ROBESPIERRE TERRORISTE

 

IV. — LES NOTES DE ROBESPIERRE CONTRE LES DANTONISTES.

 

 

ESSAI D'ÉDITION CRITIQUE

Ces notes ont d'abord paru dans les Annales révolutionnaires de juillet-septembre 1918.

 

En 1841, un libraire de Paris, France, dont la boutique était située 6, rue de l'Oratoire, publia, en une brochure d'une vingtaine de pages[1], une série de notes rédigées par Robespierre à la veille du procès des dantonistes. Ces notes formaient quatre fragments d'inégale importance. Frappé de la ressemblance de leur contenu avec le célèbre rapport d'accusation de Saint-Just, France en conclut un peu vite que le rapport de Saint- Just avait été dicté par Robespierre, et il intitula sa brochure : Projet rédigé par Robespierre du rapport fait d la Convention nationale par Saint-Just contre Fabre d'Eglantine, Danton, Philippeaux, Lacroix et Camille Desmoulins...[2]

L'opinion du libraire France a été acceptée jusqu'ici sans examen, même par des écrivains robespierristes. Son édition n'a jamais été examinée de près. On ne s'est pas demandé dans quelles conditions exactes Robespierre et Saint-Just ont collaboré. On n'a jamais essayé de vérifier, par la comparaison des autres sources, les allégations du premier. Il va de soi cependant que, pour porter un jugement fondé sur les drames de la grande et terrible époque, un travail de recherche et de critique, un travail de juge d'instruction s'impose. La tâche est difficile. C'est une raison de plus pour l'entreprendre.

Et d'abord, les notes publiées en 1841 sont-elles authentiques ? Dans son avertissement, France ne donne sur la provenance de son manuscrit qu'un renseignement assez vague : « Le hasard ayant fait tomber dans nos mains un manuscrit inédit de Robespierre, nous nous empressons d'en donner connaissance aux amateurs curieux de tout ce qui appartient à l'histoire de notre Révolution. Nous pensons qu'il sera avidement accueilli par eux. » Ne cherchons pas à éclaircir ce curieux hasard qui dépose les manuscrits de Robespierre juste entre les mains des libraires-éditeurs. L'époque de Louis-Philippe vit commencer le fructueux commerce des autographes, auquel des archives mal gardées fournissaient des ressources inespérées. Le manuscrit du libraire France a dû sortir de quelques scellés de la police générale ou du tribunal révolutionnaire. Ce manuscrit existe encore. Il appartenait, ces années dernières, à Victorien Sardou, et il figure sous le n° 130 du catalogue de sa collection qui fut vendue à l'Hôtel Drouot, le 24 mai 1909. Le catalogue nous apprend que les notes de Robespierre étaient entièrement autographes et qu'elles avaient été écrites sur vingt-cinq pages de papier de grandeur inégale. Sardou les avait fait relier avec la brochure de France, dans une reliure demi-maroquin rouge avec coins. Il était très fier de les posséder et il les fit voir à de nombreux contemporains. Nul doute qu'elles ne soient authentiquement de la main de Robespierre. Je dirai même que si le manuscrit s'était perdu et si la brochure dé France subsistait seule, l'imprimé suffirait pour former la conviction. Il n'y a qu'un homme au monde qui a pu écrire ces notes accusatrices. Cet homme est Maximilien Robespierre. Elles portent de la première à la dernière ligne sa marque indélébile.

Mais une autre question se pose. Le manuscrit publié par France se compose de fragments. Il n'est donc pas complet, Est-il possible de retrouver les parties perdues ?

Le catalogue de la riche collection d'autographes, réunie par l'amateur américain Alfred Morrison, renferme dans son cinquième volume, p. 282-283, la reproduction in extenso d'un manuscrit de Robespierre, qui est la continuation évidente des notes publiées en 1841. Ce manuscrit est écrit sur quatre pages : Il roule entièrement sur Danton, Fabre d'Églantine, Desfieux, Hérault de Séchelles, Proli, sur tous ceux qui étaient englobés dans la faction de l'étranger.

La même analogie que France avait relevée entre le contenu des fragments qu'il avait publiés et le rapport de Saint-Just se reproduit pour le fragment de la collection Morrison. Il a été rédigé en même temps et pour le même objet. Il fait partie du même ensemble. Il en est inséparable. Nous le ferons donc figurer dans cet essai d'édition critique.

Frappé par les similitudes non seulement d'idées, mais d'expressions qui existent entre les notes de Robespierre et le rapport de Saint-Just, le libraire France en a conclu que ce n'était pas Robespierre qui recevait les inspirations de Saint-Just, comme l'ont cru plusieurs historiens et notamment M. Thiers, t. III, p. 327, ire édition, mais bien Robespierre qui inspirait les siennes à Saint-Just s. Saint-Just n'aurait fait en somme que recopier et mettre au net les notes de Robespierre.

Les choses n'ont pas dû se passer de cette façon un peu simpliste. Le libraire France avait trouvé, au milieu du manuscrit de Robespierre, deux pages, presque tout entières en blanc, sur lesquelles il n'y avait que douze lignes de l'écriture de Saint-Just. Il a reproduit ces douze lignes, mais il ne s'est pas demandé pourquoi elles étaient mêlées aux fragments de Robespierre. Il n'a pas fait attention non plus à une phrase de Robespierre, qui aurait dû être pour lui le trait de lumière, à la phrase suivante : « Il [Danton] ne donna point asile à Adrien Duport, comme il est dit dans le rapport. » Rapprochée du fragment de Saint-Just intercalé dans le manuscrit de Robespierre, cette phrase nous livre le secret de la collaboration des deux hommes.

Quand Robespierre jette ses notes sur le papier, il a devant les yeux un rapport qu'il rectifie et complète. Ce rapport contient des erreurs, par exemple celle qui concerne Duport. Robespierre signale ces erreurs pour qu'elles soient supprimées, et, en effet, l'erreur commise sur Duport ne figure plus dans le rapport définitif de Saint-Just. C'est donc que Saint-Just a composé successivement deux rapports, celui que nous connaissons, celui qu'il a prononcé à la séance du 11 germinal pour faire ratifier par la Convention l'arrestation des dantonistes ordonnée dans la nuit[3], et un autre rapport qui l'a précédé, celui qu'il fit sans doute devant les Comités de Sûreté générale et de Salut public réunis pour statuer sur l'arrestation.

De ce premier rapport inconnu, il subsiste un vestige, les douze lignes mêlées aux notes de Robespierre.

Ce n'est pas là une hypothèse, mais une quasi-certitude, car les douze lignes en question ne figurent que remaniées dans le rapport prononcé devant la Convention et imprimé par son ordre.

Nous sommes donc obligés d'admettre : i0 que Robespierre a travaillé sur un premier rapport de Saint-Just, dont il ne subsiste plus que les quelques lignes qui sont restées mélangées à ses propres notes ; 20 que, s'il en est ainsi, Robespierre n'a pas inspiré à Saint- Just ce premier rapport qui a décidé de l'arrestation au sein des Comités ; 30 que son rôle a consisté à revoir un travail déjà fait, à le rectifier, à le compléter, à le préciser, pour en accroître la force en le mettant à l'abri des critiques.

Faisons un pas de plus. L'ordre dans lequel Robespierre a rédigé ses notes lui a été imposé par le premier rapport de Saint- Just, qu'il suivait la plume à la main. Saint- Just a rédigé son rapport définitif en ayant sous les yeux les notes de Robespierre. Il est donc infiniment probable que pour publier correctement les cinq fragments qui subsistent de ces notes, il faut les mettre bout à bout dans l'ordre même où Saint-Just les a incorporés et assimilés dans son rapport définitif devant la Convention. D'où l'obligation de confronter attentivement le texte de Robespierre et le texte de Saint- Just.

Cette confrontation ne nous permettra pas seulement de retrouver le plan de composition des notes de Robespierre, elle nous sera très utile pour l'intelligence des deux textes. Il est indispensable, en effet, de se demander si Saint-Just a accueilli indistincte/rient toutes les corrections de Robespierre, s'il ne subsiste pas un écart parfois considérable entre les jugements et les opinions de l'un et de l'autre. Ainsi nous serons amenés à attaquer parfois le fond 4u débat, en recherchant jusqu'à quel point sont fondées les accusations portées contre Danton et ses amis.

 

I

CE QUI SUBSISTE DU PREMIER RAPPORT DE SAINT-JUST.

 

Les amis de Brissot disoient qu'il était un enfant, qu'il étoit inconséquent.

Les amis de Danton disoient de lui qu'il étoit insouciant, que son tempérament étoit contraire à la haine et à l'ambition[4].

Danton disoit de Fabre que sa tête étoit un imbroglio, un répertoire de comédie ; il le représentoit comme ridicule, pour qu'il ne passât pas pour conjuré[5].

Danton parloit de chasse, de bain, de plaisir, à ceux dont il craignoit Hérault étoit grave au sein de la Convention ; il étoit bouffon en particulier[6].

Fabre dénonça Ronsin et Vincent ; Danton les défendit ; il défend tout le monde[7].

 

II

LES NOTES DE ROBESPIERRE.

 

Robespierre semble n'avoir voulu au début qu'annoter brièvement le premier rapport de Saint- Just. Peu à peu il fut entraîné par le sujet et rédigea, à son tour, un véritable rapport. Ce qui nous le fait croire, c'est ce fragment que France a mis à la fin de sa publication et que nous considérons comme le commencement véritable des notes de Robespierre.

1. Depuis plusieurs années.

2. Deleatur.

3. A rectifier.

4. A retrancher.

5. A examiner.

6. Faux.

7. A expliquer.

8. A expliquer.

9. Leurs périls.

10. Danton se montra bien[8]. L'ambassade de Fabre auprès de Dumouriez[9]. Son frère loué dans les lettres de Dumouriez[10].

11. Le voyage de Chaumette dans la Nièvre, où commença l'intrigue religieuse, où la société de Moulins, par une adresse insolente, censure le décret de la Convention sur la liberté des cultes, et vante les principes de Hébert et de Chaumette[11]. Fabre donna aussi dans l'intrigue religieuse[12] ; il provoqua une mention honorable des premiers actes qui furent faits à ce sujet[13], et s'élevoit contre ce système en parlant aux patriotes[14].

12. Tous se rendoient coupables de tous ces crimes à la fois[15].

 

Après avoir reproduit ce fragment des notes de Robespierre, l'éditeur France fait remarquer en note : e On ne trouve dans les feuilles du manuscrit aucun renvoi auquel ces chiffres se rapportent. » C'est une preuve de plus que ces douze premières annotations de Robespierre ne peuvent se rapporter qu'au rapport primitif de Saint-Just, dont le texte est perdu.

A partir de ce moment, Robespierre ne se borne plus à commenter le texte de Saint-Just par des renvois numérotés, il prend du champ, rassemble ses souvenirs et expose en détail l'idée qu'il se fait de la conspiration dont Fabre et Danton étaient pour lui les chefs.

Le rapport définitif de Saint-Just, après une vue d'ensemble sur la succession des partis sous la Révolution, s'attaque d'abord à Fabre d'Eglantine, qui eut au tribunal révolutionnaire les honneurs du fauteuil. L'éditeur France n'a publié qu'en second lieu le fragment des notes de Robespierre qui concerne Fabre. Je crois qu'il est plus naturel de supposer que Robespierre a suivi le même ordre que Saint- Just et de publier en conséquence les notes qui concernent Fabre avant celles qui concernent Danton.

 

Le plan de Fabre et de ses complices étoit de s'emparer du pouvoir et d'opprimer la liberté par l'aristocratie pour donner un tyran à la France[16].

Il y avoit une faction que Fabre connaissoit parfaitement : c'étoit celle de Hébert, Proli, Ronsin. Cette faction étoit le point d'appui que Fabre vouboit donner à la sienne ; comme elle arboroit l'étendard du patriotisme le plus exalté, en l'attaquant[17], il éroit décréditer le patriotisme, arrêter les mesures réivolutionnaires et pousser fa—Convention en sens contraire, jusqu'au modérantisme et à l'aristocratie. Comme les chefs de cette faction se mêloient aux patriotes ardents, en les frappant, il se proposoit d'abattre du même coup les patriotes, surtout ceux qui auroient été soupçonnés d'avoir eu quelques relations avec eux[18], surtout ceux qui avoient des fonctions publiques importantes au succès de la Révolution[19].

Cependant, Fabre ne dénonça pas la conspiration avec énergie, il attaqua assez légèrement quelques individus, sans démasquer la faction ; il ne les attaqua pas le premier, et ne leur porta pas les coups les plus forts[20] ; il aima mieux mettre en avant quelques hommes qu'il faisoit mouvoir[21].

C'est qu'un conspirateur ne peut mettre au jour[22] le fond d'une conspiration, sans se dénoncer lui-même. Sa réputation étoit si hideuse et ses crimes si connus[23] qu'il se seroit exposé à des répliques trop foudroyantes de la part de ses adversaires, s'il les avoit combattus sans ménagement, et s'il s'étoit interdit les moyens de rallier leurs partisans à sa propre faction. On seroit tenté de croire qu'il n'étoit pas si mal avec eux qu'il vouloit le paraître ; car il les attaqua de manière à relever leur crédit[24].

Il n'articula contre eux que des faits vagues a minutieux, lorsqu'il pouvoit leur reprocher des crimes. Ils jouissaient d'une réputation de patriotisme et il les fit mettre brusquement en arrestation par un décret*faiblement motivé, et qui sembloit dicté par la passion et décrédité par la renommée de ceux qui l'avoient provoqué[25]. Les détenus sembloient être des patriotes ardents, opprimés par des intrigans qui arboroient les couleurs du modérantisme. Pouvoit-on mieux servir des conspirateurs, à la veille de consommer leurs attentats ? On avoit promis des faits contre eux[26]. Le Comité de Sûreté générale les attendit en vain pendant près de deux mois. Quand[27] il fit son rapport, Fabre avoit paru se désister de sa dénonciation : Danton les justifia, en se réservant le droit de[28] témoigner la même indulgence pour leurs adversaires, c'est-à-dire pour Chabot et ses complices et particulièrement pour Fabre, son ami[29].

Ce n'étoit pas, en effet, aux conspirateurs que Fabre en vouloit directement : c'étoit aux vrais 'patriotes et au Comité de Salut public, dont il vouloit s'emparer[30] avec ses adhérents.

Ils[31] ne cessoient de calomnier Pache et Hanriot ; ils intriguoient[32], ils déclamoient surtout contre le Comité de Salut public. Les écrits de Desmoulins, ceux de Philippeaux étoient dirigés vers ce but ; dès le mois de...[33], on croyoit avoir préparé sa destruction ; on proposa et on en fit décréter le renouvellement. Les noms des chefs de la faction composoient la liste des membres qui devoient le remplacer. La Convention révoqua son décret ; on continua de l'entraver, de le calomnier. On l'accusait d'avance de tous les événements malheureux qu'on espéroit. Tous les ennemis de la liberté avoient répandu le bruit qu'il vouloit livrer Toulon et abandonner les départements au-delà de la Durance[34] ; et la calomnie circuloit partout au sein de la Convention. La victoire de Toulon, celle de la Vendée et du Rhin le défendirent seules ; mais la faction continua d'ourdir dans l'ombre son système d'intrigues, de diffamations et de dissolution. Cet acharnement à dissoudre le gouvernement au milieu de ses succès, cet empressement à s'emparer de l'autorité avoit pour but le triomphe de l'aristocratie et la résurrection de la tyrannie. C'est au temps où on livroit ces attaques au Comité qu'on repandoit ces écrits liberticides où on demandoit l'absolution des contre-révolutionnaires, où l'on préchoit la doctrine du feuillantisme le plus perfide. Fabre présidoit à ce système de contre-révolution ; il inspiroit[35] Desmoulins ; le titre rnême de cette brochure[36] étoit destiné à concilier l'opinion publique aux chefs de cette coterie qui cachoient leurs projets sous le nom de Vieux Cordeliers, de vétérans de la Révolution. Danton, en qualité de président de ce Vieux Cordelier, a corrigé les épreuves de ses numéros ; il y a fait des changemens, de son aveu. On reconnoît son influence et sa main dans ceux de Philippeaux, et même de Bourdon. Les dîners, les conciliabules, où ils présidoient, étoient destinés à propager ces principes[37], et à préparer le triomphe de l'intrigue. C'est dans le même temps qu'on accueilloit à la barre les veuves des conspirateurs lyonnais[38], qu'on fesoit décréter des pensions pour celles des contre-révolutionnaires immolés par le glaive de la justice[39], que l'on arrachoit des conspirateurs à la peine de leurs crimes par des décrets surpris[40], que l'on cherchoit à rallier à soi les riches et l'aristocratie. Que pouvoient faire de plus des conspirateurs dans les circonstances ? Ceux qui firent de telles tentatives à cette époque auroient agi et parlé ouvertement comme La Fayette dans des circonstances plus favorables au développement de leur système.

 

Ici se termine, dans l'édition France, le dernier fragment des notes de Robespierre. Il est remarquable que Saint-Just ne l'a utilisé qu'à d'assez rares occasions. Il a laissé tomber l'allusion aux intrigues de Fabre contre Pache et Hanriot, sans doute parce que la majorité du Comité de Salut public, qui bientôt révoquera Pache et ordonnera son arrestation, ne partageait pas sur ce point les préventions de Robespierre. De même Saint-Just n'a pas relevé les griefs tirés par Robespierre de la pétition des femmes lyonnaises en faveur de leurs maris détenus, du secours accordé aux filles de Deperret, des sursis accordés aux conspirateurs condamnés par le- tribunal révolutionnaire, etc. On peut supposer ou que Saint-Just a estimé ces griefs mal fondés, ou qu'il a cru qu'en les invoquant il risquait de choquer la majorité de la Convention.

Dans le rapport de Saint-Just, le paragraphe sur les intrigues de Fabre avec Camille Desmoulins et sur la campagne du Vieux Cordelier se termine par cette phrase : « Vous êtes tous complices du même attentat. Tous vous avez tenté le renversement du gouvernement révolutionnaire ; tous vous avez provoqué son renouvellement au ro août dernier ; tous vous avez travaillé pour l'étranger, qui jamais ne voulut autre chose que le renouvellement de la Convention, qui eût entraîné la perte de la République » (p. 19). Cette phrase est très voisine de celle-ci qu'on lit dans les notes de Robespierre, tout à la fin du second fragment de l'édition France : « Ils sont coupables d'avoir voulu détruire par des intrigues le gouvernement républicain et arrêter le cours des mesures révolutionnaires. »

Le rapport de Saint-Just poursuit ensuite par un paragraphe sur Camille Desmoulins. Or, je remarque que le premier fragment des Notes de Robespierre, données par France, débute aussi par un paragraphe sur Desmoulins. Cette remarque m'autorise à croire que dans la rédaction primitive de Robespierre, ce premier fragment de France devait en réalité tenir la seconde place. En conséquence, je le reproduis maintenant :

 

Camille Desmoulins[41], par la mobilité de son imagination et par sa vanité, était propre à devenir le séide de Fabre et de Danton. Ce fut par cette route qu'ils le poussèrent jusqu'au crime ; mais ils ne se l'étoient attaché que par les dehors du patriotisme dont ils se couvraient. Demoulins montra de la franchise et du républicanisme en censurant[42] avec véhémence dans ses feuilles Mirabeau, La Fayette, Barnave et Lameth, au temps de leur puissance et de leur réputation, après les avoir loués de bonne foi[43].

Danton[44] et Fabre vécurent avec Lafayette avec les Lameth[45] ; il eut à Mirabeau une obligation bien remarquable : celui-ci lui fit rembourser sa charge d'avocat au conseil ; on assure même que le prix lui en a été payé deux fois. Le fait du remboursement est facile à prouver[46].

Les amis de Mirabeau se vantoient hautement d'avoir fermé la bouche à Danton ; et tant qu'a vécu ce personnage, Danton resta muet[47].

Je me rappelle une anecdote à laquelle j'attachai dans le temps trop peu d'importance : Dans les premiers mois de la Révolution, me trouvant à dîner avec Danton, Danton me reprocha de gâter la bonne cause, en m'écartant de la ligne où marchoient Barnave et les Lameth, qui alors commençoient à dévier des principes populaires[48].

A l'époque où parurent les numéros[49] du Vieux Cordelier, le père de Desmoulins[50] lui témoignait sa satisfaction et l'embrassait avec tendresse. Fabre, présent à cette scène, se mit à pleurer, et Desmoulins, étonné, ne douta plus que Fabre ne fut un excellent cœur et par conséquent un patriote[51].

Danton tâchait d'imiter le talent de Fabre, mais sans succès, comme le prouvent les efforts impuissants et ridicules qu'il fit pour pleurer, d'abord à la tribune des. Jacobins, ensuite chez moi[52].

Il y a un trait de Danton qui prouve une âme ingrate et noire : il avoit hautement préconisé les dernières productions de Desmoulins : il avoit osés aux Jacobins, réclamer en leur faveur la liberté de la presse, lorsque je proposai pour elles les honneurs de la brûlure[53]. Dans la dernière visite dont je parle, il me parla de Desmoulins avec mépris : il attribua ses écarts à un vice privé et honteux, mais absolument étranger[54] à la Révolution[55]. Laignelot était témoin[56]. La contenance de Laignelot m'a paru équivoque : il a gardé A obstinément le silence[57]. Cet homme[58] a pour principe de briser lui-même les instruments dont il s'est servi. Ils sont décrédités. Il n'a jamais défendu un seul patriote, jamais attaqué un seul conspirateur, mais il a fait le panégyrique de Fabre à l'assemblée électorale dernière[59] ; il a prétendu que les liaisons de Fabre avec les aristocrates et ses longues éclipses sur l'horizon révolutionnaire étaient un espionnage concerté entre eux pour connaître les secrets[60] de l'aristocratie.

Pendant soin court ministère, il a fait présent à Fabre, qu'il avait choisi pour son secrétaire du sceau et pour son secrétaire intime, de sommes considérables puisées dans le Trésor public. Il a lui-même avancé 10.000 francs[61]. Je l'ai entendu avouer les escroqueries et les vols de Fabre tels que des souliers appartenant à l'armée, dont il avoit chez lui magasin[62].

Il ne donna point asile à Adrien Duport, comme il est dit dans le rapport[63], mais Adrien Duport qui, le i Io août, concertoit avec la Cour le massacre du peuple, ayant été arrêté et détenu assez longtemps dans les prisons de Melun, fut mis en liberté par ordre du ministre de la justice Danton[64]. Charles Lameth, prisonnier au Havre, fut aussi élargi, je ne sais comment[65]. Danton rejeta hautement toutes les propositions que je lui fis d'écraser la conspiration et d'empêcher Brissot de renouer ses trames, sous le prétexte qu'il ne fallait s'occuper que de la guerre[66].

Au mois de septembre, il envoya Fabre en ambassade auprès de Dumouriez[67]. Il prétendit que l'objet de sa mission étoit de réconcilier Dumouriez et Kellermann qu'il supposoit brouillés. Or, Dumouriez et Kellermann n'écrivoient jamais à la Convention nationale sans parler de leur intime amitié[68].

Dumouriez, lorsqu'il parut à la barre, appela Kellermann son intime ami[69], et le résultat de cette union fut le salut du roi de Prusse et de son armée[70]. Et[71] quel conciliateur que Fabre pour deux généraux orgueilleux qui prétendoient[72] faire les destinées de la France !

C'est en vain que, dès lors, on se plaignoit à Danton et à Fabre de la faction girondine : ils soutenoient qu'il n'y avoit point-là de faction et que tout étoit le résultat de la vanité et des animosités personnelles[73]. Dans le même temps, chez Pétion, où j'eus une explication sur les projets de Brissot[74], Fabre et Danton se réunirent à Pétion pour attester l'innocence de leurs vues.

Quand je montrois à Danton le système de calomnie de Roland et des brissotins, développé dans tous les papiers publics, Danton me répondoit : « Que m'importe I L'opinion publique est une putain, la postérité une sottise ! »[75]

Le mot de vertu faisoit rire Danton ; il n'y avoit pas de vertu plus solide, disait-il plaisamment, que celle qu'il déployoit toutes les nuits[76] avec sa femme.

Comment un homme, à qui toute idée de morale étoit étrangère, pouvoit-il être le défenseur de la liberté ? Une autre maxime de Danton étoit qu'il fallait se servir des fripons. Aussi étoit-il entouré des intrigans les plus impurs[77]. Il professoit pour le vice une tolérance qui devoit lui donner autant de partisans qu'il y a d'hommes corrompus dans le monde[78]. C'étoit[79] sans doute le secret de sa politique qu'il[80] révéla lui-même par un mot remarquable : « Ce qui rend notre cause foible, disoit-il à un vrai patriote, dont il feignoit de partager les sentimens[81], c'est que la sévérité de nos principes effarouche beaucoup de monde. »

Il ne faut pas oublier les thés de Robert, où d'Orléans faisoit lui-même le punch, où Fabre, Danton et Wimpffen assistoient[82]. C'était là qu'on cherchoit à attirer le plus grand nombre de députés de la Montagne qu'il étoit possible, pour les séduire ou pour les compromettre.

Dans le temps de l'assemblée électorale, je m'opposai de toutes mes forces à la nomination de d'Orléans, je voulus en vain inspirer[83] mon opinion à Danton ; il me répondit que la nomination d'un prince du sang rendroit la Convention nationale plus imposante[84] aux yeux des rois[85] de l'Europe, surtout s'il étoit nommé le dernier de la députation. Je répliqUai qu'elle seroit donc bien plus imposante encore s'il n'étoit nommé que le dernier suppléant ; je ne persuadai point ; la doctrine de Fabre d'Eglantine étoit la même que celle du maître ou du disciple, je ne sais trop lequel[86].

Chabot vota pour d'Orléans[87]. Je lui témoignais tout bas ma surprise et ma douleur ; il s'écria bien haut que son opinion étoit libre.

On a pu remarquer la consternation de Fabre d'Eglantine et de beaucoup d'autres, lorsque je fis sérieusement la motion de chasser les Bourbons, que les meneurs du côté droit avoient jetée en avant, avec tant d'artifice, et le concert des chefs brissotins et des intrigans de la Montagne pour la rejeter à cette époque. Cette contradiction est facile à expliquer : la motion venue[88] du côté droit popularisoit d'Orléans et échouait contre la résistance de la Montagne abusée par ce jeu perfide ; faite par un montagnard, elle démasquait d'Orléans et le perdoit si le côté droit ne s'y étoit lui-même opposé. L'époque où je fis cette motion étoit voisine de celle où la conjuration de d'Orléans et de Dumouriez devoit éclater et éclata en effet[89]. Ce fut alors que les brissotins continuèrent[90] de tromper la Convention et de rompre l'indignation publique en mettant sous la garde d'un gendarme d'Orléans et Silleri, qui riaient eux-mêmes de cette comédie qui leur donna le prétexte de parler k la tribune le langage de Brutus[91]. C'est alors que Danton et Fabre, loin de dénoncer cette façon criminelle, se prêtèrent à toutes les vues de ses chefs[92]. Joignez à cela le développement des trahisons de la Belgique.

Analysez[93] toute la conduite politique de Danton : vous verrez que la réputation de civisme qu'on lui a faite était l'ouvrage de l'intrigue et qu'il n'y a pas une mesure liberticide qu'il n'ait adoptée.

On le voit, dans les premiers jours de la Révolution, ; montrer à la Cour un front menaçant et parler avec véhémence dans le club des Cordeliers ; mais bientôt il se lie avec les Lameth et transige avec eux : il se laisse séduire par Mirabeau et se montre aux yeux observateurs l'ennemi des principes sévères. On n'entend plus parler de Danton jusqu'à l'époque des massacres du Champ-de-Mars : il avoit beaucoup appuyé aux Jacobins la motion de La Clos, qui fut le prétexte de ce désastre et à laquelle je m'opposai. Il fut nommé le rédacteur[94] de la pétition avec Brissot. Deux mille patriotes sans armes furent assassinés par les satellites de La Fayette. D'autres furent jetés dans les fers. Danton se retira à. Arcis-sur-Aube, son pays, où il resta plusieurs mois, et il y vécut tranquille. On a remarqué comme un indice de la complicité de Brissot que depuis la journée du Champ-de-Mars, il avoit continué de se promener paisiblement dans Paris ; mais la tranquillité dont Danton jouissoit à Arcis-sur-Aube étoit-elle moins étonnante ? Etoit-il plus difficile[95] de l'atteindre là qu'à Paris, s'il eût été alors pour les tyrans un objet de haine ou de terreur ?

Les patriotes se souvinrent longtemps de ce lâche abandon de la cause publique ; on remarqua ensuite que, dans toutes les crises, il prenait le parti de la retraite[96].

Tant que dura l'Assemblée législative, il se tut. Il demeura neutre dans la lutte pénible des jacobins contre Brissot et contre la faction girondine. Il appuya d'abord leur opinion sur la déclaration de guerre. Ensuite, pressé par le reproche des patriotes, dont il ne vouloit pas perdre la confiance usurpée, il eut l'air de dire un mot pour ma défense[97] et annonça qu'il observoit attentivement les deux partis et se renferma dans le silence. C'est dans ce temps-là que, me voyant seul, en butte aux calomnies et aux persécutions de cette faction toute-puissante, il dit à ses amis : « Puisqu'il veut se perdre, qu'il se perde ; nous ne devons point partager son sort. » Legendre lui-même me rapporta ce propos qu'il avoit entendu[98].

Tandis que la Cour conspiroit contre le peuple et les patriotes contre la Cour, dans les longues agitations qui préparèrent la journée du ro août, Danton étoit à Arcis-sur-Aube ; les patriotes désespéroient de le revoir. Cependant, pressé par leurs reproches, il fut contraint de se montrer et arriva la veille du ro août ; mais, dans cette nuit fatale, il vouloit se coucher, si ceux qui l'entouroient ne l'avoient forcé de se rendre à sa section où le bataillon[99] de Marseille étoit rassemblé. Il y parla avec énergie : l'insurrection étoit déjà décidée et inévitable. Pendant ce temps-là, Fabre parlementoit avec la Cour. Danton et lui ont prétendu qu'il n'étoit là[100] que pour tromper la Cour[101].

J'ai tracé quelques faits de son court ministère. Quelle[102] a été sa conduite durant la Convention ? Marat fut accusé par les chefs de la faction du côté droit. Il commença par déclarer qu'il n'aimoit point Marat et par protester qu'il étoit isolé et qu'il se séparoit de ceux de ses collègues que la calomnie poursuivoit ; et il fit son propre éloge ou sa propre apologie[103].

Robespierre fut accusé ; il ne dit pas un seul mot si ce n'est pour s'isoler de lui[104].

La Montagne fut outragée chaque jour ; il garda le silence. Il fut attaqué lui-même, il pardonna, il se montra sans cesse aux conspirateurs comme un conciliateur tolérant ; il se fit[105] un mérite publiquement de n'avoir lamais dénoncé ni Brissot, ni Guadet, ni Gensonné, ni aucun ennemi de la liberté ![106] Il leur tendait sans cesse la palme de l'olivier et le gage d'une alliance contre les républicains sévères. La seule fois qu'il parla[107] avec énergie, ce fut la Montagne qui l'y força et il ne parla que de lui-même[108]. Lorsque[109] Ducos lui reprocha de n'avoir pas rendu ses comptes, il menaça le côté droit de la foudre populaire, comme d'un instrument dont il pouvoit disposer. Il termina son discours[110] par des propositions de paix. Pendant le cours des orageux débats de la liberté et de la tyrannie, les patriotes de la Montagne s'indignoient de son absence ou de son silence ; ses amis et lui en cherchoient l'excuse dans sa paresse, dans son embonpoint, dans son tempérament. Il savoit bien sortir de son engourdissement lorsqu'il s'agissoit de défendre Dumouriez et les généraux ses complices[111] ; de faire l'éloge de Beurnonville, que les intrigues de Fabre avaient porté au ministère[112].

Lorsque quelque trahison nouvelle dans l'armée donnoit aux patriotes le prétexte de provoquer quelques mesures rigoureuses contre les conspirateurs du dedans et contre les traîtres de la Convention, il avoit soin de les faire oublier ou de les altérer, en tournant sans cesse l'attention de l'Assemblée vers de nouvelles levées d'hommes[113].

Il ne vouloit pas la mort du tyran[114]  ; il vouloit qu'on se contentât de le bannir, comme Dumouriez qui étoit venu à. Paris avec Westermann, le messager de Dumouriez auprès de Gensonné et tous les généraux, ses complices, pour égorger les patriotes et sauver Louis XVI. La force de l'opinion publique détermina la sienne et il vota contre son premier avis, ainsi que

Lacroix, conspirateur n, avec lquel il ne put s'unir dans la Belgique que par le crime. Ce qui le-prouve encore plus, c'est le bizarre motif qu'il donna de cette union : ce motif étoit la conversion de Lacroix, qu'il prétendoit avoir déterminé à voter la mort du tyran[115]. Comment aurait-il fait les fonctions de missionnaire auprès d'un pécheur aussi endurci pour l'attirer à une doctrine qu'il réprouvoit lui-même[116] ?

Il a vu avec horreur[117] la révolution du 31 mai ; il a cherché à la faire avorter ou à la tourner contre la liberté, en demandant[118] la tête du général Hanriot, sous prétexte qu'il avoit gêné la liberté des membres de la Convention par une consigne nécessaire pour parvenir au but de l'insurrection qui étoit l'arrestation des conspirateurs[119].

Ensuite, pendant l'indigne procession qui eut lieu dans les Tuileries, Hérault, Lacroix et lui voulurent faire arrêter Hanriot, et lui firent ensuite un crime du mouvement qu'il, fit pour se soustraire à un acte d'oppression qui devoit assurer le triomphe de la tyrannie. C'est ici que Danton déploya toute sa perfidie[120]. N'ayant pu[121] consommer ce crime, il regarda Hanriot en riant et lui dit : « N'aie pas peur, va toujours ton train ! », voulant lui faire entendre qu'il avoit eu l'air de le blâmer par bienséance et par politique, mais qu'au fond il étoit de son avis. Un moment après, il aborda le général à la buvette et lui présenta un verre d'un air caressant, en lui disant :

Trinquons, et point de rancune 1 e Cependant, le lendemain, irrité sans doute du dénouement heureux de l'insurrection, il osa la calomnier de la manière la plus atroce à. la tribune et dit, entre autres choses, qu'on[122] avoit voulu l'assassiner, lui et quelques-uns de ses collègues. Hérault et Lacroix ne cessèrent de propager la même calomnie contre le général que l'on vouloit immoler[123].

J'ai entendu Lacroix et Danton dire : e Tl faudra que Brissot passe une heure sur les planches à. cause de son faux passeport. *

Lacroix disoit : « Si vous les faites mourir, la législature prochaine vous traitera de même[124]. »

Danton fit tous ses efforts pour sauver Brissot et ses complices. Il s'opposa à leur punition : il vouloit qu'on envoyât des Stages à Bordeaux[125]. Il envoya un ambassadeur à. Wimpfen dans le Calvados[126].

Danton et Lacroix vouloient dissoudre la Convention nationale et établir la Constitution[127].

Danton m'a dit un jour : « Il est fâcheux que l'on ne puisse pas proposer de céder nos colonies aux Américains ; ce seroit un moyen de faire alliance avec eux. » Danton et Lacroix ont depuis fait passer un décret dont le résultat vraisemblable étoit la perte de nos colonies[128].

Leurs vues furent de tout temps semblables à celles des Brissotins. Le 8 mars, on vouloit exciter une fausse insurrection pour donner à Dumouriez le prétexte qu'il cherchoit de marcher sur Paris, non avec le rôle défavorable de rebelle et de royaliste, mais avec l'air d'un vengeur de la Convention[129]. Desfieux en donna le signal aux Jacobins : un attroupement se porta au club des Cordeliers, de là à la Commune, Fabre s'agitoit beaucoup dans le même temps, pour exciter ce mouvement dont les Brissotins tirèrent un si grand avantage. On m'a assuré que Danton avoit été chez Pache, qu'il avoit proposé d'insurger, en disant que, s'il falloit de l'argent, il avoit[130] la main dans la caisse de la Belgique[131].

Danton vouloit une amnistie pour tous les coupables ; il s'en est expliqué ouvertement[132] ; il vouloit donc la contre-révolution. Il vouloit la dissolution de la Convention, ensuite la destruction du gouvernement : il vouloit donc la contre-révolution[133]. Fabre, dans ses notes, indiquait comme une preuve de la conspiration de Hébert les dénonciations contre Dillon et Castellane[134], et Desmoulins, inspiré par Fabre, vantait Dillon[135].

Westermann est le héros de la faction ; elle l'a mis au-dessus des lois, en faisant décréter qu'il ne pouvoit être arrêté[136]. Westermann a été appelé par eux à Paris dans le moment de la conspiration. Westermann est un imposteur, un traître, un complice, un reste impur de la faction de Dumouriez. Quels rapprochements !

 

Ici s'arrête la partie des Notes de Robespierre, que le libraire France a publiées sous le titre de Premier fragment. Robespierre bâtonna après coup, on l'a vu, celles de ces potes qui concernaient le rôle des dantonistes dans l'émeute avortée du Io mars 1793, que les contemporains considérèrent comme une intrigue combinée entre Danton' et Dumouriez. Jugeant sans doute qu'il n'avait pas été assez explicite dans cette première rédaction, Robespierre reprit la plume et ajouta des précisions nouvelles, qui sont contenues dans le manuscrit qui a été publié dans le catalogue d'autographes de la collection Morrison, t. V, p. 282-283. Voici ce manuscrit qui forme la suite naturelle des notes précédentes :

Le 8 mars, Danton vouloit faire partir Paris[137], en laissant Dumourier à la tête de l'armée, moien sûr de livrer Paris à la faction de Dumourier, sans arrêter les ennemis avec lesquels il s'entendoit et surtout sans étouffer la trahison ; mesure qui fut accueillie facilement des Brissotins.

Le même jour, Danton, à la mairie, proposa une insurrection, moïen sûr de fournir à Dumourier le prétexte qu'il cherchoit de marcher contre Paris comme le défenseur de la Convention contre ce qu'il appeloit des anarchistes et des brigands[138].

Cette espèce d'insurrection eut lieu en effet le 10 mars telle qu'elle convenoit à la faction de Dumourier. Ce fut Desfieux[139] qui en donna le signal aux jacobins, qu'il s'efforça de précipiter dans une démarche inconsidérée. Un attroupement préparé entra dans cette société, se porta aux Cordeliers, de là au Conseil de la Commune pour demander qu'elle se mit à la tête de l'insurrection. Le maire et les membres du Conseil s'y opposèrent avec fermeté. Ce jour-là même, on vit Fabre s'agiter, courir de tout côté pour exciter ce mouvement, un député lui demandant dans les corridors de la Convention quelle étoit la situation de Paris, Fabre lui répartit : e Le mouvement est arrêté, il a été aussi loin qu'il le falloit[140]. » En effet, le but de la faction de Dumourier étoit rempli. On lui avoit fourni le prétexte qu'il cherchoit de motiver sa rébellion par les mouvements de Paris, et il en fit la base des manifestes séditieux qu'il publia peu de temps après contre la Montagne et des adresses insolentes qu'il envoioit à la Convention[141].

Ainsi Desfieux étoit d'accord parfaitement avec la faction girondine, à laquelle il feignoit de faire une guerre terrible à la tribune des jacobins. C'est ce même Défieux qui, tout en déclamant contre. Brissot, reçut de Lebrun, ami et complice de Brissot, une somme de 3.000 livres pour envoier des courriers chargés de répandre dans le Midi des adresses véhémentes où les députés girondins étoient maltraités, mais dont le stile étoit fait pour justifier les calomnies et la révolte projettée des fédéralistes ; qui fit arrêter ces courriers précisément à Bordeaux d'où elles furent envoyées à. la Convention nationale pour servir de texte aux déclamations criminelles des Gensonné et des Vergniaux contre Paris, contre la Montagne et contre les jacobins[142]. Ce fut ce même Défieux qui, après avoir si lontems fait retentir les tribunes populaires des crimes de la faction girondine, déposa en leur faveur au tribunal révolutionnaire[143]. Fabre, dans cette journée du 8 mars, agissoit comme Défieux, et cependant il se déclaroit l'ennemi de Défieux. Il se déclare l'ennemi de la Gironde, il a dénoncé Défieux et les girondins ; il a dénoncé Proli[144] ; des mandats d'arrêt étaient lancés contre Proli, et il déjeûnoit et (linon avec Proli[145] ; et, afin qu'on ne put en induire aucune conséquence contre lui, il prenoit la précaution d'en venir faire sa déclaration au Comité de Sûreté générale, comme il fit sa déclaration au même Comité des 100.000 livres que Chabot avoit reçues pour lui, lorsqu'il eut appris l'arrestation de Chabot[146].

C'est ainsi que se dévoile le jeu perfide des factieux qui semblent se combattre lorsqu'ils sont d'accord pour enfermer les patriotes de bonne foi entre deux armées. La faction de Dumouriez et de d'Orléans étoit destinée à fournir l'exemple le plus frappant de cette politique artificieuse.

Fabre a dit que la France devoit être démembrée en quatre portions[147]. C'étoit encore le système girondin. Il étoit d'accord avec les girondins, il l'étoit encore avec Hébert sur les résultats : la dissolution de la Convention, la ruine du gouvernement républicain, l'impunité des traîtres, la perte des patriotes, la ruine de la liberté ; tontes les factions tendant nécessairement à ce dernier but doivent s'accorder en effet dans les résultats, et soit que leurs chefs agissent [en] intelligence, soit qu'ils soient divisés, ils doivent tomber également sous le glaive de la loi, qui ne doit voir que les effets et la patrie.

 

La dernière partie du discours de Saint-Just est consacrée à Hérault de Séchelles. C'est la raison pour laquelle nous croyons que les notes de Robespierre se terminaient par ce dernier fragment que France a publié en troisième lieu :

Proli autrichien, bâtard du prince de Kaunitz, principal agent de la faction[148] de l'étranger.

Hérault entièrement lié avec Proli[149].

Hérault tenant des conciliabules de conspirateurs ; ami de Hébert et autres.

Hérault entouré[150] de tous les scélérats de l'Europe, dont il a placé un grand nombre[151] avec Lamourette, comme il est convenu au Comité de Salut public ; avec un chanoine de Troies, prêtre réfractaire guillotiné dernièrement, auquel il écrit sur le ton de la familiarité, en persiflant indirectement la Révolution, lui promettant ses bons offices et lui offrant la perspective d'une place dans l'éducation publique. Cette lettre est entre nos mains[152].

Hérault, espion des cours étrangères au Comité de Salut public, dont il transmet les opérations à Vienne' par le canal de Proli et une lettre écrite à de Forgues par un de nos envoyés[153].

L'un des coquins dont Hérault s'étoit entouré, poursuivi comme émigré et comme conspirateur, ayant été arrêté dans l'appartement d'Hérault par le comité de la section Le Peletier[154], le Comité de Salut public ayant approuvé cette arrestation, Hérault fit les démarches les plus vives et voulut abuser de son caractère de député, pour forcer le Comité à le relâcher ; n'ayant pu l'obtenir, il fut trouver clandestinement l'homme au violon et fut surpris en conférence avec lui.

Simond étoit avec lui et partagea ce délit. Simond est le compagnon, l'ami, le complice de Hérault, ce qui a déterminé le Comité à le mettre en état d'arrestation[155].

 

Il sous sera peut-être permis, en terminant (lette première édition complète des Notes de Robespierre, plus célèbres que connues, d'ajouter quelques réflexions.

Des historiens, emportés par les préventions politiques et confessionnelles, pour qui l'innocence de Danton et de ses amis était un article de foi, ont invoqué ces notes pour se répandre contre l'Incorruptible en injures d'autant plus véhémentes qu'ils négligeaient de les motiver. Sans se donner la peine de vérifier aucune de ses affirmations, ils ont proclamé, de science certaine, que Robespierre était un « pieux calomniateur », un « mystique assassin », un « hypocrite sanguinaire », qui mentait avec joie et qui se cachait derrière Saint- Just pour lancer ses traits empoisonnés.

Je ne sais pas si M. Aulard répéterait aujourd'hui son défi d'il y a trente-trois ans : « Aux apologistes de Robespierre », mais ce que je sais bien, c'est que tout homme de bonne foi, qui a suivi nos démonstrations, sourirait du défi.

Nous avons fait la preuve, il y a quatre ans déjà, que Robespierre, odieusement trompé par Fabre d'Eglantine, fut sa dupe jusqu'au jour du mois de nivôse, où la découverte des scellés de Delaunay d'Angers, en lui révélant la participation du comédien dans la falsification du décret de liquidation de la Compagnie des Indes, lui inspira l'horreur de l'intrigant qui dénonçait les agioteurs et les agents de l'étranger dans le secret des Comités, et qui était cependant leur complice.

Nous avons fait la preuve que les premières accusations qui conduisirent à l'échafaud Hérault de Séchelles et Chabot, puis les hébertistes, puis par voie de conséquence les dantonistes eux-mêmes, tous considérés comme agents de l'étranger, ont été l'œuvre de Fabre d'Eglantine.

Nous avons fait la preuve que Danton était derrière toutes les intrigues d'agiotage comme derrière toutes les intrigues de contre-révolution.

Sans doute, l'écheveau enchevêtré des sourdes manœuvres par lesquelles l'ennemi intérieur et extérieur essayait de mettre la main surie gouvernement révolutionnaire, de le désorganiser, de le paralyser, puis de le renverser, n'est pas encore entièrement débrouillé, l'avenir nous réserve plus d'une découverte, mais dès aujourd'hui nous commençons à voir clair. Après les Chabot, les Julien de Toulouse, les Fabre d'Eglantine, les Basins, les Hérault de Séchelles, sortent peu à peu de l'ombre les Desfieux, les Proli, les Gunnar, les Frey, les Dubuisson, les Comte, les d'Espagne, tous les agents interlopes de l’espionnage et du contre-espionnage, de la banque et des tripots, qui se rattachent à Danton par des fils visibles.

Emmêlé lui-même un moment dans le réseau des intrigues, Robespierre eut le courage de se ressaisir par un effort de conscience et d'intelligence. Son ardent patriotisme lui fit percer à jour le jeu savant de Fabre d'Eglantine. Il vit l'abîme. Il sentit que la République et la France étaient perdues si les hommes tarés, si les stipendiés de l'ennemi s'emparaient du pouvoir en égarant l'opinion.

Quand enfin les deux Comités se résolurent à l'effort suprême contre le parti de l'étranger, Robespierre prit hautement ses responsabilités. Il collabora avec Saint- Just.

Saint- Ju3t avait fait un premier rapport devant les Comités, dont il ne subsiste plus que quelques lignes. Robespierre révisa et compléta ce rapport, et quand Legendre, à la séance de la Convention, voulut défendre Danton, il monta à la tribune pour en soutenir les conclusions.

Dans les notes qu'il remit à Saint-Just, c'est sur Fabre d'Eglantine qu'il fit porter l'essentiel de son réquisitoire. Il avait lu et peut-être avait-il encore sous les yeux les dénonciations que Fabre avait lancées en secret contre Chabot, contre Hérault, contre Proli, contre Desfieux. Nous avons retrouvé ces dénonciations, nous les avons identifiées. Robespierre y renvoie dans ses notes d'une façon précise.

Si on songe qu'il a écrit à la hâte, au courant de la plume, on ne peut qu'admirer la sûreté de sa mémoire comme la lucidité de son jugement. Sans être absolument complètes, nos annotations suffisent à montrer que les faits qu'il cite sont aisément vérifiables et que les interprétations qu'il leur donne sont celles mêmes des contemporains.

Robespierre n'a rien inventé. Il n'a forgé contre les dantonistes aucune calomnie. Il a passé leur politique et leurs actes au crible d'une critique raisonnable. Loin de se laisser égarer par la passion patriotique, il a poussé très loin le respect de la vérité. Quand il lit dans le pierrier rapport de Saint- Just une accusation mal fondée, il rectifie aussitôt : « Danton se montra bien. » Il atténue les torts de Camille Desmoulins. S'il accuse, c'est en toute sincérité. Il ne déclame pas. Il recueille les faits, il les rapproche et la vérité en jaillit d'elle-même,

Parce que les preuves et las indices qui ont déterminé sa conviction ne figurent pas dans ces notes qui n'étaient que des conclusions, il n'en résulte pas que ces preuves et ces indices n'existent pas. Il est possible de reconstituer le dossier sur lequel les Comités ont délibéré. Les éléments en sont dispersés dans les archives et les bibliothèques : Il fallait les rechercher et les contrôler par toutes les sources d'information. On n'a pas le droit de condamner des hommes comme Robespierre et Saint-Just, comme leurs collègues du Comité de Salut public qui furent unanimes, sans se donner la peine de les entendre et de les comprendre, sans essayer de se remettre dans l'atmosphère du temps, dans la fièvre du combat dont la victoire était l'enjeu.

Mais l'histoire, elle aussi, a ses Fouquier-Tinville, des Fouquier-Tinville qui n'ont pas l'excuse de la défense nationale et qui s'acharnent cependant contre les bons Français honnêtes et désintéressés qui sauvèrent le pays, tout en prodiguant par compensation une indulgence sans bornes aux roués coquins qui ne virent dans les périls de la patrie qu'une occasion unique de payer leurs dettes, de satisfaire leur besoin de jouissances et de faire fortune.

 

 

 



[1] Bibliothèque nationale, Lc³⁶ 743, in-8°.

[2] Le titre continue ainsi : « Manuscrit inédit publié sur les autographes, avec des notes, des rapprochemens et un fac-simile, suivis d'une lettre de Mademoiselle Robespierre. » Il s'agit de la lettre adressée par Charlotte Robespierre au journal L'Universel, pour contester l'authenticité des prétendus mémoires de Robespierre (24 mai 1830).

[3] Convention nationale. Rapport fait d la Convention nationale au nom de ses Comités de Sûreté générale et de Salut public sur la conspiration ourdie depuis plusieurs années par les factions criminelles, pour absorber la Révolution française dans un changement de dynastie et contre Fabre d'Eglantine, Danton, etc., par SAINT-JUST, Séance du 11 germinal, 24 pages in-8°, de l'imprimerie nationale.

[4] Cette comparaison entre Danton et Brissot a été maintenue dans le rapport définitif de Saint-Just : « Les amis du profond Brissot avoient dit longtemps de lui qu'il étoit un inconséquent, un étourdi même. Fabre disoit de Danton qu'il étoit insouciant ; que son tempérament l’entrainoit à la campagne, aux bains, aux choses innocentes. » (P. 18 du rapport publié par ordre de la Convention. Toutes nos citations seront empruntées à ce document.)

[5] Phrase presque textuelle dans le rapport définitif (p. 18).

[6] « Hérault étoit grave dans le sein de la Convention, bouffon ailleurs, il rioit sans cesse pour s'excuser de ce qu'il ne disoit rien. » (Rapport définitif, p. 18.)

[7] Cette phrase ne se retrouve pas dans le rapport définitif. Fut-elle supprimée sur l'invitation de Robespierre ?

[8] Ici Robespierre rectifie un jugement défavorable de Saint-Just sur Danton. Cet exemple prouve avec quel scrupule il respectait la vérité et donne à ses accusations un poids singulier.

[9] « Tu envoyas Fabre en ambassade près de Dumouriez, sous prétexte, disois-tu, de le réconcilier avec Kellermann. » (Rapport de Saint-Just, p. 13.) Fabre arriva le 29 septembre 1792 au camp de Kellermann, il le flatta, lui promit le bâton de maréchal afin de l'amener à consentir aux plans de Dumouriez. (A. CHUQUET, Dumouriez, p. 131.)

[10] « Dumouriez louoit Fabre-Fond, frère de Fabre d'Eglantine ; peut-on douter de votre concert criminel pour renverser la République ? s (Saint-Just, p. 13.)

[11] « Une société populaire, livrée à Chaumette, osa censurer votre décret sur les cultes et loua, dans une adresse, l'opinion d'Hébert et de Chaumette. » (Saint-Just, p. 8.) L'adresse du club de Moulins est publiée dans les Archives parlementaires, t. LXXXI, p. 433 (séance du 24 frimaire).

[12] « Fabre soutint ici ces opinions artificieuses. » (Saint-Just, p. 8.)

[13] Sur le rôle de Fabre et des indulgents dans le mouvement de déchristianisation, voir mon livre La Révolution et l'Eglise, p. 76 et sq. Le 27 brumaire, jour de l'abdication de Gobel, Fabre fit décréter que le procès-verbal de la séance et les discours des prêtres abdicataires seraient distribués à tous les départements.

[14] Saint-Just a laissé tomber cette observation sur l'hypocrisie de Fabre.

[15] « Vous êtes tous complices du même attentat. » (Rapport de Saint-Just, p. 29.)

[16] Comparer le rapport de Saint-Just : « Fabre d'Eglantine fut à la tête de ce parti ; il n'y fut point seul, il fut le cardinal de Retz d'aujourd'hui... » etc. (p. 7).

[17] Fabre dénonça secrètement Hérault de Séchelles, Chabot et les Hébertistes, et notamment Proli, dans une réunion de membres des Comités de Salut public et de Sûreté générale, qui eut lieu vers le 10 octobre. Voir notre étude : Fabre d'Eglantine inventeur de la conspiration de l'étranger, dans les Annales révolutionnaires, mai-juin 1916.

[18] Allusion à Billaud-Varenne et à Collot d'Herbois, protecteurs des Hébertistes. Fabre les avait écartés de la réunion des Comités où il fit ses soi-disant révélations contre Desfieux, Proli, Chabot, Hérault de Séchelles, etc.

[19] Allusion à Bouchotte, ministre de la Guerre, dont les bureaux étaient peuplés d'Hébertistes. Bouchotte fut attaqué à plusieurs reprises par les amis de Fabre, notamment par Bourdon de l'Oise et Philippeaux.

[20] Mot barré : décisifs (note de France).

[21] Alors que Fabre se bornait à des dénonciations secrètes au sein des Comités, il faisait agir Dufourny qui attaquait Desfieux et Proli aux Jacobins, et les faisait même arrêter le 12 octobre. Quand Chabot dénonça à son tour ses anciens amis hébertistes pour se sauver, ce fut Robespierre qui dénonça le 1er frimaire, aux Jacobins, l'avant-garde hébertiste. Outre Dufourny, les hommes que Fabre lance en avant sont, dans l'esprit de Robespierre, Guffroy, rédacteur du journal Le Rougyff, Bourdon de l'Oise qui attaque Bouchotte, le 9 frimaire, à la Convention, Camille Desmoulins qui fait paraître Le Vieux Cordelier, le 15 frimaire, Philippeaux qui attaque Ronsin et Rossignol dans de nombreux pamphlets.

[22] Mot barré : dénoncer (France).

[23] Voir nos articles Une candidature de Fabre d'Eglantine, Fabre d'Eglantine fournisseur aux armées, Fabre d'Eglantine et les femmes, etc. (Annales révolutionnaires, 1911, t. IV, et 1914, t. VII). — Ici, dans le manuscrit de Robespierre, un mot barré : notoires (France).

[24] Mots barrés : il les fit décréter d'arrestation (France).

[25] Le 27 frimaire, Fabre d'Eglantine avait dénoncé Maillard, Vincent et Ronsin, qui furent décrétés d'arrestation.

[26] Mots barrés : les conspirateurs (France).

[27] Mots barrés : ne trouvant rien contre eux, Fabre parut (France).

[28] Mots barrés : ne soutint pas (France).

[29] Le 24 Pluviôse, 2 février 2794, Voulland, au nom du Comité de Sûreté générale, proposa de remettre en liberté Ronsin et Vincent. Danton, tout en appuyant la mise en liberté qui fut votée, affectait de prendre la défense de Fabre d'Eglantine, leur dénonciateur. Il faut comparer les notes de -Robespierre avec le rapport qu'il écrivit sur la conspiration de Fabre d'Eglantine, et qui figure dans les pièces annexes du rapport de Courtois. On doit remarquer que ce passage des notes n'a pas été utilisé par Saint-Just dans son rapport définitif.

[30] Mots barrés : c'étoit Pacte, c'étoit Hanriot qu'ils inculpoient, c'étoit Bouchotte, c'étoit le principe (France).

[31] Mot barré : déclarèrent (France).

[32] Mots barrés : où ils vouloient s'introduire (France).

[33] Le 22 frimaire, Barère ayant annoncé à la Convention que les pouvoirs du Comité de Salut public étaient expirés, Bourdon de l'Oise insista pour qu'on procédât à son renouvellement. Il fut appuyé par Merlin de Thionville, et la Convention décréta qu'un scrutin aurait lieu le lendemain pour ce renouvellement. Mais le lendemain, 23 frimaire, le montagnard Jay de Sainte-Foy fit décider la continuation des pouvoirs du Comité sortant. U n'y eut pas 'de scrutin.

[34] On trouve l'écho de ce bruit dans les correspondances de l'époque. (Lettre de Barras et Fréron du 30 frimaire dans le Moniteur, t. XIX, p. 64.)

[35] Mots barrés : a corrigé (France).

[36] Le Vieux Cordelier.

[37] Mots barrés : cette doct... (France).

[38] Le 30 frimaire, la Convention fut littéralement assiégée par une foule de femmes qui réclamaient la liberté de leurs parents détenus. Peu après, à la même séance, une députation de Lyonnais protesta contre les barbares exécutions ordonnées à Lyon par Fouché et Collot d'Herbois. — Aucune trace de tout ce passage des notes de Robespierre dans le rapport de Saint-Just, à l'exception del a phrase suivante : « Que diroi-je de l'aveu fait par Danton qu'il avoit dirigé les derniers écrits de Desmoulins et de Philippeaux ? » (P. 18).

[39] Le 25 brumaire, les deux filles du girondin Lauze-Deperret avaient sollicité un secours de la Convention pour retourner dans leur pays. Sur la proposition de Merlin de Thionville et de Philippeaux, la Convention avait voté le principe de ce secours et chargé son Comité des secours publics de lui faire un rapport sur les pensions alimentaires à accorder aux femmes et aux enfants des condamnés. Un secours fut accordé à la veuve et aux enfants de Gorsas, sur la proposition de Briez, le 13 pluviôse.

[40] Robespierre fait sans doute allusion aux affaires Gaudon et Chaudot. Le marchand de vin Gaudon, condamné à mort pour accaparement, avait été l'objet d'un sursis le 2 nivôse, sa condamnation avait été ensuite annulée le 7 nivôse. Danton et son ami Bourdon de l'Oise avaient contribué à le faire remettre en liberté. Le notaire Chaudot, compromis dans l'affaire de Baune-Winter (prêt de 100.000 livres sterling aux trois fils du roi d'Angleterre), avait été condamné à mort, le 25 pluviôse, pour avoir entretenu des intelligences avec les ennemis de la France. A la demande de Clauzel et de Vadier, la Convention avait ordonné, le 26 pluviôse, qu'il serait sursis à son exécution. Mais le sursis fut levé, le 29 pluviôse, sur le rapport d'Oudot, au nom des Comités de législation et de Sûreté générale. Chaudot, qui avait été le notaire de d'Espagnac, fut guillotiné. Le 29 pluviôse encore, le dantoniste Guffroy avait pris sa défense.

[41] France fait remarquer en note que Robespierre écrit toujours Demoulins, de même qu'il écrit Dumourier, Défieux, Henriot, Simon.

[42] Mot barré : louant (France).

[43] On voit que Robespierre, qui avait déjà essayé, aux Jacobins, d'atténuer les torts de Camille, le représente ici encore comme un égaré de bonne foi. Saint-Just le jugera plus sévèrement : « Camille Desmoulins, qui fut d'abord dupe et finit par être complice, fut, comme Philippeaux, un instrument de Fabre et de Danton... Comme Camille Desmoulins manquoit de caractère, on se servit de son orgueil. Il attaqua en rhéteur le gouvernement révolutionnaire dans toutes ses conséquences ; il parla effrontément en faveur des ennemis de la Révolution, proposa pour eux, un comité de clémence, se montra très inclément pour le parti populaire, attaqua, comme Hébert et Vincent, les représentans du peuple dans les armées ; comme Hébert, Vincent et Buzot lui-même, il les traita de proconsuls. Il avoit été le défenseur de l'infâme Dillon, avec la même audace que montra Dillon lui-même lorsqu'à Maubeuge il ordonna à son armée de marcher sur Paris et de prêter serment de fidélité au roi. Il combattit la loi contre les Anglais, etc. » (p. 19).

[44] Mots raturés : mais il fut (France).

[45] Les relations étroites de Danton avec les Lameth ne sont pas douteuses. Voir notre étude : Danton dans les mémoires de Théodore Lameth (Annales révolutionnaires de janvier 1913).

[46] Ici une phrase raturée par Robespierre : « C'est par la protection de Mirabeau que Danton fut nommé administrateur du département de Paris, en z79o, dans le temps où l'Assemblée électorale était décidément royaliste. » (France). Cette phrase n'en figure pas moins textuellement dans le discours de Saint-Just : « Ce fut par la protection de Mirabeau que tu fus nommé administrateur du département de Paris dans le temps où l'Assemblée électorale étoit décidément royaliste. » (Rapport, p. 19). — L'accusation de Robespierre, concernant le remboursement de la charge de Danton, se retrouve dans diverses sources contemporaines, notamment dans les mémoires de Lafayette, t. HI, p. 84, note. Robinet a publié la quittance du remboursement fait à Danton, mais ce document officiel ne prouve pas que Danton n'eût pas touché irrégulièrement d'autres sommes. Le directeur de la liquidation Dufresne de Saint-Léon, ami de Talleyrand et de Talon, fut fortement soupçonné d'avoir une comptabilité secrète. Compromis dans la découverte de l'armoire de fer et traduit au tribunal criminel de Paris, il fut acquitté à un moment où l'influence de Danton au gouvernement et à Paris était encore puissante.

[47] France fait remarquer en note que cet alinéa et le suivant ont été bâtonnés d'un trait de plume. Il croit que Saint-Just est l'auteur de ce trait de plume. Il me parait plutôt que c'est Robespierre lui-même, car Saint-Just a maintenu la phrase dans son rapport : « Tous les amis de Mirabeau se vantoient hautement qu'ils t'avoient fermé la bouche. Aussi tant qu'a vécu ce personnage affreux, tu es resté presque muet » (p. 10).

[48] Ce passage a été reproduit par Saint-Just : « Dans ce temps-là tu reprochais à un personnage rigide, dans un repas, qu'il compromettait la bonne cause, en s'écartant du chemin où marchoient Barnave et Lameth, qui abandonnoient le parti populaire » (p. 10). C'est en mai 1791, sur l'affaire des colonies, que Robespierre rompit définitivement avec les Lameth et Barnave. Mais leur évolution à droite datait déjà de quelques mois.

[49] Mots barrés : les derniers numéros (France).

[50] Mots barrés : qui avait fort improuvé la... assez entachée d'aristocratie (France).

[51] Saint-Just a recueilli cette anecdote en l'enjolivant dans son rapport : « On racontoit comme une preuve de la bonhomie de Fabre, que celui-ci se trouvant chez Desmoulins au moment où il lisoit à quelqu'un l'écrit dans lequel il demandoit un comité de clémence pour l'aristocratie, et appeloit la Convention la Cour de Tibère, Fabre se mit à pleurer. Le crocodile pleure aussi. » (p. 19).

[52] Je n'ai pas retrouvé ce passage dans le rapport de Saint-Just.

[53] Voir la séance des Jacobins du 18 nivôse an II.

[54] Mots barrés : aux crimes des conspirateurs (France).

[55] « Faux ami, tu disois, il y a deux jours, du mal de Desmoulins, instrument que tu as perdu et tu lui prêtois des vices honteux. » (Rapport de Saint-Just, p. 17.)

[56] Cette dernière entrevue de Danton avec Robespierre doit être distincte de celle que Daubigny a racontée dans ses Principaux événements, p. 49, car Daubigny ne nomme pas Laignelot parmi les convives du repas chez Humbert. Il doit s'agir de l'entretien rapporté dans les Mémoires de Barras.

[57] Les pressentiments de Robespierre étaient justifiés. Laignelot, qui était un ami de Daubigny (Principaux événements, p. 98), se rangera parmi les thermidoriens.

[58] Mots barrés : n'a jamais (France). Cet homme désigne Danton.

[59] A l'Assemblée électorale du département de Paris qui nomma les députés à la Convention.

[60] Mot barré : projets (France).

[61] Mots barrés : Fabre s'était fait fournisseur de l'armée, il avait (France). « Tu enrichis Fabre pendant ton ministère. » (Rapport de Saint-Just, p. 22).

[62] Voir notre article : Fabre d'Eglantine, fournisseur aux armées, dans les Annales révolutionnaires, 1911, t. IV, p. 532-534.

[63] Il ne peut s'agir ici que du premier rapport de Saint-Just fait devant les Comités et que Robespierre a sous les yeux quand il écrit ses notes.

[64] « Tu donnas des ordres pour sauver Duport ; il s'échappa au milieu d'une émeute concertée à Melun par tes émissaires pour fouiller une voiture d'armes. » (Saint-Just, p. 12) : Adrien Duport fut détenu dix jours dans les prisons de Melun. Un jugement du tribunal de cette ville, rendu sur l'initiative de Danton, le remit en liberté le 27 septembre 2792. Voir les lettres de Danton publiées par Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, t. III, p. 354 et 557. Robespierre présente les faits d'une façon plus exacte que Saint-Just.

[65] Sur le rôle de Danton dans l'élargissement des deux chefs feuillants Charles Lameth et Adrien Duport, voir les extraits des mémoires de Théodore Lameth, que nous avons publiés dans les-Annales révolutionnaires, 1913, t. VI, p. 9-13 et 27-27. Avec son cynisme ordinaire, Danton prétendra devant le tribunal révolutionnaire qu'il avait donné « les ordres les plus précis pour arrêter Duport ».

[66] Voir la conversation que Robespierre eut avec Pétion et Danton à la Commune, le 4 septembre, dans la brochure de Pétion intitulée : Discours sur l'accusation intentée à Robespierre, Buchez et Roux, t. XXI, p. 107-108.

[67] Ce passage n'est que le développement d'une note plus sommaire de Robespierre, que nous avons publiée en tête, p. 84.

[68] Exact. Voir la lettre de Kellermann, en date du as septembre 1792, où il fait un vif éloge de Dumouriez. Archives parlementaires, t. LII, p. 100.

[69] Voir le discours de Dumouriez à la barre de la Convention le 12 octobre 1792. Archives Parlementaires, t. LII, p. 472.

[70] « Les traîtres n'étoient que trop unis pour notre malheur : dans toutes leurs lettres à la Convention, dans leurs discours à la barre, ils se traitoient d'amis et tu étois le leur. Le résultat de l'ambassade de Fabre fut le salut de l'armée prussienne, à des conditions secrètes que ta conduite expliqua depuis. » (Saint-Just, p. 13.)

[71] Mot barré : or (France).

[72] Mots barrés : qui se croient (France).

[73] « Le parti de Brissot accusa Marat ; tu te déclaras son ennemi ; tu t'isolas de la Montagne dans les dangers qu'elle courait. Tu te fis publiquement un mérite de n'avoir jamais dénoncé Gensonné, Guadet et Brissot, tu leur tendois sans cesse l'olivier, gage de ton alliance avec eux contre le peuple et les républicains sévères, La Gironde te fit une guerre feinte... » (Saint-Just, p. 12.)

[74] Le 4 septembre à la mairie.

[75] « Méchant homme, tu as comparé l'opinion publique à une femme de mauvaise vie ; tu as dit que l'honneur étoit ridicule, que la gloire et la postérité étoient une sottise. » (Saint-Just, p. 17.)

[76] Mots barrés : tous les soirs (France).

[77] Exact. On n'a que l'embarras de les nommer : Westermann, Fabre d'Eglantine, Vilain dit d'Aubigny, Latouche-Chephtel,. Lalligant-Morillon, Osselin, etc.

[78] « Tu disois que des maximes sévères feroient trop d'ennemis à la République. » (Saint-Just, p. 14.)

[79] Mots barrés : il me disoit un jour (France).

[80] Mot barré : me (France).

[81] Mots barrés : en feignant de partager nos principes (France).

[82] « Tu te trouvois dans des conciliabules avec Wimpfen et d'Orléans. » (Saint-Just, p. 12.) Saint-Just a supprimé le nom de Robert.

[83] Mot barré : persuader (France).

[84] Mot barré : impuissante (France).

[85] Mots barrés : de l'Univ... (France).

[86] Chabot dans sa réponse à Lanjuinais (séance de la Convention du 16 décembre 1792) et Camille Desmoulins (dans son Histoire des Brissotins) ont reconnu que Robespierre combattit la candidature de Philippe-Égalité à la Convention.

[87] Saint-Just a inséré tout ce passage dans son rapport : « Ce fut toi qui fis nommer Fabre et d'Orléans à l'assemblée électorale où tu vantas le premier comme un homme très adroit et où tu dis du second que, prince du sang, sa présence au milieu des représentants du peuple leur donneroit plus d'importance aux yeux de l'Europe. Chabot vota en faveur de Fabre et d'Orléans » (p. 12).

[88] Mot barré : présentée (France).

[89] C'est le 27 mars 1793, au moment où les premiers bruits de la trahison de Dumouriez arrivaient à Paris, que Robespierre proposa à la Convention de décréter que tous les parents de Capet seraient tenus de sortir sous huit jours du territoire français.

[90] Mot barré : cherchèrent (France).

[91] C'est dans la séance du 4 avril 5793 que Philippe-Égalité et Sillery furent décrétés d'arrestation à 'vue, sous la garde d'un gendarme. Sillery demanda lui-même que les scellés fussent apposés sur ses papiers. « Quand il s'agira de punir les traîtres, dit-il, si mon gendre est coupable, je suis ici devant l'image de Brutus ; je fais le jugement qu'il porta contre son fils. » (Archives parlementaires, t. LXI, p. 301).

[92] « Fabre et toi fûtes les apologistes de d'Orléans, que vous vous efforçâtes de faire passer pour un homme simple et très malheureux ; vous répétâtes souvent ce propos. Vous étiez sur la Montagne le point de contact et de répercussion de la conjuration de Dumouriez, Brissot et d'Orléans. » (Saint-Just, p. 16.)

[93] Mot barré : maintenant (France).

[94] Mots barrés : il avoit été le rédacteur (France).

[95] Mots barrés : si on ne suppose pas un concordat tacite entre lui et La Fayette (France). Tout cet alinéa a passé presque textuellement dans le rapport de Saint-Just (p. 10 et 11). Sur le rôle de Danton dans l'affaire du Champ-de-Mars, voir mon livre sur Le Club des Cordeliers pendant la crise de Varennes et l'article de M. G. Rouanet : Danton en juillet 1791, dans les Annales révolutionnaires, 1910, t. III, p. 514-521.

[96] « Que dirai-je de ton lâche et constant abandon de la cause publique au milieu des crises, où tu prenois toujours le parti de la retraite ? » (Saint-Just, p. 11.)

[97] Mots barrés : contre les persécutions (France).

[98] Voir notre article : Danton sous la Législative, dans les Annales révolutionnaires, t. V. 1912, p. 301-324, et notre livre Danton et la Paix.

[99] Mots barrés : une portion (France).

[100] Mots barrés : que son intention étoit de (France).

[101] Sur les intrigues de Danton et de ses amis avec la Cour, à la veille du 10 août, voir notre article : Westermann et la Cour à la veille du 10 août (Annales révolutionnaires, 1917, t. IX, p. 398 et sq.) et l'extrait des Essais historiques de Beaulieu sur les rapports de Fabre d'Églantine avec le ministre de la Marine Dubouchage (Annales révolutionnaires, 1914, t. VII, p. 565). Tout ce passage des notes de Robespierre a passé dans le rapport de Saint-Just (p. 11 et 12). Le mémorial de Lucite Desmoulins confirme l'exactitude des notes de Robespierre sur l'attitude de Danton dans la nuit du 9 au ro août.

[102] Mot barré : comment (France).

[103] « Tu nous avois dit : je n'aime point Marat. » (Saint-Just, p. 15.) C'est à la séance du 25 septembre 1792 que Danton répondit aux attaques girondines en désavouant Marat. « Il existe, il est vrai, dans la députation de Paris, un homme dont les opinions sont pour le parti républicain ce qu'étoient celles de Royou pour le parti aristocratique : c'est Marat. Assez et trop longtemps on m'a accusé d'être l'auteur des écrits de cet homme. J'invoque le témoignage du citoyen qui vous préside (Pétion]..., etc. »

[104] Quand Louvet attaqua Robespierre, le 29 octobre 1792, Danton garda en effet le silence sur ses accusations. Dans cette même séance, il se désolidarisa une fois de plus d'avec Marat et il ajouta : « Je le déclare hautement, parce qu'il est temps de le dire, tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont à mes yeux ou des hommes prévenus ou de mauvais citoyens. »

[105] Mots barrés : il se vanta même (France).

[106] Voir notamment le discours de Danton, en date du ai janvier 1793 : « Je vous interpelle, citoyens, vous qui m'avez vu dans le ministère, de dire si je n'ai pas porté l'union partout. Je vous adjure, vous Pétion, vous Brissot, je vous adjure tous, car enfin, je veux me faire connaître ; je vous adjure tous, car enfin je veux être connu, etc. » Celui du 27 mars 1793 : « Étouffons nos divisions ; je ne demande pas de baisers partiels, les antipathies particulières sont indestructibles, mais il y va de notre salut... »

[107] Mots barrés : se défendit (France).

[108] Allusion à la séance du 1er avril 1793. Accusé par Lasource de complicité avec Dumouriez, Danton se taisait quand l'extrême gauche se leva tout entière et l'invita à monter à la tribune pour se disculper.

[109] Mots barrés : il commençait par un éclat de tonnerre et finissait par des propositions de paix. Il montrait la colère du p... (France).

[110] Mots barrés : parla comme un orateur du côté droit (France). — Voir les séances de la Convention des 27 et 30 mars 1793.

[111] Danton défendit adroitement le général Stengel contre Carra, à la séance du ro mars 1793 ; quand ce général et son collègue Lanoue furent interrogés à la barre, le 28 mars, Danton intervint encore en leur faveur.

[112] Danton fit l'éloge de Beurnonville à la séance du 11 mars 1793. Tout l'essentiel de ce passage est passé dans le rapport de Saint-Just : « Dans les débats orageux, on s'indignoit de ton absence et de ton silence ; toi, tu parlois de la campagne, des délices de la solitude et de ta paresse ; mais tu savois sortir de ton engourdissement pour défendre Dumouriez, Westermann, sa créature vantée et les généraux ses complices » (p. 53).

[113] Danton demande de nouvelles levées d'hommes le ro mars, le 27 mars, le 31 mars 1793. Saint-Just a repris, en l'aggravant, l'accusation de Robespierre : « Tu savois amortir le courroux des patriotes ; tu faisois envisager nos malheurs comme résultant de la foiblesse de, nos armées, et tu détournois l'attention de la perfidie des généraux pour t'occuper des nouvelles levées d'hommes s (p. 13). Saint-Just a même soupçonné que Danton poussait à ces levées dans une intention scélérate : a A ton retour de la Belgique, tu provoquas la levée en masse des patriotes de Paris pour marcher aux frontières. Si cela fût alors arrivé, qui auroit résisté à l'aristocratie qui avoit tenté plusieurs soulèvements ? Brissot ne désiroit point autre chose, et les patriotes mis en campagne n'auroient-ils pas été sacrifiés ? Ainsi se trouvoit accompli le vœu de tous les tyrans du monde pour la destruction de Paris et de la liberté » (p. 14).

[114] Voir l'article de M. G. Rouanet : Danton et la mort de Louis XVI (Annales révolutionnaires, 1916, t. VIII, p. 1-33) ; et nos articles : Danton, Talon, Pitt et la mort de Louis XVI (Ibid., p. 367-376), Danton, Dannon, Pitt et M. J. Holland-Rose (Ibid., t. IX, p. 103 sq.) et notre livre Danton et la Paix.

[115] C'est dans son discours du 1er avril 1793 que Danton fit l'éloge de Delacroix : « Oui, sans doute, j'aime Delacroix ; on l'inculpe parce qu'il a eu le bon esprit de ne pas partager, je le dis franchement, je le tiens de lui, parce qu'il n'a pas voulu partager les vues et les projets de ceux qui ont cherché à sauver le tyran..., parce que Delacroix s'est écarté, du fédéralisme et du système perfide de l'appel au peuple..., etc. » (Discours de Danton, édition Fribourg, p. 352-353).

[116] Saint-Just a accentué dans son rapport ce passage de Robespierre : « Tu t'associas dans tes crimes Lacroix, conspirateur depuis longtemps décrié, avec l'âme impure duquel on ne peut être uni que par le nœud qui associe des conjurés. Lacroix fut de tout temps plus que suspect : hypocrite et perfide, il n'a jamais parlé de bonne foi dans cette enceinte ; il eut l'audace de louer Mirabeau ; il eut celle de proposer le renouvellement de la Convention ; il tint la même conduite que toi avec Dumouriez ; votre agitation étoit la même pour cacher les mêmes forfaits. Lacroix a témoigné souvent sa haine pour les jacobins » (p. 23). — France fait remarquer que les huit alinéas précédents sont bâtonnés sur le manuscrit.

[117] Mot barré : douleur (France).

[118] Mots barrés : voulant faire arrêter (France).

[119] Le dimanche 2 juin 1793, au moment où la Convention s'aperçut qu'elle était cernée par la garde nationale parisienne, Danton s'indigna, demanda une enquête du Comité de Salut public et s'écria : « Je me charge, en son nom, de remonter à la source de cet ordre [donné par Hanriot]. Vous pouvez comptez sur son zèle à vous présenter les moyens de venger vigoureusement la majesté nationale, outragée en ce moment. »

[120] Mots barrés : bassesse et le lâche syst... (France).

[121] Mots barrés : après avoir fait cet ouvrage, il aborde Hanriot à la buvette et... (France).

[122] Mots barrés : que lui et quelques-uns de ses collègues (France).

[123] « Tu vis avec horreur la révolution du 31 mai. Hérault, Lacroix et toi demandâtes la tête d'Hanriot, qui avoit servi la liberté, et vous lui fîtes un crime du mouvement qu'il avoit fait pour échapper à un acte d'oppression de votre part. Ici, Danton, tu déployas ton hypocrisie : n'ayant pu consommer ton projet, tu dissimulas ta fureur ; tu regardas Hanriot en riant, et tu lui dis : N'aie pas peur, vas toujours ton train, voulant lui faire entendre que tu avois eu l'air de blâmer par bienséance, mais qu'au fond tu étois de son avis. Un moment après tu l'abordas à la buvette et lui présentas un verre d'un air caressant, en lui disant : Point de rancune. Cependant, le lendemain tu le calomnias de la manière la plus atroce, et tu lui reprochas d'avoir voulu t'assassiner. Hérault et Lacroix t'appuyèrent. » (Saint-Just, p. 26.)

[124] Dans le rapport de Saint-Just, ces traits précis ont disparu sous cette affirmation vague : « Ne t'es-tu pas opposé à la punition des députés de la Gironde ? » (p. 16).

[125] C'est à la séance du 7 juin 1793 que Danton fit cette proposition.

[126] « Mais n'as-tu pas envoyé depuis un ambassadeur à Pétion et à Wimpfen dans le Calvados ? » (Saint-Just, p. 16). Voir à ce sujet notre étude : Danton et Louis Comte, dans les Annales révolution-flaires, 15912, t. V, p. 641-660.

[127] A la séance du 11 août 1793, Delacroix déclara que la mission de la Convention était terminée et qu'on devait prendre les mesures nécessaires pour mettre en vigueur la Constitution nouvelle proclamée la veille dans la grande Fédération anniversaire du ro août. Saint-Just a retenu ce grief (p. 20).

[128] Le 16 pluviôse, Delacroix fit voter par acclamation la suppression de l'esclavage dans les colonies françaises. Danton appuya Delacroix. On voit que Robespierre désapprouvait cette politique qu'il avait déjà blâmée comme imprudente quand Brissot en était le protagoniste. Saint-Just a laissé tomber cette observation de Robespierre.

[129] Mot barré : Constitution (France).

[130] Mots barrés : il mettroit (France).

[131] Saint-Just a développé tout ce passage : « Tu provoquas une insurrection dans Paris ; elle étoit concertée avec Dumouriez ; tu annonças même que s'il falloit de l'argent pour la fairei tu avois la main dans les caisses de la Belgique. Dumouriez vouloit une révolte clans Paris pour avoir un prétexte de marcher contre cette ville de la liberté, sous un titre moins défavorable que celui de rebelle et de royaliste. Toi qui restois à Arcis-sur-Aube avant le 9 août, opposant ta paresse à l'insurrection nécessaire, tu avois retrouvé ta chaleur au mois de mars pour servir Dumouriez et lui fournir un prétexte honorable de marcher sur Paris. Desfieux, reconnu royaliste et du parti de l'étranger, donna le signal de cette fausse insurrection. Le 10 mars, un attroupement se porta aux Cordeliers, de là à la Commune... » (Saint-Just, p. 14-15-)

[132] Le bruit courut en effet qu'une amnistie générale serait votée pour la fédération du 10 août, et Hébert consacra à la combattre plusieurs numéros du Père Duchesne. A la séance du 2 août, comme une députation de Nantais demandait l'indulgence en faveur du général Beysser et du député Coustard, compromis dans la révolte fédéraliste, Danton profita de l'occasion pour insinuer l'idée de l'amnistie : « La Convention, dit-il, sait que les hommes égarés se réuniront toujours à la masse, mais elle a cru différer à la conversion de ceux qui veulent fédéraliser le peuple... Elle désire que, le 10 août, vous resserriez le nœud de la fraternité. » Saint-Just a relevé à la charge de Danton cette proposition indirecte d'amnistie (p. 15). Sur cette amnistie, voir notre livre Danton et la Paix.

[133] France nous apprend que les trois alinéas précédents sont biffés d'un trait sur le manuscrit.

[134] On lit en effet dans le « précis et relevé des matériaux sur la conspiration dénoncée par Chabot et Bazire », que nous avons publié sous le titre : Un rapport dantoniste sur la conspiration de l'étranger, sous la rubrique faits, la phrase suivante : « les dénonciations contre Dillon, Castellane, etc. » (Annales révolutionnaires, 1916, t. VIII, p. 255). Il ne me semble donc pas douteux que c'est à ce document que se réfère Robespierre, et il est ainsi prouvé, comme je l'avais supposé dès le premier moment, que ce rapport anonyme est bien l'œuvre de Fabre d'Églantine.

[135] Desmoulins essaya de prendre la défense du royaliste Dillon, d'abord à la tribune de la Convention, le 11 juillet 1793, puis dans un pamphlet qu'il intitula Lettre au général Dillon en prison aux Madelonnettes. Voir, sur l'affaire Dillon, la fin de notre article : Les divisions de la Montagne, la chute de Danton (Annales révolutionnaires, 1913, t. VI, p. 228 sq.).

[136] Saint-Just, dans son rapport, est très bref sur Westermann. Il se borne à le qualifier sommairement de complice de Dumouriez. — Il est certain que l'aventurier alsacien échappa à toutes les poursuites aussi longtemps que les dantonistes furent influents. En avril 1793, il sort blanchi de l'enquête ordonnée contre lui pour sa conduite à Lille au moment de la trahison de Dumouriez (Voir notre article : Westermann et la Cour à la veille du to août). En juillet 1793, enquêté de nouveau pour son rôle dans la défaite de Châtillon-en-Vendée, il est de nouveau blanchi par Julien de Toulouse, malgré les adjurations de Marat, qui attaque à ce sujet Danton, etc. Quand Fouquier-Tinville décerna un mandat d'arrêt contre Westermann, comme compromis dans le procès de Fabre et de ses complices, Couthon dut faire ratifier l'arrestation par la Convention elle-même, parce que, dit-il, le 13 germinal, s’il existe un décret qui porte que le général ne pourra être mis en état d'arrestation sans qu'au préalable la Convention en ait été instruite ». II s'agit du décret du 18 nivôse an II-rendu sur la motion de Lecointre.

[137] Danton fit voter, le 8 mars 1793, la nomination des commissaires de la Convention, qui se rendirent, le soir même, dans les sections de Paris pour enrôler les citoyens.

[138] On a vu plus haut que Saint-Just a adopté la version de Robespierre.

[139] Sur ce personnage, consulter mon livre La Révolution et les Etrangers, p. 104 et sq. Saint-Just a reproduit presque textuellement dans son rapport ces phrases de Robespierre (p. 15).

[140] Ces phrases ont passé presque littéralement dans le rapport de Saint-Just (p. 55). On trouvera les manifestes de Dumouriez au tome LXI des Archives parlementaires.

[141] Idem note précédente.

[142] Le 10 avril 1793, les autorités girondines de Bordeaux saisirent, sur un courrier extraordinaire que le jacobin Desfieux envoyait à Toulouse, une série de correspondances très compromettantes, parmi lesquelles une lettre de Desfieux à son ami Grignon, qui ne laissaient aucun doute sur les projets d'insurrection du parti montagnard. Boyer-Fonfrède donna lecture de ces pièces à la Convention le z8 avril (Archives parlementaires, t. LXII) : Desfieux avait obtenu 'du ministre des Affaires étrangères Lebrun, qui déjà l'avait envoyé en mission auprès de Dumouriez, une subvention de 4.000 livres pour payer les frais du courrier extraordinaire envoyé dans le Midi. Il dut en convenir lors de son procès au tribunal révolutionnaire. Les jacobins clairvoyants s'étonnèrent que Lebrun, dont les sympathies girondines étaient notoires, ait accordé une telle subvention à Desfieux qui ne cessait de dénoncer les girondins à la tribune du club et qui avait été un des principaux organisateurs du mouvement du ro mars. Ils soupçonnèrent que Desfieux était de mèche avec les girondins et que l'arrestation du courrier envoyé à Bordeaux et à Toulouse était un coup monté. (Voir la déposition de Dufourny au procès d'Hébert), Ces soupçons prenaient une grande vraisemblance de l'attitude équivoque de Desfieux, qu'une pièce de l'armoire de fer (pièce 201) montrait comme un agent de la Cour en mars 1791, et dont le rôle dans la 'trahison de Dumouriez paraissait très louche. Desfieux avait d'ailleurs une fort mauvaise réputation. Il était intéressé avec Chabot au tripot de la Sainte-Amaranthe au Palais-Royal, et il fut accusé, lors de son procès, de percevoir dans ce tripot le dixième du produit du jeu, de part à demi avec Chabot. Quand celui-ci fut arrêté, un des premiers soins de Robespierre fut de faire mettre Desfieux sous les verrous. — Comparez avec le texte de Robespierre le rapport de Saint-Just (p. 25) : « Desfieux fit arrêter ses propres courriers à Bordeaux, ce qui donna lieu à Gensonné de dénoncer la Montagne et à Guadet de déclamer contre Paris. »

[143] « Desfieux déposa depuis en faveur de Brissot au tribunal révolutionnaire » (Saint-Just, p. 15). Desfieux déposa, le 8 brumaire, au procès des girondins. Le texte de sa déposition, telle qu'elle est transcrite au Moniteur, est hostile à Brissot. Mais il est possible que les passages favorables à celui-ci aient été supprimés. Un dialogue s'engagea entre Desfieux et Brissot au cours de la déposition du premier. Brissot contesta certains faits et Desfieux ne lui répondit pas.

[144] Voir mon étude : Fabre d'Églantine inventeur de la Conspiration de l'Étranger, dans les Annales révolutionnaires, 1916, t. VIII, p. 311-335.

[145] L'agent de change Boucher déposa, le 4 frimaire, devant l'administration de police de la commune de Paris, que Proli déjeunait assez souvent chez lui avec Fabre d'Églantine, Richer-Sérizy, Bentabole, etc. (Archives nationales, W 76).

[146] La déclaration de Fabre d'Églantine, faite le 28 brumaire au Comité de Sûreté générale, figure dans le recueil intitulé Pièces trouvées dans les papiers de Robespierre, imprimées en exécution du décret du 3 vendémiaire an III, p. 81-84. Voir mon livre sur L'affaire de la Compagnie des Indes.

[147] « Fabre professoit alors [pendant le ministère de Danton] hautement le fédéralisme et disoit qu'on diviseroit la France en quatre parties » (Saint-Just, p. 12). Je n'ai pas retrouvé le document où Fabre aurait exprimé l'opinion qui lui est reprochée par Robespierre et par Saint-Just.

[148] Mot barré : chef (France). Robespierre est revenu sur Proli dans son rapport sur la conspiration de l'étranger, publié dans les pièces trouvées chez lui en l'an III.

[149] Voir notre étude : Hérault de Séchelles était-il dantoniste ? dans notre livre La Conspiration de l'Étranger.

[150] Mots barrés : il a été en relations avec tous les conspirateurs (France).

[151] Mots barrés : espions des cours (France).

[152] Au tribunal révolutionnaire, Hérault reconnut qu'il avait correspondu, en 1792, avec un prêtre réfractaire ; mais il prétendit qu'il lui avait donné de bons conseils : « Je lui conseillois de se conformer aux lois et de ne point se plaindre de l'espèce d'anarchie dans laquelle nous vivions... » (Bulletin du tribunal, 4e partie, n° 23.)

[153] Il s'agit d'une lettre de Henin, notre chargé d'affaires à Constantinople, qui transmit au Comité de Salut public, le II novembre 1793, une communication écrite qu'il avait reçue de l'ambassadeur d'Espagne à Venise Las Cazas, contenant des révélations sur les séances du Comité de Salut public. Voir à ce sujet mon article : L'histoire secrète du Comité de Salut public, dans la Revue des questions historiques de janvier 1914. Barère déclare dans ses mémoires (t. II, p. 159-165) que Hérault avait fait porter chez lui une grande quantité de papiers diplomatiques qu'il aurait confiés à Proli, son ami. Comparez avec le texte de Robespierre le rapport de Saint-Just, p. 20 : « Alors Hérault, qui s'étoit placé à la tête des affaires diplomatiques, mit tout en usage pour éventer les projets du gouvernement. Par lui les délibérations les plus secrètes du Comité sur les affaires étrangères étoient communiquées aux gouvernements ennemis. »

[154] Pons de Boutier de Catus fut arrêté, le 25 ventôse an II, dans la maison de Hérault, par le Comité de surveillance de la section Le Peletier (Arch. nat., F⁷ 4635). Hérault et Simond allèrent le réclamer. Déjà Hérault était allé réclamer Proli à la même section, quand elle l'avait mis en arrestation le 12 octobre 1793. Voir les lettres de l'administrateur de police Blandier, en date de ce jour (Arch. nat., F⁷ 4774³³).

[155] Simond avait accompagné Hérault de Séchelles dans sa mission du Mont-Blanc. Il était lié, comme Hérault lui-même, avec le parti hébertiste. Du Mont-Blanc, il avait ramené une des sœurs de Bellegarde, dont l'autre, femme d'un colonel au service de la Sardaigne, était la maîtresse d'Hérault.