Le
présent livre fait suite à ceux que nous avons publiés depuis une douzaine
d'années pour éclaircir les problèmes obscurs du drame révolutionnaire. Comme Robespierre
terroriste,
comme La Corruption parlementaire sous la Terreur, comme La
Conspiration de l’Étranger, c'est un recueil d'études critiques et documentaires. La
méthode y est la même et l'esprit qui l'anime identique. Ne rien
affirmer que sur des preuves certaines, ne tenir pour exact que ce qui est
attesté par des témoins informés et dignes de foi, ne juger les hommes et les
choses du passé que d'après les manières de penser et de juger en usage à
leur époque, rejeter impitoyablement les interprétations tendancieuses ou
erronées mises en circulation par les historiens même les plus accrédités,
bref ne servir que la vérité et la dire tout entière, telle a été notre règle
constante, à laquelle nous ne sommes pas prêts de renoncer pour sacrifier aux
modes d'aujourd'hui. Parce
qu'il nous est arrivé à l'occasion de signaler les partis pris, les
exagérations, les faiblesses et les préjugés, les calculs et les
arrière-pensées de ceux qui ont pris la plume avant nous et dont certains
vivent encore, on a murmuré sourdement que nous étions un « passionné » et on
a regretté ce qu'on appelle nos polémiques. Nous
avouons volontiers que la mauvaise foi ne nous laisse pas insensible, que
l'ignorance insondable de quelques-uns provoque notre ironie, nous ne croyons
pas que le meilleur historien est celui que rien n'émeut. Celui- là sert bien
mal la vérité qui n'est pas capable de s'échauffer quand on l'outrage, celui-là
aime assez peu la justice qui n'est jamais prêt à combattre pour elle. L'historien
a des devoirs envers lui-même et envers ses lecteurs. Jusqu'à un certain
point il a charge d'âmes. Il est comptable de la réputation des grands morts
qu'il évoque et qu'il peint. S'il se trompe, s'il répète des calomnies contre
ceux qui furent irréprochables ou inversement s'il met sur le pavois des
roués et des intrigants, non seulement il commet une mauvaise action, mais il
empoisonne et il dévoie l'esprit public. Les
personnages de l'histoire sont le patrimoine commun de la nation. Il n'est
pas indifférent que l'image qu'on en donne soit exacte ou déformée, car les
idées qu'ils représentent, les causes qu'ils ont servies ne sont pas mortes
avec eux. C'est
parce que nous croyons à la vertu sociale de l'histoire, c'est parce que nous
sommes convaincus qu'elle est une école pour l'homme d'Etat et pour le
citoyen, que nous ne pouvons aborder son étude sans nous sentir pénétré du
sentiment de notre responsabilité. L'humanité
marchera toujours à tâtons vers l'avenir si elle ne sait pas profiter de
l'expérience du passé. L'histoire est un miroir. Si le miroir fausse l'image,
il égare le guide. Cette
haute idée que nous nous faisons de la fonction de l'histoire explique
peut-être ce reproche de passion dont nous sommes fier.
Il nous suffit qu'on n'eût pas pu nous accuser de ces pauvres passions
mesquines qui trahissent le fanatisme politique, l'esprit de coterie, de
camaraderie ou de parti, le désir des honneurs ou des places. La seule chose
au fond qui chagrine nos discrets censeurs c'est notre indépendance. Nous
avons osé entreprendre la défense de Robespierre en un temps où la
démocratie, égarée par une fausse science et détournée de ses voies
traditionnelles par tant de déviations fâcheuses, s'était détachée dans son
ensemble de sa grande mémoire. Evidemment notre hardiesse avait quelque chose
d'impertinent. On nous aurait pardonné peut-être si on nous avait pris en
faute. Nous sommes coupable d'avoir eu raison. Les
douze études qui sont ici réunies ne sont dispersées qu'en apparence. Toutes
contribuent à nous faire mieux connaître l'homme en qui s'incarna ce qu'il y
avait de meilleur dans le parti Montagnard et dans la France révolutionnaire.
Toutes ont pour objet de rectifier des jugements précipités contre lesquels
s'insurgent les textes d les faits. La
première nous montre à l'œuvre le frère de Robespierre dans sa mission de
Franche-Comté. Le soi-disant terroriste ouvre les portes des prisons où sont
enfermés tes fanatiques et les fédéralistes. Il encourt ainsi la haine des
véritables terroristes, de ceux qui abusent dans l'intérêt de leurs passions
ou de leur appétit des pouvoirs dictatoriaux qui ne leur ont été conférés que
pour le salut de la patrie. Déjà on pressent comment et pourquoi un Bernard (de Saintes) et ses pareils détesteront Robespierre et
prépareront sa chute. La
seconde étude, très courte, fait sortir de l'ombre un ami de Robespierre
jeune, un jeune arrageois souriant et sensé, Régis Deshorties, qui lui
confie, sur un ton enjoué, tes potins de la petite ville en même temps qu'il
lui exprime toute l’admiration que ressentent les braves gens de la province
pour les travaux de son grand frère. La
troisième, qui met au jour une importante correspondance inédite du banquier
de Montpellier Aigoin avec Robespierre aîné, nous fait toucher du doigt les
raisons de l'immense popularité dont celui-ci jouissait dans l'élite de la
bourgeoisie révolutionnaire. Cette popularité n'avait rien d'aveugle puisque
le banquier discute la politique préconisée par Robespierre et qu'il ne se
rend à son avis que vaincu par les faits. La
quatrième étude, consacrée au soi-disant Culte de l'Être suprême, définit la
position de Robespierre devant le problème religieux, au lendemain de la
chute des Hébertistes. Elle dissipe la légende malveillante qui s'est
attachée à le représenter sous les traits d'un fanatique et d'un pontife.
Elle met en évidence les raisons toutes politiques de ses actes, elle
découvre ses rares qualités d'homme d'État. La
cinquième étude apporte des lumières nouvelles sur l'affaire Catherine Théot,
cette intrigue louche que les fanatiques de l'irréligion machinèrent contre
Robespierre pour le faire trébucher dans le ridicule. La
sixième élucide les rapports de Robespierre et de Fouquier-Tinville. Loin que
le sinistre accusateur public du tribunal révolutionnaire ait été un
instrument docile aux mains du prétendu dictateur, il est manifeste que les
deux hommes se détestaient. Si le Comité de Salut public n'avait pas refusé à
Robespierre la révocation de Fouquier, peut-être la Grande Terreur
n'aurait-elle pas accumulé les victimes. La
septième étude fait revivre dans le privé un compatriote de Robespierre,
l'artésien Herman qui présida le tribunal révolutionnaire. Les lettres
savoureuses qu'Herman écrit à son frère mettent à nu une âme candide toute
pénétrée de l'amour de la chose publique. Dans la
huitième étude sont analysées, d'après des documents inédits dont on
appréciera l'intérêt, les raisons médiocres des divisions funestes qui
détachèrent peu à peu de Robespierre la majorité de ses collègues des Comités
de gouvernement. La
neuvième étude, plus neuve encore, saisit à sa naissance même la sourde
intrigue qui devait aboutir au 9 thermidor. Elle nous montre comment les
ennemis de Robespierre n'hésitèrent pas à employer des individus aussi
méprisables qu'un Truchon ou un Marcandier, pour miner obliquement l'homme
dont la vertu les gênait. La
dixième étude renouvelle et rectifie le récit du 9 thermidor au moyen des
papiers inédits des sections parisiennes. Elle ruine l'opinion reçue sur la
prétendue timidité légalitaire de Robespierre. Elle donne les véritables
motifs de la défaite de la Commune. La
onzième étude fait connaître un jugement inédit de Buonarroti sur le rôle de
Barère et de Vadier au 9 thermidor. La douzième enfin résume les jugements
que Babeuf a portés sur l’Incorruptible. L’une et l’autre nous font
comprendre pourquoi la mémoire de Robespierre resta l’objet d’un véritable
culte chez tous les démocrates des premières générations postrévolutionnaires. Ainsi
Robespierre est au centre de cet ouvrage, et non plus un Robespierre de
fantaisie, sanglant mannequin de la fabrique thermidorienne, mais le
Robespierre véritable, un homme d’Etat clairvoyant et juste qui n’a respiré
que pour le bien de son pays. Cambacérès
disait que le procès de Robespierre n’avait jamais été plaidé. Il en appelait
à la postérité de la condamnation sommaire des thermidoriens. Ce livre, qui
n’est pas un plaidoyer, apporte des matériaux solides au dossier de ce grand
procès que l’histoire impartiale finira bien par juger un four selon la
justice et la vérité. Dijon, le 3 octobre 1924 |