ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

TROISIÈME PARTIE — DATES DE LA PRÉDICATION ET DE LA MORT DU SAUVEUR

CHAPITRE III. — Les dates confirmatives.

 

 

Les dates confirmatives nous sont données, il est vrai, en chiffres exacts et précis, et c’est pourquoi nous les distinguons des dates purement approximatives ; mais l’histoire, par ses lacunes actuelles, nous refusant quelques-uns des éléments nécessaires pour la détermination absolue du point de départ de ces dates, leur époque finale se trouve ainsi rejetée dans une incertitude d’un an ou deux.

Malgré cette indétermination, les dates confirmatives complètent leur évidence en se réunissant, et, placées en regard des dates exactes, elles apportent à ces dernières une nouvelle certitude. Leur étude est donc très utile ici, et de plus elle nous offre le plus grand intérêt par la variété de ses sources. La première de ces dates est empruntée à la fameuse prophétie des semaines de Daniel, dans l’ancien Testament, la seconde à un texte de l’évangile de saint Jean, la troisième à la relation de la conversion du roi d’Édesse, Abgar, dans l’histoire ecclésiastique des premiers siècles, et les autres à divers récits tirés d’auteurs juifs. Ces dates, provenant de sources aussi différentes, nous montreront, par leur convergence vers les mêmes époques, l’accord parfait qui existe pour la chronologie, comme pour tout le reste, entre l’ancien Testament, l’Évangile et l’histoire.

 

§ Ier — La prophétie des semaines de Daniel.

Voici le texte de cette fameuse prophétie, dictée par l’archange Gabriel au prophète Daniel. (Daniel, IX, v. 21-27.)

Tandis que je continuais ma prière ; voici que, vers l’heure du sacrifice du soir, Gabriel, qui m’était apparu en vision dès le commencement, arriva jusqu’à moi par un vol rapide, et il m’instruisit, me parla et me dit : “ Daniel, je suis venu en ce moment pour te donner science et intelligence. Un oracle a été émis dès le commencement de ta prière, et moi je suis venu pour te le faire connaître, parce que tu es un homme de désir. Écoute donc cet oracle et comprends bien cette vision ”.

Soixante-dix semaines ont été fixées pour ton peuple et ta sainte cité, comme étant le terme où la prévarication sera abolie, où le péché prendra fin, où l’iniquité sera effacée, où la Justice éternelle sera amenée sur la terre, où les visions et les prophéties seront accomplies, et où le Saint des saints recevra l’onction.

Sache-le donc, et grave-le dans ton esprit : A partir de l’édit ordonnant la reconstruction de Jérusalem jusqu’au Christ-Roi, il s’écoulera sept semaines et soixante-deux semaines ; et les murailles de la ville avec les places seront réédifiées en des temps pleins d’angoisses ; et après les soixante-deux semaines, le Christ sera mis à mort et le peuple qui doit le renier ne sera plus son peuple, et un autre  peuple avec son chef viendra détruire la ville et le sanctuaire. Une ruine complète terminera la guerre, et à la guerre succédera la dévastation décrétée.

Mais pendant une semaine, il confirmera son alliance avec un grand nombre, et au milieu de la semaine l’hostie et le sacrifice cesseront l’abomination de la désolation sera dans le temple, et la désolation durera jusqu’à la fin[1].

I. Avant de rechercher les dates révélées ici par l’ange au prophète, il est nécessaire de poser quelques observations préliminaires.

1° Quatre événements bien célèbres et bien remarquables sont annoncés ici, savoir : la reconstruction des murs de Jérusalem, l’avènement du Christ, roi futur des élus, enfin la réprobation des Juifs ayant pour conséquence la destruction de Jérusalem, dont la désolation durera jusqu’à la fin des siècles.

2° Les soixante-dix semaines, pendant lesquelles ces événements doivent s’accomplir, ne sont pas des semaines de jours, mais bien des semaines d’années, suivant une manière de parler vulgairement en usage parmi les Juifs. On sait en effet que, chez eux, les mots : sabbat, semaine, s’appliquent aux années comme aux jours, et les écrivains sacrés, avec l’historien Josèphe, disent aussi bien l’an du sabbat pour désigner la septième année, que le jour du sabbat pour indiquer le septième jour[2].

Qu’il s’agisse ici de semaines d’années, c’est ce qui ressort de la simple lecture de ce passage ; car les événements que ces semaines embrassent dans leur durée ne pouvaient évidemment s’accomplir pendant soixante-dix semaines de jours ; le prophète lui-même l’indique assez dans son texte, lorsque, deux versets plus loin, ayant à parler d’autres semaines, il déclare, expressément et par deux fois, que ces dernières sont des semaines de jours, faisant ainsi comprendre que les semaines mentionnées plus haut étaient d’une espèce différente, c’est-à-dire des semaines d’années.

3° Le temps indiqué dans la prophétie se divise en trois périodes distinctes :

La première dure sept semaines ou quarante-neuf ans, et elle comprend la reconstruction des murs de Jérusalem pendant des temps difficiles.

La seconde période s’étend depuis l’entier achèvement des murs de la ville jusqu’au Christ-Roi, c’est-à-dire jusqu’à la manifestation publique du Sauveur, lorsque après avoir reçu le baptême de Jean-Baptiste, il annonça, pour la première fois, la venue du royaume de Dieu. Cette seconde période dure soixante-deux semaines ou quatre cent trente-quatre ans.

La troisième période ne dure qu’une semaine ; mais c’est la dernière et la plus importante de toutes ; elle comprend les sept années de grâce, spécialement accordées aux Juifs depuis la première prédication du Sauveur, jusqu’à la conversion du centurion Corneille. C’est en effet à cette dernière date que les Apôtres voient cesser pour eux le commandement de s’adresser uniquement aux Juifs, et qu’ils commencent au contraire à prêcher de préférence l’Évangile aux nations païennes.

Selon les paroles de la prophétie, le Messie, pendant cette dernière semaine, confirme (par lui-même d’abord et par ses Apôtres ensuite) son alliance avec un grand nombre de Juifs. Et c’est au milieu de cette semaine (c’est-à-dire après trois ans et demi) que le Messie est mis à mort, et que le peuple juif, qui l’a renié, cesse d’être son peuple, pour voir bientôt tomber sur lui toutes les malédictions prédites ici par Daniel, et auparavant par Moïse. (Deutéronome, XXVIII, v. 16 et suiv.)

Nous verrons plus loin, dans le quatrième chapitre de cette troisième partie, combien ces indications sont importantes pour préciser les principales époques de l’histoire évangélique.

Nous allons, quant à présent, rechercher le point de départ des soixante-dix semaines dans la chronologie générale, et, cela une fois obtenu, nous pourrons calculer, à quelques mois près, le commencement de la soixante-dixième semaine ; nous aurons ainsi la date de la prédication du Sauveur ; puis, en ajoutant la moitié d’une semaine ou trois ans et demi, nous aurons la date de la première Pentecôte chrétienne, qui fut le jour solennel de l’abolition des sacrifices de l’ancienne loi et le jour de la promulgation de la loi nouvelle. Enfin, en ajoutant encore trois ans et demi pour compléter la semaine, nous aurons l’époque du baptême du centurion Corneille, qui fut celle de l’entrée des Gentils dans le sein de l’Église[3]. Cet événement marque la fin des soixante-dix semaines.

Mais, pour avoir le point de départ- de ces semaines, il nous faut : 1° déterminer quel est le véritable édit auquel se réfère la prophétie ; et 2° en rechercher la date le plus exactement possible. Ces deux-points doivent être mis en lumière avec d’autant plus de soin que l’ignorance des commentateurs et des historiens les a trop souvent embrouillés et rendus inextricables.

II. D’après les propres termes de la prophétie, l’édit en question a expressément et uniquement pour objet la reconstruction des murs de Jérusalem. Or c’est là bien exactement aussi l’objet de l’édit qui fut obtenu par le juif Néhémie, pendant le mois de Nisan de la vingtième année du règne d’Artaxerxés Ier.

Trois autres édits avaient déjà été accordés par les rois de Perse en faveur des Juifs : le premier donné par Cyrus, en l’an 4178 de la période julienne, ou 536 avant l’ère chrétienne, permettait à Zorobabel de ramener en Judée les débris de la captivité, et même de rebâtir le temple, mais nullement les murs de Jérusalem. Ce n’était donc pas l’édit indiqué par la prophétie.

La reconstruction du temple ayant été interrompue sous le règne de Cambyse par la jalousie des Samaritains, le roi Darius donna un autre édit en la deuxième année de son règne (4194, P. J.) pour l’entier achèvement de cet édifice. En conséquence, le temple fut achevé quatre ans plus tard, en l’an 4198. Mais il n’était encore nullement question, dans cet édit, de la reconstruction des murs de la ville, et nous ne pouvons y trouver l’époque initiale des soixante-dix semaines.

Un troisième édit fut accordé en la septième année d’Artaxerxés Ier Longue-Main au prêtre Esdras, de la race d’Aaron, et cet édit lui permettait de prendre dans les trésors du grand roi toutes les sommes nécessaires pour l’entretien du temple de Jérusalem, mais ici encore il n’est aucunement question de la reconstruction des murailles de la ville sainte, et ce ne peut être l’époque initiale des soixante-dix semaines.

Enfin, en la vingtième année du règne du même Artaxerxés, le juif Néhémie, échanson de ce prince, obtient de lui un quatrième édit, lequel ordonne uniquement et expressément la reconstruction dé Jérusalem, de ses murs et de ses tours (Esdras, l. II, c. II, v. 5, etc.).

Néhémie dirigea lui-même cette œuvre importante, et, quant aux difficultés annoncées dans la prophétie pour ces temps pleins d’angoisses, elles sont restées célèbres dans l’histoire, puisque la sainte Écriture nous montre alors les Juifs sans cesse menacés par les Samaritains, bâtissant d’une main les murs de la ville, et de l’autre tenant le glaive pour se défendre.

Ce n’est pas, du reste, sans une attention bien remarquable de la Providence qu’un livre tout entier a été consacré, dans la sainte Écriture, à nous raconter la manière dont cet édit si important avait été obtenu et ensuite exécuté conformément à la prophétie de Daniel.

Voir donc bien l’édit donné pour la reconstruction des murs de Jérusalem ; voir bien le point de départ des soixante-dix semaines ; aucun doute sérieux n’est possible ici. Ces semaines commencent en la vingtième année du règne d’Artaxerxés Ier Longue-Main ; car telle est la date, plusieurs fois répétée dans la sainte Écriture, de cet édit célèbre. Mais quel est le rang de cette vingtième année dans la chronologie générale ?

C’est ce qu’il est plus difficile de trouver.

III. La grande difficulté des semaines de Daniel vient en effet de l’ignorance où l’on est, depuis longtemps, sur l’époque précise de l’avènement d’Artaxerxés Ier au trône. Les plus habiles chronologistes pensent qu’Artaxerxés monta sur le trône en l’an 4241, P. J. (ou 473 avant l’ère chrétienne), et la vingtième année de son règne correspondrait avec l’an 4260, P. J. Si donc nous acceptons cette date, comme époque initiale des soixante-dix semaines, la dernière de ces semaines commencera en l’an 4743, P. J. (ou 30, E. C.), pour finir en l’an 4750, P. J. (ou 37, E. C.).

La mort du Sauveur, que la prophétie place au milieu de cette semaine d’années, aurait ainsi pour date l’an 33 de l’ère chrétienne, plus quelques mois après le commencement de l’année, ce qui est parfaitement conforme à la réalité de l’histoire.

Certes, si l’époque de l’avènement d’Artaxerxés pouvait être établie ainsi d’une manière certaine, on devrait ranger la prophétie de Daniel parmi les dates les plus exactes de l’histoire évangélique ; malheureusement on ne peut la déterminer avec certitude qu’à dix-huit mois près. Une approximation aussi voisine de la vérité ne laisse pas que d’être merveilleuse. Fixons-en donc les limites précises.

IV. Il est certain qu’Artaxerxés n’avait pas encore succédé à Xerxès, son père, en l’an 4237, P. J., à l’époque de la trahison de Pausanias, roi de Sparte, puisque, d’après tous les historiens, ce fut à Xerxès lui-même que Pausanias s’adressa pour trahir les Grecs[4].

Bien plus, il est certain que Xerxès régnait encore en la douzième année qui suivit son avènement au trône, c’est-à-dire en l’an 4240, P. d. Cette certitude nous est acquise par les récents travaux de plusieurs savants, notamment de l’assyriologue M. Oppert. Il est prouvé en effet, d’après ces nouvelles découvertes, que l’Assuérus du livre d’Esther est le même que le Xerxès des Grecs, et les événements que raconte l’Écriture sainte étant rapportés au mois d’Adar, DERNIER MOIS de la douzième année de son règne commencé en l’an 4228, P. J., il s’ensuit qu’il régnait encore vers le mois d’Adar ou de mars 4240.

Mais il parait pareillement certain qu’Artaxerxès, son fils, était sur le trône trois ans plus tard, en 4243, P. J., époque de la fuite de l’Athénien Thémistocle chez les Perses ; car, d’après Thucydide et Charon de Lampsaque, historiens contemporains, ce fut à la cour du roi Artaxerxés lui-même que Thémistocle se réfugia dans le cours de cette année 4243. Malheureusement la date précise de l’avènement de ce roi ne nous a pas été donnée par eux, et d’autres écrivains postérieurs ont encore aggravé le résultat de cette omission, en prolongeant outre mesure la durée du règne précédent. Toute la difficulté gît dans cette erreur ; nous devons donc en donner l’histoire et la solution.

V. Ephorus de Cumes, en Éolie, lequel écrivait en l’an 4420, P. J., est le premier qui, confondant les noms de Xerxès et d’Artaxerxés, ait prolongé le règne de Xerxès aux dépens de celui de son fils. Un grand nombre d’historiens ont ensuite suivi cette erreur, notamment Diodore de Sicile et Eusèbe, qui, tous deux, reculent l’avènement d’Artaxerxès jusqu’en l’an 4249, P. J.

L’Art de vérifier les dates, dans l’histoire des Grecs et des Juifs, adopte l’année 4241, P. J. (473 avant l’ère chrétienne), et dans son histoire des Perses, celle de 4249. Cette contradiction laisse ainsi la difficulté sans la résoudre.

Quelques auteurs modernes prétendent concilier toutes ces divergences en supposant que Xerxès n’est mort qu’en 4249, et qu’Artaxerxès avait été associé au trône par son père, dès l’an 4241. Mais cette supposition est contraire à l’histoire, comme on peut le voir par le texte de Thucydide que nous allons bientôt citer.

VI. Pour trouver ici la vérité, il importe absolument de remonter aux sources.

Voici comment un auteur païen, Plutarque, dès la fin du premier siècle de l’ère chrétienne, résumait et jugeait cette importante discussion, dans la vie de Thémistocle.

Thucydide et Charon de Lampsaque assurent que Xerxès était mort, lorsque Thémistocle alla en Perse, et ils disent qu’il parla à son fils Artaxerxès ; mais Éphorus, Dinon, Clitarque, Héraclite et plusieurs autres, ont écrit qu’il s’était adressé à Xerxès.

Il me semble que le dire de Thucydide s’accorde mieux avec les fables chronologiques, où les événements se trouvent enregistrés d’après leur date[5], bien que ces tables elles-mêmes ne soient pas absolument certaines.

Ainsi Plutarque, auteur païen, après avoir consulté des auteurs et des documents qui, pour la plupart, n’existent plus aujourd’hui, Plutarque pense qu’Artaxerxès était sur le trône dès l’an 4243, époque de la fuite de Thémistocle. Il n’adopte toutefois ce sentiment qu’avec une certaine réserve, et cela tient, croyons-nous, à ce qu’il oublie d’examiner l’autorité bien différente des témoins cités dans le débat. Cet examen achèvera d’éclaircir la question.

VI. Le premier auteur cité en faveur de la première époque est l’Athénien Thucydide, concitoyen de Thémistocle, et contemporain de la fuite et de la vieillesse de ce dernier. Thucydide est considéré comme le modèle des historiens grecs, surtout a cause de l’exactitude hautement reconnue de ses récits. C’est donc un témoin absolument irrécusable.

Le second, Charon de Lampsaque, mérite encore mieux la qualification de contemporain de Thémistocle, car il vécut sous les règnes de Xerxès et d’Artaxerxès, et de plus, chose bien remarquable et comme providentielle ici, cet historien fut vassal de Thémistocle, lequel avait reçu du roi de Perse, pour sa pension, la propriété de la ville de Lampsaque où Charon demeurait alors.

Rien donc n’est plus irrécusable que l’autorité d’un tel témoin dans la question qui nous occupe, et, si les anciennes tables chronologiques étaient au temps de Plutarque d’accord avec le double témoignage de Thucydide et de Charon, cela prouve l’exactitude de ces tables, mais ne peut guère augmenter la certitude complète déjà produite par l’assertion identique de ces deux historiens témoins du fait raconté.

Quant aux auteurs que Plutarque cite comme contraires aux premiers, le plus ancien d’entre eux, Ephorus, écrivait près de deux siècles après Artaxerxès ; ensuite ils ont toujours été tous fort peu estimés, et il ne reste aujourd’hui presque rien de leurs ouvrages. Ils sont donc évidemment dans l’erreur, lorsqu’ils contredisent l’assertion des historiens contemporains et témoins oculaires des faits, et, d’autre part, leur erreur s’explique parfaitement par la facilité avec laquelle les auteurs qui n’étaient ni du temps ni du pays ont souvent confondu les noms de Xerxès et d’Artaxerxès[6]. Mais devant le témoignage précis des contemporains, cette confusion n’est plus possible, or l’erreur ne peut laisser la moindre illusion.

VII. Après avoir démontré l’autorité de Thucydide, nous citerons, en finissant, les propres paroles de cet historien :

Thémistocle, dit-il, étant arrivé à Éphèse, s’avança dans l’intérieur des terres avec un Persan qui demeurait sur la côte, et il écrivit au roi Artaxerxès, qui venait récemment de monter sur le trône de Perse, une lettre conçue en ces termes :

Thémistocle a recours à ARTAXERXÈS, dont il a offensé le PÈRE, après en avoir été attaqué ; mais il a depuis réparé cette offense par un grand service, lorsqu’il s’est vu hors du péril et que Xerxès y fut tombé, car c’est à moi que ce prince doit d’avoir pu opérer sa retraite après la bataille de Salamine, lorsque les Grecs voulaient lui couper le passage de l’Hellespont, et je viens maintenant pour rendre de plus grands services À SON SUCCESSEUR, étant persécuté par les Grecs à cause de lui (I, 137).

On ne peut rien ajouter à l’autorité d’un pareil document : c’est Thémistocle lui-même qui, cité par son contemporain et concitoyen Thucydide, nous assure que dès l’an 4243, époque de sa fuite, Xerxès était mort, et Artaxerxès roi de Perse.

Il est inutile d’ajouter que, dans les années qui suivent immédiatement celle-ci, le même Thucydide continue d’attester le règne d’Artaxerxès dans le récit des événements. Mais nous nous sommes attaché de préférence à l’exil de Thémistocle, parce que cet événement est le premier en date après l’avènement nettement indiqué d’Artaxerxès.

VIII. Ainsi il demeure certain qu’Artaxerxés régnait en l’an 4243, P. J., et depuis assez peu de temps, suivant l’expression de Thucydide, νεωστί. Il est pareillement certain que Xerxès régnait encore en l’an 4240, au mois de mars. Si nous prenons le milieu entre ces deux époques, nous aurons la fin de l’an 4241 comme date la plus approchée et certaine, à dix-huit mois prés, de l’avènement d’Artaxerxès. Certes ce ne sont pas ces dix-huit mois qui peuvent produire une difficulté sérieuse sûr le compte des soixante-dix semaines.

Or la vingtième année, à partir de l’an 4241, nous mène en l’an 4260, P. J. (454 avant l’ère chrétienne), époque de l’édit ordonnant la reconstruction des murs de Jérusalem[7]. Prenons maintenant les soixante-neuf semaines ou les quatre cent quatre-vingt-trois ans qui doivent s’écouler à partir de cet édit jusqu’à 1a manifestation publique du Christ-Roi, et nous aurons l’an 4743, P. J., ou 30 de l’ère chrétienne, ou 16 de l’empire de Tibère César.

Mais déjà, quelques mois avant cette dernière date, Jean-Baptiste avait du inaugurer son ministère de précurseur du Messie, et si nous ouvrons l’Évangile, nous y lisons en effet ce qui suit :

Or l’an 15 de Tibère César... la parole de Dieu se fit entendre à Jean, fils de Zacharie, dans le désert, et il vint dans toute la région du Jourdain, prêchant le baptême de la pénitence en rémission des péchés (Luc, III, 1 et suiv.).

Cet accord de la prophétie avec l’histoire est d’une évidence merveilleuse ; il explique bien la fureur des incrédules contre Daniel et ses prophéties[8].

Daniel a annoncé clairement la mort violente du Messie, l’apostasie et la réprobation des Juifs, la ruine et la perpétuelle désolation de Jérusalem, et ces évènements étaient d’autant plus impossibles à prévoir qu’ils étaient diamétralement opposés aux idées orgueilleuses des Juifs. Mais, de plus, Daniel va jusqu’à prédire l’époque de la plupart de ces événements et surtout l’époque de la prédication et de la mort du Christ. N’est-ce pas le un miracle de, premier ordre, et un miracle perpétuellement subsistant devant nos yeux ?

Toutefois, reconnaissons-le généreusement ; Dieu n’a pas voulu ici pousser e. bout l’incrédulité obstinée. Il reste une incertitude de dix-huit mois sur le compte des soixante-dix semaines ou des quatre cent quatre-vingt-dix ans marqués dans la prophétie. Ces quelques mois forment tout le refuge de l’incrédule, refuge bien étroit et semblable à celui où s’ensevelit l’oiseau de nuit qui ne veut pas voir la lumière du soleil. Libre à lui de nier et de fermer les yeux. Mais du fond de ses ténèbres peut-il empêcher l’astre radieux d’exister et de nous inonder de sa lumière bénie ?

 

§ II — Les années de la construction du temple.

I. Cette nouvelle indication confirme, à deux années près, l’époque de la prédication évangélique. Elle est tirée d’un entretien rapporté par saint Jean (c. III, v. 14-22) et expressément fixée par lui au commencement de la première année de cette prédication.

Or la Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem, et il trouva dans le temple des gens qui vendaient des bœufs, des moutons et des colombes, comme aussi des changeurs qui étaient assis à leurs tables.

Ayant donc fait une espère de fouet avec de petites cordes réunies, il les chassa tous du temple avec les moutons et les bœufs, il jeta par terre l’argent des changeurs et renversa leurs tables.

Les Juifs, prenant alors la parole, lui dirent par quel signe pouvez-vous montrer que vous avez le droit de faire ces choses ? Et Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours.

Les Juifs repartirent : ON A ÉTÉ QUARANTE-SIX ANS À BÂTIR CE TEMPLE, et vous, en trois jours, vous le rebâtiriez !

Or Jésus voulait parler du temple de son corps, et quand il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se souvinrent de cette parole dite par lui, et ils crurent à l’Écriture et à la parole de Jésus.

Ainsi, au moment de la première Pâque que Jésus vint célébrer à Jérusalem après son baptême, le temple où les Juifs étaient alors réunis avait exigé un intervalle de quarante-six ans pour sa construction.

II. Pour bien comprendre la valeur de cette indication, il faut observer avant tout qu’elle ne se rapporte ni à la première construction du temple faite sous Salomon en d’an 3723, P. J., ni à la seconde achevée sous Darius Ier, roi de Perse, en l’an 4198, mais bien à une troisième construction entreprise par Hérode Ier en l’an 4697, suivant l’Art de vérifier les dates.

Or, pour trouver quarante-six années complètes depuis cette adnée 4697, il faut aller jusqu’au commencement de l’an 4743 ou 30 de l’ère chrétienne. C’est donc en cette année-là que doit tomber la première Pâque de la prédication du Sauveur.

Cette preuve serait complètement exacte si la date de la construction du temple nous était connue d’une manière certaine ; mais on n’a que des probabilités pour la fixer en l’an 4697, et cette date n’est exacte qu’à deux années près. Or cette approximation même conserve encore une importance qui n’est pas à dédaigner pour la confirmation des époques de l’Évangile.

Examinons donc les éléments de cette date afin d’en bien déterminer toute la portée.

La construction du premier temple, sous Salomon, avait demandé sept ans et six mois de travail ; celle du second temple, terminée sous Darius, en l’an 4198, P. a., avait été commencée, il est vrai, vingt ans auparavant, sous Cyrus ; mais, interrompue presque aussitôt par la jalousie des Samaritains, elle ne fut reprise qu’en la seconde année du règne de Darius, et ne dura en réalité que quatre années. Ces deux premières constructions n’ont donc pas exigé quarante-six ans, et par conséquent ce n’est point d’elles que les Juifs entendent parler ici.

Au contraire, la réponse des Juifs à Notre-Seigneur s’explique parfaitement, si l’on observe qu’ils avaient sous les yeux une troisième construction que le roi Hérode avait entreprise de leur temps, qu’ils avaient vu exécuter récemment, et pour l’achèvement de laquelle les Israélites de la Judée et de toutes les parties du monde envoyaient alors, chaque année, des sommes immenses à Jérusalem. Or, au temps de Notre-Seigneur, cette construction, qui passait pour être la merveille du monde, et qui faisait l’orgueil de la nation, avait, déjà duré plus de quarante années, et c’est évidemment d’elle qu’il s’agit ici.

III. Voici en effet ce que nous apprend l’historien Josèphe sur cette reconstruction du temple :

Lorsque la dix-huitième année du règne d’Hérode était déjà passée, et après toutes les actions racontées plus haut, ce prince conçut une entreprise plus grande que ce qu’il avait fait jusque alors : c’était de reconstruire le temple de Dieu sur un plan beaucoup plus vaste et des dimensions plus grandiose (Antiq., XV, 4).

On employa neuf ans et demi à édifier le gros, couvre de cette nouvelle construction, après quoi la dédicace s’en fit avec une solennité dont nous omettons ici les détails. Mais les travaux ne s’arrêtèrent pas là, car le même Josèphe nous apprend, dans un autre endroit, qu’ils ne furent terminés complètement que sous l’empereur Néron, quelques années seulement avant la prise de Jérusalem : Ήδη γάρ τότε καί τό ίερόν έτετελεστο, immense autant que magnifique était ainsi à peine achevé, lorsqu’il fut dévoré par les flammes et enseveli pour jamais sous les ruines de la nationalité juive. Les derniers travaux, sous Néron, étaient même si considérables, qu’ils occupaient, au dire du même historien, plus de dix-huit mille ouvriers (Antiq., XX, 8). Cette troisième construction avait ainsi duré plus de quatre-vingts ans avant d’être complètement terminée, et si les Juifs, qui avaient ce temple sous les yeux au temps de Notre-Seigneur, ne parlent que de quarante-six ans, c’est que, à l’époque où ils se trouvaient, il ne s’était écoulé que ce laps de temps depuis le commencement de la construction sous Hérode Ier.

IV. Mais à quelle date précise faut-il rapporter ce commencement ?

Nous avons cité le texte même de Josèphe : Lorsque la dix-huitième année du règne d’Hérode était déjà passée. Τότεγάρ ΙΗ τής Ήρωδού βασιλείας γεγόνοτος ένιαυτοΰ, ce qui indique clairement que la dix-neuvième année était commentée, et il nous suffit de rappeler ici les considérations posées dans la seconde partie de ces Études, pour conclure que cette dix-neuvième année commençait avec le premier Nisan (13 mars) de l’an 4695.

Un grand nombre d’auteurs et de traducteurs ont fait ici une faute qui n’est pas sans importance pour la chronologie : ils supposent que le texte précité de Josèphe signifie la dix-huitième année, et non pas en réalité la dix-neuvième. Génébrard a évité cette faute dans sa traduction des œuvres de Josèphe ; mais beaucoup d’autres, notamment Arnauld d’Andilly, Buchon[9], le P. Patrizzi lui-même[10] s’y sont laissé surprendre, et l’erreur de ces écrivains nous oblige à exposer les preuves qui établissent ici la vérité :

Josèphe, ayant à raconter les événements arrivés un an avant l’entreprise du temple, indique ainsi la date de ces événements : La dix-septième année du règne d’Hérode étant déjà passée, César (l’empereur Auguste) vint en Syrie, etc. Or il est constant par les historiens Dion Cassius, Suétone et Tacite, qu’Auguste ne vint en Syrie qu’après le printemps de l’an 4694, P. J. (20 avant l’ère chrétienne), sous le consulat de Marcus Apuleius et de Silius Nerva, et il y resta jusqu’à l’hiver suivant[11].

Josèphe,-qui donne ici la même date que ces historiens, raconte ensuite tous les événements qui signalèrent cette dix-huitième année d’Hérode même après le départ d’Auguste, et c’est en suite de tous ces faits, au commencement du chapitre suivant, qu’il écrit le texte cité plus haut : La dix-huitième année du règne d’Hérode étant alors passée. Puis, comme si cette indication même ne lui paraissait pas assez claire, il ajoute : Après tous les actes qui viennent d’être racontés, le roi conçut le dessein de reconstruire le temple, etc.

La date de ce dessein est donc bien établie en l’an dix-neuf d’Hérode (4695). Mais l’historien fait observer ensuite que l’œuvre ne suivit pas immédiatement ; le peuple accueillit avec défiance la proposition du prince, et celui-ci, pour dissiper toute inquiétude, promit de ne toucher à l’ancienne construction que lorsqu’on aurait amené tous les matériaux nécessaires pour élever la nouvelle. Or ces préparatifs demandèrent naturellement un temps considérable. C’est sur cette observation, faite par l’historien, que s’est fondé Clémencet, dans l’Art de vérifier les dates, pour reculer deux ans plus tard l’époque réelle de la reconstruction du temple. Cet intervalle de deux années, pour la préparation des matériaux, parait bien considérable, et du moins n’a-t-il pas dû s’étendre au delà.

Ainsi la reconstruction du temple a commencé de l’an 4695 à l’an 4697, P. J.

V. Revenons maintenant au texte de l’Évangile : On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple.

Il faut bien observer ici la valeur des mots pour ne pas tomber dans une erreur trop fréquente et qui consiste à confondre, dans les calculs, les nombres cardinaux avec les nombres ordinaux. Il s’agit ici de quarante-six années entières et non pas de la quarante-sixième année, comme quelques-uns l’ont entendu. Cette fausse interprétation produit une erreur d’un an, et, en joignant cette erreur à celle qui résulte de l’interprétation du texte de Josèphe cité plus haut, cela fait une différence de deux années sur le compte réel. Cette double erreur explique comment ceux qui placent la mort du Sauveur en l’an 29 ont pu s’appuyer sur ce texte pour soutenir leur opinion ; mais il suffit de faire remarquer cette faute pour les réfuter.

La construction du temple ayant été commencée entre les années 4695 et 4697, P. J., les quarante-six ans à ajouter nous conduisent à l’intervalle compris entre les deux années 4741 et 4743, P. J., ou 28 et 30, E. C., quelque temps après le premier Nisan.

VI. C’est en effet en l’an 34, au moment de la fête de Pâque, que ces paroles furent prononcées. L’approximation donnée par cette date est donc de deux années entières. Clémencet explique cette différence en supposant, comme nous l’avons vu plus haut, que les eux années ont été retranchées au commencement de la période. Sans rejeter absolument cette solution à laquelle l’histoire donne quelque probabilité, nous serions assez porté à en admettre une autre et à penser que la construction du temple a eu un temps d’arrêt sous le gouvernement de Pilate et deux ans environ avant l’époque précise de la discussion des Juifs avec Notre-Seigneur. Josèphe et Philon nous apprennent en effet que ce gouverneur souleva contre lui tout le peuple juif, parce qu’il employait à des travaux profanes, tels que la construction d’un aqueduc, l’argent consacré dans le Corban pour l’édification ou l’embellissement du temple. Ce fait laisse supposer que l’état de cet édifice avait alors permis d’interrompre ou de diminuer considérablement les travaux de construction.

Cette dernière solution, déjà plausible en elle-même, expliquerait aussi pourquoi les Juifs, s’adressant à Notre-Seigneur, parlent du temple comme d’un édifice achevé et auquel on ne travaille plus.

Quoi qu’il en soit de ces dernières explications, la conclusion chronologique reste intacte : cette parole des Juifs à Notre-Seigneur n’a pu être prononcée en l’an 28, E. C., comme le prétend le P. Patrizzi (l. III, diss. 51, n° 8), mais seulement de la Pâque de l’an 28 à celle de l’an 30, et cette donnée suffit à prouver que la première année de la prédication du Sauveur n’a pu avoir lieu avant l’an 28, ni sa mort avant l’an 31.

 

§ III — La conversion du roi d’Édesse, Abgar.

I. Vers l’an 324 de l’ère chrétienne, Eusèbe, composant son histoire ecclésiastique, racontait ainsi la conversion du roi Abgar et de la ville d’Édesse, événement contemporain des premières prédications apostoliques (Hist. ecclés., I, 13).

La divinité de notre Sauveur et Maître s’étant manifestée par des merveilles connues de tout le monde, on vit un grand nombre d’étrangers venir en Judée de pays fort éloignés, dans l’espoir d’être guéris de leurs maladies ou autres incommodités. C’est ainsi qu’Abgar, prince célèbre et souverain d’un petit État situé au delà, de l’Euphrate, se trouvant affligé d’une maladie incurable, écrivit au Sauveur pour le supplier de le soulager. Le Sauveur, il est vrai, ne se rendit point à son appel, mais il lui écrivit une lettre où il promettait d’envoyer un jour un de ses disciples qui le guérirait et procurerait son salut ainsi que le salut des siens. Il ne tarda pas beaucoup à tenir sa promesse, car, après sa résurrection et son ascension, Thomas, l’un des douze Apôtres, cédant à une inspiration divine, envoya Thaddée, l’un des soixante-dix disciples, prêcher l’Évangile à Édesse, et, par l’entremise de ce dernier, la promesse du Sauveur fut alors accomplie.

La relation authentique de ces faits nous a été conservée dans les registres publics d’Édesse, qui contiennent l’histoire de cette ville et les actes d’Abgar. J’en ai extrait la lettre du prince et la réponse du Sauveur que j’ai traduite du syriaque en notre langue.

Lettre d’Abgar, toparque d’Édesse, portée par Ananie à Jésus, dans la ville de Jérusalem.

Abgar, toparque d’Édesse, à Jésus, Sauveur plein de bonté, apparu au pays de Jérusalem, salut.

J’ai appris les guérisons que vous faites sans le secours des herbes ni des remèdes ; je sais que vous rendez la vue aux aveugles, que vous faites marcher droit les boiteux, que vous guérissez la lèpre, que vous chassez les démons et les esprits impurs, que vous délivrez les infirmes de leurs maladies les plus invétérées et que vous ressuscitez les morts. Ayant appris toutes ces choses, je suis demeuré persuadé que vous étiez le fils de Dieu ou Dieu lui-même, descendu sur la terre pour y opérer de telles merveilles. C’est pourquoi je vous écris, vous suppliant de daigner venir chez moi et me guérir de la maladie dont je suis affligé. J’ai ouï dire que les Juifs murmurent contre vous et vous dressent des embûches ; la ville, dont je suis le souverain, quoique fort petite, est assez agréable et pourrait suffire pour vous et moi.

Telle fut la lettre qu’Abgar écrivit alors, quoique la lumière céleste n’eût encore éclairé son âme que de faibles rayons. Je crois devoir pareillement transcrire la réponse que le Sauveur lui renvoya par le même courrier ; elle est courte, mais toute remplie d’une vertu divine.

Réponse de Jésus au roi Abgar :

Vous êtes heureux, Abgar, d’avoir cru en moi, sans m’avoir vu ; car il est écrit de moi que ceux qui m’auront vu ne croiront pas, afin que ceux qui ne m’auront pas vu croient et soient sauvés[12]. Quant à la prière que vous me faites, il faut que j’accomplisse ici la mission pour laquelle je suis venu, et qu’ensuite je retourne à Celui qui m’a envoyé. Mais, lorsque je serai retourné de lui, j’enverrai un de mes disciples, qui vous guérira et vous donnera la vie à vous et à tous les vôtres.

A la suite de ces lettres on lit ce qui suit, écrit en langue syriaque :

Lorsque Jésus fut remonté au ciel, Judas, qui s’appelait aussi Thomas[13], et qui était l’un des Apôtres, envoya à Édesse Thaddée, l’un des soixante-dix. Celui-ci étant arrivé, et le bruit des miracles faits par lui s’étant répandu, on dit à Abgar qu’il était venu un disciple de Jésus, suivant la promesse qu’il en avait reçue...

Le roi envoya chercher Tobie, chez qui Thaddée demeurait, et lui dit :“ J’ai appris qu’un homme puissant, et qui opère plusieurs guérisons au nom de Jésus, est venu de Jérusalem et qu’il loge dans votre maison ”. Tobie lui ayant répondu affirmativement, “ Amenez-le-moi ”, reprit Abgar.

Tobie alla donc trouver Thaddée et lui dit : “ Le roi Abgar m’a commandé de vous conduire à lui, afin que vous le guérissiez ”. — “ Je suis prêt à y aller, repartit Thaddée, parce que c’est pour lui surtout que j’ai été envoyé ici ”.

Dès la pointe du jour suivant, Tobie mena Thaddée à Abgar. — Vient ensuite le récit de la guérison miraculeuse de ce prince, puis le récit de sa conversion et de la conversion de la ville d’Édesse au christianisme. Le tout se termine par ces mots essentiels pour nous : OR CES FAITS SE PASSÈRENT EN L’AN QUARANTE-TROIS.

L’historien Eusèbe ajoute ensuite : J’ai cru qu’il serait utile de traduire cette relation du syriaque en notre langue et de la placer en cette histoire.

II. Avant de voir à quelle époque se rapporte la date de l’an 43, traduite par Eusèbe, il est nécessaire de dire un mot sur tout ce récit, et surtout d’établir l’authenticité du texte même qui contient la date telle que nous la reproduisons plus haut.

Tout le récit de la conversion d’Abgar, parfaitement admis comme authentique par les auteurs d’Orient des premiers siècles, a été plusieurs fois mis en question par les critiques modernes, comme on peut le voir en consultant le Dictionnaire de la Bible édité par l’abbé Migne (au mot Abagare). Nous croyons cependant que, même en suivant les règles de la critique historique la plus scrupuleuse, on est obligé de partager le sentiment de Tillemont[14], de l’abbé Bergier[15] et de plusieurs autres auteurs des plus habiles, qui admettent l’authenticité de tout le récit extrait par Eusèbe des archives mêmes de la ville d’Édesse.

Ce qui prouve encore en faveur de ce récit, c’est qu’il ne contient aucune des circonstances plus ou moins invraisemblables, ajoutées plus tard à l’histoire d’Abgar par Procope on autres écrivains qui n’étaient en cela que l’écho de vagues traditions. Mais quant aux faits racontés par Eusèbe, saint Ephrem, diacre de la ville d’Édesse et qui écrivait vers l’an 350, E. C., en parle comme de faits connus et admis de son temps par tout le monde[16] ; dans le siècle suivant, une foule d’antres auteurs les racontent et les affirment pareillement.

Bergier dit, en parlant de la lettre du Sauveur, principal objet des attaques de la critique : On ne fonde sur ce document aucun fait, aucun dogme, aucun point de morale, et c’est pour cela même qu’il ne parait pas probable que l’on ait fait une supercherie sans motifs.

Il faut en effet convenir, dit un autour distingué[17], que si cette lettre a été fabriquée, le faussaire n’a pas été maladroit ; car il n’y a aucune expression qui ne convienne parfaitement au caractère, à l’esprit et à la position du Sauveur ; bien plus, il est prouvé que la promesse faite par Jésus à Abgar a reçu son accomplissement. Lorsqu’il fut monté au ciel, saint Thomas, l’un des Apôtres, envoya par son ordre, à Édesse, Thaddée, l’un des soixante-douze disciples ; celui-ci y guérit le roi, y opéra un grand nombre de miracles, et y établit si bien l’Évangile qu’Édesse, comme on le voit dans l’histoire ecclésiastique, se distingua, plusieurs siècles de suite, par la foi et par la piété de ses princes et de ses habitants.

III. Après l’authenticité des faits, ce qu’il nous importe de constater, c’est celle de la date de ces faits, telle qu’Eusèbe l’a traduite du syriaque sur le registre des actes d’Abgar. Or cette date a été, plus que tout le reste, attaquée et rejetée comme étant évidemment fautive et impossible, à tel point que le principal éditeur de l’histoire d’Eusèbe, le P. Henri de Valois, a cru devoir en remplacer le chiffre de 43, par celui de 340, qu’il prétend avoir lu sur quelques rares manuscrits[18]. Suivant le P. de Valois, cette date de l’an 340 devrait être comptée d’après l’ère des Séleucides et se rapporterait nécessairement à l’an 29 ou au plus tard à l’an 30 de l’ère vulgaire. Elle prouverait ainsi que la mort du Sauveur aurait eu lieu dés cette époque. Nous regrettons que la nouvelle édition des Pères grecs, donnée par l’abbé Migne, ait reproduit cette erreur, et un des buts que nous nous sommes proposés dans ce paragraphe a été d’en empêcher la prescription, en rappelant le véritable texte.

Presque tous les manuscrits anciens, toutes les éditions de l’histoire d’Eusèbe antérieures au P. de Valois, celle de Robert Etienne à Paris, et celle de Genève portent : τεσσαρακοστώ καί τρίτω έτει (en l’an 43) ; les traductions de Musculus en 1549, et de Christophorson en 1570, donnent la même date. Enfin un témoignage supérieur à tous les autres est celui de Rufin, prêtre d’Aquilée, qui, vers l’an 400, traduisit le premier l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe en latin ; or cette traduction porte : en l’an 43, et cela tranche absolument la question ; car, Rufin étant presque contemporain d’Eusèbe, il est impossible que l’histoire originale ait dès le principe subi une telle altération.

Le P. de Valois ayant vulgarisé la date de l’an 340, quelques auteurs la donnèrent avec lui comme une preuve péremptoire que le Sauveur était mort dès l’an 29 de l’ère chrétienne ; car l’an 340 de l’ère chaldéenne des Séleucides va du premier novembre de l’an 29, E. J., au premier novembre de l’an 30[19].

Mais ceux qui allèguent une telle preuve oublient que la conversion de la ville païenne d’Édesse ne peut être placée avant celle du centurion Corneille, puisqu’il est constant par les Actes des Apôtres (c. X, XI et XV, 7, 8, 9) que saint Corneille a été le premier des païens baptisés et saint Pierre, le premier des Apôtres prêchant l’Évangile aux païens. Or tout le monde est d’accord pour placer le baptême de saint Corneille au moins deux ans après l’Ascension, et si la mission de Thaddée €l Édesse se rapportait à l’an 30, ce ne serait pas en l’an 29, mais en l’an 28, et même plus tôt encore, qu’il faudrait faire remonter la mort du Sauveur.

De plus, Eusèbe lui-même, qui connaissait parfaitement l’ère chaldéenne des Séleucides, aurait-il pu nous donner cette date de l’an 340, comme étant celle de la conversion d’Abgar, et rapporter, comme il le fait, la mort du Sauveur à sa véritable date de l’an 33, E. C. ?

Le P. de Valois a donc eu tort de rectifier la date de l’an 43, telle qu’elle se lisait dans les livres et les manuscrits de son temps. Il est vrai qu’il ne comprenait pas cette date ; mais un éditeur doit se rappeler que parfois, dans les manuscrits, comme dans les mystères, il est nécessaire d’admettre les choses telles qu’elles sont, quand bien même elles paraîtraient inexplicables.

IV. Il nous semble cependant ici que le mystère de cette date est loin d’être impénétrable, et même que la clef de l’énigme se présente tout naturellement : Eusèbe déclare que son récit a été traduit sur le registre des actes d’Abgar ; or, en Crient, dans toutes les principautés grandes ou petites, on datait toujours les événements d’après les années du règne de chaque prince. Les médailles d’Hérode le tétrarque, que nous avons reproduites plus haut, en fournissent une preuve entre mille. Il est dès lors très naturel et très simple que la date de l’an 43 se rapporte aux années du règne d’Abgar.

Cette assertion, déjà si voisine de l’évidence, devient tout à fait certaine par la concordance même de l’an 43 d’Abgar avec les époques de l’histoire évangélique.

Pour bien mettre en lumière cette concordance, nous ne saurions mieux faire que de citer ce que M. de Saint-Martin raconte dans son histoire des Arsacides sur le règne d’Abgar. Nous y verrons que ce prince eut deux avènements différents : le premier comme roi de Nisibe, en l’an 7 avant l’ère chrétienne, et le second comme roi d’Édesse, environ quatorze ans plus tard.

Abgar, dit M. de Saint-Martin, succéda à son père Arscham qui avait régné vingt ans. On peut croire qu’il monta sur le trône, à Nisibe, six ans au moins avant notre ère, puisque, selon le récit de Moïse de Khoren (hist. armer., II, 25, 26), il faut placer en la seconde menée du règne de ce prince le dénombrement qui fut fait dans tout l’empire romain par l’ordre d’Auguste, et conséquemment la naissance du Sauveur. Faute d’avoir remarqué que ce dernier événement précéda réellement de quelques mois la date qui lui est généralement assignée, le P. Michel Tchamtchéan a placé quatre années trop tard le règne d’Abgar, et s’est vu forcé d’allonger celui d’Arscham pour le faire concorder avec la conquête de l’Arménie par Antoine.

Quant à l’avènement d’Abgar, comme roi ou toparque d’Édesse, voici ce que nous lisons dans le même historien (ibid., p. 112)

Selon Denys de Tel-Mahar (hist. armen., II, 23), le roi Saféloul monta sur le trône, l’an 1950 d’Abraham, c’est-à-dire l’an 26 avant J. C. Bayer, en cherchant à établir la série chronologique des rois de l’Osrohène, place l’avènement de ce prince à l’an 28 avant l’ère chrétienne ; cette différence est légère et comme elle importe peu dans le sujet que nous traitons, nous ne nous y arrêterons pas. Ce prince, après un règne de vingt-huit ans et sept mois, laissa le trône à son 8ls Manou. Celui-ci régna six ans et fut remplacé par un Abgar que les mêmes écrivains surnomment Ouchama ou le Noir. Il parait que ce nouveau roi n’était point de la même race que son prédécesseur... etc. M. de Saint-Martin continue en démontrant l’identité de cet Abgar avec le prince qui régnait déjà à Nisibe depuis plusieurs années[20].

V. Ces deux avènements d’Abgar mous expliquent parfaitement deux dates différentes données à la mission de Thaddée à Édesse : la date de l’an 43 citée par Eusèbe doit se rapporter au premier avènement qui eut lieu en l’an 7 ou 8 avant l’ère chrétienne, et c’est d’après le second avènement qu’il faut entendre la date que donne le patriarche Jean le Catholique dans son histoire d’Arménie (c. VII), lorsqu’il dit que saint Thaddée parut à Édesse vers l’an 30 du règne d’Abgar.

Ces deux dates nous paraissent être identiques pour le fond, et l’année qu’elles expriment doit être celle qui courut du premier novembre de l’an 35 au premier novembre de l’an 36 de l’ère chrétienne.

En effet le premier avènement d’Abgar, celui auquel nous rapportons la date donnée par Eusèbe, eut lieu, d’après Moise de Khoren, l’année qui précéda le dénombrement général. Comme ce dénombrement s’opérait vers la fin de l’an 4707, P. J., ou au commencement de 4708 et que, d’autre part, l’année des Syriens commençait alors au premier novembre, il s’ensuit que c’est au premier novembre 4706 que commença la première année d’Abgar et que sa quarante-troisième année commençait au premier novembre de l’an 4748 pour finir au même jour de l’an 4749, ou 36 de l’ère chrétienne.

Or c’est précisément au mois de septembre de cette dernière année qu’on doit placer la conversion du centurion Corneille. La mission de Thaddée à Édesse aurait ainsi eu lieu au mois d’octobre suivant. C’est en effet la date qui lui convient ; car on ne peut pas la mettre avant la conversion de saint Corneille, le premier des païens admis au baptême, et on doit aussi la placer immédiatement après, parce que Notre-Seigneur a dit remplir sa promesse à Abgar aussitôt que la porte de l’Église fut ouverte aux Gentils.

Cette concordance nous permet ainsi de dire avec plus de raison que le P. de Valois : Jam enim cuncta egregie conveniunt, et elle nous démontre une fois de plus que les objections dirigées contre la vérité deviennent souvent des preuves en sa faveur quand elles sont convenablement élucidées.

 

§ IV — Les récits de Josèphe et des auteurs Juifs

Nous réunissons dans ce quatrième paragraphe plusieurs faits empruntés à l’histoire des Juifs et qui concourent à appuyer les dates véritables de la prédication et de la mort du Sauveur,

I. Au XVIIIe livre de ses Antiquités, Josèphe nous raconte (c. VIII) comment Hérode Antipas, déjà marié à la fille d’Arétas, roi des Arabes, voulut encore épouser Hérodiade, la femme d’un de ses frères.

L’Évangile nous apprend avec quelle force saint Jean-Baptiste s’éleva contre cette union incestueuse ; et de là la haine d’Hérodiade contre lui, l’emprisonnement et la mort du saint précurseur.

De graves événements suivirent. La femme légitime d’Hérode s’étant enfuie chez son père, elle lui raconta, dit Josèphe, l’affront qu’elle avait reçu et lui fit partager son ressentiment. Une contestation qui s’éleva ensuite, touchant les bornes du territoire de Gamala, détermina la guerre. Les armées et les généraux reçurent ordre de part et d’autre de marcher ; la bataille fut livrée en l’absence des deux princes et l’armée d’Hérode complètement détruite.

Hérode écrivit à Tibère ce qui s’était passé et l’empereur entra dans une si grande colère qu’il manda à Vitellius (gouverneur de Syrie) de marcher contre Arétas et de le lui amener mort ou vif.

Plusieurs Juifs ont pensé que la destruction de l’armée d’Hérode était un châtiment du ciel, et que Dieu vengeait ainsi le supplice de Jean surnommé Baptiste, mis à mort par Hérode. Jean était un homme plein de vertus qui appelait les Juifs au baptême, après les avoir exercés à la sainteté, à la justice envers autrui et à la piété envers Dieu. Il disait que le baptême était agréable à Dieu, non pas lorsqu’on s’était abstenu seulement d’un ou deux vices chais lorsqu’une entière pureté d’âme accompagnait la purification du corps. Comme une grande foule de peuple le suivait pour écouter sa doctrine, Hérode craignit que l’influence d’un tel homme ne finît par causer quelque sédition, et pour prévenir le mal qu’il redoutait, il le fit emprisonner et ensuite mettre à mort dans la forteresse de Machéronte. Après une action si coupable, les Juifs attribuèrent la défaite de, son armée à une punition divine.

Vitellius, pour exécuter les ordres reçus de Tibère, prit deux légions avec de la cavalerie et d’autres troupes que les rois soumis à l’empire lui envoyèrent, marcha vers Pétra et arriva à Ptolémaïde. Son dessein était de conduire son armée à travers la Judée. Mais les principaux de la nation vinrent le supplier de prendre un antre chemin, parce que les légions romaines portaient sur leurs drapeaux des figures d’idoles, chose contraire à notre religion. Il se rendit à leur prière, fit passer ses troupes par le Grand Champ et lui-même, accompagné du tétrarque Hérode et de ses amis, s’en alla à Jérusalem pour offrir des sacrifices à Dieu au jour de la fête (de Pâque) qui était proche. Il fut reçu avec de très grands honneurs et demeura trois jours, pendant lesquels il ôta le grand pontificat à Jonathas (le successeur de Caïphe), pour le donner à Théophile, son frère. Le quatrième jour, ayant reçu la nouvelle de la mort de Tibère, il fit prêter serment à tout le peuple de rester fidèle à Calus Caligula, le nouvel empereur. Ce changement fit qu’il rappela ses troupes dans leurs quartiers d’hiver et lui-même s’en retourna à Antioche.

II. La mort de Tibère, arrivée ainsi fort à. propos pour terminer la guerre entre Hérode et Arétas, eut lieu le 16 mars de l’an 37, E. C. On peut donc rapporter le plus fort des hostilités entre Hérode et Arétas à l’été de l’an 36 au plus tard. D’un autre côté on s’accorde à placer la mort de saint Jean-Baptiste environ dix-huit mois avant celle du Sauveur, arrivée le 3 avril de l’an 33. Il y aurait donc un intervalle d’environ quatre ans et demi entre la mort de saint Jean et la défaite d’Hérode, en l’an 36, et l’on conçoit qu’après cet intervalle le souvenir du martyr ait été encore assez présent à la mémoire des Juifs, pour qu’ils aient vu dans la défaite du persécuteur une punition providentielle.

Mais, si l’on rapportait la mort du Sauveur à l’an 29, il faudrait admettre ici un intervalle de huit ans et demi, et le rapport que voyaient les Juifs entre les deux événements deviendrait alors bien moins probable et bien moins naturel. C’est cette considération qui nous a fait mettre ce récit de l’historien Josèphe au nombre des dates confirmatives.

III. Les traditions juives nous fournissent encore quelques vagues données se rapportant aux époques que nous étudions ici.

Ainsi, suivant ces traditions, le grand sanhédrin de Jérusalem fut privé du droit de condamnation à mort et exclu de l’ancienne salle affectée à ses réunions, quarante ans avant la destruction du second temple[21]. L’Évangile nous apprend en effet que Jésus fut interrogé et jugé par les Juifs dans la maison de Caïphe et non dans la salle affectée aux réunions officielles du sanhédrin, et il nous montre les Juifs déclarant eux-mêmes qu’ils n’ont plus le pouvoir de mettre à mort, même pour les crimes commis contre la loi mosaïque. Tout cela se passait en l’an 33, E. C., ou 36 ans avant la destruction du second temple. Le retrait de la juridiction du sanhédrin, trois ans auparavant, aurait donc coïncidé avec les premières prédications du Sauveur. C’est ainsi que, suivant la prophétie de Jacob mourant, le Messie aurait commencé son ministère public au moment où les derniers vestiges de l’indépendance nationale disparaissaient du milieu de Juda.

IV. Les rabbins racontent encore un autre fait à propos de la quarantième année d’avant la ruine de Jérusalem. Tout le monde sait l’histoire du bouc émissaire, que l’on envoyait dans le désert chargé des iniquités du peuple. Avant de le sortir du temple, en attachait, entre ses deux cornes, un morceau d’écarlate, symbole des péchés d’Israël, et, au dire des rabbins, il arrivait souvent que ce morceau d’écarlate devenait blanc à la porte du temple, en signe de rémission ; ils prétendent même qu’il est fait allusion à ce prodige dans ces paroles du prophète Isaïe : Quand même vos péchés seraient aussi rouges que l’écarlate ou le vermillon, ils deviendront comme la neige ou la laine la plus blanche (I, 18). Ils ajoutent que ce prodige cessa entièrement quarante ans avant la ruine du temple[22]. Or la même année Jésus recevait le baptême de Jean-Baptiste ; il entrait pleinement dans son rôle de Sauveur des hommes. Il accomplissait alors à la lettre ces paroles du psaume 39 : Vous n’avez pas voulu recevoir le sacrifice et l’oblation ; mais vous m’avez donné un corps. Vous avez refusé l’holocauste offert pour le péché et alors j’ai dit : Me voici. Au commencement de votre livre, ô Dieu, il est écrit de moi que je ferais votre volonté.

La même année, Jean-Baptiste montrant le Sauveur à ses disciples leur disait : Voici l’Agneau de Dieu ; voici celui qui efface les péchés du monde (Jean, 1, 29).

La cérémonie symbolique du bouc émissaire devenait donc dès lors inutile, et Dieu cessa de changer la teinte sanglante de son diadème. Quelle que soit la valeur de ces deux traditions juives, le P. Pezron en a fait des arguments pour montrer la probabilité de l’an 29, comme date de la mort du Sauveur. Nous croyons qu’elles prouvent encore mieux le commencement de la mission divine du Sauveur en cette même année, et par conséquent sa mort en l’an 33.

 

CONCLUSION.

Ainsi d’après l’ensemble de toutes les dates approximatives, exactes et confirmatives de l’histoire évangélique, le Sauveur n’a pas commencé sa prédication avant la P&que de l’an 15 de Tibère César, on 29 de l’ère chrétienne vulgaire, Et il a consommé le grand sacrifice de la Rédemption des hommes, en mourant sur la croix, vers trois heures du soir, le vendredi 3 avril de l’an 33 de l’ère chrétienne, et 4746 de la période julienne.

C’est donc le jeudi 14 mai suivant qu’il est monté au ciel, et c’est le jour de la Pentecôte juive, qui tombait cette année-là le dimanche 24 mai, qu’il a envoyé le Saint-Esprit à ses Apôtres ;

Sous le consulat de Servius Sulpitius Galba et de Lucius Cornelius Sylla Felix ;

Sous le pontificat juif de Joseph surnommé Caïaphe ou Caïphe ;

La dix-neuvième année de l’empire de Tibère César ; La septième du gouvernement de Ponce Pilate en Judée ;

La trente-septième du tétrarchat d’Hérode Antipas en Galilée et de Philippe, son frère, dans l’Iturée.

Et depuis la création du monde :

L’an 5542, suivant l’ère de Constantinople ;

5525, suivant l’ère d’Alexandrie ;

5234, suivant le calcul d’Eusèbe ;

4996, suivant l’Art rte vérifier les dates ;

4036, suivant le calcul d’Ussérius ;

4018, suivant la Vulgate ;

3794, suivant l’ère des Juifs modernes ;

L’an 3341, depuis le déluge ;

2324, depuis la vocation d’Abraham ;

1678, depuis la première Pâque des Juifs en Egypte ;

1024, depuis la dédicace du temple de Salomon ;

569, depuis la fin de la captivité de Babylone ;

4, de la 202e olympiade ;

786, de la fondation de Rome, selon Varron ;

781, de l’ère de Nabonassar ;

344, de l’ère des Séleucides, suivant les Syriens[23] ;

343, de la même ère, suivant les Chaldéens ;

63, de l’ère d’Actium ;

58, de la cinquième période Callippique ;

14, du cycle solaire de 28 ans ;

15, du cycle lunaire de 19 ans.

L’équinoxe du printemps, que Jules César avait officiellement fixé au 25 mars, avait eu lieu réellement cette année-là le 22 mars, à 8 heures 51 minutes du soir[24].

La nouvelle lune du mois de Nisan avait eu lieu le 19 mars, 25 minutes après midi, suivant le mouvement moyen, et 21 minutes après midi, suivant le mouvement vrai.

La pleine lune arriva le jour même de la mort du Sauveur, le 3 avril à 6 heures 47 minutes du matin, suivant le mouvement moyen, et à 4 heures 46 minutes du soir, suivant le mouvement vrai.

Au même temps la lune subissait une éclipse partielle de 7 doigts environ, dans sa partie boréale ; mais cette éclipse avait complètement cessé lorsque l’astre parut sur l’horizon de Jérusalem, quelques minutes après 6 heures du soir.

 

 

 



[1] Le texte de la Vulgate que nous donnons ici est la traduction exacte du texte hébreu, comme on le voit par la Bible polyglotte de Vitré, Daniel, p. 39 et 40.

Le texte grec des Septante est utile à consulter, pour connaître exactement quand les noms doivent être précédés de l’article. Nous ajouterons qu’il y a une faute très grave dans l’édition des Septante de Vitré, ibid., p. 41, v. 26 : au lieu de τέσοαρας il faut δύο. (Bibles de Cambridge et du Vatican, ibid.)

[2] Voir Bible, I Mach., VI, 49 et 53. — Josèphe, Ant., XIII, 15, et XIV, 28.

[3] Actes des Apôtres, X, 1, etc.

[4] L’avènement d’Artaxerxés au trône a certainement eu lieu de l’an 4240, P. J., à l’an 4243, et ces deux époques extrêmes étant séparées par trois ans d’intervalle, en partageant cette différence par la moitié, on obtient la date de cet avènement à dix-huit mois près.

L’abbé de Vence a prétendu prouver la date de 4241 exactement ; mais les données, sur lesquelles il prétend s’appuyer, sont tellement contestables, que nous avons cru devoir les abandonner (Voir Bible de Vence, t. IX, diss. sur les 70 sem. de Daniel).

[5] Nous n’avons plus ces tables chronologiques dont parle ici Plutarque, car elles sont certainement différentes du canon des rois dressé par l’astronome Ptolémée en l’an 220 de l’ère chrétienne. Suivant ce canon, Artaxerxès n’aurait commencé à régner qu’environ six ans après la fuite de Thémistocle. Mais l’autorité du canon de Ptolémée est détruite ici par celle des tables chronologiques qui lui étaient antérieures et par le témoignage des historiens contemporains d’Artaxerxès.

[6] L’historien Josèphe qui se pique d’être très exact pour les événements de son siècle, n’a pas toujours cette exactitude pour ceux des siècles précédents. Il est ainsi doublement dans l’erreur lorsqu’il prétend que l’édit de Néhémias fut accordé par Xerxès en l’an 25 de son règne, et cette double erreur est aussi contraire à l’histoire profane qu’à l’histoire sacrée, car Xerxès n’a régné qu’environ 14 ans suivant la réalité et 20 ans seulement suivant ceux qui étendent le plus son règne. D’un autre côté la sainte Écriture dit formellement et plusieurs fois que l’édit fut accordé en la 20e année d’Artaxerxès. (Cf. Esdras, Bible, III, II, et Josèphe, Ant., XI, 5.)

Eusèbe dans sa Chronique, et Cicéron dans son livre de l’Amitié, placent la fuite de Thémistocle en l’an 4242, P. J. Diodore de Sicile ne la met qu’en l’an 4243 et cette différence d’une année se retrouve souvent pour les événements même les mieux datés de l’antiquité, à cause de la difficulté de raccorder au juste les ères différentes dont se servaient les anciens.

Il est certain toutefois qu’on ne peut placer la fuite de Thémistocle ni avant l’an 4242 ni après l’an 4243, car elle eut lieu en même temps que le siége de Naxos par les Athéniens, et assez longtemps avant la célèbre bataille de l’Eurymédon qui termina la guerre entre les Perses et les Grecs. Or tous les historiens placent cette dernière bataille en l’an 4244.

[7] L’édit de la reconstruction des murs de Jérusalem fut accordé au mois de Nisan ou mars 4260. Mais lorsque les Juifs comptaient par semaines d’années, ces années commençaient toujours comme les années civiles avec le mois de Thisri, premier mois d’automne, et chacune d’elles comprenait dans sa durée les semailles et la moisson d’une même récolte. Ainsi l’époque initiale des semaines de Daniel doit se rapporter à l’automne de l’an 4259, P. J., et la soixante-dixième semaine commence pareillement avec l’automne de l’an 4742, P. J., ou 29 de l’ère chrétienne.

[8] M. Renan a voulu honorer Daniel de ses attaques afin d’ôter à la divinité de Jésus-Christ le bénéfice des prophéties. Il prétend que les prophéties de Daniel sont l’œuvre d’un juif contemporain d’Antiochos Epiphanes, et antérieures ainsi de plus de cent cinquante ans à Jésus-Christ. Mais à quoi bon cette pauvre chicane qui laisse toujours la prophétie antérieure à Jésus-Christ et aux événements qu’elle annonce ?

En signalant l’aveuglement plus ou moins volontaire des incrédules, nous devons aussi regretter celui de plusieurs auteurs chrétiens égarés par des erreurs involontaires. Ainsi Corneille Lapierre dans ses commentaires sur Daniel, après avoir, dans de longues dissertations, vaguement cherché l’accord de la prophétie des semaines avec la vérité, dit qu’il ne faut pas trop s’arrêter sur cette prophétie difficile, et qu’il a vu un homme devenir apostat et fou pour avoir voulu trop l’approfondir.

Il fallait que cet homme eût la tête bien faible !

[9] Voir la traduction des œuvres de Josèphe par ces auteurs.

[10] Voir De Evangeliis, l. III, diss. LI, p. 519.

[11] Voir Dion, LIV, p. 514, 515, 528, — Suétone, in Auguste, III, 9. — et Tacite, Ann., II, 13.

[12] C’est le sens de plusieurs prophéties ; voir Isaïe, LII, 15, et LXV, 1 et 2.

[13] Thomas n’était en effet qu’un surnom, comme nous l’apprend l’évangéliste saint Jean (XX, 24). Ce mot signifiait jumeau, en grec Διδυμος.

[14] Histoire ecclés., t. I, p. 361 et 615.

[15] Dictionnaire de Théologie, au mot Abagare.

[16] Patrologie grecque, édition Migne, t. 19, col. 221.

[17] M. Peignot, Recherches historiques sur la personne de Jésus-Christ.

[18] Voici ce que dit le P. de Valois au sujet de cette date de l’an 43 et de la Prétendue correction qu’il a cru devoir lui faire subir :

Τεσσαρακοστώ καί τρίτω έτει. Hujus loci vitium nobis primum aperuit Regius codex, de quo antea ne suspicabamur quidem, CUM PRÆSERTIM RUFINUS VULGATAM LECTIONEM CONFIRMARET. Sed cum in codice Regio primum, postea vero in vetustissimo exempmari Mazarino et in fuketiano scriptum invenissem : τεσσαρακοστώ καί τρίτω έτει, veram hujus loci sententiam sum odoratus !

Le Père de Valois fait ensuite remarquer que l’an 340 d’Édesse concourt avec l’an 29 de l’ère chrétienne, et que le récit de la conversion d’Abgar prouve ainsi que Notre-Seigneur était mort dès cette année-là. Sur quoi il triomphe de sa découverte et continue ainsi :

Vides quantopere necessaria fuerit hujus loci emendatio quam ex codicibus nostris protulimus. Jam enim cuncta egregie conveniunt, etc.

Pour confirmer son texte, il cite encore un manuscrit du Vatican et un manuscrit de la traduction de Rufin, ce qui prouve uniquement que l’erreur avait été copiée trois ou quatre fois, et il termine par ces mots, qui sont pour nous un précieux aveu :

SOLUS EX NOSTRIS CIDICIBUS, Medicœus scriptum habet : τεσσαρακοστώ καί τριακοσίω έτει, et alia manu ad marginam pro τριακοστώ emendatur τρίτω quam corruptissimam lectionem nollem a Roberto Stephano pro recta ac legitima admissam fuisse. (Patrologie grecque, de Migne, t. XXII, col. 31.)

[19] Il y a une différence d’un an entre l’ère syrienne et l’ère chaldéenne des Séleucides, la première commençant un an avant la seconde. Le cardinal Noris (Epochæ Syrom. p. 85) et Ideler (Handbuch der chronol., t. I, p. 224), montrent que les Syriens comptaient les années des Séleucides depuis l’automne de l’an 312 avant l’ère chrétienne, et les Chaldéens seulement depuis l’automne de l’an 311. L’historien Eusèbe prouve d’autre part, dans une date empruntée aux Edesseniens (Chron. ad ann. Olymp. 284), que ces derniers suivaient l’ère des Chaldéens.

[20] On lit encore dans le même ouvrage (t. I, p. 132) :

Selon Denys de Tel-Mahar, Abgar Oukhama commença de régner à Édesse l’an d’Abraham 2024 qui répond à l’an 7 ou 8 de Jésus-Christ, et il mourut en 2061 d’Abraham, 44 ou 45 de notre ère. Dans d’autres endroits, M. de Saint-Martin donne d’autres dates à la mort d’Abgar. Mais celle-ci nous parait plus probable.

[21] Quadraginta annis ante excidium templi migravit synedrium (Gémare de Babylone, c. 5). Voir aussi Casaubon, Exercit., 15, $ 71, p. 601.

[22] Tradunt rabbini nostri quod quadraginta annis ante excidium templi, lingua coccinea non albesrebat. (Talmud Baby., Gémara, tract. Joma, c. IV. — Et Migne, sacræ script. cursus, t. 27, col. 1387.)

[23] L’année indiquée par cette date et par les trois suivantes, commence dans les derniers mois de l’année Julienne précédente.

[24] Toutes ces dates sont données suivant les Tables de Largeteau et rapportées au méridien de Jérusalem.