GIRONDINS ET MONTAGNARDS

 

CHAPITRE VII. — TROIS LETTRES INÉDITES DE VOULLAND SUR LA CRISE DE THERMIDOR.

 

 

Les trois lettres inédites[1] qu'on va lire nous ont été communiquées par notre collaborateur, M. H. Chobaut, l'érudit archiviste du Gard, dont nos lecteurs ont pu apprécier les études précises et impartiales.

Toutes les trois ont été écrites par le conventionnel Voulland, un des membres importants du Comité de Sûreté générale, à ses compatriotes d'Uzès. La première, celle qui est datée du 8 thermidor, a été expédiée avant la séance de la Convention, avant le célèbre discours dans lequel Robespierre exprima ses critiques contre les Comités et demanda leur épuration. Son intérêt est considérable, car elle traduit, au moment même et avec une sincérité manifeste, on seulement les sentiments de Voulland lui-même mais ceux. dé la plupart de ses collègues des Comités.

Voulland est tout à la joie de la réconciliation qui s'est faite entre le triumvirat Robespierre, Couthon, Saint-Just et leurs autres collègues. Il voit le ciel s'éclaircir. Il dément les bruits de division qui ont couru. Il rejette sur des malveillants la responsabilité de ces bruits qu'il s'empresse de démentir. Il invoque le grand discours que Barère a prononcé la veille devant la Convention pour rassurer ses concitoyens qui comme lui veulent l'union.

Il n'est pas douteux en effet que, sous l'influence de Barère, un grand effort avait été fait les jours précédents pour rapprocher les esprits.

Les deux Comités s'étaient réunis en séance plénière les 4 et 5 thermidor et pour ramener à eux Robespierre et ses amis, ils leur avaient fait des avances et des concessions caractérisées.

Pour manifester, par un acte éclatant, leur ferme volonté de maintenir le gouvernement révolutionnaire et de pousser la Terreur jusqu'à ses conséquences sociales, ils avaient enfin créé les quatre Commissions populaires restées en suspens et prévues par les lois de ventôse et de germinal pour opérer le triage des suspects et préparer la distribution aux Sans-Culottes pauvres des biens de ceux qui seraient reconnus ennemis de la Révolution. L'arrêté, de la main de Barère, est du 4 thermidor. Robespierre vint siéger à la séance du lendemain. On s'expliqua de part et d'autre. Saint-Just déclara que seuls des agents de l'ennemi pouvaient représenter Robespierre comme un dictateur, car il n'avait ni l'armée, ni les finances, ni l'administration dans sa dépendance. David appuya Saint-Just. Finalement Billaud dit à Robespierre : Nous sommes tes amis, nous avons toujours marché ensemble[2]. Saint-Just fut chargé par les deux Comités de présenter à la Convention un rapport sur la situation politique avec le mandat de défendre le gouvernement révolutionnaire. Billaud et Collot lui recommandèrent toutefois de ne pas parler de l'Être suprême.

Le soir même, Barère, tout joyeux d'avoir ramené la concorde, annonçait à la Convention que des malveillants seuls avaient pu faire croire qu'il y avait de la division et de la mésintelligence dans le gouvernement et une variation dans les principes révolutionnaires. Le lendemain, Couthon lui donna la réplique aux Jacobins, en célébrant les hommes ardens et énergiques disposés à faire les plus grands sacrifices pour la patrie qui composaient les Comités. S'il y a eu des divisions entre les personnes, disait-il, il n'y en a jamais eu sur les principes. Et Couthon rejetait sur l'entourage des gouvernants l'origine de ces nuages qu'il voulait dissiper. Il espérait que la Convention écraserait bientôt les 5 ou 6 petites figures humaines dont les mains sont pleines des richesses de la République et dégouttantes du sang des innocens qu'ils ont immolés. Il se plaignait cependant qu'on eût envoyé à l'armée du Nord une partie des compagnies de canonniers parisiens et il manifesta des craintes au sujet de l'École de Mars établie au camp des Sablons. Mais Lebas qui surveillait cette école avec Peyssard, le rassura. L'esprit des jeunes gens était excellent.

Barère loua Robespierre, le 7 thermidor, d'avoir blâmé aux Jacobins les séditieux qui parlaient d'un 31 mai. Le discours qu'il prononça, ce jour-là, devant la Convention n'a pas toujours été compris par les historiens. J'aurai à revenir sur ce sujet. Pour l'instant, qu'il me suffise de constater que les sentiments exprimés par Voulland dans sa lettre du 8 thermidor devaient être partagés par la grande majorité de ses collègues du gouvernement.

Il me semble très vraisemblable que l'attaque à laquelle se livra Robespierre, ce même jour du 8 thermidor dans l'après-midi, surprit non seulement les Comités, mais Couthon et Saint-Just eux-mêmes qu'il n'avait sûrement pas prévenus de son dessein. Il me faudra rechercher à quelles raisons obéit Robespierre, en rompant la trêve qui s'était établie par les soins de Barère depuis le 4 thermidor. Cette recherche dépasserait les limites de ces commentaires. Toujours est-il que la première lettre de Voulland reste un témoignage irrécusable des sentiments de la plupart des membres des Comités. Le 8 thermidor au matin, ils étaient attachés à l'union, ils croyaient que la réconciliation serait durable, ils furent surpris et déconcertés par la brusque attaque de Robespierre.

La seconde lettre de Voulland, écrite au matin même du 9 thermidor, prouve que les Comités, s'ils étaient décidés à se défendre, n'avaient pas encore perdu tout espoir d'une transaction. Voulland se défend d'avoir participé, si peu que ce soit, de fait ou d'intention, à un complot contre Robespierre, qu'il appelle encore un athlète utile à la défense de l'Etat. Il ne veut pas couper les ponts. Il désire encore un rapprochement. Et si on songe que les résolutions que prirent les Comités dans la nuit du 8 au 9 thermidor furent des plus anodines, qu'ils n'osèrent même pas nommer Robespierre, dans la proclamation au peuple qu'ils chargèrent Barère de rédiger,. on sera obligé d'admettre que l'opinion de Voulland ne lui était. pas particulière, mais qu'elle était partagée par la majorité de ses collègues. D'où cette conclusion. que le coup qui frappa finalement Robespierre ne fut pas préparé et prémédité au sein des Comités, mais en dehors d'eux. Les Comités seront entraînés, le 9 thermidor, par une majorité qui leur échappait et que d'autres manœuvraient dans l'ombre.

Sans présenter la même importance pour l'histoire générale que les deux premières, la troisième lettre que Voulland écrivit à ses compatriotes d'Uzès, le 27 thermidor, ne manque pas non plus. d'intérêt. Elle nous révèle que les thermidoriens nous ont soigneusement caché l'impression produite dans les départements par la nouvelle du 9 thermidor. Ce fut une impression d'indignation et d'effroi chez les révolutionnaires avertis et sincères. A Nîmes, comme à Arras, comme à Nevers[3] et sans doute comme dans beaucoup d'autres villes, le premier mouvement fut de protester et de marcher au secours de Robespierre et de ses amis. Le geste du juge nîmois Boudon, qui se tue d'un coup de pistolet pour ne pas survivre à. l'Incorruptible, est plus beau encore en son genre que celui de Lebas. qui demanda à partager le sort de Robespierre et de son frère.

Quand on connaîtra mieux la vérité, quand on se décidera enfin à faire l'histoire autrement que d'après des pamphlets suspects ou des mémoires apologétiques, on sera forcément amené à réviser tant de jugements inexacts qui ont obtenu droit de cité grâce à. la magie du style des écrivains romantiques et en premier lieu grâce à Michelet, qui a accumulé sur la Terreur une montagne d'erreurs et de faussetés.

Voici maintenant les lettres de Voulland. M. H. Chobaut a bien voulu les éclairer d'un commentaire pour les points qui touchent à l'histoire locale. On trouvera ce commentaire précieux à leur suite.

 

I

Paris ce 8 thermidor l'an 2 de la République une et indivisible,

Voulland, citoyen de la commune d'Uzès, représentant du peuple à la Convention Nationale,

A ses-concitoyens les administrateurs du District d'Uzès.

Vous avez esi la bonté, frères et amis, de m'écrire, il y a déjà quelques jours, pour m'annoncer que vous étiés dans la résolution d'ouvrir avec moy une correspondance decadairei pour me tenir au courant de tout ce qui peut se passer d'essentiel dans tout votre district : je reconnois dans cette démarche le zèle qui n'a jamais cessé de vous animer ; il ne me reste plus qu'à désirer de seconder de tous mes foibles moyens celuy que le plus pur patriotisme vient de vous inspirer, j'y ferai mon possible. Vous connoissés les occupations importantes qui-me sont confiées et auxquelles je me livre tout entier avec l'activité et le dévouement que je dois à la confiance de la Convention et de mes citoyens ; tout le temps que je pourrai prendre sur celuy qu'il m'est impossible de dérober aux travaux immenses et multipliés du Comité, je vous le consacrerai avec plaisir, et si notre correspondance peut tourner au bien de la chose public (sic) et au plus grand avantage de notre département et de notre district, nous aurons vous et moy bien mérité de nos concitoyens, dans-le bonheur desquels nous trouverons celuy qui peut seul nous rendre heureux.

Vous n'êtes, peut-être pas dans le moment sans quelque petite sollicitude sur certains bruits qu'on s'est plu de répandre avec affectation pour faire croire, ce qu'on ne croit pas, mais ce qu'on désire avec beaucoup d'ardeur, que les deux comités de gouvernement n'alloient plus d'accord ; je vous assure du contraire. On a cru voir l'horizon qui entoure les deux comités un peu rembruni ; cette brume, que les malveillants vouloient faire apercevoir et luy donner quelque concistance (sic) n'a été vue que par eux ; ils ont eu beau s'agiter pour la présenter comme un nuage sombre qui renfermoit la foudre d'une rupture inévitable ; cet orage, qui-n'a existé que dans les yeux et dans le cœur de ceux qui le désiroient, et pour cause à eux connue, a été conjuré et dissipé avant même qu'il eut été formé. Je vous renvoye pour être convaincus de ce que je vous dis au raport de Barrère fait hier au nom des deux comités réunis, je n'entrerai, sur son objet, ni sur les faits qui en ont été le motif, dans aucune espèce de détail ; je me bornerai à vous assurer qu'il a été entendu avec le plus grand intérêt et aplaudi avec le plus sincère enthousiasme. Je ne vous en dirai pas davantage aujourdhuy, dès qu'il sera imprimé, et le compte qu'il le sera demain, je m'empresserai de vous en faire parvenir quelques exemplaires, et si les circonstances l'exigent, je vous ferai part des réflexions qu'elles pourroient être dans le cas de m'inspirer. Les ennemis du dehors ont beau s'agiter de concert avec leurs vils agents de l'intérieur, l'énergie de la Convention, dont la majorité et très grande majorité toujours pure ne peut jamais être corrompue ni entraînée, n'a rien à craindre des terreurs dont on a voulu la fraper ; la montagne n'est point ébranlée, elle est toujours bien gardée et bien défendue. Ainsi soyés bien tranquilles, si on a cherché à vous terrifier, vous pouvés avec confiance reprandre votre sécurité ordinaire. Au reste, nos victoires continuent, et les satellites des despotes ne peuvent pas se résoudre à se mettre en présence des troupes de la République : elles sont en possession de la place importante d'Anvers ; l'ennemi, qui sentoit bien qu'il n'étoit pas capable de nous la disputer bien long temps, a eu l'honnêtété de l'evacuer très précipitamment, quand il a sçu que nous avions le projet de nous en emparer ; il y a dans cette place une citadelle très essentielle pour ceux qui en sont maîtres ; cette nouvelle ne sera connue de la Convention qu'à deux heures et ne parviendra que demain dans les départements ; j'ai cru vous faire plaisir que de vous l'annoncer 24 heures d'avance, je vous la. donne pour vrai (sic) et je vous en reponds.

J'ai apris avec bien de la satisfaction que notre cher compatriote Sorbier avoit été acquitté par le tribunal revolutionnaire de Nismes ; Lantheyrès d'Alain l'a été aussi, et j'en suis également bien charmé. Tachés de me mettre un peu au courant de ce qui se passe dans cette commune : j'y vois avec douleur des dissentions domestiques dont il serait bien important d'arrêter le cours. Deux partis bien prononcés semblent vouloir se former, ils sont en presence, ne serait-il pas possible de les raprocher. Le comité de sûreté générale est assailli de reclamations respectives qui arrivent pour et contre Lanteyrès et Rovère. Gardons-nous de donner à nos ennemis le spectacle d'une division funeste entre nous : c'est les amuser, et leur prêter des armes pour nous attaquer.

Je ne vous parlerais pas de mon beaupère si je ne scavois que la démarche, que la justice et l'humanité vous ont inspiré en sa faveur, doit avoir décidé de son sort.

J'attends avec l'impatience si naturelle à la piété filiale, qui est une vertu republicaine, d'etre instruit de l'evenement ; il répondra, je l'espère, à nos désirs communs, quelque devoir qu'il exige de moy, je scaurai le remplir, je suis republicain.

Un vrai républicain n'a pour Père, et pour fils[4]

Que la vertu, les Dieux, les Loix et son pays.

Mais mon beaupère n'est pas un ennemi de la Révolution, il sera bientôt, je le pense, rendu à la liberté, qui en est le premier bienfait.

Adieu, freres et amis, je vous embrasse tous du meilleur de mon cœur. Salut et fraternité.

VOULLAND.

 

II

Paris, ce 9e thermidor l'an 2 de la Rép. une et indivis.

Voulland, citoyen de la commune d'Uzès, représentant du Peuple à la Convention Nationale,

A ses compatriotes les membres composant l'administration du District d'Uzès.

C'était de bien bonne foy, frères et amis, que je croyais pouvoir vous mander hier que tous les nuages que la malveillance avoit cherché pendant plusieurs jours à amonceler autour des deux comités de gouvernement étaient enfin dissipés. Je le pensais aussi sincèrement que je le désirois, et j'avois à vous l'annoncer un plaisir d'autant plus vif que je croyais pouvoir le faire sans être obligé d'entrer jamais dans aucun détail sur la cause et les progrès de cet evenement fâcheux. Le discours de Robespierre, jetté hier au milieu de la Convention, y a laissé l'impression la plus douloureuse ; je n'entreprendrai pas de vous la dépeindre, je n'en ai ni le courage, ni le moyen. Les deux comités ont passé la nuit pour aviser aux moyens d'une juste et légitime défense. Je ne la previendrai pas icy, je me bornerai à vous dire que je ne vois dans tout ce qui se passe autour des deux comités que de petits amours blessés qui se sont aigris avec le temps, et dont l'explosion a été terrible. Robespierre, pour me servir de ses propres expressions, a jetté le gand aux deux comités, et les a cruellement attaqués. Les griefs qu'il leur impute leur ont été renvoyés pour y répondre, je crois que la réponse sera facile et peremptoire ; on n'a jamais conspiré dans aucun des deux comités ni contre la République, ni contre aucun individu dévoué à ses intérêts. Robespierre a été singulièrement abusé quand on est parvenu à luy persuader que le projet de le perdre ou de l'accuser avoit été conçu, et qifon touchoit au moment de le voir executer. Je vous le demande, freres et amis, vous tous qui m'avés vu naître, m'avés-vous vu jamais conspirer, me croyés-vous capable d'entrer dans .aucun complot tendant à troubler l'Etat ou à le priver d'un athelete utile à sa défense : non, je vous le jure, je n'ai jamais eu l'idée d'aucune espece de conspiration, je suis convaincu qu'elle n'a jamais existé dans la tete d'aucun de mes callegues. Je désire que cette journée soit utile a (la] Liberté, elle ne sera pas perdue si elle peut éclairer les esprits et les raprocher. Je finis avec ce desir dans le cœur, et je me borne à vous conjurer au nom de la patrie de voir avec calme les delbats qui vont s'elever au sein de la Convention ; n'en perdés aucune circonstance, et ne prenés parti que lorsque vous aurés été bien à même de distinguer la vérité et la justice.

Je vous embrasse, sinon avec le même plaisir, du moins avec la même securité et le même calme que je le faisois hier, car ma conscience ne me reproche rien ; quelque chose qu'il puisse m'arriver, je serais toujours ce que je crois n'avoir jamais cessé d'etre, digne de votre estime et du caractère dont votre choix m'a honoré. Adieu, je vous embrasse du meilleur de mon cœur aussi pur que l'astre du jour qui nous éclaire.

Salut et fraternité.

VOULLAND.

 

III

Paris ce 27e thermidor l'an 2 de la République une et indivisible.

Voulland, représentant du peuple,

A ses frères et amis, les braves Sans-Culottes composant l'administration du District d'Uzès,

Recevés, frères et amis, mes sinceres félicitations sur les sentiments energiques que vous vous êtes empressés d'exprimer à la Convention Nationale, dès la première nouvelle qui vous est parvenue de la conspiration et du juste chatiment des modernes triumvirs frapés du glaive de la Lay. Je m'estime très heureux d'avoir pu contribuer, et c'etoit mon devoir de le faire, de vous eclairer sur les dangers qui ont menacé la liberté, en vous donnant l'eveil sur les scelerats qui conspiroient pour nous la ravir. Je m'aplaudissois de votre conduite et de votre discernement dans cette circonstance difficile, je jouissois de votre propre satisfaction, lorsque tout à coup la joye que j'éprouvois vient d'être troublée par les nouvelles déchirantes qui nous arrivent à l'instant de Nismes. Seroit-il vrai, freres et amis, qu'à plus de cent soixante lieues du foyer de la conspiration, les chefs atroces qui l'avaient conçue au milieu de nous eussent trouvé le secret de se ménager des complices ? Seroit-il possible qu'on les aperçut bien distinctement parmi ceux qui s'étoient montré et que nous regardions comme les amis les plus dévoués de la République ? Rien ne paroit plus évidemment demontré -d'après la teneur du compte rendu par le comité de surveillance de la commune de Nismes, que j'ai sous les yeux : il en résulte que les membres du Tribunal révolutionnaire s'étoient permis à la nouvelle de la conspiration des modernes triumvirs de dire dans la salle de (des) lectures de la société et à la société même que les patriotes les plus prononcés de la Convention avaient été assassinés, que la mort du traitre Robespierre étoit le fruit d'une faction qui en avait triomphé, et qu'enfin la contrerevolution étant opérée,, il falloit se mettre en mesure. On ajoute que Boudon, l'un des juges du tribunal, convaincu d'avoir manifesté ces sentiments, à mes yeux plus que contrerevolutionnaires, a quitté le fauteuil de la société qu'il présidoit, il est monté à la tribune où il s'est tué d'un coup de pistolet en osant se vanter de s'immoler lui-même pour la Liberté, qu'il regardait sans doute comme perdue au moment où l'on venait de l'affermir par lés mesures les plus vigoureuses et les plus justes. On assure encore dans ce même compte. rendu signé de tous les membres au comité de surveillance qu'il existoit un projet d'envoyer des émissaires dans les campagnes pour y sonder l'esprit public et lever des hommes pour les faire marcher contre la Convention. On met en fait que la proposition en a été faite au citoyen Sabathier l'un des membres du comité- de surveillance et signataire du compte rendu, et que si on n'avoit pas apris presqu'au même moment l'arrestation et le suplice du scélérat Robespierre et compagnie, on aurait eu la douleur de voir s'organiser encore une fois dans la commune de Nismes une force departementale dirigée contre la Convention.

Voila, freres et amis, le precis bien exact des nouvelles dechirantes qui arrivent de Nismes, et dont il n'est pas possible de douter. Quelles en seront les suites ; la juste et prompte punition des temairaires (sic) qui ont osé mettre en balance un homme et la patrie, et quel homme, un scelerat, un vil conspirateur, demasqué et jugé par la Convention ! J'attends de votre zèle et plus encore de votre amitié que vous voudrés bien me tenir au courant de tout ce qui s'est passé autour de vous dans cette circonstance orageuse, et de tout ce qui se passera. Si j'ai un moment dont je puisse disposer, je le consacrerai à vous ecrire. Je ne vous dirai jamais que la vérité :, je suis fort occupé, ayant été chargé par delibération des deux comités de salut public et de sureté generale d'aller dans les diverses maisons d'arrêt de Paris recueillir tous les renseignements sur la conspiration dejouée ; je passe avec mon collegt, Laloy des journées entières dans les prisons.

Après la conduite que vous avez tenu, les sentiments republicains que vous avés manifesté, ainsi que toute la société populaire d'Uzès, je n'ai pas [à] redouter que l'influence du mauvais exemple donné à Nismes et le voisinage de cette commune puissent rien operer. La confiance qui vous est due de la part de vos administrés, et qu'ils vous accordent, m'est lin sur garant qu'ils ne parleront et n'agiront que d'après vous. La Loy, la Convention Nationale, voila le centre de ralliement, le seul phare que vous ayiés à montrer à ceux de qui vous tenés les pouvoirs que vous exércés, et eux-mêmes n'en ont pas d'autre à suivre. Je ne crains dans cette circonstance facheuse qu'une seule chose, c'est le contrecoup ou la reaction : si les ennemis de la République, divisés en diverses classes, s'emparent du mouvement, il est à craindre qu'ils en abusent pour exercer des vengeances particulières dont ils nourrissent le desir dans leur cœur défia depuis bien longtemps.

Adieu, freres et amis, j'ai le cœur abreuvé de dégoûts, l'ame navrée de douleur, je n'ai pas le temps de vous parler de moy, je n'ai que celuy de vous assurer que personne ne peut être avec plus de fraternité votre dévoué concitoyen.

VOULLAND.

Je n'écris pas à mon oncle, donnés-luy, je vous prie, de mes nouvelles ; j'espère qu'au renouvellement d'un quart du comité, je serai des heureux que le sort fera sortir. J'ai bien besoin de quelques jours de repos ; ma santé est delabré, je soufre de la poitrine horriblement.

Le parti robespierriste dans le Gard[5], dont le chef reconnu était Courbis, maire de Nîmes depuis septembre 1793, s'appuyait principalement sur le tribunal révolutionnaire du département et sur les sociétés populaires de Nîmes, d'Alès, d'Uzès, de Beaucaire et de Pont-sur-Rhône. On considérait comme ses principaux membres : au tribunal, le président Pallejay, le vice-président Baumet, les juges Giret et Boudon, le juge-suppléant Pélissier, l'accusateur public Bertrand ; puis, Charles, membre du département, Béniqué, administrateur du district de Nîmes, Crémieux, officier municipal de cette ville, Moulin, inspecteur des transports militaires ; en dehors de Nîmes, Lanteirès, agent national du district d'Alès, Laporte à Saint-Gilles, Jozan à Vauvert, Mafflotte à Aiguesmortes, Jacques Mingaud du Callar.

Le représentant en mission Borie avait toujours appuyé Gourbis, avec lequel Voulland lui-même entretint d'excellentes relations jusqu'au 0 thermidor : c'est sur le rapport très favorable de Voulland que la Convention, le 21 ventôse, innocenta Gourbis, emprisonné par ordre de Boisset le 8 nivôse. Voulland était également en très bons termes avec Giret et Moulin.

Mais les modérés, anciens girondins et futurs thermidoriens, occupaient de nombreuses places dans les administrations. Plusieurs membres du département, la majorité du district de Nîmes et son agent national, Simon Peschaire, ennemi personnel de Gourbis et adversaire de la société populaire, le comité de surveillance de Nîmes, étaient hostiles aux robespierristes.

La première nouvelle de la chute de Robespierre et de son arrestation arriva à Nîmes le 16 thermidor. La société populaire, la municipalité et le comité de surveillance de Nîmes écrivirent en toute hâte à Borie, qui se trouvait alors au Puy, de regagner Nîmes (Borie ne fut à Nîmes que le 23).

Courbis essaya certainement d'organiser la résistance. Le 16, à la nuit tombante, il réunit chez lui ses principaux partisans, une quinzaine en tout, parmi lesquels Giret, Moulin, Pélissier, Bertrand, Béniqué. Courbis proposa l'arrestation de sept modérés, dont Tansard, Labrousse, Triquet, Pons et Vigne. Mais il parut bien que ni le district ni le comité de surveillance ne consentiraient à lancer contre ceux-ci des mandats d'arrêt. Bertrand lui-même parut peu disposé à assumer cette responsabilité. Finalement, on se sépara sans avoir rien décidé. Courbis fit arrêter, le 17, quatre des personnages plus haut désignés, mais Bertrand annula le lendemain les mandats d'arrêt et ils furent remis en liberté.

Le 17 au matin, une lettre à l'adresse de Courbis, envoyée de Paris, le 10, par Scipion Sabonadière, annonça la mise hors la loi et l'exécution de Robespierre et de ses partisans. Une nouvelle réunion eut lieu chez Courbis. Tandis que certains, comme Béniqué, s'inclinaient devant le fait accompli et soutenaient qu'il fallait se rallier à la Convention, Boudon assurait qu'on devait faire marcher l'armée du Nord sur Paris, tandis que Moulin s'écriait : Adieu, les sociétés populaires !

Peu après, le courrier officiel confirma la nouvelle, qui se répandit vite. Sur la proposition de Courbis lui-même, le Conseil général de la commune et la société populaire de Nîmes votèrent des adresses de félicitations et de dévouement à la Convention. Le département, le district, le comité de surveillance les imitèrent sans retard.

Le 18, on reçut à Nîmes l'arrêté du Comité de Salut public en date du 13 suspendant les pouvoirs du tribunal révolutionnaire du Gard ; cette mesure fut signifiée sur-le-champ aux intéressés, qui> cessèrent de siéger et protestèrent eux aussi, dès le 19, de leur dévouement à la Convention.

Cependant, tout en se soumettant ostensiblement, certains des chefs du parti robespierriste, Courbis, Giret, Moulin, Boudon, Pélissier, ne désarmaient pas. Pallejay, Bertrand, Béniqué les avaient abandonnés. Courbis et les siens ne pouvaient plus guère compter que sur l'appui des sociétés populaires.

A la séance du 18 du club de Nîmes, l'effervescence fut grande. Boudon et Pélissier avaient parcouru les salles de lecture, disant que les patriotes de la Convention et de la municipalité de Paris avaient été assassinés, que la mort de Robespierre était le fruit de la faction, que la contre-révolution était opérée dans la République.

Boudon exprima cette opinion à la tribune. Le tumulte devint général. Les uns voulaient que l'on rompit avec la Convention ; les autres, que l'on fît une adresse aux armées pour les engager à venger l'assassinat de Robespierre ; d'autres demandaient que l'on dépêchât des commissaires dans toutes les sociétés populaires pour les inciter à demander vengeance ; d'autres enfin disaient qu'il fallait commencer par septembriser à Nîmes afin de pouvoir ensuite agir sans crainte.

On vota seulement deux résolutions : une dénonciation contre Boisset, qualifié de modéré et de protecteur des aristocrates, et, comme les vrais jacobins avaient été assassinés ou chassés de leur club, la motion d'attendre que leur salle fût rouverte pour leur demander des informations et se décider ensuite.

Il est très probable aussi que des émissaires avaient été envoyés de suite aux autres sociétés importantes du Gard : dés le 17, le club d'Alès, sous l'influence de Lanteirès, s'était montré hostile au coup d'Etat de la Convention. Et le 20, le comité de surveillance de Nîmes défendit au maitre de poste de délivrer aucun cheval à qui que ce soit, sans ordre du comité lui-même.

La crise se dénoua le 19, au club de Nîmes. A la séance de ce jour, Courbis, Giret, Pélissier, Boudon revinrent à la charge pour décider la société à blâmer la Convention. Mais leurs partisans n'avaient plus la majorité ; il paraît même que de nombreux citoyens armés, étrangers au club, s'étaient introduits dans la salle. Des voix s'élevèrent : on demande l'exclusion de Boudon ; celui-ci essaye en vain de prendre la parole pour se défendre. Bientôt, on réclame son arrestation. Alors un membre du comité de surveillance, Sabatier, un de ceux qui le 16 au soir avaient refusé leur concours à Courbis, s'élance à la tribune et dénonce Courbis comme le chef de la faction. Béniqué lui-même confirme les allégations de Sabatier ; d'autres accusent Moulin et Pélissier ; celui-ci est obligé de céder le fauteuil de la présidence à Béniqué. Courbis ne peut se faire entendre. Boudon s'obstine à rester à la tribune ; l'Assemblée lui refuse obstinément la parole. Alors Boudon se brûle la cervelle en disant : Je meurs pour la Liberté ![6]

Cette scène tragique marque la fin de la séance, mais les chefs robespierristes sont gardés à vue. Le comité de surveillance et le district se réunissent et se déclarent en permanence. Le 20, à trois heures du matin, le district fait arrêter seize robespierristes, parmi lesquels Courbis, Giret, Moulin, Pallejay, Baumet, Pélissier, Bertrand.

A neuf heures, ils sont jetés dans des cachots, mis aux fers ; les autres détenus les accablent de mauvais traitements[7].

D'ailleurs, à Paris, les députés du Gard Chambon-Latour, Leyris, Jac et Berthezène les avaient déjà dénoncés au Comité de Sûreté générale : celui-ci avait ordonné, le 16, l'arrestation de Moulin, Courbis, Pallejay, Baumet, Giret, Boudon, Bertrand et Lanteirès. Cet arrêté du Comité de Sûreté générale ne fut connu à Nîmes que le 23.

Le même jour, Borie, revenu à Nîmes, trouva en prison ceux qu'il avait toujours soutenus. Il se hâta de repartir après avoir gardé la plus grande réserve.

Le représentant Perrin, qui le remplaça dans sa mission, arriva à Nîmes le 9 fructidor. Le parti robespierriste, privé de ses chefs, n'avait pas encore désarmé dans la région. Si la société populaire de Nîmes devenait rapidement thermidorienne, dénonçait Borie (4 fructidor), et demandait la révision des jugements du tribunal révolutionnaire du Gard (12 fructidor), celles de Beaucaire et de Pont-sur-Rhône n'avaient pas accepté le fait accompli. Le 28 fructidor, à Avignon, l'arrêté du Comité de Salut public suspendant le tribunal révolutionnaire du Gard était encore regardé comme un acte arbitraire et dicté par la raison du plus fort.

 

 

 



[1] Archives départementales du Gard, 8 L. 3, Liasse 21. Les lettres sont entièrement de la main de Voulland.

[2] Discours de Saint-Just du 9 thermidor.

[3] Voir dans les Annales historiques de la Révolution, de 1927, p. 152, mon article sur l'impression produite â Nevers par la nouvelle du 9 thermidor.

[4] Le mot se prononçait fi et rimait par conséquent avec pays.

[5] F. ROUVIÈRE, Histoire de la Révolution française dans le département du Gard, Nîmes, 1889, t. IV, p. 355-367, et annexe n° 9, p. 609-614 (procès-verbal de la séance de la Société populaire de Nîmes du 19 thermidor).

Arch. départ. du Gard, 1 L. 7, n° 74-75 (comité de surveillance de Nîmes, procès-verbaux, correspondance et dénonciations) ; 4 L. 3, n° 8 (correspondance de l'agent national du district de Nîmes) ; série L. (fonds judiciaires, interrogatoires de Courbis, Moulin, Bertrand, Béniqué (an III).

[6] Ou, suivant une autre version, je meurs pour la patrie !

[7] Giret se suicida le 8 fructidor. Courbis, Baumet, Bertrand et Moulin furent massacrés en 1795. Pallejay et Pélissier échappèrent et furent relâchés en 1796.