GIRONDINS ET MONTAGNARDS

 

CHAPITRE PREMIER. — GIRONDINS ET MONTAGNARDS.

 

 

Communication faite au Congrès des sciences historiques de Bruxelles de 1923.

 

C'est une vérité aujourd'hui banale que l'historien, même le plus scrupuleux et le plus impartial construit plus ou moins sa représentation du passé avec les éléments de son expérience personnelle, qu'il subit toujours, en dépit de lui-même, la pression des ambiances.

Nos prédécesseurs, qui ont écrit l'histoire de la Révolution française, au temps des grandes luttes du libéralisme contre la Restauration, contre le Gouvernement de juillet ou le Second empire, retrouvaient volontiers dans la lutte des Girondins et des Montagnards les passions dont ils vibraient. Ceux d'entre eux qui penchaient vers une république populaire, s'imaginaient les Montagnards comme des précurseurs du socialisme et ils souscrivaient entièrement aux jugements de Buonarroti, ce disciple de Robespierre et cet ami de Babeuf, qui fut l'inspirateur des sociétés secrètes après 1830.

Ceux qui rêvaient au contraire d'une monarchie constitutionnelle, d'une république libérale conduite par les classes dirigeantes, ceux qui ne croyaient pas que le peuple qui travaille fût capable de se gouverner par ses seules lumières, ceux qui ne voyaient dans le socialisme que la menace d'une dictature barbare, félicitaient les Girondins d'avoir opposé aux Montagnards la résistance de la légalité, de l'ordre, de la propriété, de l'éducation et du savoir, et ils pleuraient sur leur défaite.

Les uns et les autres d'ailleurs s'accordaient pour considérer le conflit de la Gironde et de la Montagne moins comme une lutte d'idées que comme une lutte de classes.

Mais une troisième catégorie d'historiens, ceux qui déploraient les divisions intestines des républicains et des libéraux et qui appelaient de leurs vœux un grand parti de progrès politique et social à opposer aux partis de réaction, s'efforçaient de réconcilier dans la tombe les Girondins et les Montagnards, qui s'étaient atrocement déchirés dans leur courte vie politique. Ils refusaient d'admettre qu'il y ait eu entre ces frères ennemis autre chose que des malentendus déplorables, que des froissements d'amour-propre ou des rivalités d'ambition, ils les représentaient d'accord sur le but et sur les principes, différents seulement sur les méthodes, et ils versaient sur leur mémoire, avec des fleurs mélancoliques, quelques semonces posthumes. Vous vous déchirez, leur criait Edgar Quinet, et vous ne faites qu'un[1].

La lignée de ces historiens conciliateurs n'est pas éteinte. En apparence même ils ont cause gagnée. Il n'est pour ainsi dire aucun manuel français qui ne répète aujourd'hui que la seule chose au fond qui séparait les Girondins et les Montagnards était une simple différence de tactique : La vraie différence entre les deux partis, dit l'un d'eux[2], ce qui faisait qu'il y avait deux partis, — on ne saurait trop le répéter, parce que cette vérité a été longtemps obscurcie, — c'est que les Montagnards voulaient que, dans la crise de la défense nationale, Paris fût la capitale dirigeante, tandis que les Girondins s'opposaient à cette prépondérance de Paris. C'est cette opinion presque consacrée que je me propose d'examiner rapidement.

Rendons-nous compte d'abord des conditions du problème. La Gironde et la Montagne ne sont pas des partis au sens précis que nous attachons aujourd'hui à ce mot. Non seulement il n'y avait pas de groupes à la Convention, mais tous les députés considéraient comme injurieuse l'idée qu'on pût les soupçonner de s'entendre à plusieurs avant la séance pour se distribuer des rôles et pour concerter une action déterminée. A cette aurore du parlementarisme, le représentant du peuple était entouré d'un prestige tout neuf, il paraissait une sorte de prêtre du bonheur social. C'était une maxime reçue, indiscutée, qu'il ne devait suivre que les impulsions de son cœur et que la garantie du bien public résidait dans son indépendance absolue. Arranger en petit comité un plan prémédité, promettre d'avance de voter dans tel ou tel sens, c'était aliéner cette précieuse indépendance, c'était fermer l'oreille aux enseignements de la délibération publique, c'était sacrifier la conscience, le bien général, à l'intérêt particulier d'un parti. Avec quelle indignation Brissot se défend contre les accusations des Montagnards qui lui reprochaient ses réunions et ses dîners plusieurs fois par semaine avec ses amis chez Mme Roland, chez Valazé ou chez Mme Dodun ! Les Montagnards, eux, mettaient leur coquetterie à ne s'assembler qu'aux Jacobins, au grand jour, sous l'œil soupçonneux des tribunes.

Puisque Girondins et Montagnards n'ont pas rédigé de programmes, puisqu'il n'y eut entre eux d'autre lien que celui des affinités intellectuelles et sentimentales ou des communautés d'intérêts et de passions, puisqu'ils ne forment pas des groupements cohérents et disciplinés, puisqu'ils ont assez rarement réalisé l'unité de vote, nous sentons la difficulté de définir et de classer ce qui fut essentiellement instable.

Le parti girondin ne fut pas tel au moment de sa chute qu'au début de la Convention. Et, pour le dire en passant, c'est une méthode très discutable que celle qui ne retient pour les cataloguer dans le parti que les députés qui ont été personnellement victimes de l'insurrection du 2 juin 1793, ou qui ont élevé contre elle leur protestation. Un tel critère ne tient pas compte de l'évolution et de la vie des partis[3].

Pour rechercher quel fut le principe général, l'origine profonde du désaccord qui affronta dans une mêlée confuse, mais ardente et permanente, ces deux parties de la Convention, celle qui siégeait à droite et celle qui siégeait à gauche, nous sommes obligés d'examiner les actes plus encore que les paroles, les votes plus encore que les déclarations, et de procéder à cet examen en tenant grand compte de  l'ordre chronologique, — car ce sont les événements bien plus que les conceptions théoriques qui ont rassemblé, dissocié ou opposé des formations aussi mobiles. S'il est prudent en général de ne pas prendre à la lettre les déclarations publiques des hommes politiques, qui sont toujours plus ou moins en représentation et. qui songent à la galerie, la prudence est bien plus de règle encore quand il s'agit de ceux qui se défendent d'avoir des idées préconçues et qui &indignent quand on les accuse de former un parti. Pour essayer de voir clair dans leur perpétuel devenir, il n'y a qu'une méthode, les suivre au jour le jour dans la réalité et noter fidèlement la réaction que provoquent sur eux les circonstances.

La chronologie va nous permettre d'écarter tout de suite l'explication récente qui a fait fortune, à savoir que la seule divergence sérieuse entre Girondins et Montagnards portait sur le rôle que devait jouer Paris dans la crise de la défense nationale. C'est un fait que Paris n'a porté ombrage aux Girondins qu'au lendemain du 10 août, quand la Commune révolutionnaire a prétendu dicter à l'Assemblée qu'ils dirigeaient une politique qui n'était pas la leur. Or, bien avant le 10 août, la rupture était faite entre Girondins et Montagnards, et Paris n'avait été pour rien dans cette rupture, puisque c'était la question de la guerre qui l'avait provoquée dans l'hiver de 1791-1792.

A l'origine, les Girondins sont ceux qui croient avec Brissot que la Révolution ne peut être assurée que si elle prend une ferme attitude devant l'Europe, que si elle somme les rois de cesser d'encourager les résistances à ses lois et de donner un gage de leur neutralité en désarmant les émigrés. Les Girondins sont ceux qui préconisent la guerre, en cas de refus. Les Montagnards sont ceux qui, avec Robespierre, craignent que cette guerre soit une aventure, qu'elle nous aliène les peuples et non seulement les rois et qu'elle provoque à l'intérieur une crise dangereuse où la Révolution

peut sombrer dans la détresse financière et dans la dictature militaire. Tel est le point de départ. Ne nous hâtons pas de dire que la divergence est secondaire et purement politique. Non ! Brissot et ses amis font valoir, entre autres arguments à l'appui de leur politique belliqueuse, que la guerre est nécessaire pour relever l'assignat au dedans et au dehors. Robespierre, au contraire, s'applique à dépeindre la misère que la guerre abattra sur le peuple des travailleurs.

Les Girondins l'emportent. La guerre est déclarée. Aussitôt le désaccord s'aggrave entre Robespierre et Brissot. Le premier refuse sa confiance aux ministres que le second est parvenu à imposer à Louis XVI. Il ne voit dans la collaboration des Girondins à l'action gouvernementale qu'une louche manœuvre d'ambition. Il dénonce la faiblesse des nouveaux ministres devant les intrigues de La Fayette, dont il suspecte avec raison le loyalisme révolutionnaire. Et les Girondins répliquent que Robespierre, par ses défiances, qu'ils disent injustifiées, sert indirectement les intérêts de la Cour et qu'il fait le jeu de l'ennemi. Leurs journaux insinuent qu'il est payé par le comité autrichien pour semer le découragement parmi les patriotes. La lutte est déjà si âpre entre les deux partis que les Montagnards refusent de s'associer à la manifestation du 20 juin, organisée par les Girondins pour forcer le roi à réintégrer au ministère leurs créatures.

Tandis que les Girondins usent tour à tour à l'égard de la Cour de l'intimidation publique et des négociations secrètes, les Montagnards préparent l'insurrection, réclament une Convention et font le 10 août contre l'Assemblée autant que contre le roi. Robespierre ne peut plus croire à la sincérité révolutionnaire de Brissot, qui a menacé les républicains du glaive de la loi à la tribune de l'Assemblée, le 25 juillet, alors que le même Brissot, un an auparavant, après Varennes, avait fait en faveur de la République une campagne aussi ardente que prématurée.

Les deux partis sont donc dressés l'un contre l'autre avant même que la Commune révolutionnaire de Paris essaie de se saisir du pouvoir, et le reproche fondamental qu'ils se renvoient, c'est de manquer de sincérité révolutionnaire.

S'il est exact que les Montagnards défendent Paris, qui les a élus à la Convention, contre les âpres accusations de leurs adversaires, qui reprochent à Paris de vouloir tyranniser la France, prenons garde qu'il n'en faut pas conclure que les Montagnards sont prêts à subir eux-mêmes la dictature de Paris et de la Commune. Ce sont des Montagnards avérés, comme Choudieu, ce sont des indépendants qui se rallieront plus tard à la Montagne, comme Cambon, qui protestent avec le plus d'énergie à la tribune même de la Législative contre les usurpations de la Commune du 10 août et de son comité de surveillance. Et souvenons-nous que le jour où les Montagnards seront enfin les maîtres, après l'écrasement de leurs rivaux, loin de subir docilement les injonctions de la Commune, ils sauront lui résister mieux que les Girondins, puisqu'ils briseront les Hébertistes, dont le quartier général était à l'Hôtel-de-Ville.

Si Paris avait élu Petion et ses amis à la Convention, il est probable que la Gironde n'aurait pas dénoncé la dictature de Paris. Mais, à quel moment se déchaîna cette campagne ? Juste au début de la Convention, quand la Commune, discréditée par les massacres de septembre, désavoue piteusement son comité de surveillance et cesse d'être dangereuse, quand la Montagne s'applique à conseiller le calme et que Petion est réélu maire, le 9 octobre, à la presque unanimité. Michelet lui-même en a fait la remarque. C'est au moment où la Gironde-ne court absolument aucun risque qu'elle veut entourer l'Assemblée d'une garde départementale[4]. Ici encore les Montagnards purent estimer, avec une apparence de raison, que les Girondins, dans leurs fureurs contre Paris, manquaient de sincérité.

L'objet du désaccord était bien plus grave. Il portait toujours, comme au début, sur la défense nationale et la défense révolutionnaire, mais les événements l'élargissaient à toutes les questions pratiques à résoudre.

Le problème de la vie chère, résultat de la baisse de l'assignat, était chaque jour plus angoissant. Or, sur le remède, Gironde et Montagne ne s'entendaient pas. La Gironde professait à peu près unanimement que le devoir de l'Etat, même en pleine crise, consistait à ne pas intervenir, même indirectement, dans le libre jeu de la loi de l'offre et de la demande. La seule chose que l'Assemblée peut se permettre sur les subsistances, avait dit Roland, c'est de prononcer qu'elle ne doit rien faire[5]. Les Montagnards, plus préoccupés des réalités que des théories, estimaient au contraire que la Révolution ne pouvait pas s'en tenir à cette politique économique purement négative, qu'elle avait le devoir de ne pas laisser mourir de faim les Sans-Culottes. Dans la crise de la première invasion, après la prise de Verdun, Danton avait arraché au Conseil exécutif des mesures de réglementation édictées par une simple proclamation, le 4 septembre 1792, et inscrites dans les lois des 9 et 16 septembre 1792. Ces mesures, recensements, réquisitions, ventes forcées, qui avaient pour but de faire sortir des greniers les grains et fourrages que les cultivateurs préféraient y entasser plutôt que de les échanger contre de la monnaie de papier, furent considérées par Roland et les Girondins comme des atteintes à la propriété ; ils s'empressèrent de les suspendre en fait dès le milieu d'octobre, et ils en obtinrent l'abrogation formelle après un orageux débat qui dura du 16 novembre au 8 décembre.

Or, c'était la Commune du 10 août qui avait eu l'initiative de cette politique interventionniste, c'était parmi ses membres que Danton avait recruté les agents expédiés dans les départements pour la mettre en vigueur. Dans la haine que les Girondins vouaient à la Commune, il y avait au premier chef la peur d'une politique sociale qui limitait le droit de propriété et qui aboutira un an plus tard, avec le gouvernement révolutionnaire, au collectivisme des subsistances. Cela est si vrai que, même après les défaites de Belgique et la révolte de la Vendée au printemps de 1793, même devant les troubles graves provoqués dans les villes par le haut prix des denrées, la Gironde s'opposera vigoureusement au maximum des grains, que la Montagne vota comme une mesure peut-être théoriquement fâcheuse, mais imposée par la nécessité.

Les Girondins, comme l'a remarqué Daunou, comptaient parmi eux un grand nombre de propriétaires et de citoyens éclairés. Ils avaient le sentiment des hiérarchies sociales. Beaucoup d'entre eux éprouvaient pour le peuple grossier et inculte comme un dégoût instinctif. Tout ce qui était de nature à entraver l'action ou à diminuer l'influence de la bourgeoisie leur paraissait un mal. Ils s'opposèrent avec indignation au décret que fit voter Danton, le 23 septembre 1792, pour donner au peuple le droit de choisir les juges parmi tous les citoyens sans distinction. Le décret ne leur parut pas seulement une mesure démagogique, mais une mesure subversive, car qui tient les tribunaux n'est pas loin de dominer la propriété. Ils s'opposeront de même à l'emprunt forcé et progressif d'un milliard sur les riches que Cambon fit voter, à la veille même de leur chute, Barbaroux, Buzot, Rabaut Saint-Etienne, Lanjuinais, Vernier firent une opposition violente à cette mesure que Cambon justifiait non seulement pour des raisons financières, les besoins énormes de la guerre, mais pour des raisons politiques, afin, disait-il, d'enchaîner les riches malgré eux à la Révolution en les obligeant de prêter leur fortune à la République[6].

Tendres aux riches, les Girondins ne montrèrent jamais qu'un souci médiocre du bien-être des travailleurs. Dans les premiers temps de la Convention, quand ils étaient tout-puissants, ils abaissèrent les salaires des ouvriers employés aux travaux du camp sous Paris et bientôt ils supprimèrent ces travaux comme inutiles. Peu après, ils mirent beaucoup de mauvaise volonté à accorder à la ville de Paris les crédits qu'elle demandait pour retirer de la circulation les petites coupures d'une banque d'émission, la Maison de secours, qui avait fait faillite. Or, ces coupures étaient toutes dans les mains des petites gens. Roland infligea des blâmes répétés à la Commune parce qu'elle voulait maintenir le pain à trois sous la livre à Paris, au moyen de primes payées aux boulangers sur le budget municipal. Ce serait une étude instructive que de comparer la politique ouvrière des municipalités girondines et celle des municipalités montagnardes dans l'ensemble de la France.

La Gironde avait une tendance instinctive à considérer tout mouvement pour la hausse des salaires, toute protestation contre la vie chère et contre l'accaparement, comme une manœuvre d'anarchistes, comme un complot contre l'ordre social. Elle mit une sévérité particulière à réprimer les troubles alimentaires dont la Beauce fut le théâtre à la fin de novembre 1792. Sa politique sociale, toute négative, se résumait dans la liberté absolue du commerce et dans l'emploi des baïonnettes pour faire respecter cette liberté. On s'explique aisément qu'elle soit devenue rapidement non seulement suspecte, mais odieuse aux masses.

Les Montagnards, au contraire, prenaient en considération la misère des classes populaires. Ils ne voulaient pas que ceux qui soutenaient le poids de la guerre, que ceux qui avaient renversé le trône et qui s'étaient élevés au droit politique par l'insurrection, fussent tentés de se détacher d'une République où ils seraient plus malheureux que sous la monarchie. Jeanbon Saint-André traduisait leurs sentiments à tous quand il écrivait à la Convention de sa mission du Lot, le 26 mars 1793 : Il faut très impérieusement faire vivre le pauvre si vous voulez qu'il vous aide à achever la Révolution.

Il est bien vrai, comme on l'a dit, que les Montagnards n'étaient pas plus socialistes que les Girondins, bien que certains Montagnards, comme Robespierre, aient donné de la propriété une définition très hardie qui ouvrait les plus vastes horizons de justice sociale ; il est bien vrai que les Montagnards ont été unanimes à jurer comme les Girondins le respect des propriétés individuelles et à condamner les partisans de la loi agraire ; mais ne nous laissons pas abuser sur la portée de ces votes et de ces déclarations. Le même Danton, qui s'élançait à la tribune, le jour même de la réunion de la Convention, pour abjurer toute exagération et pour répudier solennellement la fameuse déclaration des droits de Momoro, qui excluait de la garantie légale les propriétés territoriales, le même Danton était l'ami de Momoro et c'était lui qui l'avait fait désigner comme agent du Conseil exécutif après le 10 août. Les Montagnards avaient dans leur clientèle sinon des partisans déclarés de la loi agraire, du moins des agitateurs tout prêts à limiter ou même à suspendre momentanément le droit de propriété quand il était un obstacle aux nécessités de la vie nationale. Prenons garde qu'il s'agissait beaucoup moins de débats théoriques que de mesures pratiques.

Je n'oublie pas sans doute que les Montagnards finiront par se débarrasser des Enragés qui furent leurs alliés contre la Gironde, mais ils ne parviendront à les écarter qu'en réalisant leur programme social, c'est-à-dire le cours forcé de l'assignat, les recensements, les réglementations, les rationnements, les taxes, la commission centrale des subsistances, l'armée révolutionnaire de l'intérieur.

Si la politique interventionniste de la Montagne s'accentua avec les événements, c'est un fait qu'elle était déjà esquissée dans ses grandes lignes dès les premières séances de la Convention. Alors que Brissot, dès le 29 octobre 1792, dans son Appel â tous les républicains de France, représentait les Montagnards comme des désorganisateurs qui veulent tout niveler, les propriétés, l'aisance, le prix des denrées, des divers services rendus à la société, qui veulent que l'ouvrier du camp reçoive l'indemnité du législateur, qui veulent niveler même les talents, les connaissances, les vertus..., Robespierre, attaquant ses adversaires, dans la première de ses Lettres à ses commettants, les accusait de ne vouloir constituer la République que pour eux-mêmes... et gouverner que dans l'intérêt des riches et des fonctionnaires publics. Il suffit de parcourir la littérature montagnarde et girondine, aussi bien les lettres privées que les écrits publics, pour se rendre compte que, dès octobre 1792, les deux partis s'opposaient sur le terrain social autant et plus que sur le terrain politique. Mme Julien de la Drôme, femme du député montagnard, écrivait par exemple, dans une lettre intime adressée à son fils le 24 octobre 1792 : Les Brissotins veulent une république pour eux et pour les riches et les autres la veulent toute populaire et toute pour les pauvres, et c'est, avec les passions humaines, ce qui divise scandaleusement notre sénat.

Dans les notes très sereines et très impartiales qu'il écrira sous la Restauration, au soir de sa vie, le Montagnard Baudot a porté sur le litige ce jugement remarquable : Les Girondins voulaient arrêter la Révolution sur la bourgeoisie, mais cette résolution était alors impossible et impolitique dans le temps. La guerre était flagrante au dehors, menaçante au dedans. Les hordes étrangères ne pouvaient être repoussées que par les masses. Il fallait donc les soulever et les intéresser au succès. La bourgeoisie est paisible de sa nature, et d'ailleurs pas assez nombreuse pour de si grands mouvements. La Montagne seule comprit donc bien sa mission, qui était d'abord d'empêcher l'invasion étrangère.

Jugement fort juste, car il est nuancé. Baudot avoue que la politique sociale de son parti fut en fonction de sa politique de guerre, autrement dit qu'elle fut un moyen et non un but. La plupart des Montagnards étaient en effet d'origine bourgeoise comme les Girondins. Ils ne firent une politique de classe que par procuration. Ils s'érigèrent en fondés de pouvoir de la classe populaire. Leur politique sociale, œuvre des circonstances, ne fut, comme l'a très bien dit Karl Marx, qu'une manière plébéienne d'en finir avec les rois, les nobles, les prêtres, avec tous les ennemis de la Révolution. Mais cela seul suffit à la différencier profondément de la politique girondine.

Par la force des choses, parce qu'elle s'identifiait de plus en plus avec la défense de la propriété, la Gironde devait rapidement pencher à droite, s'appuyer sur les anciens royalistes et par conséquent réveiller leurs espérances. Si la plupart de ses membres restèrent intérieurement fidèles à la République, ils n'agissaient pas moins dans la pratique comme s'ils doutaient de la République. Le 10 août, ils refusaient de prononcer la déchéance du roi, réclamée par les Montagnards. Ils se contentaient de suspendre Louis XVI, et cette suspension était une mesure conservatrice de la Constitution monarchique. Ils firent décréter alors qu'un gouverneur serait nommé au prince royal. Ils votèrent avec les Montagnards la suppression de la royauté à la première séance de la Convention, mais ils attaquèrent avec la dernière violence, derrière le prétexte des massacres de septembre, les hommes qui avaient renversé le trône, et, par compensation, ils assurèrent aux Feuillants, compromis par les pièces trouvées chez Laporte, une impunité à peu près entière. Un de leurs premiers actes fut de supprimer le tribunal extraordinaire du 17 août, qui avait succédé à la Haute Cour dans la charge de réprimer les attentats contre la Révolution. Mesure grave, qui n'était pas seulement un désaveu de plus de l’œuvre accomplie par les hommes du 10 août,. mais qui avait pour conséquence d'accroître la sécurité des ennemis du régime. La commission extraordinaire des Vingt-Quatre, que présidait Barbaroux, étouffa systématiquement les poursuites engagées par le comité de surveillance de la Commune contre de nombreux contre-révolutionnaires (affaire Durand, affaire Boyd[7]). C'est qu'il répondait à la politique girondine de démontrer que la Commune avait procédé à des arrestations arbitraires, qu'elle avait inquiété des gens paisibles, immolé des innocents. Les membres du Comité de liquidation de la Législative, gravement inculpés par les papiers de Laporte, furent interrogés pour la forme et remis en liberté sans même être traduits devant les tribunaux.

De même, les Girondins ne firent aucun effort :sérieux pour rechercher les complicités royalistes établies par la découverte des pièces de l'armoire de fer. Les aristocrates et les riches, qui s'étaient enfuis de Paris après le 10 août, y rentraient en foule au milieu d'octobre. Même dans les grands périls du printemps de 1793, de nombreux Girondins de marque s'opposèrent à l'institution du tribunal révolutionnaire.

Mais c'est surtout leur attitude dans le procès du roi qui fit douter de la sincérité de leur républicanisme. Tout en proclamant Louis  XVI coupable, ils multiplièrent les diversions équivoques pour retarder son procès et pour le sauver ; par exemple, le 15 novembre, quand Buzot accusa la Montagne d'arrière-pensées orléanistes et proposa d'exiler les Bourbons ; le 5 décembre, quand le même Buzot demanda la peine de mort contre quiconque proposerait de rétablir la royauté sous quelque dénomination que ce soit, voulant faire entendre par là que la Montagne visait à l'institution d'un dictateur ; le 9 décembre, quand Guadet voulut faire accorder aux Assemblées primaires le droit de révoquer les députés ; le 16 décembre, quand Buzot revint pour la seconde fois sur l'exil des Bourbons ; en janvier, quand tous les chefs de la Gironde s'engagèrent â fond dans la suprême manœuvre de l'appel au peuple et du sursis. La Gironde fut si maladroite, dit Michelet, qu'elle finit par faire croire qu'elle était royaliste. (IV, 258.)

Les Montagnards avaient-ils tellement tort de suspecter la bonne foi de leurs adversaires ? On peut presque en douter, quand on voit Buzot flétrir dans ses mémoires les scélérats qui ont inhumainement égorgé le monarque infortuné. Or, Buzot avait voté la mort, et dans le discours même où il réclamait l'appel au peuple, il avait démontré longuement la culpabilité du roi et s'était exprimé sur son compte avec une dureté sèche exempte de toute sensibilité. Cet exemple nous permet de saisir sur le vif la contradiction qui existe entre les attitudes publiques des Girondins et leurs sentiments intimes. Il faut ajouter que Buzot, qui s'était montré, comme Brissot, un chaud républicain après Varennes, avoue dans ses mémoires[8] qu'il s'est trompé quand il a cru la République possible et désirable. Laissons de côté les cas individuels, il est indéniable que dans l'ensemble le parti girondin, à force de chercher un point d'appui contre les forces révolutionnaires de la Montagne, était contraint de s'appuyer de plus en plus sur les vaincus du 10 août. Plus la Gironde se faisait conservatrice dans le domaine social, plus elle s'éloignait de la République. Michelet l'a fort bien vu : Elle tombe, dit-il, presque entière aux filets de la société de Paris. On ne demandait pas aux Girondins de se faire royalistes, on se faisait Girondin. Ce parti devenait peu à peu l'asile du royalisme, le masque protecteur sous lequel-la Contre-Révolution nul se maintenir à Paris en présence de la Révolution même. (IV, 176). Le royaliste Charles de Lacretelle, qui avait mené la lutte aux côtés d'André Chénier contre les Girondins dans le Journal de Paris en 1792, écrivait contre les Montagnards dans les journaux Girondins au printemps de 1793. Il sera aux côtés des mêmes Girondins rentrés un des chefs de la réaction thermidorienne[9].

Il est impossible de ne pas soupçonner que l'enthousiasme avec lequel la plupart des Girondins .accueillirent la proposition faite par Cambon, en novembre 1792, de supprimer le budget des cultes recouvrait des arrière-pensées politiques. L'humiliation du clergé constitutionnel ne pouvait qu'être très agréable aux partisans des prêtres réfractaires, et ceux-ci devaient déjà de la reconnaissance à Buzot qui, le 23 octobre, s'était opposé avec violence à l'assimilation des prêtres déportés aux émigrés. Les Montagnards, qui n'étaient pas moins philosophes que les Girondins, firent ajourner la suppression du budget des cultes pour des raisons d'opportunité. Seuls les futurs Hébertistes, tels qu'Anacharsis Cloots et Hérault de Séchelles, qui ne furent jamais vraiment de la Montagne[10], firent campagne avec les Girondins, avec lesquels d'ailleurs ils s'étaient confondus avant le 10 août. Quand les Hébertistes eurent obtenu de la Commune la suppression de la messe de minuit, à la Noël de 1792, les Sans-Culottes des faubourgs de Paris forcèrent les prêtres constitutionnels à désobéir à l'arrêté municipal et à leur dire la messe. Les journaux girondins, particulièrement celui de Brissot, ne manquèrent pas de dénoncer ces troubles comme une émeute maratico-religieuse et d'accuser les Montagnards de cléricalisme. Le maire girondin de Paris, Chambon, dénonça à l'Assemblée à cette occasion les prêtres constitutionnels comme plus dangereux que les prêtres réfractaires (séance du 5 janvier 1793). Or, il faut savoir que ce même Chambon se vantera plus tard, dans ses mémoires, de n'avoir accepté la mairie de Paris que pour mieux servir dans cette place la cause royaliste. La politique religieuse des Girondins continua donc celle des Feuillants, qui avaient invoqué avant eux les principes philosophiques, la liberté de pensée, pour contenter plus aisément leur clientèle romaine en jetant le clergé constitutionnel en pâture à ses rancunes. Le mouvement de déchristianisation, que les vrais Montagnards subiront un an plus tard en le désapprouvant, leur sera imposé par d'anciens Girondins passés à l'hébertisme, comme Anacharsis Cloots.

Plus la situation intérieure et extérieure s'aggravait et commandait une centralisation vigoureuse de toutes les ressources du pays, plus les Girondins s'entêtaient dans leur résistance opiniâtre aux mesures révolutionnaires les plus justifiées. Ils furent nombreux à combattre les réformes militaires proposées en février 1793, par Dubois de Crancé (Aubry, Chambon, Boyer-Fonfrède, Fauchet, Salle, Isnard, aux séances des 7, 12, 13, 16 février 1793).

Ils combattirent de même l'ingénieux mode de recrutement proposé par le département de l'Hérault et approuvé par la Convention (Buzot, Coupé, le 30 avril). Leurs journaux encouragèrent, à Paris même, la résistance fort vive que les Culottes dorées des sections élevèrent contre le recrutement en mai 1793. Ils s'opposèrent, sans succès, il est vrai, aux pouvoirs illimités qui furent conférés aux représentants en mission envoyés dans les départements après la trahison de Dumouriez. Ils considérèrent comme une tyrannie insupportable la subordination des autorités locales aux représentants — voir les débats du 16 mai 1793, les discours de Lauze-Deperret, Barbaroux, Gensonné, Ducos, Buzot, Lasource, Génissieu —. Plusieurs d'entre eux, comme Salle, purent être accusés d'entraver l'action de ces représentants en soulevant contre eux les administrations départementales — voir la lettre d'Anthoine et Le Vasseur, datée de Metz le 25 mars 1793, dans le recueil Aulard —. Le département du Gers refusait à l'un de ces représentants, Ichon, communication de ses registres et s'érigeait en juge de ses pouvoirs (voir la lettre d'Ichon du 23 mai 1793).

Marseille obligeait les représentants Boissel et Moïse Bayle à sortir de la ville dans les vingt-quatre heures (en mai 1793). Quand le soulèvement vendéen éclata, le journal de Brissot, dans son numéro du 19 mars et les suivants, refusa d'en reconnaître la gravité et représenta les insurgés comme des instruments des émissaires secrets des Montagnards, eux-mêmes agents de Pitt. Il avait de même essayé de masquer l'étendue des défaites de Belgique.

Les Girondins n'invoquaient la légalité que si elle leur était profitable. Dès le début de la Convention, ils appelèrent à. Paris les bataillons de fédérés levés dans les départements pour les protéger, et ces levées illégales continuèrent jusqu'à leur chute. Ils ne répugnaient pas plus que les Montagnards à l'emploi de la violence. Kersaint, dès le 23 septembre, réclamait les échafauds pour ses adversaires. Le sage Petion proclamait, le 12 avril, que les partis vaincus doivent périr. Ils avaient absous, sous la Législative, les horreurs de la glacière d'Avignon. Ils traduisirent Marat au tribunal révolutionnaire après avoir essayé d'y traduire Robespierre. Ils donnèrent l'exemple de faire bon marché de l'inviolabilité parlementaire. Il n'est pas jusqu'à leur indignation contre les massacres de septembre qui n'ait été tardive et calculée. La douce Mme Roland proclamait, dans ses lettres intimes, après Varennes, qu'on ne pourrait arriver à la liberté qu'à travers une mer de sang. Le coup de force girondin du 29 mai précéda à Lyon le coup de force montagnard des 31 mai et 2 juin à Paris. Ce n'est pas seulement contre la dictature de la Commune que les Girondins se sont dressés, mais aussi contre la dictature de la Convention.

Sans doute le fédéralisme, dont les Montagnards les accusèrent, n'était pas de leur part un plan préconçu et délibéré de démembrer la République indivisible. Si plusieurs d'entre eux, comme Buzot, La Revellière, Gorsas, ont exprimé, dans leurs mémoires ou dans la presse, leurs préférences pour une large décentralisation à l'américaine, il serait tout à fait injuste d'imputer à l'ensemble du parti une politique séparatiste. Mais ils mirent contre eux les apparences. Lors des périls de la première invasion, après le 10 août, Roland avait conseillé d'évacuer Paris 'pour se retirer derrière la Loire. Barbaroux avoue qu'il rêva alors d'une république du Midi. Mais surtout, en provoquant ou en décourageant ensuite la résistance des autorités locales aux ordres du pouvoir central et de ses délégués, les Girondins encoururent les plus graves responsabilités. Ils rendaient tout gouvernement impossible quand la guerre intérieure et la guerre extérieure faisaient rage. C'est en cela que consista le crime de leur fédéralisme.

 

Que conclure de ce rapide exposé ? A coup sûr que le conflit entre la Gironde et la Montagne dépassa de beaucoup, par son ampleur, une simple différence de tactique sur le rôle à attribuer à la capitale dans la direction de la France révolutionnaire. Il n'est pas exact, comme on le répète sur la foi de M. Aulard, que les deux grands partis aient été d'accord sur toutes les questions essentielles. Nous avons vu au contraire que leur accord théorique et tout relatif sur les principes se traduisait par un désaccord fondamental et permanent sur les solutions pratiques. Michelet l'a bien compris : Le profond génie de la Révolution n'était point en eux, dit-il en parlant des Girondins[11]. Ils voulaient la Révolution moins la Révolution, la guerre moins les moyens de la guerre, dit-il encore[12]. Il remarque que la Gironde, qui flattait le peuple en 1791, le rudoie et se dresse contre lui en 1792. Cette volte-face ne peut s'expliquer, à son sens, que par une seule raison. Après le 10 août, la Gironde crut sincèrement que la propriété était en péril.

Et je crois que Michelet a raison. Au fond du conflit entre la Gironde et la Montagne, il y avait la question de la propriété. Les attaques de la Gironde contre les anarchistes sont empreintes d'une telle passion qu'il est impossible de penser qu'elles ne soient qu'une manœuvre. Mme Roland a cru, et ses lettres intimes sont  là, que Danton et ses amis n'étaient que des voleurs. La Montagne, pour elle et pour les Brissot et les Buzot, ne se composait que de démagogues qui voulaient conduire le peuple au pillage des riches pour y trouver leur profit personnel.

Peu importe que les craintes des Girondins aient été injustifiées, ces craintes ont existé et l'historien n'a pas le droit de refuser d'en faire état.

S'il est certain, comme l'a très bien vu Jaurès, qu'au début la rivalité entre les deux partis était essentiellement politique, il n'est pas niable non plus qu'elle fut portée promptement sur le terrain social. Mais ce qui a pu tromper les historiens, c'est que, même alors, quand la lutte était déjà en fait une lutte de classes, les partis ne s'affirmaient pas franchement pour ce qu'ils étaient. Les Montagnards, traités journellement d'anarchistes et de désorganisateurs, redoublaient l'expression de leur profond respect pour la propriété au moment même où ils la limitaient et la réglementaient par leurs mesures révolutionnaires. C'est que les Montagnards avaient peur de faire peur. ils s'appuyaient sur le peuple parce que la bourgeoisie se refusait à eux, mais primitivement la guerre à la bourgeoisie n'avait nullement été dans leur pensée. C'est le développement des événements, la résistance même des Girondins, qui les obligea à aller plus avant et à se confesser à eux-mêmes le véritable caractère du combat.

Robespierre écrivait, après le 31 mai, sur son carnet aide-mémoire : Les dangers intérieurs viennent des bourgeois ; pour vaincre les bourgeois, il faut rallier le peuple. Et déjà le même Robespierre avait reproché publiquement aux Girondins, dans son discours du 10 avril 1793, de s'appuyer sur les aristocrates bourgeois qui ont horreur de l'égalité et à qui on a fait peur même pour les propriétés. ... Ils ont épouvanté les citoyens du fantôme de la loi agraire, ils ont séparé les intérêts des riches de ceux des pauvres ; ils se sont présentés aux premiers comme leurs protecteurs contre les Sans-Culottes. Ils ont attiré à leur parti tous les ennemis de l'égalité.

Or, le rival de Robespierre, Brissot, se posait effectivement, dans un de ses derniers écrits daté du 27 mai 1793, comme le chef du parti de l'ordre et de la propriété : Il n'y a point de travail constant là où il n'y a pas constamment de sûreté ni pour la tête ni pour la propriété du riche.

Déjà Petion, dans sa Lettre aux Parisiens, parue à la fin d'avril, avait appelé tous les hommes d'.ordre à la lutte : Vos propriétés sont menacées et vous fermez les yeux sur ce danger. On excite la guerre entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, et vous ne faites rien pour la prévenir. Quelques intrigants, une poignée de factieux, vous font la loi, vous entraînent dans des mesures violentes et inconsidérées, et vous n'avez pas le courage de résister ; vous n'osez pas vous présenter dans vos sections pour lutter contre eux. Vous voyez tous les hommes riches et paisibles quitter Paris, vous voyez Paris s'anéantir, et vous demeurez tranquilles... Parisiens, sortez enfin de votre léthargie et faites rentrer les insectes vénéneux dans leurs repaires... Remarquez qu'un an plus tôt, le même Petion, clans une Lettre à Buzot, avait exhorté riches et pauvres, les deux fractions du Tiers Etat, à s'unir contre l'ennemi commun, qui était alors pour lui l'aristocratie, et qui est maintenant l'anarchie.

C'est dans cette double position antagoniste que les deux partis se sont présentés finalement devant l'opinion. C'est ainsi qu'ils se présentent devant l'histoire. il n'y a aucune raison pour réformer le jugement des contemporains, des mémorialistes, des premiers historiens de la Révolution, et pour rétrécir à des proportions mesquines le grand conflit meurtrier qui dressa les uns contre Ies autres les destructeurs de la monarchie au lendemain même de sa chute.

 

 

 



[1] Œuvres complètes, II, p. 105.

[2] AULARD, Histoire politique, p. 418.

[3] Cette erreur a été commise par M. Cl. Perroud et M. Aulard ne l'a pas évitée.

[4] MICHELET, édition de 1869, IV, p. 19.

[5] Voir mon livre, La Vie chère et le mouvement social sous la Terreur.

[6] Voir MARION, Histoire financière, t. III, pp. 63-64.

[7] Voir mon livre, Robespierre terroriste.

[8] Mémoires, éd. Guadet, p. 23.

[9] Voir son livre Dix années d'épreuves.

[10] Sur Anacharsis Cloots, voir mon livre La Révolution et les étrangers, sur Hérault de Séchelles, la seconde série de mes Etudes robespierristes (La Conspiration de l'étranger).

[11] IV, 16.

[12] IV. 108.