Les frontières naturelles, conquises à l’automne de 1792, furent perdues au printemps de 1793 en quelques semaines. Toute la Belgique était évacuée à la fin du mois de mars, après la défaite de Neervinden, et la rive gauche du Rhin avait le même sort quelques jours plus tard. Au début d’avril nous ne possédions plus au-delà de la frontière du N.-E. que la place de Mayence assiégée. Comment expliquer ces rapides revers après les prodigieux succès qui les avaient précédés ? Par la faute de Dumouriez qui avait refusé de faire marcher ses soldats jusqu’au Rhin, l’armée de Custine était séparée de l’armée de Belgique par toute une zone de territoire occupée par les Autrichiens et les Prussiens. Ceux-ci s’avançaient comme un coin entre les deux principales armées françaises tout le long de la Moselle, depuis Coblentz jusqu’à Luxembourg. Ils avaient ainsi une position centrale très forte qui leur permettait de manœuvrer par les lignes intérieures. Puis les coalisés avaient profité du répit que Dumouriez leur avait accordé pour renforcer leurs effectifs et resserrer leur alliance. Frédéric-Guillaume avait à cœur de venger l’échec de Valmy et il avait donné l’ordre à ses généraux de collaborer plus étroitement avec les Autrichiens. Dans la phase précédente, les armées françaises n’avaient vaincu que grâce à leur supériorité numérique et aux complicités d’une partie des populations belges et rhénanes. Ce double avantage leur fait maintenant défaut. Mal nourris et mal vêtus, par suite des vols des fournisseurs protégés par Dumouriez, beaucoup de volontaires, usant du droit que leur conférait la loi, sont rentrés dans leurs foyers. Le territoire étant délivré, ils ont cru leur mission terminée. Les armées françaises n’ont plus sur les armées adverses la supériorité du moral et elles n’ont plus davantage la supériorité du nombre. Au 1er décembre, elles comptaient environ 400.000 hommes. Au 1er février 1793, elles n’en ont plus que 228.000. L’armée de Belgique a peut-être été plus éprouvée que les autres. Il y a tel bataillon de volontaires, dit Dubois-Crancé le 7 février, auquel il ne reste pas cent hommes. Des compagnies comptaient cinq hommes. Ceux qui restent sont des pauvres diables ou des professionnels qui s’adonnent au pillage et à la maraude et qui ne brillent pas par la discipline, s’ils se comportent encore en braves. Si, du moins, le Gouvernement et le commandement étaient restés unis ! Mais jamais les divisions et les rivalités n’avaient été plus aiguës parmi les hommes qui dirigeaient l’État. Le Comité de défense générale, institué le ler janvier 1793, trop nombreux (24 membres), délibérant en public, n’était qu’une pétaudière. Le Conseil exécutif, qui lui était maintenant subordonné, ne parvenait à rien résoudre. Les affaires traînaient. Les généraux, forts de leurs victoires passées, obéissaient de moins en moins. Custine, longtemps respectueux, imitait maintenant Dumouriez et dénonçait à son tour, dans ses lettres à Lebrun, la soi-disant incapacité de Pache. Lebrun laissait dire sans rappeler le général à l’obéissance et aux convenances. Dumouriez faisait à Paris un long séjour rempli d’intrigues louches du 1er au 26 janvier, pendant le procès du roi. Si Cambon qu’il essaya de circonvenir resta irréductible, Danton, Cloots, les chefs girondins lui prêtaient le plus cordial appui. Danton n’hésita pas, le 21 janvier, à prendre position contre Pache, quoique avec des ménagements hypocrites. Sous prétexte que le ministère de la Guerre était trop lourd pour un seul homme, Pache fut renvoyé le 4 février et remplacé par Beurnonville, l’ami et l’instrument de Dumouriez, et Beurnonville fut pourvu de six adjoints qui se partagèrent les différents services. L’administration de la guerre était ainsi en pleine réorganisation à la veille de la reprise des hostilités. C’était le gâchis. Les généraux ayant fait sauter Pache n’étaient guère disposés à se montrer plus dociles à l’égard de son successeur. Custine n’aimait pas Beurnonville. Une des grandes faiblesses de l’armée, c’est qu’elle était partagée en régiments de ligne et en bataillons de volontaires ayant les uns et les autres un statut distinct et se jalousant réciproquement. Les volontaires élisaient leurs officiers, ils avaient une solde plus élevée, ils étaient soumis à une discipline moins rigoureuse. Pour faire cesser cette dualité fâcheuse de recrutement et de législation, Dubois-Crancé proposa, le 7 février, une réforme profonde, l’amalgame, qui consistait à réunir dans un même corps appelé demi-brigade, deux bataillons de volontaires avec un bataillon de ligne. Les soldats de ligne obtiendraient les mêmes avantages et les mêmes droits que les volontaires. Ils concourraient comme eux aux emplois vacants. Un tiers des places leur serait réservé et pour les deux autres tiers les nominations seraient faites par un ingénieux système de cooptation. Dès qu’un emploi serait vacant, les hommes des grades immédiatement inférieurs désigneraient trois candidats entre lesquels choisiraient les officiers ou sous-officiers du grade à pourvoir. Ainsi l’armée serait nationalisée, animée d’un même esprit, pourvue de droits égaux, soumise aux mêmes lois. La ligne se pénétrerait de l’esprit civique des volontaires et ceux-ci s’aguerriraient au contact des vieux soldats. Tous les généraux, sauf Valence, se montrèrent hostiles à la réforme. La plupart des Girondins et Barère lui-même la combattirent à la tribune. Elle fut cependant votée grâce aux Montagnards et surtout à Saint-Just, mais trop tard pour être mise en vigueur avant la reprise de la campagne. Elle ne s’exécutera que dans l’hiver de 1793-1794 et elle donnera alors les meilleurs résultats. En attendant, régiments de ligne et bataillons de volontaires restèrent séparés. Malgré les conditions d’infériorité manifeste dans lesquelles se trouvaient les armées françaises, le Comité de défense générale et le Conseil exécutif adoptèrent le plan d’offensive préconisé par Dumouriez. Offensive de désespoir. Dumouriez écrivait d’Anvers, le 3 février : Si l’armée de Belgique ne prévient pas l’ennemi, elle est perdue. Il ajoutait : Si on nous aide et surtout si on traite les Belges avec sagesse et fraternité, j’ose encore promettre de vaincre ; sinon je saurai mourir comme soldat. Il n’avait nulle envie de mourir, mais il voulait qu’on ménageât les Belges de crainte d’une révolte sur les derrières de ses troupes. Pendant qu’il laisserait sur sa droite le corps de Miranda assiéger Maëstricht et garder les passages de la Roer, pendant qu’un autre corps sous Valence se tiendrait sur la Meuse moyenne prêt à faire face soit aux Autrichiens du Luxembourg soit à ceux de la Roer, lui, Dumouriez, avec une troisième armée, dite de Hollande ou du Nord, se jetterait d’Anvers sur la Hollande par la basse Meuse droit vers Dordrecht et Amsterdam. Les autres armées du Rhin, de la Moselle, des Alpes, d’Italie, des Pyrénées resteraient sur la défensive. Dumouriez explique dans ses mémoires que s’il avait été victorieux, il aurait réuni la Belgique à la Hollande dans un seul État, dont il aurait proclamé l’indépendance, et qu’ensuite il aurait marché sur Paris pour dissoudre la Convention et anéantir le jacobinisme. Il n’aurait confié son projet qu’à quatre personnes, parmi lesquelles, dit Miranda, figuraient Danton, Delacroix et Westermann. Le plan de Dumouriez avait le défaut de disperser les forces déjà si faibles de la République au lieu de les concentrer sur un seul point. Si Miranda cédait sous la pression autrichienne, les communications de Dumouriez étaient menacées et son expédition de Hollande arrêtée net. D’abord tout alla bien. Avec 20.000 hommes, il entra en Hollande le 16 février et s’empara rapidement des trois places de Bréda, Gertruydenberg et Klundert qui se rendirent presque sans résistance. Mais, le 1er mars, l’armée de Cobourg se jetait sur l’armée de Belgique dispersée dans ses cantonnements de la Roer et surprise presque sans chefs. Le désastre fut effroyable. Les troupes en débandade évacuèrent Aix-la-Chapelle sans combat. Miranda leva précipitamment le siège de Maëstricht. Liège, à son tour, fut évacuée dans un désordre inexprimable. Valence, qui était accouru, eut grand-peine à rallier les débris des armées. Après le désastre, dont ils avaient été témoins, Danton et Delacroix se rendirent à Paris moins pour rassurer les esprits que pour sonner l’alarme. Le 8 mars, Delacroix, démentant brutalement l’optimisme de Beurnonville, fit de la situation militaire la plus sombre peinture et Danton renchérit sur Delacroix. Ils firent décider que la Convention enverrait immédiatement dans les sections de Paris et dans les départements des commissaires pris parmi ses membres pour hâter le recrutement des 300.000 hommes dont la levée venait d’être ordonnée. Le soir même, les sections de Paris s’assemblèrent au milieu d’une fièvre patriotique analogue à celle qui les avait secouées à la fin d’août, au moment de la prise de Longwy. Plusieurs, comme celle du Louvre, à l’instigation d’un ami de Danton, Desfieux, réclamèrent l’institution d’un tribunal révolutionnaire pour punir les agents de l’ennemi à l’intérieur. Carrier en fit la proposition le lendemain 9 mars. Danton l’appuya avec force et la fit voter malgré l’opposition violente des Girondins. Le soir même, l’agitation s’intensifiait dans Paris. La société des défenseurs de la République, la section des Quatre-Nations, le club des Cordeliers lançaient un manifeste menaçant contre Dumouriez et contre les Girondins rendus responsables des défaites. Un comité insurrectionnel se formait et essayait d’entraîner les Jacobins et la Commune qui résistaient. Des bandes pillaient les imprimeries de la Chronique de Paris et du Patriote français. Le lendemain, 10 mars, Danton remonta à la tribune pour attaquer le ministère et demander qu’il fût renouvelé et qu’on pût le composer de membres de la Convention. Les Girondins l’accusèrent d’aspirer à la dictature et sa proposition fut repoussée. Mais le soir même les troubles recommencèrent. Des agitateurs connus par leurs liaisons avec Danton essayèrent de soulever les sections. La pluie, le refus de Santerre et de Pache de seconder l’insurrection, la ferme attitude des fédérés du Finistère dispersèrent les émeutiers. Les contemporains ont cru que ces journées des 9 et 10 mars avaient été organisées par Danton d’accord avec Dumouriez. Pendant que Danton attaquait les ministres à la Convention, un agent de Dumouriez, de Maulde, les attaquait aux Jacobins. Danton cependant faisait un vif éloge de Dumouriez, tandis que les émeutiers demandaient sa destitution et l’expulsion des appelants de la Convention. Contradiction apparente et voulue. Les émeutiers étaient conduits par des hommes, comme Desfieux et comme Proli, qui naguère avaient été les prôneurs attitrés de Dumouriez et qui seront mêlés dans de louches intrigues avec lui, à la veille de sa trahison toute proche. On ne les crut pas sincères quand on les entendit vitupérer le général qu’ils élevaient la veille au pinacle et avec lequel ils s’entendront le lendemain. On connaissait leur passé trouble. On crut que ces gens sans aveu jouaient pour de l’argent le rôle que Danton, qui les payait, leur avait assigné. Ce qui acheva de donner corps aux soupçons, ce fut l’attitude arrogante que prit Dumouriez, au moment même des troubles. Valence éperdu l’avait rappelé à son secours le 2 mars : Venez ici, il faut changer le plan de campagne, les minutes sont des siècles. Il n’avait d’abord rien voulu entendre. Il prétendait que le meilleur moyen de défendre la Belgique, c’était de continuer sa marche sur Rotterdam. Quand il partit enfin pour rejoindre Miranda, le 10 mars, sur l’ordre exprès du Conseil exécutif, il partit seul, laissant en Hollande son armée qui eût été indispensable pour réparer le désastre. Or, pendant que Danton rassurait la Convention sur son compte, il se conduisait en dictateur, se mettant au-dessus des lois. Par une série de proclamations qui se succédèrent coup sur coup, le 11 mars, il ordonnait la restitution de l’argenterie enlevée aux églises belges, la fermeture de tous les clubs, dont certains avaient reçu sa visite, l’arrestation de plusieurs commissaires du Conseil exécutif, comme Chépy. Bref, il anéantissait d’un trait de plume toute l’œuvre révolutionnaire accomplie depuis le décret du 15 décembre. Comme les commissaires de la Convention, Camus et Treilhard, qui le joignaient à Louvain, lui reprochaient sa conduite, il écrivait à la Convention, le 12 mars, la lettre la plus insolente. Il rendait les bureaux de la guerre responsables de la défaite, il déclarait que les réunions avaient été opérées en Belgique à coups de sabre et il évoquait jusqu’au souvenir du duc d’Albe. Sa lettre fut lue au Comité de défense générale, le 15 mars, en même temps qu’une dépêche de Treilhard et de Camus qui attiraient l’attention sur les actes et les menaces du général qu’ils qualifiaient d’événements graves. Barère demanda aussitôt au Comité le décret d’accusation contre Dumouriez. Mais Danton s’opposa à cette mesure qui s’imposait et qui aurait sauvé l’armée. Il dit que Dumouriez avait la confiance du soldat et que sa destitution serait désastreuse. Le Comité se laissa convaincre. Danton et Delacroix repartirent pour la Belgique : Nous le guérirons ou nous le garrotterons ! avaient-ils dit. Paroles vaines. Dumouriez, regroupant les armées de Valence et de Miranda, avait d’abord chassé les Impériaux de Tirlemont, le 16 mars, mais, deux jours plus tard, il subissait une grave défaite à Neervinden sur la Geete. Ses troupes démoralisées battaient en retraite sur Bruxelles quand Danton et Delacroix le rejoignirent à Louvain, dans la nuit du 20 au 21 mars. Ils lui demandèrent de rétracter sa lettre du 12 mars à la Convention. Dumouriez s’efforça de les animer contre les Girondins. Il refusa de se rétracter. Tout ce que les commissaires obtinrent, ce fut un court billet par lequel il priait l’Assemblée de ne rien préjuger sur sa lettre du 12 mars avant qu’elle eût reçu le résultat de ses conférences avec ceux-ci, qui s’en contentèrent. Pendant que Delacroix restait au quartier général, Danton retourna à Paris pour informer le Comité. Il plane sur son retour une étrange obscurité. Il aurait dû avoir hâte de rentrer le plus tôt possible pour rendre compte du désastre de Neervinden et de la rébellion de Dumouriez. Or, il ne reparut au Comité que le 26 mars au soir, quand il ne fallait que deux jours au grand maximum pour faire le trajet de Bruxelles et il était parti le 21 de grand matin. Pendant cinq longs jours il disparut, il resta introuvable. Et Dumouriez mettait à profit ce répit pour jeter le masque et changer sa rébellion en trahison. Le 23 mars, il entrait en rapport avec Cobourg par l’intermédiaire de son aide de camp Montjoye. Il lui exposait son projet de dissoudre la Convention par la force et de rétablir la monarchie. Il s’engagea à évacuer toute la Belgique et à remettre à l’ennemi les trois places d’Anvers, de Bréda et de Gertruydenberg. Ce qui fut immédiatement exécuté. Le 26 mars, Dumouriez se rencontrait à Tournai avec trois Jacobins très suspects, agents secrets employés par Lebrun, Dubuisson, Pereira et Proli, qui avaient joué un rôle dans les troubles de Paris des 9 et 10 mars et qui avaient très probablement conféré avec Danton avant de voir Dumouriez. D’après celui-ci, ces trois hommes étaient venus lui proposer de s’entendre avec les Jacobins pour dissoudre la Convention. D’après leur version, ce serait Dumouriez lui-même qui aurait fait cette proposition qu’ils auraient rejetée. Il fut question au cours de l’entretien de la délivrance de la reine. Or, pendant que Dumouriez conférait à Tournai avec ces trois émissaires suspects, Danton persistait à le défendre devant le Comité de défense générale contre Robespierre qui réclamait en vain sa révocation immédiate, ce jour même du 26 mars. Ce ne fut que le 29 mars au soir que le Comité se décida enfin à prendre la mesure que Danton avait retardée depuis quinze jours. Il décida d’envoyer à l’armée quatre nouveaux commissaires, Camus, Quinette, Lamarque et Bancal, avec le ministre de la Guerre Beurnonville, pour destituer Dumouriez et le mettre en arrestation. Ce furent les commissaires et le ministre qui furent arrêtés. Dumouriez les livra à l’ennemi le 1er avril au soir. Ils resteront deux ans en captivité. Dumouriez essaya d’entraîner son armée sur Paris pour rétablir la monarchie. Mais tous les commissaires de la Convention n’avaient pas été arrêtés. Ceux qui étaient restés à Lille le mirent hors la loi et défendirent à ses lieutenants de lui obéir. Le Veneur, qui commandait au camp de Maulde, se hâta d’envoyer son aide de camp Lazare Hoche pour avertir la Convention des ordres donnés par Dumouriez. Davout, qui commandait le 3e bataillon des volontaires de l’Yonne, ordonna à ses hommes de tirer sur celui-ci le 4 avril. Pour échapper aux balles, Dumouriez dut s’enfuir à bride abattue chez les Autrichiens et, quand il revint au camp de Maulde, le 5 avril, escorté par des dragons impériaux, sa trahison flagrante souleva contre lui l’armée qui se mit d’elle-même en marche vers Valenciennes. Dumouriez se réfugia chez les Autrichiens avec Égalité fils, Valence et un millier d’hommes. Les Comités crurent que Dumouriez avait des complices à Paris même et jusque dans la Convention. Réunis dans la nuit du 31 mars au ler avril, les Comités de défense et de sûreté générale firent arrêter Philippe Égalité et le marquis de Sillery son ami, également député. Ils invitèrent en même temps Danton à venir leur donner des éclaircissements sur la situation de la Belgique. C’était presque un mandat d’amener, car semblable lettre avait été écrite à Philippe Égalité et à Sillery. Le bruit courut que Danton était lui aussi arrêté. Marat lui avait reproché le soir même aux Jacobins ce qu’il appelait son imprévoyance. Le 1er avril, à la Convention, Lasource accusa nettement Danton de s’être entendu avec Dumouriez pour faire réussir son coup d’État monarchique. Birotteau prétendit que Fabre d’Eglantine avait proposé au Comité de sûreté générale de rétablir la royauté. Ni Lasource ni Birotteau ne connaissaient les relations secrètes que Danton avait entretenues au moment même avec l’émigré Théodore Lameth qui les a racontées dans ses mémoires. Danton paya d’audace. D’accusé, il se fit accusateur. Les amis de Dumouriez, dit-il, c’étaient Brissot, Guadet, Gensonné, qui correspondaient régulièrement avec lui. Les amis de la royauté, c’étaient ceux qui avaient voulu sauver le tyran, ceux qui calomniaient Paris, citadelle de la Révolution. La Montagne coupait sa violente attaque d’applaudissements frénétiques. Marat lui soufflait de nouvelles accusations : Et leurs petits soupers ? disait Marat, et Danton reprenait : Il n’y a que ceux qui ont fait des soupers clandestins avec Dumouriez, quand il était à Paris... — Marat : Lasource ! Lasource en était ! — Danton : Oui, eux seuls sont les complices de la conjuration ! La manœuvre réussit. La commission d’enquête que les Girondins avaient d’abord fait voter ne fut jamais formée. Bien mieux, Danton entrait avec Delacroix au Comité de salut public, créé, le 5 avril, en remplacement du Comité de défense générale et sur des bases nouvelles. Le nouveau Comité n’aurait plus que neuf membres, délibérerait en secret et aurait des pouvoirs accrus. Un an plus tard, les mêmes Montagnards, qui avaient porté Danton en triomphe parce qu’il les avait vengés de la Gironde, reprendront contre lui les accusations de Birotteau et de Lasource. Ils croiront eux aussi à sa complicité avec Dumouriez et ils le feront traduire pour royalisme au tribunal révolutionnaire. La Coalition avait vengé ses revers de l’année précédente. Ses armées allaient de nouveau porter la guerre sur le territoire français. Et devant l’immense péril, la France se déchirait elle-même. Déjà la Vendée faisait rage ! |