Depuis le 20 septembre, date de la démission de Thuriot, le Comité, débarrassé du dernier dantoniste qu’il comptait encore, est devenu plus homogène. Depuis le 3 octobre, date du rapport d’Amar contre les Girondins, la Convention s’est amputée de 136 de ses membres — 41 traduits au tribunal révolutionnaire, 19 en fuite mis hors la loi, 76 autres, signataires des protestations contre le 2 juin, décrétés d’arrestation et sauvés de l’échafaud par Robespierre —. C’était une sérieuse épuration qui devait avoir pour conséquence immédiate d’affaiblir en proportion l’opposition qui n’avait cessé de combattre le Comité depuis sa naissance. Le Comité rassuré peut déléguer la moitié de ses membres à des missions diverses — Prieur de la Marne et Saint-André pour réorganiser la flotte à Brest et à Lorient, Couthon à Lyon, Saint-Just à Strasbourg puis, après le retour de Robert Lindet qui est en Normandie, Collot d’Herbois à Lyon —. Mais si le Comité a accru son autorité à Paris même, il lui reste fort à faire pour l’étendre et l’asseoir sur la France entière. L’établissement du gouvernement révolutionnaire, c’est-à-dire la coordination des mesures d’exception sous la direction unique du Comité, s’est faite en deux temps et pour deux sortes de raisons : d’abord, en septembre et octobre 1793, pour des raisons d’ordre surtout politique ; ensuite, en novembre et décembre 1793, pour des raisons d’ordre surtout économique. Dans la première période, il faut avant tout assurer la levée en masse en faisant marcher les autorités locales et en réprimant les dernières résistances fédéralistes. Dans la seconde, il s’agit de rendre possible l’application du maximum général voté le 29 septembre, mais qui n’entra en application qu’au milieu d’octobre. Enfermée dans une arche en bois de cèdre devant le bureau du président de la Convention, la Constitution montagnarde avait été ajournée à la paix. La Constitution ancienne, celle de 1791, restait en vigueur dans toutes ses parties qui n’avaient pas été modifiées par des lois nouvelles. C’est une Constitution décentralisatrice très mal adaptée à l’état de guerre. Partout les autorités administratives et judiciaires sont issues de l’élection. Les autorités révolutionnaires elles-mêmes, comme les Comités chargés de surveiller les suspects, ont au début la même origine. Des autorités élues, en période de guerre étrangère et de guerre civile, ne sont pas sûres. Et, de fait, même quand l’élection fut supprimée, il y eut, en pleine Terreur, des comités révolutionnaires composés d’aristocrates masqués. Pour parer au danger la Convention avait généralisé l’emploi des représentants en mission, armés de pouvoirs illimités. Ces proconsuls, aussi puissants que les intendants de Richelieu, ne s’étaient pas fait faute de briser les autorités récalcitrantes. Comme ils ne pouvaient être partout à la fois ils s’aidèrent, pour la levée de la première réquisition, des fédérés du 10 août auxquels ils déléguèrent une partie de leurs pouvoirs. Par exemple, Maure, qui opérait dans l’Yonne, confia à ses délégués, par arrêté du 17 septembre, le droit de former la liste des jeunes gens mis en réquisition, de procéder au recensement des grains et de les réquisitionner, de dresser l’inventaire des armes de calibre et de les faire déposer au chef-lieu de districts, de prendre des renseignements sur les personnes suspectes. Pouvoirs déjà singulièrement étendus qui réduisaient les autorités régulières élues à un rôle presque consultatif. Mais voici Laplanche qui est chargé de la levée en masse dans le Cher. Il va beaucoup plus loin que Maure. Par arrêté du 27 septembre, il ne donne pas seulement à ses délégués les pouvoirs nécessaires pour réquisitionner les hommes, les armes et les subsistances, il les autorise à faire des visites domiciliaires, à désarmer les malveillants et les suspects, à s’emparer des provisions surabondantes qu’ils découvriraient chez ceux-ci, à les distribuer aux pauvres ; il les autorise encore à arrêter les suspects, à les taxer révolutionnairement, et, avec le produit de ces taxes, à secourir les malheureux. Au-dessus des délégués de canton il institue des commissaires de district aux pouvoirs plus étendus encore. Ils pourront destituer les administrateurs civils et militaires faibles, négligents ou prévaricateurs et les remplacer provisoirement sans recourir à l’élection. Les commissaires de Laplanche usèrent réellement des pouvoirs qu’il leur avait conférés. Ils prononcèrent des destitutions même d’ecclésiastiques assermentés, ordonnèrent des mutations, imposèrent des taxes sur les riches — 249.000 livres dans le district de Vierzon, 313.000 dans celui de Sancerre, etc. —, et, avec le produit de ces taxes, ils soulagèrent les pauvres, surtout ceux qui avaient des enfants à l’armée, firent des largesses aux hôpitaux et aux sociétés populaires. L’un d’eux, Labouvrie, dépouillait les églises de leurs vases sacrés. Il n’osait pas encore interdire le culte, mais il prêchait déjà contre le catholicisme, supprimait des paroisses et enseignait dès le début d’octobre que le culte de la liberté et de l’égalité suffisait. Les autres représentants en mission pratiquèrent tantôt la manière forte de Laplanche, tantôt la méthode prudente de Maure. Fouché fut de ceux qui crurent que la Révolution ne pouvait se sauver que par une énergique politique de classe au service des sans-culottes. Il établit dans chaque chef-lieu de district de la Nièvre un comité de surveillance et de philanthropie qui fut autorisé à lever sur les riches une taxe proportionnée au nombre des indigents (arrêté du 19 septembre). Il ordonna, le 26 septembre, à Moulins, que les boulangers ne fabriqueraient plus qu’une seule espèce de pain, le pain de l’égalité, qui se vendrait au prix uniforme de trois sous la livre, au moyen d’une indemnité compensatrice payée aux boulangers et récupérée sur les riches. Le prix courant était auparavant dix sous la livre. Ayant aboli la misère, il interdit la mendicité et l’oisiveté : tout mendiant ou oisif sera incarcéré (24 brumaire). Les récoltants qui refusaient d’obtempérer aux réquisitions étaient exposés sur la place publique avec cet écriteau : Affameur du peuple, traître à la patrie ! A la récidive, on les incarcérerait jusqu’à la paix, on séquestrerait leurs biens, à la réserve du strict nécessaire pour eux et leur famille (2 octobre). Fouché ordonnait encore l’échange forcé du numéraire contre les assignats. Il menaçait les fabricants qui fermeraient leurs ateliers de s’en emparer et de les exploiter en régie à leurs frais. On rougit ici d’être riche, écrivait-il le 13 octobre. Comme Laplanche, qui était un ancien vicaire épiscopal, Fouché, ancien confrère de l’Oratoire, se distingua par ses mesures anticléricales. Il réquisitionna la vaisselle sacrée et l’envoya à Paris. Il laïcisa les cimetières par son fameux arrêté qui ordonnait de placer sur la porte des champs du repos l’inscription naturaliste : La mort est un sommeil éternel. Quand le calendrier révolutionnaire fut institué par le décret du 5 octobre, il organisa les fêtes civiques du décadi pour remplacer la messe. Il leva une petite armée révolutionnaire pour faire exécuter ses arrêtés. Dubouchet en Seine-et-Marne, Le Carpentier dans la Manche, Baudot dans la Haute-Garonne, Taillefer dans le Lot, Roux-Fazillac dans la Charente, Lequinio et Laignelot dans la Charente-Inférieure, André Dumont dans la Somme imitèrent plus ou moins Laplanche et Fouché. Mais d’autres représentants se renfermèrent comme Maure dans la besogne purement administrative de la levée en masse et même répudièrent les innovations de leurs collègues. Il y avait enfin des départements qui n’avaient pas encore reçu la visite des représentants et où l’application des lois révolutionnaires sur les accaparements, les réquisitions, les suspects, etc., avait dû être laissée aux anciennes autorités élues. Il en résultait une bigarrure administrative étonnante. Ici c’était la Terreur et le régime des clubs appuyés sur les sans-culottes. Là, rien en apparence n’avait été changé : les riches n’étaient pas inquiétés, on n’incarcérait personne, on ne touchait pas aux hommes en place, les prêtres jouissaient d’une parfaite tranquillité. Le Comité de salut public essayait de diriger et de régler l’action des représentants, sans toujours y parvenir. Ils opéraient loin de Paris. Ils n’avaient pas le temps, avec la lenteur des communications, d’attendre les instructions du centre. Ils ne lui soumettaient que rarement les difficultés qui se présentaient. Ils tranchaient sur-le-champ, se laissant aller à leur inspiration, bonne ou mauvaise. Le Comité applaudit d’abord à la politique de classe des Laplanche et des Fouché. Il félicita Fouché d’avoir taxé les riches, ce moyen de salut public est aussi une mesure de sûreté personnelle contre la juste indignation du peuple qui ne peut plus tolérer l’excès de sa misère (29 août). Robert Lindet pensait comme ses collègues restés à Paris ; il leur écrivait de Caen, le 29 août, qu’il y aurait du danger à armer les pauvres si on ne mettait les riches à la raison auparavant. Le Comité approuvait aussi les incarcérations et les destitutions — voir lettres à Le Carpentier du 7 septembre et à Carrier du 8 septembre —. Mais de bonne heure il s’inquiéta de la politique anticléricale ou plutôt antichrétienne de certains proconsuls. Il nous a paru, écrivait-il à André Dumont, le 6 brumaire, que dans vos dernières opérations vous avez frappé trop violemment sur les objets du culte catholique... il faut bien se garder de fournir aux contre-révolutionnaires hypocrites qui cherchent à allumer la guerre civile aucun prétexte qui semble justifier leurs calomnies. Il ne faut pas leur présenter l’occasion de dire que l’on viole la liberté des cultes et que l’on fait la guerre à la religion en elle-même. Déjà Robespierre s’était alarmé du décret du 5 octobre qui avait institué le nouveau calendrier et il avait inscrit sur son carnet : ajournement indéfini du décret sur le calendrier, phrase qui montre qu’il eut l’intention de s’opposer à l’exécution de la loi qui servira de prétexte à la déchristianisation. Comment faire une politique de classe au profit des sans-culottes en blessant ceux-ci dans leurs convictions ? Tout en approuvant les mesures vigoureuses des proconsuls, le Comité en vit très vite les dangers. Il félicita Maure de réprimer les actes arbitraires commis par les fédérés du 10 août, ses délégués, et par les comités révolutionnaires (14 brumaire). Il invita Laurent, en mission dans le Nord, à dissoudre la force révolutionnaire qu’il avait levée : Une tactique contre-révolutionnaire s’emparant de ce mobile de terreur, peut reproduire tout à coup ce système de force départementale qui a menacé un jour la liberté. Épurez la garde nationale, elle rendra les mêmes services et elle ne fera pas concevoir les mêmes alarmes (2 frimaire). Il écrivit deux jours plus tard à Maure de dissoudre son armée révolutionnaire dès qu’il quitterait l’Yonne. Quand la levée en masse fut terminée et que le Comité eut fait rappeler les représentants qui l’avaient organisée, il eut bien soin de faire inscrire dans le décret que les pouvoirs des délégués des représentants cesseraient aussitôt (13 brumaire). Un décret du 19 brumaire chargea le Comité de se faire rendre compte de l’usage que ces délégués avaient fait de leurs pouvoirs. Les représentants rappelés, leurs délégués supprimés, les anciennes autorités élues redevenaient seules chargées d’exécuter les lois. Le Comité ne pouvait manquer de se préoccuper de mettre de l’harmonie entre les différentes autorités, celles qui tiraient leur source de l’élection et celles qui étaient nées de la dictature révolutionnaire. Il fallait délimiter leur domaine respectif et les subordonner toutes au centre, autrement dit substituer à la centralisation chaotique et intermittente qui s’était formée au hasard, sous le coup des nécessités, une centralisation ordonnée et permanente. Il le fallait d’autant plus que la situation économique l’exigeait. La loi du 29 septembre sur le maximum général taxait toutes les denrées déjà soumises à la loi du 27 juillet sur l’accaparement. A l’exception des grains, farines et fourrages, du tabac, du sel et du savon dont la taxe était uniforme pour toute la France, les autres denrées et marchandises de première nécessité devaient être taxées par les districts au prix moyen de 1790 augmenté d’un tiers, de manière que ce qui valait 3 livres en 1790 ne pourrait excéder 4 livres en 1793. Les contrevenants, vendeurs ou acheteurs, seraient punissables d’une amende solidaire d’un montant double de la valeur de l’objet vendu en fraude et applicable au dénonciateur. Ils seraient en outre inscrits sur la liste des suspects. Il aurait été illogique de taxer les denrées sans taxer en même temps les journées d’ouvriers. La loi fixa le maximum des salaires au prix de 1790 augmenté de moitié de manière qu’un ouvrier qui gagnait 20 sous en 1790 en gagnerait maintenant 30. La taxe des salaires devait être établie par les municipalités tandis que la taxe des denrées était de la compétence des districts. Les ouvriers qui refuseraient de travailler au prix officiel seraient mis en réquisition par les municipalités et punis de trois jours de prison. Le Comité ne se fit aucune illusion sur les difficultés d’application d’une telle loi qui forçait les possédants à vendre à perte, sans indemnité, des marchandises qu’ils vendaient auparavant à un prix triple ou quadruple. La loi précédente du 4 mai sur le seul maximum des grains avait eu pour résultat instantané de vider les marchés. Comment approvisionner les villes et les armées si l’approvisionnement restait sous la dépendance d’autorités locales élues, secrètement hostiles à la législation révolutionnaire ? La mise en vigueur du maximum général allait exiger une recrudescence de contrainte, c’est-à-dire de Terreur, et en même temps un progrès décisif vers l’organisation d’une centralisation plus étroite, plus organique, plus dictatoriale. Deux jours avant que les tableaux du maximum ne fussent affichés dans Paris, le 10 octobre, dans un discours amer et sombre, tout en sentences tranchantes, Saint-Just vint exposer à l’Assemblée le plan d’une organisation nouvelle de la République, d’une sorte de Constitution provisoire qui lui semblait nécessaire pour surmonter les terribles obstacles qu’il prévoyait. Les lois sont révolutionnaires, ceux qui les exécutent ne le sont pas... La République ne sera fondée que quand la volonté du souverain comprimera la minorité monarchique et régnera sur elle par droit de conquête. Vous n’avez plus rien à ménager contre les ennemis du nouvel ordre de choses et la liberté doit vaincre à tel prix que ce soit. Vous avez à punir non seulement les traîtres mais les indifférents mêmes, vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle... Il faut gouverner par le fer ceux qui ne peuvent l’être par la justice, il faut opprimer les tyrans ! Saint-Just justifiait ce programme de terrorisme désespéré par un tableau effroyable de la bureaucratie civile et militaire comme de la situation économique et morale du pays. Il montrait les administrateurs des hôpitaux fournissant de farines les rebelles de la Vendée, les fonctionnaires chargés de l’exécution de la loi sur l’accaparement accaparant eux-mêmes, les acquéreurs de biens nationaux s’acquittant à vil prix avec un papier déprécié, les riches devenant plus riches grâce à la baisse de l’assignat et à la vie chère. Le patriotisme est un commerce des lèvres, chacun sacrifie tous les autres et ne sacrifie rien de son intérêt. Il prévoyait que la loi du maximum général allait provoquer de nouvelles spéculations. Il n’apercevait qu’une seule issue : donner au gouvernement le nerf qui lui manquait. On mettrait à tous les échelons la responsabilité à côté de l’exécution : Il faut placer partout le glaive à côté de l’abus. On s’appuierait sur la classe pauvre et sur les petits soldats dont on adoucirait les souffrances. Un soldat malheureux est plus malheureux que les autres hommes, car pourquoi combat-il s’il n’a rien à défendre qu’un gouvernement qui l’abandonne ? Les représentants aux armées seraient les pères et les amis des soldats, ils coucheraient sous la tente avec eux, ils partageraient leur vie. Pour faire exécuter les ordres du Comité on mettrait sous sa surveillance immédiate non plus seulement le Conseil exécutif comme auparavant, mais les généraux et tous les corps constitués. On proclamerait que le gouvernement est révolutionnaire jusqu’à la paix, c’est-à-dire qu’on mettrait définitivement au rancart la Constitution votée en juin, qu’on légaliserait la dictature, qu’on subordonnerait provisoirement le principe électif au principe autoritaire. Le Comité pourrait surveiller, c’est-à-dire briser les corps constitués élus. Pour faire exécuter rapidement les lois révolutionnaires, le Comité correspondra directement non plus comme auparavant avec les administrations de département, mais avec les districts qui deviendront la cheville ouvrière de la nouvelle organisation. Pour assurer l’application du maximum, on recensera tous les grains de la République, ce qui permettra d’exercer le droit de réquisition à coup sûr. On divisera le territoire en zones d’approvisionnement et Paris sera approvisionné pour un an dans son arrondissement particulier. Les résistances seront domptées par l’armée révolutionnaire centrale, dont on logera les détachements dans les communes récalcitrantes aux frais des riches. Saint-Just prévoyait encore la création d’un tribunal spécial, sorte de Chambre ardente qui ferait rendre gorge aux fournisseurs et à tous ceux qui avaient manié les deniers publics depuis 1789. Toutes les mesures qu’il proposa furent votées sans débat. Les craintes qu’il avait émises sur l’efficacité du maximum se réalisèrent aussitôt. A Paris et dans toutes les villes de France, dès que la taxe fut affichée, les magasins se vidèrent instantanément sous la ruée d’une foule avide. Les commerçants n’ayant plus rien à vendre commencèrent à fermer leurs boutiques. A Paris, Chaumette les menaça de les faire exproprier et la Commune, sous son inspiration, demanda à la Convention de fixer son attention sur les matières premières et les fabriques, afin de les mettre en réquisition en prononçant des peines contre les détenteurs ou fabricants qui les laissaient dans l’inactivité ou même de les mettre à la disposition de la République qui ne manque pas de bras pour mettre tout en activité. Au bout de l’expropriation, il y avait le collectivisme, la République faisant valoir elle-même toute la production agricole et industrielle. Mais, ni la Convention ni le Comité ne voulaient aller jusque-là, faire une Révolution sociale pour assurer l’application du maximum, qu’ils avaient subi à contrecœur. La Commune alla au plus pressé. Elle contrôla la répartition des denrées existantes au moyen du droit de réquisition et par l’établissement de cartes de pain, de viande, de sucre, de savons, etc., c’est-à-dire par le rationnement. Elle réprima les fraudes sur les boissons, qui se multiplièrent, par l’institution de commissaires dégustateurs. Elle autorisa les commissaires aux accaparements à faire des visites domiciliaires, même chez les particuliers. Elle s’efforça de faire respecter les taxes par des mesures policières, en menaçant les délinquants de la loi des suspects. La plupart des villes imitèrent ou même devancèrent l’exemple de Paris. Mais si la répartition des marchandises existantes s’opérait tant bien que mal, le réapprovisionnement devenait de plus en plus difficile parce que les marchands n’avaient plus d’intérêt à reconstituer leurs stocks. Pour rétablir la circulation des marchandises et empêcher l’arrêt de la production ainsi que la famine, il fallait faire un pas de plus dans la voie de la centralisation. Le Comité fit instituer, le 22 octobre, une Commission de trois membres, dite Commission des subsistances, armée des pouvoirs les plus étendus. Par le droit de préhension elle pourrait se saisir de toutes denrées au prix du maximum. Elle répartirait ces denrées entre les districts, elle aurait la haute main sur toute la production agricole et industrielle, sur les transports, les manufactures, les mines, les charbons, les bois, l’importation et l’exportation. Elle pourrait requérir la force armée. Elle préparerait la révision du maximum dont l’établissement ne serait plus laissé à l’arbitraire des autorités locales mais soumis à des principes fixes exposés par Barère le 11 brumaire. On taxerait à la source : 1° aux magasins de matières premières ; 2° à la fabrique ; 3° au marchand en gros ; 4° au marchand détaillant, et enfin on accorderait des indemnités de transport selon la distance. Pour préparer cette nouvelle taxe graduelle et uniforme, respectant les bénéfices du fabricant, du négociant et du détaillant afin de rétablir la circulation, la Commission des subsistances se livra à une immense enquête confiée à un bureau spécial, le bureau du maximum. L’enquête dura plusieurs mois et les nouveaux tableaux du maximum ne purent être prêts qu’au printemps de 1794. En attendant il fallut vivre d’expédients, c’est-à-dire de réquisitions et de rationnements. Robert Lindet, rappelé de sa mission dans le Calvados, prit la direction de la Commission des subsistances le 2 novembre. Il s’opposa, nous dit-il, à ce que l’armée révolutionnaire fût employée aux réquisitions. On se borna à la mettre en garnison dans les villes de l’Ile-de-France. Comme elle restait inactive, le tribunal révolutionnaire spécial qui devait l’accompagner dans ses déplacements ne fut jamais constitué. Plutôt que d’employer la force militaire de l’exécution des réquisitions et des taxes, le Comité préféra renforcer la centralisation administrative. Billaud-Varenne vint renouveler, le 28 brumaire, les critiques de Saint-Just sur la mauvaise volonté des autorités subalternes qui laissaient sans application les décrets populaires comme celui qui accordait des secours aux parents des volontaires, comme ceux qui concernaient les subsistances. Il proposa d’obliger toutes les autorités à rendre compte de leurs actes tous les dix jours, de publier les lois dans un bulletin spécial, de soumettre tous les fonctionnaires à des responsabilités pécuniaires et pénales, d’autoriser enfin les représentants et le Comité à remplacer sans élection toutes les autorités défaillantes ou suspectes. Il proposa, en outre, le 9 frimaire, d’interdire aux représentants de déléguer leurs pouvoirs, afin qu’il n’y ait plus aucun intermédiaire entre le Comité et les districts, de dissoudre toutes les forces armées départementales, de supprimer toutes les commissions départementales de surveillance qui sentaient le fédéralisme. Son projet fut définitivement voté le 14 frimaire avec un amendement qui le renforça. Danton fit valoir que l’exécution des lois ne devait plus être confiée à des magistrats élus : Je demande que chaque département ait un procureur national, que, pour détruire l’influence de la parenté, de la fortune et de la richesse, ce soit le Comité de salut public qui nomme ces surveillants, ces agents du peuple entier qui ne seront plus, comme ils le sont en ce moment, les hommes des localités, mais ceux de la République (3 frimaire). Après quelque hésitation, le Comité accepta l’institution de ces agents nationaux, nommés par le gouvernement et non élus, qui annonçaient déjà les préfets de Napoléon. A Fayau et à Merlin de Thionville qui défendaient le principe électif, Couthon répondit : Dans ce moment non seulement il faut éviter d’avoir des fonctionnaires publics dangereux, mais il faut encore éviter les douteux. Par cette loi du 14 frimaire, qui sera, avec quelques changements, la Constitution provisoire de la République pendant la durée de la guerre, toute l’administration de la France aboutit à Paris comme avant 1789. Les autorités élues qui subsistent encore sont surveillées par l’agent national nommé par le Comité et armé du droit de réquisition comme du droit de dénoncer les magistrats et fonctionnaires. Ceux-ci savent qu’ils seront révoqués et, par suite, inscrits sur la liste des suspects et mis en détention au moindre manquement. Pour les remplacer, on ne procédera plus à des élections comme on l’avait encore fait dans la période de la levée de masse, les représentants en mission ou les agents nationaux se borneront à consulter la société populaire avant de dresser la liste des remplaçants. Un décret du 5 brumaire suspendit l’élection des municipalités. Pratiquement la souveraineté du peuple, le pouvoir électoral se concentre dans les clubs, c’est-à-dire dans le parti au pouvoir. Les clubs eux-mêmes s’épurent. Le gouvernement révolutionnaire devient la dictature d’un parti exercée au profit d’une classe, la classe des consommateurs, des artisans, des petits propriétaires et des pauvres, guidée par les hommes de la classe bourgeoise qui ont invinciblement lié leur sort à celui de la Révolution et surtout par ceux de cette classe que les fabrications de guerre enrichissent. La dictature d’un parti ou d’une classe ne s’établit le plus souvent que par la force et cela est une nécessité en temps de guerre. Le gouvernement révolutionnaire eut pour accompagnement fatal la Terreur. |