GIRONDINS ET MONTAGNARDS

 

CHAPITRE III. — UN CLUB RÉVOLUTIONNAIRE INCONNU : LE CLUB DE LA RÉUNION.

 

 

Le club de la Réunion est inconnu de tous les historiens de la Révolution. Les bibliographes eux-mêmes, ces fureteurs, ont perdu sa trace. On chercherait en vain son nom dans la longue liste des clubs parisiens que M. Maurice Tourneux a dressée dans son célèbre répertoire.

Et cependant le club de la Réunion a joué un rôle politique considérable. Il a groupé secrètement tous les soirs les membres les plus influents ou les plus hardis du côté gauche de la Législative. Il a contribué puissamment à la chute du trône. Il a fait sentir son action dans la campagne électorale d'où est née la Convention. Il mérite donc à tous égards de sortir de l'ombre.

Comme il délibérait en secret, par prudence, de crainte d'avertir les royalistes et la Cour, il n'a laissé de son activité que très peu de documents publics.

Le seul que je connaisse, très intéressant il est vrai, est un placard imprimé, sorti des presses de Galetti, imprimeur de la Réunion, dans les derniers jours de la Législative.

Je l'ai retrouvé dans les papiers Mailhe aux Archives nationales, F⁷ 4439³, et un autre exemplaire identique figure dans le dossier de Rühl, au même dépôt (F⁷ 4475⁵-⁷).

L'imprimé est orné en tête de sa première page d'un médaillon circulaire où on lit dans le cercle extérieur : Réunion de députés à l'Assemblée nationale et dans le cercle intérieur : Liberté — Egalité — incorruptibilité.

Le teste du document vaut d'être reproduit in extenso.

RÉUNION

de Députés

à l'Assemblée nationale

du 21 septembre 1792[1]

l'an 4e de la Liberté, le 1er de l'Egalité

La Réunion, en considération du zèle assidu qu'a montré à l'Assemblée nationale

M. MAILHE, patriote incorruptible, membre de la Réunion,

de son dévouement à la cause du peuple, de son amour pour la liberté et l'égalité, voulant lui témoigner sa satisfaction et lui donner des marques de son estime fraternelle, arrête qu'il lui sera délivré le présent diplôme, pour constater aux bons citoyens qu'il a rempli son devoir de représentant de la Nation et qu'il a été fidèle à son serment de VIVRE LIBRE OU MOURIR.

CALON, président ; SAUTAYRA, secrétaire.

MOTIF DE LA RÉUNION

Des députés, amis de la liberté et de l'égalité, qui n'ont jamais varié dans leurs principes, douloureusement affectés de voir trop souvent la cause du peuple compromise, résolurent de s'assembler en société sous le titre de RÉUNION et de n'admettre parmi eux que ceux qui auront donné des preuves constantes de civisme.

Un comité de présentation et un comité préparatoire furent formés, le premier, après deux proclamations faites au sein de la RÉUNION des députés qui désiraient y entrer, devait prendre des informations, s'assurer de leur caractère et de leurs opinions, et en rendre compte avant d'arrêter leur admission.

Le second comité étoit chargé de préparer les travaux, de les soumettre ensuite à une discussion approfondie, avant que d'être portés et discutés à l'Assemblée nationale.

La Réunion avoit encore pour but de prévenir ou de déjouer les projets criminels de tous les ennemis de la chose publique et de rompre le concert de toutes les sociétés inciviques.

Dans les temps orageux, la Réunion tenoit tous les jours ses séances après celles du soir de l'Assemblée nationale, depuis dix heures et demie jusqu'à minuit, souvent une heure et quelquefois deux heures du matin. C'est à la fermeté et à l'incorruptibilité des députés qui composent cette société que l'on doit la non-dissolution de l'Assemblée nationale ; c'est à leur courage, à leur entier dévouement à la cause du peuple que sont dus les excellens décrets rendus depuis la journée du 10 août et le triomphe de la liberté et de l'égalité.

Citoyens ! sociétés populaires

Ayez pour les députés patriotes membres de la Réunion, qui vont s'en retourner dans leur habitation, les égards, la considération due à des hommes qui ont rempli leur devoir, qui ont fait preuves de vertu civique et qui ont si bien mérité la confiance de leurs commettans.

Les membres composant la Réunion leur doivent ce témoignage, ils doivent le leur rendre authentiquement et c'est cette considération qui les engage à délivrer à chacun d'eux le diplôme ci-dessus, afin qu'il puisse les distinguer et les faire reconnoître en tout temps et en tout lieu.

Nous voyons donc, par les considérants de ce diplôme, que le club de la Réunion fut un club exclusivement parlementaire, comme l'avaient été les Jacobins à leur origine. Ce fut en somme un groupe le premier qui ait existé en France.

Il fut fondé pour résister aux menées des Feuillants et de la Cour. Il se targue d'avoir réussi à écarter la menace de dissolution qu'Adrien Duport, dans son journal L'Indicateur, avait suspendue sur l'Assemblée. Il se vante d'avoir inspiré les bons décrets que vota celle-ci, surtout ceux qui suivirent la journée du 10 août.

Pouvons-nous en savoir davantage ?

Les mémoires du Montagnard Choudieu, qui joua un rôle de premier plan dans la chute du trône, nous apportent des précisions intéressantes.

Choudieu nous dit que depuis l'affaire des députés Chabot, Basire et Merlin de Thionville, poursuivis pour avoir dénoncé le Comité autrichien des Tuileries et frappés d'un mandat d'amener par le juge de paix La Rivière, c'est-à-dire depuis le milieu de mai 1792, les députés qu'on a désignés sous le nom de Montagnards se rassemblaient secrètement tous les soirs et changeaient chaque jour le lieu de leurs séances, parce qu'ils craignaient que de nouveaux mandats d'arrêt fussent lancés contre eux[2]. Avant et après cette alerte le rassemblement avait lieu dans une maison particulière de la rue Saint-Honoré, c'est-à-dire tout près des Jacobins et tout près de l'Assemblée.

Choudieu voit dans le club de la Réunion le noyau de la future Montagne de la Convention. Il admet cependant que presque tous les députés de la Gironde s'y présentèrent et y furent reçus.

Mais, à l'en croire, les députés girondins n'eurent pas beaucoup d'influence sur le club qui s'en défiait. Et, pour montrer que les Montagnards jouèrent seuls un rôle actif, il raconte une anecdote qui le place d'ailleurs en posture avantageuse : Le 8 août au soir, les membres les plus marquants de la Gironde vinrent se réunir à nous, les uns pour connaître nos projets, les autres parce qu'ils croyaient ne pouvoir se sauver qu'avec nous. Prévenu qu'ils devaient faire cette démarche, je me concertai avec le vieux général Calon, notre président, et je profitai de l'occasion pour placer les Girondins dans une fausse position. Il fit la motion que le club envoyât auprès du maire Petion, une délégation de six membres pour lui demander quelle serait sa conduite si le Château était attaqué. Caton désigna trois Girondins, Gensonné, Isnard et Grangeneuve et trois Montagnards, Duhem, Albitte et Granet. Petion répondit qu'il repousserait la force par la force et les Girondins adoptèrent son opinion.

Choudieu écrit dans une pensée apologétique, afin de prouver que les Montagnards furent de meilleurs patriotes et de meilleurs républicains que les Girondins. Il a probablement accentué la note montagnarde du club de la Réunion. Au moment même, avant le 10 août, la séparation entre Montagnards et Girondins n'était pas encore d'une netteté tranchante. Elle ne le deviendra que plus tard.

Mais il y a une preuve péremptoire que le club de la Réunion n'était pas aussi à gauche que le prétend Choudieu, ce sont les attaques dont il fut l'objet à la séance des Jacobins du 1er août 1792.

Un agitateur du nom de Desfieux, qui jouissait au club des Jacobins d'un réel crédit, puisqu'il fut longtemps leur trésorier et plus longtemps encore secrétaire de leur comité de correspondance, dénonça, ce jour-là, des députés qui ont, dit-il, quelque influence aux Jacobins et qui ne s'occupent que de trouver des moyens d'envoyer des patriotes à Orléans — c'est-à-dire devant la Haute Cour qui siégeait dans cette ville.

Oui, Messieurs, avant-hier, au club nommé de la Réunion, club formé de députés qu'on ne voit plus ici, deux députés, et, pour ne pas les nommer, ce sont MM. Isnard et Brissot, s'y trouvaient lorsqu'on y vint rendre compte des opinions qu'avaient énoncées dans cette société MM. Robespierre et Antoine — sur la nécessité de la déchéance du roi et de la convocation d'une Convention —. On y raconte aussi que j'avais dit que, tout bien compté, il n'y avait dans l'Assemblée nationale que quarante-cinq à quarante-six députés sur lesquels on pût compter ; alors M. Isnard monta à la tribune et y prit l'engagement sacré de dénoncer MM. Antoine, Robespierre et quelques autres à l'Assemblée nationale et de faire tout ce qui dépendrait de lui pour les envoyer à Orléans. M. Brissot lui a succédé et a renchéri sur ces engagements et ces menaces. Deux des quarante-cinq députés que j'avais désignés comme des patriotes purs, et dont l'un est M. de Bellegarde, étant indignés d'un pareil projet, leur ont dit la vérité, toute la vérité, ont déchiré leurs cartes d'entrée et ont déclaré qu'ils ne remettraient plus les pieds dans cette société.

Nous voici loin du récit de Choudieu. Pour le jacobin Desfieux, qui parle au moment même, le club de la Réunion est dirigé par les meneurs de la Gironde, qu'il compare aux Feuillants dans cette même séance, et les Montagnards en minorité sont obligés de protester en leur cédant la place et en déchirant leurs cartes.

Mais Desfieux, personnage assez suspect, n'est pas le seul témoin qui nous renseigne sur les véritables tendances du club de la Réunion. Après lui, Merlin de Thionville, monta à la tribune des Jacobins. Il était député. Il s'exprima en ces termes : J'atteste que MM. Montaut du Gers et Ruamps m'ont dit que les rôles avaient été distribués pour faire mettre MM. Robespierre et Antoine en état d'accusation ; que MM. Brissot et Isnard devaient demander le décret à l'Assemblée[3]. Je me félicite, Messieurs, n'ayant jamais mis le pied à cette réunion, de n'avoir pas eu besoin de remettre ma carte.

Un autre Jacobin, dont le nom n'est pas mentionné dans les comptes rendus, acheva de dévoiler les complots de cette réunion. — Quelques membres du côté gauche, et qui ont la réputation de patriotes, sont entièrement contre la déchéance du roi ; ils voudraient des mesures partielles, telles qu'une simple suspension du pouvoir exécutif tant que dureraient les dangers de la patrie,, ils voudraient que pendant ce temps-là l'exercice de ce pouvoir fût remis entre les mains de la Commission des vingt-et-un qui nommerait les ministres, aurait le maniement du trésor public, choisirait les généraux, enfin exercerait toutes les fonctions attribuées au pouvoir exécutif. Le reste de la séance fut occupé par de vives attaques contre Brissot. Antoine demanda même qu'il fût rayé de la liste des Jacobins.

Il n'est donc guère douteux qu'à la veille même du 10 août, les députés, qui se réunissaient au club de la Réunion, étaient loin d'être gagnés en majorité à l'idée de la déchéance qui était alors le grand cheval de bataille des Montagnards. Choudieu, qui était député et qui s'éleva après l'insurrection contre les prétentions de la Commune à subalterniser l'Assemblée, a grandi après coup le rôle du club où s'assemblaient les parlementaires. Il affirme que le groupe prépara les grands décrets qui furent votés après le 10 août. C'est possible, c'est probable, mais je suis obligé de le croire ici sur parole, car l'activité du club dans cette période n'a laissé aucune trace.

Je ne le retrouve que le jour même où se réunit la Convention. Le 21 septembre 1792 on demande sa disparition aux Jacobins, et cette demande est faite par l'homme même qui, d'après son aveu, est le propriétaire du local des Jacobins et le propriétaire aussi de la salle où s'assemblaient les députés de la Réunion.

Voici ce qu'expose le citoyen Guiraut :

Vous savez tous que, comme adjudicataire de ce terrain[4], j'ai facilité moi-même le rassemblement de quelques députés dans une caserne qui en dépend, dans un moment où des dissentiments d'opinions trop prononcés ne permettaient pas qu'ils se réunissent ici. J'ai cru faire le bien et je crois encore l'avoir fait, car cette réunion a produit de très bons effets, au milieu des petits maux dont on ne peut se dissimuler qu'elle a pu être la cause, car ce fut là que s'agita la grande question de savoir si on demanderait un décret d'accusation contre M. Robespierre.

Aujourd'hui que toutes les vues doivent se tourner vers un même but, un même point de vue, je vous engage à faire tous vos efforts pour ramener ici tous les patriotes et ne souffrir aucun rassemblement dans cette enceinte ; tous les patriotes, tous les amis du peuple doivent sans cesse être sous ses yeux. Mettez donc le scellé de l'amitié sur des portes qui doivent à jamais être fermées à l'avenir. Qu'ici seulement s'agitent toutes les grandes questions relatives à l'intérêt du peuple, et que tout bon citoyen poursuive et détruise les rassemblements secrets où l'intrigue seule peut chercher à le concentrer.

On aurait tort de croire que le citoyen Guiraut, qui traduisait en ces termes les sentiments des Jacobins dans leur grande majorité, fût uniquement inspiré par un sentiment de jalousie à l'égard d'un club rival. C'était alors une opinion générale, acceptée sans discussion, que les représentants du peuple ne devaient pas se concerter en secret avant les séances, qu'ils devaient toujours rester sous les yeux du public. Le grave défaut de la Réunion était d'être un groupe uniquement parlementaire et de tenir des séances confidentielles. Les Jacobins avaient pu lui pardonner cette incorrection, en raison des circonstances, quand la lutte contre la Cour et les craintes d'un coup d'Etat fayettiste paraissaient exiger une organisation secrète. Mais maintenant que le trône est à bas, que la République est proclamée, tout doit se passer au grand jour. La Réunion n'a plus sa raison d'être. Elle doit se confondre avec les Jacobins. Là, les députés populaires délibéreront sur un pied d'égalité avec les militants de la société-mère, sous les yeux des auditeurs des tribunes. Ainsi le peuple pourra juger ses élus sur leurs paroles et sur leurs actes.

Il faut croire cependant que les députés, membres de la Réunion, firent la sourde oreille à l'appel que leur avait adressé le citoyen Guiraut, propriétaire de leur salle. Ils persistèrent à s'assembler à part.

Le 30 septembre, le président des Jacobins, qui était alors Réal, le futur substitut de Chaumette à la Commune et le futur comte de l'Empire, provoqua un nouveau débat sur la question. Pourquoi, dit Réal, le nombre des membres de la Convention nationale est-il si petit dans cette Assemblée qui devrait les réunir tous ? On parle d'une réunion de députés qui s'assemblent pour se concerter ailleurs que sous les yeux du peuple. Je ne crains pas de le leur dire ces rassemblements nuisent à la chose publique ; car, lorsqu'on veut véritablement le bien du peuple, qu'on s'en dit les amis, c'est sous ses yeux que l'on concerte les moyens de lui être utile. J'engage donc ceux des députés qui m'entendent à inculquer ces principes dans l'esprit de leurs collègues et à leur faire sentir combien l'intérêt général exige qu'ils se réunissent tous ici pour discuter les principes sur lesquels ils doivent poser les bases du bonheur public et les moyens d'appliquer ces principes.

Un député, que le compte rendu désigne sous le nom de Bourdon tout court et qui me paraît être Bourdon (de l'Oise), car l'autre Bourdon — Léonard, de la section parisienne des Gravilliers — ne se serait pas exprimé en ces termes à l'égard des clubistes non députés, tout en approuvant en principe les considérations développées par Réal, tenta cependant d'expliquer sinon d'excuser la répugnance de ses collègues à revenir aux Jacobins : Je suis loin d'approuver la réunion de députés ailleurs que dans cette enceinte ; mais, de quelque importance que je crois au Salut public de les y voir très assidus, comme rien ne m'empêchera jamais de dire la vérité et toute la vérité, je dois dire à la Société que beaucoup des députés en ont été éloignés par le désordre qu'ils ont vu régner dans les premières séances auxquelles ils ont assisté, désordre qui est dû à l'esprit dominateur de certains sociétaires, bons patriotes, mais peu éclairés. Les Feuillants, remarquons-le, avaient invoqué des raisons toutes semblables pour quitter les Jacobins, au lendemain du massacre du Champ de Mars. Mais les députés qui se réunissaient à part ne voulaient pas précisément qu'on pût les accuser de marcher sur les traces des Feuillants.

Dans cette même séance du 30 septembre aux Jacobins, le général Calon, député de l'Oise, qui présidait le club de la Réunion depuis sa fondation, semble-t-il, monta à la tribune pour faire cette déclaration qui fut accueillie par des applaudissements universels : Je crois pouvoir lever tous les nuages qui paraissent s'élever contre la société intitulée La Réunion, en annonçant qu'elle vient de prendre l'arrêté de se réunir tout entière aux Jacobins et de ne former qu'une seule masse avec eux.

Les Jacobins devaient le même jour renouveler leur comité de correspondance. Bourdon fit décider que la nomination de ce comité serait remis après la rentrée des membres de la Réunion, afin que le club pût leur faire une place dans le principal de ses organes de direction.

Les députés rentrèrent donc aux Jacobins, mais ils entendirent y rentrer la tête haute. Thuriot, en leur nom, réfuta les reproches qu'on leur avait adressés. Dans les moments d'orage, dit-il le 1er octobre, et dans un temps où les députés patriotes de l'Assemblée législative ne pouvaient pas douter qu'il n'y eût dans la législature un parti aristocratique considérable, dans ce même moment où les séances du soir de l'Assemblée nationale privaient ces députés des moyens de se rassembler ici aux heures où la Société tenait ses séances, ces, députés patriotes ont cru qu'il était dans l'intérêt public de se réunir pour se renforcer contre les aristocrates et ce motif seul a donné lieu à cette espèce d'association connue sous le nom de la Réunion, contre laquelle on a cherché à élever des nuages que je dissiperais facilement s'ils n'étaient pas déjà levés dans vos esprits ; mais je me contenterai de vous assurer que cette Réunion, par les mesures auxquelles elle a donné lieu, a évité de très grands malheurs à la nation française. Je demande donc que la Société déclare d'une manière précise que, par l'arrêté qu'elle a pris d'exclure de son sein tout député qui tiendrait à une société dont les séances ne seraient pas publiques, elle n'a pas entendu rejeter du nombre de ses membres ceux des députés qui ont assisté à cette Réunion. Si, contre mon attente, le but de votre arrêté eût été celui-là, vous eussiez commis une grande injustice et vous éloigneriez d'ici plus de deux cents membres éclairés qui sont capables de faire le plus grand bien à la Société et à tout l'empire. Thuriot obtint satisfaction. Le club, par un arrêté formel, reconnut que les députés inscrits à la Réunion m'avaient commis aucune faute.

Mais déjà la guerre était déclarée à la Convention entre la Gironde et la Montagne. Les députés de la Réunion qui tenaient au premier parti s'abstinrent de revenir aux Jacobins. Brissot leur chef, qui fut rayé des Jacobins le 10 octobre, leur conseilla de déserter le club passé aux mains des Montagnards. Et, de fait ; nombre des députés inscrits sur les contrôles des Jacobins ne dépassait pas cent treize au 5 octobre. La moitié de ceux qui fréquentaient la Réunion avaient refusé d'obéir à l'invitation de leur président Calon.

Les Jacobins en conçurent du dépit et, dans le projet de circulaire qu'ils se proposaient d'adresser aux sociétés affiliées pour leur expliquer les raisons de la radiation de Brissot, ils avaient inséré ce passage : Il se forma un club appelé de la Réunion, qui tenait et qui tient peut-être encore' ses séances à huis clos. Ce club se prêta aux événements du 20 juin, que les Jacobins n'approuvaient pas, parce qu'ils ne les considéraient que comme une mesure partielle.

Ce blâme indirect parut maladroit au capucin Chabot qui craignit sans doute que les membres de la Réunion ralliés aux Jacobins ne s'en formalisent et ne quittent de nouveau ceux-ci. Il en demanda la suppression à la séance du 14 octobre : Je demande qu'on raye l'article du club de la Réunion ; plusieurs patriotes avec moi se sont réunis dans ce club pour tirer des explications de Brissot et il était peut-être nécessaire alors d'opposer la masse des Brissotins et des patriotes du côté droit aux bas-côtés et au marais de la Législative. Je demande le retranchement de cet article qui semble inculper les membres de la Montagne du corps législatif. Le club docilement fit droit à l'observation de Chabot comme il avait fait droit précédemment à la réclamation de Thuriot.

Puisque la moitié de ses membres seulement se firent inscrire aux Jacobins, on peut se demander si la Réunion disparut entièrement en ce début d'octobre 1792.

Si on en croyait un passage de la notice apologétique que Sieyès fit paraître sur lui-même après le 9 thermidor, la Réunion aurait encore existé au milieu de l'année 1793.

Sieyès nous dit, en effet, qu'après son entrée au Comité d'Instruction publique de la Convention, il fit un rapport sur les écoles primaires que ce Comité adopta mais qui resta en panne devant l'Assemblée. La Convention en ajourna la discussion, dit-il, à un jour assez prochain. Le rapporteur, se conformant à la prudence du temps, crut devoir le soumettre d'avance à l'assemblée dite La Réunion, où, après quelques amendements, il n'y eut de partage d'opinion que sur la manière de le faire décréter en masse ou article par article[5]. Or, nous savons que Sieyès fut adjoint au Comité d'Instruction publique le 28 février 1793 et que le rapport, dont il déclare être l'auteur, fut lu par Lakanal à la tribune de la Convention à la séance du 26 juin 1793. Entre cette lecture et l'impression du rapport qui fut distribué le 1er juillet, des modifications nombreuses furent apportées au texte de Sieyès. Si ce que dit celui-ci est exact, si Lakanal ou Sieyès firent d'abord connaître leur projet au club de la Réunion, il en résulterait que ce club existait encore même après la révolution du 2 juin qui avait abouti à l'arrestation des chefs girondins.

 

Telles sont les données que j'ai pu recueillir sur ce club inconnu, qui n'a laissé de son activité qu'un seul imprimé officiel, mais dont l'influence sur les événements n'a pas été négligeable.

Il fut, à le bien voir, l'ancêtre authentique des groupes parlementaires qui foisonneront après 1815. C'est un groupe, puisqu'il ne s'ouvre qu'aux seuls députés. Comme les groupes, il a un bureau, un président, un secrétaire. Mais, tandis que nos croupes actuels ne font pas mystère de leur constitution ni de leurs résolutions, le club de la Réunion, obligé de ménager les susceptibilités ombrageuses d'une opinion hostile à tout ce qui ressemble à l'intrigue, dissimule jusqu'à son existence. C'est ce qui explique, à défaut d'autres raisons, qu'il ait échappé aux historiens.

Les quelques pages qui précèdent ne sont qu'une esquisse bien sommaire, bien insuffisante. Il appartiendra aux érudits de la compléter et peut-être de la rectifier. L'histoire n'est-elle pas une longue patience ?

 

 

 



[1] Les mots en italiques sont manuscrits dans l'original.

[2] Mémoires publiés par Barrucand, pp. 124-126.

[3] Dans son grand discours du 25 juillet à l'Assemblée, Brissot avait déjà menacé les républicains du glaive de la loi.

[4] Le couvent des Jacobins était un bien national.

[5] Notice sur la vie de Sieyès dans La Révolution française, 1892, t. II, p. 269.