C'est un fait dont nous ne pouvons que nous réjouir. Robespierre est à la mode. Robespierre est un bon sujet pour les auteurs et les libraires. La curiosité publique est attirée par sa haute figure et son tragique destin. Les causes de cette vogue seraient curieuses à démêler. A l'heure équivoque et incertaine où nous vivons, bien des aspirations diverses et confuses s'agitent qui cherchent à s'éclaircir et à se fixer. La crise du parlementarisme y est bien pour quelque chose. Il y a des démocrates sincères que la faillite du Cartel a désorientés et qui remontent d'instinct à la grande époque de la République pour y trouver des leçons et des remèdes. Il y a ceux qui voudraient échapper à l'étreinte de la réaction montante et ceux qui prévoient des cataclysmes financiers et des bouleversements sociaux, ceux qui se réjouissent de cette perspective et ceux qui en ont peur. Il y a ceux qui voient en Robespierre un autre Lénine et ceux qui pensent à Jaurès en prononçant son nom, il y a ceux qui haïssent le monstre et ceux qui révèrent le martyr qu'ils voudraient réveiller de sa tombe. Il y a aussi heureusement les curieux désintéressés que le problème posé depuis plus d'un siècle devant les historiens passionne et qui ne désirent qu'une chose : connaître enfin la vérité, se faire une opinion fondée. Ceux-ci sont peut-être les plus nombreux. Du moins, j'aime à me le persuader. Il est difficile, sinon impossible, de convaincre ceux qui ne cherchent dans l'histoire du passé que des arguments de parti. Ils ont des œillères. Même s'ils lisent les documents, ils ne sont plus capables d'en saisir le sens exact. Ils n'en retiennent que ce qui flatte leurs passions, que ce qui sert leurs préjugés. L'esprit scientifique n'a pas droit de cité dans leur cerveau de partisans. Le moment est-il enfin venu où les historiens étudieront Robespierre et la Terreur avec la même sérénité qu'ils étudient Périclès et l'empire athénien ? On pouvait légitimement en douter quand on lisait naguère les violentes diatribes de M. Madelin, les romans de M. Lenôtre. Dernièrement encore un disciple de M. Aulard qui enseigne l'histoire moderne dans une faculté, n'étant pas d'accord avec moi sur la composition des clubs de l'an II, me gratifiait d'injures en guise d'arguments et s'écriait que je me proposais évidemment de le dénoncer comme suspect à un futur tribunal révolutionnaire, car, admirant Robespierre, je ne pouvais que m'assimiler ses procédés[1] ! Je sais bien qu'il y a des sots présomptueux et méchants dans toutes les écoles et que celle de M. Aulard ne fait pas exception. Mais, que ces sots puissent encore distiller leur pitoyable venin dans des revues qui se disent scientifiques et qui s'adressent à des professionnels, cela montre assez que l'apaisement intellectuel, condition nécessaire du progrès scientifique, est encore loin d'être atteint. J'ai éprouvé cependant une agréable surprise en lisant le Neuf Thermidor que M. Louis Barthou, vient de faire paraître dans la collection des Récits d'autrefois[2]. Certes, M. Barthou, qui est un modéré, n'éprouve pour la personne comme pour les idées de Robespierre aucune sympathie. Il lui reproche même (page 14) d'avoir fait assassiner Vergniaud et Danton. Il accepte pour argent comptant le portrait fantaisiste mais bien écrit que le royaliste Fiévée a tracé de Robespierre. Mais il faut avouer qu'en général M. Barthou a fait un effort sincère pour découvrir la vérité dans les témoignages contradictoires, qu'il est informé de première main, qu'il sait critiquer les textes, qu'il ne se laisse pas abuser par les légendes et qu'il écrit dans le ton qui convient à l'histoire. On peut 'différer d'opinion avec M. Barthou sur plus d'un point, on doit le louer de sa recherche objective, on est obligé de discuter avec lui. Il a bien vu que les artisans de la chute de Robespierre furent les proconsuls corrompus et sanguinaires que Robespierre voulait punir. Il a étudié avec soin le rôle capital que Fouché a joué à cet égard. Il ne lui a pas échappé que les thermidoriens n'étaient d'accord sur aucun programme, mais que la haine et la peur seules les coalisaient. Il a saisi avec finesse (page 35), les allusions qui concernent Fouché dans le rapport de Robespierre du 18 floréal. Il a pénétré assez loin dans l'étude de la situation politique. Je souscrirais volontiers à nombre de ses jugements. Sur le fond cependant comme sur les détails je lui demanderai la-permission de lui présenter quelques objections et quelques doutes. A le lire, on pourrait croire que les rivalités personnelles des dirigeants suffisent à expliquer le 9 thermidor. Il y eut autre chose. Saint-Just avait fait voter les décrets des 8 et 13 ventôse qui avaient la valeur d'une Révolution nouvelle. Ces décrets ordonnaient, en effet, la confiscation des biens des suspects qui seraient reconnus ennemis de la Révolution et ces biens devaient être distribués gratuitement aux Sans-Culottes pauvres. Il y avait 100.000 suspects environ[3]. Il s'agissait d'examiner leurs dossiers et de dresser la liste de ceux qui seraient expropriés. Il s'agissait ensuite de rechercher les Sans-Culottes pauvres qui seraient les bénéficiaires de la Révolution. Il fallait en dresser la liste, commune par commune. Double enquête immense qui demandait du temps, de la bonne volonté, tout un personnel nouveau à organiser. Pour trier les suspects, un décret postérieur, celui du 27 germinal, avait prévu la création de six commissions populaires chargées de l'examen préliminaire des dossiers des suspects. Ces six commissions auraient dû fonctionner le 15 floréal. Ce n'est que le 24 floréal que les deux premières furent organisées et pour Paris seulement, et encore éprouvèrent-elles aussitôt de grandes difficultés à remplir leur mission. Le Comité de Sûreté générale mit une mauvaise volonté opiniâtre à faciliter leur tâche. Les quatre dernières commissions prévues ne furent organisées que le 4 thermidor par un arrêté de la main de Barère, à un moment où Barère s'efforçait précisément de réconcilier Robespierre avec les Comités. Il ne me parait pas douteux que le triumvirat vit avec défiance les lenteurs du Comité de Sûreté générale et qu'il l'accusa de saboter la grande mesure sociale qu'il jugeait indispensable au salut de la République. Après thermidor les vainqueurs de Robespierre se feront un titre d'honneur, dans leurs réponses à Lecointre, d'avoir retardé tant qu'ils purent la constitution des Commissions populaires nécessaires à l'application des lois de ventôse. Ils expliqueront que les deux Commissions créées pour Paris, le 24 floréal, n'avaient été instituées que sur les vives instances de Saint-Just et ils se vanteront d'en avoir paralysé le fonctionnement. Gracchus Vilate, le confident de Barère, a dit assez justement qu'une des causes profondes de l'opposition qui s'éleva contre le triumvirat fut son programme social. Il lui parut clair, dit-il, que si le triumvirat voulait proscrire certains députés, c'est qu'il les regardait comme des obstacles au système agraire, à la continuation du terrorisme qui en était l'instrument[4]. Si Vilate est, en général, un témoin sujet à caution, il ne dit ici que la vérité, car l'étude de l'application des lois de ventôse confirme son jugement. Une des raisons principales pour lesquelles Robespierre et ses amis entendaient maintenir le gouvernement révolutionnaire est celle-là. Ils voulaient se servir de la Terreur pour déposséder les royalistes conspirateurs et créer avec leurs dépouilles une nouvelle classe sociale qui serait la sauvegarde de la République à laquelle elle devrait son existence. M. Barthou n'a pas aperçu ce grave problème politique et social, plus social encore que politique, qui était au fond du duel entre Robespierre .et ses adversaires. Il a mentionné d'une ligne (page 62) l'arrêté du 4 thermidor qui créa les quatre Commissions populaires restées en suspens depuis floréal. Il a cru, à tort, que cette application d'un décret du 13 ventôse aurait eu pour effet d'étendre à toute la France les dispositions de la loi du 22 prairial. Le déci-et de ventôse avait une toute autre portée. Les Commissions populaires n'avaient pas à juger définitivement les détenus, mais simplement à préparer le travail des Comités qui, seuls, avaient mandat d'approuver leurs propositions et de traduire ceux que les Commissions avaient désignés comme ennemis de la Révolution devant la justice révolutionnaire. A cette première lacune de l'exposé de M. Barthou s'en ajoute une autre presque aussi grave. Si !a Commune n'a pas eu derrière elle dans la nuit du 9 au 10 thermidor l'unanimité des ouvriers et des artisans parisiens, si elle a été finalement vaincue, la raison en est à chercher dans le mécontentement causé à la classe des travailleurs par le maximum des salaires qu'elle avait promulgué quelques jours plus tôt. Le jour même du 9 thermidor, il y eut des rassemblements d'ouvriers mécontents dans plusieurs sections et jusque devant la Commune. En vain celle-ci essaya-t-elle, dans une proclamation lancée vers huit heures du soir, de rejeter la responsabilité des bas salaires officiels sur Barère rapporteur de la loi du maximum, beaucoup d'ouvriers ne répondirent pas à l'appel des Robespierristes et saluèrent le lendemain leur marche au supplice du cri de f... maximum ! Un exposé complet du 9 thermidor ne peut négliger cet aspect des événements. Il me semble enfin que M. Barthou a passé beaucoup trop vite et trop légèrement sur les tentatives d'assassinat qui furent dirigées contre Robespierre, d'une façon constante depuis le début de prairial. C'est le jour même de la signature de l'ordre d'arrestation de Thérésa Cabarrus que Robespierre fut guetté pendant plusieurs heures à la sortie du Comité de Salut public par Admirai qui déchargea ses pistolets en désespoir de cause sur Collot d'Herbois. M. Barthou ne mentionne même pas cette tentative d'Admirai. Il s'étend par contre sur celle de Cécile Renault qui eut lieu le lendemain et qu'il ne prend pas au sérieux. Il ne semble pas non plus prêter grande attention au complot formé par Lecointre et huit autres de ses collègues dès le 5 prairial. S'il avait lu les mémoires de Berryer, il saurait que Bourdon de l'Oise avait prémédité dès le 23 prairial l'assassinat de Robespierre en pleine Assemblée. Robespierre fut mis au courant au moment même, par une lettre de Cellier, du complot de Lecointre[5]. Or, le complot de Lecointre est exactement contemporain des provocations à l'assassinat formulées par l'ancien policier Roch Marcandier dans un placard préparé pour l'impression et adressé aux quarante-huit sections parisiennes. Et ii faut ajouter, ce qui n'a pas échappé à M. Barthou, que Fouché qui présidait les Jacobins conseillait au même moment aux patriotes de Nevers persécutés pour leurs relations avec Chaumette d'imiter Brutus. en enfonçant le fer dans le cœur de celui qui conspirait contre la liberté de sa patrie. Le 12 messidor encore, l'agent national Payan transmettait au Comité de Sûreté générale l'interrogatoire d'un aristocrate du nom de Rouvière qui s'était introduit dans la maison de Duplay muni d'un couteau, d'un canif et de rasoirs[6]. La vie de Robespierre fut donc, pendant cette période, perpétuellement menacée et cela aussi n'est pas négligeable pour l'intelligence de cette crise. Voici maintenant quelques observations de détail que j'ai faites au cours d'une lecture attentive du récit de M. Barthou. Il porte au frontispice les vers suivants qui, à ma connaissance, ne virent le jour qu'après thermidor. Lorsqu'enfin arrivés au bord du Phlégéton, Camille Desmoulins, d'Eglantine et Danton Payèrent pour passer le fleuve redoutable, Le nautonier Caron, citoyen équitable, A nos trois passagers voulut remettre en mains L'excédent de la taxe imposée aux humains : — Garde, lui dit Danton, la somme tout entière ; Je paye pour Couthon, Saint-Just et Robespierre. M. Barthou nous affirme que ces vers furent publiés sous le manteau, au lendemain de l'exécution de Danton J'aimerais à savoir sur quels textes il s'appuie pour émettre cette opinion. Il me semble tout à fait improbable qu'au lendemain de l'exécution des dantonistes qui fut accueillie par une entière indifférence à Paris et dans les départements, un rimeur quelconque ait pu, dès lors, prophétiser la division des Comités qui étaient encore unis et le supplice du triumvirat qui n'existait pas encore. En tout cas, j'ai retrouvé dans la Correspondance politique de Paris et des départements du 20 thermidor an II, le quatrain suivant qui me paraît le prototype dix huitain reproduit par M. Barthou Lorsque quinze proscrits passèrent l'Achéron, Danton resta seul en arrière. — Viens, qu'attends-tu donc là ? lui dit le vieux Caron. — J'attends maître Couthon, Saint-Just et Robespierre. M. Barthou nous affirme ensuite (page 7) que Robespierre était maître de la Commune, du Tribunal révolutionnaire et des Jacobins. Pour la Commune, c'était indiscutable. Pour le Tribunal révolutionnaire, c'est beaucoup moins vrai. Si Dumas et Coffinhal lui étaient dévoués, Fouquier-Tinville non seulement le haïssait, mais avait partie liée avec ses ennemis, comme Lecointre l'a reconnu et comme les débats du procès de Fouquier l'ont démontré. Robespierre connaissait cette hostilité de l'accusateur public à son endroit. Il a essayé de le faire révoquer, le 8 messidor, mais il n'y a pas réussi el ; cet échec, que M. Barthou ne mentionne pas, fut sans doute pour quelque chose dans sa retraite du Comité qui eut lieu quelques jours plus tard. Quant aux Jacobins, ce n'est que peu à peu et après une lutte longue et difficile que Robespierre parvint à les entraîner. M. Barthou sait bien que Fouché fut élevé à la présidence du club quelques jours avant la fête de l'Etre suprême. Il ne faut donc pas exagérer les moyens d'action dont pouvait disposer Robespierre. M. Barthou écrit que le cuite de l'Etre suprême fut imposé au peuple français ! (page 8). Cette expression est tout à fait fausse. Elle méconnaît l'explosion d'enthousiasme qui salua le décret du 18 floréal. L'opposition fut restreinte à certains cercles de députés. Ce fut une opposition souterraine qui n'osa pas se manifester au grand jour, car elle savait bien qu'elle heurtait l'assentiment général. Il n'est pas exact non plus d'écrire dans la même page que la fête de l'Etre suprême était destinée à l'Etre suprême seul. C'est méconnaître à la fois et le rapport de Robespierre qui s'applique à identifier l'Etre suprême et la Nature et le libellé du décret instituant la fête, qui était dédiée à l'Être suprême et à la Nature. Si on a dit par abréviation la fête de l'Etre suprême, il est du deyoir de l'historien de rétablir la vérité entière. M. Barthou suppose (page 14) que ce sont les menaces de Bourdon de l'Oise et de Lecointre à la fête du 20 prairial qui déterminèrent Robespierre à présenter deux jours plus tard la loi fameuse du 22 prairial sur le Tribunal révolutionnaire. La vengeance, écrit-il, avait besoin d'un instrument, il le mit au point, en moins de quarante-huit heures, avec la collaboration de Couthon. Aucun document ne permet à M. Barthou de formuler cette supposition malveillante. Aucun document ne relate une prétendue entrevue, une prétendue collaboration entre Couthon et Robespierre, entre ces deux dates du 20 et du 22 prairial. Ce n'est pas quarante-huit mais vingt-quatre heures seulement qui s'écoulèrent entre la fin de la fête de l'Etre suprême qui se termina très tard le 20 prairial et le dépôt de la loi le surlendemain. Il faudrait admettre que Couthon et Robespierre passèrent ensemble toute la journée du 21 prairial. Les thermidoriens eux-mêmes moins hardis que M. Barthou se sont abstenus de recourir à cette hypothèse et M. Barthou sait bien que la loi du 22 prairial était en gestation depuis plusieurs mois, depuis le décret du 5 nivôse qu'il cite lui-même à la page suivante. M. Barthou s'est laissé entraîner par son antipathie foncière et il a méconnu le caractère véritable de Robespierre qui était étranger à tout ce qui ressemblait à l'intrigue et à la vengeance personnelle et qui poussait la réserve avec ses amis du Comité à un point extrême de délicatesse. Tout ce que je sais de lui me force à rejeter comme absolument injustifiée la supposition qu'il serait allé trouver Couthon pour l'inviter à servir ses rancunes. M. Barthou n'a pas la moindre idée de la noblesse d'âme de l'homme dont les thermidoriens ont prémédité l'assassinat. Il s'en est laissé imposer ici, malgré lui, par le Robespierre dé fantaisie de la légende. Je suis d'accord avec M. Barthou quand il croit, — contre Ernest Hamel, — à l'authenticité de la scène violente que Billaud-Varenne aurait faite à Robespierre à propos de la loi de prairial (pages 18 et 19). Il a bien vu aussi que l'opposition de Billaud ne visait pas le fond de la loi, que Billaud approuvait, mais simplement les modalités de sa présentation. Mais il en croit trop facilement Billaud lui-même et ses collègues des Comités qui prétendirent, après thermidor, que la loi était l'œuvre des seuls Robespierre et Couthon. Le témoignage de Fouquier-Tinville à son procès, l'intervention de Billaud lui-même dans le même sens à la séance du 23 prairial prouvent sans réplique que tout le Comité de Salut public approuva la loi avant son dépôt. Ce que Billaud reprocha à Couthon et à Robespierre, ce n'est pas de s'être abstenus de consulter le Comité, c'est d'avoir négligé de se mettre d'accord avant le dépôt de la loi avec le Comité de Sûreté générale qui aurait dû en délibérer au préalable. Couthon et Robespierre dessaisirent le Comité de Sûreté générale, qui leur en garda une vive rancune puisqu'aucun de ses membres ne prit la parole dans la discussion devant la Convention. Tel fut le véritable grief de Billaud-Varenne, qui était très soucieux de garder avec ce Comité d'excellentes relations. Lecointre nous apprend, dans ses Crimes des sept membres (page 72), que deux jours après le vote de la
loi du 22 prairial, il rencontra Moyse Bayle et Amar dans le salon de la
Liberté : Nous parlâmes de Robespierre, je dis que
s'il y avait cinquante hommes comme moi dans la Convention, le tyran ne
seroit plus et, à l'instant je tirai de ma poche l'écrit que j'ai publié
depuis — c'est-à-dire l'acte d'accusation qu'il avait préparé dès le 5
prairial —. L'un d'eux me dit que le Comité de Sûreté
générale n'avait pas voulu de cette loi parce qu'elle était tyrannique ; ils
ajoutèrent qu'ils avaient proposé vingt et une personnes pour remplir les
fonctions de jurés au Tribunal révolutionnaire, que Robespierre les avoit
toutes rejetées et n'y avoit admis que ses créatures. Je leur dis alors :
permettez-moi de monter à la tribune pour déclarer que la loi est l'ouvrage
de Robespierre. Mais ils lui firent remarquer que le moment n'était
pas encore venu. Ce texte méritait de retenir l'attention de M. Barthou. Il est à confronter avec les allégations postérieures de Billaud, de Barère, de Collot et de Vadier qui prétendront, contre l'évidence, qu'ils étaient restés étrangers à la loi de prairial. Ce qui est sans doute exact, c'est que le Comité de Sûreté générale, vexé de n'avoir pas été appelé à délibérer en commun avec le Comité de Salut public sur le texte préparé par Couthon, se vengea aussitôt, d'abord en s'abstenant dans la discussion, ensuite en répandant le bruit faux qu'il s'était opposé à l'élaboration de la loi, qu'il la désapprouvait et qu'il en rejetait sur le seul Robespierre la responsabilité. Billaud rigide observateur des formes, blâma Robespierre et Couthon de ne les avoir pas observées en ne prenant pas au préalable l'avis du Comité de Sûreté générale. Mais à ce simple rappel des formes s'arrêta son blâme, sur le moment môme. Plus tard, traqué par les thermidoriens, il donna une autre tournure à son opposition. M. Barthou a eu raison de noter que les Barras, les Fréron, les Tallien et les Fouché ne devinrent les adversaires de Robespierre qu'après que celui-ci eût repoussé avec perte et mépris leurs suppliantes avances. Mais il n'a pas tiré de cette constatation la conclusion qui s'impose pour l'appréciation équitable du caractère di ? Robespierre. Si celui-ci avait été l'ambitieux affamé de pouvoir qu'on prétend, rien ne lui aurait été plus facile que d'atteler les pourris à son char. Il n'avait qu'à ne pas repousser leurs promesses de servir. Ils auraient été trop heureux de s'abriter derrière sa réputation d'intégrité. Ils seraient devenus ses mameluks dociles. Mais Robespierre ne voulait pas d'un pouvoir qu'il eût acheté au prix d'une capitulation de conscience. La noblesse de cette attitude ne valait-elle pas d'être reconnue par M. Barthou ? J'approuve M. Barthou quand il rejette l'opinion insoutenable d'Ernest Hamel qui prétend, contrairement à tous les témoignages, que l'absence de Robespierre des séances du Comité ne fut qu'une absence morale. Mais je ne puis le suivre quand il nous montre Robespierre tantôt siégeant sans signer et tantôt signant sans siéger (page 41). D'abord, il faut bien s'entendre sur le point de départ de l'absence de Robespierre. Elle date, à mon avis, du 13 messidor ; c'est-à-dire des lendemains du jour où le Comité lui refusa la révocation de Fouquier-Tinville, à propos de l'affaire Catherine Théot. Du 13 messidor jusqu'au 9 thermidor Robespierre n'a donné que cinq signatures au bas des arrêtés du Comité et il est plus que probable qu'on est venu chercher chez lui ces signatures. Il n'est reparu qu'une seule fois dans cet intervalle aux séances du Comité, le 5 thermidor, après la création des quatre commissions populaires dont il demandait sans succès avec Saint-Just la prompte organisation. Un témoignage formel et irrécusable, qui a échappé, semble-t-il, à M. Barthou, tranche la question pour quiconque n'a pas d'idées préconçues. Interrogé le 12 nivôse an III, par l'ancien girondin Harmand de la Meuse, Jacques-Maurice Duplay, le fils du menuisier chez qui Robespierre était logé, et alors emprisonné, si quelques jours avant le 9 thermidor, il n'était pas allé à la police générale, pendant la nuit, avec Robespierre ou Saint-Just ou avec des ordres et des émissaires de leur part ?, le jeune Duplay répondit courageusement : Non, je ne sache pas que personne de la maison soit allé à la police générale et Robespierre se couchait d'assez bonne heure depuis son absence du Comité de Salut public. Simon Duplay à la jambe de bois, cousin du précédent, qui servait de secrétaire à Robespierre, confirma cette réponse[7]. Témoignages sincères et concordants qui établissent, — contrairement à une légende bien assise, — que Robespierre ne se rendait plus ni au bureau de police administré par Couthon, ni au Comité de Salut public. Le Comité siégeait dans la soirée et la séance se prolongeait fort tard dans la nuit. Robespierre restait à la maison et se couchait de bonne heure. Son absence du Comité ne fut donc pas une demi-absence, mais une absence effective et totale. Il suffirait d'ailleurs du témoignage de Robespierre lui-même pour écarter le roman. Robespierre a déclaré le 8 thermidor dans son dernier discours, qu'il avait abandonné absolument ses fonctions. Personne ne le reprit et Robespierre, à ma connaissance, n'était pas un menteur. Quel intérêt aurait-il eu à mentir quand il était si facile de le confondre ? Et si les thermidoriens avaient pu réunir contre son affirmation des faits quelconques, quel besoin auraient-ils eu d'interroger à ce sujet les deux Duplay ? M. Barthou a raison quand il accuse certains apologistes de Robespierre d'avoir détourné les textes de leur vrai sens pour appuyer leur thèse d'après laquelle Robespierre aurait songé à arrêter la Terreur. Mais M. Barthou n'a pas fait une distinction capitale qui est exprimée tout au long et à diverses reprises dans les derniers discours de Robespierre. Robespierre voulait maintenir le gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix. Il entendait se servir de la Terreur pour appliquer les décrets de ventôse où il voyait le salut de la République. Mais il voulait non moins fermement limiter la Terreur aux seuls conspirateurs, aux seuls militants du royalisme. Il condamnait avec indignation l'œuvre du Comité de Sûreté générale qui précipitait à la guillotine une foule de gens qui n'étaient qu'égarés ou qui étaient inoffensifs. Est-ce nous, s'écria-t-il dans son discours du 8 thermidor, qui avons porté la terreur dans toutes les conditions ? Ce sont les monstres que nous avons accusés ! Il faisait un grief à ses adversaires d'avoir détourné la loi de prairial de son vrai but, d'en avoir fait un instrument aveugle d'égorgement, quand il aurait voulu la réserver à la répression d'une petite minorité de coupables avérés. Il voyait là une manœuvre perfide dirigée contre le gouvernement révolutionnaire. Il accusait ses adversaires de tourmenter les gens paisibles pour créer un mouvement d'opinion qui emporterait le tribunal révolutionnaire. D'ailleurs, et ceci est capital, la loi de prairial ne devait fonctionner dans sa pensée que concurremment avec les Commissions populaires chargées du triage des suspects. Ces Commissions examinaient au préalable les dossiers de ceux qui seraient renvoyés au tribunal. Elles feraient l'office des juges d'instruction et cela est tellement vrai que Robespierre leur avait fait accorder par un arrêté spécial des pouvoirs judiciaires, comme celui d'entendre et de convoquer des témoins. Mais l'astuce du Comité de Sûreté générale consista à retarder la fonction de ces Commissions de triage et d'instruction et à faire marcher quand même le Tribunal révolutionnaire à toute vitesse, afin de rejeter sur le seul Robespierre la responsabilité de ses mesures juridiques. Cet aspect de la question a échappé à M. Barthou. Il n'a pas fait les distinctions nécessaires. Il n'a pas compris la véritable pensée de Robespierre. Il ne me semble pas que M. Barthou ait bien compris l'attitude de Barère dans les semaines qui précédèrent la crise. Sans doute me garderai-je bien de défendre contre lui ce caméléon politique aussi prompt à trahir qu'à flatter. Mais il me semble pourtant que Barère s'efforça sincèrement de jouer entre Robespierre et ses adversaires le rôle de conciliateur. Ici son intérêt lui commandait d'empêcher les divisions. Il devait beaucoup à Robespierre qui l'avait protégé à maintes reprises contre les Jacobins rigoristes qui le méprisaient en raison de son passé feuillant puis girondin. Jusqu'à la dernière minute, même dans la nuit du 8 au 9 thermidor, il évitait encore de rompre avec Robespierre et c'est un fait significatif que son nom fut effacé de la liste des membres des Comités dont la Commune en révolte ordonna l'arrestation dans la nuit du lendemain. M. Barthou veut pourtant que dès le 2 thermidor Barère ait glissé dans le discours qu'il prononça à la Convention une attaque indirecte contre Robespierre et il cite un passage de ce discours à l'appui de son interprétation : Il faut que les fonctionnaires publics soient les instruments du peuple et non ses dominateurs ; il faut que les citoyens qui sont revêtus d'une autorité terrible, mais nécessaire, n'aillent pas influencer par des discours préparés les sections du peuple ou les sociétés populaires ; il faut que le peuple les surveille dans leurs fonctions, dans leurs discours et dans leur domicile. M. Barthou applique ces phrases à Robespierre. De quel autre pouvait parler Barère en dénonçant les discours préparés ? Tout le monde savait que Robespierre préparait un grand discours pour entraîner la Convention à se prononcer en sa faveur (page 54). Je suis d'autant plus à l'aise pour relever l'erreur de M. Barthou que je l'ai commise moi-même avant lui (Autour de Robespierre, page 168). Eh bien ! j'ai relu les débats des Jacobins et de la Convention et je suis obligé de rectifier mon erreur et de faire amende honorable à Barère. Dès le 30 messidor, trois jours avant qu'il ne prononçât le discours visé par M. Barthou, Barère avait appelé l'attention de la Convention sur les menées des commissaires et des prétendus envoyés des sociétés populaires et d'autorités constitués qui inondaient Paris[8]. Il avait annoncé que le Comité prendrait des mesures pour renvoyer à leurs communes, à leurs sociétés cette multitude d'envoyés inutiles et qui doivent dans des temps de crise demeurer à leur poste. Le thermidor on avait vu à l'œuvre ces provinciaux aux Jacobins. L'un d'eux avait longuement accusé devant le club, dans un discours préparé, le représentant Gauthier à l'occasion des missions qu'il avait remplies à Lyon et à Bourg. Un autre, délégué du Jura, avait aussi longuement dénoncé le représentant Prost. Robespierre avait défendu celui-ci et la Convention en général. Puis Dumas, le président du Tribunal révolutionnaire, avait repris les accusations du dénonciateur de Prost. Il avait dénoncé quatre aristocrates jurassiens qui avaient persécuté les patriotes et trouvé un refuge et un emploi au Comité de Sûreté générale. Si on songe que Dumas était l'ennemi mortel de Prost, on ne peut douter que ses accusations aient dû paraître au moins intempestives à Robespierre. C'est au lendemain de cette séance des Jacobins que Barère signala de nouveau devant la Convention le danger de la présence à Paris de ces délégués des départements, remuants et intrigants. C'est eux qu'il vise dans le passage que M. Barthou a cité. Ce n'est pas sûrement Robespierre qui a combattu la veille au club leurs dénonciations.. Barère fit voter un décret qui leur ordonnait de rentrer immédiatement à leur domicile sous peine de destitution immédiate. Tout au plus peut-on admettre à la rigueur qu'en parlant des hommes revêtus d'une autorité terrible mais nécessaire, Barère visait Dumas, président du Tribunal révolutionnaire. Dumas avait appuyé les dénonciations des jurassiens. Il était revêtu d'une autorité terrible. Il n'est pas possible que la phrase s'applique à Robespierre, que Barère encensait alors dans tous ses discours où il s'appropriait ses vues sur la nécessité de maintenir le Gouvernement révolutionnaire. Par cet exemple, rendons-nous compte une fois de plus de la nécessité d'appliquer aux textes révolutionnaires une critique rigoureuse. M. Barthou ne me semble pas avoir bien compris les raisons pour lesquelles Robespierre sortit enfin de sa réserve et attaqua les Comités le 8 thermidor. Après les séances plénières des 4 et 5 thermidor, on pouvait croire que le rapprochement préparé par Barère et scellé par la création des quatre commissions populaires restées en suspens, était un fait accompli. Barère avait prononcé un vif éloge de Robespierre le 7 thermidor, et une lettre écrite au moment même par Voulland à ses compatriotes d'Uzès[9], prouve sans ambages que la plupart des membres des deux Comités se réjouissaient sans arrière-pensée de la concorde retrouvée. Il n'est pas douteux que Saint-Just et Couthon avaient donné leur adhésion au programme de réconciliation. Saint-Just avait accepté le rapport dont les deux Comités l'avaient chargé. Couthon avait célébré le 6 thermidor, devant les Jacobins, les hommes ardents et énergiques disposés à faire les plus grands sacrifices pour la Patrie dont les Comités étaient composés. S'il y a eu des divisions, avait-il dit, entre les personnes, il n'y en a jamais eu sur les principes. Et Couthon avait rejeté sur l'entourage des gouvernants l'origine des nuages qu'il voulait dissiper. Mais il est certain également que Robespierre, à l'inverse de ses deux amis, n'avait pas désarmé. Ce qui le prouve péremptoirement, c'est que, présent à la séance des Comités du 5 thermidor, il ne revint pas parmi ses collègues ni le lendemain, ni le surlendemain. Tous ses griefs n'avaient pas reçu satisfaction. Il voulait arracher la dictature de la Guerre à Carnot qui n'avait pas fait 'exécuter aux armées le décret du 7 prairial interdisant de faire des prisonniers anglais ou hanovriens[10] et qui s'entourait d'un conseil technique formé d'aristocrates. Robespierre voyait, comme Sijas, dans l'éloignement d'une partie des canonniers de Paris ordonné par Carnot une manœuvre obscure dirigée contre la Commune et contre Hanriot. Il n'avait pas pardonné au Comité de. Sûreté générale, pas plus qu'à Billaud et à Collot, la protection dont ils couvraient toujours les Fouché, les Tallien, les Rayère, les Carrier. Il venait d'apprendre par un rapport de l'administrateur de police Faro, qui sera retrouvé dans ses papiers, qu'A.mar et Voulland avaient visité dans leur prison, le 5 thermidor, les députés girondins détenus et leur avaient fait mille avances : Arrête-t'on votre correspondance ? Vous refuse-t'on toutes les douceurs de la vie, soit en café, soit en sirop, chocolat et fruits ? Votre caractère est-il méconnu ? Sans doute Amar et Voulland, après avoir donné l'ordre d'appliquer aux députés un traitement de faveur, s'étaient repris et avaient ensuite maintenu à leur égard le droit commun. Mais l'incident fit croire à Robespierre que la réconciliation ménagée par Barère et acceptée les 4 et 5 thermidor n'était pas sincère. Il ne voulut 'pas être dupe. Il soupçonna qu'une entente était en train de se nouer entre ses adversaires de la Montagne et le Marais qui l'avait soutenu jusque-là. Mais surtout un dernier incident, dont M. Barthou n'a rien dit, acheva de lui ouvrir les yeux. Le 7 thermidor, le jour même où Barère l'avait encensé, Robespierre avait subi un échec indirect à la Convention. Il avait fait rayer Dubois-Crancé des Jacobins le 23 messidor. Trois jours plus tard le Comité docile avait rappelé Dubois-Crancé de sa mission en Bretagne. Dubois-Crancé, qui était brave et résolu, s'était jeté de revenir. Il s'était disculpé devant la Convention par un discours modéré et habile, le 7 thermidor, il avait invité Robespierre à reconnaître son erreur et il avait obtenu le vote d'un décret qui ordonnait aux Comités de faire sous trois jours un rapport sur les inculpations dont il était l'objet. Robespierre allait donc être forcé de sortir des Jacobins pour s'expliquer devant l'Assemblée. Il ne me semble guère douteux que le vote du 7 thermidor détermina sa résolution du lendemain. Il attaqua pour prévenir le rapport sur Dubois-Crancé, pour reprendre sur la Convention l'autorité qu'il sentait lui échapper. M. Barthou affirme (page 66) que Robespierre entretenait des relations suivies et même quotidiennes avec Dumas, le président du Tribunal révolutionnaire, et avec Coffinhal, son vice-président, deux monstres de cruauté farouche et grossière. Négligeons les épithètes et demandons à M. Barthou quels sont ses témoins ? Pas plus qu'il ne voyait en particulier Fouquier-Tinville, Robespierre n'avait de relations privées avec les juges du Tribunal révolutionnaire. Si l'accusation que M. Barthou a sans doute ramassée dans quelque écrit thermidorien eût eu la moindre consistance, Courtois n'aurait pas manqué de la monter en épingle et Harmand de la Meuse, qui interrogea les jeunes Duplay sur les fréquentations de Robespierre avec Hanriot, se fût empressé de poser la même question au sujet de Dumas et de Coffinhal. Je crains donc qu'ici M. Barthou, qui a fait des efforts méritoires en général pour se délivrer de la légende, en ait subi, à son insu, l'influence pernicieuse. 1. Barthou semble croire à l'authenticité du mot historique prêté tardivement à Garnier de l'Aube : Le sang de Danton t'étouffe ! (page 93) et il se demande à ce propos : Etait-ce là le secret de la conjuration ? C'est prêter aux dantonistes, qui s'étaient montrés si lâches en germinal, une continuité dans la rancune et dans la vengeance qui n'était ni dans leur caractère ni dans la situation. C'est accorder au dantonisme une place tout à fait disproportionnée avec son importance réelle. M. Barthou oublie que même au plus fort de la réaction thermidorienne, les Courtois et les Baudot, les Fouché et les Barras, ne parvinrent pas à faire réhabiliter Danton, à supposer qu'ils en eussent sérieusement l'intention. Danton n'est quelque chose que dans la légende romantique. M. Barthou a emprunté à M. Aulard la pluie torrentielle qui, à l'en croire (page 115), dispersa vers minuit les émeutiers assemblés sur la place de Grève le 9 thermidor. Je crois bien avoir lu aux Archives nationales tous les papiers qui concernent cette journée fameuse. Aucun document ne m'a révélé cette pluie providentielle. M. Barthou est persuadé que l'exécution de Robespierre fut saluée, applaudie, acclamée comme une délivrance (page 124) ; par les contre-révolutionnaires, oui, mais elle consterna les républicains. M. Barthou sait-il qu'à Arras et à Nîmes, à la première nouvelle des événements les clubs décidèrent de lever une troupe pour marcher sur Paris au secours de Robespierre, qu'à Nevers le représentant Noël Pointe fit arrêter, comme contre-révolutionnaires, les premiers messagers porteurs de l'attristante information et qu'il les garda en prison pendant vingt-quatre heures bien que l'un d'eux eût exhibé un journal qui relatait l'exécution de Catilina ? Sait-il qu'à Paris le graveur Mauclair, à Nîmes, le juge Boudon se donnèrent la mort pour ne pas survivre à l'homme qui incarnait à leurs yeux la République ? Connaît-il les lettres des représentants en mission qui signalent après thermidor la permanence du robespierrisme toujours considéré comme redoutable ? A-t-il lu la lettre de Laignelot du 21 thermidor, où il est dit que le génie malfaisant du tyran survit encore et que dans les sociétés populaires, tous les meneurs étaient pour Robespierre ? Non, sans doute, car j'ai assez de confiance en sa bonne foi pour être convaincu que s'il avait connu ces faits, il aurait sûrement modifié un jugement qui, pour être classique, n'en est pas moins contraire à la vérité. Est-il exact aussi que la Terreur finit au 9 thermidor (page 124) ? N'a-t-elle pas continué sous de nouvelles formes ? A la Terreur rouge, la Terreur blanche n'a-t-elle pas succédé ? Et qui comptera les victimes de celle-ci ? J'ai terminé l'examen du livre de M. Barthou. Je l'ai discuté parce qu'il le méritait. On a vu que sur bien des points, dont certains ne manquent pas d'importance, j'ai dû présenter des objections ou faire des réserves. Mais, tout compte fait, ce m'est un devoir de répéter que M. Barthou a fait un effort sérieux et méritoire pour atteindre la vérité et pour servir l'histoire. Et ceci m'a reposé de la lecture du triste pamphlet du tout petit historien du Temps. |
[1] On lira ces gentillesses et d'autres dans le n° 121-123 de la Revue de Synthèse historique, sous la signature de M. Léon Lévy dit Lévy-Schneider.
[2] Hachette, 126 p.
[3] Voir ma note : Quel fut le nombre des suspects ? dans les Annales historiques de la Révolution française de janvier-février 1929.
[4] VILATE, Causes secrètes, édition Baudouin, p. 202.
[5] Lecointre a publié cette lettre dans ses Crimes des sept membres, p. 181.
[6] Archives nationales, F⁷ 3822.
[7] On trouvera cet interrogatoire dans mon livre Autour de Robespierre, pp. 172-176.
[8] Il est remarquable que ce sont les deux dénonciateurs de Legray, Fabrègue et Richard, qui avaient attiré, la veille, l'attention de Barère sur ces citoyens envoyés des départements [qui] sont ici pour observer le Comité de Salut public et le Tribunal révolutionnaire (Fabrègue) et qui étaient les agents des Départements (Richard). Barère n'a fait qu'amplifier leurs dires. Voir plus haut.... C'est une preuve de plus de l'importance qu'a jouée dans les événements l'affaire Legray.
[9] On la trouvera plus haut.
[10] C'est à cette violation du décret qu'il songeait quand il déclara le 8 thermidor que tant maltraitée par nos discours, l'Angleterre était ménagée par nos armes. M. Barthou, faute d'avoir compris cette allusion précise, interprète à côté le grief de Robespierre (p. 73).