François II. — Le gouvernement des Guise. — Disgrâce du connétable. Catherine de Médicis. — Organisation des protestants. — Le tumulte d'Amboise.Coligny, au retour de sa captivité de Flandre et avec le mouvement de réaction qui se dessinait contre les calvinistes, s'était tenu, sinon à l'écart, du moins très effacé dans les derniers mois de Henri II. Après un court séjour à Châtillon, il avait repris sa place au conseil privé, milieu hostile où il devait se heurter au caractère inconsistant et irascible du Roi, s'il n'avait à traiter comme gouverneur de Picardie et amiral de France que des questions administratives et touchant la réorganisation de sa province[1]. Il est mentionné comme se trouvant aux obsèques du Roi, selon les devoirs de sa charge[2], mais on sait qu'il s'était abstenu de paraître aux fêtes du Louvre et des Tournelles lorsque furent signés les contrats des deux princesses Elisabeth et Marguerite. Une précieuse note de l'ambassadeur anglais Throckmorton indique bien du reste que déjà il s'était inquiété des intentions de son gouvernement sur la question confessionnelle et qu'il ne se cachait plus guère d'être huguenot. Lorsque le Roi se rendit à Notre-Dame pour jurer devant les envoyés anglais la paix conclue avec Elisabeth, il les accompagna jusqu'à la cathédrale et questionna Throckmorton sur l'état religieux de l'Angleterre. L'office commencé, l'ambassadeur le chercha inutilement. II s'était retiré pour ne pas assister à la messe et rejoignit ensuite Throckmorton et Wotton qu'il reconduisit, ne cessant de parler du jeune roi Edouard VI dont il déplorait la fin prématurée et duquel il avait gardé un excellent souvenir[3]. — Avec l'avènement de François II, il allait se trouver obligé de prendre définitivement parti. Le nouveau Roi, qui n'avait pas dix-sept ans et ne promettait rien de soi à l'avenir ; né après dix ans de mariage d'un père qui était d'amoureuse complexion et aimait fort à faire l'amour et aller au change et d'une mère mal conformée et peu saine ; — petit prince débile d'esprit et de caractère, scrofuleux, mal venu, dit un historien[4], reconnu majeur lorsqu'il n'était encore qu'un enfant et que le cardinal de Lorraine se hâta de mener au sacre de Reims (18 septembre) — était entièrement dominé par la délicieuse reine Marie Stuart, la nièce dévouée des Guise, avec laquelle il vivait en très grande amour et plaisante concorde[5] et dont les ardeurs et tempérament devaient lui être si fatals. Un officier huguenot, très attaché à Coligny, le capitaine Roux, exprima la situation en quelques paroles, dit M. Dargaud ; il avait vu passer avec une muette colère le cardinal de Lorraine et le duc de Guise qui conduisaient au Louvre François II, et rentrant chez lui, dit à quelques amis calvinistes : Serrons et armons bien nos ceinturons, car il y a en ce moment au Louvre trois rois de France, et deux sont altérés de notre sang ! — En fait, le petit François II avait de suite livré le gouvernement aux princes lorrains. Lorsque le Parlement de Paris vint le complimenter et demander de qui il fallait savoir désormais ses ordres : — De mes oncles ! répondit-il aussitôt — et commanda que l'on s'adressât dorénavant à eux en tout ce qui concernait son service[6]. Quant à la faction de Montmorency, elle avait été immédiatement sacrifiée[7]. Le connétable, comprenant qu'il ne pouvait sans alliés lutter contre la prépondérance de ses rivaux dans une telle fortune, avait, dès la blessure de Henri II, envoyé au roi de Navarre La Mare, valet de chambre du Roi, l'engageant à se présenter, à réclamer la régence qui lui revenait de droit malgré la majorité fictive du jeune monarque. Mais Antoine de Bourbon, indolent, irrésolu, eut l'idée d'un piège. Il tergiversa, malgré les instances du prince de Condé et de sa femme, Jeanne d'Albret, si bien qu'il donna aux autres loisir de s'insinuer en son lieu. On rapporte qu'il avait conçu un dépit maladroit et une aveugle rancune contre Montmorency, négociateur du dernier traité de paix, qui n'avait pas même soutenu ses droits sur la Navarre[8], et, en effet, il était assez mauvais politique pour ne pas ressentir une joie secrète en abandonnant le connétable à l'heure de sa disgrâce. Montmorency ne fut pas plus heureux en s'adressant à Catherine de Médicis, qui lui gardait rancune de ses tracas anciens, lorsqu'il avait conseillé à Henri II de la répudier comme stérile, et plus tard avait insinué que ses enfants n'avaient probablement pas le Roi pour père, — s'ébahissant, dit Régnier de La Planche, que le seul qui lui ressemblât fut sa fille bâtarde, Diane de France, mariée à son fils François de Montmorency. Catherine l'éconduisit, lui rappelant le propos ; elle avait déjà pris son parti et affecta même de l'indignation pour dire que si elle faisait son devoir, elle lui ferait trancher la tête pour s'être tant oublié de toucher à l'honneur d'elle et de ses enfants[9]. Il comprit dès lors que la résistance serait inutile. Aussitôt la mort de Henri II, il lui fut mandé qu'il eût à prendre garde au corps du feu Roi avec les maréchaux et amiral de France, princes du sang et plusieurs chevaliers de l'Ordre, et bientôt après lui fut envoyé le secrétaire de l'Aubespine, qui lui demanda le cachet de par le Roi[10]. Il attendit cependant quelques jours. La Cour avait été transportée à Saint-Germain pour mieux isoler François II[11]. Il appela tous ses parents et gentilshommes et se présenta accompagné de ses cinq fils et de ses neveux (15 août). — Montmorency ne s'illusionnait aucunement sur la portée de sa démarche ; mais il pensait qu'avec un peu de patience il pourrait reprendre les avantages que les événements venaient de lui faire perdre. Il se devait enfin de saluer le Roi au moment de se retirer sa tâche faite, et voulait montrer qu'il n'était pas seul dans la défaveur qui le frappait. — François II, dit Régnier de La Planche, se levant de sa chaire, prit le connétable par la main et le mena en sa chambre, suivi tant de ceux de Guise que des enfants et neveux de Montmorency, lequel ayant pris la parole lui dit qu'après avoir pourvu à tout ce qui était requis pour les obsèques du feu Roi, il n'avait voulu faillir de lui venir faire la révérence en lui rendant le cachet qu'il avait plu audit feu Roi lui bailler, et par même moyen lui présenter ses enfants et neveux, à ce qu'il plût à Sa Majesté les confirmer en leurs états et charges. — Le Roi était bien instruit de ce qu'il devait répondre. Il dit au vieux courtisan qu'il lui accordait sa demande, principalement envers l'amiral de Châtillon, duquel il espérait se servir, et le confirmait lui-même en ses états et voulait qu'il jouît de ses pensions sa vie durant. Mais pour les charges, il les avait confiées à ses oncles, ne connaissant personnes tant capables ni si expérimentées à la conduite et maniement de ses affaires. Du reste, il le retenait près de sa personne et de son conseil, le priant de le servir aussi fidèlement qu'il avait toujours fait ses prédécesseurs[12]. — Montmorency, qui s'attendait à un tel accueil, reçut le coup sans paraître troublé. Il remercia en disant qu'aussi était-il venu pour supplier Sa Majesté qu'ayant égard à son indisposition et grand âge, elle le voulût entièrement décharger et laisser finir le reste de ses jours en repos. Il se récusa ensuite de n'accepter point une place au conseil, ne voulant être soumis à ceux auxquels il avait toujours commandé, et d'autre part étant plein de jours et quasi radotant comme on disait, son avis ne pourrait guère servir. Il alla saluer la Reine mère[13], prit congé de François II et se retira, emmenant son escorte de gentilshommes telle que celle du Roi semblait petite auprès, — de quoi les Guise, même satisfaits de leur victoire, conçurent une grande jalousie et néanmoins se gardèrent de rien entreprendre à son endroit, le voyant avoir acquis tant d'amis dans sa prospérité que malaisément ils pourraient en avoir le dessus, sinon avec le temps[14]. Après les obsèques de Henri II, il partit pour Chantilly et patiemment attendit une revanche. La disgrâce du connétable était surtout le résultat de
l'accord survenu entre Catherine et les Guise, la Reine mère se sentant trop
peu d'influence sur son fils pour prendre à ses côtés une place qu'elle
ambitionnait âprement, et forcée de dissimuler pour arriver à son but. Tenue
jusqu'alors dans un rôle secondaire, subordonnée à la favorite, Diane de
Poitiers, durant tout le règne de son mari, forcée d'applaudir même à ses
triomphes, elle avait longuement étudié les partis, suivi les intrigues et,
décidée à s'emparer du gouvernement, avait résolu d'abord de s'y insinuer. La
psychologie de cette femme si curieuse, qui domine de sa figure autoritaire
et tragique toute la fin des Valois, et dont le rôle commence alors, a été
l'objet de travaux divers et trop nombreux pour que nous y revenions ici[15]. Les rigueurs de son long apprentissage, dit M. H.
Forneron, lui avaient fait acquérir l'art si
nécessaire, mais si rare en politique, de changer brusquement son jeu, de dérouter
ses adversaires par un revirement inattendu, de trouver des ressources
subites, même au milieu des désastres, avec une fécondité d'esprit que rien
ne pouvait étonner. Mais elle avait perdu, dans ses habitudes de
dissimulation, le sens de la bonne foi. Elle trompait plusieurs et
était trompée de beaucoup[16], sans avoir la moindre honte à être surprise dans ses
fraudes, souriant même quand on lui rappelait ses mensonges. Détachée
plutôt des croyances qui passionnaient les contemporains et dénuée de
scrupules, considérant la religion comme une branche de la politique, a-t-on
écrit encore, elle ne connaissait que la moralité du succès. — Son alliance,
du reste, était un appui moral que ne devaient nullement mépriser les Guise
dans leur désir d'éloigner les princes de Bourbon aussi bien que les connétablistes et ils l'acceptèrent avec
empressement[17].
Ils n'eurent aucune hésitation à lui sacrifier la duchesse de Valentinois,
avec laquelle ils avaient si longtemps intrigué et qui comptait bénévolement
sur leur appui, et Henri II n'était pas mort qu'elle recevait l'ordre de
quitter les Tournelles. Mais jusqu'au bout, tenace
et superbe, elle avait refusé de partir. — Tant
qu'il lui restera un doigt de vie, fit-elle, je
veux que mes ennemis sachent que je ne les crains point[18]. En même temps
et à la demande de Catherine, le conseil avait rappelé le chancelier Olivier,
dévoué au cardinal de Lorraine et autrefois remplacé par Bertrandi, créature
de la favorite. Le lendemain du décès de Henri II, elle fut chassée de la
Cour et de même que la duchesse d'Etampes, elle eut l'humiliation de rendre
les pierreries de la couronne avec les clefs des cabinets du Roi. François II
lui envoya dire qu'en raison de ses maléfices elle
méritait un pire châtiment, mais qu'il se contentait de la restitution des
joyaux[19].
Ils servirent à parer la jolie Marie Stuart, et les Guise, pour ménager un
arrangement, lui firent remettre à Catherine, en échange de
Chaumont-sur-Loire, qui n'était qu'une bicoque, le merveilleux château de
Chenonceaux, qu'elle avait eu dix années auparavant d'Anne de Pisseleu. Quant aux princes de Bourbon, on les accommoda de quelques missions honorables, qui servirent surtout à les éloigner. Condé fut dépêché à Gand pour porter la ratification du traité de Cateau-Cambrésis, avec un millier d'écus pour ses frais de représentation et de route, comme une aumône jetée à sa pauvreté[20]. Le prince de La Roche-sur-Yon fut chargé de remettre à Philippe II l'ordre de Saint-Michel et à son retour ordonné avec le cardinal de Bourbon pour conduire la sœur du Roi en Espagne. Autour des Guise se groupaient déjà le cardinal de Tournon, les maréchaux de Saint-André, Brissac, Tavannes, Montluc, Vieilleville ; partout ils garnissaient des leurs les provinces du royaume et les villes des frontières, maniaient les finances et furent avertis tous les Parlements qu'ils avaient la superintendance sur la politique. C'était définitivement la prise du pouvoir par la maison de Lorraine. Or, tout le clergé de France, et presque toute la noblesse et les peuples qui tenaient la religion romaine, dit Castelnau[21], jugeaient que le cardinal de Lorraine et le duc de Guise étaient comme appelés de Dieu pour la conservation de la religion catholique établie en France depuis douze cents ans ; il leur semblait non seulement une impiété de la changer ou altérer en sorte quelconque, mais aussi impossible sans la ruine de l'Etat, comme à la vérité ces deux choses sont tellement conjointes et liées ensemble, que le changement de l'une altère l'autre. En effet, quatre jours après la mort de Henri II, le cardinal de Lorraine avait fait signer au nouveau Roi des lettres patentes qui confirmaient les pouvoirs donnés à la commission chargée d'instruire le procès d'Anne du Bourg, bien décidé à poursuivre la guerre implacable contre les hérétiques qu'avait prévue le traité avec Philippe II, et d'infinies captures se firent par tous les endroits du royaume. Mais déjà les protestants se montraient agressifs[22] ; plusieurs de la religion se fâchaient de la patience chrétienne et évangélique, et au cours du procès d'Anne du Bourg, dont les parlementaires catholiques appelaient la condamnation comme un grand exemple, le président Mynard, un des suppôts de ceux de Guise, retournant du Palais sur sa mule et se trouvant près de sa maison en la rue Vieille-du-Temple, fut occis d'un coup de pistolet sans qu'on pût découvrir quel était l'agresseur[23]. Un autre agent des Guise, Julien Fermé, employé aux procédures contre les calvinistes, fut également tué aux environs de Chambord lorsque s'y transporta la Cour. Anne du Bourg n'en fut pas moins brûlé en place de Grève, le 23 décembre, après avoir été pendu et étranglé sans sentir le feu, cette grâce lui ayant été faite par ses juges[24], et de nouvelles ordonnances préparées par le chancelier Olivier furent rendues contre les luthériens. Il y était dit que toutes personnes qui feraient conventicules et assemblées illicites pour le fait de religion ou autre cause, et ceux qui s'y trouveraient seraient punis du supplice de mort, sans aucune modération de peine et les maisons rasées et démolies sans jamais pouvoir être rebâties. Ceux qui avaient connaissance de ces assemblées devaient les révéler à la justice. On promettait cent écus au dénonciateur, même s'il était coupable, avec le pardon de la faute. — Cependant, les assemblées calvinistes se multipliaient, surtout dans le faubourg Saint-Germain, qu'on appelait la petite Genève, si bien qu'avec les ordonnances nouvelles et les rigueurs portées sur les religionnaires, on ne pouvait aller par Paris sans passer à travers gens de pied et de cheval armés à blanc qui tracassaient çà et là, menant prisonniers hommes et femmes, petits enfants et gens de toutes qualités. Les rues étaient pleines de charrettes chargées de meubles qu'on ne pouvait passer, les maisons étant abandonnées comme au pillage, en sorte qu'on eût pensé être en une ville prise par droit de guerre. Mais ce qui était le plus à déplorer, c'était de voir de pauvres petits enfants qui demeuraient sur le carreau, criant à la faim, et allant par les rues, mendiant, sans qu'aucun osât les retirer. Pour exciter encore le peuple de Paris, ajoute Régnier de La Planche qui devait s'étendre avec complaisance sur ces scènes de tristesse, il y avait gens par tous les carrefours, ressemblant à moines crottés, qui disaient que les hérétiques s'assemblaient pour manger les petits enfants et pour parpailler la nuit à chandelles éteintes après avoir mangé le cochon au lieu de l'agneau pascal et commis ensemble une infinité d'incestes et ordures infâmes. Les légendes du moyen âge contre les juifs étaient renouvelées et l'on montrait les huguenots se livrant à de sanglantes libations ; ou bien brûlant Paris et ouvrant les prisons pour en faire sortir tous les malfaiteurs auxquels ils abandonnaient le pillage de la ville. Aussi, outre la façon accoutumée d'accabler ceux qui ne s'agenouillaient pas devant les prêtres portant l'hostie ou Corpus Domini, on avait érigé par tous les coins des rues des images de la Vierge Marie, et s'il se rencontrait quelque passant qui n'ôtât le bonnet, soudain était-il assailli par certains hommes qui étaient aux aguets dans les maisons prochaines. Des boîtes et espargnemailles étaient également placées dans les rues, où il fallait mettre de l'argent pour les cierges et luminaires ; on quêtait de porte en porte, pour chanter messes à ces nouvelles images et frayer aux procès des luthériens, et si quelqu'un refusait ou ne ployait pas les genoux avec assez de révérence, il se trouvait assommé de coups et traîné par les boues en prison. Les geôles même regorgèrent à tel point qu'on fut obligé de supposer une sorte de conjuration pour vider le Châtelet et envoyer les hérétiques au supplice ; et furent défendus les pistoles ou bâtons à feu, les longs manteaux et chausses trop larges, d'autant que là-dessous se pouvaient aisément Cacher des armes, et disait-on qu'un nécromancien avait pronostiqué à Rome, au cardinal de Lorraine, qu'il serait tué d'un bâton à feu par l'envie qu'on lui porterait, et pour les ennemis qu'il se ferait en France[25]. Le cardinal, depuis qu'il avait pris la responsabilité des mesures terribles édictées contre les protestants, avait été, du reste, envahi par une singulière terreur. Il voyait partout des conspirations, l'opposition au gouvernement des Guise, des projets d'assassinat ; il devenait inquiet et tracassier. Le courage, aussi bien, ne semble pas avoir été sa qualité dominante ; il était poltron de nature, dit Brantôme, et se donnait le ridicule de la crainte à une époque et dans une famille où chacun était brave jusqu'à la témérité. — Singulière figure que celle de ce prélat, astucieux, d'une ambition tenace, d'esprit prompt et subtil, théologien exercé et habile diplomate, mais turbulent, insatiable et fourbe, orgueilleux et même insolent dans la prospérité, couard à la moindre alerte[26], grand juge et persécuteur des hérésiarques et au demeurant d'une foi plutôt tiède, aussi libre dans ses opinions et ses mœurs que son oncle le cardinal Jean[27], et dont les projets gigantesques se perdaient à la fin dans des petites intrigues de Cour. — Les Guise, qui rêvaient toujours de conquêtes, avaient ensuite commis une lourde faute. Ils avaient fait prendre à François II, nous l'avons vu, les titres de roi d'Ecosse et d'Angleterre, comme époux de Marie Stuart, et soutenaient leur sœur Marie de Lorraine, veuve du roi Jacques V, dans sa lutte contre les révoltés du royaume. C'était pousser Elisabeth, qui s'y trouvait déjà disposée comme protestante, et l'Angleterre, notre séculaire ennemie, qui n'oubliait point la perte de Calais, à favoriser en France les mécontents et les huguenots. L'opposition peu à peu se dessinait. La paix conclue avec Philippe II avait encore grandi l'influence des Guise dans le parti catholique, mais la jalousie de leur fortune portait du côté calviniste une multitude de gentilshommes qui voyaient avec envie s'affermir leur autorité. Malgré tout ce qu'on a pu dire, leur grande idée politique était de marcher désormais d'accord avec l'Espagne, en dépit des ambitions de Philippe II, des défiances et des haines que soixante années de guerres avaient accumulées entre les deux pays[28]. Seule, peut-être, il faut le répéter, dans la nouvelle orientation, le groupement des races qui allait se, dessiner avec l'expansion du protestantisme, l'entente sincère des deux Etats eût pu contrebalancer le mouvement d'opposition à l'idée catholique dont l'Angleterre devait se faire la directrice et tirer de si nombreux avantages. — Le gouvernement des Guise, en tout cas, put de suite mesurer quelle était la puissance protestante et entrevoir quelle formidable lutte le pouvoir royal allait avoir à soutenir contre les sectaires. — Le prince de Condé, revenu de sa mission de Flandre, s'était rencontré à Vendôme (août 1559) avec le roi de Navarre, enfin décidé à se rapprocher de la Cour, l'amiral Coligny, d'Andelot, le cardinal de Châtillon, le vidame de Chartres, les comtes de La Rochefoucauld et de Porcien[29]. On avait agité la question d'une prise d'armes, le parti se sentant déjà assez fort pour se mettre en ligne ; mais Coligny, prudent et dissimulé, s'il était prêt à combattre les Guise, était encore attaché à la famille royale et devant les risques de l'entreprise préférait d'autres moyens. Il fit comprendre que le roi de Navarre, comme prince du sang, devait d'abord se présenter au Roi, revendiquer le droit de l'appuyer de ses conseils et participer à la direction des affaires de l'Etat, — en fait soutenir la cause de la religion. C'était l'avis des ministres, qui vinrent à sa rencontre de Paris, d'Orléans et de Tours, car il était à présumer, dit La Planche, que sans sa participation, les autres princes du sang n'entreprendraient rien. Il semblait un chef naturellement désigné pour la noblesse qui l'aimait à cause de sa bravoure et bien qu'il fût peu entreprenant et capitaine médiocre. Ses manières ouvertes, à la française, dit Michieli, sa libéralité quoiqu'il fût pauvre, lui valaient une certaine popularité, toutefois qu'on le sût faible et versatile, caractère sans grandeur en somme, et d'opinions flottantes sur toutes choses[30]. — Mais les Guise, également, le connaissaient trop pour le craindre. Par surcroît de précautions et d'accord avec Catherine, ils avaient acheté ses conseillers habituels, d'Escars, évêque de Mende, Boucard, chancelier de Béarn, et inspiré au jeune Roi une aversion profonde pour ses cousins de la branche cadette. Avant même la mort de Henri II, François de Lorraine avait introduit dans Paris quelques centaines de ses gentilshommes. Il en avait placé un certain nombre dans la garde-robe du Dauphin, au palais des Tournelles, et lui avait fait croire qu'il n'était en sûreté que par ces mesures de protection. Depuis que le connétable de Bourbon, sous François Ier, avait mis son épée au service de Charles-Quint, les princes de sa famille demeuraient suspects au pouvoir monarchique. On n'eut aucune peine ainsi à persuader au pusillanime François II qu'il devait se méfier du roi de Navarre aussi bien que du prince de Condé, capables de tout, même d'un assassinat, pour se rapprocher du trône, si bien que lorsque Antoine de Bourbon arriva à Saint-Germain, sa réception manqua d'enthousiasme. Il trouva son logis si peu préparé, dit Régnier de La Planche, que ses coffres étaient en pleine cour sans qu'on sût où les ranger ; le Roi avait été emmené à la chasse d'autre part et aucun des princes n'alla au-devant de lui[31]. François II, quand il le reçut, après trois ou quatre jours, lui tint le même ou semblable propos qu'au connétable et lui déclara qu'il avait remis le maniement de ses affaires à ses oncles, le cardinal et le duc de Guise, en sorte que qui voudrait lui plaire, il fallait leur obéir en tout comme à lui-même. Il entendait, au reste, qu'il eût les mêmes pensions et états qu'il avait du vivant du Roi son père, le priant de s'y porter comme il avait toujours fait ; quand il viendrait à la Cour, il serait toujours le bienvenu. — Antoine de Bourbon, éconduit de la sorte, se trouva perplexe ; plusieurs des siens, le voyant si indécis, pensèrent que la partie était mal engagée, et d'aucuns même se retirèrent. Au dehors, les mécontents demandaient une convocation des Etats Généraux, et les calvinistes spécialement insistaient pour lui faire promettre qu'une fois le maître, il changerait la religion comme avaient fait les rois du Nord, plusieurs princes de l'Empire, les six cantons principaux des Suisses, les trois ligues des Grisons, et la république de Genève[32]. Il attendait Coligny et le connétable ; mais quand ces seigneurs eurent entendu comme il s'était porté mollement aux moindres choses, craignant qu'il ne fît de même aux plus grandes et principales, ils ne s'avancèrent d'aller à la Cour. A Paris, enfin, où il se rendit secrètement avec Condé par les maisons des conseillers et présidents du Parlement, il trouva les uns froids et mal disposés, les autres contraires ou pleins d'excuses si bien qu'il se proposa de tout laisser. On le, conduisit au sacre de Reims, faisant la cour à ceux de Guise, et quand il fut admis au conseil, ce fut pour apprendre que, soutenus par Catherine de Médicis, ils demanderaient au besoin l'aide de Philippe II[33]. Peu convaincu déjà de la nécessité de son rôle, il craignit un coup de main sur ses Etats, le roi d'Espagne étant aussi enclin à dépouiller le roi de Navarre qu'à s'attaquer aux huguenots, et préférant se rapprocher accepta de mener à la frontière, avec son frère le cardinal et le prince de La Roche-sur-Yon, la princesse Elisabeth qui allait partir pour rejoindre son mari. Il quitta Blois le 18 novembre, remit la petite Reine aux envoyés de Philippe II et rentra en Béarn. Les calvinistes avaient, entre temps, essayé de s'entendre avec la Reine mère, qui avait paru, du vivant de Henri II et par haine de Diane de Poitiers, manifester quelque tendresse pour la Réforme. Catherine se trouvait avoir encore une rivale d'influence dans sa belle-fille Marie Stuart, qui faisait tout pour l'écarter et la traitait avec un tel mépris qu'elle alla jusqu'à lui dire qu'elle ne serait jamais qu'une fille dès marchands de Florence. Après s'être alliée aux Guise pour se débarrasser des Bourbon et du connétable, elle n'eût pas été fâchée de leur tenir la bride avec le parti huguenot, selon cette diplomatie de bascule et de contre-influence qui devait être, au fond, toute sa politique. Les ministres protestants cherchaient de même à lui inspirer des craintes, lui représentant qu'ils ne pouvaient répondre des leurs si la persécution continuait. Elle parut alors s'attendrir sur les martyrs de la cause, et, dit naïvement Régnier de La Planche, quand elle considérait ces pauvres gens être ainsi cruellement meurtris, brûlés et tourmentés, non pour larcin, volerie ou brigandages, mais simplement pour maintenir leurs opinions, et pour elles aller à la mort comme aux noces, elle était émue à croire qu'il y avait quelque chose qui outrepassait la raison naturelle[34]. — On fit intervenir enfin Coligny, dont le caractère froid, retenu, parfois des affectations de rudesse et de franchise ne lui déplaisaient nullement[35] et qui se rendit près d'elle à Villers-Cotterêts, avec sa sœur la comtesse de Roye, belle-mère de Condé et fervente calviniste, une des privées amies de la Reine. On obtint que Catherine entendrait un des docteurs de la religion, le prédicateur Laroche-Chandieu[36] ; mais l'affaire manqua. La Reine mère jugea inutile de se compromettre ; elle se contenta de laisser espérer aux réformés que s'ils se tenaient en repos ils auraient la tolérance de leur culte, et se garda de répondre à leurs avances ou de céder à leurs menaces[37]. Cependant, le Roi, promené de
côté et d'autre par ses oncles, à Saint-Germain, à Reims, à Villers-Cotterêts,
commença de croître à vue d'œil, en sorte qu'en peu de temps, d'enfant il se
montra homme fait ; ce qui leur vint grandement à plaisir, estimant qu'on le
jugerait plus capable de pouvoir administrer son royaume et par là le
manieraient à souhait. Mais François II était de sang malsain ; dès son enfance, il avait montré de grandes indispositions
pour n'avoir ni craché ni mouché, sorti d'une longue fièvre quarte et
gardait un visage blafard et bouffi. Il tira de ce
moment sur la haute couleur, comme aussi se formait une corruption en l'une
de ses oreilles, qui faisait l'office du nez, lequel il avait fort camus[38]. Toutes ces choses donnèrent grand pensement et crainte à
la Reine, sa mère, en sorte que les médecins les plus suffisants furent
assemblés à Fontainebleau, qui conseillèrent de lui faire passer l'hiver à
Blois. L'air y était meilleur et le plus
gracieux du royaume et le dit seigneur y avait été nourri dès le berceau ; là
aussi on pourrait lui appliquer certains médicaments précieux, en attendant
qu'à la primevère on lui préparât des bains aromatiques et propres à sa
maladie[39].
— La Cour ainsi se transporta à Blois (novembre
1559) et tandis que se poursuivaient, à Paris surtout, le procès et le
supplice des hérétiques, s'installa pour la mauvaise saison dans ce délicieux
pays de la Loire qui demeure, aujourd'hui encore, la terre des Valois, le
jardin délicieux où s'échelonnent les châteaux de fées qu'éleva leur goût si
sûr et où se révèle le génie délicat des artistes de la Renaissance. La
cabale des mécontents et des calvinistes devait bientôt l'y troubler. — Déçus
avec Antoine de Bourbon, les huguenots s'étaient tournés vers son frère, le
prince de Condé, ambitieux et sans fortune, tenu à l'écart durant les deux
derniers règnes et qui se dépitait de voir les princes de Lorraine prendre le lieu des princes du sang, les éloigner de la
Cour et continuer avec François II la suspicion dont il avait été l'objet du
vivant de son père. La prise d'armes, qui hantait depuis si longtemps déjà
les religionnaires, était, il est vrai, blâmée par Calvin, qui recommandait
plutôt la résignation et assurait aux siens le triomphe par la confession de
leur foi, même devant le martyre[40]. Mais nous
savons ce que pouvaient valoir les homélies de l'âpre polémiste de Genève.
Non seulement la résistance, après la propagande, mais la conquête étaient
dans les idées du protestantisme. Les ministres s'adressèrent aux jurisconsultes et gens de renom de France et
d'Allemagne, et la réponse, comme il fallait s'y attendre, fut que l'on se pouvait légitimement opposer au gouvernement
usurpé par ceux de Guise et prendre les armes au besoin pour repousser leurs
violences pourvu que les princes du sang, qui sont nés en tel cas légitimes
magistrats, ou l'un d'eux, le voulût entreprendre[41]. Désigné de la
sorte, Condé accepta, au moins secrètement, de prendre la direction du
complot[42].
Ce fut chez lui, au château de La Ferté-sous-Jouarre, que se réunirent les
chefs principaux des conjurés. — Coligny, si nous acceptons le récit de M. L.
Delaborde, aurait été opposé à la prise d'armes et même aurait ignoré
l'organisation définitive du complot. On nous le montre ici comme un
véritable apôtre de la liberté de conscience, s'appliquant aussi bien aux
catholiques qu'aux huguenots et, dit son panégyriste, on le vit dans ses entretiens et exortations, homme de foi avant tout,
rappelant ce droit à la sainteté de son origine, rompre avec les idées de son
siècle en fait de contrainte matérielle et spirituelle, proclamer les droits
imprescriptibles de la conscience, asseoir exclusivement sur un fondement
chrétien le principe de la liberté religieuse, signaler comme moyen, légitime
de faire prévaloir ce principe, le recours à la seule force morale, et lutter
contre les tendances de certains esprits impatients et aventureux qui,
menaçant de substituer au droit la force, compliqueraient d'éléments mondains
et de passions personnelles la défense d'une cause qui devait en demeurer à
jamais dégagée (!) — Mais
qu'y a-t-il derrière ce verbiage ? M. Delaborde, prodigue de références en
général, néglige de nous dire sur quoi il appuie de telles assertions[43]. — C'est
également à cette époque que l'amiral, selon la tradition calviniste, se
serait ouvertement déclaré huguenot. II était rentré à Châtillon (octobre 1559) où l'était venu rejoindre son
frère Odet, qui, bien que du conseil du Roi, avait quitté la Cour, où il ne figurait guère que pour chercher à utiliser dans
l'intérêt d'autrui, et spécialement du connétable, les bons rapports qu'il
soutenait avec Catherine de Médicis[44]. S'étant trouvé
à un prêche tenu à Vatteville, Coligny se serait converti publiquement, ce qu'ayant été divulgué par toute la France, il est
incroyable de dire la joie et la consolation que toutes les églises en
reçurent[45]. Avec lui, se
prononcèrent ses domestiques et amis, de grands seigneurs et des
gentilshommes comme Soubise, Rohan, Antoine de Croy, Briquemaut, La Noue, les
dames de Soubise, de Crussol et de Montpensier, et Coligny ayant pris de la
sorte une pieuse et ferme attitude, en peu de mois,
la face de sa maison parut tout autre. Charlotte de Laval, dame des plus chrétiennes et vertueuses qui aient été de
son temps avait de suite adopté les idées de son mari, toutefois qu'il l'eût avertie des dangers que comportait l'adhésion
au protestantisme ; il mit gens de bien pour
gouverner et instruire ses enfants et dès lors ses biographes ne
tarissent plus sur le caractère édifiant de sa vie domestique. Son attitude
définitive était prise[46]. Il y avait longtemps, à la vérité, qu'il savait ce qu'il voulait faire. Considéré d'abord comme un des principaux chefs des calvinistes en France, il tendra de plus en plus à en rester le seul, et porté par les circonstances se verra un moment à la tête de tout le parti. — Dès le milieu de 1561, il s'attache, à titre d'aumônier, le ministre J. Raimond Merlin, qui l'assistera encore dans la catastrophe de 1572. Les écrits protestants nous ont conservé, d'ailleurs, des détails édifiants sur sa vie privée dès cette époque : Il ne dormait guère que sept heures, et sitôt levé, en robe de chambre, faisait la prière avec les assistants, en la forme accoutumée aux églises de France, après laquelle, en attendant l'heure du prêche qui se faisait de deux jours l'un avec le chant des psaumes, il donnait audience aux députés des églises qui lui étaient envoyés et employait le temps aux affaires publiques dont il continuait encore un peu à traiter après le prêche jusqu'à l'heure du diner, où l'on priait debout et chantait un psaume[47]. Au souper, les mêmes occupations revenaient ; on priait beaucoup chez Coligny, ce qui fut imité ensuite dans nombre de maisons protestantes ; il exhortait ensuite les siens et ses domestiques au moment de la Cène, se répandait en charités, secours, soins aux pauvres et aux malades ; bref c'est un Coligny tout rose que nous montre le panégyriste Hotman et qui change un peu du condottiere, du chef de bandes que nous rencontrons ailleurs. Nombre de ces détails sont empruntés encore aux Mémoires de Cornaton, un de ses fidèles serviteurs, qui le représente comme un homme des temps antiques, rempli de piété, possédant les qualités les plus élevées, sévère pour lui-même et indulgent pour les autres. Mais c'était surtout un caractère hautain et impérieux, un esprit froid et positif tout disposé à adopter les doctrines de Genève. — On a beaucoup ergoté sur l'abjuration de Coligny, et cependant, si l'on a bien suivi l'évolution de ce caractère, on doit comprendre qu'elle était indiquée. Ses intérêts étaient d'accord avec ses sentiments. A la Cour, chez les catholiques, la place qu'il pouvait ambitionner, avec l'honneur, la gloire, la popularité, le commandement, était prise par le duc de Guise et la maison de Lorraine. Les protestants, au contraire, avaient besoin d'un chef, et il n'ignorait nullement quelle force leur groupement allait constituer[48]. Le saint homme, chez lui, était fait d'une bonne part de calcul. S'il avait de, sincères convictions, s'il voyait dans le calvinisme une réforme nécessaire, et au triomphe de laquelle il devait se consacrer, il haïssait les Guise et jalousait leur puissance' avec ses frères il lutta contre leur prééminence et un moment espéra les rejeter en Lorraine. Il fut ainsi le véritable chef des huguenots, à côté de Condé, chef surtout des, mécontents, que l'on commençait à désigner sous le même, nom, sauf à distinguer les huguenots de religion et les huguenots d'Etat[49]. — Remuant et brouillon, en effet, Condé était peu capable de conviction sérieuse ; et les réformés n'avaient guère de doute à cet égard ; il ne vit jamais dans son association à leur fortune qu'une circonstance favorable à ses convoitises, un moyen de se faire donner la place qu'il se croyait due et ce ne sont guère quo les protestants modernes qui ont osé montrer en lui un huguenot sincère et intrépide[50]. Il est resté de lui un portrait en raccourci et qui le peint net en trois lignes : Le peuple disait que c'était un joli petit homme qui riait et causait toujours et baisait toujours sa mignonne[51]. De courte taille, les épaules larges et hautes, — quasi bossu ? — le petit homme était du reste séduisant, montait hardiment à cheval, maniait la dague et l'épée avec adresse, se montrait spirituel et galant, — car il aimait autant la femme d'autrui que la sienne propre — en dépit même et au grand chagrin de ses amis calvinistes. Malgré ses défaillances et ses fautes, c'est peut-être la seule figure un peu attachante et au geste héroïque de l'équipée huguenote, et son courage, sa valeur militaire méritaient une meilleure cause. — Les ministres, après les premiers pourparlers, avaient du reste très bien compris qu'ils ne l'entraîneraient, et avec lui les autres princes de Bourbon, que lorsqu'ils auraient engagé la lutte. Exaspérés par les édits du cardinal de Lorraine, et par la cruauté avec laquelle on traitait à Paris leurs coreligionnaires, ils avaient commencé par une guerre de plume, lançant contre le gouvernement de multiples écrits, libelles, dont l'énergie ou plutôt la virulence était un des principaux éléments de succès. — Le sang des justes crie, disait La Planche, et Dieu se sert des persécuteurs comme de soufflets pour attiser le feu de sa parole[52]. Ils dénonçaient la tyrannie des Guise, leurs mesures arbitraires, la corruption de la Cour, la dilapidation des finances et par-dessus tout, l'illégitimité des pouvoirs usurpés suivant eux par les princes lorrains. Ils soutenaient que, comme étrangers, ils étaient incapables d'exercer aucune autorité en France, surtout au détriment des princes français ; que le Roi était mineur de fait ; qu'une tutelle était nécessaire et que les États Généraux pouvaient seuls la lui donner. Enfin, ils accusaient les Guise de vouloir s'emparer du trône pour y placer un jour un des leurs, et d'avoir résolu dans cette intention la mort des princes du sang ainsi que l'extermination des hérétiques[53]. — Ayant donc levé nombre de leurs adhérents par toute la France et reconnu leur force et fait leurs enrôlements, ils conclurent qu'il fallait se défaire du cardinal de Lorraine et du duc de Guise[54]. — C'était le but immédiat du coup de main qui fut alors tenté, malgré les affirmations intéressées des Lorrains pour justifier la répression, que les conjurés s'étaient attaqués en même temps au Roi, à la Reine mère et à la famille royale[55]. Ils ne craignaient point la nullité de François II, près duquel ils ne voulaient que remplacer le gouvernement catholique, et ignoraient encore Catherine, restée indécise entre les deux factions. Ils entreprirent de supprimer les Guise parce qu'ils gênaient l'expansion du protestantisme, et si le cardinal et François de Lorraine le firent rudement, on ne peut les blâmer de s'être défendus. — Mais le mouvement d'opposition contre eux, nous l'avons indiqué plus haut, n'entraînait pas que les calvinistes. La reine d'Angleterre entretenait avec habileté le mécontentement des capitaines rendus à l'oisiveté et réduits à la misère par la paix de l'année précédente ; son ambassadeur, Trockmorton, lui écrivait : C'est le moment de distribuer de l'argent et il n'aura jamais été mieux dépensé[56]. A ses frais, arrivaient à Blois quantité de ces chefs de bandes qui quémandaient humblement des secours aussi bien qu'ils réclamaient avec véhémence le prix de leurs services. Le cardinal de Lorraine fut pris de peur à l'idée d'une révolte militaire et fit signer au Roi un édit qui interdisait sous peine de mort toute sollicitation[57], — mesure maladroite autant qu'inutile et dont le duc de Guise ne put atténuer le mauvais effet en réunissant autour de lui ses anciens compagnons d'armes, leur faisant très bonne chère jusqu'aux plus petits, leur conseillant de se retirer et promettant de s'occuper lui-même de leurs revendications. Ils étaient trop, en effet. Déguenillés, faméliques, querelleurs, ils encombraient les abords de la ville, erraient dans la forêt, prenant des attitudes si menaçantes que les gardes écossais reçurent l'ordre de porter des cottes de mailles et furent armés de pistolets. Le cardinal de Lorraine décida de gagner Amboise, plus facile à défendre contre un coup de main, et la Cour descendit la Loire au milieu de galanteries et de fêtes où l'on cherchait à oublier la préoccupation du moment (5-23 février). — Les mécontents, d'ailleurs, la suivaient. Les calvinistes avaient placé à leur tête un gentilhomme du Périgord, Godefroy de Barri, seigneur de La Renaudie, condamné à Dijon comme faussaire et réfugié à Genève où il s'était fait huguenot. Il avait ensuite parcouru l'Allemagne et les Pays-Bas, et rentré en France sous le nom de La Forêt s'était occupé activement du complot déjà en préparation pour renverser les Guise. C'était un homme énergique, résolu, doué d'une certaine éloquence, bien qu'il fût d'esprit assez inculte, au reste d'une probité douteuse, de l'aveu même des historiens protestants[58], et de mœurs plutôt dissolues. Mais on ne fait pas les révolutions avec d'honnêtes gens. — Accepté par Condé, La Renaudie s'était rendu en Angleterre où Elisabeth l'avait assuré de ses intentions favorables, et les conjurés se réunirent à Nantes dans les premiers jours de février 1560. Ils devaient marcher par petites troupes et prirent rendez-vous pour le 6 mars au village de la Fredon-Mère, dans le Blaisois. Trente capitaines élus devaient se répartir environ cinq cents cavaliers et mille hommes de pied. Le 10, ils devaient se porter sur Blois, précédés d'une foule sans armes, qui se bornerait à demander la liberté de conscience et le droit d'entendre dans les temples la parole de Dieu. Un refus étant à prévoir, La Renaudie accourrait avec les siens, désarmerait les postes, s'emparerait du duc de Guise et du cardinal qui pourraient être tués en cas de résistance. Alors, le chef muet, le prince de Condé, serait nommé lieutenant général du royaume, et si les Guise étaient encore vivants, ils seraient livrés à la justice. On convoquerait ensuite les Etats Généraux. — Mais l'affaire s'ébruita malgré les précautions prises ; des bruits de conspiration, de prise d'armes arrivèrent de Suisse, de Flandre, d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, et furent confirmés tout à coup par la dénonciation d'un avocat huguenot, Pierre des Avenelles, dont la maison avait servi aux conciliabules de La Renaudie, venu à Paris pour se concerter avec les ministres, entre autres Chandieu, en relations suivies avec Calvin et de Bèze. Des Avenelles fut épouvanté des conséquences que pouvait avoir ce coup de force et prévint les Guise. — Le cardinal de Lorraine était atterré. Le petit roi François II sanglotait en criant : Qu'ai-je donc fait à mon peuple pour qu'il me veuille tant de mal ? On discuta vingt projets et Catherine pensa surtout habile de faire venir à la cour les Châtillon, Coligny au moins, par lequel elle espérait apaiser tout, et découvrir ce qui se faisait et à qui on en voulait[59]. On ignorait en somme quels étaient les chefs réels de l'entreprise et l'on soupçonnait Condé autant que les Châtillon. Il était prudent de s'assurer de l'amiral, à qui furent écrites des lettres très affectionnées et qui ne put faire autrement que de se rendre à l'invitation[60]. A son arrivée, il eut un entretien avec les Guise, mais qui lui parlèrent uniquement des affaires d'Ecosse, l'invitant à prendre comme amiral diverses mesures afin de parer à des actes d'hostilité que préparait l'Angleterre. Le Roi avait décidé d'envoyer un secours que quatorze ou quinze vaisseaux, placés par Elisabeth sur le Pas-d'Écosse, devaient intercepter et il fut alors question de mettre en mer vingt-quatre navires et dix mille hommes de troupes[61]. Pas un mot ne fut dit au sujet de la conspiration ; mais Coligny eut ensuite une longue conversation avec Catherine de Médicis ; la Reine mère l'appela à part avec le chancelier et le cardinal de Châtillon, lui faisant une infinité de prières de lui donner conseil et de n'abandonner le Roi, son fils. L'occasion devait sourire à l'amiral, médiocre politique et qui se croyait des plus fins, lequel représenta avec de grandes remontrances le mécontentement de tous, non seulement pour le fait de la religion, mais aussi pour les affaires politiques, et que l'on avait mal à gré que les affaires du royaume fussent maniées par gens qu'on tenait comme étrangers, en éloignant les princes et autres qui avaient bien desservi ; son avis fut qu'on donnât relâche à ceux de la religion, le nombre desquels était tellement accru qu'il n'était plus question d'y aller par force pour les penser exterminer. Finalement il dit qu'il était très nécessaire de non seulement faire expédier un bon édit en termes clairs, et que chacun pût vivre en repos en attendant un saint et libre concile où chacun serait ouï et entendu en ses raisons. — Catherine était toujours pour la temporisation, gagner du temps. Le chancelier Olivier, le conseil privé du Roi, se rangèrent à l'opinion qui semblait tout concilier et les Guise, habilement, firent signer l'édit à Coligny lui-même qui se trouvait au conseil et n'osa refuser[62]. C'était diviser leurs adversaires, car le cardinal de Lorraine y avait fait introduire certaines restrictions qui en somme le rendaient à peu près nul. Il était ainsi renoncé aux poursuites, mais à condition que les sectaires vivraient dorénavant comme bons catholiques, fidèles et obéissants fils de l'Eglise ; les prédicants étaient exceptés et les conspirateurs d'Etat. Les Guise firent en sorte d'ailleurs que cet édit ne fût enregistré que sous réserves et aucuns conseillers purent dire que c'était un attrape-minault. Ils obtinrent en même temps des lettres patentes leur donnant plein pouvoir en matière de répression. François de Lorraine avait déjà pris des mesures énergiques et réuni trois mille gentilshommes avec le duc de Nemours, Saint-André, Sipierre, ses vieux chefs de bandes des guerres de Henri II. La nuit même, il se relevait pour visiter les postes, surveillait la défense qu'il avait organisée avec son habileté coutumière. La cour transportée à Amboise, il avait fallu retarder l'exécution du complot, le reporter au 17 mars. Condé, prévenu, avait alors payé d'audace et s'était rendu près du Roi, où son attitude fut si calme qu'on ne sut d'abord quel parti prendre et qu'on lui confia le soin de défendre la porte des Bons-Hommes, le due de Guise se bornant à placer près de lui son frère le grand prieur et quelques partisans dévoués. La Renaudie avait bien appris la présence de l'amiral à Amboise et sa signature donnée au nouvel édit ; mais beaucoup disaient qu'avec le prince de Condé il devait favoriser les huguenots au moment où ils pénétreraient dans la ville. Il était du reste trop tard pour reculer ; par petites bandes, par groupes selon les instructions reçues, arrivaient les conjurés. Ceux qu'il put avertir, La Renaudie leur donna rendez-vous au château de Carrelière, à trois lieues d'Amboise. Le capitaine Ferrière Maligni devait se glisser la nuit avec soixante gentilshommes dans la ville, s'emparer d'une porte et l'ouvrir à ceux du dehors ; un autre, avec trente conjurés, devait s'assurer du château. Le baron de Castelnau de Chalosse, les capitaines Raunay et Mazères avaient à occuper le château de Noisay où La Renaudie coucherait le 16 mars et ensuite se porterait sur Amboise. Mais ce plan déjà bien hasardeux — au moins si nous nous en rapportons à ce que donnent les récits contemporains — devenait absurde par le fait que les Guise se tenaient sur leurs gardes et n'attendaient pour agir qu'un commencement d'exécution. Il ne servit qu'à précipiter le désastre. La porte qui devait être surprise avait été murée, les gardes changés, et les assaillants furent repoussés avec fureur. Les troupes royales battaient les bois avec ordre de saisir tous ceux qui se dirigeaient sur Amboise. A mesure que se présentaient mécontents ou calvinistes, les armes sous les manteaux pour ne pas attirer l'attention, on les assaillait à coups de piques. La plupart étaient de pauvres gens engagés dans une affaire dont ils n'avaient jamais prévu les conséquences et très étonnés de la mésaventure. Ils se laissaient prendre comme des moutons ; on les menait à Amboise, par dix, quinze ou vingt, attachés à la .queue des chevaux, et on les pendait aux créneaux des remparts, bottés et éperonnés, sans même leur demander leurs noms. Ceux qui étaient le mieux équipés étaient tués de suite ; on les jetait dans les fossés pour avoir leurs dépouilles. Surpris à Noisay par le duc de Nemours, Castelnau parlementa[63], accepta d'être conduit devant François II avec quinze des siens, les mieux parlants. Ils furent logés dans les cachots et mis à la torture ; le chancelier Olivier déclara au duc de Nemours qu'un Roi n'était nullement tenu de sa parole à son sujet rebelle, et Castelnau, que l'amiral et d'Andelot, paraît-il, s'efforcèrent inutilement de sauver, fut décapité avec Villemongis, théologien et soldat, d'autres pendus aux fenêtres du château, trois ou quatre roués. La Renaudie, rejoint dans la forêt de Château-Renard par une compagnie de gens d'armes que commandait Pardaillan, un de ses cousins, fut tué d'un coup d'arquebuse, son corps rapporté à Amboise et pendu sur le pont avec cet écriteau : La Renaudie, dit Laforest, chef des rebelles. Mais le 18 mars, il y eut encore une tentative désespérée des capitaines Chandieu, Cocqueville, La Mothe et Deschamps sur la porto des Bons-Hommes, qu'ils attaquèrent à la fois du dehors et du dedans où ils s'étaient introduits. L'artillerie du château les cribla de boulets et, leur troupe défaite, certains furent brûlés avec les maisons où ils avaient cherché refuge. Les gens d'armes du Roi continuaient à ramener dans le traquenard d'Amboise les bandes de conjurés et les exécutions se poursuivirent sans répit, car le cardinal de Lorraine avait eu trop peur pour ne pas être féroce. Plusieurs jours, pendant un mois, dit Régnier de La Planche, furent employés à couper des têtes, à pendre ou noyer[64]. Et de vrai, il s'en trouvait dans la rivière de Loire, tantôt six, huit, dix, douze, quinze, attachés à des perches, qui avaient encore leurs bottes aux jambes, en sorte qu'il ne fut jamais vu telle pitié. Car les rues d'Amboise étaient coulantes de sang, et tapissées de corps morts en tous endroits, si bien qu'on ne pouvait durer par la ville pour la puanteur et infection. Une chose, observait-on à l'endroit de quelques-uns des principaux, c'est qu'on les réservait après le dîner, selon la coutume. Mais ceux de Guise le faisaient expressément pour donner quelque passe-temps aux dames, qu'ils voyaient s'ennuyer si longuement en un lieu. Eux et elles étaient arrangés aux fenêtres du château comme s'il eût été question de voir jouer quelque momerie ; et qui pis est, le Roi et ses jeunes frères comparaissaient à ces spectacles, comme qui les eût voulu acharner et leur étaient les patients montrés par le cardinal de Lorraine avec les signes d'un homme grandement réjoui. — M. Dargaud, dans son Histoire de la liberté religieuse en France, s'étend longuement sur l'affaire d'Amboise et charge encore cette page lugubre. Les rues, dit-il, étaient encombrées de lambeaux de chair humaine, les arbres des avenues et des promenades portaient des hommes comme des fruits. La Loire roulait dans ses flots rouges des prisonniers égorgés et jetés à l'eau. Les murs de la cité et des faubourgs étaient affreusement surmontés de cadavres, les uns décapités, les autres mutilés d'un bras, d'une jambe, ceux-ci nus, ceux-ci revêtus de leurs uniformes (!) Le sang coulait des plaies ouvertes et sillonnait tragiquement les parois jusqu'à terre. Le château lui-même n'avait pas été exempté de ces souillures. On avait détaché de la potence le corps de La Renaudie, on l'avait coupé en quatre quartiers qu'on avait exposés d'abord aux angles du pont, puis aux portes de la ville. Le tronc hideux de ce vaillant homme avait été arboré aux créneaux du château avec les tristes débris de ses compagnons les plus illustres. Chose effroyable ! c'est sous cette couronne de cadavres que le Roi, la Reine, les dames et les seigneurs de la Cour dormaient, mangeaient, buvaient, dansaient et s'abandonnaient à des voluptés assaisonnées d'épouvantes. La musique des fêtes surpassait les cris, les gémissements, les sanglots des victimes que leurs parents, leurs amis n'osaient même pas reconnaître, tant ils craignaient qu'une larme ne provoquât une sentence de mort ! Une odeur infecte, qu'on ne pouvait refouler comme le bruit des poitrines humaines, une odeur putride s'élevait du fleuve, de la grève, des ruelles, des places, des carrefours, etc.[65] — Nous abrégeons cette littérature. Si l'on avait fait des coupes sombres dans la gentilhommerie huguenote, si sottement aventurée, les promoteurs du complot, ses véritables chefs, du reste, n'étaient pas atteints. La Renaudie, Castelnau n'étaient que des comparses. — Toutefois quelques-uns parlèrent, La Bigne, entre autres, secrétaire du prétendu Laforest, appliqué à la question et qui accusa le prince de Condé, sinon Coligny qui s'était prudemment tenu à l'écart[66]. Un des conjurés, Maligny le jeune, allié au prince, s'échappa sur un cheval qui lui fut procuré par son écuyer, nommé de Vaux. Forcé d'assister à l'exécution des siens, Condé n'avait pu s'empêcher de dire qu'il s'ébahissait comme le Roi faisait mourir tant d'honnêtes seigneurs et gentilshommes, attendu que les grands services faits par eux au feu Roi et au royaume, desquels s'étant ainsi privé, il serait bien à craindre que les étrangers voulussent durant ces troubles faire des entreprises. — Les Guise en savaient assez. Il reçut l'ordre de ne pas s'éloigner et ses papiers furent saisis par La Trousse, prévôt de l'hôtel. Condé le prit de haut et, aux insinuations du cardinal de Lorraine, répondit : Ma qualité défend que je me cache, ni que vous interrogiez contre moi. Ce fut enfin le Roi lui-même qui lui parla. en' grande colère et dit qu'il était accusé par ceux que l'on, avait exécutés et autres suffisants témoignages ; qu'il était le chef de la conspiration contre sa personne et son Etat et que s'il était vrai, il l'en ferait bien repentir[67]. Mais cette fois encore il s'en tira par une bravade. Il supplia Sa Majesté d'assembler les princes et son conseil pour faire sa réponse et déclara qu'on avait faussement et malheureusement menti, défiant, le Roi excepté et la famille royale, ceux qui avaient dit qu'il était le chef de la rébellion et' offrant de quitter le degré de prince pour les combattre. Il attaquait ainsi directement le duc de Guise ; mais avec une certaine ironie, François de Lorraine s'écria qu'il ne souffrirait pas qu'un grand prince fût noirci d'un pareil crime et qu'il s'offrait pour être son second[68]. Le cardinal fit un signe à François II, qui leva de suite la séance, et Condé profita du moment pour demander au Roi qu'il lui permît de prendre congé. Il partit le lendemain, mais ulcéré, le cœur plein de haine et déjà méditant une revanche. — L'influence des Châtillon sur Catherine de Médicis qui cherchait de plus en plus à contrebalancer le pouvoir des Guise ; l'intervention du tiers parti, poussaient vers des idées de pacification. Le petit roi François II était peut-être le seul à croire encore que le complot avait été dirigé contre lui. On était las des massacres et la Cour dut quitter Amboise, chassée par les odeurs pestilentielles que dégageaient les morts. Les Guise crurent sage d'attendre avant d'entamer d'autres poursuites. Mais les huguenots décimés gardèrent la rage de leur défaite. Un des leurs, Jean d'Aubigné, traversant avec son fils, pour se rendre à Paris, le pont où grimaçaient encore les têtes des suppliciés, reconnut quelques-uns de ses anciens compagnons. C'était jour de foire et au milieu de six à huit cents personnes, il ne put se retenir : — Ils ont décapité la France, les bourreaux ! s'écria-t-il. Il s'éloigna rapidement ensuite aux huées de la populace et mettant la main sur la tête de son fils : — Mon enfant, il ne faut point épargner ta tête après la mienne pour venger ces chefs pleins d'honneur dont tu viens de voir les têtes. Si tu t'y épargnes, tu auras ma malédiction ! — Cet épisode terrible resta dans la mémoire du jeune garçon, qui n'avait alors que dix ans. Il devint le véhément auteur des Tragiques et de l'Histoire universelle ; le type du huguenot batailleur et le plus furieux des polémistes : Théodore-Agrippa d'Aubigné. |
[1] Coligny aurait alors offert sa démission de gouverneur de Picardie, ne demandant qu'à garder sa charge d'amiral.
[2] DU BOUCHET, Preuves, p. 518.
[3] Calendar of State papers : Throckmorton to Cecil, 30 mai 1559 ; Record Office.
[4] Amédée GOUET, Histoire nationale de France, t. VI.
[5] BRANTÔME.
[6] REGNIER DE LA PLANCHE, De l'Estat de France sous François II. Les sources principales pour le règne de François II, nous devons le rappeler, sont encore aujourd'hui trois auteurs calvinistes : Pierre de la Place, Régnier de la Planche et d'Aubigné qui s'en inspire presque uniquement dans son Histoire universelle. C'est dire une fois pour toutes qu'ils ne rapportent qu'avec partialité ce qui concerne les princes lorrains et en général le parti catholique.
[7] Calendar of state pap. Throckmorton to the Queen, 11 juillet 1559.
[8] Les députés du roi de Navarre avaient été admis aux conférences de Cercamp (12 novembre 1558), mais aucun des plénipotentiaires de Henri II ne les appuya. Cf. GALLAND, Mémoires sur la Navarre, Preuves, p. 72.
[9] L'anecdote est mise en doute par DE THOU et le P. GRIFFET, Preuves de l'Histoire, p. 269, in-12, 1770. Note de M. le baron de Ruble dans son édit. d'Agrippa d'Aubigné.
[10] P. DE LA PLACE, R. DE LA PLANCHE, loc. cit.
[11] Ce départ est attribué à un incident qu'il faut au moins rapporter sous réserves. Le cardinal de Lorraine, sortant de grand matin sous un déguisement de la maison d'une femme dite la Belle Romaine, en la Cousture Sainte-Catherine, avait failli être maltraité par certains ruffians qui cherchent volontiers les chappes cheutes à l'entour de telles proyes. Effrayé des dangers que pouvaient lui faire courir les huguenots dans une ville comme Paris, il s'était concerté avec son frère pour emmener le Roi, la Reine et toute la Cour à Saint-Germain. Catherine, méfiante et ne voulant pas les laisser seuls avec le Roi, rompit le deuil de quarante jours qu'elle devait tenir, selon la coutume, jusqu'aux obsèques de Henri II et les suivit.
[12] Régnier de la Planche place cette scène au Louvre ; cf. DE THOU, t. II, p. 685.
[13] C'est à ce moment que Régnier de la Planche place l'altercation entre Catherine de Médicis et le connétable. Son récit n'indique jamais de date ; il intervertit souvent les faits et il est très difficile de les rétablir dans leur succession véritable. Mais on ne peut admettre que Montmorency ait attendu si longtemps pour connaître les intentions de la Reine mère.
[14] RÉGNIER DE LA PLANCHE, op. cit.
[15] On m'excusera, pour éviter des redites sur quelques détails, de renvoyer à un précédent ouvrage : La Reine Margot et la fin des Valois, où plusieurs pages sont consacrées au personnage complexe de Catherine de Médicis.
[16] TAVANNES.
[17] Plusieurs intrigues ont été données à Catherine et le cardinal de Châtillon aurait été l'un des premiers à la consoler des infidélités du Roi (VARILLAS, Histoire de Charles IX, t. I, p. 2). On a parlé de même d'un cadet de Bourbon, le vidame de Chartres, dont l'histoire du reste est assez obscure ; du duc de Nemours et même d'un petit gentilhomme, Troïlus du Mesgouëz, qui fut créé marquis de la Roche Helgomarche (?) (BRANTÔME, LE LABOUREUR.) Il semble bien qu'il n'y ait là que des potins. Catherine était trop ambitieuse pour se commettre en de telles aventures lorsqu'elle se savait épiée par la vieille favorite, menacée d'être renvoyée à Florence, surveillée par sa belle-fille Marie Stuart, et la suite de sa vie n'autorise aucune de ces suppositions. On lui attribua plus tard pour amant le cardinal de Lorraine sans autre vraisemblance. — Il faut noter pour Varillas que les protestants eux-mêmes l'ont accusé de plagiat et d'infidélité. (Bulletin de la Société du protestantisme, t. II, p. 248-249).
[18] BRANTÔME.
[19] L. BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 494.
[20] Sur la mission de Condé en Flandre, cf. les dépêches de l'ambassadeur de France, 27 et 31 juillet ; 4, 5, 8 et 9 août 1559. Négociations sous François II, dans la collection des Documents inédits, p. 47 à 87 ; DÉSORMAUX, Histoire de la maison de Bourbon, t. III, p. 32. — Par contre, ce fut un simple gentilhomme, le sieur de Montpezac, lieutenant de la compagnie de M. de Guise, que François II envoya à l'empereur Ferdinand pour lui annoncer son accession au trône. Montpezac fut ensuite mis à l'écart, ayant épousé la fille du marquis de Villars et par ce moyen pris l'alliance de Montmorency. (BRANTÔME, t. I, p. 24.)
[21] Mémoires de Michel de Castelnau, liv. I, chap. III.
[22] Le Cardinal et son frère, dit un écrit du temps, se servent du Roi comme d'un personnage sur un échafaud, lui faisant faire, dire et ordonner tout ce que bon leur semble. Or, rien ne leur semble bon, sinon ce qui revient à leur ambition et profit particuliers (Juste complainte des fidèles de France, etc., Avignon, 1560).
[23] Les uns disaient que c'était pour paillardise, d'autant qu'il y était du tout adonné, et qu'il ne craignait de séduire les dames et damoiselles qui avaient des procès devant lui, contraintes de se prostituer à ce taureau bannier si elles ne voulaient perdre leurs causes. Les autres que c'était par quelques désespérés dont il avait vendu le droit, comme il était en réputation de juge du tout inique... D'autres encore maintenaient que c'étaient les luthériens et l'on mit en cause même l'amiral de Coligny. Mais on ne trouva ni le meurtrier ni la cause du meurtre. On finit par accuser un protestant écossais du nom de Stuart et que la Reine dut désavouer quand il se prétendit son parent. Mis à la torture il ne fit aucun aveu et parvint ensuite à s'échapper.
[24] P. DE LA PLACE, DE THOU, R. DE LA PLANCHE, CASTELNAU, Th. DE BÈZE. — Les autres conseillers arrêtés en même temps que du Bourg s'en tirèrent à meilleur compte. Ils ne montrèrent pas sa fermeté et ne furent condamnés qu'à des interdictions temporaires et à des amendes. Le Parlement essaya d'ailleurs de sauver du Bourg, et après le plaidoyer de l'avocat Marillac voulut députer au Roi pour lui faire entendre la conversion du condamné et demander sa grâce. Mais du Bourg protesta contre cette démarche et la sentence fut confirmée.
[25] R. DE LA PLANCHE, D'AUBIGNÉ, CASTELNAU.
[26] Malgré les services qu'il lui rendait, le duc de Guise disait souvent de lui : Cet homme enfin nous perdra. (L'AUBESPINE, Histoire de la cour de Henri II.) Lorsque le président Mynard eut été tué du coup de pistolet dont on accusa le huguenot Stuart, on répandit, dit Brantôme, ce petit pasquin : Garde-toi, Cardinal, que tu ne sois traité à la Minarde, d'une Stuarde ! T. I, p. 326. — Les protestants, heureux de railler leur ennemi, écrivirent dès lors que, de frayeur, souvent ses chausses lui servaient de bassin et son pourpoint de selle percée. Cf. H. ESTIENNE, Apologie.
[27] On le tenait, dit encore Brantôme, pour fort hypocrite en sa religion. Sans s'entourer des novateurs comme son oncle, il y mettait un certain dilettantisme ; il avait affecté d'assister Ramus dans son procès devant le Parlement ; recherchait les beaux esprits, les artistes et les poètes. Son portrait, que conserve l'archevêché de Reims (1547), le montre avec un long visage fatigué, le menton proéminent ; c'est un épicurien spirituel, nerveux, irascible (H. FORNERON, op. cit., p. 87). — Les ambassadeurs étrangers, du reste, le jugent avec plus d'équité que les mémorialistes de l'époque. u Il avait, dit Michieli, un génie admirable, le don de la parole, une mémoire surprenante, une constante application aux affaires ; malgré sa duplicité, c'était un des Plus parfaits instruments dont un gouvernement pût se servir.
[28] C'est cette idée de s'unir à l'Espagne que de Thou, qui représente en somme l'opinion moyenne des libéraux de l'époque, appelle un conseil funeste et honteux.
[29] DE THOU, t. II. DAVILA, Histoire des guerres civiles, t. I.
[30] Il ne s'occupait que de galanterie et de toilette. Antoine de Bourbon n'était pas un homme, il n'était qu'un prince (DARGAUD). Son rêve eût été de reconquérir les terres de Navarre que l'Espagne avait confisquées, et de se faire un Etat brillant dans la Sardaigne, où il aurait passé sa vie sous l'ombrage des orangers et des citronniers, au milieu des bosquets de roses, — île d'amour telle que le bon archevêque Turpin avait décrit les jardins de la fée Morgane.
[31] M. le baron de Ruble a très bien fait remarquer dans son édition d'Agrippa d'Aubigné que le récit de Régnier de la Planche est en contradiction avec une dépêche des ambassadeurs vénitiens Capiello et Michieli (dép. vénit. filza 3, f° 222 ; copies de la Bibl. nat.).
[32] CASTELNAU, Mémoires, liv. I, chap. VII.
[33] Sur les relations des Guise avec Philippe II au commencement du règne, voyez les lettres du duc François et du cardinal de Lorraine, août 1559, aux Archives nationales, K 1492. — Le roi de Navarre et ses amis, écrivait de son côté Catherine, ne veulent rien moins, par la convocation des Etats, que réduire mon fils au rôle de soliveau et moi à la condition d'une chambrière. — Philippe II avait répondu : Madame, j'ai 40.000 soldats tout prêts à défendre le trône du Roi mon beau-frère et à préserver votre autorité. Il écrivit dans le même sens à François II.
[34] Il faut bien remarquer que dans les relations protestantes, il n'est jamais fait allusion aux menées politiques du parti ; c'est toujours l'opinion religieuse, la persécution pour une question de croyance ; à lire les auteurs huguenots, aujourd'hui encore, il semble qu'on se soit trouvé uniquement alors en présence de gens paisibles, d'une honnêteté absolue, dont tout le crime était de se réunir en secret pour prier Dieu à leur façon et sans l'intermédiaire d'un prêtre. Persécutés, traqués, à la fin ils prirent les armes pour se défendre. — La situation cependant était tout autre. Ce qu'organisaient les calvinistes, c'était la révolution et Castelnau le dit nettement : Sous couleur de religion, on voulait renverser l'état politique du royaume. Aux assemblées protestantes, on ne traitait pas seulement de la religion, mais des affaires de l'Etat. (Mémoires, liv. I, chap. V, VI.)
[35] Au sacre de Reims, Catherine s'était servie de Coligny et de son frère, le cardinal de Châtillon, pour persuader à Montmorency de résigner son état de grand maître au duc de Guise. Ce n'était guère qu'une formalité, le duc exerçant les fonctions depuis l'avènement de François II. Le connétable se décida après un premier moment de mauvaise humeur et sur la promesse d'un bâton de maréchal pour son fils aîné, François de Montmorency.
[36] L'amiral la voyant souventes fois en grande détresse, ce semblait par la mort du roi Henri son mari, dit encore Régnier de la Planche, entre autres propos il l'admonestait d'avoir recours à la prière et se consoler en la parole de Dieu où elle trouverait une ferme consolation sans s'amuser à la doctrine des moines et docteurs de l'église romaine ; qu'il lui était nécessaire de communiquer avec quelqu'un des ministres de l'église réformée, et que si elle le trouvait bon, il s'assurait de lui en faire venir un de l'église de Paris qui la contenterait et en aurait autre et meilleure opinion que auparavant. Op. cit., p. 220.
[37] Nombre de protestants doutaient du reste de Catherine ne prenant pas au sérieux ses démonstrations d'amitié pour la religion. Lettre de Pierre Martyr à Calvin, 27 septembre 1560.
[38] RÉGNIER DE LA PLANCHE. — Il avait la face plombée et boutonnée, l'haleine puante, ajoute d'Aubigné, selon un bruit qui courut lors parmi le peuple. La reine Catherine avait eu ses menstrues si tard que son fils était de ceux qu'on appelle mal-nez, ne se purgeant ni par le nez ni par la bouche, laquelle il portait ouverte pour prendre son vent, dont se forma un abcès à l'oreille ; et puis ses coliques fréquentes, marques mortelles à tel âge, ne promettaient de lui aucune durée aux plus avisés. Histoire universelle, t. I, p. 252.
[39] R. DE LA PLANCHE. — Au sujet de ces bains que devait prendre François II, il y eut aussi un bruit, — propagé, disent les calvinistes, par le cardinal de Lorraine qui espérait rendre la famille royale odieuse au peuple (!) — qu'il allait à Blois par contagion et entaché de ladrerie à cause des teintures de son visage. Il fallait le baigner au sang des petits enfants et déjà commission était expédiée à certains personnages d'aller prendre les plus beaux et les plus sains depuis quatre jusqu'à six ans. L'auteur dit encore que quelques médecins faits de la main de ceux de Guise, les avertirent secrètement de pourvoir à leurs affaires, d'autant que le Roi n'était pas pour la faire longue, et davantage qu'ils ne se devaient attendre que la reine leur nièce eut aucuns enfants, s'ils ne venaient d'autres que lui, tant pour les causes susdites que pour ce qu'il avait les parties génératives du tout constipées et empêchées sans faire aucune action ; toutefois, ils pensaient qu'il pourrait encore bien vivre deux ou trois ans, s'il ne lui survenait autre nouvel accident.
[40] Pour ce que j'ai entendu, écrit-il, que plusieurs de vous se délibèrent, si on les vient outrager, de résister plutôt à telle violence que de se laisser brigander, je vous prie, très chers frères, de vous déporter de tels conseils, lesquels ne seront jamais bénits de Dieu (19 avril 1556). On cite également une lettre où il blâme la conjuration d'Amboise. (Lettre à Coligny, 16 avril 1561 ; Correspondance française, t. II, p. 382 ; lettre à Pierre Martyr, 5 des ides de mai 1560 ; Bulletin de la Société de l'Histoire du protestantisme, t. I, p. 250.)
[41] R. DE LA PLANCHE, op. cit., p. 237.
[42] D'Aubigné prétend qu'une convention fut signée où se trouvait même le nom du futur chancelier de L'Hospital, entre ceux de d'Andelot et de Spifame, évêque de Nevers, qui avait adopté la Réforme ; il dit qu'il l'eut entre les mains et la fit voir à plusieurs personnes de marque. (Histoire universelle, liv. II, chap. XVIII.)
[43] Selon une version beaucoup plus vraisemblable, Coligny se serait mêlé très activement à l'organisation du complot. Il en était l'âme et le chef et aux conférences de La Ferté-sous-Jouarre prit la parole et promit les secours de la reine d'Angleterre, exposa à Condé l'organisation des églises, le nombre des réformés, leurs relations avec les luthériens d'Allemagne. Cf. Histoire du prince de Condé, par le duc D'AUMALE, t. I, p. 71.
[44] Bibl. nat., mss. fr. 307, f° 6 ; lettre du cardinal de Châtillon au connétable, 28 octobre 1559.
[45] Fr. HOTMAN, Vie de Coligny, traduction française de 1665.
[46] Par affectation de désintéressement et en fait pour se trouver plus libre dans son nouveau rôle, Coligny avait donné sa démission de gouverneur de Picardie. Sa charge était résignée en faveur du prince de Condé, mais ce fut Brissac qui l'obtint. Une lettre où il annonce sa retraite à de Minières est datée du 21 janvier 1559 (1560 n. s.). (Bibl. nat., mss. fr. 3128, f° 162.)
[47] CORNATON, Mémoires ; HOTMAN, Vie de Coligny ; Bulletin de la Société du protestantisme, t. I. L'usage des psaume et bénédiction avant de se mettre à table fut conservé par Coligny, même à l'armée ; c'était là, en effet, qu'il avait le plus besoin de garder son attitude. — L'amiral du reste était instruit, lisait et écrivait beaucoup, — même le latin qui lui était d'un usage on peut dire familier.
[48] Au témoignage même des protestants, R. de la Planche, d'Aubigné, les conjurés d'Amboise avaient désigné un chef par province pour conduire leurs troupes. C'est la première mention qui est faite de leur organisation militaire, cette machine de guerre formidable avec laquelle ils pensèrent bientôt conquérir le royaume.
[49] DARESTE, Histoire de France ; prince DE CARAMAN-CHIMAY, Gaspard de Coligny. On a beaucoup discuté sur l'origine du mot huguenot, qui paraît dériver de l'allemand eidgenossen, alliés. Le nom ne semble leur avoir été appliqué que depuis la conjuration d'Amboise. On les désignait avant sous les noms d'évangélistes et de christaudins. (Bulletin du protestantisme, t. VI et suivants.)
[50] H. BORDIER et Ed. CHARTON, Histoire de France, t. II, p. 64.
[51] BRANTÔME, t. I, p. 463 ; cf. la Chanson du Petit homme (1563) dans le Chansonnier huguenot, 2e partie, p. 250.
[52] Les plus remarquables de ces pamphlets sont en effet ceux de Régnier de la Planche. Avec le Livre des marchands qui lui fait suite, l'Histoire de l'Estat de France, tard de la république que de la religion sous le règne de François II, n'est d'un bout à l'autre qu'un réquisitoire de haine contre les Guise. On sent que les réformés à ce moment ont eu très peur et qu'ils se sont vengés.
[53] DARESTE, op. cit. — Michel DE CASTELNAU, dans ses Mémoires, a répondu assez justement à ces insinuations : Il n'y a point apparence, de dire, écrit-il, et aussi peu de publier comme on le fit alors, que ceux de Guise voulaient tuer le Roi et usurper l'Etat, vu que le fondement de leur puissance n'avait plus grand appui que la vie du Roi, de leur nièce reine de France et d'Ecosse, de laquelle sur toutes choses ils désiraient voir des enfants et successeurs pour continuer leur crédit ; joint aussi que le Roi avait encore trois frères et dix ou douze princes du sang de Bourbon, auxquels le naturel des Français, tant de l'un que de l'autre parti, n'eût jamais enduré que l'on eût fait tort, et eussent empêché ceux de Guise d'aspirer à la couronne s'ils eussent eu ce désir, bien qu'ils n'en eussent d'autre que de se bien maintenir près du Roi, tenir les premiers rangs et gouverner sous son autorité. (Liv. I, chap. VI.) — Quinze ans plus tard, sans doute, et lorsque fut organisée la Ligue, la situation n'était plus la même et la haine des calvinistes se trouva leur avoir donné assez de clairvoyance pour dénoncer dès le règne de François II les projets des Guise sous le règne d'Henri III.
[54] Michel DE CASTELNAU, Mémoires, liv. I, chap. VII.
[55] Lettre du cardinal de Lorraine, Bristish Museum.
[56] FORBES, Throckmorton to Cecil, 15 mars ;
to the queen, 21 mars.
[57] Le crieur dut publier à son de trompe un bandon ordonnant que tous capitaines, soldats et gens de guerre qui étaient là venus pour demander récompense et argent eussent à vuider sur la vie, et le cardinal de Lorraine fit même planter des gibets pour pendre les plus obstinés des quémandeurs. BRANTÔME, t. I, p. 426.
[58] Cf. l'Histoire de la liberté religieuse en France, de M. DARGAUD, qui en fait une véritable apologie : a Ses vices s'ajoutant à ses grandes qualités, ii ne fut qu'un conjuré admirable ; avec une probité moins douteuse, des mœurs moins dissolues, un honneur moins suspect, il eût été un héros. (T. I, liv. X.)
[59] R. DE LA PLANCHE, op. cit.
[60]
Coligny dut être appelé le 20 ou le 21 février (lettre du cardinal de
Châtillon, 25 février. Bibl. nat., mss. fr. 3157, f° 22). Il était arrivé le 24
(lettre de Coligny, ibid., mss. 20508, f° 147) ; le cardinal de Châtillon se
trouva à la cour le 25 (lettre du cardinal, ibid., mss. 3157, f° 22). D'Andelot
n'arriva que le 15 mars (dépêche de Chantonnay, 16-19 mars. Papiers de
Simancas. B. 11. Ap. MIONET, Journal
des savants, 1857).
[61] Bibl. nat., mss. fr. 20508, f° 147 ; 3157, f° 28. Dans les lettres écrites à cette époque par Coligny et ses frères, il est à peine parlé de la conjuration d'Amboise. Le 26 mars, il dit au connétable qu'après les troubles et exécutions, il est venu nouvelles qu'en Provence, Languedoc, Guyenne et Berry, il y a eu des révoltes ; des émeutes sont encore signalées à Rouen, tellement que nous ne pouvons en attendre rien de bon, si Dieu ne nous conserve et renverse les mauvaises volontés. (Bibl. nat., mss. fr. 20508, f° 150 ; coll. Clérambault, vol. 354, f° 5315.) Cette dernière phrase surtout a semblé décisive à M. Delaborde qui a pensé établir, d'après cette correspondance, que Coligny, n'avait pas été mêlé au complot. Mais nous savons trop la prudence de l'amiral pour nous étonner. Il était naturel qu'il ne parlât aucunement au connétable, resté fervent catholique, d'une entreprise toute protestante, et ensuite il avait trop de réserve, en un moment où il devait être l'objet d'une surveillance étroite, pour mettre dans une lettre, qui pouvait être interceptée, des choses susceptibles de le compromettre. D'Andelot, enfin, en écrivant à son oncle, parle dans le même sens, et avec des expressions si conformes, que les deux lettres semblent concertées, rédigées l'une d'après l'autre (29 mars. Bibl. nat., mss. fr. 20507, f° 88 ; coll. Clérambault, vol. 354, f° 5377). Au reste, les Guise ne s'y trompèrent pas, et lorsque d'Andelot arriva à la Cour, le cardinal de Lorraine dit qu'il ne se pouvait autrement persuader qu'ils ne fussent de la menée, quelque bonne mine qu'ils fissent. — Cependant, Brantôme, au reste très enthousiaste de Coligny et dupe de ses attitudes, affirme qu'il ignorait la conspiration. Cf. l'Amiral de Chastillon ; œuvres complètes, t. I, p. 447.
[62] Recueil des Ordonnances de FONTANON, t. VI, p. 261. 2 mars 1559 (1560 n. s.). Paris, 1611, in-f°.
[63] Vincent Carloix rapporte que le maréchal de Vieilleville fut d'abord chargé d'entrer en composition avec la troupe du baron de Castelnau ; mais il se récusa connaissant la félonie des deux frères (les Guise) et s'exempta de cette ruineuse et sanglante charge. Mémoires sur Vieilleville, liv. VIII, chap. IV.
[64] Il faut bien observer, pour tout ce détail des exécutions à Amboise, qu'une certaine part doit être faite à l'exagération dans les récits du temps et tout naturellement chez les auteurs calvinistes. Il est certain, dit Michel de Castelnau, que la Reine, mère du Roi, qui se voulait faire connaître princesse pleine de miséricorde et bonté, adoucit beaucoup d'exécutions qui devaient se faire contre les conjurés, desquels Sa Majesté, par son avis, en fit délivrer et renvoyer grand nombre : et sur ce, l'on fit une abolition générale, afin que ceux qui n'étaient encore venus connussent la douceur et bonté du Roi envers eux, combien que par les chemins nonobstant ladite absolution, il y en eut encore plusieurs pris, tués, noyés ou exécutés. Liv. I, chap. VIII. R. de la Planche, qui dénonce une infinité de fainéants, muletiers, palfreniers, charretiers, laquais, vivandiers et autres racailles faisant plus de deux mille hommes outre ceux qu'avaient mandé les Guise, lesquels étaient affriandés aux dépouilles d'or, d'argent, d'habits, d'armes et chevaux, et ne pardonnaient à nul passant, fut huguenot ou non — convient qu'après les premières exécutions la reine-mère et les Guise trouvèrent qu'il serait bon de délivrer la plupart des pauvres soldats venus à pied, avec injonction de se retirer... ce qui fut fait, et sous main fut donné à chacun un teston pour passer chemin. Op. cit., p. 255-256.
[65] Histoire de la liberté religieuse en France, t. I.
[66] On doit bien comprendre maintenant pourquoi les calvinistes ont voulu prouver que les Châtillon étaient restés étrangers à la conjuration d'Amboise. Leur tenue fut si piètre, abandonnant au ressentiment des Guise ceux qu'ils avaient poussés à agir et assistant à leur supplice, qu'on avait véritablement intérêt à les montrer blâmant même cette échauffourée. De même que Calvin, ils blâmaient surtout une entreprise qui n'avait point réussi. Pour comble, ajoutait le dictateur de Genève, un étourdi s'est jeté témérairement dans l'affaire et a tout perdu par son incapacité. Cf. la lettre à Pierre Martyr, 5 des ides de mai 1560.
[67] CASTELNAU, Mémoires, liv. I, chap. X.
[68] Cette scène et l'intervention du duc de Guise ont été surtout rapportées par les auteurs du parti, La Planche, d'Aubigné ; Castelnau résume les paroles de Condé, semble-t-il bien, d'après le récit de La Planche. Mais Brantôme, très au courant, en général, des événements de la cour, dit expressément, et le passage est à retenir, que lorsque le prince fut soupçonné, il fit quelque rodomontade de certain démenti en l'air, mais non en présence, comme s'est dit et écrit, car lors il n'osait parler si haut. Œuvres complètes, t. I, p. 464.