On
croit connaître la Révolution et, quand on l’étudie dans les documents
originaux, on s’aperçoit très vite qu’elle est presque ignorée. Les légendes
les plus légèrement bâties se transmettent fidèlement d’historiens en
historiens. Il n’y
en a pas de plus accréditée que celle qui explique la défaite finale de la
Commune au 9 thermidor par les prétendus scrupules légalitaires de
Robespierre. Robespierre aurait refusé obstinément, pendant des heures, de
signer un appel aux armes qu’on lui présentait. Lisons
le plus récent récit du 9 thermidor, celui que M. G. Pariset vient de faire
paraître dans la grande Histoire de France publiée sous la direction d’Ernest
Lavisse. « A
la Commune, on discutait, on correspondait, mais sans agir. Pourtant, après
la nouvelle du décret de mise hors la loi et l’arrivée de Couthon,
Robespierre s’était enfin décidé à intervenir. Au nom de qui ? avait-il
demandé, par un dernier scrupule de légalité. — Au nom du peuple, lui avaient
répondu Couthon et ses amis. Et il signait une proclamation lorsque sa main
fut interrompue (par l’irruption des troupes conventionnelles) à la troisième
lettre de son nom[1]. » C’est
la version classique qu’on se passe de main en main depuis plus d’un siècle. M.
Pariset ne parle pas autrement que M. Aulard : « Si la Commune, écrit ce
dernier, avait tant tardé à marcher sur la Convention, c’est que Robespierre
avait refusé de se mettre à la tête du mouvement. Il parla, n’agit pas,
refusa même de signer un appel aux armes, non qu’il manquât de courage, mais
il voulait une sorte d’insurrection légale, dont les éléments lui faisaient
défaut. Obsédé par ses partisans, il prit la plume et traça les trois
premières lettres de son nom. « Est-ce
à ce moment que les troupes de la Convention débouchèrent sur la place de
Grève ? Quand Léonard Bourdon, accompagné de quelques gendarmes, pénétra à
l’Hôtel de Ville, il trouva Robespierre étendu par terre, la mâchoire
fracassée d’un coup de pistolet[2]. » M.
Aulard lui-même n’a fait que résumer le récit plus complet d’Ernest Hamel
dans son Histoire de Robespierre. « Lerebours,
dit Hamel, rédigea et écrivit de sa main l’appel suivant à la section des
Piques, celle de Robespierre : COMMUNE DE PARIS. Comité d’exécution. [Le
9 thermidor.] Courage,
patriotes de la section des Piques, la liberté triomphe ! Déjà, ceux que leur
fermeté a rendus formidables aux traîtres sont en liberté ; partout le peuple
se montre digne de son caractère. Le point de réunion est à la Commune [dont]
le brave Henriot exécutera les ordres du Comité d’exécution qui est créé pour
sauver la Patrie. [LOUVET, PAYAN, LEREBOURS, LEGRAND, RO][3]. « Puis,
continue Hamel, Lerebours signa ; avec lui signèrent Legrand, Louvet, Payan.
Il s’agissait de faire signer Robespierre, assis au centre de la table, à la
table du conseil, entre le maire Fleuriot-Lescot et l’agent national Payan.
Longtemps, Saint-Just, son frère et les membres du comité d’exécution le
supplièrent d’apposer sa signature au bas de cet appel énergique ; mais en
vain. « Au nom de qui ? » disait Maximilien. « Au nom de la
Convention, répondit Saint-Just ; elle est partout où nous sommes. » Il
semblait à Maximilien qu’en sanctionnant de sa signature cette sorte d’appel
à l’insurrection contre la Convention, il allait jouer le rôle de Cromwell,
qu’il avait si souvent flétri depuis le commencement de la Révolution, et il
persista dans son refus. Couthon, tardivement arrivé, parla d’adresser une
proclamation aux armées, convint qu’on ne pouvait écrire au nom de la
Convention ; mais il engagea Robespierre à le faire au nom du peuple
français, ajoutant qu’il y avait encore en France des amis de l’humanité et
que la vertu finirait par triompher. La longue hésitation de Maximilien
perdit tout. » Et
Hamel, convaincu que cette hésitation dura plusieurs heures et paralysa la
Commune, nous explique ensuite que Barras et Léonard Bourdon eurent le temps
de réunir des troupes, de propager la défection parmi les défenseurs de
l’Hôtel de Ville : « Léonard Bourdon, à la tête de sa troupe, put
pénétrer sans obstacle dans l’Hôtel de Ville par le grand escalier du centre
et parvenir jusqu’à la porte de l’Égalité. Il était alors un peu plus de deux
heures du matin. En ce moment Robespierre, vaincu par les obsessions de ses
amis et songeant, un peu tard, à la gravité des circonstances, se décidait
enfin à signer l’adresse à la section des Piques. Déjà il avait écrit les
deux premières lettres de son nom Ro, quand un coup de feu, parti du couloir
séparant la salle du conseil général de celle du corps municipal, retentit
soudainement. Aussitôt on vit Robespierre s’affaisser, la plume lui échappa
des mains, et, sur la feuille de papier où il avait à peine tracé deux
lettres, on peut remarquer de larges gouttes de sang qui avaient jailli d’une
large blessure qu’il venait de recevoir à la joue[4]. » La
scène est dramatique, et c’est peut-être pour son intérêt littéraire qu’elle
a été tenue pour exacte par tous ceux qui ont écrit après et d’après Ernest
Hamel. La pièce, sur laquelle se lisent les deux premières lettres du nom de
Robespierre, porte encore vers son milieu, en bas de la page, une tache ovale
d’environ 2 centimètres de hauteur. Tache de sang pour Hamel, pour M.
Lenôtre, qui en a donné le fac-similé, pour tous ceux qui regardent cette
relique avec les yeux de la foi[5]. Et
pourtant, à qui relit cette pièce sans parti pris, le récit d’Ernest Hamel ne
peut que suggérer des doutes impérieux. Quoi !
Robespierre aurait hésité plusieurs heures à signer ces quelques lignes.
Elles ne sont pas proprement un appel aux armes, comme le dit M. Aulard, pas
plus qu’une proclamation, comme le croit M. Pariset. Elles sont simplement
une lettre d’avis qui débute par un cri de joie : « Courage, patriotes de la
section des Piques, la liberté triomphe ! Déjà ceux que leur fermeté a rendus
formidables aux traîtres sont en liberté... » Ces phrases ont un sens très
simple. Ceux qui les ont écrites ont voulu annoncer à la section des Piques
une bonne nouvelle qui la réjouira et qui lui donnera du cœur, la nouvelle
que les représentants patriotes qui avaient été mis en prison ont été
délivrés et qu’ils sont réunis à la Commune. Ils ajoutent : « Le point
de réunion est la Commune, dont le brave Henriot exécutera les ordres du
Comité d’exécution qui est créé pour sauver la Patrie. » Qu’est-ce à dire ?
Sinon qu’ils avertissent en même temps leurs amis et partisans et de la
délivrance d’Henriot et de la formation du Comité d’exécution. Il n’y a rien
là qui témoigne d’une situation angoissante ou désespérée. La lettre a été
écrite, non pas dans les derniers moments, quand la Commune se voyait
abandonnée par ses troupes et menacée d’être cernée, mais, au contraire, dans
les premiers instants de la confiance, quand rien n’était désespéré, après
l’arrivée des conventionnels proscrits et le retour d’Henriot délivré. Des
lettres semblables, presque conçues dans les mêmes termes, furent écrites par
le Comité d’exécution aux municipalités voisines de la capitale, à celle de
Chois y, à celle de Bercy[6]. On demanda à Robespierre de
mettre son paraphe au bas de la lettre destinée à la section des Piques,
parce que c’était là qu’il avait son domicile et qu’il comptait le plus
d’amis. Pourquoi aurait-il répondu par un refus, pourquoi aurait-il demandé
anxieusement au maire Fleuriot, à l’agent national Payan, à Saint-Just : au
nom de qui il pouvait signer cette lettre ? Et comment Saint-Just lui
aurait-il déclaré qu’il pouvait signer au nom de la Convention ? On ne fait
pas tant de façons pour signer un faire-part, un avertissement. Le
récit d’Ernest Hamel ne pèche pas seulement contre la vraisemblance, il
pèche, chose plus grave, contre les textes et contre les faits. La
lettre adressée à la section des Piques a une histoire qui en éclaire le sens
et la portée. Deux
jours après les événements, à la séance du 11 thermidor, Barère visa le
document dans le rapport qu’il présenta à ses collègues de la Convention, et
il l’invoqua non contre Robespierre, mais contre Lerebours, le commissaire
aux secours publics, qui avait quitté son poste auprès du gouvernement pour
se joindre ù la Commune rebelle. Barère s’exprime en ces termes : « [Lerebours]
y prend place [à la Commune], il y délibère, il est membre du Comité
d’exécution et il écrit plusieurs lettres aux sections. Celle-ci est arrêtée,
elle était adressée à la section des Piques, sur laquelle logeait
Robespierre. Voici la lettre, sur laquelle sont écrites les deux lettres RO,
premières lettres du nom de ce conspirateur cruel et artificieux. La voici
cette infâme lettre, qui ne voit dans le danger de la République que les
fonctionnaires d’une Commune et dans les dangers révolutionnaires d’autre
point de réunion que la Maison commune. La nation n’est rien pour ce
commissaire traître[7]... » Et c’est tout le
commentaire de Barère. Quoi !
Si, comme le veut la légende, la lettre avait été recueillie sur la table où
Robespierre venait de s’affaisser l’avant-veille, la mâchoire brisée, si elle
avait porté la trace du sang du traître, si sa signature n’avait été abrégée
que par l’heureuse arrivée des troupes conventionnelles, si de cette
signature avait dépendu le triomphe de l’ordre ou, de l’insurrection, Barère,
qui savait si bien prendre le ton pathétique, se serait-il exprimé comme il
l’a fait ? Il constate que Robespierre n’a signé que de la première syllabe
de son nom, et il ne profite pas de l’occasion pour le taxer de lâcheté I Il
ne dit rien de la tache de sang. Et, comment en parlerait-il quand il assure
que le document n’a pas été trouvé à l’Hôtel de Ville, mais « arrêté » dans
sa transmission ? Nous
pouvons éclairer le texte de Barère d’un témoignage décisif. On lit,
à la date du 15 thermidor, dans le procès- verbal inédit du Comité
révolutionnaire de la section des Piques : Un
membre demande la parole et dit : Il est essentiel pour l’honneur et le
patriotisme des membres du Comité que les Comités du Salut public et de
Sûreté générale, surtout étant complétés, sachent que l’infâme lettre
adressée au Comité par la Commune révoltée n’a point été arrêtée, comme l’a
dit le citoyen Barère dans son rapport ; c’est une erreur. Cette lettre a été
reçue par notre Comité, et c’est lui qui l’a envoyée aux Comités réunis de
Salut public et de Sûreté générale ; comme il est prouvé par le bulletin,
dans lequel cette lettre était renfermée, et par le reçu qui a été rapporté.
Les Comités réunis en ont sous les yeux la preuve matérielle. Un
des membres du Comité révolutionnaire s’est présenté ce matin à ce sujet chez
le citoyen Barère, qui a promis de rectifier cette erreur dans le
procès-verbal[8]. Je n’ai
pas retrouvé au procès-verbal de la Convention la rectification ainsi
annoncée. Mais il n’est pas douteux que les choses se sont passées comme le
dit le membre du Comité révolutionnaire de la section des Piques. Les
lettres, ou plutôt les bulletins, que ce Comité fit tenir aux Comités de la
Convention pendant la nuit du 9 au 10 thermidor, existent encore, et on lit
dans l’un d’eux : Le
Comité croit devoir envoyer [aux deux Comités réunis de Salut public et de
Sûreté générale] deux lettres de la ci- devant Commune adressées au Comité
qui ne s’est point laissé influencer par cette perfidie et n’a voulu
communiquer qu’avec les Comités réunis de Salut public et de Sûreté générale.
Ce sont les mêmes lettres que celles ci-jointes qui ont été brûlées cette
nuit en assemblée générale. Les Comités observeront que, dans la plus grande
lettre, on lit au bas ce commencement de mot Ro. Cette initiale a révolté le
Comité. C’est
donc le 10 dans la matinée que le Comité de la section des Piques a fait
parvenir aux vainqueurs la lettre que Barère, dans son rapport du lendemain,
désignera comme un témoignage accablant contre Lerebours. Et remarquons que
la lettre en question n’a pas été envoyée à un seul exemplaire. Il y en eut
sans doute une toute semblable pour le Comité civil de la section. Celle-ci
fut brûlée en autodafé. Mais
pourquoi le Comité révolutionnaire, qui dit avoir été révolté à la lecture de
cette pièce, ne l’a-t-il pas fait parvenir sur-le-champ, dans la nuit même,
aux conventionnels ? Pourquoi a-t-il attendu au lendemain ? Il n’est pas
difficile d’en deviner la raison. Le 10 thermidor, les vengeances ont
commencé contre les complices de Robespierre. La section des Piques est
soupçonnée plus que les autres, car « le tyran » y habitait et y comptait de
nombreuses amitiés. Le secrétaire du Comité révolutionnaire, un certain
Moutonnet, sent la suspicion qui pèse sur lui. Il redoute l’arrestation et le
tribunal révolutionnaire. Il s’empresse de se justifier et de donner des
gages. Il demande à ses collègues du Comité révolutionnaire d’attester son
loyalisme, et ceux-ci, qui sont sans doute aussi compromis que lui- même,
s’exécutent. On lit dans le procès-verbal du 18 thermidor : Le
citoyen Moutonnet prie le Comité de vouloir attester que, dans les journées
des 9 et 10 thermidor, il était secrétaire du Comité et qu’en cette qualité
et comme organe dudit Comité, il a écrit, signé et envoyé le bulletin de
correspondance avec les Comités réunis de Salut public et de Sûreté générale[9]. Le
Comité atteste en conséquence que le citoyen Moutonnet était secrétaire du
Comité les 9 et 10 thermidor et, qu’en cette qualité, et comme organe du
Comité, il a écrit, signé et envoyé les bulletins de correspondance avec les
Comités réunis de Salut public et de Sûreté générale. Le Comité atteste en
outre que le citoyen Moutonnet a prouvé, dans les journées des 9 et 10
thermidor, son attachement sincère à la Convention et sa haine pour les
scélérats. Le Comité regarde calomnieuses les dénonciations faites contre le
citoyen Moutonnet au Comité civil par Montallier et Mangin et qu’extrait du
présent procès-verbal sera délivré au citoyen Moutonnet pour lui valoir ce
que de droit... Lhullier, président ; Garnier, secrétaire. Et
pourtant, le thermidorien Courtois, qui a tenu en mains les papiers des
sections, a apprécié assez sévèrement, dans son rapport de floréal an IV,
l’attitude du Comité révolutionnaire de la section des Piques et de son
secrétaire Moutonnet. Je
ne saurais juger, dit-il, la conduite du Comité révolutionnaire [de cette
section]. Il n’a produit que des pièces insignifiantes. Quant à l’assemblée
générale, si l’on en croyait ce qui se trouve dans les papiers des Jacobins
et un billet signé Moulin, cette section aurait promis de fraterniser avec
cette société devenue complice des rebelles. A n’en croire que le
procès-verbal de l’assemblée, elle s’est conduite tout à la fois avec
délicatesse et énergie ; mais en rapprochant tous les faits, et malgré l’assertion
du Comité révolutionnaire démentie par le procès-verbal même de la section,
il est constant qu’elle ne s’est réunie qu’à deux heures du matin et qu’elle
a pris toutes les précautions possibles pour ne se prononcer qu’avec la
certitude des événements favorables à la Convention, à qui elle s’est
ralliée. La force armée a été se ranger près de la Convention. Un nommé
Moutonnet, membre du Comité révolutionnaire, m’a paru jouer dans cette
journée I e rôle le plus équivoque[10]. Courtois,
qui écrit à plus d’un an d’intervalle, ne cherche Pas, dans son rapport, à
élargir les suspicions. Bien au contraire ! Il atténue les responsabilités,
il s’efforce visiblement de donner l’impression que la grande majorité des
sections est restée fidèle à la Convention. Ernest Hamel, qui a consulté, aux
archives de la préfecture de police, les pièces émanant de la section des
Piques, est persuadé que Courtois a été au-dessous de la vérité. Ce n’est pas
à deux heures du matin, comme il le dit, mais dès neuf heures du soir, que
l’assemblée générale de cette section s’est réunie, et Hamel ajoute que « l’assurance
de la mise en liberté des députés proscrits y fut accueillie vers onze heures
avec des démonstrations de joie ; qu’on y proposa de mettre à la disposition
de la Commune toute la force armée de la section et que la nouvelle du
dénouement tragique et imprévu de la séance du conseil général vint seule
glacer l’enthousiasme[11] ». Les
procès-verbaux du Comité civil de la section des Piques qui subsistent
permettent de préciser davantage. Un ami
de Robespierre, François-Pierre Garnier-Launay, juge au tribunal
révolutionnaire, qui habitait sur la section, rue Caumartin, n° 736, fut
dénoncé, dès le 11 thermidor, par un citoyen Robert, pour sa conduite aux
Jacobins l’avant-veille. Aux Jacobins, il avait fait la motion, le 9 au soir,
d’envoyer une députation à la Commune afin de l’inviter à fermer toutes les
barrières de Paris, si elles ne l’étaient pas encore. Il avait proposé aussi
d’entretenir avec la Commune une correspondance fréquente au moyen de
députations envoyées d’heure en heure. Ses propositions avaient été adoptées.
Puis Garnier s’était rendu au Comité civil de la section des Piques, et il
avait essayé de l’entraîner dans la rébellion. Le procès-verbal du Comité
civil, rédigé après coup* relate ainsi son intervention : Le
citoyen Garnier-Launay est venu audit Comité et a dit qu’il fallait ordonner
qu’une partie de la force armée de la section se porte à la Commune, ajoutant
que cela venait d’être dit aux Jacobins et qu’il y avait déjà plusieurs
sections qui s’y étaient portées. Le Comité, l’ayant entendu, lui répondit
qu’il ne connaissait point de Jacobins, tant qu’il n’avait point d’ordre de
la Convention et qu’il ne donnerait point d’ordre à la force armée. Le
citoyen Garnier-Launay, ayant entendu la lecture de la lettre de la Commune
qui annonçait que la liberté était retrouvée et, par post-scriptum, que
Robespierre était en liberté, il demanda copie de cette lettre pour la porter
aux Jacobins. Le Comité refusa. Il a persisté en disant qu’il allait en
prendre connaissance pour aller en faire part de suite aux Jacobins ; il a
répété plusieurs fois qu’il reconnaissait dans les signataires de cette
lettre la Commune du 10 août, et, sur le refus constant que le Comité lui a
fait de la copie de cette lettre, il lui a demandé au moins qu’il lui en soit
donné le texte, ce qui lui a été pareillement refusé...[12] Il
semble que le procès-verbal, si truqué qu’on le sente, nous aide à pénétrer
plus avant. La lettre de la Commune, qui enthousiasma Garnier-Launay par la
bonne nouvelle qu’elle contenait, n’est-elle pas identique à celle que
Moutonnet transmit le lendemain aux Comités de la Convention et dont Barère
fit état dans son rapport ? Cette lettre annonçait que « la liberté
était retrouvée », et c’est bien ainsi que débute le célèbre document
qu’Ernest Hamel considérait comme un appel aux armes : « Courage, patriotes
de la section des Piques, la liberté triomphe ! » Le
procès-verbal du Comité civil ajoute que la lettre dont Garnier-Launay
voulait prendre copie pour la porter aux Jacobins annonçait « par
post-scriptum » que Robespierre était en liberté. Par cette expression
post-scriptum, qu’il ne faut pas sans doute prendre à la lettre, le rédacteur
n’aurait-il pas entendu viser le paraphe Ro qui est au bas du document ? Et
n’est-ce pas cette syllabe qui provoqua le transport de Garnier ? Ce qui
est certain, c’est que deux lettres de la Commune ont été envoyées, le matin
du 10 thermidor, par la section des Piques aux Comités de gouvernement. « La
plus grande des deux », dit le bulletin d’envoi, était celle qui portait la
griffe de Robespierre. C’est sûrement celle-là dont Garnier-Launay demanda
copie. Le
procès-verbal, rédigé après la défaite, prétend que le Comité repoussa les
demandes et les conseils de l’ami de Robespierre. Mais, au dire de Courtois,
l’assemblée générale de la section eut une tout autre attitude. « Si l’on en
croyait ce qui se trouve dans les papiers des Jacobins et un billet signé
Moulin, cette section aurait promis de fraterniser avec cette société devenue
complice des rebelles. » Peu
importe d’ailleurs. Quelque opinion que l’on ait sur le degré du loyalisme de
la section des Piques, le fait reste et démolit entièrement la légende si
complaisamment développée par Ernest Hamel et si aveuglément acceptée par
tous ceux qui ont écrit après lui. La lettre à la section des Piques, que
Robespierre aurait, pendant plusieurs heures, refusé de signer, n’est pas
restée sur le bureau du Comité d’exécution de la Commune. Elle n’a pas été
tachée du, sang de Maximilien. Elle est bel et bien arrivée à destination, et
elle n’a pas suffi à assurer la victoire de la Commune rebelle. Mais, à
quelle heure cette lettre a-t-elle été écrite, à quelle heure est-elle
arrivée à la section des Piques ? Interrogé,
le 18 frimaire an III, par le juge Bidault, au moment où il allait être
traduit avec Fouquier-Tinville devant le tribunal révolutionnaire,
Garnier-Launay déclara que, le 9 thermidor, il avait quitté les Jacobins
entre neuf heures et neuf heures trente du soir, qu’il s’était rendu ensuite
à son domicile, puis à sa section. Si on accepte sa déclaration, c’est après
dix heures du soir qu’il dut vraisemblablement paraître au Comité civil de sa
section[13]. Or, c’est à peu près à la même
heure que la Commune décida de créer un comité d’exécution. La
lettre en bas de laquelle Robespierre apposa les premières lettres de son nom
a dû être un des premiers écrits du Comité d’exécution. Elle a dû parvenir à
la section des Piques entre dix heures trente et onze heures environ, et
cette heure correspond exactement avec celle que donnent les documents
consultés par Ernest Hamel et qui relatent l’explosion de joie provoquée a
l’assemblée de cette section par la nouvelle de la délivrance des députés
proscrits. Comme
cette question d’heure est capitale, il nous faut serrer le problème de plus
près. Pour
dater chronologiquement les événements, lions vivons d’abord le procès-verbal
du conseil général de la Commune, qui commence le 9 thermidor, « à cinq
heures et demie du soir », et se termine avec l’irruption des troupes
conventionnelles, le 10 thermidor, « sur les deux heures et demie du
matin[14] ». En dehors de ces mentions
initiale et finale, aucune heure n’est indiquée dans le corps du document qui
nous donne simplement la succession des faits. Mais, pour repérer ceux-ci,
nous pouvons utiliser les nombreux témoignages dispersés dans les papiers des
sections et, par cette méthode comparative, il est permis d’atteindre une
précision relative. La
première question à élucider est celle de savoir à quelle heure Robespierre
aîné parut à la Commune et siégea au Comité d’exécution. Une
chose est certaine, c’est qu’il y fut précédé par son frère Augustin. Les
cinq députés frappés du décret d’arrestation, les deux Robespierre, Couthon,
Saint-Just et Lebas, furent d’abord conduits au Comité de Sûreté générale,
c’est-à- dire dans les dépendances du local de la Convention. Ils venaient à
peine d’y arriver, vers les cinq heures de l’après-midi, quand le général de
la garde nationale, Henriot, avec ses aides de camp, essaya de les délivrer.
Henriot força les portes à coups de bottes, mais, bientôt entouré par les
gendarmes des tribunaux, il eut le dessous, fut garrotté et enfermé dans la
même pièce que les députés déjà arrêtés[15]. L’huissier du Comité, un
certain Chevrillon, fit passer ensuite les députés dans le local du
secrétariat, où il leur fit servir à dîner. Le dîner terminé, vers sept
heures du soir, ils furent conduits chacun dans une maison d’arrêt séparée[16]. Robespierre aîné au
Luxembourg, Robespierre jeune à Saint-Lazare, puis à La Force, Lebas à la
maison de justice du département, Saint-Just aux Écossais et Couthon à La
Bourbe. Mais
déjà le département de police de la Commune avait fait parvenir à tous les
concierges des maisons d’arrêt l’ordre suivant : Au
citoyen concierge de la maison d’arrêt de... Nous
t’enjoignons, citoyen, sous ta responsabilité, de porter la plus grande
attention à ce qu’aucune lettre ni autres papiers ne puissent entrer ni
sortir de la maison dont la garde t’est confiée, et ce jusqu’à nouvel ordre.
Tu mettras de côté avec soin toutes les lettres que les détenus te
remettront. Il t’est pareillement défendu de recevoir aucun détenu ni de
donner aucune liberté que par les ordres de l’administration de police. Les
administrateurs de police : Henry Lelièvre, C. Bigant, Quenel[17]. L’ordre
ne fut pas exécuté par tous les concierges. Alors que celui du Luxembourg
refusait de recevoir Robespierre aîné, celui des Écossais écrouait Saint-
Just, celui de la maison de justice du département recevait Lebas et le
mettait au secret ; celui de la Bourbe accueillait Couthon, et, comme il
n’avait pas de « secret », il l’installait sur un lit dans son greffe. Quant
à Robespierre jeune, refusé à Saint-Lazare, faute de place, il était
transféré à La Force et écroué à son tour. Les
administrateurs de police, qui siégeaient dans un local attenant à la mairie,
bâtiment assez éloigné de l’Hôtel de Ville et situé le long du quai des
Orfèvres, s’empressèrent de prendre leurs dispositions pour délivrer les
prisonniers. Ils
n’eurent pas besoin d’intervenir pour Robespierre aîné. Celui-ci avait trouvé
à la porte du Luxembourg un officier municipal qui fit honte à son escorte,
composée de deux gendarmes et d’un huissier de la Convention, d’avoir porté
la main sur « l’ami du peuple ». L’escorte, ayant trouvé porte close, se
décida à conduire Robespierre à la mairie pour demander des ordres.
Robespierre y fut reçu par des démonstrations de joie et des cris de : « Vive
la République ! Vive Robespierre ! » Les administrateurs de police lui firent
une place au milieu d’eux. II était alors sur les huit heures et demie. On
voyait encore jour en cette soirée orageuse de juillet[18]. Un
quart d’heure plus tard, Robespierre jeune était arraché à la prison de La
Force et conduit directement à l’Hôtel de Ville par deux administrateurs de
police accompagnés d’une force armée. Lebas
fut maintenu plus longtemps en prison, parce que son geôlier, Blanchelaine,
opposa une résistance opiniâtre aux administrateurs de police. Saint-Just fut
délivré vers le même temps. Mais Couthon ne quitta La Bourbe (ou Port Libre) que le dernier de tous, entre
minuit et une heure du matin[19]. Des
cinq conventionnels proscrits, Robespierre jeune est le seul qui se rendit
tout de suite et sans se faire prier à la séance de la Commune. Aussitôt
arrivé à l’Hôtel de Ville, il harangua les assistants : « Le citoyen
Robespierre jeune, dit le procès-verbal, prononce un discours dans lequel il
déclare avoir été arrêté, non par la Convention nationale, mais par des
lâches qui conspirent depuis cinq ans. Son discours est vivement applaudi. »
Deux témoins qui étaient présents à la Commune, l’officier municipal Guyot,
dans un mémoire apologétique daté du 7 fructidor, et le notable Fréry, qui
fut interrogé le 10 thermidor par le Comité de surveillance de la section
Guillaume-Tell, nous ont transmis l’essentiel de ses paroles. Fréry,
qui se trouvait dans la grande salle de la Commune, entre huit et dix heures
du soir, entendit Robespierre jeune qui disait « qu’il fallait respecter
la Convention nationale et la ménager, parce que, si elle manquait, nous
serions perdus ; mais il s’est plaint de quelques membres qu’il a nommés et
désignés pour avoir été trompé par eux jusqu’au dernier moment, qu’il se
félicitait d’être parmi des hommes qui voulaient la liberté et le salut du
peuple[20] ». L’officier
municipal Guyot, sans pouvoir affirmer si elles furent prononcées par
Robespierre aîné ou par Robespierre jeune, résume ainsi les paroles qu’il
entendit : « Il parla d’une faction qui voulait asservir le peuple,
égorger les patriotes, ouvrir le Temple et en tirer le jeune Capet. Il nomma
les factieux : Collot d’Herbois, Bourdon de l’Oise, Amar, Dubarran, Rhul et
deux ou trois autres, dont j’ai oublié les noms ; il mêla à ce discours
perfide l’éloge de la Convention nationale, prouva que le peuple serait perdu
s’il se séparait d’elle (Malheureux, et tu ralliais contre elle les
magistrats du peuple !), mais que la Convention nationale n’était pas cette
poignée de factieux qu’il venait de nommer, qui empruntaient le nom de la
Convention pour faire des arrestations arbitraires, des proclamations
liberticides, etc., etc. Il ajouta, pour prouver la fausseté d’un ordre ou
d’une proclamation qu’on venait d’apporter du Comité de Salut public, que
David, dont on y avait faussement apposé la signature, était en ce moment
malade et alité[21] » C’est
bien Robespierre jeune et non Robespierre aîné qui prononça cette harangue
habile qui visait à isoler la Convention des chefs du complot de thermidor.
Fréry dit expressément que, pendant qu’il était présent, entre huit heures et
dix heures et demie, Robespierre n’était pas à la Commune, mais se trouvait
toujours à l’administration de police, près de la mairie. Et nous
n’aurions pas le témoignage de Fréry que le procès-verbal officiel de la
Commune suffirait à établir le fait. On lit dans ce document, immédiatement
après la mention du discours de Robespierre jeune, les lignes suivantes : Le
citoyen maire demande qu’une députation soit chargée d’aller chercher
Robespierre aîné et de lui observer qu’il ne s’appartient pas, mais qu’il
doit être tout entier à la patrie, au peuple. On demande que des commissaires
soient nommés. Robespierre
aîné, à l’inverse de son frère, avait donc fait des difficultés pour se
rendre à l’Hôtel de Ville. Scrupules légalitaires ? Est-ce bien sûr ? Ou
plutôt tactique ? Robespierre
se souvenait que Marat, lui aussi, avait été traduit au tribunal
révolutionnaire et qu’il en était revenu triomphant, et que son acquittement
avait été le signal de la chute prochaine de la Gironde. Pourquoi n’aurait-il
pas le même bonheur que Marat ? Des traditions orales recueillies par les
premiers historiens de la Révolution attestent que les hommes des Comités
craignaient l’acquittement de leur ennemi. En refusant d’accepter Robespierre
dans sa prison, le concierge du Luxembourg n’aurait pas seulement obéi aux
ordres des administrateurs de police de la Commune, il aurait exécuté les
instructions secrètes du Comité de Sûreté générale, qui tenait à avoir le
prétexte de mettre hors la loi un homme qu’il était redoutable de faire
juger. Quoi qu’il en soit, Robespierre fut surpris par la brusque rébellion
de la Commune, qu’il n’avait pas prévue. Amené à l’administration de police,
il refusa d’abord d’en sortir. Mais
cela ne l’empêchait pas de conseiller ses gardiens. Les administrateurs de
police écrivirent sous sa dictée à l’agent national Payan ce billet que
Courtois a publié : Nous
te donnons avis, citoyen, que nous croyons qu’il est instant qu’on ferme les
barrières, si elles ne le sont pas ; qu’on envoie à la poste, que l’on mette
les scellés sur toutes les presses des journalistes, et qu’à cet effet on en
donne l’ordre aux commissaires de police, et les journalistes en arrestation,
ainsi que les députés traîtres ; c'est l'avis de Robespierre et le nôtre.
Signé : Tanchon, Faro, E. Bigant, Quenel[22]. Ce
billet révélateur a dû être écrit très peu de temps après l’arrivée de
Robespierre à l’administration de police, puisqu’on ignorait encore que la
Commune avait fait fermer les barrières. Il ne semble pas, d’ailleurs, que
les conseils des administrateurs de police, même appuyés par Robespierre,
aient été suivis. Je n’ai vu nulle part que la Commune ait pris possession de
la poste ni des imprimeries, ni qu’elle ait fait main basse sur les
journalistes. La
Commune se borna d’abord à une politique d’attente et de défense, alors que
Robespierre lui recommandait, par ce billet, l’audace et l’action. Quand elle
apprit que Henriot à son tour était emprisonné dans le local du Comité de
Sûreté générale, elle nomma pour prendre le commandement à sa place un
général provisoire, Giot, vieille baderne sans initiative ; elle concentra
les canonniers des sections avec leurs canons sur la place de la Maison
commune ; elle chargea enfin Coffinhal d’aller délivrer Henriot, à l’aide
d’un détachement de canonniers et de gendarmes à cheval. Il
pouvait être neuf heures du soir[23] quand Coffinhal pénétra en
trombe dans les locaux du Comité de Sûreté générale, enleva Henriot à ses
gardiens et entraîna à sa suite tous les postes qui protégeaient la
Convention, jusqu’aux gendarmes des tribunaux. La Convention, restée sans
défenseurs, était à la merci de Coffinhal et d’Henriot. Les membres du Comité
fuyaient éperdus. « Citoyens, s’écriait Collot, qui présidait la
Convention, voici l’instant de mourir à notre poste ! » Mais les
vainqueurs, au lieu de terminer l’opération, se bornèrent à ramener Henriot à
l’Hôtel de Ville. Rien ne leur aurait été plus facile pourtant que de
s’emparer des membres des Comités et d’imposer leur volonté à une assemblée
terrifiée. L’occasion perdue ne se retrouva plus. La
nouvelle de la délivrance d’Henriot parvint presque aussitôt à la Commune.
C’est à ce moment qu’elle décida de former un Comité d’exécution de neuf
membres et que Robespierre jeune prononça son discours. Quand il eut terminé,
la Commune envoya une délégation de six membres à la mairie pour inviter
Robespierre aîné à imiter son frère en venant assister à sa séance. En
chemin, le chef de cette délégation, Michel Lasnier[24], rencontra Henriot et Coffinhal
qui rentraient suivant les quais. Il les invita à se joindre à lui. Ils
acceptèrent. Mais leurs efforts à tous furent infructueux, ils revinrent à la
Commune sans Robespierre. L’échec de leur mission est ainsi mentionné dans
des lignes raturées sur le procès-verbal : Le
citoyen Lasnier, qui a été député vers le citoyen Robespierre, qui a chargé Coffinhal
de... (sic) annonce que Coffinhal est
chargé de confirmer au conseil qu’on le laisse entre les mains de
l’administration. Henriot
et Coffinhal parlèrent après Lasnier. Il était dix heures environ[25]. Le
refus de Robespierre était une cruelle déception pour les membres de la
Commune. Sans Robespierre l’insurrection manquait de chef. Que se
passa-t-il ensuite ? Combien de temps Robespierre resta-t-il encore à la
mairie ? Si on
prenait à la lettre le procès-verbal de la Commune, il ne serait entré à
l’Hôtel de Ville que vers une heure du matin, en même temps que Couthon,
Saint- Just et Lebas[26]. Couthon
avait raisonné comme Robespierre. Il s’était soumis au décret de la
Convention. Il voulait comparaître devant le tribunal révolutionnaire. Il
avait été surpris par l’insurrection. Deux administrateurs de police étaient
venus le trouver dans sa prison pour lui rendre la liberté. Il les
éconduisit. La déclaration du concierge de La Bourbe relate qu’il ne sortit,
sur une nouvelle intervention des administrateurs de police, que vers une
heure après minuit[27]. Mais,
depuis longtemps déjà, Robespierre aîné s’était enfin décidé à quitter la
mairie pour l’Hôtel de Ville. S’il est exact, comme le dit le procès-verbal
officiel, qu’il ne parut à la séance du conseil de la Commune qu’après une
heure du matin et en compagnie de ses collègues, il ne faudrait pas en
conclure qu’il était resté jusque-là à l’écart. A côté de la grande salle où
siégeait te conseil, il y en avait une autre, plus petite, qui était réservée
en temps ordinaire aux délibérations du corps Municipal. C’est dans cette
salle, dite de l’Égalité, que siégeait le Comité d’exécution depuis neuf
heures et demie du soir environ, et c’est dans la salle de l’Égalité que se
rendit Robespierre presque aussitôt après l’échec de la mission qu’était venu
remplir auprès de lui Michel Lasnier accompagné de Coffinhal et d’Henriot. Vers
dix heures et demie, le citoyen Chappin, canonnier de la section de
Bon-Conseil (c’est-à-dire du faubourg Saint-Antoine), vint annoncer à la Commune que
les Comités se préparaient à rassembler les troupes pour cerner l’Hôtel de
Ville et que le décret de mise hors la loi allait être voté contre les chefs
de la révolte[28]. L’heure décisive avait sonné. C’est
alors vraisemblablement que le Comité d’exécution fit parvenir à Robespierre
ce billet laconique qui a été publié par Courtois[29] : Le
Comité d’exécution nommé par le Conseil a besoin de tes conseils. Viens-y
sur-le-champ. Voici les noms des membres : Châtelet, Coffinhal, Lerebours,
Grenard, Legrand, Desboisseaux, Arthur, Payan, Louvet. Signé : Payan, le maire de Paris
Lescot-Fleuriot, Moenne, substitut. Cette
fois Robespierre s’exécuta. Il vint siéger au Comité d’exécution. Il pouvait
être entre dix heures et demie et onze heures du soir. Sa
présence à l’Hôtel de Ville à partir de ce moment est attestée par plusieurs
témoignages. Le citoyen Camus, membre de la Commune, déposera, le 10
thermidor, devant le Comité de surveillance de la section Guillaume-Tell,
qu’il avait quitté la séance de la Commune vers minuit et qu’il avait vu,
avant son départ, les deux Robespierre, Lebas et Dumas[30]. « Les deux Robespierre,
ajoute-t-il, ont engagé le peuple à soutenir la liberté. » Le
marchand fripier Juneau déclarera, le 10 thermidor, devant les nouveaux
administrateurs de police nommés par les thermidoriens, qu’il avait été
frappé, la veille, dans la grande salle de la Commune, parce qu’il avait
voulu protester quand il avait entendu les officiers municipaux prêcher le
mépris de la Convention. Aussitôt il avait été saisi par un vieux gendarme,
dépouillé de ses armes et de son chapeau et maltraité. C’était Robespierre
qui avait proposé qu’on le mît en prison, et Robespierre avait même crié : «
Assommez-le, assommez-le ![31] » Juneau ne précise pas
l’heure où l’incident s’est produit, mais il résulte du contexte que ce
serait vers onze heures. Peut-être
Juneau a-t-il confondu Robespierre jeune avec Robespierre aîné[32]. Mais voici
Longueville-Clémentière qui, grâce à ses fonctions d’agent du Comité de
Sûreté générale, avait eu souvent l’occasion d’approcher les deux Robespierre
et ne pouvait les prendre l’un Pour l’autre. Il nous dit, dans l’écrit
apologétique qu’il rédigea le 17 brumaire an III, que, vers une heure du matin,
s’étant rendu à la Commune, il y fut reconnu, saisi par deux gendarmes et
conduit dans la salle de l’Égalité, où se trouvaient Coffinhal, Henriot,
Lebas, les deux Robespierre. Il ne nomme ni Couthon ni Saint-Just. Couthon,
malgré les instances de la Commune, n’aurait peut-être pas consenti à quitter
sa prison s’il n’avait reçu cet appel : Couthon,
tous les patriotes sont proscrits, le peuple tout entier est levé ; ce serait
le trahir que de ne pas te rendre avec nous à la Commune, où nous sommes
actuellement. Signé : Robespierre aîné, Robespierre jeune, Saint-Just[33]. Les
Conventionnels réunis au Comité d’exécution n’attendirent pas Couthon pour
agir. Leur première pensée fut d’essayer de neutraliser l’action des décrets
et des proclamations de la Convention afin de retenir les sections autour de
la Commune. Je suis persuadé que la fameuse lettre écrite à la section des
Piques fut envoyée une des premières. Lebas,
qui avait eu sous sa surveillance l’École de Mars au camp des Sablons,
écrivit à son commandant Labretèche : Un
complot affreux vient d’éclater ; je suis au nombre des représentants fidèles
que les conspirateurs ont fait arrêter. Mes soupçons sur la destination du
camp sont réalisés. C’est à toi de t’opposer à ce qu’on ne l’abuse pas au
point de s’égorger lui-même en marchant sous les étendards des traîtres. Le
peuple t’observe ; il est déterminé à se sauver. Songe à lui être fidèle[34]. Des
lettres, c’était peu de chose. L’action directe dans les sections parut
préférable. Le Comité d’exécution demanda au Conseil général de lui adjoindre
vingt- quatre citoyens pris dans son sein pour faire exécuter ses ordres[35]. Le conseil mit douze de ses
membres à la disposition du Comité, et ces douze membres se rendirent
sur-le-champ dans les sections pour arrêter les défections qui menaçaient
depuis que le décret de mise hors la loi était connu[36]. Le
Comité d’exécution se décida enfin à prendre la seule mesure qui aurait été
efficace, si elle avait été prescrite en temps utile, quand Robespierre
l’avait conseillée aux administrateurs de police vers neuf heures du soir ;
il ordonna l’arrestation des membres des Comités qui dirigeaient la
Convention. La
Commune révolutionnaire du 9 thermidor, destinée par le peuple et pour le
peuple à sauver la patrie et la Convention nationale, attaquées par
d’indignes conspirateurs, Arrête
que les nommés Collot d’Herbois, Amar, Léonard Bourdon, Dubarran, Fréron,
Tallien, Panis, Carnot, Dubois- Crancey (sic), Vadier, Javogue, Dubarran,
Fouchet (sic), Granet, Moyse Bayle seront arrêtés pour délivrer la Convention
de l’oppression où ils la retiennent. Le
Conseil déclare qu’elle donnera une couronne civique aux généreux citoyens
qui arrêteront ces ennemis du peuple ; Déclare que les mêmes hommes qui ont
renversé le tyran et la faction Brissot, anéantiront tous ces scélérats
désignés qui ont osé plus que Louis XVI lui-même, puisqu’ils ont mis en état
d’arrestation les meilleurs citoyens. Payan[37]. Cet
arrêté fut complété par un autre ainsi conçu : La
Commune révolutionnaire ordonne, au nom du salut du peuple, à tous les
citoïens qui la composent, de ne reconnaître d’autres autorités qu’elle,
d’arrêter tous ceux qui abusent de la qualité de représentant du peuple, font
des proclamations perfides et mettent hors la loi ses défenseurs ; Déclare
que tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre suprême seront traités comme
ennemis du peuple[38]. Mais
ces résolutions vigoureuses, prises du reste à la demande des Jacobins[39], ne purent être exécutées. Le
temps manqua pour les coucher sur les feuilles volantes sur lesquelles le
secrétaire du conseil inscrivait le procès- verbal au fur et à mesure. Elles
n’existent qu’en minutes. Nous
savons à quoi s’occupait le Comité d’exécution dans les derniers instants,
après l’arrivée de Couthon, grâce à la déposition des deux gendarmes Muron et
Javois, qui accompagnèrent le paralytique depuis La Bourbe jusqu’à l’Hôtel de
Ville. « Dès que Couthon fut entré, disent-ils, trois ou quatre membres
l’entraînèrent, et deux ou trois lui présentèrent des papiers et de l’encre.
Robespierre et Couthon dirent à haute voix : Nous ne pouvons pas écrire à
nos armées au nom de la Convention ni de la Commune, attendu que ce serait
arrêté, mais bien au nom du peuple français et que cela prendrait beaucoup
mieux, et, à l’instant, Couthon se mit à écrire sur ses genouils (sic) en disant : Les traîtres
périront, il y a encore des humains en France et la vertu triomphera. » Robespierre
prit la main du gendarme Muron et leur dit à tous deux : « Descendez donc à l’instant sur la place et mettez le peuple en
humeur et émouvez les esprits[40] ! » La déposition des deux gendarmes, qui
est exactement contemporaine des faits, est confirmée d’une façon intéressante par le témoignage un peu postérieur d’un agent du Comité de Salut public pour les
manufactures d’armes, H.-G. Dulac, qui s’était faufilé à l’Hôtel de Ville, dit-il, pour espionner au
profit de la Convention : « Les deux Robespierre étaient [dans la salle des
séances], l’un à côté du président Lescot- Fleuriot et l’autre auprès de
Payan, agent national. Couthon y fut porté u,n instant après ; et, ce qui est
à remarquer, c’est qu’il était encore suivi de son gendarme. En arrivant, il
fut embrassé par Robespierre, «te., etc., et ils passèrent dans la chambre à
côté, où je pénétrai. Ce fut là où le premier mot que j’entendis de Couthon
fut : Il faut de suite écrire aux armées. Robespierre dit : Au nom
de qui ? Couthon répondit : Mais au nom de la Convention, n'est-elle
pas toujours où nous sommes ? Le reste n'est qu'une poignée de factieux que
la force armée que nous avons va dissiper et dont elle fera justice. Ici
Robespierre l’aîné sembla réfléchir un peu ; il se baissa à l’oreille de son
frère, ensuite il dit : Mon avis est qu'on écrive au nom du peuple
français. Il prit aussi dans cet instant la main du gendarme entré #vec
Couthon et il lui dit : Brave gendarme, j'ai toujours aimé et estimé votre
corps ; soyez-nous toujours fidèles ; allez sur la porte et faites en sorte
de continuer à aigrir le peuple contre les factieux[41]. » Dépositions
intéressantes, car elles nous apprennent qu’à cette heure-là, à une heure du
matin, les Conventionnels proscrits commençaient à rédiger une proclamation
aux armées. Non seulement Robespierre aîné ne faisait aucune objection, mais
il poussait à la révolte. S’il se demandait avec Couthon au nom de qui la
proclamation devait être rédigée, ce n’était pas du tout, — les phrases
rapportées ne prêtent à aucune équivoque, — parce qu’il craignait
d’enfreindre la légalité, mais uniquement parce qu’il cherchait la meilleure
formule. Pas la moindre trace d’hésitation ou de scrupules. Mais
les canonniers et les gardes nationaux rassemblés sur la Grève depuis six
heures du soir s’impatientaient de leur longue inaction. Beaucoup n’avaient
pas pris le temps de dîner quand le tocsin avait sonné. Ils s’égaillaient
dans les débits du voisinage. En vain Henriot leur fit distribuer quelques
litres de vin et promit de les indemniser de leur temps passé sous les armes.
Us se demandaient pourquoi on les avait convoqués. Les émissaires Je la
Convention les travaillaient, et les plus timides ou les plus mécontents
s’échappaient en sourdine. Les officiers conféraient entre eux depuis
qu’ils connaissaient le décret qui mettait la Commune et les députés hors la
loi. Celles des sections où les partisans de la Convention prenaient le
dessus se hâtaient de rappeler discrètement leurs hommes et leurs canons. La
place de Grève se vidait peu à peu. Le Comité d’exécution, quand il s’en
aperçut, ordonna d’éclairer la façade de l’Hôtel de Ville pour faciliter la
surveillance. Les défections continuèrent. Un des derniers bataillons
fidèles, celui du Finistère, composé de manouvriers, se mit en marche à son
tour, vers deux heures du matin, pour retourner au faubourg Saint-Marcel. A dix
heures du soir, presque toutes les sections étaient représentées par les
détachements massés devant la Commune. Par contre, il n’y avait pour ainsi
dire personne devant la Convention. A deux heures du matin, ce fut l’inverse.
La Commune est presque abandonnée et les cours des Tuileries se garnissent de
canons et d’hommes armés. Quand
Léonard Bourdon, à la tête d’un groupe de gendarmes et du bataillon des
Gravilliers qu’il avait réussi à entraîner, se présenta devant l’Hôtel de
Ville, d n’éprouva pas plus de résistance à pénétrer jusque dans la salle de
l’Égalité que quelques heures auparavant Coffinhal n’en avait éprouvée à
forcer les portes du Comité de Sûreté générale. Mais l’irruption de Léonard
Bourdon ne fut si brusque que parce que la trahison la facilita. Un aide de
camp d’Henriot, Ulrick, avait livré le mot d’ordre des troupes de la Commune
au juge de paix de la section des Gravilliers, Martin, qui le fit connaître
à Léonard Bourdon[42]. Les troupes conventionnelles,
grâce au mot d’ordre, purent passer sans encombre à travers tous les postes
en se présentant comme des troupes amies. On sait
la suite. Robespierre aîné se tira dans la bouche un coup de pistolet et ne
réussit qu’à se briser quelques dents[43]. Lebas, maniant son arme d’une
main plus sûre, ne se manqua pas. Robespierre jeune, désespéré de la blessure
de son frère, se jeta d’une fenêtre sur la place, où on le releva la cuisse
brisée. Saint-Just, stoïque et dédaigneux, se laissa emmener sans mot dire.
Couthon se blessa gravement à la tête en descendant l’escalier de la mairie.
De toute la Commune, seuls Coffinhal et Lerebours parvinrent à s’échapper, et
Coffinhal fut repris quelques jours plus tard. Robespierre
jeune, qui respirait encore, fut transporté sur une chaise au Comité civil de
la section de la Maison Commune. Aux questions qu’on lui posa il répondit
qu’on lui avait rendu un bien mauvais service en le tirant de sa prison[44]. Cette suprême réflexion nous
révèle la raison des hésitations de ces hommes et de leur manque de décision
dans les premiers moments de l’insurrection. Ils n’avaient pas fait entrer
dans leurs calculs cette révolte immédiate et spontanée de la Commune et des Jacobins.
La lutte qu’ils avaient engagée contre les Comités de la Convention était une
lutte parlementaire, qu’ils avaient pensé résoudre par des moyens
parlementaires. Quand, le 8 thermidor au soir, Robespierre était venu relire
aux Jacobins son dernier discours, il n’avait voulu que se procurer leur
appui moral, jusque-là irrésistible, en prévision de la séance du lendemain,
où il espérait ressaisir la majorité. S’il avait cru la partie désespérée au
point de vue parlementaire, nul doute qu’il aurait agi autrement. Ce n’était
pas un homme de désordre, mais ce n’était pas non plus un niais que le
scrupule légalitaire paralysait. Contre la Législative autant que contre le
roi, il avait préparé ouvertement la journée du 10 août, traçant le programme
de l’insurrection, écrivant les pétitions des Fédérés, appelant les Jacobins
à la révolte. De même, au 31 mai, il avait lancé lui-même l’appel aux armes
et justifié devant la Convention, au moment même, l’ultimatum des insurgés.
Un an plus tard, il n’était pas si usé par la vie parlementaire et par la
pratique du gouvernement pour qu’il ait répugné absolument à renoncer à se
servir de ce levier populaire qu’il avait par deux fois manié avec résolution
et succès. Non ! au 9 thermidor, ce n’est pas le scrupule légalitaire qui
étouffa ses initiatives et paralysa sa volonté. Il se trompa sur la situation
politique. Il ne crut pas possible la coalition des terroristes de la
Montagne, ses ennemis, avec les modérés de la Plaine, qui jusque-là l’avaient
suivi. Il n’eut pas connaissance du complot qui se noua dans la nuit. Il fit
confiance à la Convention. Il ne lui vint pas à l’esprit qu’il ne pourrait
plus remonter à cette tribune, où son éloquence avait remporté tant de
brillants succès ; il n’imagina pas que sa voix serait étouffée sous la
sonnette du président et les clameurs des conjurés et qu’il serait décrété
d’arrestation sans qu’il lui fût permis d’esquisser sa défense. Après
ce coup de surprise, il ne devina pas que la seule nouvelle de son
arrestation suffirait à provoquer, par un réflexe immédiat, la révolte de la
Commune et des Jacobins. Les insurrections précédentes, auxquelles il avait
pris part, avaient toutes été préparées et annoncées. Celle-ci éclatait comme
un coup de foudre. Il n’en vit pas du premier coup l’étendue et la portée. Et
cela s’explique jusqu’à un certain point. N’avait-il pas assisté impuissant,
dans le local du Comité de Sûreté générale, à l’échec de la tentative
d’Henriot pour le délivrer, lui et ses compagnons ? Henriot n’avait-il pas
été garrotté sous ses yeux à cinq heures de l’après-midi ? On
s’imagine les réflexions que durent échanger entre eux les cinq députés,
pendant qu’ils prenaient leur repas au Comité, avant leur départ pour la
prison. Ils durent s’entendre alors sur une ligne de conduite commune.
L’échec d’Henriot ne semblait leur laisser aucun espoir d’être délivrés par
la force. Ils n’eurent pas de peine à se résoudre à une résistance passive et
légale, qui aurait du moins l’avantage, pensaient-ils, de donner à leurs
partisans le temps de préparer une revanche. Ils ne comprirent que peu à peu
la véritable situation, quand on vint les tirer de leurs prisons. Mais ils
étaient dispersés. Ils ne pouvaient plus se concerter pour modifier d’accord
leur résolution première. Conduit
à la mairie vers les neuf heures du soir, Robespierre, en l’absence de ses
compagnons, n’osa prendre sur lui de rompre le pacte tacite dont ils étaient
convenus. Mais déjà, nous l’avons vu, il inspirait aux administrateurs de
police qui l’environnaient les résolutions vigoureuses qui eussent sauvé la
partie si elles eussent été immédiatement adoptées par la Commune et
appliquées. Mais l’offensive qu’il suggérait, l’arrestation des membres des
Comités, fut écartée et ajournée. La Commune voulait bien défendre Henriot,
Payan les députés proscrits contre les coups de force des terroristes. Elle
n’osait pas encore ordonner l’assaut contre les Comités. Il lui suffisait de
se soustraire à leurs coups. Elle n’eut pas la hardiesse de les prévenir
quand elle le pouvait. La mise
hors la loi fit cesser l’indécision de Robespierre et des députés, ses amis.
Ils se rendirent tous, l’un après l’autre, au Comité d’exécution, pour
prendre leurs responsabilités et essayer de sauver le mouvement déjà
compromis. Comment Robespierre aurait-il refusé d’adresser à sa fidèle
section des Piques une syllabe d’encouragement ? Je ne me charge pas
d’expliquer pourquoi sa signature est abrégée au bas de la lettre écrite par
Lerebours. Mais, de toutes les hypothèses qu’on a faites pour en rendre
compte, la plus inadmissible est celle qui représente Robespierre hanté par
le scrupule légalitaire ou par quelque crainte inavouée. La lettre à la
section des Piques fut expédiée. Elle parvint à sa destination de bonne
heure, certainement avant onze heures du soir. C’est ce qui résulte de toute
évidence de l’examen attentif des pièces de comparaison. Si Robespierre avait
eu du regret après avoir signé, il aurait rayé sa signature, il aurait
empêché l’expédition. S’il n’en fit rien, c’est que toutes les conjectures
qu’on a faites sur ses prétendues hésitations à ce moment sont erronées. On voit
cependant comment est née la légende. Elle s’est greffée sur la conversation
qu’il eut avec Couthon au moment où celui-ci commençait à rédiger une
proclamation aux armées qui ne nous est pas parvenue. Au nom de qui ? a-t-il
dit. Mais il a répondu tout de suite : au nom du peuple français. Il
cherchait simplement la bonne formule, et il la trouva sur-le-champ. S’il a
été finalement vaincu, alors qu’il avait pour lui les Jacobins, la grande
majorité des sections et la Commune, c’est qu’il commit une erreur de
jugement. Bien qu’il connût l’immoralité de ses ennemis et leur absence
totale de scrupules, il ne crut pas possible qu’ils entraîneraient
l’Assemblée. Leur mauvaise réputation fut même pour quelque chose dans son
aveuglement. Et quand, surpris par l’événement, il se trouva prisonnier, il
ne fit pas assez de fond sur la puissance de sa popularité pour prévoir la
révolte immédiate des autorités de Paris. L’arrestation d’Henriot, faite sous
ses yeux, acheva de le confirmer dans cette illusion funeste. Il mit dès lors
tout son espoir dans le Tribunal révolutionnaire, et il se dit qu’il fallait
gagner du temps par une résignation provisoire. Quand il fut détrompé,
l’absence et la dispersion de ses compagnons entravèrent sa décision. Il
était déjà trop tard quand il se rendit enfin au Comité d’exécution. Là il se
donna tout entier ù la lutte. Les résolutions vigoureuses qu’il avait
conseillées étaient déjà couchées sur le papier, quand la trahison d’un
subalterne livra le mot d’ordre à Léonard Bourdon et permit aux troupes
conventionnelles de s’introduire par surprise jusque dans la salle même où il
délibérait. Il sut du moins racheter ses erreurs par un beau geste. Il ne voulut pas tomber vivant aux mains des « brigands » triomphants. Et, s’il fut déçu, là aussi, son geste reste. Il avait retenu quelque chose de ces Romains que ses maîtres du collège Louis-le-Grand lui avaient appris à admirer dans le Conciones. |
[1]
La Révolution, par G. Pariset, p. 242.
[2]
Histoire politique de la Révolution, p. 499.
[3]
J’ai rétabli entre crochets, d’après le fac-similé de l’original publié, en
1908, par G. Lenôtre et Marty, les mots passés par Ernest Hamel.
[4]
Histoire de Robespierre, 1867, pp. 788-790.
[5]
Le document fit partie de la collection de Rousselin de Saint-Albin, qui fut le
secrétaire de Barras. Celle-ci passa ensuite entre les mains de M. Georges
Duruy. Elle est à présent au musée Carnavalet. On en trouvera la reproduction
photographique dans les mémoires de Barras, t. I, p. 195.
[6]
Voir dans le Rapport de Courtois, floréal an IV (pp. 56 et 122), les
lettres adressées aux municipalités de Choisy et de Bercy. Ici le ton est plus
pressant. On invite les municipalités à amener leurs canons. C’est un conseil
qu’on n’avait pas eu besoin de donner à la section des. Piques, dont les
canonniers étaient déjà sur la place de Grève.
[7]
Procès-verbal officiel de la Convention, t. XLII, p. 256.
[8]
Archives nationales, F⁷ 4778.
[9]
Un arrêté des deux Comités avait ordonné aux comités de surveillance des
quarante-huit sections de rendre compte « ce soir et demain, d’heure en heure,
des événements qui peuvent survenir dans leur section ». L’arrêté est aux
Archives, F⁷ 4779, sous forme d'affiche in-4°.
[10]
Rapport de Courtois, floréal an IV, p. 159.
[11]
Histoire de Robespierre, t. III, p. 778.
[12]
Archives nationales, F⁷ 4778.
[13]
Archives nationales, W 80.
[14]
Ce document précieux a été publié in extenso par Bûchez et Roux, dans leur Histoire
parlementaire de la Révolution, t. XXXIV, pp. 45-56.
[15]
Rapport du brigadier de gendarmerie Joannolle, daté du 9 thermidor au soir
(Archives nationales, F⁷ 4432). Joannolle commandait le poste du Comité
de Sûreté générale.
[16]
Attestation de Chevrillon, citée par Courtois, p. 66, note. Ordre du Comité de
Sûreté générale, Archives nationales, F⁷ 4432.
[17]
Voir les déclarations des guichetiers en annexes du Rapport de Courtois.
[18]
Voir les dépositions concordantes des domestiques de Lescot- Fleuriot aux
annexes du Rapport de Courtois.
[19]
Déposition du concierge de Port-Libre, dans Courtois.
[20]
Archives nationales, W 79.
[21]
La brochure de Guyot est aux Archives nationales, F⁷ 4432.
Plusieurs arrêtés des Comités qui ont été imprimés portent en effet le nom de
David. L’arrêté dont il est question ici est sans doute celui qui faisait
défense aux chefs de légion d’obéir aux ordres d’Henriot.
[22]
Rapport de Courtois, pièce annexe n° 13. C’est moi qui souligne.
[23]
« Sur les neuf heures du soir », dit le brigadier Joannolle (Archives
nationales, F⁷ 4432). « Sur les huit heures et demie du soir environ
», dit l’agent du Comité, Longueville Clémentière, dans sa brochure du 17
brumaire an III (Archives nationales, W 79).
[24]
Lasnier a raconté sa mission devant l’assemblée générale de sa section, dont le
procès-verbal mentionne ses paroles (section du Luxembourg ou de Mucius
Scævola) (Archives nationales, F⁷ 4432).
[25]
Déclaration de Berger, de la section de la Cité (Archives nationales,
F⁷ 4432).
[26]
On lit, en effet, vers l’avant-dernière page du procès-verbal : « Robespierre,
Couthon, Saint-Just, Lebas se présentent au conseil général. Ils y sont reçus
par les plus vifs applaudissements. »
[27]
Pièce annexe n° 35 du Rapport de Courtois.
[28]
D’après les papiers des sections conservés aux Archives nationales, la mise
hors la loi de la Commune fut connue vers onze heures à la section du
Luxembourg ; vers minuit, à la section de Bondy ; à minuit demi à la section
des Tuileries ; vers minuit, au Bonnet-Rouge et au pont-Neuf, etc...
[29]
Dans son premier rapport (nivôse an III), p. 183.
[30]
Archives nationales, W 79.
[31]
Courtois, Rapport du floréal an IV, p. 197.
[32]
On lit pourtant dans le procès-verbal de la section des Invalides : « Un
membre de comité civil a rapporté qu’il venait de la Commune, qu’il y a vu
Robespierre à la tribune et que son discours décelait un coupable. » (Archives
nationales, F⁷ 4432).
[33]
Deuxième rapport de Courtois, p. 282. Courtois note que ce billet est écrit de
la main de Robespierre jeune.
[34]
Courtois, deuxième rapport, p. 68.
[35]
La minute de cet arrêté se trouve aux Archives nationales, F⁷
4433.
[36]
Ces douze citoyens étaient Lacour, de Brutus ; Mercier, du Finistère ; Leleu,
des Invalides ; Miellé, des Quinze-Vingt ; d’Azard, des Gardes françaises ;
Cochois, de Bonne-Nouvelle ; Aubert, de Poissonnières ; Barel, du faubourg du
Nord ; Gibert, même section ; Jault, de Bonne-Nouvelle ; Simon, de Marat, et
Gency, du Finistère (Courtois, p. 111). Les papiers des sections relatent la
lutte longtemps indécise qui s’engagea, dans chacune d’elles, entre les
partisans de la Commune et ceux de la Convention, entre minuit et deux heures du
matin.
[37]
Archives nationales, F⁷ 4432. Il existe une première ébauche de
cet arrêté, également de la main de Payan : « Le peuple veut sauver la Patrie,
il veut sauver la Convention nationale qui peut (tout) avec le peuple et rien
sans le peuple. Il sçait que la Convention a été trompée Par des traîtres, par
des conspirateurs. Le peuple les accuse, il demande leur arrestation, il
l’obtiendra. Cette mesure seule sauvera la république. Voici les noms des
conspirateurs : Collot d’Herbois, Barère, Amar, Léonard Bourdon. Le peuple les
désigne, le peuple les demande. Il est souverain. »
On remarquera que le nom de Barère, qui figure dans
cette première minute, a disparu du texte définitif, mais qu’en revanche
beaucoup d’autres noms ont été ajoutés. On se demandera si la disparition du
nom de Barère n’est pas due à l’influence de Robespierre, qui avait souvent
pris sa défense.
[38]
Minute non signée (Archives nationales, F⁷ 4433).
[39]
C’est ce qui résulte du procès-verbal de la Commune, dans Bûchez et Roux, t.
XXXIV, p. 55.
[40]
Archives nationales, F⁷ 4432.
[41]
Le récit de Dulac existe en deux états distincts, d’abord sous forme de lettre
adressée au Comité de Sûreté générale en date du 6 frimaire an III (Archives
nationales, F⁷ 4432) ; ensuite sous forme de lettre adressée à
Courtois qui l’a publiée dans son rapport (p. 207). Cette dernière lettre est
datée du 7 thermidor an III. Entre les deux versions, les variantes sont sans
importance.
[42]
Voir le rapport de. Courtois, p. 140, et les papiers de la section des
Gravilliers (Archives nationales, F⁷ 4432).
[43]
La version du suicide a pour elle tous les témoignages datant du moment même.
Courtois l’a adoptée. L’histoire du coup de feu du gendarme Merda (ou Méda) est
très suspecte.
[44]
Interrogatoire de Robespierre jeune dans Courtois, Rapport, p. 205.