. Certains de la religion avaient eu avis, dit-on, de s'abstenir d'aller voir les noces pour le méchef qui pourrait advenir, et en somme, on ne s'observait que pour se défier. Les huguenots, pleins d'orgueil et d'insolence, se croyaient déjà les maîtres. Ils s'exprimaient tout haut contre le Roi et la Reine ; ils bravaient les dispositions hostiles des catholiques. Catherine, a-t-on affirmé même, était assaillie de lettres menaçantes. On lui annonçait le sort du duc de Guise et du président Mynard[4] ; et ce qu'on sentait monter, grandir, c'était l'hostilité de la vieille Reine, a réprobation unanime de Paris contre les religionnaires qui avaient affecté durant les cérémonies du mariage, massés sur le parvis Notre-Dame, de faire du tapage, de ricaner bruyamment pour insulter aux croyances de la population. — Mais pour Catherine, sa haine se reportait sur un seul homme, — Coligny — qui incarnait, aurait-elle pu dire, l'esprit malfaisant, envahissant du protestantisme ; qui avait pris sa place dans l'affection du Roi ; qui cherchait pour le seul avantage des parpaillots à l'entraîner dans une guerre qu'elle prévoyait néfaste. Celui-là surtout était condamné[5]. — On avait d'abord pensé pour s'en défaire à utiliser la vieille haine que lui portait le duc de Guise, qui n'avait nullement, désarmé et simplement attendait son heure[6]. L'amiral et lui, qui se trouvaient chaque jour en présence ne se parlaient pas[7], bien que Coligny eût réprouvé le crime de Poltrot et déclaré qu'il tenait pour calomniateur et scélérat quiconque dirait qu'il l'avait fait faire. Il fut d'abord question de dépêcher l'amiral d'un coup d'arquebuse dont l'aurait abattu la veuve du duc François sous les yeux des dames de la Cour. On pensait ainsi détourner les soupçons et pouvoir accuser les Guise[8]. — Mais le projet fut trouvé trop hasardeux et enfin abandonné. On jeta, enfin, les yeux sur Nicolas de Louviers, sieur de Maurevert, le tueur du Roi, qui avait déjà assassiné de Mouy à Niort, et auquel on persuada qu'à cause de ce crime, Coligny projetait de lui faire un mauvais parti s'il tombait entre ses mains. — On le fit venir. Arrivé pendant la messe de mariage du Roi de Navarre, on le logea dans une maison du cloître Saint-Germain-l'Auxerrois, appartenant au chanoine Piles de Villemur, ancien précepteur des Guise, et occupée par Chally, maître d'hôtel du duc d'Aumale, qui lui laissa complaisamment la place. Pour faciliter sa fuite, une fois le coup fait, le due de Guise fournit deux chevaux dont l'un fut placé à une des portes du cloître, l'autre près de la porte Saint-Antoine, à la sortie de Paris. Une arquebuse des gardes suisses fut fournie par le duc d'Anjou et chargée de deux balles. — L'assassin attendit, placé près de la fenêtre du rez-de-chaussée, — couverte d'un méchant linge, dit d'Aubigné, et guetta trois jours, — trois jours durant lesquels se poursuivirent masques, bagues et ballets pour les noces[9], tant que l'amiral, fâché de tant de laisser-aller, menaça de partir. — Il demeurait près du Louvre, à l'hôtel des comtes de Ponthieu, rue de l'Arbre-Sec[10]. Le 22 août, il revenait avec une escorte de douze à quinze personnes et traversait la rue des Fossés-Saint-Germain en lisant une lettre qui venait de lui être remise. Il passa devant la fenêtre où l'attendait Maurevert et reçut en plein la charge de l'arquebuse[11]. — Ce fut à la fois, parmi son escorte, de la stupeur et de l'épouvante. Mais le bonheur de Coligny, dit le chevalier Cavriana[12], fut qu'allant à pied il avait des mules qui l'empêchaient de marcher à son aise ; pendant qu'il battait la terre pour les mieux enfoncer, il recula un peu, si bien que les bras reçurent le coup qui, autrement, arrivait droit au milieu du corps. Il avait un doigt de cassé à la main droite, le bras gauche blessé. — Maurevert parvint à s'enfuir, poursuivi inutilement par les huguenots[13] et l'amiral rentra chez lui, soutenu par les siens qu'il cherchait à calmer. Ambroise Paré, le grand chirurgien du temps, était accouru de suite. Il coupa le doigt cassé et pansa le bras gauche, après y avoir pratiqué deux incisions profondes. Monneins, Téligny, Cornaton, assistaient le blessé, — et c'est ici que commence le récit de la mort de l'amiral — récit édifiant comme l'on pense et sur lequel les auteurs du parti se sont étendus avec complaisance[14]. Il devait, en effet, y avoir une version officielle de la mort de Coligny, comme il y a une version de la mort de Luther ou de la mort de Calvin. C'est le récit du martyre, de la passion de M. l'Amiral. Bien qu'il sente la préparation pour les besoins de la cause et comme nous n'avons pas la contrepartie d'une version catholique, c'est à peu près le seul que nous pouvons suivre : — Voyant les assistants pleurer, Coligny, rapporte-t-on, leur disait : Je m'estime bien heureux d'avoir été ainsi blessé pour le nom de notre Dieu. Je reconnais que c'est par la volonté du Seigneur et remercie Sa Majesté de ce qu'il me daigne tant honorer que je souffre quelque chose pour son saint nom. Et s'adressant au ministre Merlin, qui était aussi présent : Si Dieu me traitait comme je le mérite, il me faudrait bien endurer d'autres tourments. Je pardonne de bon cœur à celui qui m'a blessé et à ceux qui l'ont induit à ce faire ; car je suis certain qu'ils ne me sauraient procurer un tort quelconque, quand bien même ils me mettraient à mort ; d'autant que la mort m'est un passage assuré pour parvenir à la vie éternelle. — Il se pencha ensuite vers Cornaton agenouillé et lui enjoignit de remettre à son chapelain, M. Merlin, cent écus pour les pauvres de Paris. Il remercia ensuite Ambroise Paré. Merlin, suffoqué par tant de magnanimité, le loua de sa patience, de sa résignation, en entremêlant son discours de passages des Saintes Ecritures. Tout le monde priait et Coligny, malgré ses souffrances, disait : — Mon Dieu ! Ne m'abandonnez pas ! Montrez-moi votre miséricorde accoutumée. Damville et le maréchal de Cossé vinrent ensuite le voir et il les accueillit presque avec enjouement. II dit à Cossé : — Vous vous souvenez de notre dernière conversation ? Je vous prêchais la prudence ; j'aurais dû me la recommander à moi-même. Ce fut Damville qui répondit : — Monsieur ! Je n'essayerai pas de vous enseigner la constance ; c'est vous qui l'enseignez aux autres. Je désirerais uniquement être à votre disposition et m'employer en chose quelconque. D'où pensez-vous que soit venu ceci ? L'amiral accusa le duc de Guise, sans chercher plus loin. Il regretta de ne pouvoir davantage servir le Roi et dit qu'il avait besoin de lui parler, ayant des choses importantes à lui communiquer que personne, ajouta-t-il, si ce n'est moi, n'osera lui dire jamais. — Damville promit de l'informer et le quitta ainsi que le maréchal de Cossé. — Dans Paris, l'agitation était extrême. La nouvelle de la blessure de Coligny avait couru comme une traînée de poudre. Les protestants l'avaient pris de haut et se répandaient en imprécations et menaces. Quant au Roi, averti tandis qu'il jouait à la paume, il avait eu un accès de fureur. Il ne cessait de jurer, accusant surtout le duc de Guise. Catherine, qui était venue avec le duc d'Anjou et quelques familiers s'installer dans le cabinet de son fils, s'écriait continuellement, pour se conformer à sa passion, qu'il fallait venger l'amiral ; que si un si grand outrage n'avait pas son châtiment, on s'en permettrait bientôt de pareils sur la personne du Roi et la sienne. Condé et le roi de Navarre se présentèrent peu après, déclarant qu'ils devaient s'éloigner de Paris où ils n'étaient plus en sûreté. Mais le Roi s'y opposa : — Vous ne partirez pas, mes cousins ! s'écria-t-il. Vous serez témoin de l'effroyable justice que je rendrai à tous. Pas un de ceux qui ont trempé dans ce crime n'échappera, et par la Mort-Dieu, je verserai du sang ! La Reine mère continua ses diatribes, mais elle regrettait fort que Maurevert eût manqué son coup. Elle dit à Charles IX : — Il faut promettre justice et garder que personne ne sorte ; puis on avisera au reste ! Les portes de Paris furent en effet fermées, à l'exception de deux, et les Guise, redoutant la première colère du Roi, se tinrent cachés dans leur hôtel. Les huguenots les accusaient ouvertement. Ils passaient à grandes troupes devant leur logis, brandissant les épées, poussant des cris. Vers 2 heures, le Roi se rendit au logis de l'amiral, accompagné de la reine Catherine, des ducs d'Anjou et d'Alençon, de Nevers et Montpensier, du cardinal de Bourbon, des maréchaux de Cossé et Tavannes, Damville, les sieurs de Thoré, Méru et de Retz. Coligny lui exprima toute sa gratitude et contrefit même le moribond pour s'écrier : — Sire, Dieu devant le trône duquel je serai bientôt me sera juge et témoin que toujours je vous ai été fidèle de cœur. J'ai eu de grandes dignités de votre père Henri II et vous me les avez toutes confirmées. C'est à vous que je suis le plus obligé après Notre Seigneur. Ecoutez donc en bonne part ce que j'ai à vous soumettre. Tenez ferme, Sire, à la guerre de Flandre et n'y renoncez pas. Ayez l'œil dans vos propres conseils aux espions du duc d'Albe qui l'instruisent de vos moindres desseins. Réprimez aussi les violements de votre édit de paix. Car ces trois conduites sont essentielles à votre prospérité et à celle de vos Etats. Autrement, il n'y aurait que ruine pour vous et vos sujets[15]. Charles IX fit un signe d'assentiment et Catherine se approcha. — Je maintiendrai mon édit, fit encore le Roi. Ma mère vous dira que j'ai nommé des commissaires pour en être les garants. Catherine affirma : — Cela est certain, monsieur l'amiral. — Oui, reprit encore Coligny, mais il y en a sur la liste qui m'ont condamné à être pendu et proposé 50.000 écus de récompense à qui apporterait ma tête. Le Roi dit qu'il en désignerait d'autres et recommanda le
calme à l'amiral. Il jura ensuite par la mort-Dieu qu'il vengerait son
outrage si roidement qu'il en serait mémoire à jamais. — Coligny accusa le
duc de Guise et dit qu'il demandait non vengeance, mais justice. La femme de
la maison de laquelle le coup avait été tiré et le laquais trouvé dans le
logis étaient déjà arrêtés. Charles IX poussa la condescendance jusqu'à
demander à l'amiral s'il aurait pour agréables divers commissaires qu'il lui
nomma. Coligny le pria d'y ajouter Cavagnes, Masparault et un troisième dont
le nom n'est pas parvenu. — Le Roi et Catherine lui parlèrent ensuite à voix
basse et l'on ne sut quelles recommandations Coligny fit à Charles IX, sinon
de se souvenir de ses avertissements touchant le
malheureux dessein de quelques-uns à l'encontre de son état et couronne.
Il demanda enfin à entretenir le Roi en secret, tant que la Reine et le duc
d'Anjou durent se tenir à l'écart au milieu de la
chambre, où nous demeurâmes debout, raconte le futur Henri III[16], pendant ce colloque qui nous donna grand soupçon, surtout
quand nous nous vîmes entourés de plus de deux cents gentilshommes, qui
étaient dans la chambre, dans une autre auprès, et encore dans une salle
basse ; lesquels avec des faces tristes, des gestes et contenances de gens
mal contents parlementaient entre eux, passant et repassant devant nous.
— Catherine avoua d'ailleurs ensuite qu'elle n'était
jamais allée en lieu d'où elle fût sortie avec plus d'aise et de plaisir.
Elle s'approcha du Roi et dit qu'il n'y avait point
d'apparence de faire parler si longtemps M. l'amiral et qu'il fallait
remettre le reste de leur discours à une autre fois. — Charles IX eut
un mouvement de dépit, mais se laissa quand même entraîner. Il voulait faire
transporter le blessé au Louvre, craignant une
sédition et troubles de quelques mutins et enragés. De Retz insista de
même, peut-être avec une autre intention, et dit qu'il redoutait une émeute.
Mais on répondit que les médecins s'opposaient au transport de Coligny[17]. Le Roi voulut
voir la balle qui avait été retirée de la blessure au bras et Charles IX
remarqua que la manche de Cornaton, qui lui présentait le projectile, était
tachée de sang. — C'est le sang de M. l'amiral, fit Cornaton ; il a coulé sur moi pendant l'opération. Catherine, qui n'était pas fâchée d'envoyer à Coligny ce coup de patte, observa alors : — Je suis bien aise que la balle ne soit pas demeurée dans la plaie, surtout si elle était empoisonnée. Lorsque M. de Guise fut tué devant Orléans, les médecins disaient que si la balle avait été hors, il n'y avait plus de danger. Mais on lui répondit que les médecins avaient fait prendre à l'amiral un breuvage pour empêcher la force du poison si d'aventure il y en avait[18]. — La Cour retourna au Louvre ; mais Charles IX demeurait sombre et agité. Catherine, le duc d'Anjou insistaient pour savoir ce que Coligny avait pu lui dire. Il finit par avouer en jurant selon son habitude que ce que lui avait affirmé l'amiral était vrai ; que les rois ne se reconnaissent en France qu'autant qu'ils ont la puissance de bien ou de mal faire ; que toutes les affaires de l'Etat étaient entre leurs mains et qu'il devait y prendre garde, ce dont il l'avait voulu avertir avant sa fin comme son plus fidèle serviteur et sujet[19]. Catherine se mordit les lèvres, et rentrée dans sa chambre tint conseil avec son second fils, tandis que le Roi expédiait aux gouverneurs des provinces et à ses ambassadeurs à l'étranger des dépêches où il racontait l'attentat et annonçait la punition du coupable[20]. — Les protestants aussi délibéraient de leur côté. Ils tenaient des discours violents contre Charles IX lui-même et peu s'en fallut qu'ils n'allassent au Louvre pour y tuer le duc de Guise ; mais ses gens étaient assaillis, maltraités, injuriés par les rues ; on l'appelait lâche, traître, assassin. Les calvinistes, de plus, se réunirent en armes auprès de l'amiral, du roi de Navarre, au faubourg Saint-Germain, et résolurent de se présenter devant le Roi en corps, pour dénoncer publiquement le duc de Guise. La blessure de Coligny les avait exaspérés[21]. — La plupart, au reste, étaient d'avis de ne pas attendre davantage dans ce milieu hostile qu'était Paris et d'enlever l'amiral qui répétait, vindicatif, que si le bras était blessé, la tête ne l'était pas et menaçait d'en faire lui-même la vengeance[22]. Mais la proposition de départ fut repoussée par l'intervention du jeune Téligny. On commençait du reste à accuser Catherine, que nul n'avait voulu croire lorsqu'elle avait fait publier, par précaution, que le coup venait probablement du duc d'Albe. On avait aussi saisi l'arquebuse de Maurevert qui avait été reconnue comme appartenant aux gardes du duc d'Anjou et la vérité graduellement se faisant jour, le vidame de Chartres, fervent huguenot, ne se cacha point pour dire que la tentative d'assassinat sur l'amiral était le premier acte d'une tragédie qui finirait par leur massacre à tous. L'exaspération et la rage étaient générales[23]. Toute la population de Paris était d'ailleurs en armes et, dès le soir du 22 août, la ville entière en fermentation. On parlait d'une conspiration des huguenots qui allait éclater, mettre tout à feu et à sang. — Le samedi matin, sur la nouvelle que Coligny devait promptement se remettre, Catherine se décida. Son réveil devait être terrible. La mort de l'amiral devint son idée fixe. Elle avait essayé déjà de justifier le duc de Guise ; mais le Roi s'était emporté, avait envoyé de nouveau prendre des nouvelles du blessé. Elle craignait d'ailleurs les révélations du duc s'il était arrêté et pouvait croire à un soulèvement des religionnaires pour venger Coligny. L'aîné Pardaillan et quelques autres chefs huguenots, rapporte Marguerite de Valois dans ses Mémoires, parlèrent si haut à ma mère qu'ils lui firent penser qu'ils avaient une mauvaise intention. Pardaillan dit que si justice n'était pas faite, les calvinistes la feraient eux-mêmes et si sanglante que leurs ennemis n'auraient jamais envie de les outrager. Catherine avait encore assisté à une scène scandaleuse où le Roi avait été insulté par le seigneur de Piles ; certains disaient, en faisant allusion à la blessure de l'amiral, que c'était là un bras qui en coûterait plus de quarante mille[24]. — J'allai trouver la Reine ma mère, rapporte le duc d'Anjou, et ne fut pris lors d'autre résolution que de faire, par quelque moyen que ce fût, dépêcher l'amiral, et ne pouvant plus user de ruses et finesses, il fallait que ce fût par voie découverte. La mort seule de Coligny, en effet, pouvait dénouer la situation. Mais le consentement du Roi, qui en était toujours entiché, était nécessaire. — Pour le décider, on lui fit peur : La Reine fit venir les maréchaux de Tavannes et Retz, Ludovic de Gonzague, duc de Mantoue, et le chancelier aux Tuileries et leur remontra que ceux après lesquels ils avaient si longtemps couru étaient maintenant au filet ; que l'amiral était au lit, privé de ses bras et qui ne pouvait remuer ; que le roi de Navarre et Condé étaient logés au Louvre ; que les portes fermaient de nuit ; que le guet était assis tellement qu'ils ne pouvaient fuir ; que les chefs étant dépêchés, il ne fallait pas craindre que ceux de la religion fissent la guerre ; que le moyen de faire un beau coup se présentait, car tous leurs capitaines étaient désarmés et mal prêts ; qu'à peine trouverait-on dix ennemis contre mille catholiques ; que les Parisiens étaient en armes et pouvaient fournir 60.000 hommes bien équipés ; qu'en l'espace d'une heure, on pouvait exterminer tous les huguenots et en abolir la race et le nom ; que si le Roi ne prenait l'occasion qui se présentait, il fallait s'assurer que l'amiral étant guéri, la France se verrait incontinent embrasée d'une quatrième guerre civile[25]. — Elle proposa de faire tuer Coligny et les principaux, et son avis agréé, il ne fut plus question que de le faire admettre par le Roi. — Guise et d'Aumale, pendant ce temps, se présentaient au Louvre et demandaient des sûretés pour leurs personnes. Charles IX les accueillit si froidement et leur fit si mauvais visage, dit-on, qu'ils sollicitèrent enfin leur congé, voyant bien que leurs services avaient cessé de plaire. Le Roi les renvoya avec des paroles de menaces. On avertit également les amis de l'amiral qu'un remuement se faisait dans la ville et qu'on portait des armes en divers lieux, ce qui ne présageait rien de bon. Charles IX, informé, envoya une garde de cinquante arquebusiers et quelques Suisses du roi de Navarre, sous le commandement de Cosseins. Il fit assigner aux huguenots des logements près la demeure de Coligny et défendit sous peine de mort à tout catholique de s'en approcher. — Catherine, cependant, s'était rendue près de lui avec le duc d'Anjou et les maréchaux et elle commença par lui remontrer que l'amiral avait envoyé en Allemagne pour lever 10.000 reîtres et aux cantons des Suisses pour une levée de 10.000 hommes de pied ; que les capitaines protestants étaient déjà partis pour soulever le royaume, et les rendez-vous de temps et de lieu déjà donnés et arrêtés ; que les catholiques avaient délibéré et résolu d'en finir, quittes à nommer un capitaine général pour prendre leur protection ; mais qu'il suffisait de tuer l'amiral, chef et auteur de toutes les guerres civiles, et que les catholiques satisfaits et contents du sacrifice de deux ou trois hommes demeureraient en son obéissance. Le Roi avait sursauté à cette proposition hardie. Il était entré dans une extrême colère et comme en fureur. Il ne voulait, au commencement, consentir à ce qu'on touchât l'amiral. Mais piqué enfin et grandement touché de la crainte du danger, ému aussi de la considération de tant de pratiques et menées faites par les huguenots, il voulut savoir néanmoins si par un autre moyen on y pouvait remédier et que chacun dît présentement son opinion. Chacun opina, en effet, et se rangea de l'avis de Catherine, sauf de Retz, dont ce fut sans doute une feinte et qui protesta contre ces assassinats[26]. Le Roi cependant résista pendant une heure et demie. Mais voyant que si on différait l'exécution il était à craindre que l'affaire ne fût découverte, la Reine pour le décider finit par lui demander la permission de se retirer, car elle n'avait pas le courage de supporter plus longtemps de si grands désastres et le danger où étaient leurs vies, d'autant qu'il était si facile d'y remédier[27]. — C'était le grand moyen de Catherine, menacer de s'en aller. Elle partie, les catholiques éliraient le duc d'Anjou comme capitaine général. — On sait comment Charles IX, toujours incertain et violent, se décida tout à coup, — autant par jalousie de son frère que par conviction véritable. Il dit que puisqu'on trouvait bon de tuer l'amiral, il le voulait, mais aussi tous les huguenots de France, afin qu'il n'en demeurât pas un qui pût le lui reprocher. Catherine n'attendait que cet ordre de lassitude et de colère et le prit au mot. Le coup était facile par les précautions qui avaient été prises ; on avait les protestants sous la main, assez sots pour être venus s'enfermer dans Paris et qui bravaient en face les dispositions hostiles des catholiques. La Reine manda le duc de Guise, qui accepte avec joie, — avec la hideuse ardeur d'un homme de sang, disent les religionnaires, de se venger de Coligny. Il réunit les commandants des Suisses et quelques officiers des troupes françaises autour du Louvre, avec ordre de ne laisser sortir aucuns des serviteurs de Condé ou du roi de Navarre ; les mêmes injonctions furent faites à Cosseins, relativement aux domestiques de l'amiral. Le duc d'Anjou s'était déjà montré dans la ville afin de se rendre compte par lui-même des sentiments de la population. On fit venir Charron, prévôt des marchands, et on lui demanda combien d'hommes il pouvait mettre sous les armes. Le prévôt s'informa du délai qui lui serait donné. On lui répondit : — Un mois ! — Plus de 100.000 hommes, fit-il. — Et dans une semaine ? — A proportion ! — Dans une journée ? — Vingt mille et plus ! — Il dut prêter le serment de garder le silence et on lui commanda d'informer les quarteniers d'avoir à tenir prêt un homme par maison avec ses armes et des torches[28]. Les capitaines de quartiers et leurs compagnies devaient, à un signal donné, se, rendre à l'Hôtel de Ville. — On fit appeler également Marcel, ancien prévôt, qui était bien vu du peuple et avait conservé beaucoup d'influence sur le Corps de ville. Il eut charge de parlementer avec les bourgeois, de les assurer que Sa Majesté permettait de prendre les armes, d'exterminer Coligny et tout son parti, et qu'il ordonnait à toutes les villes du royaume de faire de même. Le signal devait être le tocsin sonné par la cloche du palais ; tous les conjurés devaient porter une écharpe de toile blanche au bras gauche[29] et une croix blanche au chapeau. Pour éviter des désordres avant le signal, on devait mettre des flambeaux à toutes les fenêtres, et des corps de garde, à toutes les places et carrefours, furent cachés dans les maisons. Cependant, à l'hôtel de Coligny, un premier incident se produisit lorsqu'on apporta des cuirasses appartenant à Téligny et à Guerchy. Cosseins rabroua fort le porteur et se prit de querelle avec Guerchy, tant qu'ils furent sur le point d'en venir aux mains. Mais Téligny les apaisa : Charles IX l'avait si bien emmiellé, dit un écrit du temps, qu'il n'avait en la bouche que la fidélité au Roi[30]. — Coligny, vers minuit, n'avait plus autour de lui que les cinq Suisses du roi de Navarre et quelques gens de service avec le pasteur Merlin, Ambroise Paré, Cornaton, Yolet et Labonne. — Catherine, dans l'impatience de ce coup de force, était retournée près du Roi avec le duc d'Anjou, Nevers, de Retz, Tavannes et Birague. Elle craignait encore un contre-ordre de Charles IX. Mais le hasard la servit à souhait. — Des huguenots qui étaient logés près de l'amiral, inquiets de l'agitation insolite qui régnait dans le quartier, se dirigèrent vers le Louvre pour en connaître la cause. Ils trouvèrent devant eux force flambeaux ardents et gens armés en grosse troupe qui commencèrent à les attaquer de paroles ; puis comme l'un répondait, un des soldats le frappa de sa pertuisane, tant que l'on commença à se ruer les uns sur les autres[31]. La Reine, aussitôt informée, se hâta de dire à son fils qu'il n'était plus possible de retenir la fureur des catholiques et le pressa de donner le signal, car une plus longue hésitation laisserait croire à une lâcheté qui le perdrait. Charles IX obéit. — Le duc de Guise aussitôt courut avec une troupe de cavaliers à l'hôtel de l'amiral. Lorsqu'il arriva, Cosseins s'approcha et Guise lui parla à l'oreille. Cosseins alors frappa rudement à la porte avec la poignée de sa dague. Labonne, qui avait les clefs de l'hôtel sous son traversin, était assoupi. Cosseins cria : C'est de la part du Roi ! Labonne, mal éveillé, se hâta d'ouvrir et Cosseins le poignarda aussitôt. Des Suisses du duc d'Anjou et des arquebusiers de la garde qui accompagnaient le duc de Guise envahirent la maison. Cornaton, dont la chambre était au rez-de-chaussée, aida les Suisses du Roi de Navarre à barricader une seconde porte et se hâta de monter chez l'amiral. — Coligny était debout ; au bruit, il avait pensé à une émeute de quartier. Il revêtit sa robe de chambre et dit au chapelain : — Monsieur Merlin, faites-moi la prière. — Lorsque Cornaton entra, Ambroise Paré eut un mouvement de surprise. — Le Seigneur nous appelle à lui ! fit Cornaton. — L'amiral comprit, mais n'eut aucun trouble. — Cette fois, fit-il, c'est ma mort. Je la reçois de la main de Dieu. Mes amis, sauvez-vous tous ! — Ils obéirent, escaladèrent rapidement l'escalier et gagnèrent la toiture. Merlin, qui était presque aveugle, trébucha dans un fenil où il s'enfonça dans le foin. Paré, Cornaton, deux serviteurs de Coligny parvinrent à se sauver, mais Huss resta obstinément. — Les meurtriers enfin entrèrent, se poussant comme à un assaut. Il y avait Besme, ancien page du duc de Guise, qui avait soulevé et enfoncé la porte avec un épieu trouvé dans la barricade improvisée par Cornaton ; Cosseins, Petrucci de Sienne, Sarlabous, Attin, l'Italien Tosinghi, d'autres encore ; tous voulaient prendre part à la curée. Coligny s'était assis dans un fauteuil ; il se leva lentement et les regarda. Besme s'avança, l'épieu au poing : — N'es-tu pas l'amiral ! fit-il. — Je le suis, répondit Coligny. Jeune homme, je suis aussi un vieillard, un blessé ; si c'est ma vie que tu veux, tu ne me l'abrégeras guère. — Besme jura pour se donner du cœur et agitant son épieu en porta un coup dans le ventre de l'amiral — Encore, fit Coligny, si c'était l'épée d'un cavalier !... Mais l'épieu d'un goujat... — Il tomba ensuite sous l'épieu de Besme et la dague de Petrucci[32]. Tel est, du moins, le récit qui a été depuis adopté par les auteurs protestants et qu'il faut accepter à défaut de tout autre témoignage. En l'absence d'une version catholique, provenant d'un des acteurs du drame, on peut toutefois s'en rapporter à la narration donnée par le duc d'Albe lorsqu'il fut informé des faits et qui contient peut-être beaucoup plus de vérité qu'on ne le penserait d'abord[33]. — Après avoir raconté la tentative faite contre Coligny et les projets des huguenots, le duc d'Albe écrit : Le jour de la Saint-Barthélemy, vingt-quatrième du mois, à une heure de nuit, entrèrent en la maison de l'amiral les ducs de Guise, d'Aumale, le chevalier d'Angoulême et aucuns de leur suite. Ceux de l'amiral avec leurs épées se mirent en défense, mais furent incontinent défaits. Voyant ceci, l'amiral revint à son lit, feignant être mort ; mais il fut tiré hors par le bras blessé. Comme M. Cousin le pensait jeter du haut de la fenêtre en bas, il mit son pied contre la muraille, qui fut cause que ledit Cousin lui dit : Eh quoi ! fin renard, feindrez-vous ainsi la mort ! — Et ce disant, le précipita en la cour de la maison. Cette version, sans doute, est moins solennelle que l'autre, mais elle semble aussi beaucoup plus proche de la vérité. Il faut bien penser en somme que ce ne sont point les assassins qui ont donné le récit édifiant, jusqu'ici accepté, de la mort de Coligny ; et tous les huguenots furent tués, hormis ceux qui se cachèrent dans le grenier, s'échappèrent par les toits, et en somme n'ont rien vu[34]. Le récit a été simplement arrangé après coup, maquillé à la façon des protestants qui n'en étaient pas à leur coup d'essai. — Brantôme, qui put être bien informé des incidents divers de la catastrophe, confirme d'ailleurs certains détails : — M. de Guise, qui était en bas, dit-il, criait : Est-il mort ? et le jetèrent par la fenêtre en la cour, non sans peine, car le corps retenant un reste de vigueur généreuse du passé, résista un peu, s'empêchant des jambes contre la muraille de la fenêtre ; mais aidé par d'autres il lut précipité[35]. — Le récit officiel ajoute que Guise et d'Angoulême, entrés dans la cour, sautèrent de cheval et se baissèrent vers l'amiral que l'épieu et la dague avaient inondé de sang à la face. — On ne peut discerner ses traits, dit M. de Guise, tant ils sont souillés et rougis. — Il saisit un mouchoir, les essuya et dit : — Je le connais, c'est lui-même. — Et labourant rudement ce visage de sa botte éperonnée, il sortit à cheval avec son escorte[36]. Le fait est attribué par d'autres au chevalier d'Angoulême ; mais il ne faut pas oublier que dans cet acte hideux, en admettant qu'il ait écrasé ainsi le visage de Coligny mort, le duc de Guise était persuadé de venger son père. Brantôme, du reste, le nie expressément et dit qu'il le regarda sans lui faire aucun outrage. — Le corps de l'amiral, décapité, mutilé, traîné par la populace, couvert de boue, fut enfin pendu à Montfaucon[37]. Mais sa mort n'avait été que le premier acte de la tragédie. Le moment était venu enfin et toute la ville s'était levée pour la tuerie. Le signal, qui devait être donné d'abord par la cloche du palais, avait été remplacé par un autre de la cloche de l'Hôtel de Ville, à laquelle répondit celle de Saint-Germain-l'Auxerrois ; bientôt toutes les cloches des beffrois hurlaient sur Paris, et au milieu des cris, des imprécations, avait commencé l'exécution terrible dont les huguenots, après plus de trois cents ans gardent encore le deuil et la haine. Minorité intolérante et agressive[38], les protestants étaient entrés dans la capitale comme dans une ville conquise, lorsque depuis dix ans, ils avaient saccagé, souillé, abattu les églises du royaume, sali ses sanctuaires, volé les objets de son culte et massacré ses prêtres. Pour eux, la royauté avait eu de la tolérance et même de la patience. Mais la main du Roi qui les protégeait s'était enfin levée et toute la rancune qu'ils avaient suscitée remontait dans un effroyable haut-le-cœur. Tue ! Tue ! Ce n'était qu'un cri de fureur et de rage, la colère de tout un peuple contre ceux qui avaient outragé Dieu et les hommes. Après avoir assisté, frémissant, à leur triomphe scandaleux, le peuple les massacrait avec joie. Les foules sont simplistes et il y a toujours, parmi, un élément de populace qui ne rêve que de horions et prêt à se garnir les mains. Il ne fait pas bon déchaîner un peuple, dit Brantôme, il est assez prêt plus qu'on ne veut. Le peuple de Paris ne raisonna pas, en effet, sur l'hospitalité accordée, — imposée plutôt par la volonté royale, — mais ne vit qu'une chose, c'est que ses ennemis le bravaient, le menaçaient même, après être venus se mettre en ses mains. — Le carnage, commencé vers deux heures du matin, se prolongea d'ailleurs les journées suivantes et il fallut que Charles IX, sur les remontrances du prévôt des marchands et des échevins, donnât des ordres pour faire cesser tueries et pillage. — Les magistrats enfin parcoururent la ville, accompagnés des capitaines des archers, arquebusiers et arbalétriers, durant plusieurs jours et nuit, sans discontinuation. Le Roi même dut renouveler ses défenses plusieurs fois et faire faire des proclamations tant pour apaiser le tumulte que pour la garde des postes et divers endroits de la rivière. Il y eut des meurtres même jusqu'à la fin de septembre[39]. Le massacre, après Paris, se prolongea longuement en province, et il n'y eut peut-être pas dans toute notre histoire de mouvement plus unanime. Catherine, d'abord, avait donné l'ordre de tuer les chefs ; mais l'exécution entreprise, on ne s'arrêtait plus[40]. Le Roi n'avait-il pas dit d'exécuter tous les huguenots ?[41] — On a estimé très différemment le chiffre des morts, et aujourd'hui encore, après des recherches abondantes sur ce sujet, on n'arrive qu'à des chiffres contradictoires. Un document publié en 1582, d'après les états recueillis dans les différentes villes du royaume, donne en tout 786 personnes. Linguard dit qu'en doublant ce chiffre, nous serons aussi près que possible de la vérité. Davila, l'auteur du Tocsin des massacreurs et celui des Mémoires de l'Estat de France, compte 11.000 morts ; de Thou, Tavannes et Papyre Masson, 4.000 ; Claude Haton, plus de 7.000 ; Mézeray, 5.000 ; Michieli, 2.000 au moins, 4.000 au plus ; La Popelinière, 1.000 ; Ranke et Henri Martin, 2.000 ; M. Coquerel, 5.000[42] ; l'abbé de Caveirac enfin, cite un extrait d'un livre de comptes de l'Hôtel de Ville, d'après lequel 20 livres furent payées aux fossoyeurs du cimetière des Innocents pour avoir enterré 1.100 cadavres aux environs de Saint-Cloud, Auteuil et Chaillot. La plupart des corps, en effet, furent jetés dans la Seine et emportés par le courant[43]. — Mais c'est trop nous arrêter sur ces scènes pénibles. Quelques-uns échappèrent et se firent catholiques[44], à l'imitation de Condé et du roi de Navarre ; ce fut le cas de Jehan du Fay, seigneur de Verrière, et de son neveu, le seigneur de Pairault, menés à la Conciergerie et que le Roi fit remettre en liberté, sur l'assurance qu'ils voulaient le servir comme bons et loyaux sujets[45]. Mais d'autres s'évadèrent, reprirent les armes. Si le parti protestant ne se releva pas du coup qui lui fut porté en 1572, il fallut quand même plus d'un demi-siècle de guerres, avec des alternatives diverses, et enfin la main terrible de Richelieu pour abattre l'organisation et la puissance contre lesquelles le Roi était obligé de sévir même dans les cours du Louvre et de batailler jusqu'aux portes de sa capitale[46]. |
[1] Cf. la Reine Margot, chap. III. Bibl. nat., mss. Dupuy, 209-211, f° 87 ; Martha FREER, Life of Jeanne d'Albret, t. II. — Grégoire XIII voulait que le roi de Navarre requît lui-même la dispense ; qu'il fit une profession de catholicisme et rendit aux églises de Béarn les biens que les calvinistes leur avaient enlevés. La dispense ne fut signée que plusieurs mois plus tard, après la conversion du Béarnais.
[2] DE THOU, Histoire, liv. LII, édit. de 1734 (Londres) ; Tavannes rapporte de son côté : Les huguenots dans la nef de Notre-Dame, l'amiral dit qu'il fallait ôter les enseignes conquises sur les hérétiques, marques de troubles ; gaussant, demande les 50.000 écus promis à celui qui apporterait sa tête. — Le soir, Coligny écrivait à sa femme : Ce jourd'hui, quatre heures après-midi étaient sonnées quand la messe de l'épousée a été chantée. Cependant le roi de Navarre se promenait sur une place, etc. (Société du protestantisme, 1853, p. 369.) Cette lettre est précieuse, car elle ne manifeste aucune inquiétude, sinon par cette courte phrase : Si je ne regardais que mon contentement, j'aurais bien plus de plai4r à vous aile voir que je n'ai d'être en cette Cour, pour beaucoup de raisons que je vous dirai. L'amiral répétait qu'en donnant sa sœur au roi de Navarre, Charles IX avait donné sa foi à tous les huguenots de France. On sait comment le mot fut travesti par le dévergondage de la reine Margot. Coligny était persuadé, tenant le Roi, que les catholiques n'entreprendraient rien contre lui.
[3] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 305.
[4] DARESTE, Histoire de France, t. IV.
[5] Elle hésita jusqu'à la dernière heure, et ne prit la résolution d'ordonner la mort de l'amiral que pour se défendre et pour défendre la couronne. Fatiguée et démoralisée par treize ans d'une lutte incessante, pendant laquelle elle s'était maintenue avec de simples expédients, elle en était venue à ne plus juger les actions humaines que par leur utilité et leur à-propos. Elle était alors convaincue, comme tous les souverains l'étaient alors, que les rois sont au-dessus des lois, et n'ont dans les circonstances exceptionnelles de compte à rendre qu'à Dieu seul. Enfin, elle avait pour les moyens secrets la prédilection ordinaire aux âmes faibles et, comme les Italiens, elle croyait au pouvoir des conspirations dont l'histoire de Florence, sa patrie, lui offrait plus d'un heureux exemple. (DARESTE, Histoire de France, t. IV, p. 280.) La colère de Catherine surtout fut terrible lorsqu'elle apprit que Charles IX, fatigué d'être tenu en laisse par elle et son frère, était retombé sous l'influence de Coligny. Sur les conseils de l'amiral, en effet, il avait ordonné à Biron, grand maître de l'artillerie et dévoué aux calvinistes, de dresser un état des canons et des munitions en dépôt dans les arsenaux. En rentrant à Paris pour les noces de Marguerite et afin de prévenir toute collision entre les Guise et les protestants, il exigea des deux partis le serment de n'en pas venir aux mains. Prévenu que les Guise arrivaient avec une nombreuse suite, il fit venir 1.200 arquebusiers pour protéger l'ordre et en même temps la vie de Coligny. Il n'ignorait nullement la haine que sa mère et son frère portaient à l'amiral et l'on raconte qu'un jour, au moment où Coligny le quittait, ayant aperçu le duc d'Anjou, il porta la main à sa dague et, se promena à grands pas, réprimant à peine sa colère. Le duc se retira en hâte et alla tout dire à la Reine, sa mère, qui fut encore, très probablement, confirmée dans sa résolution. remarque M. LOISELEUR (Trois énigmes historiques, 1882, p. 36), par une lettre du 5 août où le roi d'Espagne conseillait le meurtre de l'amiral et offrait son concours pour purger le royaume des huguenots, non par un massacre, mars loyalement, les armes à la main.
[6] Dépêche de Salviati. — On sait comment son père a été occis, écrit un peu avant l'ambassadeur de Toscane. Il demande à être mis en chemise, l'épée au poing, avec l'amiral ; ils s'appointeront sans travailler Sa Majesté. Les huguenots se sont émus et l'on dit que l'amiral assemble des forces. De fait, il ne vient ici que M. de Téligny. Les choses sont si embrouillées qu'il est difficile de les démêler ; les huguenots ont mis discussion entre le Roi et Monsieur, son frère, disant que Monsieur a intelligence avec le duc de Guise, et qu'ils veulent troubler le royaume, voire plus avant... Il ne se parle en cette cour que d'assassinats. Depuis que le Roi est parti de Blois, se sont faits quatorze meurtres à la cour, tous impunis. (Archives de Turin.)
[7] Ce fait a frappé tous les ambassadeurs étrangers. Voyez British Museum, in Cott. Vespas, t. VI (publ. par LA FERRIÈRE, le Seizième siècle et les Valois ; Archives de Turin).
[8] Manuscrit des archives de Simancas, publié par R. BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise, t. II, p. 494 ; B. 32. — Il fut d'abord convenu que Guise tuerait Coligny au jardin du Louvre, dans une course de bague (Mémoires du duc de Bouillon). Peut-être espérait-on soulever un tumulte au milieu duquel le duc de Guise serait tué à son tour (DE THOU). Mais le Roi et ses frères pouvaient être atteints dans la bagarre. Catherine essaya de confier alors le soin de dépêcher l'amiral à des capitaines gascons, mais ne put en trouver. Ce fut le duc d'Aumale qui proposa enfin Maurevert. — A propos de la coopération du duc de Guise, on a insinué que la Reine avait compté que les protestants, au moins, se révolteraient et forceraient le Roi à sévir contre celui qu'on reconnaissait comme le chef du parti catholique.
[9] TAVANNES.
[10] Au coin de la rue de Béthisy. La maison devint plus tard une auberge sous le nom d'hôtel Saint-Pierre ou hôtel de Lisieux, — on l'a même représentée avec l'enseigne de l'amiral Coligny (1838) — et disparut dans le percement de la rue de Rivoli. Elle remontait au treizième siècle. — L'hôtel de Ponthieu avait été donné par Charles V au maréchal de Boucicaut. R. BÉRARD, la Rue Saint-Honoré.
[11] L'ambassadeur de Venise et le nonce du Pape disent que le coup fut tiré par un capitaine florentin, nommé Pier Paolo Tosinghi, favori intime du due d'Anjou, et que Tosinghi s'en vanta lui-même à un ami. Mais les témoignages du temps sont unanimes pour désigner Maurevert.
[12] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. III, p. 812.
[13] Tout en gagnant la porte Saint-Antoine, Maurevert, parait-il, s'écriait : C'est fait, bourgeois, nous n'avons plus d'amiral ! — On l'avait partout acclamé, salué de mille cris de joie. — C'est probablement là une amplification du temps.
[14] DARGAUD, Histoire de la liberté religieuse, etc. ; comte DELABORDE, Gaspard de Coligny.
[15] Je rappelle que ces conversations peuvent être considérés comme des arrangements des auteurs calvinistes, qui seuls avaient intérêt à les répandre. Outre qu'ils étaient d'un autre style, les textes authentiques devaient être moins chargés. L'amiral ainsi se plaignit que dans le Conseil on ne pût tourner un œuf sans que le duc d'Albe en fût informé. Il récrimina encore sur l'abandon où l'on avait laissé Genlis et même sur l'air de contentement de la Cour à la nouvelle de la défaite des huguenots. — Le sens, en somme, est le même, mais il fallait présenter les faits dans le style noble.
[16] Discours du roi Henri III... des causes et motifs de la Saint-Barthélemy, dans la Saint-Barthélemy et la critique moderne. On sait que ce Discours a été attribué à Pierre Mathieu, mort en 1621.
[17] DE THOU, Histoire.
[18] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 37.
[19] Discours du roi Henri III, etc.
[20] Lettre du 22 août à Mandelot, gouverneur de Lyon. Bibl. nat., mss. fr. 2704, f° 49 ; les autres lettres sont identiques. Catherine et le duc d'Anjou écrivirent de même, se disant fort marris de ce qui était advenu à leur cousin l'amiral. British Museum. Coll. Egerton, t. V, p. 41. LA FERRIÈRE, la Normandie à l'étranger, p. 205.
[21] La Reine Margot et la fin des Valois, p. 68.
[22] Nous sommes loin, on le voit, de la résignation hypocrite que prête à Coligny le récit protestant. Nous sommes obligés de le corriger à mesure avec les versions différentes qui nous restent de l'époque.
[23] C'est ici qu'il faut placer le projet d'une nouvelle prise d'armes par les huguenots, qui en eurent sans doute l'intention s'ils n'eurent pas le temps d'agir. Les faits rapportés par l'ambassadeur de Toscane, bien qu'ils aient l'air arrangés, sont beaucoup plus vraisemblables qu'on ne l'a dit jusqu'alors : Ils firent dire à leurs coreligionnaires de se tenir prêts et à un jour fixé, qui serait le premier mardi d'après, c'est-à-dire le 26 (août), un certain nombre de cavaliers devaient arriver à Paris et joints à ceux qui s'y trouvaient déjà compléteraient le nombre de 4.000. Leur intention était de s'emparer dia Louvre et de se laver les mains dans le sang des auteurs du crime, conseillers, complices et meurtriers ; c'était pour eux comme un devoir. Piles, le spadassin, devait s'emparer de la porte ; Monnins assassinerait Guise : Briquemaut égorgerait Nevers, sa femme et ses fils. Après s'être ainsi partagé la tâche, ils faisaient de nouvelles Vêpres siciliennes ; il y a lieu de croire qu'ils n'auraient pas même respecté le sang royal, puisque c'était Monseigneur (d'Anjou) et la Reine qu'ils redoutaient le plus. — Cette entreprise était facile parce que 80 vaillants gentilshommes avaient leur chambre à coucher dans le château, sous prétexte qu'ils étaient nécessaires au service du roi de Navarre, du prince de Condé et des autres seigneurs calvinistes. Ils auraient surpris les gardes et tué à l'improviste la plus grande partie des victimes désignées. (Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. III, p. 814.) — Michieli raconte d'autre part : Le complot avait été dénoncé dans la journée du 23 par un gentilhomme picard, nommé Bouchavannes, qui révéla secrètement au Roi et à la Reine l'ordre donné aux huguenots d'avoir à rassembler à Meaux, pour le 5 septembre, toutes leurs forces, tant d'infanterie que de cavalerie, pour se faire-rendre raison par les armes, pendant que le Roi se trouvait désarmé, de l'outrage fait à l'amiral... Ceci est la conspiration dont le Roi a ensuite affirmé la découverte au Parlement, conspiration ourdie contre lui, sa mère et ses frères ; pour rendre la chose plus odieuse, il y a ajouté son beau-frère, le roi de Navarre. — D'après Claude HATON (t. II, p. 670) le complot était pour le 31 août. — Sans doute les ambassadeurs parlent d'après les déclarations du Roi au Parlement ; ils répètent la version officielle. Mais la dénonciation de Bouchavannes, qui avait assisté aux délibérations tumultueuses des amis de l'amiral, parait quand même certaine, à en juger par l'exécration à laquelle les réformés vouèrent sa mémoire.
[24] LA NOUE (Discours politiques) dit que s'il y en avait de bien décontenancés, d'autres étaient bien hardis parmi eux.
[25] Mémoires de l'Estat de France, 1578, t. I, p. 202-203. Il faut se rappeler ici les difficultés presque insurmontables au milieu desquelles s'était débattue Catherine depuis la conspiration d'Amboise, pour comprendre la mesure extrême à laquelle elle se rallia. Les huguenots, avec de grandes protestations, s'étaient faits les ennemis de la royauté et du pays ; ils avaient appelé l'étranger, pillé et ravagé des provinces entières ; non seulement ils voulaient faire la France calviniste, mais supprimer la famille royale pour arriver au triomphe de leur idée. C'était donc entre eux et Catherine une question de vie ou de mort et l'on ne peut la blâmer d'avoir frappé la première.
[26] Discours de Henri III, etc. Dans le récit de Tavannes, c'est de Retz qui ouvre l'avis le plus violent et Brantôme, qui en donne un assez vilain portrait, affirme de même qu'il fit décider le massacre. Tavannes obtint la vie du roi de Navarre et du prince de Condé.
[27] La Saint-Barthélemy devant le sénat de Venise, relation de Sigismondo Cavalli, p. 85. Brantôme dit également que les menaces des huguenots firent tout le mal. (Œuvres complètes, t. II, p. 451.)
[28] Relation de Giovanni Michieli, p. 41.
[29] Une manche de chemise en guise d'écharpe (R. HÉNARD, La rue Saint-Honoré).
[30] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 383.
[31] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 388.
[32] DARGAUD, Histoire de la liberté religieuse en France, t. III, liv. XXXVI ; comte DELABORDE, Gaspard de Coligny, t. III, in fine.
[33] Ce récit a été trouvé à Mons, dans les archives de l'Etat, et présenté à l'Académie des sciences de Bruxelles par M. Gachard (4 juin 1842).
[34] Quatre seulement s'échappèrent par les toits, et parmi eux, Cornaton et Merlin ; les autres furent tués à coups d'arquebuse. (Les frères HAAG, la France protestante.) — Donc ces quatre n'ont rien vu de la fin de l'amiral et les autres sont morts. On cite cependant le témoignage du Picard Attin, un séide du duc d'Aumale (DARGAUD, t. III, p. 286) ; mais il fallait bien citer quelque chose.
[35] Un récit allemand publié par le Bulletin de la Société du protestantisme, t. LI, p. 396, 1902, sous le titre : Effroyable et pitoyable description des noces lamentables conclues entre le roi de Navarre... à l'occasion de laquelle l'amiral et beaucoup de grands seigneurs, princes et personnes de la noblesse... ont été assassinés d'une manière inouïe... raconte ainsi la mort de Coligny : Monsieur de Guise et quelques Suisses se transportèrent au logis de l'amiral et en heurtèrent l'huis violemment. L'amiral s'étant lui-même rendu à la fenêtre pour voir, dit : Mon Dieu que sera-t-ce ? Puis il se recoucha, fit sa prière et se remit entre les mains de Dieu. Alors les Suisses résolurent d'enfoncer la porte, ce qu'ils firent et assommèrent tous ceux qu'ils trouvèrent. Pénétrant jusqu'à la chambre de l'amiral, ils rencontrèrent son valet de chambre qui les supplia de ne pas faire de mal à son maître. Ils lui fracassèrent la tête d'un coup d'arquebuse. Puis ils entrèrent dans la chambre et trouvèrent ledit amiral dans son lit, le visage tourné du côté de la muraille. L'un d'eux s'approcha et dit : Monsieur l'Amiral, vous dormez trop fort ; puis lui donna un grand coup d'épée à travers le corps, après quoi les autres meurtriers forcèrent les portes et pillèrent tout ce qu'ils purent. Monsieur de Guise attendait au bas dans la cour avec impatience et cria à plusieurs reprises que dès que l'amiral serait mort, ils devaient le jeter par la fenêtre. Ils le traînèrent donc hors du lit et voulurent le précipiter dehors, mais il était encore assez fort pour s'arquebouter du pied contre le mur, de sorte qu'ils ne parvinrent pas à l'enlever, jusqu'à ce qu'un Suisse félon eut frappé le pied de sa hallebarde, de sorte que l'amiral tomba sur le plancher. Ils essayèrent une seconde fois de le jeter par la fenêtre, mais il étendit les bras à l'intérieur de celle-ci et leur dit ces dernières paroles : Mes enfants, ayez donc pitié de ma vieillesse ! Mais ils le soulevèrent par les pieds et le précipitèrent la tête la première, de sorte qu'elle s'écrasa sur le sol.
[36] La narration du duc d'Albe ajoute que quelqu'un survenant lui donna un coup de pistolet à la tête.
[37] Un gentilhomme lui coupa la tête et la mit au bout de son épée, la portant par la ville. Et comme ceux du Parlement tâchaient de ravoir le corps pour exécuter la première sentence donnée contre lui durant les troubles, il fut tellement démembré que jamais on ne sut en retrouver pièce. (Récit du duc d'Albe.) — Mais le duc d'Albe ici fut mal informé, car le corps de Coligny, nous le verrons plus loin, finit par être transporté à Châtillon.
[38] C'est la conclusion à laquelle nous sommes amenés naturellement par l'étude des faits. Les protestants n'ont jamais été qu'une minorité infime ; leur nombre a été exagéré par leurs ennemis pour se donner plus de gloire de les avoir vaincus ; par eux-mêmes ensuite qui désiraient leur inspirer plus de crainte et, sans le secours de l'étranger, ils n'auraient rien fait. On doit remarquer, du reste, qu'ils hésitent toujours à donner des chiffres, qu'ils seraient bien aise de citer s'ils étaient à leur avantage. Ainsi, pour l'affaire de Beauvais, ils déclarèrent d'abord qu'ils étaient 120.000 prêts à faire la guerre aux papistes. On convint ensuite qu'on avait à peu près ajouté trois zéros, pour faire le chiffre rond. Cf. abbé DELETTRE, Histoire du diocèse de Beauvais, t. III.
[39] Les exécutions, dit M. Gachard, durèrent jusqu'au 27 août, malgré les ordres réitérés de la cour. (Note sur un bulletin de la Saint-Barthélemy, rédigé par le duc d'Albe.) On sait qu'elles se prolongèrent beaucoup plus, toutefois avec moins de rage.
[40] Catherine disait qu'elle ne prenait sur sa conscience que le sang de six de ces morts. (De statu religionis, etc.)
[41] Selon les pamphlets, le Roi lui-même aurait tiré sur les protestants d'une fenêtre du Louvre. Par tradition, on désigne celle qui ouvre sur le quai, au bout de la galerie des antiques, et où les révolutionnaires de 1793 mirent une inscription stupide pour rappeler les faits ; mais si de la discussion des documents il résulte que la fenêtre du rez-de-chaussée existait bien à l'époque, on ne sait toujours pas si c'est bien celle qui fut utilisée par le Roi giboyant aux passants trop tardifs à noyer (D'AUBIGNÉ), ni même si le fait de l'arquebusade est certain. Il n'importe d'ailleurs. Les protestants n'étaient pas le peuple, comme le disait l'inscription, mais les ennemis du peuple autant que de la royauté. Charles IX pouvait traiter en ennemis ceux qui s'étaient faits ses ennemis, et si l'on peut regretter son geste, il semble difficile de l'en blâmer. Cf. pour la discussion des faits, le Bulletin de la Société du protestantisme, t. V, VI, VII et X (1857 et suivantes).
[42] Six mille personnes, dit Bossuet ; 4.000 selon le jésuite Philippe Bonami et 25.000 par tout le royaume. Cf. sur la Saint-Barthélemy, deux lettres de Th. de Bèze (10 septembre et 3 décembre 1572, Bulletin de la Société du protestantisme, t. VI, 1858). — Quinze cents cadavres furent enterrés dans un marais planté de roseaux et de saules, où se trouve notre place de l'Etoile actuelle.
[43] Beaucoup furent jetés dans le Pré-aux-Clercs, où l'on mettait les bites mortes (Récit du duc d'Albe). A côté du massacre, il y eut le pillage, qui avait commencé lorsque l'Italien Tosinghi, après le meurtre de l'amiral, s'empara de son escarcelle et de sa chaîne d'or. Le Roi lui-même réalisa un gain énorme et que Capilupi estime à 3 millions d'or. (H. BORDIER, la Saint-Barthélemy, p. 23, note 1.) — En quinze ans, les guerres de religion, a-t-on calculé, avaient déjà coûté la vie à un million d'hommes. Pendant vingt-cinq ans, plus de 70.000 reitres et lansquenets vinrent dévaster le royaume.
[44] D'autres furent sauvés par les ducs de Guise et d'Aumale, ce qui Indique bien qu'il n'y avait, parmi la noblesse même, aucune aversion contre les protestants. Le peuple seul les abhorrait en masse.
[45] Lettre du président de Thou (6 novembre 1572), publiée par Tamisey de Larroque. (Revue des questions historiques, 1867). — La formule, du reste, est à retenir, car elle prouve que la royauté considérait les huguenots surtout comme des insurgés.
[46] Il n'est pas très sûr que le sculpteur Jean Goujon ait été tué, comme le veut la tradition, sur l'échafaudage où il travaillait aux sculptures du Louvre. Le fait n'est confirmé par aucun des chroniqueurs de l'époque. Cf. G. GANDY, Revue des questions historiques, t. I, p. 325, note 3.