GIRONDINS ET MONTAGNARDS

 

CHAPITRE V. — LA TERREUR INSTRUMENT DE LA POLITIQUE SOCIALE DES ROBESPIERRISTES.

 

 

Les décrets de ventôse sur le séquestre des biens des suspects et leur application.

 

La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avons pas pensé.

SAINT-JUST.

 

Les lois de ventôse furent le testament des Robespierristes. Elles ordonnaient le triage des suspects par le moyen de six commissions populaires qui les classeraient en trois catégories : ceux qui seraient remis en liberté, ceux qui seraient condamnés à la déportation, ceux qui seraient renvoyés au Tribunal révolutionnaire. Les biens des suspects des deux dernières catégories considérés comme ennemis de la Révolution devaient d'abord être mis sous séquestre et distribués ensuite à des Sans-Culottes pauvres et patriotes dont la liste serait dressée commune par commune.

Il s'agissait donc d'une vaste expropriation d'une classe au profit d'une autre.

Sans doute les biens du clergé et les biens des émigrés avaient déjà été expropriés, mais, mis en vente, ils n'avaient servi qu'à enrichir ceux qui avaient pu les acheter. Ils avaient profité uniquement aux gens fortunés ou aisés. Il s'agissait cette fois de tout autre chose. Les biens des suspects seraient transférés — en nature ou en argent — à la partie de la population la moins favorisée par la fortune, à des indigents qui, par ce procédé, seraient élevés à la propriété. Les triumvirs Robespierre, Saint-Just et Couthon étaient convaincus qu'ils ne pourraient asseoir la République qu'à ce prix, qu'en créant de toutes pièces une nouvelle classe sociale qui lui devrait l'existence. Esprits réalistes, quoi qu'on en dise, ils savaient les difficultés de la formidable opération qu'ils tentaient, ils se disaient qu'elle durerait de longs mois jusqu'à son achèvement, ils ne voyaient qu'un. moyen pour la réussir prolonger le gouvernement révolutionnaire aussi longtemps qu'il le faudrait, jusqu'à la paix, ainsi d'ailleurs que l'avait décrété la Convention, sur la proposition de Saint-Just, le 10 octobre 1793.

C'est un étonnement pour moi que des lois d'une telle importance n'aient pour ainsi dire pas retenu l'attention des historiens de la Révolution, même de ceux qui font profession de démocratie et de socialisme.

Aucun ne s'est demandé si ces lois avaient reçu un commencement d'exécution, si elles furent pour quelque chose dans les divisions qui opposèrent les uns aux autres les gouvernants et qui eurent leur dénouement le 9 thermidor. Aucun n'a recherché comment elles furent accueillies par l'opinion et les intéressés. Tous ont passé régulièrement à côté du problème. Si quelques-uns l'ont aperçu, ils ne s'y sont pas arrêtés.

Qu'on parcoure Louis Blanc ou Ernest Hamel, je ne parle pas de M. Aulard, on n'y trouve rien, mais rien sur les décrets de ventôse. Louis Blanc se pose pourtant non seulement en théoricien mais en homme d'Etat du socialisme. Il ignore tout simplement l'entreprise la plus hardie de Robespierre et de Saint-Just qu'il fait profession d'admirer. Ernest Hamel, lui, n'eut jamais de complaisance pour le socialisme, même en paroles, c'était un démocrate, comme il y en eut tant sous le Second empire, dont tout le programme se réduisait à de vagues réformes politiques et scolaires. Tous deux, Hamel et Louis Blanc, ont négligé le côté social de la Révolution. Ils n'ont étudié sérieusement ni l'inflation, ni la vie chère, ni le maximum. Ils se sont imaginé un Robespierre de fantaisie taillé sur leur propre patron de bons bourgeois bien intentionnés. Ayant ignoré les lois de ventôse, ils ont dû torturer les textes pour leur faire dire que Robespierre voulait arrêter la Terreur et mettre fun au gouvernement révolutionnaire quand il fut renversé.

Seul Jaurès, avec sa pénétration coutumière et son sens aigu des réalités sociales, a consacré plusieurs pages de son histoire aux décrets de ventôse, qu'il a rapprochés avec raison des Institutions républicaines de Saint-Just, ouvrage posthume qui ne verra le jour qu'en 1800[1]. Cela l'a préservé de l'erreur commune. Il a bien vu la raison pour laquelle les triumvirs voulaient maintenir le gouvernement révolutionnaire et il a parfaitement marqué la signification historique de leur tentative : Bien qu'il convienne de relâcher maintenant les ressorts de la Révolution, il faut aller dans le sens des forces révolutionnaires jusqu'à donner aux pauvres qui luttent pour la liberté les biens de ceux qui la menacent. Ce sera un expédient d'égalité révolutionnaire qui n'aura pas seulement pour effet d'affermir l'action immédiate de la Révolution, mais qui préparera et annoncera les institutions de justice, les institutions sociales sans lesquelles la Révolution n'aurait point de base... Résumant ensuite les Institutions républicaines de Saint-Just, Jaurès écrit encore : Ce Saint-Just fait entrevoir toute une évolution d'égalité sociale dans l'avenir et dès maintenant il proclame que si on laisse en contradiction l'état politique fondé sur l'idée de démocratie et ce qu'il appelle l'état civil, c'est-à-dire l'état économique et social, la Révolution périra. Dès maintenant il proclame que de vastes expropriations révolutionnaires, appliquées non plus seulement à la propriété féodale mais à toute propriété détenue par un ennemi de la Révolution, sont le complément logique du mouvement et la condition du succès. C'est un terrorisme nuancé de socialisme... C'était offrir au peuple révolutionnaire une immense proie. Mais c'était mieux que cela. C'était donner à la propriété un nouveau fondement juridique. C'était créer un titre de propriété que tous les citoyens pouvaient conquérir par l'exercice vigoureux de l'action politique et nationale. C'était annoncer une Révolution de l'état civil analogue et harmonique à l'autre.

On conviendra qu'il était difficile de marquer avec plus de netteté et de précision le but poursuivi par Saint-Just et ses amis. Mais Jaurès s'en est tenu à ces indications générales qui sortaient naturellement de son esprit philosophique. Il n'a pas essayé de rechercher ce que fut la tentative dans les faits. Il s'est borné à analyser les idées. Et, chose étrange, il a cru, à tort, qu'au moment même où Saint-Just traçait le plan de cette nouvelle expropriation qui devait profiter au prolétariat et l'attacher invinciblement à la Révolution, il était déjà décidé, le 8 ventôse, à engager contre les Hébertistes une lutte décisive. Tout dément cette hypothèse fragile et a priori, ne serait-ce que la surprise indignée de Saint-Just lui-même quand il apprit leur tentative d'insurrection (voir son discours du 23 ventôse). En réalité, les décrets de ventôse étaient destinés, dans la pensée de leurs auteurs, à rallier au gouvernement les Hébertistes en leur donnant des gages et en dégageant de leurs aspirations confuses un programme social.

Jaurès a cru d'abord qu'il ne s'agissait en somme que d'un expédient d'égalité révolutionnaire, mais il a corrigé lui-même un peu plus loin l'injustice de cette formule dédaigneuse quand il a reconnu que Saint-Just poursuivait toute une évolution d'égalité sociale dans l'avenir et qu'il voulait donner à la propriété un nouveau fondement juridique. Les décrets de ventôse n'étaient pas une fin, mais un commencement.

Ils résument l'état dernier de la pensée des Robespierristes. Ils relient ceux-ci aux Babouvistes qui furent leurs héritiers directs et leurs continuateurs[2]. A ce titre, leur signification historique est considérable. Ils méritent une étude sérieuse. J'ai voulu, dans ces pages, essayer de l'entreprendre. D'autres compléteront mon esquisse. Elle leur indiquera du moins le chemin.

L'idée d'appliquer aux ennemis de la Révolution restés à l'intérieur le même traitement qu'à ceux qui avaient franchi la frontière et qui combattaient dans les rangs des coalisés, cette idée était tellement naturelle qu'elle s'était déjà exprimée bien des fois au cours des crises antérieures et que même elle avait été réalisée en quelques régions, en marge de la loi.

Le jour même où le canon du 10 août abattait le trône, quand Gensonné faisait voter les premières mesures de précaution contre les suspects, en réponse à la marche de Brunswick sur nos frontières, un obscur député girondin Lebreton, dans une opinion qu'il ne porta pas à la tribune, mais qu'il fit imprimer, avait proposé d'ordonner la saisie des meubles et des revenus des suspects absents de leur commune et de les affecter aux frais de la guerre ainsi qu'il est décidé à l'égard des émigrés et leurs personnes seront saisies partout où il sera possible de les trouver et de les reconnaître, mais sa proposition prématurée n'avait rencontré aucun écho[3].

Dans la crise de l'insurrection vendéenne et de la trahison de Dumouriez, Couthon la reprit à son compte en la modifiant et demanda, le 8 mai 1793, qu'une contribution proportionnée à leurs richesses fût imposée aux suspects et que les sommes ainsi produites fussent consacrées à payer les Sans-Culottes qui partiraient pour la Vendée soumettre les révoltés. Couthon ne fut pas écouté[4]. Deux jours plus tard Collot d'Herbois propose qu'un tiers de la fortune des hommes suspects, fût consacré aux dépenses de cette guerre.

Mais, dans les grands périls de septembre 1793, au lendemain de l'entrée des Anglais dans Toulon, quand la levée en masse, c'est-à-dire l'appel de sept classes, commençait â s'opérer au milieu d'un grondement de révolte, les Comités de Salut public, qui s'étaient formés aux chefs-lieux de nombreux départements pour diriger l'exécution des -mesures révolutionnaires, ne se bornèrent pas à ordonner l'arrestation en masse des défaitistes de l'époque, ils songèrent assez souvent à les frapper dans leurs biens. Ainsi le Comité de Salut public du département de la Haute-Vienne, par un arrêté du 11 septembre 1793, mit le séquestre sur les biens des suspects qui se soustrairaient aux recherches et, un mois plus tard, le 20 octobre, il généralisa la mesure pour tous les suspects sans distinction. Les biens séquestrés furent affermés comme les biens d'émigrés pour la durée d'une année et leurs revenus, perçus par les receveurs d'enregistrement, servirent à couvrir les frais de garde et d'entretien des suspects et à acquitter les taxes extraordinaires qui leur avaient été imposées[5].

Vers le même temps, par un arrêté du 2 octobre, le représentant Fouché, en mission dans la Nièvre, ordonnait lui aussi, le séquestre des biens des suspects : Il ne leur sera laissé, disait son arrêté, que le strict nécessaire pour eux et leurs familles... Inventaire sera fait dans tous leurs domaines[6].

Le représentant Javogues qui opérait dans l'Ain, se piquait d'émulation et il ordonnait à son tour le -séquestre des propriétés des suspects le 8 frimaire. Mais son successeur dans le département,. Gouly, leva le séquestre le 27 frimaire[7].

Roux-Fazillac, dans la Dordogne, se bornait à ordonner le séquestre des suspects qu'on ne pourrait atteindre mais, dans une lettre au Comité de Salut public du 16 septembre, il lui conseillait de faire voter une loi qui ordonnerait le séquestre général, cela serait pour nos assignats une hypothèque de plus, on accorderait à ces mauvais citoyens des pensions alimentaires et on les inscrirait sur le grand livre, par ce moyen on les intéresserait malgré eux à la prospérité de la République. Le Comité de Salut public répondit à Roux-Fazillac qu'il prendrait ses vues en considération et qu'il applaudissait à sa vigilance. Mais il s'en tint pour le moment à ces bonnes paroles[8].

Le 16 septembre 1793, le club de Sedan adopta la résolution suivante : Il semble que la Révolution n'a produit d'autre effet que de faire succéder les hommes qui ont de l'argent à ceux qui ont des parchemins. Les patriotes de Sedan, convaincus que les riches ne valent pas mieux que les nobles et que c'est à l'aristocratie des premiers que nous devons les troubles du Calvados, la guerre de Vendée, la trahison de Toulon et la révolte de Lyon, vous proposent de faire passer le projet de décret suivant à la Convention nationale : 1° lorsque, par des machinations des citoyens opulents d'une ville quelconque, il s'y sera élevé des mouvements de révolte, cette ville sera déclarée en rébellion ; — 2° cette déclaration servira d'invitation pressante aux bons citoyens de cette ville, de combattre les auteurs de la rébellion et de sauver la chose publique ; — 3° les citoyens qui seront parvenus à étouffer la révolte seront déclarés avoir bien mérité de la patrie ; ils obtiendront pour récompense la moitié des biens meubles et immeubles appartenant aux auteurs de la révolte ; l'autre moitié sera confisquée au profit de la République ; — 4° les autorités constituées seront chargées, sous leur responsabilité, de faire le partage égal de ces biens ; — 5° les chefs reconnus de la rébellion seront punis de mort et les autres déportés[9].

Il n'est pas douteux que l'assimilation complète des suspects aux émigrés était dans les vœux de la plupart des clubs et particulièrement de ceux où les Hébertistes dominaient. Le 7 brumaire (28 octobre), aux Jacobins, le général commandant la Garde nationale parisienne, Hanriot, s'était écrié : La Révolution n'est pas faite, cependant les Sans-Culottes la soutiennent seuls et l'on n'a rien fait pour eux. On a pris Lyon et Lyon, qui devait être partagé aux Sans-Culottes qui l'avaient pris sur les rebelles, ne leur a pas valu la moindre récompense. Il faut que tout ce que perdent les aristocrates soit donné aux patriotes, maisons, terres, tout doit être partagé entre ceux qui conquièrent sur ces scélérats. Hanriot proposait en somme, d'appliquer aux ennemis de l'intérieur les règles du droit de la guerre alors en usage. Quand un équipage faisait une prise sur mer, cette prise lui appartenait. L'armée révolutionnaire avait conquis Lyon, Hanriot, dans sa simple logique, demandait que les biens des vaincus fussent distribués aux vainqueurs. Les bons bourgeois du club n'étaient pas encore mûrs pour pratiquer cette politique ! Personne ne releva la suggestion du général. Mais, quelques jours plus tard, le 21 brumaire, la Commune arrêta, sur la motion de Chaumette, qu'on inviterait la Convention à décréter que tous ceux qui étaient absents de Paris seraient tenus d'y rentrer, faute de quoi, leurs biens seraient déclarés nationaux.

On lut à la Convention, à la séance du 13 frimaire (3 décembre), une adresse de la Société républicaine de Châlons-sur-Marne qui demandait le séquestre des biens des suspects au profit de la République, car sans cela ils conserveraient des moyens de corruption dans l'intérieur et la faculté de soutenir la rébellion des émigrés en leur faisant parvenir des secours. L'adresse fut renvoyée au Comité de Législation[10].

Le 19 nivôse cependant, la Convention renvoya au Comité de Salut public une pétition des Sans-Culottes de Thiers qui sollicitaient une loi qui prononçât le séquestre des biens des suspects jusqu'à la paix pour indemniser le Trésor public des frais de la guerre. Le Comité laissa tomber l'invitation[11].

Mais le 7 pluviôse, la question revient sur l'eau par une voie indirecte. La loi du 17 septembre sur les suspects avait spécifié que les frais de leur nourriture et de leur garde seraient à leur charge. Un débat s'engagea sur le chiffre de l'indemnité à allouer aux gardiens des scellés apposés sur les maisons de ceux qui étaient en détention. Delacroix se plaignit que le décret qui avait ordonné que la nourriture de tous les détenus serait soumise à la loi de l'Egalité, n'était pas exécuté. Fayau intervint : Un moyen simple de réduire tous les prisonniers à une égale nourriture, c'est de faire régir leurs biens par les administrations de districts. Alors Couthon donna l'avis du gouvernement : J'ai une autre question à proposer à la Convention. Ne serait-il pas utile de séquestrer les biens des personnes arrêtées comme suspectes ? Sur sa motion l'Assemblée chargea les deux Comités de Salut public et de Sûreté générale de faire un rapport sous trois jours sur la question ainsi soulevée à l'improviste.

* * *

Jusque-là le séquestre des biens des suspects n'avait été envisagé que dans sa liaison directe avec la défense nationale, comme une simple mesure de circonstance, sans aucune arrière-pensée sociale.

Mais les attaques véhémentes des Indulgents contre le gouvernement révolutionnaire, l'usage immodéré que font les représentants en mission, qui appartiennent à leur parti, de la loi des suspects, pour frapper en province et à Paris même les plus ardents révolutionnaires et particulièrement les agents du Comité de Salut public ou du Conseil exécutif, mis en prison les uns après les autres, la protection ouverte que les Indulgents accordent aux riches, leurs efforts tenaces et souvent couronnés de succès pour paralyser les lois révolutionnaires, telles que la loi sur l'accaparement ou la loi du maximum, la persistance de la disette qui sévit cruellement dans ce terrible hiver de l'an II, les intrigues continuelles qui minent sa situation à la Convention et qui menacent plus d'une fois de le renverser, bref le surcroît de dangers qui enveloppent le gouvernement et de dangers qui proviennent cette fois d'anciens révolutionnaires repentis, pousse le gouvernement en avant et l'amène peu à peu à des solutions de plus en plus hardies auxquelles il n'avait jamais pensé.

Trois jours après la mise en liberté des Hébertistes Ronsin et Vincent, victimes des dénonciations de Fabre d'Eglantine, Robespierre expose le 18 pluviôse, dans un grand discours, la nouvelle politique gouvernementale. Il avoue que jusque-là les Comités n'avaient été guidés que par le sentiment des besoins de la patrie plutôt que par une théorie exacte et des règles précises de conduite que nous n'avions pas même le loisir, dit-il, de tracer, mais il était temps de marquer nettement le but de la Révolution et les moyens de l'atteindre. Le but n'était pas de remplacer l'aristocratie ancienne, celle de la naissance, par une aristocratie nouvelle, celle de la richesse. Non, le but, c'est d'atteindre un ordre de choses où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie... où la patrie assure le bien-être de chaque individu et que chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie... où les arts soient les décorations de la liberté qui les ennoblit% le commerce la source de la richesse publique et non pas seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons. Autrement dit, le but était d'égaliser les fortunes, seul moyen pour faire de la démocratie une réalité. La première règle de votre conduite politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu. Il mettait en garde contre ceux qui ont embrassé la Révolution comme un méfier et la République comme une proie. Il s'élevait avec violence contre ces fripons et contre les Indulgents, leurs protecteurs et complices. Il réclamait la continuation de la Terreur qu'il voulait moraliser pour en supprimer les excès : Le ressort du gouvernement populaire en Révolution est à la fois la vertu et la terreur, la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. Les Indulgents lui semblaient des alliés masqués de l'ennemi : Tous les élans de leur fausse sensibilité ne me paraissent que des soupirs échappés vers l'Angleterre et vers l'Autriche. Il fallait traiter les insoumis de l'intérieur comme nos soldats traitaient les soldats des despotes. Et comme s'il avait déjà dans l'esprit la loi de prairial, il s'écriait : La lenteur des jugements équivaut à l'impunité, l'incertitude de la peine encourage tous les coupables. Dévoilant enfin toute sa pensée, il concluait : La protection sociale n'est due qu'aux citoyens paisibles, il n'y a de citoyens dans la République que les républicains. Les royalistes, les conspirateurs, ne sont pour elle que des étrangers, ou plutôt des ennemis. Ce discours portait en germe toute la politique sociale qui va suivre. Il ne s'agit -plus de défendre la Révolution par des mesures de circonstances. On emploiera la Terreur maintenue et accélérée à détruire les grandes fortunes, à répartir plus équitablement la propriété, afin d'égaliser les conditions. Dès lors, il était à prévoir que le problème toujours posé, jamais résolu, du séquestre des biens des suspects entrerait dans une nouvelle phase.

Le S ventôse, à la veille du combat décisif contre les factions, Saint-Just vint développer et préciser, dans un fulgurant discours tout entier dirigé contre les dantonistes, la politique esquissée par Robespierre. Ce qui constitue une République, posait-il en principe, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé. On se plaint des mesures révolutionnaires. Mais nous sommes des modérés en comparaison de tous les autres gouvernements. Et il faisait un sombre tableau des massacres ordonnés par les gouvernements monarchiques. Puis, ayant fait éclater la menace sur Danton et sur ses amis, il développait ses solutions : La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avons point pensé. L'opulence est dans les mains d'un assez grand nombre d'ennemis de la Révolution, les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu'un empire puisse exister si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement ? Ceux qui font 'des révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau. La Révolution nous conduit à reconnaître ce principe que celui qui s'est montré l'ennemi de son pays n'y peut être propriétaire. Il faut encore quelques coups de génie pour nous sauver.... Les propriétés des patriotes sont sacrées..., mais les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre. Ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent... Un décret de principe voté sans débat prononça le séquestre au profit de la République, des biens des personnes reconnues ennemies de la Révolution. Ces personnes seraient détenues jusqu'à la paix et bannies ensuite à perpétuité. En outre le Comité de Sûreté générale était investi du pouvoir de mettre en liberté les patriotes détenus.

Quelques jours plus tard, le 13 ventôse, Saint-Just faisait adopter le mode d'exécution de la grande mesure qui avait pour but, disait-il, de faire tourner la Révolution au profit de ceux qui la soutiennent et à la ruine de ceux qui la combattent. Toutes les communes de la République dresseraient un état des patriotes indigents qu'elles renferment, avec leurs noms, leur âge, leur profession, le nombre et l'âge de leurs enfants. Quand le Comité de Salut public serait en possession de ces états, il ferait un rapport sur les moyens d'indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la Révolution, selon le tableau que le Comité de Sûreté générale lui aura présenté et qui sera rendu public. Le Comité de Sûreté générale inviterait parallèlement les Comités de surveillance de chaque commune à lui faire passer respectivement les noms, la conduite de tous les détenus depuis le 1er mai 1789.

Saint-Just s'écriait dans son enthousiasme que cette loi forte pénétrerait tout à coup dans les pays étrangers comme l'éclair inextinguible. Que l'Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux, ni un oppresseur sur le territoire français, que cet exemple fructifie la terre, qu'il y propage l'amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée neuve en Europe.

La Révolution politique allait-elle donc s'achever en Révolution sociale ? en Révolution universelle ?

On conçoit l'indignation et la colère qui saisit Saint-Just et ses collègues du gouvernement quand juste au lendemain du grand décret se produisit aux Cordeliers la tentative d'insurrection des Hébertistes. Voilà le moment qu'ils ont choisi, dit Barère, le 16 ventôse à la Convention — pour voiler les Droits de l'Homme. Chaque bien que la Convention veut faire est entouré d'obstacles et précédé ou accompagné d'orages. On dirait que les bonnes lois, les lois populaires, ne peuvent être faites en présence du peuple et au milieu du peuple sans être obligé de combattre lui-même et de terrasser chaque fois ses ennemis et ses agitateurs.

Dans l'adresse au peuple français que Barère rédigea et que la Convention adopta le 2 germinal, on peut lire ce passage : Eh quoi ! Lorsque la République s'élance, au sein des orages et des trahisons, vers les institutions qui doivent assurer la liberté ; quand les représentants du peuple font des lois populaires qui terrassent l'aristocratie et qui distribuent les richesses des conspirateurs aux patriotes peu fortunés, quand le fléau de la mendicité va disparaître devant une plus juste distribution de la fortune, de viles passions, de basses intrigues s'opposeraient à sa grandeur ! Le crime et l'assassinat l'arrêteraient dans son essor et l'affermissement de la République serait plus difficile que le rétablissement du despotisme ![12]

Un gouvernement faible aurait peut-être reculé et cherché un appui sur les Indulgents pour mieux lutter contre l'hébertisme. Le Comité de Salut public persista dans son dessein et engagea simultanément le combat contre les deux factions. Dans son grand rapport du 23 ventôse, Saint-Just attribua l'agitation à la volonté cachée d'annuler la forte mesure qu'il avait fait voter : Depuis les décrets qui privent de leurs biens les ennemis de la Révolution, l'étranger a senti le coup qu'on lui portait et a excité des troubles pour inquiéter et ralentir le gouvernement. Nous ne connaissons qu'un moyen d'arrêter le mal, c'est de mettre enfin la Révolution dans l'état civil... Si vous donnez des terres à tous les malheureux, si vous les ôtez à tous les scélérats, je reconnais que vous avez fait une Révolution... Savez-vous quel est le dernier appui de la monarchie ? c'est la classe qui ne fait rien, qui ne peut se passer de luxe, de folies, qui, ne pensant à rien pense à mal, qui promène l'ennui, la fureur des jouissances et le dégoût de la vie commune... Obligez tout le monde à faire quelque chose et à .prendre une profession utile à la liberté... Quels droits ont dans la patrie ceux qui n'y font rien ? Et, pour bien montrer que l'expropriation des ennemis de la Révolution serait effectuée quand même, Saint-Just fit insérer, dans le décret même qui ordonnait des poursuites contre les Hébertistes, un article ainsi conçu : Il sera nommé six commissions populaires pour juger promptement les ennemis de la Révolution détenus dans les prisons. Les Comités de Sûreté générale et de Salut public se concerteront pour les former et les organiser. D'autres articles mettaient hors la loi les prévenus de conspiration contre la République qui se soustrairaient à l'examen de la justice et punissaient les receleurs comme complices.

Si l'appel aux armes des Hébertistes tomba dans le vide, c'est peut-être que les décrets de ventôse si fermement maintenus remplirent d'espérance le cœur des Sans-Culottes. En général, écrit l'observateur Dugas dans son rapport du 8 ventôse le décret qu'on vient de voter a causé une sensation agréable dans Paris. Les patriotes, disait-on, sont à présent assurés de coucher dans leur lit[13]. Dans tous les groupes, écrit son collègue la Tour-la-Montagne, le 14 ventôse, dans tous les cafés on ne parle que du décret qui ordonne la répartition des biens des aristocrates aux Sans-Culottes, Cette loi populaire a excité une joie universelle, les citoyens se félicitaient, s'embrassaient les uns les autres. Voilà un décret, disait l'un, qui vaut mieux que dix batailles gagnées sur l'ennemi. Quelle nouvelle énergie il va donner aux soldats de la liberté ! C'est à présent qu'ils pourront dire nous avons une patrie et nous combattons pour elle. C'est à présent, disait un autre, que la République repose sur des hases inébranlables, aucun ennemi de la Révolution ne sera propriétaire, aucun patriote ne sera sans propriétés. B La section de Brutus (quartier de la rue Montmartre à la rue Poissonnière) tint à féliciter la Convention, le 20 ventôse. Les Sans-Culottes... vous félicitent du décret que vous avez rendu sur les détenus. Malgré les efforts de tous les malveillants, cette mesure aura son plein et entier effet. C'était la seule qui pût annoncer que définitivement le règne de l'Egalité aurait lieu[14].

L'impression produite fut si profonde, que les indulgents eux-mêmes, par démagogie, feignirent d'applaudir. Tallien donna aux Jacobins, le ter germinal, son adhésion : Que tous les hommes suspects soient incarcérés, que les commissions populaires soient établies, que tous les ennemis de la Révolution soient punis et leurs biens distribués sans délai aux patriotes, que les tribunes populaires et les journaux républicains ne cessent de dévoiler les conspirateurs et les traîtres, quel que soit le masque dont ils se sont couverts.

On entend, çà et là, la province répondre en écho à la capitale. La Société populaire de Nancy demande, dans une adresse à la Convention, qu'on fasse juger le plus promptement possible les suspects afin de mettre les Sans-Culottes à même de jouir de leurs biens[15]. L'agent national de Vesoul exprime le même vœu dans une lettre au Comité de Sûreté générale[16]. Le club d'Arinthod (Jura) veut que les pauvres, qui trop longtemps furent les victimes des spéculations des riches, voient leur liberté consolidée par une propriété foncière et que le bon citoyen soit enrichi des dépouilles des traîtres, par les crimes desquels fut retardé leur bonheur[17].

Poussés par ce mouvement d'opinion, les deux Comités s'efforcèrent d'abord de préparer l'application des décrets. C'était une lourde tâche, une tâche presque impossible, que de réunir et de classer les dossiers des suspects de toute la France et que de réunir et de classer parallèlement les dossiers de tous les indigents. Dès le 16 ventôse, le Comité de Sûreté générale expédia à tous les Comités de surveillance un modèle de tableaux à remplir en sept colonnes où seraient énumérés sommairement les motifs de l'arrestation de chaque détenu pour suspicion, le caractère et les opinions politiques qu'il a montrés dans les mois de mai, juillet et octobre 1789, au 10 août, à la fuite et à la mort du tyran, au 31 mai et dans les crises de la guerre, etc. Comme il fallait s'y attendre, de nombreux Comités de surveillance s'efforcèrent d'atténuer les torts des suspects, portèrent comme simplement absents leurs parents émigrés, répondirent en termes vagues au questionnaire qui leur était soumis, ou même invitèrent les détenus à remplir eux-mêmes les tableaux qui les concernaient. Le Comité. de Sûreté générale, dans une nouvelle circulaire en date du 18 germinal[18], leur trace de nouveau leurs devoirs en les invitant à afficher pendant trois jours, dans la salle de leurs séances, les tableaux qu'ils auraient dressés sur chacun des suspects incarcérés. Un bureau spécial fut organisé sous la direction des deux Comités de Sûreté générale et de Salut public pour centraliser l'énorme correspondance avec les Comités de surveillance, dépouiller les tableaux, les renvoyer à refaire quand ils ne paraissaient pas sincères. La correspondance de ce bureau des détenus remplit plusieurs registres conservés aux archives sous les cotes AF II 222, 223 et suivantes.

Le Comité de Salut public, pour vaincre l'inertie ou la mauvaise volonté des autorités subalternes, recourut à l'aide des représentants en mission. Il leur adressa, le 30 ventôse, la circulaire suivante : Un grand coup était nécessaire pour tuer l'aristocratie. La Convention nationale l'a frappé. L'indigence malheureuse devait rentrer dans la propriété que le crime avait usurpée sur elle, la Convention a proclamé ses droits. Un état général de tous les détenus doit être envoyé au Comité de Sûreté générale chargé de prononcer sur leur sort. Le Comité de Salut public recevra le tableau des indigents de chaque commune pour régler l'indemnité qui leur est due, les deux opérations demandent la plus grande célérité, elles doivent marcher de front, il faut que la terreur et la justice portent sur tous les points. Le Comité de Salut public vous invite donc à presser, par tous les moyens que vous a confiés la puissance nationale, le travail des municipalités et des Comités de surveillance chargés de remplir les tableaux dont vous trouverez ci-joint les modèles. La Révolution est l'ouvrage du peuple, il est temps qu'il en jouisse[19].

Elargissant le sens littéral de la loi qui n'avait ordonné le séquestre au profit de la République que pour les biens des seuls suspects qui seraient reconnus ennemis de la Révolution, beaucoup d'administrations n'attendirent pas que les Commissions populaires prévues par le décret du 23 ventôse pour effectuer le triage des détenus fussent constituées pour procéder au séquestre et à plus forte raison qu'elles aient eu le temps de fonctionner. Elles mirent la main sur les biens de tous les suspects sans distinction. Ainsi en Côte-d'Or on procède au séquestre dans tous les districts sous la forme et de la manière prescrite pour les biens des émigrés[20]. Ordre fut donné aux fermiers et débiteurs des suspects incarcérés d'effectuer leurs paiements entre les mains des agents du domaine. On 'vendit les récoltes et les fruits pendants par racine. L'exemple de la Côte-d'Or est loin d'être isolé. Je lis dans une lettre adressée par Herman, commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, au Comité de législation en messidor : Le représentant du peuple Romme a ordonné, par mesure de sûreté générale et pour assurer les intérêts de la République, que les biens des détenus indistinctement, dans les départements de la Dordogne, de la Charente et autres circonvoisins, seront affermés comme ceux des émigrés, sauf à tenir compte, aux détenus qui seraient innocents, du montant de leurs revenus en déduisant les frais de régie. Il a également défendu qu'aucun des détenus communiquât avec qui que ce soit[21].

L'administration départementale des Basses-Pyrénées mit le séquestre sur les biens de tons les reclus indistinctement, par arrêté du 19 ventôse an II, et le séquestre ne sera levé que par le représentant Monestier (de la Lozère), le 1er brumaire an III[22]. Le district de Montélimar mit aussi les biens des suspects sous séquestre et les priva de leurs revenus[23]. Il en fut de même dans le district de Thiers[24].

Nous savons enfin, par un rapport fait par Oudot, au nom du Comité de législation à la séance du 11 brumaire an III, qu'à la date du 20 prairial, dans trois départements, on n'avait pas cru devoir mettre le séquestre, que dans trente on avait cru devoir adopter cette mesure, qu'elle avait été confirmée dans douze par des représentants du peuple et que l'on ignorait encore ce qui avait été fait dans les autres. Oudot ajoute encore que certaines administrations de district avaient établi des gardiens de séquestre, d'autres des régisseurs, d'autres avaient fait des inventaires, expulsé des fermiers, renouvelé les baux, et que certaines enfin, comme celle du district de Dijon, avaient voulu faire des ventes.

Ceci nous montre, entre parenthèses, combien, malgré la centralisation dictatoriale réalisée sur le papier par la loi du 14 frimaire sur le gouvernement révolutionnaire, l'administration à cette époque restait diverse et combien les initiatives locales restaient hardies.

Saint-Just, cela n'est pas douteux, prenait à cœur d'accélérer et d'uniformiser autant que possible l'application des lois qu'il avait fait voter. Il comprenait qu'il ne pourrait aboutir qu'en ménageant l'opinion et en tâchant de la mettre de son côté. Il s'appliquait, dans son discours du 26 germinal, à rassurer les acquéreurs des biens nationaux, les commerçants, les gens paisibles : Il faut, disait-il, que vous rétablissiez la confiance civile. Il faut que vous fassiez entendre que le gouvernement révolutionnaire ne signifie pas la guerre ou l'état de conquête, mais le passage du mal au bien, de la corruption à la probité. — L'unité ne consiste pas seulement, disait-il encore, dans celle du gouvernement, mais dans celle de tous les intérêts et de tous les rapports des citoyens. Il condamnait l'arbitraire et les excès. Il menaçait les agents qui continueraient à se faire une marchandise d'arrêter les gens et de les mettre en liberté. Mais il poursuivait son dessein immuable. Les contre-révolutionnaires, les complices des factions seraient recherchés et punis ; il faut qu'ils périssent. La Révolution ne peut pas faire de paix avec eux, disait-il encore, vous ne parlez pas la même langue, vous ne vous entendrez jamais, chassez-les donc !Que la loi soit pleine de roideur envers les ennemis de la patrie, qu'elle soit douce et maternelle aux citoyens. Il concluait en faisant décréter que les nobles et les étrangers ennemis seraient éloignés de la capitale, des places fortes, des ports et des frontières, et surtout que les prévenus de conspiration dans toute la République seraient traduits dorénavant à Paris, pour être jugés par le seul Tribunal révolutionnaire. Les autres tribunaux révolutionnaires disparaîtraient, à quelques rares exceptions près. La mesure, on le comprend, était une conséquence directe des décrets de ventôse. Saint-Just voulait avoir sous la main les ennemis de l'intérieur dont les dépouilles serviraient à doter les Sans-Culottes. Par souci d'équité autant que par défiance à l'égard des autorités locales ou des représentants en mission eux-mêmes, il tenait à faire procéder au grand triage des suspects sous les yeux et sous la surveillance directe du gouvernement central. Ainsi, espérait-il, les haines particulières, les passions locales, ne viendraient pas insinuer leur venin dans le suprême jugement.

Il jetait déjà sur le papier les phrases brûlantes du rapport qu'il se proposait de présenter à la Convention pour doter la République de ce qu'il appelait les institutions civiles, c'est-à-dire de l'armature morale et sociale qui la rendrait indestructible en la fondant dans les âmes, dans les lois et dans les mœurs. Pour connaître toute sa pensée, il faut se reporter à ce rapport qu'il n'eut pas le temps d'achever et qui ne sera publié que longtemps après sa mort[25]. Il constatait sans ménagement, dans des formules d'un pessimisme amer, l'état violent où la Terreur avait plongé la France : La Révolution est glacée, tous les principes sont affaiblis, il rte reste que les bonnets rouges portés par l'intrigue. L'exercice de la Terreur a blasé le crime comme les liqueurs fortes blasent le palais. Et pourtant, c'était de la Terreur même qu'il voulait faire sortir le remède. Par la Terreur il égaliserait les fortunes. Là où il y a de très gros propriétaires, on ne voit que des pauvres. Il ne faut ni riches ni pauvres... L'opulence est une infamie. Tout citoyen rendra compte tous les ans, dans les temples, de l'emploi de sa fortune. Nul ne pourra plus déshériter ni tester. La République héritera de ceux qui meurent sans héritier direct. On détruira la mendicité par la distribution des biens nationaux aux pauvres. Il ajoutait cette réflexion : On eût présenté la ciguë à celui qui eût dit ces choses il y a huit mois, c'est-à-dire avant l'établissement du gouvernement révolutionnaire. On retirera les assignats de la circulation en mettant une imposition sur tous ceux qui ont régi les affaires et ont travaillé à la solde du trésor public. On percevra les revenus publics en nature. Enfin, on s'emparera de la jeunesse, car l'enfant appartient à la patrie. Par l'éducation en commun, on forgera un nouveau peuple préservé des vices de la monarchie.

Ce n'était pas là pures rêveries d'un cerveau surchauffé, désireux d'échapper par l'imagination aux atroces réalités d'une situation sans issue. C'était au contraire projets médités, sinon mûris, qu'une volonté inflexible tentait sans illusions de faire passer dans les faits par un effort désespéré.

Saint-Just était ici d'accord avec ses collègues du Comité de Salut public : Il faut, disait Billaud-Varenne le 1er floréal, pour ainsi dire recréer le peuple qu'on veut rendre à la liberté, puisqu'il faut détruire d'anciens préjugés, changer d'antiques habitudes, perfectionner des affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices invétérés. Il faut donc une action forte, une impulsion véhémente, propre à développer les vertus civiques et à comprimer les passions de la cupidité et de l'intrigue. Citoyens, l'inflexible austérité de Lycurgue devint à Sparte la base inébranlable de la République, le caractère faible et confiant de Solon replongea Athènes dans l'esclavage. Ce parallèle renferme toute la science du gouvernement. Et Billaud fit décréter : La Convention appuyée sur les vertus du peuple français fera triompher la République démocratique et punira sans pitié tous ses ennemis.

Deux jours plus tard, le 3 floréal, Couthon faisait décider qu'un membre du Comité, qu'il ne nommait pas mais qui ne peut être que Saint-Just, serait chargé de la rédaction du code des institutions sociales.

Robespierre faisait acclamer, le 18 floréal, son fameux rapport sur les idées religieuses et morales, étroitement lié au plan de Saint-Just.

Barère enfin faisait instituer, le 22 floréal, le livre de la Bienfaisance nationale, c'est-à-dire l'organisation de secours à domicile pour les infirmes et les invalides, afin de supprimer la mendicité, incompatible, disait-il, avec le gouvernement populaire. Il ne cachait pas que ce n'était qu'un début : C'est à la Convention de réparer les injustices des lois monarchiques, de faire disparaître la grande inégalité des fortunes, d'effacer le nom des pauvres des annales de la République. Il informait l'Assemblée de la prompte exécution des lois de ventôse : Déjà les Comités de Sûreté générale et de Salut public ont reçu, en vertu des décrets des 9 et 13 ventôse, environ 40.000 décisions des Comités révolutionnaires sur les détenus, et ils se flattent qu'avant six semaines ils vous feront connaître le tableau nominatif de la population indigente dans toute la République pour lui porter du secours en propriété ou en bienfaisance animale. Le Comité de Salut public avait organisé un bureau des indigents qui pressait les communes de dresser les états des pauvres appelés à bénéficier des dépouilles des suspects. Il annonçait encore que le Comité préparait un rapport sur le mode de distribution de ce qu'il appelait les secours territoriaux, autrement dit sur la répartition des biens à confisquer, enfin qu'une instruction allait être adressée aux districts pour les inviter à nommer dans chaque canton un commissaire patriote et éclairé pour-surveiller et accélérer la confection des listes des indigents où se--raient distingués les indigents valides des indigents infirmes et de ceux qui étaient chargés de famille. Les bienfaits territoriaux ne peuvent être accordés, disait-il, qu'à ceux qui ont des forces pour cultiver la terre. Les autres recevraient des secours en argent. Le Comité ne favoriserait pas les paysans aux dépens des ouvriers. Personne ne serait oublié.

Barère ne demandait que six semaines pour présenter à la Convention la liste des indigents de la République appelés à hériter des biens des suspects. Il est certain, en effet, que les Comités révolutionnaires s'étaient mis en besogne avec docilité, sinon avec zèle. Celui de la ville de Thiers avait terminé son travail dés la fm du mois de germinal. Il l'aurait même terminé plus tôt sans l'inertie ou la résistance des intéressés. Une terreur s'est répandue dans les campagnes, écrivait l'agent national Bonnefoy dans son rapport décadaire du 11 germinal. Les indigents répugnent à se faire inscrire, dans la crainte où ils sont qu'on ne veuille les transporter dans les isles ! Ils refusaient les présents du gouvernement révolutionnaire comme ils avaient refusé les présents du gouvernement royal. Quand celui-ci, en 1770, avait voulu leur distribuer des secours, beaucoup avaient négligé de se faire inscrire parce qu'on avait fait courir le bruit parmi eux que l'inscription serait suivie d'un envoi dans nos colonies. La Révolution ne les avait pas changés. Ils restaient défiants devant le pouvoir[26].

Parallèlement, le triage des suspects s'opérait, mais la besogne était autrement longue et difficile que de dresser la liste des indigents ! Elle ne devait jamais être terminée.

Le 24 floréal, les deux Comités réunis instituaient, par un arrêté de la main de Billaud-Varenne, une première commission populaire de cinq membres pour trier les suspects[27] et une seconde le lendemain[28]. Les deux commissions siégèrent au Museum, c'est-à-dire au Louvre, tout près du local des Comités.

Le 3 prairial, enfin, le Comité de Salut public, réglementa par un arrêté de la main de Robespierre l'action des deux commissions populaires. Elles pourraient juger à quatre membres ou même à trois. Elles pourraient faire comparaître devant elles les prévenus, quand elles le jugeraient nécessaire. Elles pourraient compléter l'instruction en appelant des témoins, même des fonctionnaires, même des membres des Comités révolutionnaires de toutes les parties de la République, à condition d'user de cette faculté avec la plus grande réserve. Quand elles découvriraient au cours de leur enquête de nouveaux coupables, elles pourraient lancer des mandats d'arrêt[29].

On peut être surpris que cet arrêté réglementaire fût émané du seul Comité de Salut public, alors que les commissions populaires avaient été nommées par les deux Comités réunis et que les décrets des 23 ventôse et 27 germinal plaçaient les commissions sous leur direction commune. Est-ce l'indice du désaccord qui va aller croissant entre les deux Comités ? Cela me parait probable. Il est plus significatif encore que la terrible loi du 22 prairial, qui fera pénétrer le désaccord jusqu'au sein du Comité de Salut public, ait été rapportée par Couthon sans que le Comité de Sûreté générale ait été consulté. Or, la nouvelle loi n'était qu'une filiale des lois de ventôse et de germinal. Elle définissait ces ennemis du peuple que ces lois expropriaient. Elle avait pour but de donner une sanction rapide au triage des suspects que les deux commissions populaires du Museum étaient en train d'opérer. Couthon lui avait donné comme fondement juridique la distinction entre les crimes privés et les crimes d'Etat. Les premiers ne blessent, dit-il, que les individus. La' justice, ici, peut être lente pour garantir le faible, mais les seconds attaquent la société tout entière et visent à renverser le régime : La vie des scélérats est ici mise en balance avec celle du peuple ; ici, toute lenteur affectée est coupable, toute for-matité indulgente ou superflue est un danger public. Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître, il s'agit moins de les punir que de les anéantir. C'était dire crûment que la loi n'était qu'un instrument de guerre. Deux cent mille de nos frères sont tombés victimes des plus lâches trahisons, avait dit Couthon ; deux cent mille alliés de l'ennemi seraient immolés par représailles.

On sait que cette loi de prairial transforma en opposition ouverte le désaccord latent qui existait déjà entre les membres du gouvernement. Les proconsuls rappelés de mission qui craignaient d'être englobés dans la désignation d'ennemis du peuple dirigèrent cette opposition moins contre les lois de ventôse, qu'ils n'osèrent pas attaquer de front, que contre les auteurs de ces lois et particulièrement contre Robespierre, qu'ils accusèrent de tyrannie et d'ambition. Ils trouvèrent au Comité de Sûreté générale des protecteurs. Ils mirent la discorde au Comité de Salut public, dont Robespierre s'éloigna au début de messidor.

* * *

On peut se demander pourquoi Robespierre et Couthon, dès le début de prairial, commirent cette imprudence d'écarter le Comité de Sûreté générale de la préparation des arrêtés et des lois complémentaires des décrets de ventôse, au risque certain de le dresser contre eux. Je ne vois pour ma part qu'une seule explication à leur conduite. C'est que Robespierre et Couthon étaient déjà convaincus que le Comité de Sûreté générale était hostile à leur politique sociale. Ils s'imaginèrent qu'il était préférable de le laisser désormais à l'écart que de lui permettre, en l'associant à leur œuvre, de la ruiner par inertie ou par machiavélisme. Il est douteux qu'on connaisse jamais leurs véritables raisons, mais ce qui est certain, c'est que la décision des membres du gouvernement et la retraite de Robespierre eurent pour conséquence de jeter un trouble profond dans l'application des lois de ventôse.

Quand les Comités étaient encore unis, les administrations avaient été guidées et stimulées. Maintenant on laisse leurs questions sans .réponses ou on leur en donne de contradictoires.

Aux administrateurs du district de Nemours, qui l'avaient interrogé sur le point de savoir si les suspects en réclusion pouvaient vendre leurs biens, le bureau des détenus avait répondu, le 30 germinal : Les détenus jugés être dans le cas de la réclusion par le représentant Maure ne peuvent vendre leurs biens. L'agent national doit prendre les mesures indispensables pour que les ennemis de la République ne la frustrent pas de son gage. Il est absolument nécessaire qu'aucun bien ne soit aliéné[30]. Parmi les mesures indispensables au maintien du gage de la République figurait le séquestre. Cette réponse, qui semblait l'indiquer, ne l'autorisait pas d'une façon expresse.

Les nombreuses administrations locales qui avaient ordonné le séquestre étaient en présence des réclamations des créanciers des détenus auxquels le séquestre portait préjudice puisqu'il était un obstacle au règlement de leurs créances. Ce ne fut que le 14 messidor qu'une décision d'espèce intervint. La commission des administrations civiles, police et tribunaux, d'ordre du Comité de Salut public, manda au district de Beaune d'avoir à lever le séquestre qu'il avait mis sur les biens des suspects, le séquestre ne devait frapper que les suspects déjà jugés par les commissions populaires : Cette mesure pénale est prématurée et présente une extension de la loi que le gouvernement révolutionnaire ne tolère pas dans les administrations[31]. Cette décision, que l'attitude antérieure du Comité ne faisait pas prévoir, intervint juste au lendemain de la retraite de Robespierre. Elle est d'autant plus significative qu'elle anticipait sur la décision du Comité de législation qui s'occupait au moment même des réclamations provoquées par le séquestre. Le Comité de législation désigna un rapporteur, Bezard, qui rédigea un projet de loi dans le sens de la pensée des Robespierristes, c'est-à-dire autorisant et réglementant le mode d'exécution du séquestre[32]. Il répondit, le 8 thermidor, au district de Dijon qu'il avait eu raison d'ordonner le séquestre et même la vente des fruits et récoltes des suspects[33], décision qui était diamétralement contraire à celle que la commission des administrations civiles, police et tribunaux, avait signifiée le 14 messidor au district de Beaune. Oudot nous apprend qu'avant de déposer le projet de loi qu'il avait préparé, le Comité de législation en donna communication au Comité de Salut public et que Couthon s'en empara. Faut-il supposer que, si le projet ne vint pas en discussion avant le 9 thermidor, c'est que Couthon ne parvint pas à rallier à ses dispositions la majorité de ses collègues du Comité de salut public ? 'Quoi qu'il en soit, la question du séquestre resta sans solution jusqu'au 9 thermidor.

Dès que Robespierre eut quitté le Comité, l'application des lois de ventôse fléchit. Dans le Puy-de-Dôme, où les districts avaient mis jusque-là du zèle à séquestrer les biens des suspects, l'administration départementale qui les avait laissé faire se sent encouragée à faire un pas rétrograde. Robespierre a averti les Jacobins, le 13 messidor, de sa rupture avec le Gouvernement. Onze jours après, le 24 messidor, le département du Puy-de-Dôme envoie aux districts de son ressort une circulaire pour leur expliquer qu'ils ont mal appliqué les décrets des 8 et 23 ventôse, et qu'ils doivent lever les séquestres. Le district de Thiers, d'esprit montagnard pourtant, s'incline et remet les suspects en possession de leurs biens[34].

L'opération capitale du triage des suspects subit également un ralentissement marqué. Dès le 12 messidor, le Comité avait exigé des commissions populaires et des commissions révolutionnaires qui subsistaient encore, un compte journalier de leurs travaux, dans le dessein évident de les contrôler de très près. Les deux commissions populaires du Museum, créées, les 24 et 25 floréal pour le triage des suspects de la capitale, au reçu de cette circulaire signée d'Herman, s'émurent et présentèrent leur apologie dans une lettre du 14 messidor[35]. Elles invoquèrent les obstacles qu'on a mis à la rapidité de leurs opérations, elles ont été obligées, disaient-elles, d'essuyer toutes sortes de désagréments. Ce n'est que le 26 ou le 27 prairial, un mois après leur création, qu'elles avaient pu porter au Comité de Salut public leurs premiers tableaux de jugements. Mais elles seraient bientôt en mesure de fournir 200 à 300 décisions par décade. Leur lettre nous apprend encore, détail précieux, qu'après quelques conversations relatives au mode de correspondance entre le Comité (de Salut public) et nous (c'est-à-dire avec les commissions), il fut convenu que nous remettrions nos tableaux et les pièces au bureau de police générale. C'est là où, régulièrement, nous avons porté le résultat de nos opérations, nous en avons les reçus, il y a environ 450 personnes sur lesquelles nous avons prononcé, et plus de 300 de renvoyées au tribunal révolutionnaire. Herman répondit à leur lettre qu'on n'avait pas eu l'intention de blâmer leur conduite, de leur imputer des lenteurs ou des négligences, que sa circulaire, qui les avait émus, ne frappait pas sur le fonds des opérations mais sur le compte journalier à rendre et que le Comité exige[36].

Les listes sur lesquelles les commissions du Museum couchaient leurs décisions étaient envoyées presque journellement au Comité de Salut public. Celui-ci n'en commença l'examen que le ler thermidor. Il appela, à cette occasion, le Comité de Sûreté générale à délibérer avec lui. Les premières listes approuvées par les deux Comités sont datées des 1er, 2 et 3 thermidor[37]. Le 4 thermidor, enfin, les deux Comités décidèrent d'organiser les quatre commissions populaires qui avaient été prévues par le décret du 23 ventôse pour juger les détenus des départements et qui étaient restées en suspens alors qu'elles auraient dû fonctionner dès le 15 floréal en même temps que les deux commissions parisiennes ; je crois avoir montré, dans une étude qui a paru dans les Annales historiques de la Révolution française de 1927, sur les deux dernières séances communes des deux Comités[38], que ce fut Barère qui décida ses collègues des deux Comités à appliquer enfin la législation dont la mise en vigueur avait subi un temps d'arrêt avec, la retraite de Robespierre. Mais le calcul de Barère se trouva déjoué par l'événement. Robespierre vint bien siéger à la séance des Comités réunis du 5 thermidor. Les concessions que ses collègues lui avaient faites en approuvant l'œuvre accomplie par les deux commissions populaires parisiennes et en créant les quatre nouvelles commissions ajournées jusque-là, ces concessions qui semblent avoir eu l'approbation de Saint-Just et de Couthon, ne suffirent pas à désarmer ses griefs. Il attaqua le 8 thermidor et se perdit. Sa défaite ruina définitivement sa politique sociale.

* * *

Les registres ouverts le ler thermidor pour recevoir les jugements des détenus d'une part et de l'autre la correspondance relative aux indigents qui bénéficieraient de leurs biens s'arrêtent au 7 thermidor, et ils ne sont guère composés que de feuilles blanches[39].

Les lois de ventôse ne tarderont pas à être rapportées par les Thermidoriens, qui s'empressèrent, au lendemain même de leur victoire, de mettre en arrestation les membres des deux commissions populaires siégeant au Museum, les seules qui aient été en fait organisées[40].

Si je ne me trompe, l'étude des lois de ventôse n'éclaire pas seulement d'une vive lumière la politique sociale des Robespierristes, qui se proposèrent, au moyen de la Terreur, de remanier la propriété au profit des classes pauvres, afin d'atténuer l'inégalité des fortunes et de créer de toutes pièces une sans-culotterie nantie qui servirait de garde et de soutien à la République, mais cette étude nous fait mieux comprendre les raisons profondes des divisions des Comités et de la Convention elle-même. Si Robespierre et ses amis, par leurs hardiesses sociales, n'avaient pas inquiété sérieusement les possédants, peut-être n'auraient-ils pas été abandonnés par la Plaine au moment décisif. L'enjeu du 9 thermidor n'était pas seulement la vie ou la mort de quelques proconsuls corrompus que les Robespierristes voulaient punir pour l'exemple. La loi de prairial, replacée dans son cadre réel, n'était pas une loi d'extermination pure et simple, mais l'instrument effroyable d'un dessein politique et social longuement médité et mûri et déjà en voie de réalisation.

Quand l'ancien confident de Barère, Gracchus-Vilate, impute aux Robespierristes,. dans un pamphlet paru après thermidor[41], l'intention arrêtée de réaliser leur système agraire, grâce à la continuité du terrorisme qui en était l'instrument, quand il ajoute : Ils avaient devant les yeux l'exemple des jeunes Gracques qui devinrent victimes de leur inexpérience, Vilate, qui s'écarte souvent de la vérité, me parait ici n'avoir rien exagéré. Quand Courtois, dans son fameux rapport sur la Conspiration de Robespierre, dira de son côté que les Robespierristes nourrissaient l'arrière-pensée de proscrire la richesse qui est un obstacle au nivellement, qu'ils voulaient promener sur toutes les têtes, le niveau d'une égalité de pauvreté[42], il généralisera sans bienveillance un dessein qui fut réellement conçu sur un plan moins vaste, il est vrai.

Il me semble enfin que cette étude nous fait mieux comprendre les raisons de l'admiration que les Babouvistes et les premiers socialistes professèrent pour Robespierre et ses amis, dont ils se donneront pour les héritiers et les continuateurs. Quand Buonarroti affirmera, dans sa Conspiration pour l'Egalité (p. 40), que la confiscation des biens des contre-révolutionnaires n'était pas seulement une mesure fiscale, mais le vaste plan d'un réformateur, il ne fera pas une supposition en l'air. Il remarque d'ailleurs avec finesse que les lois de ventôse familiarisaient la nation avec le principe qui place entre les mains du souverain le droit de disposer des biens (p. 99). C'est un fait que le programme positif des Egaux était déjà contenu en germe dans les lois de ventôse. Et c'est un autre fait enfin d'égale importance historique que, pour réaliser ce programme, les Egaux empruntèrent aussi aux Robespierristes leur moyen, c'est-à-dire la dictature terroriste qui s'appelle aujourd'hui la dictature du prolétariat.

 

 

 



[1] Histoire de la Révolution, réédition de l'Humanité, t. VIII, p. 327-330.

[2] J'ai démontré, dans mes études sur Babeuf et le Babouvisme, parues dans la Revue des Cours et Conférences au cours du printemps et de l'été de 1929, que le Communisme n'est dans la doctrine et dans l'action de Babeuf qu'une véritable superfétation sans lien direct avec ses buts proches. Certains esprits superficiels et formalistes incapables de voir le passé autrement que dans les formules du présent, ne peuvent pas comprendre que rendre tout le monde propriétaire par une confiscation équivaut sensiblement à la solution communiste. La théorie leur cache les réalités. Jaurès lui-même est tombé plus d'une fois dans ce travers de juger les tentatives sociales des révolutionnaires d'après ses partis pris de chef du parti socialiste français de l'année 1910.

[3] L'Opinion de Lebreton a été reproduite dans les Archives parlementaires à sa date.

[4] Voir le discours de Couthon au Moniteur.

[5] On trouvera ces pièces dans l'ouvrage de Fray-Fournier sur Le département de la Haute-Vienne pendant la Révolution, t. II, pp. 94 et suiv.

[6] Les arrêtés de Fouché ont été publiés ou analysés par Wallon, dans ses études sur la Terreur.

[7] Philibert Le Duc, Histoire de la Révolution dans l'Ain, t. IV, pp. 101410. Le séquestre fut réellement exécuté, comme le montre la lettre de l'administrateur du département Baron dit Chalier à Javogues, en date du 10 frimaire.

[8] AULARD, Actes du Comité de Salut public, t. VI, p. 527.

[9] Ce document figure au Moniteur, t. XXIV, p. 594, dans une lettre du représentant Delecloy au Comité de Sûreté générale lue à la séance de la Convention du 12 prairial an III. Il résulte d'une lettre de la Société populaire de Sedan à la Convention (lue à la séance du 22 prairial an III), que l'adresse ci-dessus fut adoptée le 16 septembre 1793 par le club de Sedan (Moniteur, t. XXIV, p. 665).

[10] Archives parlementaires à la date.

[11] Moniteur.

[12] Moniteur, t. XX, p. 23.

[13] DAUBAN, Paris en 1794, pp. 62 et suiv.

[14] Moniteur.

[15] Adresse lue à la séance du 27 floréal (Moniteur).

[16] Lettre citée dans Belloni, le Comité de Sûreté générale, p. 253.

[17] Adresse analysée par Veau â la séance du 29 messidor (Moniteur).

[18] Elle figure manuscrite sous cette date au registre AF II 222. M. Belloni, dans son livre sur le Comité de Sûreté générale, p. 165, lui donne la date du 22 germinal et renvoie au carton F⁷ 4445-4550. Mais le même auteur, p. 433, cite in extenso la circulaire du 18 germinal, d'après un exemplaire imprimé des archives de la Haute-Saône. Le texte cité par M. Belloni ne porte que la signature des membres du Comité de Salut public.

[19] AULARD, Actes du Comité de Salut public, t. XII, p. 73.

[20] Lettre du directoire du district de Beaune au Comité de Salut public en date du 12 thermidor, voir l'important dossier concernant le séquestre en Côte-d'Or, dans les papiers du Comité de législation D III 51 et D III 53.

[21] La lettre d'Herman est conservée dans les papiers du Comité de législation D III 322-323.

[22] Lettre de Monestier au Comité de Salut public en date du 27 brumaire an III (dans Aulard, Actes, t. XVIII, p. 207).

[23] Archives nationales, F⁷ 3822, rapport du 18 thermidor.

[24] Voir l'important article de M. R. Schnerb, paru après cette étude, dans les Annales historiques de la Révolution française de janvier-février 1929.

[25] Le rapport de Saint-Just était entre les mains de son secrétaire Thuillier au moment du 9 thermidor. Des mains de Thuillier il passa entre celles d'un autre ami de Saint-Just, Gateau, qui le confia au député du Doubs Briot. Briot le publia à 300 exemplaires en 1800, Briot les détruisit presque aussitôt par crainte de poursuites. Charles Nodier, son compatriote, en donna une nouvelle édition en 1831 sous le titre Fragments d'Institutions républicaines.

[26] D'après l'étude de M. Schnerb dans les Annales historiques de- la Révolution française de janvier-février 1929.

[27] L'arrêté est publié dans AULARD, Actes, t. XIII, p. 484. Cette commission était composée de Trinchard, juré au Tribunal révolutionnaire, président ; Charigny, directeur de l'hôpital militaire à Senlis, Chape ! de Livry, Baudement, greffier à Thiais, Loppin de la section de la Montagne.

[28] AULARD, Actes, t. XIII, p. 513. Subleyras, vice-président du Tribunal révolutionnaire„ président ; Thibolot, Laviron, Degalonnier et Fournerot, membres. Degaionnier fut remplacé par Laporte le 29 floréal.

[29] M. Aulard a publié cet arrêté du 3 prairial d'après F⁷ 4438 avec la seule signature de Robespierre. Le même arrêté figure au registre AF II 221 qui est le registre du bureau de la police générale. Le registre note la présence de Robespierre, Barère, Couthon, Carnot, C.-A. Prieur, Collot d'Herbois, Billaud-Varenne et Robert Lindet, à la séance du 3 prairial.

[30] Archives nationales AF II 222. Registre de correspondance du Comité de Sûreté générale.

[31] La lettre de Herman au district de Beaune est conservée dans les papiers du Comité de législation. Archives nat. D III 51.

[32] Le Comité de législation écrivait à Herman, le 29 messidor : Le Comité vous prévient qu'au sujet des détenus, il vient de rédiger un projet de loi qui a été soumis au Comité de Salut public. (Archives nat. D III 322-323). Voir aussi le rapport d'Oudot du 11 brumaire an III.

[33] La lettre du Comité de législation au district de Dijon se trouve en minute dans D III 53. Elle est signée de Cambacérès, Berlier, Bézard et Treilhard.

[34] D'après l'étude de M. R. Schnerb citée plus haut.

[35] Elle se trouve avec la réponse d'Herman, dans les papiers du procès de Fouquier-Tinville. Arch. nat. W. 500.

[36] Un indice de plus que le Comité de Sûreté générale était secrètement hostile à la politique des lois de ventôse, c'est que Vadier, en son nom, fit remettre en liberté en bloc, le 21 messidor, les cultivateurs incarcérés comme suspects, pour cette raison qu'ils étaient nécessaires à l'agriculture. Robespierre regrettera, dans son dernier discours (discours du 8 thermidor dans VELLAY, Discours et rapports de Robespierre, p. 418) qu'on n'ait pas distingué entre les cultivateurs patriotes et les autres. Une mesure aussi générale lui sembla dangereuse pour les patriotes en relevant l'espoir de leurs ennemis.

[37] On les trouvera en appendice du rapport de Saladin.

[38] Voir plus loin cette étude.

[39] Le premier registre est intitulé : Exécution des lois des 8 et 13 ventôse. Registre des arrêtés des Comités de Salut public et de Sûreté générale réunis, jugement des détenus. Il est coté aujourd'hui AF II 220. La cote ancienne est M 49. Le second registre est intitulé Comité de Salut public, secrétariat, correspondance reçue, renvoyée aux divisions L. L Indigents. Il commence le 1er thermidor et renferme surtout des lettres d'agents nationaux. Il est coté aujourd'hui AF II 94.

[40] Trinchard, président de l'une des deux commissions, enfermé à la prison de Sainte-Pélagie, essaya de se couper la gorge avec un morceau de verre le 12 thermidor. Voir le rapport du 12 thermidor dans F⁷ 3822.

[41] VILATE, Causes secrètes de la Révolution du 9 thermidor, réédition Baudouin 1825, pp. 202 à 206.

[42] Rapport de Courtois, an III, p. 14 et 15.