Le protestantisme sous Henri II. — L'expédition d'Italie. — Coligny rompt la trêve de Vaucelles. — Siège de Saint-Quentin ; bataille de Saint-Laurent et sac de la ville.Malgré l'antipathie manifeste du Roi pour les
religionnaires, les poursuites, les exécutions de ceux qui étaient reconnus mal sentans de la foy ; la création, en 1549, des
chambres ardentes, pour plus dépescher de matière,
un édit de proscription daté de Châteaubriant en 1551, le protestantisme
n'avait cessé de s'étendre depuis l'avènement de Henri II. Il n'était nouvelles que de l'accroissement du nombre des
luthériens, dit Pierre de la Place[1]. C'était, avec la
forme religieuse, déjà comme une manière d'opposition au pouvoir central, la
satire de sa conduite, des mœurs de la Cour et, en général, de toute la
société catholique, — pour quelques-uns, on pourrait presque dire aussi :
l'attrait du fruit défendu. Beaucoup, d'ailleurs, étaient sincères, surtout
parmi les petites gens, les femmes, bonnes âmes de qui fut cher payé le premier enthousiasme où elles avaient
rêvé d'un monde nouveau. Le mouvement était général. On ne parlait que des assemblées secrètes qui se faisaient jour et nuit en
maints lieux, et mesmement dans la ville de Paris, et ainsi en fut découverte une entre autres qui se faisait en la
rue Saint-Jacques, devant le collège du Plessis, plusieurs y étant, qui
furent tellement surpris qu'ils furent contraints se sauver les uns par le
derrière de la maison, les autres par le devant ; aucuns se faisaient voie
avec les armes, et autres se croyant sauver étaient tués, les autres pris en
grand nombre. Furent d'abondant lors ajoutées plusieurs ordonnances contre
les assemblées et contre les livres apportés de Genève[2], et recommença une nouvelle poursuite contre les
luthériens, desquels on faisait courir un bruit qu'ils s'assemblaient de
nuit, et après avoir tué toutes les chandelles, que chacun s'adressait à la
première qu'il pouvait rencontrer et en abusait à son plaisir, avec plusieurs
autres propos semblables qui se trouvèrent faux et controuvés[3]. — Depuis
longtemps déjà, la mode s'était établie d'aller le soir au Pré-aux-Clercs, où
se réunissaient les huguenots, qui chantaient les psaumes de Marot et de
Bèze, les pieuses élégies d'Eustorg de Beaulieu[4], parlaient de la
Réforme, des abus de l'Eglise catholique, des superstitions dont on s'était
délivré en adoptant la doctrine de Calvin. Bientôt on vit à ces assemblées
les premiers personnages du royaume, Antoine de Bourbon, Jeanne d'Albret,
l'amiral Coligny, et certains même se prétendaient huguenots pour s'attirer réputation, dit un écrivain
catholique du temps[5]. Les pamphlets,
en même temps, étaient prodigués, attaquant les mœurs, les croyances, la vie
publique et privée des papistes. On rappelait que des prédicateurs comme
Marot, Maillard, Barelète, s'étaient plaints que les bourgeois de Paris, sans
excepter messieurs du Parlement, donnaient à louage leurs maisons aux
putains, maquereaux et maquerelles, — il faut bien reproduire le langage si
peu fardé de l'époque, pour donner une idée de la violence des sectaires ; item, qu'au lieu que le roi saint Louis avait fait bâtir
une maison aux putains hors la ville, alors les bordeaux étaient en tous les
coins ; que les escholiers les rencontraient au sortir du collège ; que les
maquereaux faisaient leurs marchés avec les paillardes dedans les églises :
sans parler de ceux qui les troussaient dans les chapelles, prenant pour
témoins tous les saints et les saintes qui y assistaient ; des filles qui
gagnaient leur mariage à la peine et sueur de leur corps, et que vendaient
leurs mères[6].
Il n'y avait pas, d'ailleurs, de lieu comme Paris où
les cornards fussent à meilleur marché et d'un homme qui portait plainte
en adultère, on disait qu'il voulait se faire
déclarer cocu par arrêt du Parlement. Les femmes, pour mieux exciter
la lubricité des hommes, portaient des robes tellement
ouvertes qu'on les voyait jusqu'au ventre[7] ; devenues mères,
elles abandonnaient leurs enfants à des nourrices, sans même s'inquiéter si
elles étaient pouacres, vérolées ou ladresses.
— La croyance alors générale dans la vertu des reliques mettait également en
verve les réformés et Calvin avait écrit à ce propos tout un traité ou
répertoire[8],
où ils puisaient sans retenue, ricanant sur les pantoufles de saint Joseph
conservées à Trêves, ses chausses qui étaient à Aix-la-Chapelle avec une
chemise de la Vierge qui aurait convenu à une géante, la queue de l'âne sur
lequel Jésus-Christ était monté et que gardait le Trésor de Gênes[9]. Un prêtre de
cette même ville n'avait-il pas rapporté de Bethléem de
l'haleine de Notre-Seigneur et les cornes de Moïse redescendant du Sinaï !
Il vaut mieux ne rien dire de toute une catégorie de saints ityphalliques qui
avaient le privilège d'engrosser les femmes stériles[10], — évidemment
avec la complicité de quelques gros moines préposés à cette besogne[11] ; car dans ces
diatribes, le clergé, l'Eglise, qui pillaient,
criait-on, les vifs et les morts, étaient
surtout pris à partie ; le luxe, la licence, la lubricité des religieux,
prêtres et prélats, étaient le thème courant des discours. Les évêques et
cardinaux, dans leurs banquets, ne parlaient que de paillardises. Quand ils
arrivaient, on eût bien fait d'avertir depuis un des
bouts de la ville jusqu'à l'autre : Gardez bien votre devant, madame ou
mademoiselle ; car outre celles qu'ils entretenaient,
ils avaient leurs chalandes par tous les endroits, mais ils prenaient plaisir
à faire les conseillers cornus sur tous. Pour conclusion, ils avaient les
filles, femmes mariées et les veuves à leur commandement. On citait un
cardinal, Pierre Riaire, auquel Sixte IV avait donné le chapeau, qui avait
des robes de drap d'or, les couvertes, couettes de son lit et autres de soie,
un pot de nuit d'argent et sa putain nommée Tirésie,
il l'entretenait publiquement en telle somptuosité qu'il lui faisait porter
des souliers couverts de pierres précieuses. Ailleurs, c'était un
Aimery de Rochechouart, évêque de Sisteron, qui est traité de bouffon et, maquereau de cour et des plus ânes de son sang[12]. Un autre, Jean
de la Case, Florentin, évêque de Bénévent, aurait composé
un livre en rythme italienne pour faire l'éloge de la sodomie[13]. Certains
prêtres voulaient mettre cette coutume que ceux et
celles qui viendraient se confesser leur montreraient les parties du corps
avec lesquelles leurs péchés avaient été commis. Leurs garces étaient le premier butin que cherchaient les gens
d'armes entrant dans un village[14]. Des monastères
de nonnains[15],
il n'y avait point de différence entre iceux et les
bordeaux, et les religieuses, lorsqu'elles étaient grosses, se faisaient avorter et jetaient leur fruit à la rivière
ou aux latrines[16]. Les histoires
les plus scandaleuses étaient acceptées et Henri Estienne ne se tient pas de
joie en racontant qu'un prêtre, parlant du Christ, jurait : En dépit de ce chien qui pendait à la croix ! — venant, son dépit, d'une pu tain qui lui avait joué
quelque mauvais tour ; qu'ailleurs, un autre qui prêchait, voyant
sangloter le peuple au récit de la Passion, s'était écrié : Ne pleurez pas, peut-être n'est-il pas vrai ! — On
montrait l'incrédulité même du Pape, la bête noire des réformés, et l'on
rapportait que Léon X avait dit au cardinal Bembo, lui parlant du
Nouveau-Testament : Que de biens nous a acquis cette
fable de Jésus-Christ ![17] — Henri II,
Diane de Poitiers avaient d'ailleurs leur part dans ce concert d'injures, la
maîtresse ayant profité de toutes les confiscations faites sur les martyrs et dès lors ayant été salie à plaisir. On
ne l'appelait que courtisane, adultère, babylonienne
(sic) et c'était peu encore. Du Roi, on
disait qu'il sacrifiait les protestants tantôt par caprice, par colère,
tantôt par crainte des châtiments éternels que lui promettaient ses fautes,
les livrant au feu entre une course aux patins sur
la glace et un combat aux pelotes de neige avec ses courtisans ; avant un
bal, après une chasse ; de la chambre même de la Reine, sa femme, où il se
rendait chaque jour avec tous les seigneurs au sortir de son dîner et de son
souper, et où il aurait dû prendre des idées de tolérance, car tout y était
toléré[18].
— Quant aux huguenots, c'étaient tous de petits saints : On reconnait un réformé, disaient-ils, à ce qu'il ne paillarde point, n'ivrogne point, ne jure
point et allègue la Sainte Ecriture. Certes, nous savons quelle était, au seizième siècle, la liberté des mœurs[19], et, trop souvent, la faiblesse morale du clergé[20] ; mais faut-il croire que les protestants se montraient si divers de leur époque ? Les documents déjà cités pour Genève, la Rome calviniste, nous ont répondu en partie. Aux pamphlets des religionnaires on opposait, d'ailleurs, des pamphlets catholiques, comme le Passevent parisien indiqué déjà, et des deux parts, dans cette guerre de plume qui préparait toute une série de guerres civiles, c'était à qui fournirait les accusations les plus déshonorantes et les racontars les plus scandaleux[21]. — Mais Henri II avait alors à suivre d'autres intérêts et pouvait négliger les clabauderies des calvinistes s'il les faisait poursuivre autant par sentiment personnel que par raison d'Etat[22]. La trêve de Vaucelles était à peine signée qu'il s'était trouvé de nouveau entraîné dans une expédition en Italie, dont les suites, avec la rivalité des deux maisons de Montmorency et de Guise, devaient être déplorables. — Au pape Jules III, Jean-Marie del Monte, dont le règne avait été une honte pour l'Eglise[23], avait succédé le moine Caraffa, Paul IV, vieillard presque octogénaire, mais d'une énergie farouche, d'abord archevêque de Naples où il était né, puis fondateur de l'ordre des Théatins, mangeur insatiable et buveur peut-être pire, orgueilleux et colérique, entreprenant, autoritaire, une des figures les plus accusées de ce seizième siècle qui en offre un si grand nombre. Son tombeau, à Santa Maria sopra Minerva, évoque puissamment, dans la statue assise sur le sarcophage, cette face terrible de moine, sillonnée de rides, les yeux enfoncés, la bouche impérieuse, — tempérament d'une impétuosité sauvage et fanatique, — l'homme qui réforma l'Eglise et avec la censure, les autodafé, les chambres de géhenne, l'impulsion donnée à l'ordre des Jésuites, la fit assez forte pour résister à l'envahissement du protestantisme. Le duc d'Albe, peu impressionnable, — qui eut à paraître devant lui, — âme sèche de politique et de soldat, avouait n'avoir jamais vu un visage qui inspirât autant de retenue[24]. Il avait des haines forcenées, — contre les juifs d'abord, pour lesquels il finit par bâtir, dans Rome même, une sorte de bagne où il les claquemura, — le Ghetto ; ensuite les Espagnols, qui avaient autrefois confisqué les revenus de son archevêché de Naples et d'où il les voulait chasser en disant qu'ils n'étaient bons qu'à servir de cuisiniers et de valets d'écurie aux Italiens. Pour enrichir ses neveux, l'un institué duc de Pagliano, le deuxième marquis de Montebello, et le troisième, le condottiere Carlo Caraffa, revêtu de la pourpre, il avait cherché querelle aux Colonna, attachés au parti impérial qui n'avait guère goûté son élection[25], et confisqué leurs biens. Les Colonna se révoltèrent, et leurs intendants, arrêtés, mis à la torture, les troupes pontificales assiégeant leurs châteaux, demandèrent des secours au duc d'Albe, vice-roi de Naples. Paul IV voulut alors interdire à l'ambassadeur d'Espagne de sortir de Rome, et l'ambassadeur partant un matin pour la chasse, ayant battu et dispersé avec ses domestiques les gardes qui lui barraient la porte, dans un accès frénétique de colère, le Pape déclara la guerre à Philippe II, après avoir crié en plein consistoire que Charles-Quint n'avait pu abdiquer sans l'assentiment du Saint-Siège et qu'il ne reconnaissait nullement son successeur. — Mais il ne pouvait soutenir seul une lutte aussi inégale. Il envoya son neveu, le cardinal Caraffa, au roi de France, sous prétexte de le féliciter de son rapprochement avec la maison d'Autriche, et en réalité pour le décider à intervenir en Italie. Henri II, pendant qu'on négociait encore à Vaucelles, avait conclu, par l'entremise du cardinal de Lorraine, un traité d'union avec le Pape et le duc de Ferrare, beau-frère de François de Guise, pour expulser les Espagnols du royaume de Naples (16 décembre 1555). C'était, pour les Guise, faire pièce à l'accommodement que poursuivait le parti du connétable, et sitôt que le cardinal fut averti de l'arrangement accepté, qui fut à son retour d'Italie, dit Pierre de la Place, il fut grandement déplaisant, et passant par Nevers, il déclara en présence de plusieurs que ce n'était pas ce que le Roi lui avait promis, et qu'il avait bien moyen de rompre les trêves[26]. — Henri II était à Fontainebleau lorsque Carlo Caraffa se présenta. Intrigant, souple, fourbe, sans scrupule[27], ayant derrière lui le prestige de la papauté, et, peut-être mieux encore, les trésors immenses de l'Eglise, il s'adressa d'abord au connétable, dont l'accueil fut plutôt froid. Montmorency trouvait monstrueuse une guerre entre le Saint-Siège et le roi catholique, — surtout une guerre où Henri II devait prendre parti contre l'Espagne, au moment même où il venait de signer la paix. Le cardinal se tourna vers les Guise et Diane de Poitiers, qu'il combla de présents, et eut bientôt gagné toute la Cour. Adroitement, il avait stimulé le zèle des princes lorrains en leur faisant valoir qu'ils pouvaient conquérir le royaume de Naples et soutenir les anciens droits de la maison d'Anjou. La couronne était promise au duc François ; d'Aumale devait avoir la Lombardie, le cardinal la succession pontificale déjà rêvée par le premier cardinal de Lorraine. Mais Henri II restait indécis. Le connétable, tout à coup, vint soutenir la faction des Guise, et ce changement inattendu, qui allait décider de la guerre, a été expliqué diversement. On a soutenu que le motif principal de son acquiescement fut que son fils aîné, François, devait se défiancer à Rome d'une fille de Piennes, le Roi lui ayant offert, — ou accordé, — sa fille Diane, veuve du duc de Castro, et que pris d'enthousiasme devant une faveur si inespérée, il avait recherché la bienveillance du Pape[28]. Ce fut une de ses raisons, sans doute. Mais l'avidité bien connue du connétable permet de croire que ce ne fut point la seule. — Il n'était pas fâché, au reste, d'éloigner le duc de Guise qui se trouvait le chef désigné de l'expédition et pour lequel il lui restait une jalousie couverte depuis la bataille de Renty, ayant peut-être en soi, dit Claude Haton[29], cette intention qu'il n'en reviendrait jamais. Enfin, avec sa présomption coutumière, il pouvait croire qu'il garderait assez de noblesse et de mercenaires pour couvrir la frontière que Philippe II, disposant de l'Espagne, de la Franche-Comté, des Pays-Bas, de l'Angleterre depuis son mariage avec Marie Tudor qui avait succédé à Edouard VI — ne se ferait pas faute d'inquiéter. Il se réservait, en somme, le beau rôle et laissait au Roi et au duc de Guise la responsabilité de l'agression. — Le cardinal Caraffa, pour entraîner Henri II, lui remit dans une audience solennelle une épée bénite envoyée par le Saint-Père. La trêve de Vaucelles avait spécifié que les deux partis ne se pourraient directement ou indirectement endommager l'un l'autre, en quelque lieu et endroit de la chrétienté et de leurs royaumes et pays. Le Roi reçut une absolution qui le dégageait de tous serments et lui permettait de rompre la trêve et de recommencer la guerre contre l'Espagne, même sans la déclarer[30]. On avait, traité avec les Impériaux à cause du manque d'argent, parce que les dilapidations des favoris avaient vidé le trésor royal et qu'il semblait impossible, par l'épuisement des provinces, le défaut de troupes étrangères, de continuer plus longtemps la lutte. On imposa de nouvelles taxes et l'on dégarnit les places des frontières, aventurant des garnisons qui assuraient la sûreté du royaume dans une équipée absurde et qui faillit en entraîner la ruine. De retour à Fontainebleau après avoir été retenu à Châtillon par une de ses maladies si fréquentes, Coligny protesta hautement et inutilement au Conseil contre cette rupture de la paix qu'il avait si difficilement établie. Dépité, il se retira dans ses terres et le duc de Guise, au cœur de l'hiver (1556), passa les Alpes avec 20.000 hommes, tandis qu'on négociait avec les Turcs qui devaient se jeter sur les côtes d'Italie. Il avait avec lui ses deux frères, le duc d'Aumale et le marquis d'Elbeuf ; le duc de Nemours, Tavannes, Biron, La Roche-Posay, et, dit Mergey, la fleur de toute la noblesse de France[31]. Le duc d'Albe, cependant, après avoir gagné le duc de Parme, Ottavio Farnèse, avait envahi, dès septembre, les Etats de l'Eglise. Ses troupes pillaient et ravageaient la campagne romaine et Paul IV s'était vu bientôt enfermé dans le château Saint-Ange. Montluc et Pierre Strozzi, envoyés devant par François de Guise, occupèrent enfin Rome et organisèrent la défense du territoire pontifical[32]. Lui-même, après avoir pris Valenza sur le Pô, fit sa jonction avec le duc de Ferrare, son beau-père, qui lui amenait 6.000 hommes de pied, 2.000 gens d'armes et 600 chevau-légers[33]. Brissac lui conseillait d'attaquer Milan. Il pouvait encore reprendre Sienne et assurer la domination française dans la haute Italie où il aurait attiré les forces espagnoles. Il préféra marcher sur Rome où il entra le jour de Caresme-prenant, et où le cardinal Caraffa, scélérat s'il en fut oncques, dit Vieilleville, — déjà vendu au roi d'Espagne et qui espérait pour lui-même le royaume de Naples, le retint tout un mois, l'entretenant de toutes délices, festins, courtisanes, vierges et femmes mariées dont ce gouffre d'abomination a accoutumé de fournir (2)[34]. Il intriguait près du Pape pour obtenir la succession de la maison d'Anjou et près des cardinaux afin d'assurer la tiare, à la mort de Paul IV, à son frère Charles de Lorraine. On lui avait promis des vivres, de l'artillerie, huit mille hommes de pied et huit cents chevau-légers[35]. Les Abruzzes devaient se soulever à l'approche des troupes françaises. — Les Abruzzes, au contraire, firent tête à l'envahisseur. Il eut à peine 1.200 hommes de renfort et qui furent de suite en querelle avec les siens. Le 15 avril, il reprit la campagne, emporta la petite ville de Campli et de fureur y fit tout massacrer. Mais lorsqu'il mit le siège devant Civitella, au sommet d'une montagne à pic, la population, instruite du sort de Campli et de la férocité de cette guerre, se défendit avec rage. Le duc d'Albe, qui se tenait à Guila-Nova, affamait, harcelait l'ennemi, enlevant les convois, les traînards, refusant obstinément la bataille. Je n'aurai garde, disait-il dédaigneusement, de jouer le royaume de Naples contre le pourpoint brodé du duc de Guise. Une épidémie, la désertion se mirent parmi les troupes. Après deux assauts et trois semaines de canonnade, Guise dut lever le siège, se retirer sur Macerata. Il était malade lui-même. Il se sentait berné, trompé par le Pape, ses neveux, impuissant au milieu de ces populations hostiles.et devant l'armée espagnole, supérieure en nombre et qui semblait se réserver pour un coup décisif. Afin d'inquiéter le Saint-Père, le duc d'Albe poussa une pointe sur Rome, — fausse attaque qui eut pour résultat d'assurer la prédominance du parti de la paix à la cour pontificale. — Mais la fortune tourna brusquement pour le duc de Guise qui se résignait déjà à adopter la tactique de son ennemi, à temporiser en ménageant ses troupes. Il reçut des lettres de Henri II qui le rappelait et les débris de son armée allaient sauver la France envahie par le roi d'Espagne. Heureux de pouvoir se soustraire aux mensonges et piperies de toute cette génération des Caraffa, il prit congé du Pape qui essaya vainement de le retenir. Partez, monsieur ! lui dit enfin le pontife incapable de dissimuler son ressentiment ; aussi bien avez-vous fait peu de chose pour votre maître, encore moins pour l'Eglise et rien pour votre réputation. — Guise ne tenait pas à discuter. Il simula une expédition sur Pise et s'embarqua à Ostie cependant que Tavannes et Montluc ramenaient ses troupes par les Alpes[36]. Paul IV n'avait plus qu'à faire la paix (14 septembre). Le duc d'Albe fit son entrée à Rome après avoir stipulé la soumission des Colonna et remit au Saint-Siège toutes les places qu'il occupait dans les Etats de l'Eglise en sollicitant son pardon et celui du roi d'Espagne. La présence du duc de Guise était devenue, en effet,
indispensable en France où, profitant pour crier à la trahison des secours
fournis au Pape, Philippe II venait d'entrer, et l'on a fort incriminé
l'expédition d'Italie et l'ambition des princes lorrains pour justifier
l'agression du roi d'Espagne après les conventions signées à Vaucelles. Sans
doute ce fut une faute, à la fois de politique et de tactique. Mais il faut
examiner aussi jusqu'à quel point Philippe II était sincère dans son désir de
paix et quelle créance on doit accorder ici aux formules diplomatiques. —
L'arrangement de Vaucelles, premièrement, n'était qu'une trêve, — stipulée
pour cinq ans, il est vrai, mais en somme une période de repos, d'attente,
durant laquelle les adversaires pensaient reprendre des forces, se réservant
de recommencer la lutte au moment favorable. François de Rabutin, dans ses Commentaires[37], a très bien
résumé l'opinion du temps à ce sujet. Les trêves,
dit-il, n'étaient qu'une dissimulation et reprise
d'haleine. Les tergiversations pour la remise des prisonniers de
guerre donnaient assez à penser, du reste, que rien n'était encore fini, — laissant à part, ainsi que chacun le sait, comme M. de
Bouillon fut iniquement et proditoirement empoisonné et vendu mort[38]. De même,
continue le narrateur, bien peu de temps après
l'accord, fut trouvé et vérifié par la voix des conspirateurs mêmes, que
plusieurs surprises et machinations avaient été dressées sur des principales
villes et en divers endroits du royaume : comme des soldats de Metz, à la
poursuite du comte de Meigue, gouverneur de Luxembourg, et à l'aveu du prince
de Piémont[39] ; celle d'autres soldats sur la ville de Bordeaux, à la
conduite du sieur Barlemont, général des finances de l'Empereur, un peu avant
Pâques. Peu de jours en suivant, fut surpris, près la Fère en Picardie, un
ingénieur, nommé Jacques de Flectias, qui avoua avoir été envoyé par le
prince de Piémont pour reconnaître et dresser portraits es principales villes
de la frontière, mêmement de Montreuil, Saint-Esprit de Rue, Doulens,
Saint-Quentin et Mézières. On savait encore que Philippe II sollicitait le roi de Bohême et les potentats des
Allemagnes à entreprendre la guerre contre le Roi pour le recouvrement des
villes franches, et au lieu de rompre son appareil de guerre, faisait plus
qu'auparavant extraordinaires préparatifs, mêmement d'argent. Enfin, les garnisons du Mesnil commençaient à courir sur le pays
plat à l'entour d'Abbeville et Saint-Esprit de Rue, et celles d'Avesnes et de
Cimets vers La Chapelle, Rosoy-en-Thiérache et Aubenton. Les garnisons
d'Artois et Hainault étaient renforcées, et les villes remplies de gens de
guerre ; et le bruit courait qu'ils voulaient exploiter quelques secrètes
entreprises en Picardie, en des principales villes de la frontière où ils
avaient intelligences. A la vérité, Philippe II était très informé par ses agents, par son ambassadeur Simon Renard[40] de l'état du royaume dont les finances étaient taries, les forces employées au service du Pape, où l'armée du duc de Guise coûtait 160.000 écus par mois[41]. Il avait ramassé des troupes, et l'insouciance, l'inconséquence de Henri II lui laissaient le champ libre. Coligny, après un séjour à Châtillon où il reçut la bande de huguenots que Philippe de Corguilleray, sieur du Pont, conduisait alors au Brésil[42] (septembre 1556), avait regagné son gouvernement de Picardie sur les remontrances de son frère Odet et du connétable[43]. Le retour de François de Montmorency l'avait déchargé du gouvernement de l'Ile-de-France et celui de d'Andelot, de l'office de colonel de l'infanterie. Il s'occupa, de concert avec ce dernier, de renforcer autant qu'il était possible les garnisons des places du nord, et le Roi, prévenu des préparatifs de Philippe II et des courses que faisaient ses troupes, ayant décidé de prendre l'offensive, il reçut l'ordre d'attaquer à l'improviste les villes espagnoles. — L'amiral, dit La Place, non sans regret, dut rompre aussi les trêves. — Il en avait commandement, affirme de même Fr. de Rabutin[44]. — Mais une surprise de nuit sur Douai, la veille des Rois pendant que ceux de là dedans s'étaient enivrés à crier : Le Roi boit ! et étaient à cuver leur vin et cervoise, échoua complètement par le fait d'une vieille qui donna l'alarme et éveilla le guet à fine force de crier, ayant assez tôt découvert quelques indiscrets des premiers Français. L'amiral ne put enlever que Lens, qui fut pillé et saccagé, inutile et insignifiante conquête, mais dont les ennemis firent grandes plaintes après y avoir été perpétrées et commises de grandes cruautés[45]. Dès lors il ne fut plus question que de nouveau rechercher et inventer tous moyens pour recouvrer argent et amasser gens de guerre ; et outre les impôts ordinaires où le populaire est contribuable, nouveaux sujets, taillons, emprunts particuliers furent mis sus, avec grande foule et surcharge. En quoi furent semblablement compris les ministres et bénéficiers de l'Eglise. La noblesse et gendarmerie, retournant fraîchement de la guerre précédente, qui se promettait avoir quelque peu de repos pour se remonter et mettre en équipage, fut derechef rappelée. Commissions furent dépêchées à plusieurs capitaines pour faire nouvelles levées de gens de pied, et pour remplir les vieilles bandes qui étaient es garnisons sur la frontière[46]. Henri II, après l'affaire de Lens, avait eu pourtant un moment d'hésitation. Les Impériaux ne paraissant pas, il avait ordonné de restituer la prise et de renvoyer les prisonniers, espérant par là qu'ils n'auraient point d'occasion de prendre son entreprise pour rupture[47], — mesure tardive, montrant bien ses tergiversations habituelles et que Coligny ne peut se tenir de blâmer[48]. Philippe II n'allait pas méconnaître l'occasion qui lui était offerte. Déjà, il avait chambré à Bruxelles l'ambassadeur l'Aubespine[49]. Mais dans l'incertitude de ses intentions, ne sachant où porteraient les coups, les troupes furent réparties le long des frontières que l'on connaissait être faibles, mêmement en Champagne à cause que ce sont les avenues où le plus communément l'ennemi prend sa descente en France, et aussi pour favoriser l'œuvre et fortification de la nouvelle ville de Rocroy que le Roi avait fait commencer en ce temps[50]. On fortifia même des places comme Mézières, et tout le printemps et la plupart de l'été se passèrent sans qu'il y eût gros amas d'armée d'une part ni d'autre et ne furent faites que courses et entreprises. Enfin, vers la mi-juillet, on sut que le prince de Piémont, le duc d'Ascot, comtes de Mansfeld, d'Egmont, de Maigue, de Barlemont étaient à Givet pour y dresser camp, où déjà étaient jointes quelques compagnies d'Allemands, Namurois, Liégeois et Wallons, attendant là de bref le surplus du secours d'Allemagne avec les ducs de Brunswick et leurs reîtres, et la cavalerie de la Franche-Comté qui devait venir par le Luxembourg. Ce qui donna opinion qu'ils en voulaient et s'attaqueraient à quelques villes de ce côté-là, comme Mariembourg, Mézières ou Rocroy, que le rapport de quelques espions augmentèrent davantage, disant que certains régiments de gens de pied et cavalerie étaient passés jusques à Nîmes[51] et que là ils charpentaient et bâtissaient grande quantité d'échelles et autres engins pour surprendre et emporter d'assaut une place. Outre plus, que contrement la rivière de Meuse montaient des Pays-Bas innumérables quantités de toutes sortes de provisions et munitions de guerre, tant vivres qu'artillerie, poudres et boulets. Pour lesquelles causes, on tenait pour certain que ce serait cette part où l'ennemi convertirait sa fusée[52]. — Mais les Impériaux, après s'être montrés devant Mariembourg, ne firent qu'une tentative sur Rocroy ; la garnison ne les laissa pas approcher des remparts de plus de quatre cents pas ; elle leur sonna une salve avec telle tempête et tintamarre que les boulets y pleuvaient aussi épaissement que la grêle, et les venaient nos arquebusiers avec telle assurance choisir de si près et en but que ceux sur lesquels ils couchaient se sentaient plutôt morts ou blessés qu'ils n'y pensaient[53]. L'ennemi se retira laissant force charognes et corps morts. Ce n'était qu'une feinte, d'ailleurs. Brusquement, il entra en Picardie, passa par Vervins et Guise et marcha sur Saint-Quentin, place forte sur la route de Paris, mais alors presque démantelée, sans approvisionnement, sans garnison[54], — que les bourgeois, arguant de leurs vieilles franchises communales, ne voulaient souffrir — et dont Philippe II pensait faire un point de ravitaillement pour ses troupes. La ville fut investie (2 août 1557) par une armée de trente-cinq à quarante mille hommes de pied, douze à quinze mille chevaux, tant de gendarmerie que reîtres et pistoliers rejoints bientôt par un contingent de huit ou dix mille Anglais, la reine Marie, poussée par le roi d'Espagne, ayant envoyé un héraut d'armes selon les bons usages de la chevalerie, déclara la guerre à Henri II[55]. L'armée française, cependant, s'assemblait avec le duc de Nevers à Attigny-sur-Aisne, montant à peine à 17.000 ou 18.000 hommes de pied, dont 10.000 Allemands, 5.000 à 6.000 chevaux de gendarmerie, des reîtres et pistoliers amenés par le Rhingrave. Elle traversa la Thiérache et vint camper à Pierrepont où la rejoignirent le maréchal de Saint-André, Coligny et le connétable. Les chefs étaient indécis. Au conseil de guerre qui fut tenu lors de leur réunion, certains rapportèrent que le prince de Piémont avait campé devant Guise, tenant bonne mine et démontrant tous signes de s'y vouloir arrêter. L'amiral, mêmement avertit le connétable que par les avis qu'il avait eus des sieurs de Senarpont et Villebon, les ennemis menaçaient et devaient tourner leurs efforts en Picardie ; et ce qui en donnait la plus grande apparence était que les bandes espagnoles qui étaient dans le nouveau Hesdin n'étaient pas délogées. La nouvelle de l'investissement de Saint-Quentin arriva bientôt et causa une certaine émotion. Coligny, à qui le cas touchait, déclara hautement qu'il lui appartenait de défendre la place, que son honneur y était engagé, et avec l'approbation du connétable qui promit de le dégager rapidement, ce qui déjouerait tous les projets du roi d'Espagne, il quitta Pierrepont le 2 août, emmenant sa compagnie, celles des comtes de Haran, de Jarnac, de La Fayette, et trois bandes de chevau-légers[56]. L'amiral, on peut bien le penser si l'on recherche les motifs réels de sa détermination, n'eût pas été fâché d'avoir lui aussi son siège de Metz. La défense si admirée de la ville lorraine par François de Guise lui avait toujours été un sujet de jalousie. Comme gouverneur de Picardie et pourvu d'une des premières charges du royaume, à une époque où chacun payait de sa personne, il se trouvait encore amené à combattre — la rupture de l'appointement de Vaucelles étant désormais un fait accompli — un prince catholique, l'homme qui se révélait déjà — ne disait-on pas qu'il inspirait la persécution anglaise de Marie Tudor contre les réformés ? — l'ennemi décidé des hérétiques, ce qui ne pouvait que flatter sa récente conversion de huguenot. Il y eut sans doute des raisons plus hautes : le sacrifice accepté au besoin de soi-même, l'idée que l'effort, même inutile, — la résistance désespérée ne seraient pas sans gloire et donneraient au Roi, au pays le temps de se reprendre. Toutefois, il serait dangereux d'insister. Il faut écarter en tout cas l'hypothèse d'une détermination prise d'enthousiasme, par générosité de cœur. Chez l'amiral tout était calculé ; il n'agissait que froidement, décidé parfois abusé — par les circonstances, mais non sans avoir pesé, déduit les conséquences de ses actes. — C'était là, du reste, une qualité véritable de stratégiste, d'homme de guerre, et cette constatation par elle-même n'implique aucune idée de blâme. — Le hasard d'un rapprochement entre la défense de Metz et celle de Saint-Quentin ne pouvait aussi lui faire longtemps illusion. Guise au siège de Metz, secondé par la plus brave noblesse de France et des troupes aguerries, avait pu se préparer longuement, se fortifier, s'approvisionner, prendre toutes les mesures qu'il avait crues nécessaires. A Saint-Quentin, tout devait être improvisé ; l'amiral arrivait avec une poignée d'hommes et devait manquer même de l'indispensable. — Décidé néanmoins à tenter l'aventure, il prit par La Fère et Ham pour éviter les coureurs ennemis, sous la conduite du capitaine Tenelle qui était de la région. A la Fère, il fut rejoint par le sieur de Coucy qui lui dit que M. le connétable lui redoublait mandement qu'il fit toute diligence de s'aller mettre dans Saint-Quentin. Il y avait à La Fère cinq bandes de gens de pied qu'il fit partir incontinent pour Ham, où lui-même trouva, dès son arrivée, le sieur de Vaulpergue avec une lettre du capitaine Breuil, gouverneur, pour lui faire entendre le grand étonnement qui était dans la ville et qu'il était besoin de la secourir promptement. Coligny résolut d'y entrer cette nuit même. Il fit manger une mesure d'avoine aux chevaux et déclara qu'il repartirait une demi-heure plus tard. Cependant, les troupes n'arrivaient pas ; les hommes, harassés, demeuraient en route. Deux des capitaines, les sieurs de Jarnac et de Luzarche, lui représentèrent qu'il n'était pas bien raisonnable qu'il s'enfermât dans Saint-Quentin, pour ce qu'il pouvait faire plus de service dehors, mais qu'eux et les autres capitaines s'y en iraient s'il le voulait et pouvaient assurer la défense. Il les remercia, dit qu'il était commandé d'y entrer et qu'il aimerait mieux avoir perdu tout ce qu'il avait vaillant que d'y avoir failli, puis remonta à cheval environ demi-heure avant le soleil couchant, mettant son maréchal des logis devant lui avec cinquante bons chevaux et des guides, avec commandement de marcher à cent pas et quoi qu'il trouvât en chemin de le charger sans marchander. Conduit par des chemins de traverse, il était dans Saint-Quentin à une heure après minuit ; mais pour s'être perdus à une alarme ou par faute de bonne volonté, gendarmes, chevau-légers, piétons formant le renfort qu'il pensait conduire étaient à peu près réduits à 700 hommes. De deux compagnies qui avaient quitté Ham, il arriva environ 150 combattants[57]. — Dès le point du jour, le lendemain, l'amiral alla visiter le faubourg d'Isle, au delà de la Somme, dont la garnison avait déjà abandonné le boulevard, fait nouvellement et s'était retirée à la vieille muraille. Il fit ensuite le tour de la ville haute[58], et manda aux bourgeois qu'ils s'assemblassent à leur hôtel commun, où ils appelleraient tous les principaux de tous les états. — Les notables réunis, l'amiral leur fit une courte harangue, y mettant tout ce qui pouvait servir à les assurer, et leur donna ses instructions pour la résistance. Coligny, nous le savons déjà, avait de précieuses qualités d'organisateur. Il était l'homme qui savait prendre parti dans les cas les plus désespérés et en tirer le meilleur avantage. Toutefois, M. Ch. Gomart, dont le patriotisme local a dû être surtout choqué par ses récriminations, a pu soutenir qu'il n'a nullement rendu justice à l'attitude des bourgeois de Saint-Quentin, qui semblent avoir donné tout ce qu'on pouvait attendre de soldats improvisés[59]. C'est que l'amiral, en écrivant son Discours après la défaite, avait surtout pour but de se disculper. Il devait soutenir que la ville ne s'était pas défendue ; — qu'il l'avait défendue, — presque malgré elle, en somme, — et ne pouvait être tenu pour responsable de sa ruine. Il faut excuser ainsi son animosité et n'accepter son récit qu'avec des réserves. — Après avoir fait le compte des hommes d'armes, toujours est-il, il fit recenser dans la place ceux qui pouvaient être utilisés pour les travaux, tant hommes que femmes ; rechercher les outils, hottes et paniers ; estimer les grains, vins et bétail ; la quantité d'artillerie, poudre et boulets et quelles gens pour les manier et pour en tirer. — Mais ce siège était si imprévu qu'il n'y avait guère de ressources. La ville, bordée par un marais, ne possédait que trois petites barques. On n'y trouva que vingt et une arquebuses à crochet, la plupart hors de service. En certains points des remparts, des brèches n'étaient bouchées que de claies et quelques balles de laine. De la garnison, la compagnie du Dauphin était seule complète ; pour celle du capitaine Breuil, gouverneur, la fleur de ses hommes était à Bohain, — une esquadre des meilleurs qu'il eût, principalement d'arquebusiers. Il fut trouvé que la ville possédait des vivres pour trois mois, mais, en tout, Coligny n'avait pas 800 combattants[60]. — Une sortie faite dans le faubourg d'Isle pour brûler des maisons où s'étaient logés les Espagnols fut repoussée[61]. Une reconnaissance contre un de leurs logis qui était un peu plus avant que le village de Remicourt fut plutôt malheureuse et coûta la vie au capitaine de Téligny[62]. — A l'arrivée de l'amiral, dont la réputation militaire était grande ; devant les assurances données par lui aux notables, il y avait eu dans la ville un moment d'enthousiasme qui toutefois, dit-il lui-même, ne dura guère. Hommes et femmes avaient été appelés à travailler aux remparts, et n'y allaient que par force, dans la terreur de voir l'ennemi emporter tout d'assaut ; pour les réfugiés des villages environnants, ce fut pire ; on dut les menacer du fouet et de la corde, et encore beaucoup préféraient sortir, bouches inutiles dont Coligny, une première fois, mit dehors sept à huit cents, car il fallait les nourrir, dit-il, ou les faire mourir de faim, ce qui eût pu apporter la peste. De l'échevinage, enfin, il n'y avait que le maire, Varlet de Gibercourt, qui secondât la défense. L'amiral devait veiller à tout, s'occuper des moindres détails, — c'est au moins une de ses affirmations, — être sur tous les points à la fois et ne devait compter que sur les quelques gentilshommes qui formaient sa suite. — Il fallut d'ailleurs abandonner entièrement, après y avoir mis le feu, le faubourg d'Isle. Tandis qu'on murait de ce côté la porte de l'enceinte, des poudres qui se trouvaient dans une des tours et que l'on transportait dans des linceuls, tant leurs caques étaient pourries, prirent feu au contact d'une flammèche provenant de l'incendie ; tout sauta ; 40 personnes environ furent tuées, dont 5 gentilshommes que Coligny avait laissés sur place pour surveiller le travail ; une brèche s'ouvrit où pouvaient tenir 25 hommes de front, et l'amiral, qui était accouru au bruit la garda près de trois quarts d'heure avec sept compagnons, prêt à repousser une attaque que les Espagnols, qui occupaient le faubourg, trompés sur le nombre des défenseurs par le rideau de fumée et de flammes qui s'élevait des maisons embrasées, ne crurent pas devoir tenter. On répara vivement la brèche, et elle se trouva aussi forte qu'auparavant. Il était évident, d'ailleurs, que la ville ne pouvait longtemps tenir si elle n'était secourue. La garnison diminuait de jour en jour ; des mines avaient été poussées déjà jusqu'au pied du rempart. L'amiral se préoccupait de cette situation périlleuse et informait, au plus tôt qu'il en avait le moyen, le connétable des péripéties du siège. Montmorency était à La Fère, d'où il avait fait partir, pour Ham, le maréchal de Saint-André avec 300 ou 400 hommes d'armes, le prince de Condé avec une partie de la cavalerie légère et d'Andelot avec huit ou dix enseignes d'infanterie française. Coligny dépêcha à son oncle le sieur Vaulpergue après lui avoir montré du grand clocher de la ville par où il pourrait conduire le secours qu'il guiderait, et d'Andelot se mit en route avec 2.000 hommes. Mais l'entreprise fut découverte par quelques chevau-légers anglais des nôtres qui avaient été pris, lesquels pour se sauver d'être pendus avertirent les Espagnols[63] ; la colonne tomba dans une embuscade et dut se replier après des pertes terribles. L'amiral, dans son Discours sur le siège de Saint-Quentin, dit également que Vaulpergue avait mal retenu ses instructions sur le chemin qu'il devait prendre, et au lieu de se trouver entre deux corps de garde, l'un d'infanterie et l'autre de cavalerie, donna à la tête d'un corps de gens de pied. — La nouvelle de ce désastre fut colportée dans la ville le lendemain et en même temps on apprenait l'arrivée de 10.000 Anglais sous la charge des lords Pembroke, Clinton et Grey, venant renforcer l'armée assiégeante[64], — dont ceux de Saint-Quentin, écrit l'amiral, commencèrent un peu à s'étonner ; mais je fis tant que je les remis pour cette fois-là, en leur remontrant que je n'étais point venu là pour me perdre, et que j'y avais amené tant de gens de bien que quand il n'y en entrerait point d'autres, avec ceux-là, nous étions suffisants pour nous bien défendre. — Il sut peu après que parmi les réfugiés se trouvaient plusieurs bons hommes de la frontière qui avaient accoutumé de faire la guerre en de petits forts où ils se tenaient. Il chargea deux gentilshommes de la région, les sieurs de Caulincourt et d'Amerval, de les enrôler et tous deux lui montrèrent deux cent vingt hommes assez bien armés et en bon équipage, auxquels il fit bailler à chacun un écu et leur donna un quartier. — C'était un expédient, en attendant mieux. Restait toujours à introduire dans la place les troupes du dehors. Coligny pensa utiliser les marécages qui se trouvaient proche le faubourg d'Isle et la Somme. De nuit, on y creusa un canal étroit mais suffisant pour porter des petits bateaux. La ville n'était investie que de trois côtés, — au nord, à l'est et à l'ouest[65] ; celui qui touchait aux marais, considéré comme inabordable, avait été négligé et, sur la rive gauche, l'ennemi n'occupait que le faubourg d'Isle et un moulin[66] couvrant l'extrémité de la chaussée de Rouvroy qui traversait une demi-lieue plus haut ces palus et assurait la communication du camp espagnol avec le faubourg. — Montmorency voulut reconnaître lui-même la position, et le 8 août, il vint avec 5.000 hommes à Essigny-le-Grand. Dans la nuit, il s'avança jusque sous la place et put arrêter avec l'amiral les dispositions à prendre. — Toutefois qu'il eut repoussé l'idée d'une attaque de nuit, le plan adopté pour jeter des secours dans Saint-Quentin avait quelques chances de réussite. On devait arriver sur la Somme au point du jour, repousser dans le faubourg d'Isle les troupes espagnoles échelonnées sur la rive gauche et occuper la tête de la chaussée de Rouvroy. Pendant ce temps, une fausse attaque d'artillerie avec quinze pièces, — six canons, quatre longues couleuvrines, deux bâtardes et trois moyennes, dit Fr. de Rabutin, — devait détourner l'attention du duc de Savoie, campé à l'ouest de la ville. Deux mille hommes, commandés par d'Andelot, profiteraient de cette diversion pour s'introduire dans la place par les marais avec des bateaux chargés de munitions et amenés de La Fere sur des charrettes. — Une telle opération, en plein jour, sans livrer bataille, en présence d'une armée trois fois supérieure à celle que pouvait mettre en ligne le connétable, — et que, d'ailleurs, il ne voulait risquer car elle était la seule dont disposât le royaume, — demandait au moins une hardiesse d'exécution susceptible de décontenancer l'ennemi. Mais Montmorency, adroit courtisan, était, comme soldat et surtout comme chef, l'outrecuidance et la sottise mêmes. Aigre et borné comme il le fut toujours, il n'admit même pas l'insuffisance des mesures prises : Laissez ! Laissez ! faisait-il, je veux montrer au duc de Savoie un tour de vieille guerre ! — Ensuite, au lieu de se présenter vers quatre heures du matin comme il avait été convenu, encombré par la masse des valets et des vivandiers qui couvraient les routes de charroi et devaient rendre la retraite presque impossible, il n'arriva qu'à neuf heures. Les dix ou douze bateaux, la plupart en mauvais état, qu'il amenait et qui auraient dû se trouver en tête des colonnes, étaient en queue et ne purent être utilisés que deux heures plus tard. Enfin, il négligea de faire occuper fortement la chaussée de Rouvroy dont le prince de Condé, avec des troupes légères, s'empara dès le début de l'action. — Cependant, les Espagnols furent surpris, n'attendant aucune nouvelle ni alarme de nous, dit Jean de Mergey. Le maréchal de Saint-André, qui dirigeait la fausse attaque de gauche, canonna si vigoureusement le duc de Savoie qu'il le fit déguerpir ayant à peine revêtu sa cuirasse et se retirer en désordre vers le camp du comte d'Egmont, au nord de la ville. Toutefois, ce ne fut qu'un tapage d'artillerie et qui fit plus de bruit que d'effet. Tandis que la garnison du faubourg d'Isle, repoussée du premier élan des troupes françaises, dirigeait le feu d'une batterie sur le corps de secours et le culbutait dans les marécages de la Somme, l'armée espagnole se reforma au camp d'Egmont pour se jeter ensuite sur la chaussée de Rouvroy. D'Andelot parvint à peine à faire entrer avec lui quelques hommes dans la ville[67]. Le passage mal reconnu[68], les bateaux trop chargés s'enlisaient, n'arrivaient pas à traverser ; plusieurs chavirèrent ; les hommes se jetant à l'eau disparaissaient dans la vase ; 200 à peine atteignirent la place, — environ 500, selon d'autres récits ; tout le reste se noya, fut pris ou tué[69]. Mais c'était vers la chaussée de Rouvroy que devait avoir lieu l'action décisive. Il n'y pouvait passer que trois chevaux de front, et deux ou trois cents arquebusiers, que demanda le comte de La Rochefoucauld, y auraient arrêté net toutes les forces de Philippe II. Le connétable le reconnut, puis tergiversa, laissant aux Espagnols le temps de contourner la ville, et lorsqu'il se décida à envoyer le duc de Nevers avec trois compagnies d'ordonnance, il était trop tard. Formé en masses serrées, l'ennemi, après avoir franchi la Somme, le tournait par la vallée d'Harly, la Neuville-Saint-Amand et la vallée du Mesnil. Condé et le duc de Nevers soutinrent un premier choc et durent se replier sur la bataille en pleine retraite. Montmorency espéra un moment s'appuyer aux bois de Gibercourt. Mais les vivandiers, les valets et goujats qui couvraient les routes et les encombraient de leur charroi, pris de panique, se jetèrent dans les rangs des hommes d'armes et mirent tout en désordre par leurs crieries. Les comtes d'Egmont et de Horn, les comtes de Mansfeld et de Gueldres, les ducs Henri et Ernest de Brunswick chargèrent avec 10.000 chevaux dans cette masse confuse, déjà démoralisée, et la retraite ne fut plus qu'une déroute. Le dernier effort eut lieu entre Essigny-le-Grand et Gibercourt où l'infanterie était massée et qu'il fallut entamer à coups de canon[70]. 5.000 hommes, 8.000 peut-être, restèrent sur le carreau ; on emmenait les prisonniers à troupeaux comme moutons. Le connétable, blessé d'un coup de pistolet dont il cuida mourir[71] ; le maréchal de Saint-André, le Rhingrave, les ducs de Montpensier et de Longueville avaient été pris[72] ; le duc d'Enghien[73], le vicomte de Turenne, 300 gentilshommes, la plupart signalés, se firent tuer ; seuls le duc de Nevers, Condé, François de Montmorency, avec quelques débris de l'armée, parvinrent à gagner La Fère, et M. de Bourdillon y ramena deux pièces d'artillerie[74] (10 août 1557). Philippe II s'était tenu prudemment à Cambrai durant que se donnaient les coups. Il arriva le lendemain de la bataille et ses capitaines, enhardis par le succès, lui proposèrent hardiment de marcher sur Paris[75]. La route était libre en effet ; le Roi de France n'avait pas 1.000 hommes à mettre sur les champs pour lui barrer le passage. Philippe hésita, rappelant à ses conseillers le désastre de Charles-Quint en Provence et préféra poursuivre le siège de Saint-Quentin. — C'était faire le jeu de son adversaire, et arrêté devant cette bicoque, il allait lui donner le temps de se reprendre. Nous pouvons insister, car c'est ici la grande page de la vie de Coligny, le moment où ses qualités indéniables de résistance, son opiniâtreté, sa persévérance froide trouvèrent dans les circonstances une application pour ainsi dire providentielle. Dur à lui-même comme aux autres, âme d'acier et corps infatigable, esprit volontaire, absolu, dévoué pour une idée et s'y acharnant, on doit lui rendre au moins cette justice, l'amiral se révéla ici tout entier. Il fut l'homme nécessaire et s'il n'eut pas la gloire du duc de Guise aux jours fameux de la défense de Metz, son entêtement à préserver, sans espoir autre que de gagner quelques jours, cette place aux murs éboulés contre laquelle s'obstinaient sottement les 60.000 hommes d'une armée victorieuse, sauva son pays de l'invasion, de l'affolement et de la ruine[76]. — Avec d'Andelot y étaient entrés environ 500 hommes, dont quelques gentilshommes pour leur plaisir et, nous l'avons indiqué déjà, le sieur de Saint-Remy, cet ingénieur militaire qui avait servi le duc François de Lorraine au siège de Metz. L'amiral les utilisa de suite, mais fut deux jours sans savoir exactement la déroute du connétable, sinon, dit-il, que quelques soldats qui avaient été pris échappèrent du camp des ennemis et vinrent se jeter dans les fossés de notre ville, qui me contèrent comment tout s'était passé ; puis quelque nombre d'enseignes que les ennemis mirent en parade sur leurs tranchées pour nous en donner la vue. La nouvelle enfin connue étonna et consterna tout le monde et même une partie des gens de guerre et il eut fort à faire pour les rassurer. Ceux que l'on faisait travailler aux remparts[77], que déjà il ne pouvait recouvrer qu'à coups de bâton, se cachèrent dorénavant dans les caves et les greniers, et comme les terrassements devaient avoir lieu la nuit, à cause du grand dommage que faisait l'artillerie, malgré la surveillance tous se dérobaient en moins d'une heure. Pour les intimider, Coligny fit faire une revue de ceux qui ne travaillaient point et de nouveau en fit sortir 500 à 600, lesquels au vu de ceux de la ville furent assez mal traités des ennemis, — mais sans obtenir beaucoup plus de ceux qui restaient. Après quelques jours, le duc de Nevers, qui avait recueilli les débris de l'armée du connétable et secondé par son beau-frère le prince de Condé, qui tint la campagne avec des troupes légères jusqu'à l'automne, réussit à lui faire parvenir 120 arquebusiers, mais gens nouveaux, encore tout désarmés et qui n'apportèrent pas grande faveur. Ils étaient partis 300 ; ils furent arrêtés aux avant-postes et rompus, et de leurs chefs, il n'entra qu'un sergent. Ce fut le dernier secours qui parvint dans la ville. L'amiral, secondé admirablement par d'Andelot, ne songeait d'ailleurs nullement à se rendre. Il lui fallait à tout prix gagner du temps, retarder la chute inévitable de la place, battue de toutes parts, devant laquelle on avait amené de Cambrai de nouvelles pièces d'artillerie ; où l'on multipliait dans les approches tranchées, gabionnades et terreplains. Les sorties étaient impossibles, à cause du petit nombre des défenseurs. Les assiégés ne pouvaient qu'user de contre-mines, combler les brèches, élever des traverses, même de vieux bateaux emplis de terre qu'utilisa d'Andelot. Cependant il ne demeura bientôt une seule tour qui ne fût abattue et fort peu de courtines, et quand l'ennemi eut gagné les fossés, l'ingénieur Saint-Remy lui-même désespéra. Il se sentait impuissant. II dit à l'amiral qu'il n'avait jamais mis le pied en si mauvaise place et qu'il y avait longtemps qu'il en avait averti le roi[78]. Dans la ville aussi bien que parmi la garnison, la crainte peu à peu gagnait ; chacun sentait que la fin était proche. Coligny, qui surveillait tout, déclara néanmoins de nouveau qu'il avait arrêté et résolu de ne pas se rendre et que si on le voyait tenir propos de composition, il permettait qu'on le jetât comme lâche dans les fossés. Le sixième jour de la batterie, on cru t bien que les Espagnols allaient donner l'assaut car ils se présentèrent en plusieurs endroits dans les fossés jusques aux parapets, à la longueur des piques ; et le guet qui était dans le clocher de la grande église avertit M. l'admiral que de toutes parts il voyait l'ennemi se mettre en armes et s'acheminer aux tranchées. C'est que la veille — 24 août — on avait arrêté au petit jour un jeune homme qui essayait de s'évader en descendant la muraille lequel avait déclaré qu'il n'y avait plus dans la ville que six cents soldats ; que les habitants ne prenaient les armes que contraints et forcés[79] ; que l'artillerie qui se trouvait dans le bourg avait fait de grands dégâts dans les maisons et tué beaucoup de personnes notables. Philippe II commanda donc aux Anglais de lancer sur la ville huit flèches, chacune entourée d'un papier sur lequel Sa Majesté avait fait mettre qu'il offrait aux habitants la vie sauve et la facilité d'aller où ils voudraient sans être dépouillés, les engageant à bien rendre compte que l'amiral les trompait par de fausses promesses, et que si, comme il en était certain, la ville était prise, ils seraient tous passés au fil de l'épée[80]. Ces flèches furent portées à Coligny qui répondit en les renvoyant après avoir écrit sur les papiers : Regem habemus ! et le lendemain toute l'artillerie du dehors tonna contre les murailles et défenses ; soixante pièces de grosse artillerie tiraient à la fois. Le feu fut mis ensuite à trois mines sous le rempart ; mais le dommage rie fut pas si grand que l'espérait l'ennemi et les officiers espagnols se contentèrent de venir reconnaître les brèches du côté où se tenait l'amiral et de descendre dans le fossé que gardait d'Andelot. En même temps, un incendie se déclarait derrière les Jacobins ; trente maisons brûlèrent, le vent poussant les flammes droit au cœur de la ville, et Coligny dut y courir avec deux ou trois gentilshommes et faire abattre quelques bicoques pour arrêter les ravages du feu[81]. Chaque jour, d'ailleurs, il lui fallait admonester les bourgeois, la garnison qui perdait cœur pour se voir trop faible et ne montrait que mauvaise volonté. La canonnade redoublait, achevant de démanteler la malheureuse ville, et le 28 août, enfin, après dix-sept jours de lutte acharnée, elle fut emportée d'assaut. — Le rempart était ouvert par onze brèches depuis la Tour-à-l'Eau jusqu'à la tour de Coulombie, et Coligny dit lui-même qu'il n'avait pas 800 hommes tant bons que mauvais pour les couvrir[82]. Débordés, les gens d'armes du Dauphin lâchèrent pied ou se replièrent devant les colonnes d'attaque[83] ; lorsque l'amiral accourut accompagné d'un page et de deux gentilshommes, criant : Il nous faut tous mourir ou repousser ces gens-là !, l'ennemi entrait en furie, Espagnols, Allemands, Anglais pêle-mêle, avec des hurlements de victoire, et seul avec le même courage que d'Andelot, le capitaine Jarnac défendit âprement la brèche du faubourg d'Isle, tellement, dit Fr. de Rabutin, que les ennemis, étant entrés dans la ville et qui déjà saccageaient et butinaient partout, les vinrent prendre et défaire par derrière avant qu'ils pensassent leur montrer visage. — Coligny sentit que la ville était prise, dit M. Dargaud, et qu'il n'y avait plus à lutter. Il se résigna douloureusement, mais avec autant de promptitude qu'il avait jusque-là déployé d'opiniâtreté. Il appela un Espagnol, Francisque Diaz, qui dut le disputer à un arquebusier, survenant la mèche déjà sur le serpentin et se rendit[84]. — Mais avant de poursuivre, on nous permettra d'examiner attentivement le récit que l'amiral donne lui-même de cet épisode malheureux, et l'on nous permettra de n'y point trouver avec les auteurs protestants ou simplement des panégyristes, un acte avant tout méritoire. — Il se résigna douloureusement ! C'est assez vite conclure. Il n'était pas seul dans Saint-Quentin. Jusqu'alors, il avait repoussé toute idée de composition. Une seule fois, il indique dans son Discours[85] qu'il eut une conversation avec d'Andelot et Saint-Remy, aux dernières heures du siège, et qu'il hésita à continuer la résistance. Il leur déclara qu'il ne regrettait pas de sacrifier sa personne pour le service du Roi, mais qu'il se souvenait du blâme qui avait couru sur M. de Montmorency à la prise de Thérouanne pour s'être obstiné quand il n'y avait plus d'espoir ; toutefois, il espérait encore gagner du temps, et attendre le secours du dehors. — Tous avaient délibéré de mourir avant que de parler de se rendre, dit également un contemporain[86]. — Après ces déclarations véhémentes, l'amiral, lorsqu'il lui fallut comprendre que toute résistance était inutile, ne tenta rien, n'essaya rien pour sauver au moins quelques-unes des existences dont il se trouvait répondre ; pour épargner à la malheureuse ville qu'il avait forcée à tenir, à résister quand même, les horreurs d'une des plus épouvantables dévastations dont l'histoire nous garde le souvenir. Nous insistons à regret, car jusqu'alors son attitude à Saint-Quentin entraînait l'admiration. Mais au dernier moment, l'égoïsme, le sentiment de- conservation personnelle, peut-on dire, l'emporta. Il n'était pas même blessé, entouré par les assaillants, sommé de mettre bas les armes. Il était libre de rallier les siens, son, frère même, qui continuaient à se battre, à défendre les autres brèches selon les ordres qu'il avait donnés. Il n'y avait plus que des horions à recevoir et, sans plus s'occuper du reste, il préféra se mettre à l'abri. Il dit à ceux qui l'accompagnaient de le désigner aux Espagnols comme étant Coligny afin d'en finir plus vite et pour éviter toute méprise ; lors, continue-t-il, celui qui me prit s'adressa à moi et me tira quelques coups d'épée, puis me demanda s'il était vrai que je fusse l'amiral ; je lui dis qu'ouy et il cessa de me plus charger. Un arquebusier qui survint criait : A la part ! A la part ! Coligny leur représenta qu'ils n'entrassent pas en question et qu'il était bien suffisant pour les contenter tous les deux. Ils s'accordèrent enfin et Francisque Diaz, qui l'avait attaqué le premier, lui demanda si ces deux qui l'accompagnaient étaient cavaliers. Il répondit qu'ils étaient gentilshommes et à lui, et de même un page qui était avec eux. — Lors, poursuit l'amiral, dont nous suivons simplement le récit, ce Diaz leur dit qu'ils se tinssent près de moi et qu'ils ne m'abandonnassent point. Il demanda à l'un d'eux qu'il lui enseignât quelque bonne et riche maison où il pût aller (piller). Je lui dis qu'il me semblait avoir fait assez bon butin de me prendre sans se vouloir amuser à autre chose. Il demanda ce que je voulais faire. Je lui dis que je voyais les Allemands qui commençaient à entrer et que je le priais de m'ôter de leur chemin. Lors il m'ôta l'épée et me fit asseoir auprès du rempart, et incontinent après vint à moi et me dit que je le suivisse et qu'il me mènerait en lieu de sûreté. Lors il monta sur la brèche même que je gardais, par laquelle nul ennemi n'était encore entré dans la ville, et par là me fit descendre dans le fossé. Quand nous fûmes au fond et près de l'entrée d'une mine qu'on avait faite, survinrent deux ou trois, l'un desquels faisait semblant de me vouloir prendre, avec lequel il eut de grandes paroles. Il me fit entrer en cette mine où je trouvai le mestre de camp Alonzo de Cazères avec lequel il parla. — Peu après arriva le duc de Savoie, assez surpris d'une telle capture et qui montra quelque défiance. Le duc, en effet, ne pouvait accepter que le commandant de la place, l'amiral de France, se fût livré dès le début de l'action, lorsque la bataille continuait, acharnée, et manifesta ensuite, pour le prisonnier, un dédain dont les auteurs protestants, aujourd'hui encore, s'étonnent avec naïveté. Il fit lever à Coligny la vue de sa bourguignote et le regarda en disant qu'il n'était pas l'amiral. Le vaincu répondit qu'il n'y avait pas si longtemps qu'il l'avait rencontré et pouvait le reconnaître. Quelqu'un fit alors remarquer sa chaîne d'or où pendait Saint Michel et le duc de Savoie, se rendant à l'évidence, donna l'ordre au mestre de camp de le mener dans sa tente. — Coligny, en se retournant vers la ville, put voir encore l'assaut furieux donné aux remparts, la brèche défendue par d'Andelot et où l'on se battait avec rage, le flot montant des troupes ennemies qui submergeait peu à peu la citadelle. Mais, enfin, d'Andelot fut pris, et avec lui Jarnac, Saint-Remy, vingt gentilshommes et capitaines[87], et le pillage commença au milieu de l'incendie et du massacre. — Ce pillage et ce massacre furent horribles et durèrent deux jours. On nous dit bien que le duc de Savoie s'opposa énergiquement à la tuerie et prescrivit sous peine de mort de recevoir à merci tous ceux qui se rendraient ; que Philippe II vit avec douleur les affreux désordres qui suivirent l'assaut[88]. Mais, en fait, on n'épargna que les rares qui pouvaient donner rançon, comme à Thérouanne et à Hesdin. Tout le reste, habitants et soldats, fut sacrifié, même des vieillards, des enfants et des femmes. On allait les chercher jusque dans les caves où ils s'étaient réfugiés. Un témoin oculaire[89] rapporte qu'il vit des cadavres éventrés, étendus par les rues. Les parts de prise montèrent à 1.000, 2.000 ducats pour de simples soldats ; certaines allèrent jusqu'à 12.000[90]. Les femmes eurent à subir toutes les violences des vainqueurs. Sur l'ordre de Philippe II, on en réunit environ 3.000 dans la collégiale et les tentes du duc de Savoie, mais après les avoir dépouillées, ne leur laissant que la chemise. Elles restèrent là sans nourriture. Des brutes les frappaient à coups de couteau sur la tête, au visage pour leur faire dire où elles avaient caché de l'argent. II y en eut que l'on mit complètement nues et auxquelles on coupa un bras parce qu'elles cherchaient à s'en cacher. Le 28, le roi d'Espagne fit conduire dans les tentes de l'évêque d'Arras quelques-unes encore de celles qui purent être sauvées. Mais le pillage continuait. Les Allemands avaient mis le feu aux quatre coins de la ville. Depuis l'assaut, on n'avait enterré personne et le nombre des cadavres laissés dans les rues et sur les places était si grand qu'on les mit par tas, le seul hommage qui pût alors être rendu à ces morts étant de les préserver d'être piétinés par les bestiaux. Le Roi ordonna enfin que les femmes fussent renvoyées en France et fit protéger le convoi par une escorte. Ces malheureuses, chassées de la collégiale, durent traverser les carrefours où gisaient encore leurs parents, leurs amis, qu'elles reconnaissaient en pleurant. Beaucoup moururent sur les chemins, chargées de coups, couvertes de plaies qui n'avaient reçu aucun traitement et présentaient un aspect hideux ; des vieilles sans coiffe et les cheveux blancs tachés de sang, des jeunes portant de tout petits enfants, d'autres soutenant leur bras mutilé. Quelques-unes des 'plus vigoureuses furent enfin reprises et envoyées en Espagne où on les vendit comme esclaves aux fermières de la vieille Castille[91]. — Le 30 août, Philippe II fit son entrée dans la ville conquise, parmi les corps toujours étendus des hommes et des chevaux et put voir les ravages de ses troupes, toutes les maisons saccagées, les meubles brisés jonchant les rues, les portes béantes sur des logis en ruine. Dans les fossés gisaient encore les combattants tués à l'assaut, pêle-mêle avec d'autres que les Anglais avaient assassinés durant le sac et qui avaient été jetés par-dessus la muraille. Cependant, d'Andelot, détenu au camp ennemi et redoutant une nouvelle captivité comme celle du château de Milan, parvint à se couler sous les bords de la tente où il était enfermé et pour parler bon espagnol passa à travers les lignes ; de nuit, il traversa le marais de la Somme dans l'eau jusqu'à la gorge où il se pensa noyer et gagna Ham. De là, il rejoignit Henri II auquel il put raconter les péripéties du siège. — On surveilla de plus près l'amiral son frère après cette évasion audacieuse et les deux premiers jours il n'obtint même pas de pouvoir écrire au Roi. Le lendemain de la prise de la ville, raconte Mergey dans ses trop courts Mémoires[92], M. de Savoye donna à disner à M. le comte de La Rochefoucauld, pris à la bataille de Saint-Quentin ou bataille de Saint-Laurent — et à M. l'admiral ; mais il mit vis-à-vis de lui M. de La Rochefoucauld, et M. l'admiral était tout au bas bout de la table, qui était longue et où il y avait force capitaines et gentilshommes, ne lui disant, une seule parole ni ne faisant semblant de le voir. Les historiens protestants n'ont voulu voir qu'un insultant accueil et une petitesse de procédés dans l'acte certainement réfléchi du général de Philippe II, marquant ainsi son peu d'estime pour un commandant de place pourvu d'une des premières charges du royaume, qui s'était rendu au moment où s'engageait l'action et avait laissé les siens se faire tuer tandis qu'il se garait des arquebusades et des piques, — et ont opposé l'inflexible droiture et les hautes capacités de Coligny à l'esprit mesquin, étroit, calculateur et envieux du duc de Savoie, dont la rapacité tira, dit-on, 500.000 écus de la rançon des prisonniers faits à Saint-Quentin[93], qu'il rachetait à vil prix parmi ses troupes. Il convient de passer sur ces appréciations, toutes différentes selon le point de vine et le parti des narrateurs, et de s'en tenir simplement aux faits. Peut-être, d'ailleurs, Coligny pensa-t-il que son devoir était de se réserver pour des circonstances prochaines et qu'il lui fallait d'abord éviter toute malaventure. Il ne se départait nullement d'ailleurs de son calme et l'attitude taciturne du prisonnier surmontant noblement son malheur lui était, semble-t-il, naturelle. Un des soldats qui le gardaient, rapporte l'officier espagnol auquel nous devons un des récits du siège, lui demanda un jour : Pourquoi votre Seigneurie reste-t-elle silencieuse ? Les affaires de France vont bien et nous avons encore le Roi à prendre. — Il répondit : Avant trente jours, le Roi viendra avec une puissante armée ! — D'ici à trente jours, fit encore le soldat, nous aurons pris La Fère, Guise, Le Câtelet et Péronne ! — Tu ne dis même pas dans cette heure de malheur, s'il plaît à Dieu ! dit l'amiral très fâché[94]. — A la vérité, ce qui affectait surtout Coligny c'est que le désastre de Saint-Quentin, la capture du connétable, la sienne propre allaient avoir pour résultat de ramener au premier plan sur la scène militaire son rival détesté le duc de Guise, le seul général dans lequel on eût confiance, devant lequel tout le royaume déjà se soulevait d'enthousiasme et qu'on attendait comme un sauveur. Le Roi ne répondit même pas à la lettre qu'il lui adressa le 30 août pour se justifier et bientôt il dut prendre le chemin de l'exil avec deux de ses gentilshommes, Favaz et d'Avantigny. Deux compagnies d'arquebusiers l'escortaient. Quand il passa devant le pavillon de Philippe II, il éternua et un des soldats lui dit : — Que Dieu bénisse votre Seigneurie ! — Comme jusqu'ici ! répondit un autre[95]. — On le conduisit à Cambrai, puis à Lille, et il fut enfin enfermé à l'Ecluse. |
[1] Commentaires de l'Estat de la Religion et République, liv. I.
[2] Le Passevent parisien (1556), un des seuls pamphlets catholiques de l'époque qui aient été réimprimés, donne de curieux détails sur la manière dont les calvinistes introduisaient en France les livres fabriqués à Genève par six imprimeurs, à deux ou trois presses chacun. Edit. Liseux, 1875, p. 20.
[3] Pierre de la Place. — Il faut rappeler que P. de la Place, président à la cour des aides et qui fut tué à la Saint-Barthélemy, était calviniste. Brantôme, qui ne pouvait manquer une si riche occasion, s'est également fait l'écho de ce bruit populaire, et si nous l'en croyons, au sortir des prêches, les dames auraient pratiqué la charité d'une plaisante façon. L'histoire de la belle Gotterelle, femme d'un avocat de Poitiers, pour n'être probablement qu'un potin, est à ce sujet assez édifiante. Cf. les Dames galantes, discours I.
[4] Quelques-unes de ces chansons des huguenots, au reste d'une indigence consternante, ont été recueillies et publiées par M. H. Bordier. Cf. le Chansonnier huguenot du seizième siècle, 2 vol., 1871. Les moins mauvaises, si l'on peut ainsi parler, sont encore les chansons polémiques, — contre le pape antechrist, ou la papauté mère nourrice d'abomination ; les nonnains qui faisaient de petits moyneaulx ; le purgatoire, les pèlerinages, la puante messe, la messe infecte, le Dieu de paste, le Dieu de farine, le Dieu à la merci des rats, etc. C'est assez dire qu'elles contiennent beaucoup plus d'injures que d'esprit. Eustorg de Beaulieu, qui en composa un certain nombre, était, de l'avis même de l'éditeur, un prêtre assez léger, dans son pays natal, le Limousin, avant d'adopter la Réforme ; ibid., p. 29. — Dans le même goût, on peut citer un Discours de la vermine et prestraille de Lyon déchassée par le bras fort du Seigneur, etc., poème d'environ 600 vers, imprimé à Lyon en 1562 et reproduit par M. A. DE MONTAIGLON dans ses Poésies françaises des quinzième et seizième siècles, t. VII.
[5] Bulletin de la Société du protestantisme, t. V, p. 384.
[6] C'est ainsi qu'une femme fut louée par son mari, affirme Henri Estienne, à un jeune cardinal se trouvant au concile de Trente. (Apologie pour Hérodote, t. I, chap. XII.)
[7] En quelques lieux d'Italie, ajoute le même auteur, et principalement à Venise, il n'est pas jusqu'aux vieilles tétasses qu'on ne mette en parade. (Ibid.)
[8] Traité des reliques ou Avertissement très utile du grand profit qui reviendrait à la chrétienté s'il se faisait inventaire de tous les corps saints, etc. Genève, 1543. Réédité dans le Dictionnaire des reliques de Collin DE PLANCY et en fac-similé d'après l'édition de 1599, par J.-G. Fick. Genève, 1863. Ce sont, en effet, les protestants du seizième siècle qui ont inventé les catalogues de fausses reliques et Collin de Plancy, hier M. Paul Parfait, ne trouvèrent rien de nouveau.
[9] A Sainte-Marie-Majeure, on conservait de même, parait-il, trois planches de la crèche, du foin et les langes de Jésus-Christ.
[10] Cf. J.-A. DULAURE, Des Divinités génératrices, chap. XII. Edit. du Mercure de France, p. 204, et la très belle réimpression d'Isidore Liseux.
[11] Les huguenots de même se gaussèrent plus tard des lavements d'eau bénite que se faisaient donner les mignons de Henri III pour prévenir les mauvaises suites de l'arrière-Vénus. Cf. Journal de l'Estoile, dans le Recueil de pièces servant à l'histoire d'Henri III, Cologne, 1666.
[12] Th. DE BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 894.
[13] H. ESTIENNE, Apologie, t. I, chap. XIII. L'accusation, convient cependant son dernier éditeur, est aujourd'hui reconnue fausse ; mais les huguenots n'en étaient pas à un mensonge près.
[14] H. Estienne dit crûment qu'il fallait envoyer les jacobins en chaire, les cordeliers au chœur, les carmes à la cuisine et les augustins au bordeau. Apologie, t. II, p. 362.
[15] A Valence, en Espagne. L'accusation était du reste générale.
[16] Cf. le chap. XXI de l'Apologie pour Hérodote, où H. Estienne a collectionné nombre d'anecdotes touchant la paillardise du clergé. Pour donner d'abondance ses preuves, Estienne accepte d'ailleurs des contes comme ceux de Pogge, Sacchetti, Massuccio, les Nouvelles de la Reine de Navarre, et avec une candeur désarmante, met ces témoignages au même rang que des faits historiques. La Monnaye nous dit au reste que H. Estienne était un huguenot malin et outré.
[17] H. ESTIENNE, op. cit., t. II.
[18] Cf. ce que dit M. DARGAUD dans son Histoire de la liberté religieuse, t. I p. 133.
[19] A l'entrée de Henri II à Blois, on avait fait dépouiller un certain nombre de putains et étant toutes nues les fit-on monter sur des bœufs et en tel équipage firent leurs montres partout où sembla bon à Messieurs [de l'Echevinage] qui les suivaient faisant office de pique-bœufs. H. ESTIENNE, op. cit., t. I, chap. XII.
[20] Cf. la Chronique de Claude Haton, t. I, p. 89 et suivantes.
[21] Le Passevent parisien, traitant de la vie de ceux qui sont allés demeurer à Genève et se disent vivre selon la réformation de l'Evangile, les montre en effet sous un jour plutôt fâcheux et dans la série des portraits que contient ce factum, depuis Calvin tenant une nonne sortie de l'abbaye de Vieillemur en Albigeois et qu'il entretint cinq ans de la bourse des pauvres jusqu'au ministre de Lausanne, Jean Rubite, toujours portant la braïette deslassée ou la main dedans, la pruderie de notre langue permet difficilement de le suivre. L'auteur se complaît trop abondamment sans doute à parler des écarts de ces puritains tous mariés mais qui ont des bordeaux par les fossés de Genève, Lausanne et autres villes, sans les putains qui sont par les cabarets et maisons. Mais si certains faits ne doivent être retenus qu'avec prudence, les documents nous ont suffisamment appris d'autre part comment florissaient alors à Genève la délation et le faux témoignage, et il n'est pas très sûr, nous l'avons vu plus haut, que l'on puisse contester ses affirmations que tous bannis et gens de méchante vie y étaient bien venus et bien reçus et que sa population menaçait de devenir l'écume de la chrétienté. Cf. l'édit. Liseux, 1875.
[22] Sous le règne de Henri II on trouve la mention de vingt-huit personnes suppliciées pour faits de religion ; mais cette liste est probablement très incomplète. — Cf. Journal des Savants, article de M. Mignet, 1857.
[23] Les protestants avaient été jusqu'à l'accuser, lui aussi, de pédérastie. (Le Passavant de Théodore Bèze, 1875.) C'est l'accusation courante que se renvoient les deux partis.
[24] F. GRÉGOROVIUS, les Tombeaux des papes romains, trad. F. Sabatier, 1859. — Son orgueil était devenu si pointilleux que les ministres étrangers tremblaient en l'approchant ; on n'osait le contredire, tant il gardait de ressentiment contre ceux qui discutaient son opinion. ALBÉRI, Relazione di Bernardo Navagero, et BASCHET, Diplomatie vénitienne.
[25] Les Impériaux, dit F. DE RABUTIN, suspectaient le pape être Français et de favoriser le parti du Roi, imaginant que s'il vivait longuement, il s'employerait jusques au bout et ferait tous ses efforts d'admettre et rappeler les Français en Italie... Pourquoi plusieurs cardinaux espagnols et autres seigneurs italiens, tant séculiers que de l'Eglise, mêmement de la maison des Colonnois et leurs alliés commencèrent à conspirer contre lui, pourvurent et munirent leurs palais et maisons de toutes sortes d'armes, afin d'armer subitement gens de guerre qu'ils y amèneraient secrètement et tous ceux de leur faction. (Commentaires, liv. VII.) — Selon la version de Rabutin, le pape aurait eu ainsi à réprimer une conjuration du parti espagnol et ses confiscations auraient été justifiées.
[26] Commentaires de l'Estat de la Religion et République, liv. I.
[27] Selon les bruits populaires, — que durent bien contribuer à répandre cette fois encore les calvinistes s'ils ne les inventèrent pas, — le cardinal entrant à Paris et faisant le geste de bénir la foule accourue sur son passage, disait entre ses dents au lieu des paroles consacrées : Pauvres idiots, restez idiots tant que vous voudrez ! — Cf. FORNERON, op. cit., t. I, p. 167.
[28] TAVANNES, Mémoires. — C'était encore l'avis de Saint-Simon ; cf. t. IX, chap. XII. — Sur l'aventure de Fr. de Montmorency avec Jeanne de Pionnes, une des filles d'honneur de la reine Catherine, M. le baron de Ruble a publié un certain nombre de pièces curieuses, dont les interrogatoires et des lettres. Bien que, dans sa déposition, Jeanne de Piennes ait affirmé qu'il y avait eu seulement promesse d'épousailles, — le passage est du reste raturé et corrigé, parce que, dit M. de Ruble, le greffier n'avait pas rencontré du premier jet la rédaction qui convenait aux commissaires enquêteurs. Or il semble bien que les jeunes gens étaient unis par mariage secret. C'est l'opinion de l'ambassadeur Simon Renard qui dit, dans une lettre à Philippe II : Ledit sieur de Montmorency était jà marié à la sœur de Pionnes. (Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle, t. IV, p. 749.) — Ce fut Coligny qui révéla au Roi l'union contractée par son cousin. Plus loin, M. de Ruble ajoute d'ailleurs : Bien que le mariage parût indissoluble, il avait été consenti à l'insu des deux familles et l'état de minorité des conjoints autorisait le connétable à en demander la dissolution au pape. Les interrogatoires furent envoyés à Rome, avec tout ce qu'on put ramasser d'autorités de l'Ecriture Sainte et des Pères contre les mariages faits sans le consentement des parents. (Additions aux mémoires de Castelnau, ibid., p. 387.) Ce ne serait donc point un engagement de fiançailles que Montmorency aurait eu à faire annuler, mais une union véritable, que l'Eglise reconnaissait comme valable. (Cf. Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Île de France, t. VI.) Jeanne de Piennes fut enfermée aux Filles-Dieu et, plus tard, épousa Florimond Robertet, baron d'Alluye, secrétaire d'Etat.
[29] Claude HATON, Mémoires (Collection des Documents inédits), t. II, p. 29.
[30] DARGAUD, Histoire de la liberté religieuse, t. I, p. 100.
[31] Mémoires du sieur Jean de Mergey ; édit. Buchon, p. 254.
[32] Le Pape, en dépit de ce premier secours, n'était nullement rassuré. Le 8 novembre, il accueillit avec irritation les attachés à l'ambassade, Lansac et de Selve, leur demandant des nouvelles de l'armée que le Roi lui avait promise et répétant qu'il mettrait la couronne de l'empire sur la tête de Sa Majesté (Henri II) et ferait son second fils roi de Naples et un autre duc de Milan ; que sa querelle était la querelle de Dieu et de son Eglise et que quiconque mettrait en avant une paix était ministre du diable, ministre d'iniquité, favorable aux méchants hérétiques, traître et déloyal serviteur à son maître, et que Dieu le maudirait et en ferait la vengeance, et qu'il priait Dieu de le maudire comme il le maudissait. Et s'adressant aux deux attachés : Quant à vous, dit-il, cheminez droit l'un et l'autre car je vous jure le Dieu éternel que je vous ferai voler les têtes de dessus les épaules ; et ne pensez pas pour cela que j'attende des nouvelles du Roi, car je vous ferai trancher les têtes et puis après j'en écrirai au Roi, et lui manderai que je vous ai châtiés et punis comme traîtres de Sa Majesté et de moi ; et n'estimez pas que pour Hies gens que vous, le Roi laisse de m'être bon fils, car j'en enverrai à terre des centaines de telles têtes que les vôtres, et l'amitié d'entre le Roi mon fils et moi ne sera de cela de rien altérée. — Sa Sainteté, tant elle craignait un arrangement, continua ce propos près d'une heure, ajoutent Lansac et de Selve dans leur rapport à Henri II, et en telle colère qu'elle s'en mit hors d'haleine et ne pouvait plus parler. — RIBIER, Mémoire au Roi, t. II, p. 665 ; DE THOU, Histoire universelle, liv. XXVII. Cf. MONTLUC, Commentaires.
[33] LÉO et BOTTA, Histoire d'Italie, t. III. Paris, 1844.
[34] VIEILLEVILLE, Mémoires, liv. VII, chap. I.
[35] TAVANNES.
[36] Ces troupes étaient du reste dans un état lamentable. La duchesse de Ferrare, Renée de France, fille de Louis XII, sauva, dit Brantôme, plus de dix mille âmes de pauvres Français, tant de gens de guerre que d'autres, qui fussent morts de faim et de nécessité sans elle, lesquels passant à Ferrare, elle secourait de tous remèdes et d'argent, à tant qu'il y en avait. — Les Dames illustres ; édit. Buchon, t. II.
[37] Commentaires des dernières guerres de la Gaule Belgique, liv. VIII.
[38] Robert, duc de Bouillon et maréchal de France, qui avait épousé Françoise de Brézé, une des filles de Diane de Poitiers, et défendu Hesdin contre les Impériaux. On dit, rapporte Brantôme, qu'après avoir payé grosse rançon il fut livré à sa femme tout empoisonné. Toutefois, cet on-dit lui semble bien incertain, car il ajoute : J'ai su pourtant de bon lieu qu'il mourut pour autre sujet, que je ne dirai point polir fuir scandale, et empoisonné pourtant par ses plus proches. (Hommes illustres, etc. Edit. Buchon, t. I, p. 279.) Cf. DE THOU, Claude HATON.
[39] Sur la conspiration de Metz, cf. les Mémoires de VIEILLEVILLE, liv. VI.
[40] Papiers d'Etat du cardinal Granvelle, t. IV.
[41] LA PLACE, Commentaires ; LA POPELINIÈRE, Histoire de France.
[42] L'amiral les encouragea à poursuivre leur voyage et promit de les assister avec sa marine. Ils s'embarquèrent à Honfleur sur trois navires, au nombre de deux cent quatre-vingt-dix personnes, y compris les équipages. (20 novembre 1556.)
[43] Entre ses doléances, il se plaignait qu'au précédent voyage il n'avait eu ni gracieuse parole, ni autre démonstration par laquelle il pût croire an contentement du Roi. (Lettre au connétable, 26 août 1556. Bibl. nat., mss. fr. 3122, f° 40.)
[44] Cf. RABUTIN, Commentaires, liv. VIII ; LA PLACE, Commentaires, — Des historiens, parmi lesquels ou regrette de rencontrer le duc d'Aumale, ont avancé que la trêve de Vaucelles avait été rompue de son chef même par l'amiral qui voulait inaugurer sa lieutenance générale de Picardie par un coup d'éclat, les Châtillon ne pouvant se résigner à voir leurs rivaux [les Guise] occuper seuls la scène. (Histoire des princes de Condé, t. I.) Mais les témoignages des contemporains sont formels et d'ailleurs, si bien en cour que se trouvât Coligny, — gouverneur de Picardie, on l'a vu, depuis 1555, — il ne pouvait prendre sur lui une telle responsabilité. On doit plutôt reconnaître, dans les ordres donnés par Henri II, l'influence malheureuse de son compère le connétable, espérant, avec son outrecuidance habituelle, frapper l'ennemi en brusquant la rupture. — D'Aubigné affirme, d'autre part, que l'amiral tenta le coup de main de Douai pour montrer son obéissance contre les accusations de la duchesse de Valentinois, laquelle portant ceux de Guise, empêchait le Roi de sentir la faute commise en entreprenant la guerre d'Italie.
[45] RABUTIN ; LA POPELINIÈRE, liv. IV. Cf. une lettre de l'amiral à Henri II, 8 janvier (DELABORDE, G. de Coligny, t. I).
[46] Fr. DE RABUTIN, liv. IX.
[47]
Lettre du connétable à de Humières, 11 janvier 1557. (Bibl. nat., mss. fr. 3135, f° 67.)
[48] Monsieur de Humières, écrit à ce propos l'amiral, j'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite du XIII de ce mois, par laquelle vous me fîtes entendre que M. le connétable vous a mandé rendre les prisonniers et autre butin... de quoi j'eusse bien désiré que vous m'eussiez averti devant que de y toucher. Si vous y avez commencé, de par Dieu, soit ; mais je vous en prie M. de Humières, gardez le reste de ce que vous pouvez encore avoir, jusqu'à ce que je vous le mande, et une autre fois quand je serai par deçà, pour quelque commandement que vous ayez, ne passez point outre sans me le faire savoir ; de cela je vous en déchargerai toujours ; car M. le connétable ni autre ne peut savoir l'état des affaires de mon gouvernement si bien que moi. (Bibl. nat., mss. fr. 3135, f° 75.)
[49] Le sieur de Bassefontaine nous mande, écrit le connétable, qu'on lui a baillé sa maison pour arrêts et à ses gens, avec défense d'écrire ou négocier avec qui que ce soit, qui est cause qu'il nous faudra faire de même à l'endroit de leur ambassadeur. 24 janvier. (Bibl. nat., mss. fr. 3148, f° 1.)
[50] Nous avons su qu'ils ont recommencé les courses et pilleries, tant sur la frontière de Champagne et Metz que sur celle de Picardie ; de sorte que le Roi qui n'est pas pour comporter telles indignités et hostilités, a écrit à M. de Nevers et au sieur de Vieilleville, et semblablement à mon neveu, Monsieur l'admiral, qu'ils lâchent tous la bride à leurs gens pour prendre la revanche de toutes parts. (Bibl. nat., mss. fr. 3148, f° 1.)
[51] Très probablement Namur ; il semble n'y avoir là qu'une simple faute de copie.
[52] RABUTIN, Commentaires, liv. IX.
[53] RABUTIN, Commentaires, liv. IX.
[54] Il n'y avait dedans que le sieur de Téligny, lieutenant de la compagnie de M. le Dauphin, de cent hommes d'armes, et quelques gentilshommes de ladite compagnie — aussi y était le capitaine Breuil de Bretagne, qui en était gouverneur — et, au surplus, la ville était si mal pourvue de gens de guerre, qu'il n'y avait ordre de recevoir cette grosse armée et moins encore d'y résister. (RABUTIN, Commentaires, liv. IX.)
[55] Henri II était à Reims lorsqu'il reçut le roi d'armes Norroy, envoyé par Marie Tudor pour sa déclaration de guerre, auquel Sa Majesté même, après lui avoir été remontré par M. le connétable de quelle douceur le roi usait envers lui, ayant mérité griève punition pour avoir passé par son royaume sans sauf-conduit, fit briève et prompte réponse que si, sans occasion et cause, sa maîtresse lui voulait être adversaire et ennemie... Dieu, juste examinateur de toutes choses et équitable rétributeur, lui donnerait le moyen de pouvoir se défendre d'elle qui n'était qu'une femme, autant et bien heureusement que ses prédécesseurs avaient repoussé et battu les siens, et avec autant d'avantage qu'il lui ferait la grâce d'en avoir sur elle. F. RABUTIN. — Le Roi s'en moqua, dit Mézeray, et se contenta d'opposer femme à femme en engageant la reine d'Ecosse à déclarer la guerre à la reine d'Angleterre. — Cf. Papiers d'Etat du cardinal Granvelle, t. V, p. 75. Il faut ajouter d'ailleurs que la reine Marie avait de réels sujets de ressentiment contre Henri II — Voir ce que dit LINGUARD, Histoire d'Angleterre, t. II.
[56] F. DE RABUTIN, Commentaires, liv. IX ; Discours de GASPARD DE COLIGNY où sont sommairement contenues les choses qui se sont passées durant le siège de Saint-Quentin en 1557. — Henri II, dans une lettre au connétable, reconnaît lui-même que les Espagnols étaient à peu prés libres de s'attaquer où ils voudraient et que les mesures de résistance étaient mal prises. — Il leur est bien ayse à faire ce qu'ils veulent, dit-il, vu le mauvais ordre qu'ils trouvent partout et [je] ne doute point qu'ils ne puissent aller jusques à Paris s'ils en ont envie, et me semble que nous avons fait une grande faute qui nous coûtera cher, qui est que nous n'avons de meilleure heure fait serrer les vivres dedans les places et ôter les fers des moulins, et valait beaucoup mieux laisser crier le peuple que voir ce que nous voyons. (Bibl. nat., mss. fr. 3132.)
[57] COLIGNY, Discours ; F. RABUTIN, Commentaires. — Le lieutenant de la compagnie de Rambouillet entra peu d'heures après l'amiral avec cent hommes, et le capitaine Saint-André à 4 heures après-midi du même jour, avec cent cinquante. La garnison se trouva d'environ 450 hommes de guerre. Les chiffres, on le voit, sont contradictoires. (Antoine CHABAUD, Mémoire historique sur la ville de Saint-Quentin, écrit en 1725 ; Mémoires de la Société académique de Saint-Quentin, 1886.)
[58] Saint-Quentin n'avait pour fortification qu'un mur flanqué de petites tours élevées, ainsi que les courtines, sur des masses de terre roulante provenant de l'excavation des fossés, sans contrescarpes revêtues, et la Somme avec des marais impraticables ou du moins très difficiles pour les travaux d'un siège, sur près de la moitié de son pourtour. (Ant. CHABAUD, Mémoire historique.) — De précieuses indications topographiques se trouvent encore dans le Récit du siège par un officier espagnol, publié par M. Ch. Gomart. La ville de Saint-Quentin, dit-il, contient beaucoup de jardins dans son enceinte. Sa position élevée lui permet de dominer les vallées environnantes, et notre camp établi dans ces vallées eut beaucoup à souffrir de l'artillerie de la place. Un tiers de sa circonférence est bordé par un lac d'eau profonde (le marais de la Somme), large d'au moins trente pas, qui s'étend jusqu'à deux portées d'arquebuse dans la direction des Flandres. Le faubourg d'Isle, à moitié sur le lac et moitié sur la terre ferme, était fortifié et communiquait avec la ville par des ponts de bois. Il comptait environ une centaine de maisons. L'entrée en était défendue par un bastion de terre plein à l'intérieur et un pont-levis avec un fossé au-dessous. Bataille de Saint-Quentin racontée par un officier espagnol de l'armée de Philippe II. Saint-Quentin, 1873, in-8°.
[59] Ch. GOMART, Siège et bataille de Saint-Quentin en 1557, in-8°, 1859.
[60] La ville ne possédait alors que deux moulins à vent, le moulin Béquerel dans le faubourg d'Isle et un autre sur le terre-plein de la tour Sainte-Catherine, outre une quinzaine de moulins à bras. Ant. CHABAUD, Mémoire historique. Mémoires de la Société académique de Saint-Quentin, 1886.
[61] Les habitants et la garnison avaient cru devoir l'abandonner, cet ouvrage n'ayant pas de parapet et étant dominé par des maisons situées sur le bord de son fossé et occupées par les Espagnols. (Ant. CHABAUD, Mémoire historique.) Lors de l'attaque commandée par l'amiral, les maisons furent incendiées avec les flèches portant des fusées chargées de poudre à canon qui s'enflammaient par le choc. Les assiégés tirèrent tant de ces flèches que toutes les maisons s'allumèrent et les arbres aussi. (Récit du siège par un officier espagnol.)
[62] C'était Charles de Téligny, chevalier, seigneur de la Salle, sous-lieutenant de la compagnie du Dauphin. (Le P. ANSELME, Histoire généal.) Son-petit-fils, qui épousa plus tard la fille de Coligny, fut tué à la Saint-Barthélemy. Cf. BRANTÔME, t. I, p. 216.
[63] Ce projet semblait devoir réussir d'autant plus facilement que l'espace de terrain compris entre la rive droite de la Somme et l'ancien chemin de Ham ou de Paris, où les Anglais qui n'étaient pas encore arrivés avaient leur camp marqué, était à jour et demi de tout poste. (Ant. CHABAIJD, Mémoire historique). — A jour et demi semble toutefois une exagération ; Saint-Quentin n'a jamais été qu'une petite ville et je ne crois pas que, même aujourd'hui, il faille si longtemps pour en faire le tour.
[64] L'armée de Philippe II comprenait ainsi 4.500 hommes d'infanterie espagnole ; 6.000 hommes d'infanterie anglaise ; 3.500 cavaliers aux longs manteaux, Flamands, Allemands, hommes d'armes Espagnols et Anglais, 20.000 hommes d'infanterie allemande, des Wallons et des Bourguignons. (Ch. GOMART, Récit du siège par un officier espagnol, p. 392.) Mais ici encore il y a quelque incertitude dans les chiffres donnés.
[65] Les Allemands, Wallons et Flamands occupaient la rive droite de la Somme depuis Rouvroy jusqu'au vieux chemin de Ham et de Paris : les Espagnols la rive gauche. (Ant. CHABAUD, Mémoire historique.)
[66] Le moulin Béquerel dont il a été question plus haut.
[67] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, liv. Ier, chap. X.
[68] Un ouvrage publié à Saint-Quentin sur la Guerre de 1557 en Picardie (in-4°, 1896), donne un portrait de d'Andelot. Le caractère principal de cette figure, c'est l'effronterie.
[69] Le connétable fit déloger deux enseignes qui étaient au moulin de Gauchy et canonner le camp du duc de Savoie qui s'étendait entre Raucourt et Oëstres, qu'il obligea à se porter en dehors et au sud-ouest du faubourg Saint-Jean. D'Andelot, guidé par le capitaine Saint-Romain, profita de ce mouvement pour s'avancer vers la place avec 4 ou 500 hommes d'élite et plusieurs gentilshommes volontaires, tels que le vicomte du Mont-Notre-Dame, La Curée, Matas et Saint-Remy, qui avait de la réputation pour les mines et l'expérience de sept ou huit places assiégées dans lesquelles il s'était trouvé. Un commissaire d'artillerie et trois canonniers, dont l'espèce était rare dans ce temps, faisaient aussi partie de ce secours qui fut embarqué sur des bateaux et des nacelles avec tant de précipitation et si peu de précaution que plusieurs restèrent échoués et enfoncés dans la vase des marais avec le monde qu'ils portaient ou coulèrent à fond dans la rivière. Le reste du secours entra dans la place, partie par la poterne de la Tour-y-Val, partie pardessus le mur d'enceinte, au moyen d'échelles qu'on leur passait du rempart. Ant. CHABAUD, Mémoire historique.
[70] La cavalerie française, composée pour la plupart de jeunes gens sans expérience, fut aisément culbutée ; elle courut se rallier sur le gros de l'infanterie qui fui elle-même renversée après avoir fait tout ce qu'il était possible d'en attendre dans un terrain découvert et nu, vis-à-vis d'un ennemi très supérieur. Ant. CHABAUD, Mémoire historique.
[71] D'un coup de lance à la hanche, selon le récit d'Antoine Chabaud.
[72] Le connétable fut conduit avec le Rhingrave, Jean Philippe, comte palatin du Rhin, à Antdorff et gardé à l'auberge du Lyon-Rouge, dans la rue de la Chambre. Le 23 août, au soir, on emmena l'un à Gand, l'autre à Utrecht. (La Bataille de Saint-Quentin, etc., relations allemandes, dans les Mémoires de la Société académique de Saint-Quentin, 1874.)
[73] C'était Jean de Bourbon, duc d'Enghien et d'Estouteville, comte de Soissons, fils naturel de Charles, cardinal de Bourbon. Entouré d'Allemands et sommé de remettre son épée, il s'écria : Jà Dieu ne plaise qu'on ne die jamais de moi que je me suis rendu à telle canaille. — Et il se fit tuer. Il n'y avait pas trois mois qu'il était marié, épousant sa cousine germaine, dont il était épris depuis plusieurs années. — Cf. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 13.
[74] Selon d'autres récits, la perte des Français aurait été de 2,500 hommes seulement avec leur artillerie, qui consistait en 15 pièces de canon, dont on ne fit aucun usage dans cette journée. (Ant. CHABAUD, Mémoire historique.) L'auteur cité ne tient aucun compte ainsi de l'attaque d'artillerie du maréchal de Saint-André, rapportée plus haut.
[75] Combien de journées d'ici à Paris ? demandait le roi d'Espagne à ses prisonniers. La Roche du Maine, vieil et expérimenté capitaine, lui fit réponse que l'on appelait les batailles bien souvent journées, et que s'il l'entendait comme cela, il en trouverait encore trois pour le moins. (LA CHASTRE, Mémoire.) Philippe II, sans être dupe de cette bravade, n'eut cependant pas le courage de profiter de sa victoire.
[76] Une peinture que possède la Société de l'histoire du protestantisme et dont une très belle reproduction a été publiée au tome XLV de son Bulletin (1896), le représente très probablement tel qu'il était à l'époque et mérite justement de retenir notre attention avec les détails que nous ont transmis ses biographes. Il était de taille moyenne, avait le visage calme, le teint clair, la voix agréable mais un peu tardive et lente. Le nez était fort, assez long, les yeux petits — les trois frères avaient les yeux bleus — avec une nuance de ruse ; l'expression générale indique l'entêtement, l'ennui de l'orgueil. Quand on a vu ce portrait, on comprend l'homme — rigide, sacrifiant tout à l'idée — autoritaire, ambitieux et chagrin. — Il était de petite complexion, malgré ce qu'en dit François Hotman, souvent malade ; on ajoute qu'il ne pouvait manger de poisson, qui l'incommodait, et même en carême, lorsqu'il était encore catholique, en avait eu dispense du pape. (Lettre de Henri II, 4 mars 1555 (1556, n. s). Bibl. nat., mss. fr. 2846, f° 202 ; lettre du connétable, même date, ibid., f° 203.)
[77] L'amiral, qui n'avait pas été satisfait des bourgeois, chefs des seize quartiers de la ville, avait, dès les premiers jours du siège, nommé à leur place des gentilshommes habitants. Il fit part aux capitaines assemblés des mesures qu'il venait de prendre, et déclara tout haut qu'il serait accessible à toutes les heures du jour et de la nuit, sans égard au rang et au grade, pour quiconque voudrait bien l'aider de ses conseils. Il alla ensuite avec eux voir la place en détail, fit travailler sans délai aux réparations les plus urgentes, raser les jardins et couper les arbres du dehors de la porte Saint-Jean et faire des fascines. — Ant. CHABAUD, Mémoire historique, etc.
[78] Les batteries espagnoles avaient ruiné les faibles défenses des tours et même la plupart des courtines, au grand étonnement des assiégés qui, sur la foi d'un beau parement de grès, avaient cru leur maçonnerie excellente, tandis qu'elle ne couvrait qu'un moellon de craie lié par un maigre mortier, en sorte que les grès une fois détachés, la maçonnerie tombais en poussière. Les grès des parapets tuèrent et estropièrent beaucoup de monde aux assiégés. Les Espagnols démasquèrent dans l'abbaye d'Isle une nouvelle batterie dont ils battirent les deux tours de la porte d'Isle avec un effet si marqué que l'amiral s'aperçut que la peur avait saisi les habitants et même quelques gens de guerre. Les assiégeants n'avaient d'abord établi de batterie qu'en dehors du ravelin du faubourg d'Isle et au faubourg Saint-Jean, vraisemblablement sur la hauteur de Florimont, en avant de la rue d'Enfer, laquelle est un reste des tranchées faites durant ce siège. Ils commencèrent alors une nouvelle attaque du côté de Remicourt ; une terre assez facile à remuer, des débouchés commodes et peu éloignés de la gauche de leurs travaux à l'étang de haut, une infinité d'arbres, de haies et de broussailles qui favorisaient leurs approches jusque sur le bord du fossé et qu'on avait malheureusement négligé d'abattre et de couper, tout les avait sans doute décidés au choix de cette nouvelle attaque, sans que pour cela ils abandonnassent les autres ; ils établirent de nouvelles batteries depuis le moulin de la Couture, hors la porte Saint-Jean, jusqu'à la Tour-à-l'Eau qui était placée entre la porte d'Isle et celle de Remi-court ; ils travaillèrent aussi à pousser plusieurs rameaux des mines vers les tours du front de Remicourt, du côté des assiégés... Ce ne fut que le 21, au point du jour, que les batteries de brèche commencèrent à tirer. Mais la fortification n'était qu'une enceinte garnie de tours qui, par leur extrême petitesse, ne lui procuraient aucun flanc, entourées de fossés sans contrescarpe revêtue, avec un rempart si étroit et si élevé qu'il ôtait tout espoir de se retrancher soit sur son terre-plein, soit au bas de son talus intérieur dans la ville. (Ant. CHABAUD, op. cit.)
[79] C'est ce que rapporte de même, on l'a vu, en son propre nom Coligny. Il ne faut pas oublier qu'il se fait ici encore l'interprète de propos exprimés et qu'il n'y a en somme dans les accusations portées contre les habitants que son seul témoignage. — On doit dire cependant que lorsque la canonnade commença, les assiégés, selon une relation allemande, demandèrent à abandonner la ville pourvu que trois personnes, la figure couverte, pussent sortir librement. — Société académique de Saint-Quentin, 3e série, t. XI, 1874.
[80] Ch. GOMART, Bataille de Saint-Quentin racontée par un officier espagnol, p. 394.
[81] Le vent chassait vers le centre de la ville et l'amiral, malgré les prompts secours qu'il fit apporter, ne put empêcher qu'il y eût une trentaine de ces baraques brûlées. Les assiégeants avaient cependant gagné le pied du rempart et leurs mines les dessous des contre-mines de Saint-Remy qui ne put que se confesser vaincu dans son travail par celui de l'ennemi, sans néanmoins que ce contre-temps altérât ni son maintien ni sa valeur. Ant. CHABAUD, Mémoire historique, etc.
[82] Si l'on ne peut fournir des indications plus exactes, on sait au moins que les bourgeois prenaient part à la défense de la Tour-à-l'Eau. Mais l'amiral, qui n'en parle jamais que pour démontrer qu'il fut mal secondé, ne fournit à ce propos aucun détail.
[83] Coligny les accusa assez injustement ensuite : Encore, écrivit-il au Roi, que l'endroit que gardait l'enseigne de Monseigneur le Dauphin fut un des plus malaisés de toutes les brèches, si est-ce que par ce seul lieu nous avons été forcés. Le combat y fut si court qu'avant que j'y arrivasse, je trouvai qu'il était abandonné de plus de cent pas et tous s'enfuyaient dans la ville, ayant déjà laissé entrer trois enseignes d'Espagnols qui étaient de plus de cinquante pas dans la place... Il est raisonnable que ceux qui avaient la charge de cette brèche soient ouïs et allèguent leurs raisons. Quant à moi, j'ai opinion que s'ils se fussent là aussi bien opiniâtrés comme on fit généralement dans tous les autres endroits, je serais encore dans Saint-Quentin à vous y faire service. (Lettre au Roi, 30 août ; du camp devant Saint-Quentin ; HOTMAN, Vie de Coligny, trad. de 1665.) Mais l'amiral ici se vante ; les défenseurs étaient en trop petit nombre, la démoralisation générale, et si quelques obstinés encore pouvaient se faire tuer sur la muraille, personne, au jour où l'armée de Philippe II donna l'assaut, n'aurait pu l'empêcher d'entrer dans la ville.
[84] Fait assez curieux, il n'est aucunement question, dans les récits que nous possédons du siège et de la prise de la ville, des passages souterrains qui mettaient en communication, au besoin, le centre de Saint-Quentin avec le dehors et qui pouvaient être utilisés comme ils l'ont été en 1870 pour assurer, au moins en partie, le salut de la population. D'après des renseignements que nous avons pu nous procurer une des entrées de ces souterrains, qui probablement remontent à une très haute époque, se trouverait dans les caves de certaines maisons situées du côté ouest de la place de l'Hôtel-de-Ville, et conduisait à une salle circulaire dont le centre pourrait être occupé, comme par un pilier, par la, maçonnerie du puits maintenant transporté derrière la maison commune. Dans cette salle circulaire s'ouvraient quatre passages d'habitude clos à secret et s'orientant aux quatre points cardinaux. Le passage du nord aboutissait en 1870 encore à Morcourt.
[85] Discours de Gaspard de Coligny, etc.
[86] Mémoire de l'Estat et des affaires et histoire de France, sous la fin du règne du roi Henri II. — Bibl. nat., mss. fr. 5141, f° 1 et suivants.
[87] Comme on le menait à la tente du duc de Savoie, l'amiral eut la faible consolation de voir d'Andelot, son frère, disputant encore sa brèche aux assiégeants, tandis que les capitaines de Soleid et Forces leur vendaient cher la leur et que La Fayette les repoussait à la porte d'Isle environ une heure après qu'ils étaient entrés par les autres brèches. Ces braves officiers ne se rendirent que lorsqu'ils se virent pris à dos, à quoi ils n'avaient garde de s'attendre. Ant. CHABAUD, Mémoire historique.
[88] Ant. CHABAUD, Mémoire historique ; DARGAUD, op. cit., t. I.
[89] Relation d'un officier espagnol, etc., dans Ch. GOMART, Etudes Saint-Quentinoises, t. VI.
[90] Partie des habitants armés et des gens de guerre furent passés au fil de l'épée, la plupart des maisons pillées, les églises dépouillées de leurs ornements, des vases sacrés et de leurs reliques ; les tapisseries du chœur de l'église collégiale servent encore aujourd'hui d'ornement à l'église de l'Escurial. Il se trouva trois chanoines, Jean de Flavigny, Jean de Ville et Roland le Comte dans le nombre des habitants armés que les Espagnols passèrent au fil de l'épée. Ceux qui échappèrent à cette boucherie abandonnèrent la ville, à l'exception d'un seul, nommé Bequay. (Ant. CHABAUD, Mémoire historique.) — M. Quentin DE LA FONS (Histoire particulière de Saint-Quentin, t. II, p. 86) dit qu'il ne resta dans la ville qu'un prêtre nommé M. Simon et un individu nommé Picquoi, soupçonné d'intelligence secrète avec l'ennemi.
[91] Documentos ineditos para la historia de España, t. IX ; cité par M. H. FORNERON, les Ducs de Guise ; et Récit inédit et anonyme du siège de Saint-Quentin dans Ch. GOMART, Etudes Saint-Quentinoises, t. VI. — Philippe II fit enlever également deux cents jeunes gens des mieux faits qui se trouvèrent dans la ville et les envoya élever en Espagne, où, dans la suite, ils furent répartis dans ses troupes. (Ant. CHABAUD, Mémoire historique.)
[92] Mémoires de Mergey, édit. Buchon, p. 258.
[93] C'était le duc Philibert, appelé encore le prince de Piémont au moment du siège de Thérouanne. Il avait perdu terres et biens aux guerres depuis trente ans. (BRANTÔME.)
[94] Récit du siège, etc., p. 410.
[95] Récit du siège, etc., p. 411.