LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME TROISIÈME. — LA TERREUR

 

CHAPITRE PREMIER. — LA RÉVOLTE FÉDÉRALISTE.

 

 

La Révolution du 2 juin était, comme la Révolution du 10 août, avant tout une révolution patriotique. Les sans-culottes de Paris, soutenus par les sans-culottes des grandes villes, avaient abattu la Gironde pour les mêmes raisons qu’ils avaient renversé la royauté : parce qu’ils l’accusaient d’entraver la défense révolutionnaire. Alors que la Révolution du 10 août avait été sanglante, la Révolution du 2 juin n’avait pas coûté une seule vie humaine. Les hommes du 10 août n’avaient pas hésité à s’emparer de tout le pouvoir municipal. Les hommes du 2 juin au contraire, après avoir affirmé leur droit de renouveler les autorités de l’Hôtel de Ville, les avaient maintenues en fonctions. Leur Comité insurrectionnel s’était laissé noyer dans de nouvelles recrues désignées par les autorités départementales et communales. La Commune légale réinvestie par lui avait pris à tâche de modérer son action et de rester en liaison avec le gouvernement qui avait financé les fonds nécessaires à la solde des gardes nationaux restés sous les armes pendant trois jours. Un historien a pu écrire, avec quelque exagération, que le 2 juin était moins une insurrection qu’un coup d’État.

Situation fort différente de celle de l’année précédente. Au 10 août, le gouvernement tout entier avait été renouvelé en même temps que la Commune. Et, si ce renouvellement n’avait pas suffi à satisfaire le pouvoir révolutionnaire, si l’antagonisme avait éclaté presque aussitôt entre la Législative et la nouvelle Commune, celle-ci avait gardé, du moins, par la possession de l’Hôtel de Ville, un moyen de pression permanent sur le pouvoir légal. Au 2 juin, le Comité insurrectionnel disparut presque sans résistance. La plupart de ses membres se laissèrent domestiquer dans un organisme créé à leur intention, le Comité de surveillance du département de Paris, chargé de la police politique dans la ville et dans la banlieue sous la direction et à la solde du Comité de salut public. Les insurgés de la veille deviennent les policiers du lendemain.

Au 10 août, l’insurrection avait atteint immédiatement son objet principal : le roi avait été enfermé au Temple. Au 2 juin au contraire, les insurgés n’avaient remporté qu’une victoire partielle et précaire. Les vingt-neuf chefs de la Gironde, théoriquement consignés à leur domicile, chacun sous la garde d’un gendarme, allaient et venaient dans la ville, recevaient des visites, donnaient des soupers. Douze d’entre eux s’enfuirent dès le premier jour, huit les jours suivants. Ceux qui étaient restés ne considéraient pas la partie comme perdue. Valazé refusait d’avance, le 5 juin, dans une lettre hautaine, l’amnistie dont le bruit courait et, le lendemain, Vergniaud réclamait des juges en termes impérieux et menaçait ses accusateurs de l’échafaud.

Le Comité de salut public qui n’avait su, pendant les trois jours de l’insurrection, que proposer de molles transactions, semble écrasé par le poids des responsabilités accrues qui lui incombent. Ayant payé les frais de l’émeute et fourni des sinécures à ses meneurs, il s’imagine qu’il pourra éviter de réaliser leur programme et il ne rêve rien moins que de réintégrer dans la Convention les vingt-neuf membres décrétés d’arrestation. Il invite Pache, le 5 juin, à lui remettre, dans le jour, les pièces à charge contre les détenus faute de quoi il sera forcé d’annoncer à la Convention qu’il n’en existe aucune. Pache, bien entendu, fit la sourde oreille. Le Comité ne comprit pas que le meilleur moyen d’empêcher les Girondins de recourir à la révolte, c’était encore de les rappeler avec fermeté au devoir patriotique et de refuser de mettre en question les faits accomplis. Il maintint d’abord en fonctions les ministres Clavière et Lebrun, tout décrétés d’arrestation qu’ils fussent. Clavière ne fut remplacé que le 13 juin par Destournelles et Lebrun que le 21 juin par Deforgues. En même temps, comme s’il voulait donner des gages aux modérés, le Comité démissionnait Bouchotte, le ministre de la Guerre cher aux Montagnards, et le faisait remplacer, malgré Robespierre, par Beauharnais, un noble, qui eut d’ailleurs le bon esprit de refuser. Toutes ces nominations portaient la marque de fabrique de Danton. Le ministre de l’Intérieur Garat, un autre protégé de Danton, nous dit que celui-ci accueillit l’idée qu’il soumit au Comité de négocier avec les vaincus pour éviter la guerre civile et qu’une amnistie fut envisagée dans ces négociations.

Le 6 juin, dans un grand rapport à la Convention, Barère proposa de supprimer les Comités de salut public départementaux formés après la trahison de Dumouriez pour appliquer la loi sur le recrutement, instruments d’anarchie et de vengeance, disait-il, de renouveler sans délai l’état-major de la garde parisienne, de destituer Hanriot son chef, de rétablir la liberté de la presse, d’envoyer dans les départements d’origine des députés détenus des otages pris dans la Convention. Danton a ouvert le premier cet avis, disait-il, et, en effet, Danton appuya la mesure le lendemain, en même temps qu’il prononça un éloge sans réserve des citoyens de Bordeaux. Cette politique trop habile ne pouvait qu’encourager les résistances girondines et que faire renaître à Paris même, par contrecoup, une vive agitation difficile à calmer. Dès le 6 juin, 75 députés de la droite signaient une protestation contre l’attentat commis contre la Convention. Plusieurs des signataires quittaient aussitôt Paris pour aider les Girondins fugitifs à soulever les départements. L’Assemblée dut ordonner, le 15 juin, un appel nominal et menacer les absents d’appeler leurs suppléants. A Paris, les hommes qui avaient fait l’insurrection disaient qu’on les trompait. Danton était attaqué avec vigueur aux Cordeliers le 4 juin, aux Jacobins le 7. Robespierre était convaincu qu’on perdait son temps en négociant avec les Girondins. Puisque la guerre civile était inévitable, il fallait la faire, pensait-il, avec le maximum de chances en intéressant les sans-culottes à la bataille.

Sur son carnet aide-mémoire, il avait griffonné pendant l’insurrection cette note remarquable : Il faut une volonté une. Il faut qu’elle soit républicaine ou royaliste. Pour qu’elle soit républicaine, il faut des ministres républicains, des papiers [c’est-à-dire des journaux] républicains, des députés républicains, un gouvernement républicain. Les dangers intérieurs viennent des bourgeois, pour vaincre les bourgeois, il faut rallier le peuple. Tout était disposé pour mettre le peuple sous le joug des bourgeois et faire périr les défenseurs de la République sur l’échafaud. Ils ont triomphé à Marseille, à Bordeaux, à Lyon. Ils auraient triomphé à Paris sans l’insurrection actuelle. Il faut que l’insurrection actuelle continue jusqu’à ce que les mesures nécessaires pour sauver la République aient été prises. Il faut que le peuple s’allie à la Convention et que la Convention se serve du peuple. Il faut que l’insurrection s’étende de proche en proche sur le même plan, que les sans-culottes soient payés et restent dans les villes. Il faut leur procurer des armes, les colérer, les éclairer, il faut exalter l’enthousiasme républicain par tous les moyens possibles.

Ce programme d’action, Robespierre s’efforça de le mettre en œuvre et de l’imposer, par morceaux, au Comité de salut public et à la Convention.

Le 8 juin, il combattit vigoureusement les mesures proposées par Barère, l’avant-veille, et soutenues par Danton. Il montra que la contre-Révolution régnait déjà à Marseille, à Lyon, à Bordeaux, qu’elle était antérieure aux événements de Paris. Révoquer Hanriot, changer son état-major, c’était désavouer l’insurrection du 2 juin, c’était risquer d’en provoquer une nouvelle. Supprimer les Comités de salut public c’était donner une revanche à l’aristocratie, désarmer les républicains. D’abord accueilli par de violents murmures, son discours finit par soulever les applaudissements. Saint-André l’appuya sans réserves : Il faut savoir si, sous le prétexte de la liberté, on peut tuer la liberté elle-même. Lejeune reprocha au Comité de salut public sa faiblesse et son aveuglement. Barère et Danton battirent en retraite et demandèrent eux-mêmes l’ajournement des mesures qu’ils avaient proposées. Vouloir que la Convention, a dit Michelet, réformât le 2 juin, c’était vouloir qu’elle s’avilît, qu’elle avouât avoir succombé à la crainte, à la violence, qu’elle annulât tout ce qu’elle avait fait ce jour.

Quand les faits justifièrent les appréhensions de Robespierre, quand on apprit, le 13 juin, la révolte des départements normands, quand il fallut songer à la répression, Danton prononça un brûlant éloge de Paris et fit décréter que Paris avait sauvé la République. De ce jour, le côté droit fut réduit au silence ; mais les lenteurs et les hésitations du Comité de salut public avaient permis le développement de la révolte girondine.

Cette révolte fut concertée et préméditée, même avant le 31 mai. Dès le 24 mai, le département du Jura avait invité les députés suppléants à se rendre à Bourges pour y former une assemblée de remplacement. Le département de l’Ain adopta son arrêté le 27 mai. Le député de Lyon Chasset avait écrit, le 15 mai, à son ami Dubost : Il s’agit de la vie et puis des biens. Marchez donc, animez vos amis. Le 25 mai, les sections de Bordeaux, dans une assemblée générale, avaient discuté le projet de lever des troupes pour les diriger sur Paris, etc.

La nouvelle de l’insurrection parisienne ne fit que précipiter et élargir un mouvement déjà commencé. Les chefs girondins se partagèrent les rôles. Leurs fuites, dit Claude Perroud leur historien, résultaient d’un plan concerté, débattu entre eux, ils l’ont avoué.

Buzot, réfugié dans l’Eure, son département, lui annonçait la dictature prochaine de Marat et de nouveaux massacres. Il le décidait, le 7 juin, à lever un corps de quatre mille hommes. Le Calvados suivit le 9 juin. Il fit mettre en arrestation les conventionnels Romme et Prieur (de la Marne), chargés d’organiser la défense des côtes contre l’Angleterre. Soulevés par Duchâtel, Meilhan, Kervélégan, les départements bretons, Finistère, Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord, Morbihan, Mayenne se fédéraient avec l’Eure et le Calvados dans une assemblée générale de résistance à l’oppression. Caen devenait la capitale de l’Ouest girondin. Félix Wimpfen, commandant de l’armée des côtes de Cherbourg, passait à l’insurrection avec deux régiments de cavalerie. Il recevait le renfort de trois superbes bataillons levés en Bretagne, composés, dit un contemporain qui combattit à côté d’eux, Vaultier, non de Bretons échevelés et déguenillés, mais tous de jeunes gens des meilleures familles de Rennes, Lorient, Brest, et tous en uniforme habillés de drap fin et parfaitement équipés.

Bordeaux expulsait, le 7 juin, les représentants Ichon et Dartigoyte, ordonnait, le 9 juin, la levée d’une force départementale de 1.200 hommes, convoquait pour le 16 juillet à Bourges une assemblée des représentants de tous les départements insurgés, s’emparait de 350.000 piastres destinées aux paiements de la marine et des colonies, expulsait de nouveau, le 27 juin, les représentants Mathieu et Treilhard envoyés par le Comité de salut public avec des propositions d’accord, écrivait enfin, le 30 juin, par la plume de Grangeneuve, une lettre à Custine, commandant notre principale armée, pour l’inviter à se rallier à la bonne cause. Mais Custine répondit à Grangeneuve par une semonce patriotique.

L’insurrection gagna un moment tout le Midi. Toulouse mettait en liberté les royalistes et les remplaçait dans les prisons par les maratistes. Elle levait une force de mille hommes. A Nîmes, où s’était rendu Rabaut Saint-Etienne, le club était fermé, les maratistes désarmés et emprisonnés. Marseille, déjà en pleine révolte avant le 31 mai, retenait six mille hommes destinés à l’armée d’Italie, et se mettait en rapport avec les villes du Midi.

Toulon se souleva, le 12 juillet, contre les représentants Pierre Bayle et Beauvais, qui furent emprisonnés au fort Lamalgue, après avoir été contraints à une amende honorable, cierges en main. Les amiraux Trogoff et Chaussegros adhérèrent au mouvement. Dès le milieu de mai, la Corse, soulevée par Paoli, avait élu une consulte extraordinaire et les Français ne se maintenaient plus que dans Bastia et dans quelques ports.

La révolte du Midi se liait étroitement avec la révolte lyonnaise qui avait elle-même des ramifications dans l’Est et le Centre. Sourds aux propositions conciliantes apportées de Paris par Robert Lindet, les Girondins lyonnais jetaient en prison quiconque était suspect de sympathiser avec la Montagne. Pour frapper de terreur les ouvriers jacobins, nombreux dans certains quartiers, ils faisaient condamner à mort leur chef Chalier qui fut exécuté le 16 juillet. Le commandement des troupes lyonnaises était bientôt confié au comte de Précy qui avait émigré.

Au milieu de juin, soixante départements environ étaient en rébellion plus ou moins ouverte. Heureusement, les départements de la frontière étaient restés fidèles à la Convention. Le soulèvement était plus étendu en surface qu’en profondeur. Il était essentiellement l’œuvre des administrations de département et de district composées de riches propriétaires. Les communes, de recrutement plus populaire, se montrèrent généralement tièdes ou hostiles. Les levées d’hommes ordonnées par les administrations insurgées rencontrèrent les plus grandes difficultés. Ouvriers et artisans se résignaient mal à se sacrifier pour les riches qui ne faisaient rien pour améliorer leur sort. Malgré les appels répétés des députés Chambon et Libon, les Bordelais ne purent réunir que quatre cents hommes. Quand Wimpfen, le 7 juillet, passa en revue la garde nationale de Caen et lui demanda des volontaires, dix-sept hommes seulement sortirent des rangs.

Mais la révolte fédéraliste n’eut pas seulement contre elle l’indifférence ou l’hostilité populaire, ses chefs même, malgré leurs phrases ronflantes, manquaient de foi en leur cause et ils se divisèrent de bonne heure.

Ceux qui étaient sincèrement républicains ne pouvaient pas manquer de s’inquiéter de l’invasion étrangère et de la Vendée, et cette inquiétude les paralysait. Ceux qui étaient ambitieux, se voyant repoussés du peuple, cherchèrent un appui chez les Feuillants et même chez les aristocrates. A Caen, Félix Wimpfen, royaliste avéré, qui avait déjà noué des relations avec l’ennemi, en septembre 1792, pendant le siège de Thionville, proposa aux députés girondins d’appeler les Anglais. Les députés repoussèrent sa suggestion, mais lui laissèrent son commandement. Il avait pour chef d’état-major le comte de Puisaye, qui se réfugiera chez les Vendéens, après l’échec de l’insurrection, avec le procureur général syndic du Calvados, le jeune Bougon-Longrais, ami de Charlotte Corday.

A Lyon, Précy envoya en Suisse le chevalier d’Arthès solliciter des secours des Bernois et des Sardes. Joseph de Maistre, qui dirigeait à Genève le service d’espionnage du roi de Sardaigne, lui promit, le 4 août, une diversion sur les Alpes et la diversion fut effectuée. Les royalistes lyonnais dissimulèrent cependant leur drapeau et n’osèrent pas proclamer Louis XVII, comme le firent les Toulonnais.

Autant la Convention avait montré d’imprévoyance dans les premiers jours, autant elle manifesta de vigueur et d’habileté à organiser la répression. Les chefs girondins rebelles furent frappés de décrets d’accusation, les administrateurs des départements révoltés destitués, le chef-lieu de l’Eure transféré d’Evreux à Bernay, le département de Vaucluse créé pour séparer les intérêts d’Avignon de ceux de Marseille, le département de la Loire extrait du département du Rhône-et-Loire afin d’opposer Saint-Etienne à Lyon.

La Convention distinguait soigneusement les chefs des comparses égarés. Robert Lindet fit accorder, le 26 juin, aux administrations rebelles, un délai de trois jours pour se rétracter. Mesure habile qui facilita les défections. Les administrateurs de la Somme, destitués le 14 juin, vinrent s’expliquer. Le Comité de salut public les renvoya, le 17 juin, sans les frapper. Saint-Just, chargé du rapport sur les députés décrétés d’arrestation, se montra d’une évidente modération : Tous les détenus, dit-il le 8 juillet, ne sont point coupables, le plus grand nombre n’était qu’égaré. Il distingua parmi eux trois catégories, celle des traîtres au nombre de neuf — Barbaroux, Bergoeing, Birotteau, Buzot, Gorsas, Lanjuinais, Louvet, Petion et Salle —, celle des complices au nombre de cinq — Gardien, Gensonné, Guadet, Mollevaut et Vergniaud —, celle des égarés qu’il proposait de rappeler dans la Convention, au nombre de quatorze. Cette modération était de nature à ramener l’opinion flottante.

Mais surtout la Montagne comprit qu’il fallait rallier les masses en leur donnant des satisfactions substantielles, selon le plan de Robespierre. Elle fit voter à cet effet trois grandes lois : 1° la loi du 3 juin sur le mode de vente des biens des émigrés. Ces biens seraient divisés en petites parcelles dont les acquéreurs pauvres auraient dix ans pour se libérer ; 2° la loi du 10 juin qui réglementa le partage des biens communaux. Le partage serait fait suivant le mode égalitaire par tête d’habitant. La mesure porta sur 8 millions d’arpents valant 600 millions ; 3° la loi du 17 juillet qui acheva la ruine complète du régime seigneurial, en abolissant sans indemnité même les droits et redevances fondés sur les titres primitifs. Les derniers parchemins féodaux devaient être détruits pour empêcher les propriétaires dépossédés de faire revivre un jour leurs prétentions. Ainsi la chute de la Gironde apparaîtrait aux paysans comme la libération définitive de la terre.

Un décret du 8 juin augmenta les traitements des fonctionnaires et, pour apaiser les classes moyennes qu’inquiétait l’emprunt forcé d’un milliard, un décret du 23 juin exempta, sur la motion de Robespierre, les personnes mariées dont les revenus nets seraient inférieurs à 10.000 livres et les célibataires au-dessous de 6.000 livres. Moyen opportun pour diviser et dissoudre le parti girondin composé en grande partie de gens aisés qu’on ramenait en les épargnant.

Cette offensive morale fut complétée et couronnée par le vote rapide d’une Constitution très libérale qui était une réponse parlante aux accusations de dictature formulées par les Girondins. Alors que la Constitution préparée par Condorcet renforçait le Conseil exécutif en le faisant élire par le peuple et le rendait indépendant de l’Assemblée, la Constitution montagnarde rédigée par Hérault de Séchelles affirmait la subordination des ministres à la représentation nationale. Elle supprimait le scrutin à deux degrés que Condorcet avait maintenu pour l’élection des députés et faisait élire ceux-ci non plus par un scrutin de liste très compliqué, mais à la majorité absolue et au suffrage universel et direct.

Seuls les corps administratifs continueraient d’être élus par les collèges électoraux et ceux-ci présenteraient en outre à l’Assemblée une liste de 83 candidats sur laquelle elle choisirait les 24 ministres. Enfin la Constitution montagnarde promettait l’éducation commune et garantissait le droit à la vie et elle faisait dépendre la déclaration de guerre d’une consultation préalable du pays. Soumise à une rati-fication populaire, elle fut approuvée par 1.801.918 oui contre 17.610 non. Mais il y eut plus de cent mille votants qui n’acceptèrent qu’avec des amendements fédéralistes, en demandant la mise en liberté des 22 et des 12, c’est-à-dire des députés mis en arrestation, l’annulation des lois votées depuis leur détention, la convocation d’une nouvelle assemblée, le rappel des représentants en mission, la suppression du maximum des grains, etc. Le plébiscite fut partout l’occasion de la débâcle du parti girondin. Mais celui-ci ne sera abattu que par le second Comité de salut public qui fut nommé le 10 juillet. Les révoltés de Normandie, commandés par Puisaye, se heurtèrent le 13 juillet, dans leur marche sur Paris, à une troupe de volontaires parisiens qui les dispersèrent à Brécourt, près de Vernon, par quelques coups de canon. Robert Lindet, envoyé à Caen, pacifia rapidement la contrée en réduisant la répression au minimum.

A Bordeaux, la résistance fut plus longue. Ysabeau et Tallien, qui avaient pénétré une première fois dans la ville, le 19 août, furent obligés de se réfugier à La Réole, la ville jacobine. Mais les sections sans-culottes de Bordeaux, excitées par les représentants, renversèrent la municipalité girondine le 18 septembre, et la répression commença.

Un moment, dans le Sud-Est, le danger avait été grand de la jonction des rebelles marseillais et nîmois avec les lyonnais. Les Nîmois s’avancèrent jusqu’à Pont-Saint-Esprit, les Marseillais, commandés par un ancien officier, Villeneuve-Tourette, passèrent la Durance, s’emparèrent d’Avignon, arrivèrent jusqu’à Orange. Mais le département de la Drôme resta fidèle à la Montagne. Du 24 au 26 juin se tint à Valence un Congrès de 42 sociétés populaires de l’Ardèche, de la Drôme, du Gard et des Bouches-du-Rhône, et ce congrès, dont Claude Payan fut l’âme, organisa la résistance. Carteaux eut le temps d’accourir avec un détachement de l’armée des Alpes où servait Bonaparte. Il reprit Pont-Saint-Esprit, sépara les Nîmois des Marseillais, refoula ceux-ci vers le sud. Il était à Avignon le 27 juillet. Il entra à Marseille le 25 août, juste à temps pour empêcher la ville de tomber au pouvoir des Anglais que Villeneuve-Tourette avait déjà appelés à son secours. Mais, deux jours plus tard, les Anglais entraient à Toulon à l’appel des amiraux Trogoff et Chaussegros qui leur livrèrent notre plus belle escadre. Pour reprendre Toulon il faudra un long siège qui durera jusqu’à la fin de décembre.

Lyon était isolé. Le Jura et l’Ain, qui auraient pu lui fournir des secours, avaient été rapidement pacifiés par les conventionnels Bassal et Garnier (de Saintes) qui avaient recruté une petite armée de 2 500 hommes dans la Côte-d’Or et le Doubs. Mais Lyon résista mieux que Bordeaux. Il ne se laissa pas intimider par le bombardement commencé par Dubois-Crancé dès le 22 août. Ses communications avec le Forez étaient restées libres. L’investissement ne fut complet que le 17 septembre, après que Couthon, Maignet et Châteauneuf-Randon eurent amené sous la ville rebelle les gardes nationaux du Cantal, de l’Aveyron, du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire. Lyon résista jusqu’au 9 octobre. Précy parvint à s’enfuir en Suisse avec une poignée d’hommes. La répression devait être terrible.

Les contrées où la révolte fut dangereuse furent précisément celles où les royalistes étaient restés nombreux. Entre la Montagne qui s’identifiait avec la République et le royalisme allié de l’ennemi, il n’y avait pas de place pour un tiers parti. Si la révolte fédéraliste, expression des rancunes de politiciens déchus et de l’égoïsme des classes, avait pu réussir, elle aurait certainement entraîné une restauration monarchique.

L’insurrection royaliste de la Vendée avait déjà obligé la Convention à faire un grand pas vers la Terreur, c’est-à-dire vers la dictature du pouvoir central et la suppression des libertés. L’insurrection girondine fit faire un nouveau pas décisif dans la même direction. Jusque-là les seuls suspects avaient été les royalistes. Maintenant une fraction importante de l’ancien parti révolutionnaire est rangée à son tour dans la catégorie des alliés de l’ennemi. Les soupçons grandissent. La ligne de démarcation entre les bons et les mauvais citoyens devient de plus en plus difficile à tracer. Comment reconnaître les véritables patriotes, les sincères amis de la liberté, si les Vergniaud et les Brissot, les Buzot et les Petion, qui avaient les premiers ébranlé le trône et réclamé la République, ne sont plus que des traîtres ? L’idée vient qu’il faut soumettre quiconque joue un rôle dans la République à une surveillance, à une inquisition de tous les instants. Les clubs vont s’épurer. Les administrations le seront à leur tour et, d’épurations en épurations, le personnel révolutionnaire se rétrécira tous les jours. Comme les Girondins se sont appuyés sur les classes possédantes, celles-ci deviennent d’emblée suspectes. La richesse sera une présomption d’aristocratie. Le parti révolutionnaire ne sera bientôt plus qu’une minorité ardente, jalouse, énergique. Seules les minorités, après tout, ont besoin de la dictature et de la violence. Mais la minorité jacobine pouvait abriter ses actes derrière la grande figure de la patrie qu’elle se donna mission de défendre et de sauver.