La lutte entre ceux qui avaient fait le 10 août et ceux qui n’avaient pu l’empêcher emplit les huit premiers mois de la Convention. Elle fut tout de suite d’une violence extrême. Prenant l’offensive les Girondins s’efforcèrent, par un coup d’audace, dès le 25 septembre, d’exclure de l’Assemblée les chefs montagnards qu’ils redoutaient par dessus tout et contre lesquels ils nourrissaient les plus vives rancunes : Robespierre et Marat. Ils voulaient ainsi frapper l’opposition à la tête et régner ensuite sur une Assemblée docile. Le pasteur Lasource, qui avait déjà tenté de faire traduire Robespierre devant la Haute Cour, à la veille du 10 août, commença l’assaut. Je ne veux pas que Paris, dirigé par des intrigants, devienne dans l’Empire français ce que fut Rome dans l’Empire romain. Il faut que Paris soit réduit à un 83e d’influence comme chacun des autres départements. Et Lasource exhala ses rancunes contre ces hommes, dit-il, qui n’ont cessé de provoquer les poignards contre les membres de l’Assemblée législative qui ont le plus fermement défendu la cause de la liberté... contre ces hommes qui veulent amener l’anarchie par les désordres des brigands envoyés par Brunswick et, par cette anarchie, parvenir à la domination dont ils ont soif. Lasource n’avait nommé personne, mais, Osselin, ayant défendu la députation de Paris, dont il était membre, et ayant demandé, pour dissiper les soupçons, que tous les Conventionnels fussent tenus de jurer anathème à l’oligarchie et à la dictature, le jeune Rebecqui, député de Marseille, lança cette interruption : Le parti qu’on vous a dénoncé, dont l’intention est d’établir la dictature, c’est le parti de Robespierre, voilà ce que la notoriété publique nous a appris à Marseille. J’en atteste mon collègue M. Barbaroux, et c’est pour le combattre que nous avons été envoyés, je vous le dénonce. Ainsi perçait tout à coup le dessein de la Gironde. Alors Danton, sentant tout le danger politique d’un débat personnel et rétrospectif qui opposerait en ennemis irréductibles les chefs des deux partis, Danton, qui d’ailleurs pouvait craindre pour lui-même une enquête trop poussée sur ses actes et sur son entourage, Danton essaya fort habilement de noyer les accusations réciproques sous le double désaveu théorique de la dictature et du fédéralisme. Pour inspirer confiance il commença son apologie personnelle en rompant toute solidarité avec Marat, un homme dont les opinions sont pour le parti républicain ce qu’étaient celles de Royou pour le parti aristocratique. — Assez et trop longtemps l’on m’a accusé d’être l’auteur des écrits de cet homme ; [...] mais n’accusons pas, pour quelques individus exagérés, une députation tout entière. Et Danton, ayant jeté par dessus bord l’Ami du peuple, conclut par une double proposition de nature à satisfaire les deux parties opposées de l’Assemblée. Il demanda la peine de mort contre quiconque réclamerait la dictature ou le triumvirat et la même peine contre ceux qui voudraient morceler la France. Il descendit de la tribune sur un patriotique appel à l’union : Ce ne sera pas sans frémir que les Autrichiens apprendront cette sainte harmonie, alors, je vous jure, nos ennemis sont morts. Il fut vivement applaudi. Après que Buzot, qui craignait le vote immédiat des propositions de Danton, eut présenté audacieusement son propre projet de garde départementale comme inspiré par une pensée d’union et d’unité, Robespierre prononça une longue et hautaine apologie toute remplie de ses services passés : Je ne me regarde pas comme un accusé, mais comme le défenseur de la cause du patriotisme... Loin d’être ambitieux, j’ai toujours combattu les ambitieux. Il s’indigna des calomnies girondines qui l’avaient représenté avant le 10 août en conférence avec la reine et la princesse de Lamballe. Il avoua qu’il avait soupçonné ses adversaires de vouloir faire de la République un amas de républiques fédératives, quand il les avait vus se dresser en accusateurs des héros du 10 août et transformer faussement ceux-ci en champions de la loi agraire. Il défia ses adversaires d’apporter contre lui la moindre inculpation fondée et il conclut en demandant le vote des deux propositions de Danton. Barbaroux voulut relever le défi de Robespierre. Pour prouver que celui-ci avait aspiré à la dictature, il invoqua une conversation qu’il avait eue avec Panis quelques jours avant l’insurrection : Le citoyen Panis nous désigna nominativement Robespierre comme l’homme vertueux qui devait être dictateur de la France. Cette singulière preuve fit murmurer l’Assemblée. Panis démentit Barbaroux : D’où a-t-il pu inférer une pareille accusation ? Quels sont ses témoins ? — Moi, monsieur, interrompit Rebecqui. — Vous êtes son ami, je vous récuse, répliqua Panis qui ajouta : Quoi ! Dans l’instant où les patriotes étaient prêts à être immolés, où notre seul soin, notre seule pensée étaient de faire le siège des Tuileries, nous aurions songé à la dictature dans un moment où nous étions trop persuadés de l’insuffisance de notre force... Dans un moment où je crois à chaque instant voir Paris égorgé, j’aurais songé à établir une autorité dictatoriale ! Sentant que l’accusation contre Robespierre faisait long feu, d’autres Girondins, comme Boileau et Cambon, firent diversion en se livrant à une vive attaque rétrospective contre la dictature, plus réelle celle-ci, de la Commune de Paris. Brissot rappela le mandat de perquisition qu’elle avait lancé contre lui pendant les massacres. Ce fut l’occasion pour Panis de justifier le Comité de surveillance : Qu’on se représente notre situation, nous étions entourés de citoyens irrités des trahisons de la Cour... Beaucoup de citoyens vinrent nous dire que Brissot partait pour Londres avec les preuves écrites de ses machinations : je ne croyais pas sans doute à cette inculpation, mais je ne pouvais répondre personnellement et sur ma tête qu’elle ne fût pas vraie. J’avais à modérer l’effervescence des meilleurs citoyens reconnus pour tels par Brissot lui-même. Je ne crus pouvoir mieux faire que d’envoyer chez lui des commissaires pour lui demander fraternellement la communication de ses papiers, convaincus que cette communication ferait éclater son innocence et dissiperait tous les soupçons, ce qui, en effet, est arrivé... Cette explication portait le caractère de la vérité. L’accusation de la Gironde, toute rétrospective d’ailleurs, s’effondrait. Marat demanda la parole. Les Girondins poussèrent des clameurs : A bas de la tribune ! Marat, calme et dédaigneux, leur lança : J’ai donc, dans cette Assemblée, un grand nombre d’ennemis personnels ! — Tous, tous, crièrent les Girondins. Il reprit, sans s’émouvoir : Si j’ai dans cette Assemblée un grand nombre d’ennemis, je les rappelle à la pudeur et à ne pas opposer de vaines clameurs, des huées ni des menaces à un homme qui s’est dévoué pour la patrie et pour leur propre salut. Cette attitude en imposa. Il put parler. Allant droit à l’accusation de dictature, il plaida coupable et, avec autant d’adresse que de crânerie, il s’empressa de mettre hors de cause Robespierre et Danton : Je dois à la justice de déclarer que mes collègues, nommément Robespierre, Danton, ainsi que tous les autres, ont constamment improuvé l’idée soit d’un tribunat, soit d’une dictature. Si quelqu’un est coupable d’avoir jeté dans le public ces idées, c’est moi, je crois être le premier écrivain politique, et peut-être le seul en France depuis la Révolution, qui ait proposé un tribun militaire, un dictateur, des triumvirats comme le seul moyen d’écraser les traîtres et les conspirateurs. Il invoqua pour sa défense la liberté de la presse et, sans rien renier de ses opinions, sans se diminuer par une rétractation, exposa de nouveau sa théorie du dictateur, homme sage et fort, qui n’aurait d’autorité que pour abattre les têtes criminelles et serait enchaîné à la patrie par un boulet au pied. Très habilement, il mit en garde l’Assemblée contre ceux qui voulaient y jeter la discorde et la distraire des grands objets qui devaient l’occuper. Visiblement, le langage de Marat fit impression par sa sincérité et Vergniaud souleva des murmures quand, montant ensuite à la tribune, il affecta de lui jeter une injure méprisante : Si c’est un malheur pour un représentant du peuple, c’est pour mon cœur celui d’être obligé de remplacer à cette tribune un homme contre lequel il a été rendu un décret d’accusation et qui a élevé sa tête au-dessus des lois, un homme enfin tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang. Cette indignation de mélodrame parut déplacée. Vergniaud fut interrompu et Petion dut intervenir pour lui maintenir la parole. Vergniaud donna lecture de la fameuse circulaire par laquelle le Comité de surveillance de la Commune avait conseillé aux départements de généraliser les massacres. Or, au moment même où cette circulaire était rédigée, Robespierre dénonçait à la Commune le prétendu complot formé par les chefs girondins pour livrer la France à Brunswick. Cela est faux, interrompit Robespierre. — J’en ai la preuve, répliqua Lasource. Au lieu d’exiger que la question fût vidée sur-le-champ, Vergniaud n’insista pas : Comme je parle sans amertume, je me féliciterai d’une dénégation qui me prouvera que Robespierre aussi a pu être calomnié. Vergniaud conclut son réquisitoire passionné contre la Commune en réclamant une punition exemplaire pour les signataires de la circulaire du Comité de surveillance, au nombre desquels étaient Panis, Sergent et Marat. Pour accabler Marat, le Girondin Boileau donna lecture d’un article où Marat avait fait appel à une nouvelle insurrection et préconisé l’établissement d’un dictateur. De nombreux députés crièrent qu’il fallait envoyer Marat à l’Abbaye. Le décret d’accusation allait être voté quand Marat, très calme, avoua qu’il était l’auteur de cet article dénoncé par Boileau, mais il ajouta que cet article, déjà ancien, avait été écrit dans un moment d’indignation. Depuis il avait changé d’avis, il avait rendu hommage à la Convention, et, pour preuve, il fit lire l’article récent où il exposait sa nouvelle marche. L’effet produit fut considérable. Marat conclut en tirant de sa poche un pistolet qu’il appliqua à son front : Je dois déclarer que si le décret d’accusation eût été lancé contre moi, je me brûlais la cervelle au pied de la tribune. Voilà donc le fruit de trois années de cachots et de tourments essuyés pour sauver la patrie ! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, des dangers que j’ai courus ! Eh bien ! je resterai parmi vous pour braver vos fureurs ! Les Girondins avaient manqué leur coup. Impuissants à atteindre Robespierre, ils avaient grandi Marat en lui donnant l’occasion de se révéler tel qu’il était devant la Convention et devant la France. Finalement, Couthon tira la conclusion du débat en proposant de décréter l’unité de la République. On ne discuta que sur la rédaction et on adopta la formule célèbre : La République française est une et indivisible. C’était la répudiation du fédéralisme, du projet prêté aux Girondins de vouloir appliquer à la France la Constitution des États-Unis. Couthon demanda ensuite qu’on décrétât la peine de mort contre quiconque proposerait la dictature. Marat réclama une addition et contre le machinateur qui se déclarera inviolable. — Si vous vous élevez au-dessus du peuple, le peuple déchirera vos décrets. L’addition visait à la suppression de l’immunité parlementaire. Cambon et Chabot combattirent à leur tour la proposition de Couthon au nom de la liberté des opinions, du droit imprescriptible de la pensée. Et l’Assemblée se rendit à leurs raisons. Elle voulait bien condamner le fédéralisme, elle se refusait à condamner l’idée de la dictature. A cette grande séance du 25 septembre, Danton s’était révélé comme un manœuvrier remarquable, possédant parfaitement l’art de conduire les Assemblées en parlant à leurs passions autant qu’à leur raison. C’était lui qui avait mis en déroute le plan de la Gironde. Celle-ci ne pouvait pas manquer de lui en garder du ressentiment. Elle l’avait d’abord écarté de ses attaques. Elle comprit qu’elle n’aurait pas raison de la Montagne sans le mettre lui-même en cause. Danton aurait voulu que le premier soin de la Convention fût de renouveler le ministère pour le composer d’hommes nouveaux, étrangers aux querelles passées. La loi de la Constituante toujours en vigueur stipulait l’incompatibilité des fonctions de ministre et de député. Il déclara dès la première séance qu’il optait pour le mandat législatif. Son geste entraînait celui de Roland. Le poste de ministre était beaucoup mieux rétribué que celui de député. Roland serait-il moins désintéressé que l’agitateur que les Girondins s’efforçaient de mépriser ? Après quelques hésitations, car son élection dans la Somme était contestée, Roland s’exécuta dans une langue prudhommesque émaillée de maximes comme celle-ci : Il est facile d’être grand quand on s’oublie soi-même et l’on est toujours puissant quand on ne craint pas la mort. Après avoir tracé les devoirs de son successeur, il recommandait à la Convention un de ses anciens commis, Pache, dont il faisait un éloge emphatique : Nouvel Abdolonyme, il doit être placé au poste où sa sagesse peut opérer le plus grand bien. Mais Roland n’avait démissionné que pour la forme. Ses amis de l’Assemblée considérèrent sa retraite comme une calamité publique et ils s’efforcèrent d’obtenir un vote l’invitant à rester en fonctions. Au cours d’une discussion très vive qui s’engagea à ce sujet, le 27 septembre, Danton s’emporta jusqu’à dire : Si vous faites cette invitation, faites-la donc aussi à Mme Roland, car tout le monde sait que Roland n’était pas seul dans son département. Moi, j’étais seul dans le mien et la nation a besoin de ministres qui puissent agir sans être conduits par leur femme. L’Assemblée avait beau savoir que Danton ne disait que la vérité, elle éclata en murmures prolongés. En ce XVIIIe siècle si policé, s’attaquer à une femme était un geste inélégant que toute la presse, presque sans exception, releva sans ménagement. Mais Danton ne se piquait pas d’être un homme du monde. Les murmures ne firent que le rendre plus brutal. Il porta à Roland un nouveau coup terrible en révélant, ce qu’on ignorait encore, que le vertueux vieillard avait voulu évacuer Paris après la prise de Longwy. Les comptes rendus notent que les paroles de Danton provoquèrent une vive agitation. Il conclut qu’il fallait sans plus tarder remplacer Roland par Pache. Ce fut le contraire qui arriva. Le lendemain, dans une longue épître moralisante, dénuée de toute modestie, le mari de Mme Roland déclara qu’il gardait son portefeuille : J’y reste, parce qu’il y a des dangers ; je les brave, parce que je n’en crains aucun, dès qu’il s’agit de servir ma patrie. Et il se lança dans une attaque vague et perfide contre les Sylla et les Rienzi du jour, affirmant avec intrépidité que les projets de dictature et de triumvirat avaient existé. Sa lettre déchaîna quatre salves d’applaudissements et fut envoyée aux départements. Servan, ayant quitté le ministère de la Guerre pour aller commander l’armée en formation sur les Pyrénées, fut remplacé par Pache, mais Pache était un révolutionnaire sincère, étranger aux intrigues et encore plus aux factions. Il devait cruellement décevoir l’attente des Girondins et justifier l’éloge que Danton avait spontanément donné à son patriotisme. Quant à Danton lui-même, il fut définitivement remplacé au ministère de la Justice, le 9 octobre, par un homme de lettres inconsistant, Garat, très lié avec les chefs girondins. Mais il ne suffisait pas à ceux-ci d’avoir placé au Conseil exécutif des hommes qu’ils croyaient être à leur dévotion. Ils avaient des rancunes à satisfaire, des représailles à exercer. Déjà Roland, dans la lettre du 30 septembre qu’il avait écrite à la Convention pour reprendre sa démission, avait inséré une phrase pleine de sous-entendus : Je suis intimement convaincu qu’il ne peut exister un véritable patriotisme là où il n’y a pas de moralité. La moralité, c’était le point faible de Danton, le défaut de sa cuirasse. Un ministre sorti de charge devait, en ce temps-là, rendre de sa gestion non seulement un compte moral, mais un compte financier. Ce n’était pas une simple formalité. Les mémoires des ministres étaient examinés avec soin, sur pièces justificatives. Quand les comptes de Danton vinrent en discussion, le 10 octobre, sur un rapport de Mallarmé, Cambon, qui était toujours très hostile à la Commune, s’exprima en termes sévères : J’observe que le mode suivi par le ministre de la Justice détruit tout ordre de comptabilité, car les dépenses faites par les ministres doivent être payées au fur et à mesure et sur les ordonnances, et, par conséquent, il ne doit jamais leur rester de sommes en caisse. Cambon ne s’en tint pas à ce blâme, il conclut qu’il fallait obliger les ministres à rendre compte non seulement de leurs dépenses extraordinaires — ce que Danton avait fait —, mais aussi de leurs dépenses secrètes — ce qu’il s’était dispensé de faire —. Ainsi mis en cause, Danton se retrancha derrière le Conseil exécutif, auquel il avait rendu compte, dit-il, de ses dépenses secrètes. Cambon avait été vivement applaudi. Danton descendit de la tribune au milieu d’un silence glacial. La Convention l’invita, par un vote, à justifier de nouveau devant le Conseil exécutif de l’emploi des 200.000 livres qui avaient été mises à sa disposition pour dépenses secrètes. Comme il ne bougea pas, Roland vint présenter avec affectation à l’Assemblée, le 18 octobre, ses propres comptes avec des commentaires qui visaient directement son ancien collègue : Comme je ne connais rien de secret et que je désire que mon administration soit mise au grand jour, je prie l’Assemblée de se faire lire ces comptes. Alors Rebecqui : Je demande que tous les ministres rendent compte comme Roland. Danton, de nouveau, dut monter à la tribune pour se justifier. Il s’embarrassa dans les distinguo et finit par des aveux : ... Lorsque l’ennemi s’empara de Verdun, lorsque la consternation se répandait même parmi les meilleurs et les plus courageux citoyens, l’Assemblée législative nous dit : n’épargnez rien, prodiguez l’argent, s’il le faut, pour ranimer la confiance et donner l’impulsion à la France entière. Nous l’avons fait, nous avons été forcés à des dépenses extraordinaires ; et, pour la plupart de ces dépenses, j’avoue que nous n’avons point de quittances bien légales. Tout était pressé, tout s’est fait avec précipitation ; vous avez voulu que les ministres agissent tous ensemble, nous l’avons fait et voilà notre compte. Des murmures éclatèrent. Cambon somma Roland de dire s’il avait vérifié les comptes des dépenses secrètes de Danton. Roland répondit qu’il en avait cherché les traces sur les registres du Conseil et qu’il ne les avait point trouvées. Une vive émotion agita l’Assemblée. Camus proposa le décret d’accusation contre les ministres qui ont dilapidé les finances de l’État. Finalement, un décret, rendu sur la motion de Larivière, ordonna au Conseil de justifier dans les 24 heures de la délibération qu’il avait dû prendre à l’effet d’arrêter le compte des sommes mises à sa disposition pour dépenses secrètes. Le Conseil était dans l’impossibilité d’exhiber une délibération qui n’existait pas. Il prit le parti de faire le mort. Mais, le 25 octobre, Danton ayant voulu prendre la parole, les Girondins étouffèrent sa voix sous les clameurs et lui réclamèrent ses comptes. Le 30 octobre, un nouveau décret mit les ministres en demeure de s’exécuter. Le 7 novembre, Monge, Clavière, Lebrun se résignèrent à obéir. Ils exposèrent que, le 6 octobre, Danton et Servan leur avaient donné connaissance en détail de l’emploi de leurs dépenses secrètes, mais qu’ils n’avaient pas cru devoir en tenir registre. Ni Cambon ni Brissot ne désarmèrent. Ils reprirent leurs critiques et la Convention refusa de donner quitus à Danton. Il est vrai qu’elle refusa aussi de le condamner. Mais, dès lors, à toutes les occasions, les Girondins brandirent contre Danton l’histoire de ses comptes. Ils avaient malheureusement la partie belle pour incriminer sa probité. Danton protégeait des fournisseurs aussi véreux que le fameux abbé d’Espagnac. Il avait pris comme secrétaire au ministère de la Justice le poète décavé Fabre d’Eglantine qui, pour se refaire, s’était improvisé fournisseur aux armées et s’exposait aux critiques de Pache parce qu’il n’exécutait pas ses marchés, tout en empochant les avances qu’il se faisait remettre. Danton avait accru sa fortune d’une façon inexplicable. Il menait grand train, achetait des biens nationaux dans l’Aube, possédait trois domiciles à Paris et dans les environs. Il était vulnérable. Les journaux girondins, les pamphlets de Brissot, les mémoires de Mme Roland sont remplis d’allusions très claires à sa vénalité. Roland enrôla dans sa police un aventurier du nom de Roch Marcandier, ancien secrétaire de Camille Desmoulins, et le chargea de déshonorer Danton et ses amis dans un pamphlet périodique très violent, mais où tout n’était pas inventé, l’Histoire des hommes de proie. Soit lassitude, soit dédain, soit tactique, crainte d’aggraver son cas, Danton ne répliqua rien aux attaques furieuses dont il fut l’objet. Il en sortit diminué dans l’esprit de beaucoup de conventionnels et il ne put faire tout le bien qu’il s’était promis de sa politique de conciliation et d’union qui n’était pas seulement avantageuse à son repos, mais à la république. En diminuant Danton, les Girondins grandirent encore Robespierre. |