I Le
point de vue négatif dans l'étude des cultes révolutionnaires. — Pendant longtemps, la
plupart des historiens n'ont vu dans les cultes révolutionnaires que des
constructions factices, imaginées par des hommes politiques, pour le besoin
des circonstances. Même ceux qui aiment h se proclamer les disciples des
hommes de 89 prennent difficilement ces tentatives au sérieux et par suite ne
se placent presque jamais au point de vue proprement religieux pour les
étudier et pour les juger. Le culte de la Raison, le culte de l'être suprême,
la Théophilanthropie, le culte décadaire ne sont pour eux qu'autant de
chapitres de l'histoire politique de la Révolution, qu'autant d'épisodes de
la lutte des « patriotes » contre les partisans de l'Ancien Régime. Comme ces
pseudo-religions ont disparu très vile, il n'est pas rare qu'on les passe
presque complètement sous silence, ou, ce qui est pire, qu'on ne leur fasse,
à ces éphémères, l'aumône d'une mention dédaigneuse que pour s'égayer a leurs
dépens. L'historien est volontiers respectueux de ce qui dure. Quant
aux écrivains catholiques, ils ne s'occupent guère des cultes
révolutionnaires que pour retracer les persécutions dont leur religion fut
l'objet et pour dresser le martyrologe de ses victimes. Emportés par leur
zèle confessionnel, ils ne retiennent d'ordinaire de l'œuvre religieuse de la
Révolution que le détail mesquin et odieux. Les
historiens libéraux. — Parmi les historiens dits libéraux, Thiers consacre
dix lignes remplies d'erreurs aux Théophilanthropes, « ces ridicules
sectaires qui célébraient des fêtes en l'honneur de toutes les vertus, du
courage, de la tempérance, de la charité, etc., et, certains jours,
déposaient des fleurs sur les autels où d'autres avaient dit la messe ». Il
approuve naturellement Bonaparte, d'avoir mis tin a leurs comédies
sacrilèges. « Pour les catholiques sincères, dit-il, c'était une profanation
des édifices religieux que le bon sens et le respect dû aux croyances
dominantes commandait de faire cesser[1] ». Quinet,
avec une ironie cruelle, mcl en regard les audaces de Luther avec les
timidités de Danton et de Robespierre. Il dénie aux fondateurs des cultes
révolutionnaires le profond sentiment religieux, qui animait, si on l'en
croit, les Réformés du XVe siècle. Il flétrît le culte de la Raison, cette
religion d'acteur, inventée par Hébert, marchand de contremarques. Il faut
l'entendre railler à froid la routine classique, la frivolité d'esprit de ces
révolutionnaires qui s'imaginaient enterrer les vieux cultes avec la chanson
de Marlborough, de ces terroristes qui hésitent a employer la violence contre
le catholicisme et finalement sauvent la contre-révolution par leur
pusillanime décret du 18 frimaire ! « Ce jour-là, s'écrie-t-il amer et
triomphant, ils tirent plus pour l'ancienne religion que les Saint Dominique
et les Torquemada ![2] » Renchérissant
sur Quinet, son coreligionnaire, M. Ed. de Pressensé décoche à son tour ses
traits les plus pointus contre les cultes révolutionnaires et surtout contre
la Théophilanthropie, « pitoyable comédie », « niaise pastorale[3] ». Michelet,
il est vrai, consacre de belles pages lyriques aux Fédérations, qu'il
considère avec raison comme la première manifestation d'une foi nouvelle.
Mieux qu'aucun autre, il a soupçonné le caractère religieux des grandes
scènes de la Révolution. Mais il n'a fait que le soupçonner. La continuité de
la religion révolutionnaire lui échappe. Il croit, lui aussi, que les
différents cultes, qui en furent la manifestation extérieure, furent imaginés
de toutes pièces par des politiciens maladroits infiniment peu capables de
création[4]. M. E.
Gachon[5] est peut-être un de ceux qui ont le mieux
compris ce qu'il y avait de noble et de sérieux dans les tentatives des
révolutionnaires pour fonder une religion civique. Mais il parait guidé dans
son livre — simple résumé d'une partie de l’Histoire des Sectes de
Grégoire — plus par le souci des intérêts du protestantisme que par le seul
désir de taire œuvre historique. Il n'aperçoit pas non plus le véritable
caractère de la religion révolutionnaire, dont la Théophilanthropie, comme le
culte de la Raison ou le culte de l'Être suprême, ne fut qu'une des formes
temporaires. Ce
n'est pas à M. Aulard, le dernier et le premier historien du culte de la
Raison et du culte de l'Etre suprême, qu'on pourrait faire le reproche de
s'être laissé entraîner par une préoccupation autre que celle de la vérité. Il
a bien vu l'importance historique des cultes révolutionnaires, ; puisqu'il
n'a pas hésité à écrire que le mouvement d'où ils sont nés est un « des plus
curieux de l'histoire de la France et de l'humanité[6] ». Il y voit « non pas
seulement une tentative philosophique et religieuse, sans racine dans le
passé de la France et sans connexion avec les événements, \ non pas une
violence faite à l'histoire et à la' race, mais la conséquence nécessaire et
plutôt politique de l'état de guerre où la résistance de l'ancien régime
contre l'esprit nouveau avait jeté la Révolution... ». Autrement dit, il
pense que nos pères, « en intronisant la déesse de la Raison à Notre-Dame, ou
en glorifiant le Dieu de Rousseau au Champ de Mars, se proposaient surtout un
but politique et, pour la plupart, ne cherchaient dans ces entreprises contre
la religion héréditaire, comme d'ailleurs dans leurs autres violences
d'attitude ou de parole, qu'un expédient de défense nationale[7] ». Voilà
donc la continuité marquée entre les cultes révolutionnaires, qui émaneraient
tous d'une même aspiration, d'un même besoin, l'amour de la patrie. Avec
cette explication, l'essentiel dans ces tentatives religieuses n'est plus la
lutte contre l'Eglise, mais la défense de la France nouvelle. Je suis sur ce
point tout-à-fait d'accord avec M. Aulard, mais je crois qu'il reste un pas
de plus à faire, qu'il faut rattacher le mouvement d'où est sorti le culte de
la Raison au grand courant des Fédérations et qu'il est possible de
déterminer d'une façon plus précise ce qu'il y a d'essentiel et de commun
dans tous les cultes révolutionnaires. Oui, c'est l'amour de la patrie qui
est la partie vivante de la religion révolutionnaire, M. Aulard a raison de
le proclamer, mais un amour de la patrie entendu d'une façon très large, un
amour de la patrie qui englobe avec le sol national l'institution politique
elle-même. Les
historiens catholiques.
— Pour les écrivains catholiques, c'est la haine et non l'amour qui a donné
naissance aux cultes révolutionnaires, la haine forcenée de l'Église
catholique. Grégoire,
dans sa confuse mais précieuse Histoire des Sectes, distingue à peine entre
les inventions d'Hébert, de Robespierre, do La Réveillère-Lépeaux, il mêle
les périodes, classe arbitrairement les faits, ne voulant que mettre en
relief la violence de la « persécution ». M.
Jules Sauzay, dans sa grande Histoire de la persécution révolutionnaire
dans le Doubs, si solidement documentée, M. Ludovic Sciout, dans ses
différents ouvrages, ne sont pas animés d'un autre esprit. M.
l'abbé Sicard est le premier des écrivains catholiques qui soit entré un peu
profondément dans l'étude de la religion révolutionnaire, et, à cet égard,
son livre A la recherche d'une religion civile[8] mérite qu'on s'y arrête. Sans
doute, il confond souvent les époques, il généralise et systématise, mais il
a bien marqué toute l'importance qu'eurent jusqu'à la fin les fête3 civiques,
les « institutions », aux yeux des révolutionnaires de tous les partis, et il
a montré avec beaucoup de force que le but qu'ils se proposaient n'était pas
tant de détruire le catholicisme que de le remplacer, qu'ils eurent
l'ambition de régénérer l'Ame française, de la refondre par des institutions
dans un moule nouveau. Non sans intelligence, il a essayé d'analyser cet
idéal commun à tous les révolutionnaires, de déterminer les dogmes de la
religion civile qu'ils s'efforcèrent d'instituer, de décrire ses rites, ' ses
cérémonies, ses symboles. Mais s'il a bien mis en lumière le côté positif de
la religion révolutionnaire, il la considère lui aussi comme une création
artificielle des politiques. Il n'a vu ni son origine spontanée, ni son
caractère mystique, ni sa vie même. En un mot, la religion révolutionnaire
n'est pas à ses yeux véritablement une religion. II Caractères
du fait religieux. Définition de M. Durkheim. — Qu'est-ce donc qu'une
religion[9] ? A quels signes reconnait-on
les phénomènes religieux et retrouvons-nous ces signes dans les diverses
manifestations de la foi révolutionnaire ? Dans un
remarquable mémoire paru dans l’Année Sociologique[10], M. Emile Durkheim a défini
d'une façon très originale et avec des arguments très solides, à mon sens, ce
qu'il faut entendre par religion et faits religieux. L'idée
du surnaturel, explique-t-il tout d'abord, la croyance en Dieu n'ont pas eu
dans les manifestations de la vie religieuse le rôle prépondérant qu'on leur
accorde d'ordinaire. Il y a, en effet, des religions comme le bouddhisme, le
jaïnisme, qui offrent aux hommes un idéal tout humain. L'idée de Dieu est
bannie de leurs dogmes essentiels. Dans les cultes totémiques, l'objet de
l'adoration est une espèce animale ou végétale.' Dans les cultes agraires,
c'est sur une chose matérielle, sur la végétation par exemple, que s'exerce
directement l'action religieuse, sans l'intervention d'un principe
intermédiaire ou supérieur. M. Durkheim tire de ces faits cette conclusion
que « loin d'être ce qu'il y a de fondamental dans la vie religieuse, la
notion de la divinité n'en est en réalité qu'un épisode secondaire[11] ». C'est
par leur forme et non par leur contenu qu'on reconnaît les phénomènes
religieux. Peu importe l'objet sur lequel ils s'appliquent, que cet objet
soit une chose, une notion de l'esprit, une aspiration surnaturelle, « on
appelle phénomènes religieux les croyances obligatoires, ainsi que les
pratiques relatives aux objets donnés dans ces croyances[12] ». Croyance obligatoire pour
tous les membres du groupe, voilà le premier caractère du fait religieux ;
pratiques extérieures également, obligatoires ou culte, tel est le second
caractère. « Les croyances communes de toute sorte, relatives à des objets laïques
en apparence, tels que le drapeau, la patrie, telle forme d'organisation
politique, tel héros ou tel événement historique, etc., sont obligatoires en
quelque sens et par cela seul qu'elles sont communes, car la communauté ne
tolère pas sans résistance qu'on les nie ouvertement... Elles sont, dans une
certaine mesure, indiscernables des croyances proprement religieuses. La
patrie, la Révolution française, Jeanne d'Arc sont pour nous des choses
sacrées, auxquelles nous ne permettons pas qu'on touche[13]. » Il est
vrai que pour former une religion véritable, ces croyances obligatoires
devront être étroitement lices à des pratiques régulières correspondantes. Ainsi
M. Durkheim considère la religion comme un fait social qui n'a rien de
mystérieux. Le fait religieux est de toutes les époques et de toutes les
civilisations. Il se manifeste dans les sociétés en apparence les plus
incrédules, les plus irréligieuses. Il a pour origine, non des sentiments
individuels, mais des états de l'âme collective et il varie comme ces états[14]. Etant essentiellement humain,
le fait religieux est éternel. Il durera aussi longtemps qu'il y aura des
hommes. C'est la société qui prescrit au fidèle les dogmes qu'il doit croire
et les rites qu'il doit observer, « Rites et dogmes sont son œuvre[15] ». La notion du sacré est
d'origine sociale. A l'étudier de près, on voit qu'elle n'est « qu'un
prolongement des institutions publiques[16] ». Autres
caractères du fait religieux. — A cette définition, que je fais mienne, j'ajouterai quelques
traits. Le phénomène religieux s'accompagne toujours, dans sa période de
formation, d'une surexcitation générale de la sensibilité, d'une vive
appétition vers le bonheur. Presque immédiatement aussi, les croyances
religieuses se concrétisent dans des objets matériels, dans des symboles, qui
sont à la fois des signes de ralliement pour les croyants et des sortes de
talismans, en lesquels ils placent leurs espérances les plus intimes et que
par conséquent ils ne souffrent pas qu'on méprise ou qu'on méconnaisse. Très
souvent encore, les croyants, surtout les néophytes, sont animés d'une rage
destructrice contre les symboles des autres cultes. Très souvent enfin, ils
mettent en interdit, quand ils le peuvent, tous ceux qui ne partagent pas
leur foi, qui n'adorent pas leurs symboles, et ils les frappent, pour ce seul
crime, de peines spéciales, ils les mettent hors la loi de la communauté dont
ils font partie. III De
l'existence d'une religion révolutionnaire. — Si je montre que les révolutionnaires, que les
« patriotes », comme ils aimaient à s'appeler, ont eu, malgré leurs
divergences, un fond de croyances communes, s'ils ont symbolisé leurs
croyances dans des signes de ralliement pour lesquels ils professèrent une
véritable piété, s'ils ont eu des pratiques, des cérémonies communes où ils
aimaient à se retrouver pour manifester en commun une foi commune, s'ils ont
voulu imposer leurs croyances et leurs symboles à tous les autres Français,
s'ils ont été animés d'une fureur fanatique contre tout ce qui rappelait les
croyances, les symboles, les institutions qu'ils voulaient supprimer et
remplacer, si je montre tout cela, n'aurai-je pas le droit de conclure qu'il
a existé une religion révolutionnaire, analogue en son~) essence à toutes les
autres religions ? Et s'il en est ainsi, / comment continuer à ne voir, dans
les cultes révolutionnaires, que je ne sais quelles constructions factices,
quels expédients improvisés, quels instruments éphémères au service des
partis politiques ? Quoi
qu'en ait dit Edgar Quinet, je me propose précisément de faire voir que pour
la sincérité religieuse, pour ! l'exaltation mystique, pour l'audace
créatrice, les hommes de la Révolution ne le cèdent en rien aux hommes de la
Réforme, et que ces deux grandes crises, Réforme et Révolution, ne sont pas
l'une sociale, l'autre religieuse, qu'elles sont l'une et l'autre sociales et
religieuses au / même degré. Mais,
ne manquera-t-on pas de m'objecter tout de suite, les cultes protestants
subsistent toujours, les cultes révolutionnaires ont disparu. A cela, je
réponds dès maintenant que la religion révolutionnaire n'est pas si
complètement éteinte qu'on ne se le ligure, que les cultes révolutionnaires
pourraient bien renaître un jour sous de nouvelles formes, et je réponds
aussi que l'échec religieux de la Révolution ne peut enlever à la Révolution\
le caractère religieux. La Réforme, elle aussi, avant de réussir,
n'avait-elle pas échoué plusieurs fois avec Valdès, Hus et Wicliff ? IV Le
Credo commun des révolutionnaires. Son origine dans la philosophie du XVIIIe
siècle. — Si différents qu'ils aient > été les uns des autres et quelle
que soit la distance qui sépare un Robespierre d'un Chaumette, un Danton d'un
Boissy d'Anglas, les révolutionnaires n'en ont pas moins vécu sur un fonds
d'idées et de croyances, sur un formulaire ; sur un credo plus ou moins
inconscient qu'il est facile de retrouver chez tous à peu près identique. Les
principes derniers de leurs jugements en politique comme en religion, les
tendances directrices de leur esprit, les grandes lignes de l'idéal qu'ils
rêvent, tout cela est sorti en droite ligne de la philosophie du XVIIIe
siècle. Et je sais bien que les philosophes eux-mêmes ne se sont nulle part
concertés ni entendus sur un programme précis, et je n'ai garde de
méconnaître leurs divergences parfois profondes, mais il n'en est pas moins
vrai qu'à les prendre d'un peu haut et d'ensemble, il ressort de leurs œuvres
diverses un enseignement commun, des aspirations communes. Tous se
sont préoccupés, au plus haut point, de ce que nous appelons aujourd'hui la
question sociale. Tous ont plus ou moins construit leur cité - future, tous
ont cru à la toute-puissance des institutions sur le bonheur des hommes. Plus
que personne, Montesquieu a le sentiment de la grandeur de l'organisation
sociale, d'où il fait découler la morale même. Il croit qu'il suffit de
changer à propos les lois, pour améliorer la société et même la régénérer.
Les Encyclopédistes ne pensent pas autrement. Ils attendent des lois la
réforme et l'ordination des mœurs. A les entendre, il y a entre les hommes
beaucoup moins de différences qu'on ne croit, et ces différences peuvent être
atténuées de plus en plus par l'éducation. J.-J. Rousseau affirme le droit,
nouveau alors et même inouï, de l'État à distribuer l'instruction publique.
Par les lois d'une part, par l'éducation de l'autre, le progrès est possible
et la route du bonheur est au bout. Or, le bonheur est le but de
l'association politique. Telle
est la grande idée essentielle de la philosophie du XVIIIe siècle : l'homme
peut améliorer indéfiniment sa condition en modifiant l'organisme social. L'organisme
social peut et doit être instrument de bonheur ; d'instrument de bonheur à
objet de vénération, de culte, il n'y a qu'un pas. Opposition
de l'idéal philosophique et de l'idéal chrétien. — Une pareille conception ne
pouvait manquer d'être un jour en désaccord avec l'ancien idéal chrétien.
Pour le chrétien, en effet, la vie terrestre n'est qu'une vallée de larmes,
dans laquelle on ne peut goûter le véritable bonheur, que Dieu réserve dans
l'autre inonde à ses élus. Pour le chrétien, l'instrument du bonheur ne
saurait être l'institution sociale, « mon empire n'est pas de ce monde » ;
l'instrument du bonheur, c'est l'institution religieuse ; c'est l'Eglise,
intermédiaire et truchement de la Divinité ; l'Église, qui, seule, possède
les recettes sacrées pour atteindre la puissance surnaturelle ; l'Eglise, qui
révèle les saints mystères, distribue les sacrements, réconcilie la créature et
le Créateur, ouvre ou ferme le chemin des suprêmes béatitudes. Or, voici
qu'une doctrine nouvelle enseigne que la recherche du bonheur est œuvre
humaine ; que ce bonheur peut s'obtenir non plus par des prières, des
mortifications, des intercessions miraculeuses, mais par des votes, des
délibérations, des lois ! Sans
doute la nouvelle conception n'abolit pas complètement l'ancienne. A côté de
la recherche du bonheur présent, il y a encore place pour la recherche d'un
bonheur futur. Au début, tout au moins, la religion révolutionnaire compta de
sincères chrétiens parmi ses fidèles. Mais que, par le jeu des événements,
les deux religions paraissent incompatibles : que le clergé de l'ancienne se
mette en travers de l'œuvre des fondateurs de la nouvelle, et alors se fera
la scission. Les Français se diviseront en deux camps et les deux cultes se
traiteront en ennemis. La
conception de l'État chez les philosophes. — Novateurs par tant de côtés, les philosophes
sont cependant restes des hommes de leur temps, des hommes d'ancien régime.
Comme tous les Français d'alors, ils ont la passion de l'unité. Ils vivent au
milieu d'une société qui est restée harmonique au moins dans ses principes.
Ils voient autour d'eux que l'institution politique et l'institution
religieuse se prêtent un mutuel appui, que le trône est adossé contre
l'autel. Qu'ils
s'en rendent un compte plus ou moins clair, ils construisent leur cité future
avec les éléments de la cité présente. Partisans résolus de la tolérance
religieuse, de la liberté de tous les cultes, ils ne conçoivent pas cependant
un Etat qui se désintéresserait des religions, un Etat sans religion, un Etat
neutre, laïque. S'ils sont tolérants, ce n'est pas par pure indifférence
religieuse, c'est qu'ils sont convaincus, la plupart, de l'identité foncière
de toutes les religions, qu'ils estiment que toutes les religions se valent,
toutes enseignant la même morale. Ce fond commun des religions, l'Etat doit
veiller à ce qu'il n'y soit porté aucune atteinte. L'Etat est constitué par
les philosophes comme le gardien suprême de la Morale et de la Religion. Et
c'est précisément pour cela, parce que l'Etat a une mission morale à remplir,
que les philosophes sont à l'aise pour lui subordonner les religions et pour
lui donner sur elles comme un droit de censure. « L'Etat, ce me\ semble,
dit l'abbé Raynal, n'est pas fait pour la religion, mais la religion est
faite pour l'Etat... » Et ailleurs : « quand l'Etat a prononcé, l'Eglise n'a
plus rien à dire[17] ». La
religion civile de Rousseau. — Tous les philosophes sont d'accord au fond sur cette
conception de l'État[18] ; mais aucun d'eux ne l'a
exposée d'une façon plus précise et plus systématique que Jean-Jacques dans
son Contrat Social. Pour Rousseau, l'État doit être avant tout une
per-, sonne morale. Le Contrat qui lui donne l'existence, l'être, est saint.
Saint, cela ne veut pas dire seulement « obligatoire et impératif[19] », mais digne d'un respect
religieux comme une chose de nature à faire le bien de l'humanité. Personne
morale, l'État a des devoirs moraux à remplir. Le premier de ses devoirs est
justement de préparer le bonheur de ses membres, le bonheur dans tous les
sens du terme. La fin de l'État c'est le bien commun[20]. L'État est matière et
instrument de bonheur comme la Religion. Son contrat constitutif est saint
par définition, car si ce contrat n'était pas saint, c'est-à-dire conforme à
la loi morale, expression définitive du bonheur commun, il ne pourrait pas
donner naissance à un Etat véritable, à un État légitime, h une personne
morale. Comment
l'État remplira-t-il sa mission morale et providentielle ? Par la Loi. La Loi
est le moyen par lequel l'État poursuit sa fin, qui est le bonheur commun. La
Loi est par définition l'expression de la volonté générale, qui est elle-même
identique à l'intérêt général. Les hommes, étant corrompus, sont incapables
de comprendre leur véritable intérêt et par suite d'avoir une volonté
générale conforme au bien commun, par suite encore de faire eux-mêmes la Loi.
On aura donc recours à des hommes élevés par leur intelligence et leur
moralité au-dessus de l'humanité, à des Législateurs qui prépareront
dans le recueillement le Contrat social, la Constitution idéale, la Loi. « Il
faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes. » (livre II, chap.
VII). « Celui qui
ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer pour
ainsi dire la nature humaine... » (ibid.). Le Législateur proposera la Loi au
peuple comme Moïse l'a proposée aux Hébreux (comme Rousseau l'a proposée aux
Polonais et aux Corses). Cette Loi portera en elle-même une telle force
persuasive qu'elle sera non seulement adoptée par le peuple mais vénérée par
lui, sinon à l'instar d'un don surnaturel, du moins comme l'expression «
d'une raison sublime. » Il n'y
a pas de place dans une pareille conception de l'État pour des religions
particulières. 'Rousseau regrette la séparation du système politique et du
système religieux, résultat du triomphe du christianisme (livre IV,
chap. III). Connue Hobbes,
il veut « réunir les deux têtes de l'aigle et tout ramener à l'unité
politique, sans laquelle jamais Mal ni gouvernement ne sera bien constitué. »
Les Saint-Simoniens, Auguste Comte rêveront le même rêve. Mais
comment dans la pratique supprimer l'opposition des deux royaumes, du
spirituel et du temporel, rendre à l'État les attributions morales dont
l'Eglise l'a dépouillé ? Rousseau répond : par la religion civile. Il ne
s'agit, pas du tout de constituer de toutes pièces une religion nouvelle.
Nullement. La
religion civile de Rousseau n'est pas à créer, elle a toujours existé, elle
est aussi ancienne que l'homme même, elle est le fond commun de toutes les
religions, de toutes les sociétés. Une société ne peut pas vivre sans un
minimum de postulats acceptés comme d'instinct par tous ses membres et c'est
là, pour le dire en passant, une vue très profonde. Pour établir la religion
civile qui donnera à l'État la force morale qui lui est nécessaire, le
Législateur n'aura qu'à dégager de la masse des superstitions et des préjugés
qu’ils ont recouverts ces quelques postulats simples, indiscutables qu'on
retrouve à la hase de l'humanité : « l'existence de la Divinité
puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie a
venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du
Contrat social et des lois... » Rousseau
espère bien — sans qu'il le dise ouvertement — que cette religion civile ou
naturelle supplantera peu a peu en les rendant inutiles les religions
positives, toutes inciviles. Son État est a la Ibis religieux par la mission
morale qui est sa raison d'être et anti-religieux par son action nécessaire,
quoique tolérante, contre les anciens cultes qui sont autant d'obstacles a
l'accomplissement de sa mission. Mais
cette interprétation du Contrat est valable, on comprend mieux, ce me semble,
la place de la religion civile dans l'ensemble du système. La Loi est la
volonté générale, dit Rousseau, mais pour que la Loi soit réellement la
volonté générale, pour qu'elle n'opprime pas les individus, il faut qu'elle
soit autant que possible acceptée par eux tous librement et sciemment.
Comment en sera-t-il ainsi s'il n'y a pas accord préalable entre eux sur les
principes mêmes de la société ? Tout se tient donc logiquement dans cette
conception. Otez la religion civile à l'État de Rousseau et vous lui enlevez
du même coup la possibilité, l'être. Cette
conception de l'État n'était ni originale, ni singulière dans son temps. Tous
les philosophes du XVIIIe siècle l'ont admise implicitement. Tous ont cru que
la Loi pouvait et devait être un instrument de bonheur, tous ont proclamé que
l'État avait une mission morale a remplir. De quel
droit auraient-ils mis l'Eglise sous la surveillance de l'État, s'ils
n'avaient pas attribué à celui-ci un idéal supérieur ? Les
Révolutionnaires ne tirent qu'appliquer dans leurs constitutions et leurs
lois ces données théoriques qui, sans être particulières à Rousseau, n'ont
été par personne formulées avec autant de rigueur. L'institution de leurs
cultes civiques ne sera que la réalisation imprévue et presque inconsciente,
puis voulue et systématique du dernier chapitre du Contrat social. V La
foi révolutionnaire, ses premières manifestations. — La convocation des États
Généraux donna aux doctrines des philosophes, qui flottaient dans l'air,
l'occasion d'entrer dans la pratique, de subir l'épreuve des faits, et les
transforma peu à peu, de simples vues de l'esprit qu'elles étaient encore, en
véritables croyances religieuses. Au
début de 89, il semble que les Français, en proie à un fébrile enthousiasme,
vivent dans l'attente d'un miracle, qui va changer la face de la terre. Les
députés, qu'ils ont ^envoyés aux États-Généraux, sont les artisans de ce
miracle. Ils ont reçu mission d'opérer la régénération, non pas seulement de
leurs concitoyens, mais de l'espèce humaine tout entière. Ce mot de
régénération revient sans cesse dans tous les documents de l'époque, sous la
plume des plus savants comme des plus ignorants, et particulièrement dans les
centaines d'adresses à l'Assemblée nationale. Le
législateur prêtre du bonheur social. — Les premiers actes des « législateurs »,
c'est ainsi qu'on appelle ces prêtres du bonheur social, leur résistance aux
projets des aristocrates, le 14 juillet, la nuit du 4 août ne font que
justifier et ' qu'accroître la confiance mystique que le peuple a mise en
eux. A ceux d'entre eux, même les plus humbles, qui meurent, des honneurs
funèbres sont prodigués[21]. Les simples s'ingénient à
rechercher les moyens les plus propres à leur témoigner la reconnaissance et
l'admiration universelles[22]. Leur personne est entourée
d'une vénération naïve. Des représentants obscurs seront parfois l'objet
d'une idolâtrie qui s'adressera moins à leur personne qu'au caractère dont
ils étaient revêtus. Le Conventionnel Du Roy écrira de Saint-Dizier au Comité
de Salut Public, le 25 février 1794 : « J'ai vu là un fanatisme d'un autre
genre, mais qui ne m'a pas déplu, des femmes se précipitaient auprès de moi
pour toucher mes habits et se retiraient contentes[23] ». La
Déclaration des Droits.
— A la foi nouvelle, il faut un credo nouveau. Déjà, le Tiers-Etat de Paris
avait proposé dans son cahier une Déclaration des Droits ; « Dans toute
société politique, y était-il dit, tous les hommes sont égaux en droits. Tout
pouvoir émane de la nation et ne peut être exercé que pour son bonheur...[24] » L'Assemblée nationale
rédigea et imposa à tous les Français ce formulaire religieux réclamé par le
Tiers parisien. On y retrouve dans une forme brève et concise le fond de la
pensée des Philosophes. A lire
le compte-rendu des débats, il est manifeste que les législateurs prenaient
tout à fait au sérieux leur rôle de prêtres du bonheur public, et on comprend
mieux la célèbre parole de Camus : « Nous avons assurément le pouvoir de
changer la religion...[25] » Cela voulait dire
qu'aucun obstacle, même des plus respectables, ne devait empêcher les apôtres
du nouvel évangile d'accomplir leur mission providentielle. Ecoutons
les orateurs qui se succèdent à la tribune, dans ce grand débat de la
Déclaration des Droits[26]. Le 27 juillet,
Clermont-Tonnerre affirme à plusieurs reprises dans son projet le devoir de
l'État de faire le bonheur de ses administrés. « Art. Ier.
Tous les hommes ont un penchant invincible vers la recherche du bonheur ;
c'est pour y parvenir par la réunion de leurs efforts qu'ils ont formé des
sociétés et établi des gouvernements. Tout gouvernement doit donc avoir pour
but la félicite publique. « Art.
IX. Le gouvernement, pour procurer la félicité générale, doit protéger les
droits et prescrire les devoirs... » Le 1er
août, le comte Mathieu de Montmorency proclame les droits de l'homme a
invariables comme la justice, éternels comme la raison ». « La vérité,
ajoute-t-il, conduit au bonheur. » Target demande « quel est l'objet de la
Constitution ?» et répond : « C'est l'organisation de l'Etat. » — « Quel en
est le but ? » « C'est le bonheur public. » Et il définit ce bonheur
public le bonheur naturel de tous les citoyens par a l'exercice plein, entier
et libre de tous leurs droits ». Grandin
déclare que « une Déclaration des Droits est comme un traité de
morale ». Barnave
souhaite qu'elle devienne « le catéchisme national ». Le 3
août, au soir, un curé, qui n'est pas nommé, parle de la Constitution comme
d'une chose sacrée. « Vous allez, enfin préparer une nouvelle Constitution à
un des plus grands empires de l'Univers ; vous voulez montrer cette divinité
tutélaire, aux pieds de laquelle les habitants de la France viennent déposer
leurs craintes et leurs alarmes. Vous leur direz, voilà votre Dieu,
adorez-le... » Le 14
août, Mirabeau traduit dans une belle envolée les communes espérances de la
foi nouvelle. « Chaque progrès de la Constitution des grands Etats dans leurs
lois, dans leur gouvernement agrandit la raison et la perfectibilité humaine.
Elle vous sera due, cette époque fortunée, où tout prenant la place, la forme,
les rapports que lui assigne l'immuable nature des choses, la liberté
générale bannira du monde entier les absurdes oppressions qui accablent les
hommes, les préjugés d'ignorance et de cupidité qui les divisent, les
jalousies insensées qui tourmentent les nations et fera renaître une
fraternité 'universelle sans laquelle tous les avantages publics et
individuels sont si douteux et si précaires. C'est pour nous, c'est pour nos
neveux, c'est pour le monde entier que vous travaillez, vous marcherez d'un
pas ferme, mais mesuré vers ce grand œuvre... Les peuples admireront le calme
et la maturité de vos délibérations et l'espèce humaine vous comptera au
nombre de ses bienfaiteurs... » Rabaut
Saint-Etienne dira enfin, le 18 août, qu'il faut que la Déclaration devienne
« l'alphabet des enfants » : « C'est avec une si patriotique éducation, continue-t-il,
qu'il naîtrait une race d'hommes forts et vigoureux qui sauraient bien
défendre la liberté que nous leur aurions conquise. » Faut-il
rappeler que le préambule de la Déclaration commence ainsi :
« l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les
seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements »,
et que l'article II renferme cette phrase : « Le but de toute
association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'homme », droits dont l'exercice, nous a dit Target,
constitue le bonheur social ? Il y a
donc en résumé une foi politique, dont les dogmes principaux ont été
enseignés par les philosophes : L'Etat
peut et doit assurer le bonheur social. La loi, œuvre des législateurs, est
l'instrument de ce bonheur. Comme telle, elle a droit à tous les respects.
C'est une sorte de talisman protecteur qu'on ne saurait trop vénérer. « Non
seulement, le peuple doit observer la loi, mais il doit l'adorer. Le
patriotisme n'est en effet qu'un sacrifice perpétuel à la loi, en un mot,
tant (pic le nom île la loi ne sera pas aussi sacré que celui des autels et
aussi puissant que celui des armées, notre salut est incertain et notre
liberté chancelante...[27] » «
L'Evangile fonda la Religion des consciences, précise G. Homme, la Loi est la
Religion de l'Etal, qui doit avoir aussi ses ministres, ses apôtres, tes
autels et ses écoles...[28] ». « La Loi est mon
Dieu, je n'en connais point d'autre », s'écrie le fougueux Isnard à la
tribune de la Législative[29]. « Le premier des cultes, c'est
la Loi » répète P. Manuel[30]. » La
foi nouvelle inspire des i inquiétudes au clergé. — Bien qu'entraîné au début
par l'enthousiasme général, le clergé sentit pourtant confusément que la foi
nouvelle pourrait bien être à bref délai une ennemie ou tout au moins une
rivale pour la foi ancienne. A la séance du.3 août 1789, l'évoque de Chartres
émit la crainte que la Déclaration n'éveillât l'égoïsme et l'orgueil au cœur
des Français et il demanda qu'on la fit précéder « de quelques idées
religieuses noblement exprimées ». « La Religion ne doit pas, il est vrai,
être comprise dans les lois politiques, mais elle ne doit pas y être
étrangère ». — L'abbé Grégoire à son tour vint plaider le 18 août la cause de
la Divinité. L'assemblée, à l'en croire, n'avait pas paru assez se soucier
des droits de la Religion. Mais personne alors ne lit attention à ces
craintes. VI Caractère
religieux de la foi nouvelle. — Pour qu'une croyance, commune à un même groupe d'hommes, ait
le caractère de croyance religieuse, il faut qu'elle s'impose obligatoirement
à tous les membres du groupe, ("est une des règles que nous avons posées
dans notre définition du début. Or, les vérités formulées dans la Déclaration
des Droits se donnent pour des vérités obligatoires. La Constitution de 1791
stipule que, pour être citoyen actif, il est nécessaire de prêter le serment
civique, c'est-à-dire d'adhérer de la manière la plus solennelle à
l'institution politique nouvelle, a la Constitution, dont la Déclaration des
Droits est la partie dogmatique[31]. Ceux qui refusent de jurer le
credo politique sont donc retranchés de la communauté, frappés d'une
excommunication civile. En revanche, un étranger peut entrer dans la patrie
française, être admis au culte de la religion nouvelle, a la seule condition de
fixer son domicile en France et d'y prêter le serment civique. Inversement,
la Législative décernera le titre de citoyen français à Schiller, à Thomas
Paine, à David Williams, etc., pour les récompenser d'avoir travaillé hors de
France à l'œuvre de la régénération. Déjà, sur la demande d'Anacharsis
Cloots, un groupe d'étrangers avait figuré à la fêle de la Fédération. Dès le
début, la foi nouvelle était une foi universelle, internationale, une vraie
foi. Origine
spontanée du serment civique. — Il n'est pas indifférent de constater que l'obligation du
serment civique ne fut pas imposée aux Français par une autorité en quelque
sorte extérieure à eux, que, si elle devint plus tard la loi d'un parti, elle
fut, dans le principe, allègrement acceptée, désirée partout, qu'elle eut une
origine sociale. C’est spontanément, sans préméditation ni commandement
d'aucune sorte, mais dans un libre enthousiasme, que les Français jurent,
lors des Fédérations, « respect et soumission sans bornes à la Constitution
», qu'ils s'engagent à « soutenir les décrets de l'Assemblée, même au
péril de la vie », à « maintenir les droits de l'homme et du citoyen »,
à « vivre libres ou mourir[32] ». Répéter ce serment ne
coûte pas au peuple, au contraire ! Il semble qu'il prenne plaisir à
renouveler à toutes les occasions cet acte de communion mystique avec la
Patrie. Le 8 février 1790, à Paris, au moment où les corporations et les
autorités jurent de rester fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de
maintenir la Constitution, les femmes, les enfants, les ouvriers, les
domestiques, accourus en foule, mettent une joie enfantine à redire la
magique formule. « Le peuple, dit le Moniteur, était ivre de joie
d'être sorti depuis deux jours de la servitude. » A
Rouen, lors d'une semblable cérémonie, la ville tout entière illumine à
l'improviste. Les scènes de ce genre furent innombrables. Continuité
de la foi révolutionnaire. — Cette origine sociale du serment civique achève d'imprimer à
la foi révolutionnaire le caractère de foi religieuse. Ce n'est pas sur une
révélation et des mystères, comme dans la plupart des religions positives ;
sur la végétation, comme dans les cultes agraires ; sur une espèce animale,
comme dans les cultes totémiques, mais sur l'institution politique elle-même
que s'applique cette foi nouvelle, — et ceci la distingue de toutes les
autres. Liée à l'institution politique, cette foi subira les mêmes
fluctuations que l'objet auquel elle s'applique. Quand les lois, quand les
législateurs sont populaires, quand on attend beaucoup de leur intervention,
la foi révolutionnaire est fort vive, comme au temps de la Fédération, comme
dans les grands périls de 93. Mais, si l'institution politique parait faillir
à ses promesses ; si les législateurs se montrent incapables ou corrompus,
comme sous le Directoire, la foi révolutionnaire s'affaiblit et dévie. Mais,
jusqu'à la fin, cette foi reste identique en son fond. Les Déclarations des
Droits de 1793 et de l'an III ne diffèrent pas essentiellement de celle de 1791.
Elles reposent toutes les trois sur la même conception de l'État-Providence.
Toutes les trois aussi, elles considèrent les droits politiques comme le
prolongement des droits naturels. La tendance morale est seulement plus forte
dans celle de l'an III que dans les deux autres. Pendant
tout le cours de la Révolution, les législateurs, ces « premiers organes
des lois de la nature » gardent la plus haute idée de leurs fonctions.
« Représentants du peuple, s'écrie Manuel le 21 septembre 1792, la
mission dont vous êtes charges exigerait et la puissance et la sagesse des
dieux. Lorsque Cinéas entra dans le Sénat de Rome, il crut voir une assemblée
de rois. Une pareille comparaison serait pour vous une injure. Il faut voir
ici une assemblée de philosophes occupés à préparer le bonheur du monde[33]. » — « Notre mission
est grande ; elle est sublime, » ajouta Couthon a la même séance. Le lieu des
séances de l'Assemblée s'appelle couramment le « temple de la Constitution »,
et l'expression n'est pas seulement une périphrase pompeuse. On imprimait en
livrets d'un petit format le texte de la Constitution, afin que chacun pût le
porter sur soi, comme un bréviaire ou un livre sacré. A la première séance de
la Législative, douze vieillards allèrent en procession quérir le livre de la
Constitution. Ils revinrent, ayant à leur tête l'archiviste Camus, qui
portait, à pas lents, en le soutenant de ses deux mains et en l'appuyant sur
sa poitrine, le nouveau Saint Sacrement des Français. Tous les députés se
levèrent et, se découvrirent. Camus garda les yeux baissés, l'air recueilli. En l'an
III encore, quand la foi révolutionnaire était déjà bien tombée, le député Rouzet
définissait en ces termes l'état «l'esprit des auteurs de la première
Déclaration des Droits : « L'Assemblée constituante crut devoir garantir
son ouvrage par l'établissement d'une sorte de culte politique, qui
entretient dans l'Ame des régénérés l'inquiétude inséparable de toutes les
grandes passions, et la table des Droits de l'homme tut le talisman avec
lequel elle se promit de conserver le feu sacré qu'elle avait si facilement
allumé...[34] » On ne saurait mieux
caractériser ce culte politique, imprécis d'abord et inconscient, qui naquit
avec la Révolution, qui se précisa ensuite, s'agrandit et s'extériorisa dans
les cultes révolutionnaires proprement dits. Jusqu'à
la fin de la Révolution, la pratique des serments civiques resta strictement
obligatoire. Ainsi le citoyen rendit témoignage de son adhésion «aux dogmes
nécessaires à la vie de la société, à la bonne marche des institutions,
considérées comme sacrées. Ainsi le magistrat promit de se consacrer tout
entier au bonheur commun. Ainsi furent départagés les bons et les méchants,
les fidèles et les profanes, ceux-ci frappés d'incapacités, traités en
suspects, en coupables, en sacrilèges. C'est par un serment que s'était
constituée, le 20 juin 1789, l'Assemblée nationale, c'est par un serment que
la Convention ouvrit sa première séance, par un ! serment que s'était
terminée l'insurrection du § 10 août, que ^commença celle du 3i mai. C'est
par des serments qu'au temps du Directoire les patriotes crurent enrayer la
réaction royaliste et réveiller la foi politique[35]. Les fonctionnaires qui
refusaient le serment furent considérés comme ennemis de l'Etat, rebelles aux
lois. Le député Delleville demanda qu'ils fussent déportés (11 ventôse an
IV), et la peine
fut inscrite dans la loi. Les électeurs eux-mêmes, comme on l'a vu, étaient
astreints au serment, sous peine de la privation <les droits civiques. Par le
mysticisme qui s'y môle, par les espérances de bonheur qu'elle suscite, par
son caractère obligatoire, par sa continuité, il semble donc que la loi
révolutionnaire a toutes les apparences d'une loi religieuse. VII Le
symbolisme révolutionnaire, — Mais ce qui achève de ! justifier cette identification, c'est
que la toi révolutionnaire, à l'exemple de la loi religieuse, s'exprima
extérieurement, / presque dès le début, par des symboles définis et exclusifs
et j qu'elle s'accompagna en même temps de pratiques, de cérémonies
régulières, qu'elle fut liée à un culte. Le
symbolisme révolutionnaire, qui s'est formé comme au hasard, sans idées
préconçues et sans plan d'ensemble, avec une spontanéité remarquable, au
cours des années 1789, 1790 et 1791, lut l'œuvre commune de la bourgeoisie et
du peuple. La bourgeoisie, élevée et comme baignée dans la culture classique,
hantée des souvenirs de la Grèce et de Rome, emprunta généralement à
l'antiquité les objets, les légendes, les emblèmes les plus propres à
manifester au dehors ses espérances et à servir de signes de ralliement aux
partisans dq l'ordre nouveau. Comme elle était ^accoutumée à se réunir dans
les loges, alors fort nombreuses, elle joignit à ses emprunts classiques
quelques additions maçonniques. Enfin elle copia naturellement les cérémonies
de l'ancien culte. Mais le symbolisme ainsi inventé fût resté froid,
académique, si le peuple, en l'adoptant, en le faisant rapidement sien, ne
lui avait communiqué chaleur et vie. La
cocarde. — Le
premier des symboles révolutionnaires fut la cocarde tricolore arborée dans
la période de fièvre\ qui suivit le 14 juillet. La nouvelle de l'outrage fait
au signe patriotique par les gardes du corps à Versailles suffit pour
provoquer l'émeute des 5 et 6 octobre. De Paris, le culte des trois couleurs
se répandit comme une\trainée de poudre dans toute la France. Les Fédérations
arborèrent avec orgueil le drapeau tricolore, et le cœur des foules battit
plus vite à sa vue. À la Fédération de Strasbourg (13 juin 1790), des bons villageois
demandèrent avec attendrissement comme une faveur d'être admis à toucher le
drapeau des gardes nationales. Les couleurs de la nation ne tardèrent pas à
remplacer universellement les couleurs du Roi. Le Roi lui-même dut arborer le
signe de la religion nouvelle et faire défense, le 29 mai 1790, de porter
d'autre cocarde que la nationale. Bientôt
une série de mesures législatives rendirent le signe obligatoire pour tous
les citoyens[36] et même pour toutes les
citoyennes[37]. Autels
de la Patrie. —
En même temps qu'ils symbolisaient leur foi dans les trois couleurs, les
Français élevaient de toutes parts, sur les places publiques des autels de
la Patrie. Le premier de ces monuments fut sans doute celui que le
franc-maçon Cadet de Vaux fit construire dans sa propriété de
Franconville-la-Garenne au début de 1790. « Elevé sur un tertre formant un
bois sacré », cet autel fait d'un seul bloc de pierre avait la forme
triangulaire. Il était surmonté de « faisceaux d'armes, avec leurs haches. »
— Au milieu se dressait « une pique de 18 pieds de hauteur surmontée du
bonnet de la Liberté, ornée de ses houppes. » — La pique supportait « un
bouclier antique offrant d'un côté l'image de M. De La Fayette avec cette
légende : Il hait la tyrannie et la rébellion. (Henriade.) de
l'autre une épée, des étendards en sautoir, le tout en métal fondu ». Sur les
trois faces de l'autel on lisait ces inscriptions : Il fut
des citoyens avant qu'il lut des maîtres, Nous rentrons dans les droits qu'ont perdus nos
ancêtres. (Henriade.) Nous
allons voir fleurir la Liberté publique, Sous l'ombrage sacré du pouvoir
monarchique. (Voltaire, Brutus. On
s'assemble, on conspire, on répand des alarmes, Tout bourgeois est soldat, tout Paris est en armes[38]. (Henriade.) L'autel
de la Patrie eut une fortune aussi rapide que la cocarde nationale. En
quelques mois il lit le tour de France. Tantôt c'était un riche particulier
qui en dotait ses concitoyens[39], tantôt c'était une
souscription publique qui en faisait les frais, tantôt encore il était
construit par les citoyens de toutes les classes qui maniaient la pelle et la
pioche avec un bel entrain patriotique. Ses formes varièrent avec les
ressources des localités, le goût et le caprice des habitants. Mais partout
il fut le lieu de réunion préféré des patriotes, le but de leurs pèlerinages
civiques, le premier et le plus durable sanctuaire de la nouvelle religion[40]. Légiférant sur un fait
accompli, la Législative décréta, le. 26 juin 1792, que « dans toutes les
communes de l'Empire, il serait élevé un autel de la Patrie, sur lequel
serait gravée la Déclaration des Droits avec l'inscription : Le citoyen
naît, vit et meurt pour la patrie. » Les
autels de la Patrie, qu'on appelait aussi autels de la Liberté, resteront
debout jusqu'aux premiers jours de l'Empire. Arbres
de la Liberté.
— A peine les autels de la Patrie étaient-ils dressés que les arbres de la
Liberté venaient les ombrager. D'après Grégoire, le premier qui fut planté en
France l'avait été par Norbert Pressac, curé de Saint-Gaudens, près Civray,
en Poitou. « En mai 1790, le jour de l'organisation de la municipalité, il
fit arracher dans la forêt un chêneau de belle venue et le fit transporter
sur la place du village où les deux sexes réunis concoururent à le planter.
Il les harangua ensuite sur les avantages de la Révolution et de la
Liberté...[41] » Le
récit de Grégoire, puisé d'ailleurs dans le Moniteur[42], est sans doute matériellement
exact, mais il est certain que ; les paysans du Périgord, imités peut-être
dans d'autres régions de la France, n'attendirent pas l'exemple du curé
poitevin pour planter le mai libérateur : « L'arbre de mai, ce mât
traditionnel, point de ralliement des paysans les jours de fêtes votives[43] », devint en Périgord un
symbole révolutionnaire dès le mois de janvier 1790. « Sous une forme
plaisante, dit M. G. Bussière, il donnait aux seigneurs d'originales
remontrances, il leur rappelait notamment leur façon abusive de mesurer et de
cribler le blé des rentes, on y suspendait des cribles, des balaie, des
mesures de grains, des radoires, des plumes de volaille et, suprême ornement,
des girouettes, de quoi rabattre l'orgueil du châtelain.... Ces plantations
des mais, comme la forêt qui marche, faisaient leur descente du Nord au Midi
par les vallées de la Dordogne, de la Corrèze, de la Vézère, se répandaient
sur les rives, gagnaient peu à peu les coteaux, proclamaient à tous les vents
la déchéance de la féodalité[44] ». Les
arbres de la Liberté devinrent très vite populaires. Les patriotes les
entourèrent d'une vénération ombrageuse et bientôt punirent de peines sévères
ceux qui les mutilaient. C'est ainsi que, par son arrêté' du 22 germinal an
IV, le Directoire ordonna au Ministre de la Justice d'exercer des poursuites
contre les délinquants ou plutôt les criminels de cette espèce et de leur
faire appliquer « les lois portées contre toute espèce de crime
contrerévolutionnaire et attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la
souveraineté du peuple français ». Deux ans après, la loi du 24 nivôse an VI
punit de quatre ans de détention « tout individu convaincu d'avoir mutilé,
abattu ou tenté d'abattre ou de mutiler un arbre de la Liberté[45] ». Considérée
comme des choses sacrées, la mort des arbres de la Liberté était une
calamité, un deuil public. L'un d'eux ayant été coupé à Amiens, pendant la
mission d'André Dumont, le tronc fut porté à la mairie « couvert d'un drap
noir », précédé d'une musique et suivi par un cortège de 9.000 hommes en
armes ![46] De tous
les symboles révolutionnaires, l'arbre de la Liberté sera peut-être le plus
vivace dans l'âme populaire. Il reparaîtra un instant en i8/f8. Il reparait
même de temps à autre de nos jours. Autres
symboles. — Les
Tables de la Déclaration des Droits, les Tables de ta Constitution,
gravées sur le métal ou sur la pierre, furent à leur tour offertes à la
vénération publique. Les vieillards les portaient sur des brancards et les
déposaient sur l'autel de la Patrie. Là, le président de la fête les élevait
dans ses mains, comme le prêtre élevait l'ostensoir, et les présentait à la foule
qui était admise à les adorer pendant le reste du jour. Presque
partout, l'unité de la Patrie fut représentée par le faisceau des 83
départements, la Liberté conquise par une de ces Bastilles en
miniature que le patriote Palloy avait fait creuser dans les pierres de
la forteresse, ou encore par la pique, par le bonnet phrygien dont l'usage se
répandit dès la fin de 1790. Le bonnet phrygien, plus communément appelé
bonnet de la Liberté, bonnet rouge, apparaît déjà à la Fédération de Lyon, où
il est porté au bout d'une lance tenue par une déesse de la Liberté (30 mai 1790), à la Fédération de Troyes (8 et 9 mai
1790) où il coiffe
une statue de la Nation. Le Niveau, ce vieux signe de la maçonnerie,
symbolise l'Egalité dès l'année 1709. La Fraternité est figurée par les mains
entrelacées, autre signe maçonnique. Tels
sont les principaux symboles dans lesquels s'incarna tout d'abord le
patriotisme. D'autres,
la Nature, la Raison, les bustes des Martyrs de la Liberté,
la Montagne, l’œil de la surveillance, etc., apparaîtront plus
tardivement et passeront avec les circonstances qui leur auront donné
naissance et les partis qui les auront imaginés. On me
demandera peut-être si j'ai le droit d'assimiler ces symboles
révolutionnaires aux symboles des religions ordinaires. On me fera sans doute
remarquer que ceux-là ne sont que de simples allégories, sans efficacité
propre, tandis que ceux-ci sont pourvus aux yeux de leurs fidèles de vertus
spécifiques. Je répondrai que je ne méconnais nullement les différences
foncières qui séparent la religion révolutionnaire des religions révélées.
Évidemment, le patriote qui arborait la cocarde nationale n'attribuait pas
généralement à ce morceau d'étoile le pouvoir de faire des miracles, et, à
cet égard, son état d'esprit était autre que celui du catholique qui suspend
à son cou une médaille bénie ou quelque précieuse relique. Il n'en est pas
moins vrai que cocarde, médaille ou relique sont, au même, litre, des
symboles religieux parce qu'ils ont ceci de commun qu'ils représentent,
qu'ils concrétisent, qu'ils évoquent tout un ensemble d'idées ou de
sentiments, c'est-à-dire une foi. VIII Le
fanatisme révolutionnaire. — Il n'est pas absolument vrai d'ailleurs que les symboles
révolutionnaires n'aient eu la valeur que de simples signes, que d'allégories
inoffensives, sans vertu, sans efficacité particulière. « Avec l'air du Ça
ira, disent très bien les Révolutions de Paris[47], on mène le peuple au bout du
inonde, à travers les armées combinées de toute l'Europe. Paré d'un nœud de
rubans aux trois couleurs, il oublie ses plus chers intérêts pour ne
s'occuper que de la chose publique et quitte gaiement ses foyers pour aller
aux frontières attendre l'ennemi. « La
vue d'un bonnet rouge de laine le transporte, et qu'on n'en prenne pas
occasion de le railler ! Son enthousiasme est des plus respectables et des
mieux fondés. On lui a dit que ce bonnet de laine était en Grèce et à Home
l'emblème de l'affranchissement de toutes les servitudes et le signe de
ralliement de tous les ennemis du despotisme. C'en est assez pour lui. De ce
moment, chaque citoyen veut avoir ce bonnet... » La
religion révolutionnaire eut, elle aussi, son ivresse, son fanatisme, et par
là elle achève de ressembler aux autres. Les patriotes ne se bornent pas, en
effet, à arborer des symboles nouveaux', à les environner d'une piété
ombrageuse, ils font en même temps une guerre sans merci aux symboles
anciens, ils les détruisent sans pitié, sans relâche, dans une rage joyeuse. Ces
paysans du Périgord qui furent les premiers, semble-t-il, à planter les mois
de la Liberté, abattaient et brisaient en même temps les poteaux de justice,
les carcans, les bancs d'église, les girouettes, tous les objets qui
portaient la marque sensible de leur ancienne servitude. Les
bourgeois éclairés qui siégeaient aux Assemblées n'étaient pas moins
fanatiques que ces paysans. Ils ordonnaient par décrets la démolition de la
Bastille[48], l'enlèvement des statues des
provinces enchaînées au pied de la statue de Louis XIV sur la place des
Victoires[49]. Ils ne se bornaient pas à
supprimer les titres de noblesse[50], les ordres de chevalerie[51], ils faisaient brûler dans des
autodafés solennels tous les papiers, livres, titres, concernant la noblesse
et la chevalerie[52] ; ils prohibent les armoiries[53], ils ordonnent la confiscation
des maisons qui continueraient d'en porter[54], la destruction de tous les
monuments qui rappelleraient fa féodalité[55], ils font défense de prendre
dans aucun acte les titres et qualifications supprimés, « à peine de payer
une contribution sextuple, d'être rayés du tableau civique, d'être déclarés
incapables de remplir aucun emploi civil ou militaire, etc. — Même peine pour
celui qui ferait porter livrée à ses domestiques, placerait des armoiries sur
sa maison ou sa voiture, etc.[56] » Par un décret formel, ils
font fouler aux pieds une couronne ducale[57] ; ils s'acharnent sur la
féodalité jusque dans la langue elle-même, changent les noms des lieux qui
évoquent le passé détesté[58]. Ainsi, les réformés s'étaient
acharnés au XVIe siècle sur les emblèmes du catholicisme. Bientôt
la guerre au catholicisme succédera à la guerre à la féodalité ; les mitres,
les crosses épiscopales, les bréviaires et les missels iront rejoindre, dans
le commun brasier, les couronnes ducales et les armoiries, le calendrier
républicain remplacera le calendrier romain, et les prénoms grecs et romains
chasseront sur les registres de l'état-civil les noms des saints. Legendre (de la Nièvre) demandera au Comité de Salut
public de faire décréter par la Convention que dans toute l'étendue de la
République les croix seraient remplacées par le bonnet de la Liberté[59]. En distribuant des cocardes
aux jeunes citoyennes de Versailles, Ch. Delacroix et J.-M. Musset leur font
jurer de n'épouser que des républicains[60]. Se faisant le chantre de la
haine commune, le poète Lebrun lance la foule contre les cercueils des tyrans[61] : Purgeons
le sol des Patriotes Par
des rois encore infecté. La
terre de la Liberté Rejette
les os des despotes ; De
ces monstres divinisés Que
tous les cercueils soient brises ! Que
leur mémoire soit flétrie ! Et
qu'avec leurs mimes errants Sortent
du sein de la Patrie Tous
les cadavres des tyrans ! Quand
il est porté au paroxysme, le fanatisme révolutionnaire, comme le fanatisme
religieux, prend l'homme (oui entier, lui fait oublier les devoirs les plus
chers de la famille ou de l'amitié, devient exclusif de tout autre sentiment.
« Quand il s'agit de la Patrie, s'écrie Marihon-Montaut aux
Jacobins, il n'est ni frères, ni sœurs, ni père, ni mère. Les Jacobins
immolent tout à leur pays[62] ». Ce ne sont pas de vaincs
paroles. Nombreux furent alors les patriotes qui immolèrent tout à leur pays,
leur vie même. Ce n'était pas non plus une fanfaronnade que ce serment que
faisait Baudot, avant son départ pour l'armée du Rhin : « J'avertis la
société [des Jacobins] qu'en changeant de climat je ne changerai pas d'ardeur
révolutionnaire et que je ferai dans le Nord ce que j'ai fait dans le Midi. Je
les rendrai patriotes, ou ils mourront, ou je mourrai[63] ». Mais à
quoi bon multiplier ces exemples du fanatisme révolutionnaire ? Ils sont si
nombreux qu'ils se présentent d'eux-mêmes à l'esprit, et à les rassembler
tous, on aurait la matière d'un gros volume. IX Les
pratiques des cérémonies. — Dès la fin de la Constituante, la religion révolutionnaire
est constituée dans ; ses éléments essentiels, avec ses dogmes et ses
symboles obligatoires. Loin d'être une invention artificielle de quelques
hommes, un expédient politique, une arme de circonstance, elle nous est
apparue comme une création spontanée et anonyme de l'Ame française, un fruit
d'arrière-saison, mais savoureux, de la Philosophie du XVIIIe siècle. Une
chose pourtant lui manque encore à cette époque pour qu'elle soit vraiment
une religion complète, c'est un ensemble de pratiques régulières, un système
de cérémonies, un culte, en un mot. Mais on peut déjà prévoir que cette
lacune ne tardera pas à être comblée. Au moment où nous sommes, dans cette
année 1791, année de Varennes, année critique à tant d'égards, les patriotes
ont déjà pris l'habitude de se réunir dans des cérémonies ou fêtes civiques
pour se communiquer les uns les autres leurs espérances, leurs craintes,
leurs douleurs communes, pour commémorer l'anniversaire de leurs victoires
sur le despotisme, pour honorer leurs morts illustres, pour exalter
mutuellement leurs courages. Ces réunions civiques, laissées en général à
l'initiative des citoyens, varient encore/ de forme, de caractère, de
tendances dans toute la France. Celles-ci sont plutôt feuillantes, celles-là
jacobines. Les unes et les autres ne s'opposent pas encore aux cérémonies
catholiques, elles font une place aux prêtres de la religion ancienne, une
place plus ou moins importante. Mais il est visible que le catholicisme, le,
catholicisme épuré par la Constitution civile, n'est déjà plus dans la fête
qu'un élément accessoire, dont on ne » tardera pas à se passer. — Nous
verrons tout à l'heure sous l'influence de quelles circonstances la coupure
se fera entre la religion nouvelle et l'ancienne, comment celle-là s'opposera
à celle-ci et tentera ouvertement de la supplanter. Les
Fédérations. —
La première, non seulement en date, mais en importance, de ces cérémonies
civiques où les Français communièrent dans le patriotisme, celle qui servit
d'exemple et de modèle aux autres qui suivirent, celle qui donna
véritablement naissance au culte révolutionnaire, c'est la Fédération, ou
plutôt les Fédérations. C'est
pour réprimer les troubles, pour protéger les subsistances, pour rétablir
l'ordre indispensable à la régénération de la chose publique que se forment,
après la Grande Peur, les premières fédérations, véritables ligues armées au
service de l'Assemblée Nationale. Le sentiment qu'elles tiennent à exprimer
tout d'abord, à proclamer bien haut, c'est leur confiance absolue dans le
dogme politique de la toute puissance des représentants de la nation à
préparer et à assurer le bonheur public[64]. Elles ne doutent pas que les
intrigues des méchants, les conspirations des « aristocrates », ne soient le
seul obstacle qui retarde l'heure prochaine de la félicité générale et c'est
pour déjouer leurs intrigues, leurs complots qu'elles ont pris les armes.
Elles protestent de leur soumission sans bornes à la Constitution, de leur
ardent amour de la Patrie. Et par
Patrie elles n'entendaient pas une entité morte, une abstraction incolore,
mais une fraternité réelle et durable, un mutuel désir du bien public, le
sacrifice volontaire de l'intérêt privé à l'intérêt général, l'abandon de
tous les privilèges provinciaux, locaux, personnels. « Nous déclarons
solennellement, juraient les Bretons et les Angevins à Pontivy, le i5 février
1790, que : n'étant ni Bretons, ni Angevins, mais Français et citoyens du
même Empire, nous renonçons à tous nos privilèges locaux et particuliers et
que nous les abjurons comme anti-constitutionnels[65] ». La liberté dont ils se
proclament, « idolâtres », ce n'est pas une liberté stérile, une liberté
neutre, indifférente, mais c'est la faculté de réaliser leur idéal politique
profondément unitaire, le moyen de bâtir leur cité future harmonieuse et
fraternelle. Si les
fédérations furent avant tout un acte de foi dans le nouveau credo politique,
elles eurent aussi d'autres caractères. Une conception générale de la société
ne Va pas d'ordinaire sans une vue d'ensemble sur l'Univers, sans une philosophie
et sans une morale. Celle philosophie et celle morale, encore imprécises,
commencent déjà à percer par endroits. Très
souvent des inscriptions, gravées sur l'autel de la Pairie, avertissent les
citoyens que les meilleures institutions politiques sont sans efficacité, si
elles ne sont doublées d'institutions morales correspondantes. Le credo
politique est ainsi] lié à un credo moral. A Hennés, on lit sur une pyramide,
! élevée sur l'autel de la Patrie, cette phrase de Rousseau : « La Patrie ne
peut subsister sans la liberté, la liberté sans la vertu ». A Lyon, sur les
portiques du temple de la Concorde est gravée cette maxime : « Point d'Etat
sans mœurs, point de citoyens sans vertu, point de vertu sans liberté. » —
Plus d'une fois ce sont les vieillards qui président la l'été, comme s'ils
étaient revêtus d'une sorte de magistrature morale. « A la grande fédération
de Rouen, où parurent les gardes nationales de soixante villes, on alla
chercher jusqu'aux Andelys, pour être à la tête de l'Assemblée, un chevalier
de Malte, Agé de 85 ans. A Saint-Andéol en Vivarais, deux vieillards de 93 et
de 94 ans, l'un noble, colonel de la garde nationale, l'autre, simple
laboureur, prêtèrent les premiers le serment civique[66]. » Le
culte de l'Etre suprême, la Théophilanthropie, le> culte décadaire
reprendront en les élargissant, en les systématisant, ces mêmes
préoccupations morales. Dans
d'autres fédérations s'exprima d'une façon naïve, l'admiration pour les
découvertes de la Science, un vif amour de la Nature. A la grande fédération
de Dôle (21
février 1790), une
jeune tille vint au début de la fêle « avec un verre d'optique extraire du
Soleil le feu sacré et allumer dans un vase grec, placé sur l'autel, un feu
qui donna subitement une flamme tricolore[67]. » A Strasbourg, les
cultivateurs qui figurent dans le cortège avec une charrue, déposent une
gerbe de blé sur l'autel de la Patrie. Si dans
la très grande majorité des cas, le clergé préside la cérémonie, qui s'ouvre
par une messe solennelle, il se produit néanmoins ça et là quelques
démonstrations anticléricales. Par la plume de Jacques Boileau, dont le frère
Etienne jouera dans la suite un rôle considérable dans l'établissement des
cultes révolutionnaires dans l'Yonne, les gardes nationales de Saint-Brice,
Cravant, Vermanton, etc., invitent l'Assemblée nationale à redoubler
d'énergie contre le monstre du fanatisme : « Ah ! c'est le plus cruel de tous
; tel que ces tyrans ambitieux et féroces dont l'histoire nous offre tant
d'exemples, il n'aspire qu'à verser le sang de ceux qui l'inquiètent et
portent ombrage à son affreux despotisme. Frappez, frappez avec force cette
tête altière. Une fois détruit, la paix et la concorde, qui seules font
fleurir les Etats, vont renaître et nous serons tous heureux[68]. » A
Clamecy, un grenadier de la garde nationale, Ch. de Suroy, chante au banquet
civique, qui termina la fédération, des couplets qui furent imprimés au
procès-verbal[69] : Si
la noblesse et la calotte Insulte
à notre dévouement Rl',
rlan, rlatamplan ! Qu'on
nous les frotte Rlatamplan
! Tambour
battant ! A
Hennés, le procès-verbal dénonce ceux qui « redoublent leurs criminels
efforts, emploient comme dernière ressource le poignard du fanatisme et les
terreurs de la superstition[70] ». Plus
significatifs que ces incidents sans écho sont les réconciliations
solennelles des piètres des différents cultes sur l'autel de la Patrie.
Curés, pasteurs, rabbins, viennent abjurer leurs vieilles haines, regretter
les luttes passées, se promettre sincère amitié pour l’avenir, et sceller
leurs serments du baiser fraternel. A Montélimar, le curé et le pasteur se
jettent dans les bras l'un de l'autre. Les catholiques conduisent les protestants
à l'église et donnent au pasteur la place d'honneur au chœur. Inversement,
les protestants reçoivent les catholiques au prêche et mettent le curé à la
première place. À Clairac (Lot-et-Garonne) pasteur et curé ouvrent eux-mêmes le bal
patriotique qui termina la fédération[71]. C'est à
la fédération de Strasbourg (13 juin 1790) qu'on procéda, pour la première fois à ma
connaissance, à cette cérémonie du baptême civique qui, débarrassé de tout
caractère confessionnel, deviendra l'un des sacrements du culte de la Raison.
Je cite le procès-verbal : «
L'épouse de M. Brodard, garde national de Strasbourg, était accouchée d'un
fils le jour même du serment fédératif. Plusieurs citoyens, saisissant la
circonstance, demandèrent que le nouveau-né fut baptisé sur l'autel de la
Patrie.... Tout était arrangé lorsque M. Kohler, de la garde nationale de
Strasbourg et de la Confession d'Augsbourg, réclama la même faveur pour un
fils que son épouse venait de mettre au monde. On la lui accorda d'autant
plus volontiers qu'on trouva par là une occasion de montrer l'union qui règne
à Strasbourg entre les différents cultes[72]... » Et le
procès-verbal décrit la cérémonie, qui eut lieu en grande pompe. L'enfant
catholique eut pour marraine Mme Dietrich, de la religion réformée ; l'enfant
luthérien, Mme Mathieu, catholique, femme du procureur de la Commune.
L'enfant catholique fut prénommé : Charles, Patrice, Fédéré, Prime, René,
De la Plaine, Fortuné ; l'enfant protestant : François, Frédéric, Fortuné,
Chique. Quand les deux ministres, luthérien et catholique, eurent
terminé chacun leur offre et qu'ils se furent donné « le baiser de paix et de
fraternité », au baptême religieux succéda le baptême civique proprement dit
: « L'autel
religieux fut enlevé. Les marraines portant les nouveau-nés vinrent occuper
son emplacement. On déploya le drapeau de la fédération au-dessus de leurs
têtes. Les autres drapeaux les entourèrent, ayant cependant le soin de ne pas
les cacher aux regards de l'armée et du peuple. Les chefs et commandants
particuliers s'approchèrent pour servir de témoins. Alors les parrains debout
sur l'autel de la Patrie prononcèrent à haute et intelligible voix, au nom de
leurs tilleuls, le serment solennel d'être fidèles à la Nation, à la Loi, au
Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par
l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. Des cris répétés de Vive la
Nation, Vivo la Loi, Vive le Roi, se tirent aussitôt entendre de toutes
parts. Pendant ces acclamations, les commandants et autres chefs formèrent,
avec leurs épées nues, une voûte d'acier[73] au-dessus de la tête des
enfants. TOMS les drapeaux réunis au-dessus de cette voûte se montraient en
forme de dôme, le drapeau de la fédération surmontait le tout et semblait le
couronner. Les épées, en se froissant légèrement, laissaient entendre un cliquetis
imposant, pendant que le doyen des commandants des confédérés attachait à
chacun des enfants une cocarde en prononçant ces mots : Mon enfant, je te
reçois garde national. Sois brave et bon citoyen comme ton parrain. Ce
fut alors que les marraines offrirent les enfants à la patrie et les
exposèrent pendant quelques instants aux regards du peuple. A ce spectacle,
les acclamations redoublèrent. Il laissa dans l'âme une émotion qu'il est
impossible de rendre. Ce fut ainsi que se termina une cérémonie dont
l'histoire ne fournit aucun exemple. » Célébré
sans prêtres, sur l'autel de la Pairie, au-dessous des trois couleurs,
accompagné du serment civique en guise du serment religieux, ce baptême
laïque, où la cocarde lient lieu d'eau et de sel, fait déjà songer aux scènes
de p/3., Les ministres des religions ont encore paru au début de la
cérémonie, mais ils se sont vite éclipsés, et, en se jetant dans les bras
l'un de l'autre, ils ont semblé demander pardon pour leurs fautes passées. D'autres
baptêmes civiques furent célébrés dans la suite, par exemple à Wasselone, le 11
juin 1790. Ici encore les gardes nationaux formèrent la voûte d'acier
maçonnique sur le nouveau-né, et le parrain, à la place du credo, récita le
serment civique. On
célébra même, mais plus rarement, des mariages chiques sur l'autel de la
Patrie, par exemple à la fédéra- j lion de Dole le 14 juillet 1790[74]. Il
n'est pas indifférent de noter que c'est aux fédérations que prend naissance
l'usage, si répandu plus tard, de donner aux enfants des prénoms choisis en
dehors des calendriers religieux. Les deux enfants baptisés à Strasbourg
comptent parmi leurs prénoms Civique et Fédéré. N'est-il
pas curieux aussi que les fédérations nous offrent le premier exemple de ce «
repos civique », qui deviendra plus tard obligatoire tous les décadis ? A
Gray, le jour de la fédération, les citoyens chôment du matin au soir, à
l'instar d'une fête religieuse. Quoique la police n'eût rien prescrit à ce
sujet, les boutiques restèrent fermées[75]. Bref,
il n'est pas exagéré de prétendre que les cultes révolutionnaires sont déjà
en germe dans les fédérations, qu'ils y ont pris racine. Ces grandes scènes
mystiques furent la première manifestation de la foi nouvelle. Elles firent
sur les masses l'impression la plus vive. Elles les familiarisèrent avec le
symbolisme révolutionnaire, qui devint do suite populaire. Mais, surtout,
elles révélèrent aux hommes politiques la puissance des formules et des
cérémonies sur l'Ame des foules. Elles leur suggérèrent l'idée de mettre ce
moyen au service du patriotisme ; elles leur fournirent un modèle pour leurs
futurs systèmes de « fêtes nationales », d' « institutions publiques »,
de « cultes civiques », qu'ils imaginèrent en grand nombre dès la
Législative, avant de les réaliser sous la Convention et sous le Directoire. X Fêtes
civiques. — Les années 1790, 1791 et 1792 sont remplies par des fêtes
patriotiques, qui, tout en rappelant jpar certains côtés les fédérations,
annoncent et préparent le culte de la Raison. Si les
circonstances et les passions politiques donnent à chacune de ses fêtes un
caractère particulier, dans toutes cependant se retrouve la même inspiration,
le désir d'honorer l'institution politique nouvelle, de la défendre, de
célébrer le souvenir des grands événements qui lui ont donné naissance ou qui
l'ont consolidée, de témoigner aux hommes qui l'ont fondée ou préparée la
reconnaissance publique. Ces réunions sont donc bien au fond un culte rendu à
la Révolution, à la Patrie, à la Liberté, à la Loi, de quelque nom' qu'on
appelle l'instrument du bonheur attendu et l'idéal rêvé. Par leur cérémonial
comme par leur inspiration, elles ressemblent déjà aux fêtes de la Terreur ou
aux fêtes décadaires, auxquelles elles serviront souvent de modèles. Les
unes ont pour but principal de célébrer les grandes dates révolutionnaires,
ce sont des fêtes commémoratives : Celles-là sont des démonstrations
de joie à l'occasion d'événements politiques présents, ce sont des fêtes
politiques ; D'autres sont des témoignages d'admiration et de
reconnaissance envers les bons ouvriers et les martyrs delà Révolution, elles
constituent comme un culte des grands hommes, un culte des martyrs de la
liberté ; d'autres enfin sont destinées à récompenser des actes de
courage ou de probité, ce sont des fêtes morales. Fêtes
commémoratives. Le 20 Juin. — Le serment du Jeu de Paume, qui avait été le premier acte de
résistance ouverte des députés de la nation aux volontés royales, avait
laissé dans les cœurs patriotes un souvenir durable. Vers le début de l'année
1790, il se forma, sur l'initiative de Gilbert Romme[76], à Paris et à Versailles, une
société particulière pour « immortaliser cette conjuration qui sauva la
France » et, trois ans de suite, les 20 juin 1790, 1791, 1792, la société
célébra l'anniversaire par une fête civique dont la première fut très
brillante[77]. Formés « en bataillon civique
», les membres de la société entrèrent à Versailles par l'avenue de Paris. Au
milieu d'eux, quatre volontaires de la Bastille portaient « une table
d'airain, sur laquelle était gravée en caractères ineffaçable le serment du
Jeu de Paume. Quatre autres portaient les ruines de la Bastille destinées a
sceller sur les murs du jeu de Paume cette table sacrée ». La municipalité de
Versailles vint à la rencontre du cortège. Le régiment de Flandre présenta
les armes devant « l'arche sacrée ». Arrivés au jeu de Paume, tous les
assistants renouvelèrent le serinent « dans un saisissement religieux ». Puis
un orateur les harangua : « Nos enfants iront un jour en pèlerinage à ce
temple, comme les Musulmans vont à La Mecque. Il inspirera à nos derniers
neveux le même respect que le temple élevé par les Romains à la Piété
filiale... » Au milieu des cris d'allégresse, les vieillards scellèrent sur
la muraille la table du serment : « Chacun envia le bonheur de l'enfoncer ».
Tous ne quittèrent qu'à regret ce lieu si cher aux Aines sensibles : « Ils
s'embrassèrent mutuellement et furent reconduits avec pompe par la
municipalité, la garde nationale et le régiment de Flandre, jusqu'aux portes
de Versailles. » Le long de la route, en rentrant à Paris, « ils ne
s'entretenaient que du bonheur des hommes ; on eut dit que c'étaient des
Dieux qui étaient en marche. » Au bois de Boulogne, un repas de trois cents
couverts, « digne de nos vieux aïeux », leur fut servi « par des jeunes
nymphes patriotes. » Au-dessus de la table on avait placé « les bustes des
amis de l'humanité, de J.-J. Rousseau, de Mably, de Franklin qui semblait
encore présider la fête ». Le président de la société, G. Homme, « lut pour
benedicite les deux premiers articles de la Déclaration des Droits de
l'homme. Tous les convives répétèrent : Ainsi soit-il ! » Au dessert,
on donna lecture du procès-verbal de la journée. « Cet acte religieux excita
de vifs applaudissements ». Puis vinrent les toasts. Danton « eut le bonheur
de porter le premier ». « Il dit que le Patriotisme, ne devant
avoir d'autres bornes que l'Univers, il proposait de boire à sa santé, à la
Liberté, au bonheur de l'Univers entier ». Menou but à la santé de la Nation
et du Roi « qui ne fait qu'un avec elle », Charles de Lameth à la santé des
vainqueurs de la Bastille, Santhonax à nos frères des colonies, Barnave au
régiment de Flandre, Robespierre « aux écrivains courageux qui avaient couru
tant de dangers et qui en couraient encore en se livrant à la défense de la
Patrie B. Un membre désigna alors Camille Desmoulins, dont le nom fut
vivement applaudi. Enfin, un preux chevalier termina la série des toasts en
buvant « au sexe enchanteur qui a montré dans la Révolution un patriotisme
digne des dames romaines ». Alors, « des femmes vêtues en bergères »
entrèrent dans la salle du banquet et couronnèrent de feuilles de chêne les
députés à l'Assemblée nationale : D'Aiguillon, Menou, les deux Lameth,
Barnave ; Robespierre, Laborde. Un altiste célèbre[78], qui assistait à la fête,
promit d'employer sou talent « à transmettre à la postérité les traits
des amis inflexibles du bien public ». Puis, quatre volontaires de la
Bastille apportent sur la table o la représentation de cet antre du
despotisme et de la vengeance des rois ». Les gardes nationaux l'entourent,
tirent leurs sabres et la détruisent. « Quelle fut la surprise des
spectateurs ! A travers les coups de sabre, on aperçut un jeune entant vêtu
de blanc, symbole de l'innocence opprimée et de la Liberté naissante. On
l'exhaussa. On ne put se rassasier de le contempler. On trouva sous les mêmes
ruines un bonnet de laine, emblème de la Liberté. On le mit sur la tête de
l'enfant. On fouilla encore. On trouva plusieurs exemplaires de la
Déclaration des Droits de l'homme, des extraits des œuvres de J.-J. Rousseau
et de Raynal. On les jeta çà et là parmi les convives qui se précipitaient
les uns sur les autres pour en avoir des exemplaires. Chacun emporta avec soi
quelques débris de la Bastille... » Il
serait superflu de commenter un pareil récit. Sous la sensibilité et les
bergeries de l'époque, on y sent l'âpre haine du régime disparu, le besoin de
détruire tout ce qui le rappelle, en même temps qu'une ardente appétition
vers une société meilleure, dont les Législateurs couronnés de chêne
préparent l'avènement. Le
14 Juillet. —
Une société particulière avait pris l'initiative de commémorer l'anniversaire
du 20 Juin. Les autorités constituées, l'Assemblée nationale elle-même,
réglèrent la commémoration du 14 Juillet. Sans
doute, ce n'était pas seulement pour fêter l'anniversaire de la prise de la
Bastille que se réunirent, le 14 juillet 1790, au Champ de Mars, les délégués
de toutes les gardes nationales de France. Cette Fédération générale
dépassait la portée d'une cérémonie commémorative. Elle était vraiment la
fête de la Patrie, la fête de la France nouvelle. Aussi la Fédération
elle-même, a cette fête auguste, la plus majestueuse, la plus imposante, qui,
depuis que les fastes du monde nous sont connus, ait encore honoré l'espèce
humaine », la Fédération devint un des grands événements de la Révolution et
comme telle fut commémorée a son tour comme la prise de la Bastille. Les
années suivantes la fête du 14 Juillet fut consacrée à la fois aux deux
anniversaires réunis et confondus. En
1791, sans attendre qu'une loi les y obligeât, la plupart des municipalités
célébrèrent le double anniversaire[79]. A Paris, les autorités et les
gardes nationaux se réunirent avec une délégation de l'Assemblée sur les
ruines de la Bastille et de là se rendirent en cortège au Champ de la.
Fédération, où Gobel célébra la messe sur l'autel delà Patrie. D'après le Moniteur[80], le nombre des spectateurs fut
considérable. Le soir, les façades des maisons furent illuminées. Avant
de se séparer, la Constituante fit du 14 Juillet une fête légale en décrétant
que le serment fédératif serait renouvelé ce jour-là, chaque année, au
chef-lieu du district[81]. En
1791, la fête avait été assombrie par le souvenir récent de la fuite à
Varennes ; en 1792, elle fut enfiévrée par les approches du 10 août. Le 14
juillet 1792, à Paris, une délégation de l'Assemblée se rendit sur les ruines
de la Bastille pour assister à la pose de la première pierre de la colonne de
la Liberté qui devait s'élever, par les soins du patriote Palloy, sur
l'emplacement de l'odieuse forteresse. A la cérémonie qui eut lieu ensuite au
Champ de la Fédération, le clergé pour la première fois ne prit aucune part[82]. Dans le cortège on remarquait
une statue de la Liberté, portée par six « citoyens vêtus suivant le nouveau
costume proposé par David », une statue de Minerve, portée de la même manière
sur un brancard aux trois couleurs et escortée par des vieillards tenant des
enfants par la main. Près de l'autel de la Patrie, une pyramide honorait la
mémoire des citoyens morts pour la Liberté, et un « arbre nobiliaire » chargé
d'écussons, de parchemins, de cordons d'ordres supprimés, vouait à
l'exécration le passé disparu. A la fin de la cérémonie, les vieillards et
les personnages officiels mirent le feu à l'arbre nobiliaire pendant que des
enfants, des femmes et des invalides déposaient des couronnes de chêne et de
fleurs sur le mausolée des martyrs de la Liberté. Puis on entonna l'hymne
bientôt célèbre de M. J. Chénier : Dieu du
Peuple et des rois, des cités, des campagnes... Dans
les départements, le 14 Juillet fut célébré, comme à Paris, à grands renforts
d'allégories classiques. Mais, presque partout, la messe fut dite sur l'autel
de la Patrie. Le 4
Août. — Soit
que le souvenir en eût été trop, favorable aux ordres privilégiés ; soit, au
contraire, que les, décrets — tout théoriques — votés dans cette fameuse nuit
eussent laissé trop de déceptions au cœur des patriotes, l'anniversaire du 4
Août fut loin d'obtenir les mêmes honneurs que celui du 14 Juillet. Les
autorités s'en désintéressèrent. Quelques particuliers seulement, assez
obscurs d'ailleurs, eurent l'idée de le commémorer, mais leurs projets ne
furent pas réalisés. L'un d'eux, à la fin de 1589, proposait d'organiser une
fête nationale qui serait célébrée tous les ans a à ce jour immortel[83] ». Dans chaque ville, on
construirait un temple dédié à la Liberté. Louis XVI aurait sa statue dans la
nef. Les 1.200 députés, « coopérateurs, agents, instruments de la félicité
générale », auraient également leurs portraits suspendus aux murs du temple. « Chaque
mère serait obligée d'aller présenter son fils dans ce temple, où il serait
investi du droit de citoyen et recevrait un nom. Cette espèce de Baptême
patriotique le rendrait l'enfant de la Nation régénérée. » Les
meilleurs poètes dramatiques seraient chargés de composer une pièce sur le
Triomphe de la Liberté et la pièce serait jouée devant le peuple tous les ans
au 4 août. Il est
à peine besoin d'avertir que lé projet ne reçut aucun commencement
d'exécution. Au
moins une fois cependant, l'abolition de la dime fut célébrée par des
réjouissances. En 1791, la société fraternelle de Gémeaux (district de
Riom), présidée par
G. Homme, commémora l'abolition de la dime par une fête qui ouvrit la
moisson. La municipalité, environnée des habitants, se rendit dans un champ
qu'on venait de moissonner, et rapt pela les lois bienfaisantes par
lesquelles la Révolution avait libéré la terre. La fête se termina à l'église
par un Te Deum d'actions de grâces[84]. Quelque
temps après, en septembre 1791, les habitants de Septmoncel (Jura)
célébrèrent à leur tour par une fête civique l'abolition du servage[85]. Fêtes
politiques. —
La foi révolutionnaire consistait essentiellement dans les espérances de
bonheur que faisait concevoir l'institution politique nouvelle. Il n'est donc
pas étonnant que les principaux actes politiques qui annonçaient la prochaine
mise en vigueur de la Constitution, si attendue, aient provoqué des fêtes
civiques, par lesquelles se manifesta l'espérance universelle. Quand
la France apprit, le 4 février 1790, que le roi avait solennellement promis
de maintenir la constitution préparée par l'Assemblée nationale, elle se
livra aux transports de la joie la plus vive. Paris illumina deux jours de
suite. Le serment civique, prêté par l'Assemblée Nationale, après la visite
du Roi, fut répété dans toutes les communes au milieu de cérémonies
patriotiques. Enfin, quand la Constitution fut achevée, une grande fête fut
organisée a Paris pour la proclamation solennelle, le 18 septembre 1791. Les
autorités se rendirent en cortège au Champ de la Fédération. Le Maire monta
sur l'autel de la Patrie et montra aux citoyens le livre de la Constitution.
Après la cérémonie, on donna à la foule le spectacle, alors très nouveau, de
l'ascension d'un aérostat. Le soir, l'illumination fut générale, a Des
guirlandes de feu réunissaient tous les arbres depuis la place Louis XV
jusqu'au lieu appelé Étoile[86] ». Le
dimanche suivant, 20 septembre, la fête recommença et fut particulièrement
brillante au rond-point des Champs-Elysées[87]. La
Constitution de 1793 devait être proclamée plus solennellement encore à la
grande Fédération du 10 août 1793. Fêtes
des bienfaiteurs et des martyrs de la Liberté. Fêtes funèbres. — Très vite les patriotes
organisèrent des cérémonies d'actions de grâces en l'honneur de tous ceux qui
avaient préparé la Révolution ou qui étaient morts pour elle. Avant Marat,
Chalier et Le Pelletier, d'autres saints politiques, d'autres martyrs de la
Liberté eurent leurs statues et leurs cultes. Desilles. — Après la malheureuse affaire
de Nancy, le 20 septembre 1790, une grande fête funèbre fut célébrée au Champ
de la Fédération en l'honneur des gardes nationaux qui avaient péri en
faisant rentrer dans l'ordre les Suisses de Châteauvieux révoltés. L'officier
Desilles, qui avait payé de sa vie ses efforts pour arrêter l'effusion du
sang, était honoré d'un buste, couronné de feuilles de chêne, à la séance de
l'Assemblée nationale du 29 janvier 1791. Un tableau représentant son action
héroïque était commandé au peintre Lebarbier. A cette
occasion, le député Gouy tirait en quelque sorte la morale de ces honneurs
posthumes décernés par la Révolution a ses martyrs et comparait les saints
laïques aux saints religieux et aux grands conquérants. « Jusqu'ici,
disait-il, cette espèce de culte, cette apothéose, déférée par la
reconnaissance et l'admiration, avait été réservée pour une autre classe de
héros. C'était aux effigies consacrées par la fureur des conquêtes que se
décernait cette pompe, que s'adressaient ces acclamations. Il serait digne de
l'humanité, de la liberté, d'y associer enfin les martyrs du patriotisme, de
faire aujourd'hui de ces cérémonies rémunératrices le prix des sacrifices civiques, dont les
monuments viendraient ici vivifier ce temple de la Constitution. Une suite
d'images comme celle qui reçoit ; aujourd'hui le tribut de vos larmes et de
nos respects en seraient les gardiens les plus dignes, et, s'il était
possible que cette Constitution régénératrice trouvât des ennemis, l'espoir
d'occuper une place au nombre des demi-dieux dont vous auriez ici canonisé le
premier, suffirait pour lui donner des imitateurs... » Et Gouy
proposait sans ambages de transformer les fêtes civiques en un instrument
politique au service de l'Assemblée et des institutions nouvelles. « Eh
bien, de cette terre inanimée, il ne tient qu'à vous de créer des héros.
C'est aux législateurs de l'Empire à féconder le germe qu'elle renferme dans
son sein et que vos soins seuls peuvent faire éclore. Si la couronne civique,
la plus honorable de toutes, ornait par vos ordres le front de la victime
immolée au patriotisme, je ne doute pas que cet honneur suprême n'enflammât
les cœurs des 000.000 Français que vos décrets appellent à la sûreté ou à la
défense de nos frontières. Je ne doute pas qu'il ne devint un bouclier
inexpugnable contre les ennemis qui oseraient troubler nos utiles travaux et
qu'une récompense aussi magnifique ne fut le rempart le plus sûr contre les
adversaires présents et futurs de la Constitution... » Sans
doute, la pensée est encore vague, mais elle se précisera bientôt, et dès le
début de la Législative, les chefs patriotes songeront a réunir les éléments
épars du culte révolutionnaire, à les systématiser pour en faire un
instrument de propagande civique. Mirabeau. — Quand Mirabeau mourut, des
honneurs magnifiques lui furent rendus. Sainte-Geneviève fut transformée en
Panthéon pour recevoir sa dépouille et celle de tous les grands hommes qui, à
son exemple, auraient bien mérité de la patrie[88]. Voltaire. — Voltaire à son tour, le n
juillet 1791, était, transféré au Panthéon, au milieu d'une foule immense[89]. « La fête, disait la Feuille
Villageoise, a été sublime et attendrissante. Elle a frappé et agrandi
l'esprit du peuple, elle a discrédité les processions et les images
monacales, elle a électrisé d'un feu pur et céleste les hommes les plus
grossiers, elle a redoublé la sainte ardeur du patriotisme et répandu de
toutes parts les rayons de la Philosophie. Ce jour a donc avancé, pour ainsi
dire, d'un siècle les progrès de la raison[90].... » A cette date, les
patriotes avancés ne cachaient déjà plus leur intention d'opposer leurs fêtes
civiques aux anciennes fêtes religieuses. Au
cours de l'année 1792, les fêle*» patriotiques se succèdent à de courts
intervalles et se généralisent dans toute la France. Les
Suisses de Châteauvieux. — Le 15 avril 1792, c'est la fête de la Liberté, organisée par
Collot d'Herbois et Tallien en l'honneur des Suisses de Châteauvieux,
victimes de Bouille. Le cortège parcourut les principales rues de la capitale
au milieu d'une grande affluence. On y voyait figurer la Déclaration des
Droits portée en triomphe, un modèle de la Bastille, des bustes de Franklin,
de Sydney, de J.-J. Rousseau, de Voltaire, les chaînes des soldats de
Châteauvieux portées par quatre citoyennes, un char de la Liberté surmonté
d'une statue de la déesse, et enfin les quarante Suisses sur le Char de la
Renommée attelé de vingt superbes chevaux. Rendant
compte de cette journée, le Moniteur en tira cet enseignement à l'usage des
hommes politiques : « Nous dirons de plus aux administrateurs. Donnez souvent
de ces fêtes au peuple. Répétez celle-ci chaque année, le 15 avril. Que la
fête de la Liberté soit notre fête printanière, que d'autres solennités
civiques signalent le retour des autres saisons de l'année... Elles élèveront
l'âme du peuple, elles adouciront ses mœurs, elles développeront sa
sensibilité, en affermissant son courage, elles en feront, disons mieux,
elles en ont déjà fait un peuple nouveau. Les fêtes populaires sont la
meilleure éducation du peuple[91]. » Voilà le grand mot lâché.
Paire des fêtes civiques, nées spontanément, une école pour le peuple, un
instrument pour régénérer le pays, ce sera l'article essentiel du programme
des organisateurs des cultes révolutionnaires. Simoneau. — A la fête des Suisses de
Châteauvieux ou fête de la Liberté succéda bientôt, le 3 juin 1792, la fête
funèbre en l'honneur de Simoneau, ou fête de la Loi. Simoneau était ce maire
d'Etampes qui avait été tué dans une émeute populaire, en voulant faire
respecter la loi sur les subsistances. Pour les modérés de la Législative ou
feuillants, la fête de Simoneau fut une réponse à la fête des Suisses de Châteauvieux
qu'ils considéraient comme la glorification de la rébellion. Alors que
celle-là était née de l'initiative privée de quelques patriotes avancés,
celle-ci fut organisée par les autorités. Un décret de la Législative[92], complété parmi arrêté du
département de Paris[93], régla l'ordre et la
composition de la cérémonie, Formé au faubourg Saint-Antoine, le cortège se
rendit au Champ de la Fédération. Parmi les principaux emblèmes, on voyait
une bannière à l'antique aux couleurs nationales avec cette devise : la Loi,
un modèle de la Bastille, les enseignes des 83 départements avec ces mots : Soyons
unis, nous serons libres, un drapeau de la Loi, un génie de la Loi
porté sur un lectisternium, un bas-relief représentant le trait héroïque du
maire d'Etampes avec une couronne civique et une guirlande de lauriers,
l'écharpe du vertueux Simoneau avec une palme et un long crêpe, le buste du
même, le livre de la Loi sur un trône d'or porté par des vieillards,
etc. Au Champ de la Fédération s'élevait un autel de la Loi, sur
lequel on brûla force encens. Des
fêtes analogues furent célébrées dans les départements en l'honneur de
Simoneau, à Angers[94], à Tulle, à Senlis, à Lyon,
etc. A lire
leurs programmes, on ne peut manquer d'être frappé de la ressemblance
qu'offre leur cérémonial avec celui des fêtes funèbres de la Convention ou du
Directoire. Que ce soit Desilles ou Simoneau, Mirabeau ou Voltaire, Hoche ou
Joubert, le martyr à glorifier, la forme extérieure de la cérémonie reste
presque identique. Les mêmes motifs, les mêmes emblèmes, les mêmes
inscriptions reviennent sans cesse. Ce
culte posthume, rendu aux martyrs de la liberté, n'allait pas seulement aux
hommes populaires, à ceux dont le nom était sur toutes les lèvres ; il était
décerné aussi aux héros de second ordre et de troisième ordre par leurs
proches, leurs amis, leurs compatriotes. Cerutti. — Cerutti, le premier
directeur de la Feuille Villageoise, fut, après sa mort, survenue au début de
1792, l'objet de nombreuses cérémonies funèbres organisées par ses partisans[95]. Gouvion. — Gouvion, l'ami de Lafayette,
tué à l'ennemi le 9 juin 1792, connut les mêmes honneurs que Cerutti[96]. Fêtes
morales. — Aux
cérémonies plus proprement civiques se joignirent bientôt les cérémonies plus
spécialement morales. S'il est vrai que les vertus publiques trouvent leur
source dans les vertus privées, — et les hommes de la Révolution le croyaient
fermement, — pourquoi celles-ci ne recevraient-elles pas les mêmes honneurs
que celles-là ? Le 4
février 1790, à la séance de la municipalité parisienne, un grenadier, dont
le nom n'a pas été conservé, reçut une couronne civique et un sabre
d'honneur, pour avoir sauvé, le jour de la prise de la Bastille, une jeune
tille sur le point d'être lapidée par la foule, qui la prenait pour la fille
du gouverneur[97]. D'autres
cérémonies du même genre furent organisées à Paris, mais l'exemple de la
capitale ne tarda pas à passer dans les départements. Le 20 juin 1792, le
député Lacuée apprit à ses collègues de la Législative que le directoire du
Lot-et-Garonne venait de décréter une fête civique pour récompenser Jean Simonet,
un charretier qui, dans une émeute, avait sauvé un citoyen au péril de ses
jours. Jean Simonet reçut, au nom de la Patrie, une couronne de chêne.
Faisant le récit de cette fête, Lacuée se félicitait des progrès sensibles de
l'esprit public ; il voyait dans les récompenses décernées solennellement aux
actes vertueux, le prélude d'essais politiques dont il se promettait
le plus grand bien[98]. La
Patrie n'était donc plus considérée seulement comme l'instrument du bonheur
matériel, elle devenait la sauvegarde de la morale. Alors que la religion
ancienne reculait dans l'autre monde les récompenses de la vertu, la religion
nouvelle les distribuait dès cette vie. — Les cultes révolutionnaires feront
à la prédication morale une large place. Fêtes
morales, fêtes politiques, fêtes commémoratives, fêtes des martyrs de la
Liberté, le cérémonial de la religion révolutionnaire se trouve esquissé dans
ses traits essentiels dès 1792. Il n'est pas plus artificiel que son
symbolisme. L'un et l'autre se sont formés spontanément, sans plan préconçu,
un peu au hasard. Ils sont le produit anonyme de l'imagination collective des
patriotes. XI Les
prières et les chants patriotiques. Influence du théâtre. — Plus encore que par les
cérémonies, un culte fait impression sur ses fidèles par les prières et par
les chants. De très bonne heure, le culte révolutionnaire eut' ses
invocations et ses cantiques. A une date qui n'est pas indiquée, mais qui ne
doit pas dépasser l'année 1791, un simple soldat-canonnier de la garde
nationale de Blois, J. Bossé, fit paraître tout un recueil de prières
patriotiques[99]. Les curés philosophes qui
collaboraient alors à la Feuille Villageoise, et qui deviendront plus
tard les curés rouges du culte de la Raison, sentirent assez vite le besoin
de mettre en harmonie la foi ancienne avec la nouvelle. En novembre 1791, le
curé d'Ampuis (Loire),
Siauve, qui dirigera en l'an VI l’Écho des Théophilanthropes, composa
une prière au Dieu de justice et d'égalité, qu'il, destinait à remplacer « la
prière antique et superstitieuse du prône[100] ». Peu après, un de ses
confrères, Couet, curé d'Orville, publiait à son tour une fort belle prière
patriotique pour demander à Dieu de rendre les Français dignes de la liberté[101]. Des prières de ce genre
figureront dans les rituels des cultes de la Raison et de l'Être suprême. Dès
1792, la foi révolutionnaire s'exprimait dans des chansons, qui mettaient au
cœur des citoyens une véritable ivresse religieuse. Le Ça Ira, la Carmagnole,
la Marseillaise, furent très vite populaires. Le
théâtre, dont les Français avaient la passion, contribua à répandre les airs
patriotiques, et réagit à son tour ; sur les cérémonies civiques. Dès 1790,
on mit la politique à la scène. Les « faits historiques », les « pièces à
spectacle », les « tragédies nationales » se multiplièrent, de plus \[en plus
goûtées du public. En 1790, c'est la Famille patriote. ou la Fédération de
Collot d'Herbois[102], le Quatorze de Juillet 1789
de Fabre d'Olivet[103], l’Autodafé ou le Tribunal
de l’Inquisition de Gatiot[104], la Fête de la Liberté ou le
dîner des patriotes de Ch. Ph. Ronsin[105] ; en 1791, c'est Guillaume
Tell de Sedaine[106], Mirabeau aux Champs-Elysées
d'Olympe de Gouges[107], le Triomphe de Voltaire
de J.-B. Pujoulx[108], Voltaire à Romilly de
Willemain d'Abancourt[109], la Ligue des fanatiques et
des tyrans de Ch. Ph. Ronsin[110], la France régénérée de
P.-J. Chaussard[111]. — En 1792, l’Apothéose de
Beaurepaire de Ch.-J. Lesur[112], le Siège de Lille de
Joigny[113], le Général Custine à Spire
des citoyens D. D.[114], Tout pour la Liberté de
Ch.-L. Tissot[115], etc. Une
pièce comme le Triomphe de la République ou le Camp de Grandpré de M. J.
Chénier[116], avec ses chœurs de femmes et
d'enfants, ses cortèges de vieillards, de magistrats, ses défilés militaires,
son apothéose de la Nation, ses hymnes très larges, ses invocations à la
Liberté, à la Nature, ne pouvait manquer de présenter des modèles à imiter
aux organisateurs des fêtes patriotiques. Les féeries du même ordre, mises à
la portée de tous par la simplicité de l'action et la banalité des
situations, donnaient au peuple l'habitude et le goût des spectacles, le
familiarisaient d'avance avec les principaux motifs des fêtes de la Raison. Déjà
les pièces patriotiques et les fêtes civiques tendaient à se rejoindre et à
se confondre. Les électeurs de 1789 faisaient jouer à Notre-Dame la Prise
de la Bastille « hiérodrame de Desaugiers », au cours de la
cérémonie civique qu'ils célébrèrent, le 13 juillet 1791, en commémoration de
la grande journée révolutionnaire[117]. Au
moment même où la Constituante décrétait une pompe funèbre en l'honneur de
Desilles, on jouait au Théâtre italien le Nouveau d'Assas, pièce en
musique consacrée à l'apothéose du héros de l'affaire de Nancy[118]. La
plantation des arbres de la Liberté fut mise à la scène par Manuel dans la
Comédie du Chêne patriotique. Conclusion. — Concluons. Il existe une religion révolutionnaire dont l'objet est l'institution sociale elle-même. Cette religion a ses dogmes obligatoires — la Déclaration des Droits, la Constitution —, ses symboles, entourés d'une vénération mystique — les trois couleurs, les arbres de la Liberté, l'autel de la Patrie, etc. —, ses cérémonies — les fêtes civiques —, ses prières et ses chants. Il ne lui manque plus, à la fin de 1792, pour être une religion véritable, que de prendre conscience d'elle-même, en rompant avec le catholicisme dont elle n'est pas encore complètement dégagée. — Cette séparation de la religion nouvelle d'avec la religion ancienne ne s'est pas faite d'un seul coup. Nous allons voir qu'elle fut l'œuvre des circonstances autant que des partis politiques. |
[1]
Consulat et Empire, éd. 1874, t. II, p. 163.
[2]
Quinet, éd. du centenaire, t. II, p. 57-97.
[3]
L'Église et la Révolution française. Histoire des relations de l'Église et
de l'État de 1789 à 1809, 2e édlt. (1867). Voir livre III, chap. III, p.
351-354.
[4]
Michelet, livre XIV, chap. I.
[5]
Histoire de la Théophilanthropie, 1870, in-8°.
[6]
Aulard, Le Culte de la Raison et le Culte de l'Être Suprême, 1892,
in-12, p. VII.
[7]
Aulard, Le Culte de la Raison et le Culte de l'Être Suprême, p. VIII.
[8]
1895, in-8°.
[9]
Il est bien entendu que nous n'envisageons ici le phénomène religieux qu'en
tant que phénomène social, et que nous laissons de côté la « religion
intérieure », sentiment individuel, conception chère à beaucoup de
protestants.
[10]
Sous ce titre : De la définition des phénomènes religieux, Année
sociologique, t. II, Paris 1899, in-8°.
[11]
Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes
religieux, p. 13.
[12]
Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes
religieux, p. 21.
[13]
Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes
religieux, p. 20.
[14]
Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes
religieux, p. 24.
[15]
Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes
religieux, p. 23.
[16]
Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes
religieux, p. 28.
[17]
Cité par M. Aulard, Le Culte de la Raison..., p. 8 et 10.
[18]
Voir les textes réunis par M. Aulard dans le chapitre Ier de son Culte de la
Raison : Les Philosophes.
[19]
Comme l'explique le dernier éditeur du Contrat, M. Georges Beaulavon
(Paris, 1903, in-8°), p. 133, note 1.
[20]
Livre Ier, chap. Ier, p. 145 de l'édition Beaulavon.
[21]
Honneurs funèbres rendus à Besançon à M. Blanc, premier député du Tiers-Etat
de cette ville, décédé à Versailles au mois de juillet, A Besançon, le 18
Juillet 1789 (Bibl. de la Ville de Paris, 13.27a). Sous forme, de lettre non
signée. On lit p. 3 : « Si de tels honneurs ont été dus et conférés à l'un
de MM. les députés, à raison de la fermeté que tous ont montrée jusqu'ici (car
on n'a eu en vue que de les honorer tous en la personne de l'un d'eux), à quoi
ne doivent-ils pas prétendre et s'attendre s'ils deviennent artisans de notre
bonheur, par des règlements sages et utiles ? »
[22]
Un curieux projet de Fête nationale qui sera célébrée le jour immortel du 4
Août (Bibl. de la Ville de Paris, 12.272) stipule : « Tous les députés de 1789,
qui ne sont pas nobles, le deviennent en ce moment. Eux et leurs descendants
seront à mérite égal, toujours préférés pour les places de municipalité dans
leurs provinces ou dans les Etats provinciaux ».
[23]
Aulard, Actes du Comité de Salut public, t. XI, p. 405.
[24]
Moniteur, réimp. 1863, Introduction, p. 567.
[25]
Séance du 1er juillet 1390. Moniteur, réimp., t. IV, p. 515.
[26]
J'emprunte le compte rendu, des séances au tome Ier de la réimpression de l’Ancien
Moniteur. Bien que ce tome premier ait été composé après coup en l'an IV,
on peut s'y lier dans une large mesure, car il reproduit en grande partie le Courrier
de Provence.
[27]
Feuille Villageoise, avis précédant la seconde année (1791).
[28]
Lettre de G. Homme à la Feuille Villageoise, n° du 21 juillet 1791.
[29]
Séance du 14 nov. 1791, cité par Sciout, Histoire de la Constitution civile
du clergé, 1872-81, 4 vol. in-8°, t. III, p. 50, note d'après le Journal
des débats et décrets.
[30]
Proclamation adressée aux Parisiens après le 10 août, citée par Sciout, ibid.,
t. 10, p. 223.
[31]
Constitution de 1791, titre III, chap. Ier, sect. II, art. 2.
[32]
Serment de la Fédération bretonne à Pontivy le 13 janvier 1790, cité par M. J.
Bellec dans La Révolution française, t. XXVIII, p. 25.
[33]
Moniteur, réimp., t. XIV, p. 7.
[34]
Convention, séance du 16 messidor an III, dans le Moniteur, réimp., t.
XXVI p. 149.
[35]
Le 22 nivôse an IV, le député Duhot fit décréter que les Cinq Cents jureraient
tous les ans, au 21 janvier, haine à la royauté. Le même serment fut exigé de
tous les fonctionnaires.
[36]
Décret des 4-8 juillet 1792, art. 16 et 17.
[37]
Décret du 21 septembre 1793.
[38]
D'après le procès-verbal intitulé : Cérémonie religieuse et civique qui a eu
lieu le 26 juin 1792 en l'honneur de Gourion à Franconville-la-Garenne, s.
d. in-8°, 11 p. Bib. nat., Lb³⁹ 6012.
[39]
Comme à Autun. Voir l'article de M. Le Téo, Étude sur l'Autel de la Patrie
d'Autun dans La Révolution française, 1889, t. XVII, p. 187 et suiv.
[40]
Dès le début l'autel de la Patrie fut environné d'un respect religieux. Le 6
décembre 1790, des écoles du Collège irlandais ayant renversé en jouant l'un
des vases de l'autel de la Patrie au Champ-de-Mars, les patriotes crièrent à la
profanation et demandèrent un sévère châtiment des coupables. (Tourneux, Bibliographie,
t. Ier, n° 2037 et suiv.).
[41]
Histoire patriotique des arbres de la liberté rééditée par Charles
Dugast, Paris, 1833, in-8°, p. 241 et suiv. Bib. de la Ville de Paris, 3242.
[42]
Moniteur des 25 mai et 14 juillet 1790.
[43]
Georges Bussière, Études historiques sur la Révolution en Périgord,
1903, in-8°, p. 260, 3e partie.
[44]
G. Bussière, Études historiques sur la Révolution en Périgord, p. 260.
[45]
La même loi spécifiait dans son article III : « A l'avenir toute commune dans
l'arrondissement de laquelle un arbre de la Liberté aura été abattu, ou aura
péri, naturellement, sera tenue de le remplacer dans la décade, sauf à
renouveler cette plantation, s'il y a lieu, par un arbre vivace, dans la saison
convenable, aux termes de la loi du 3 pluviôse an II ». L'époque du
remplacement des arbres de la Liberté morts était fixée à la fête du 21 janvier
(art. II).
[46]
Aulard, Actes du Comité de Salut public, t. X, p. 540-547.
[47]
N° 141, 17-24 mars 1792. Article sur le bonnet rouge.
[48]
Décret du 16 juillet 1789.
[49]
Décret du 20 juin 1790.
[50]
Décret du 19-23 juin 1790.
[51]
Décret du 30 juillet-6 août 1791.
[52]
Décret du 12-16 mai 1793, et décret du 19-24 juin 1792 (celui-ci rendu sur la
proposition de Condorcet).
[53]
Décret cité du 20 juin 1790.
[54]
Décret du 1er août 1793.
[55]
Décret du 14 août 1792.
[56]
Décret du 27 septembre-10 octobre 1791.
[57]
Décret du 11 brumaire an II.
[58]
Décret du 30 septembre-5 octobre 1792, qui change Bourbon l'Archambault en
Burges-les-Bains ; du 9-11 octobre 1792, Bar-le-Duc en Bar-sur-Ornain ; du
25-26 octobre 1792. Vic-le-Comte en Vie-sur-Allier ; du 22 février 1793, qui
ordonne de présenter la liste des noms de lieux susceptibles de réforme comme
rappelant la royauté et la féodalité.
[59]
Lettre au Comité de Salut public du 21 nivôse au II, dans Aulard, Actes du
Comité de Salut public, t. X. p. 184.
[60]
Lettre au Comité du 24 septembre 1793, dans Aulard, ibid., t. VII, p.
39.
[61]
Odes républicaines au peuple français composées en brumaire an II. (Cité par
Robinet, Le Mouvement religieux à Paris pendant la Révolution. t. II, p.
420).
[62]
Séance du 9 brumaire an II, dans Aulard, Société des Jacobins, t. V, p.
490.
[63]
Séance du 3 novembre 1793, dans Aulard, Société des Jacobins, t. V., p.
495.
[64]
La milice citoyenne de Luynes, en se constituant le 2 août 1389, déclare
qu'elle a été encouragée dans son entreprise a par le dévouement de l'Assemblée
nationale pour l'intérêt du peuple, par les motions patriotiques, par les
discussions profondes et justes des Lally-Tollendal, des Mirabeau, des Volney,
des Sieyès, par tout ce que l'on doit attendre enfin de la renommée du courage,
des vertus et des lumières d'un Bailly, d'un Lafayette, d'un
Rabaut-Saint-Étienne, d'un Mounier, d'un Target, d'un Clermont-Tonnerre et de
tant d'autres illustres soutiens de la vérité, de la justice et de la liberté
». Acte de confédération patriotique et de constitution provisoire de
l'administration et de la milice citoyennes de la ville et cité de Luynes,
arrêté en Assemblée générale le 2 août 1789. (Bibl. nat., Lb³⁹ 7548).
[65]
De Bellec, Les deux fédérations bretonnes-angevines, dans La
Révolution française, 1895, t. XXVIII, p. 32.
[66]
Michelet, Histoire de la Révolution, édition du centenaire, t. Ier, p.
469.
[67]
Maurice Lambert, Les fédérations en Franche-Comté, Paris, 1800, in-8°.
[68]
Les gardes nationales de Saint-Brice, Gravant, Vermanton, Noyers, etc., à
l'Assemblée nationale... (Bib. nat., Lb³⁹ 3493).
[69]
Fédération des gardes nationales du district de Clamecy le 27 mai 1790.
(Bib. nat, Lb³⁹ 8867).
[70]
Procès-verbal de la fédération faite à Rennes, le 23 mai 1790, entre la
garnison et la garde nationale de la même ville. (Bib. nat., Lb³⁹
8850).
[71]
D'après un article de M. Dide dans La Révolution française, t. Ier, p.
9.
[72]
Procès-verbal de la confédération de Strasbourg, 1790, chez Ph.-J.
Dannbach, imprimeur de la municipalité, în-8° (fonds Gazier).
[73]
Cérémonie en usage dans la maçonnerie.
[74]
D'après l'élude déjà citée de M. Maurice Lambert, Les fédérations en
Franche-Comté.
[75]
Maurice Lambert, Les fédérations en Franche-Comté.
[76]
Aulard, Le Serment du jeu de Paume, dans La Révolution française,
t. XVII, p. 18.
[77]
J'en fais le récit d'après le procès-verbal officiel : Description du
serment et de la fête civique célébrés au Bois de Boulogne par la Société du
Jeu de Paume de Versailles, des 20 juin 1789 1790 (sic) (Bibl. de la
Ville de Paris, 12.333).
[78]
Le peintre David.
[79]
Celles de Bourges, de Châlons, de Strasbourg/entre autres.
[80]
Moniteur, réimp., t. IX, p. 129.
[81]
Décret du 29 septembre-14 octobre 1791 (sect. III, art. 20).
[82]
Si du moins on en croit Robinet, op. cit., t. II, p. 514.
[83]
Fête nationale qui sera célébrée tous les ans le jour immortel du 4 août,
in-8°, 8 p. (Bib de la Ville de Paris, 12.372).
[84]
La fête est racontée par 6. Romme lui-même dans une lettre publiée par la Feuille
Villageoise (n° 43, jeudi, 21 juillet 1792).
[85]
Voir à ce sujet dans la Feuille Villageoise du jeudi 6 octobre 1791, la
lettre du curé de Septmoncel, Daller.
[86]
D'après le Moniteur, réimp., t. IX, p. 710.
[87]
Moniteur, réimp., t. IX, p. 774.
[88]
Décret du 4-10 avril 1791.
[89]
Voir le Mémoire de Miss Louise Phelps Kellog dans La Révolution
française. 1899, t. XXXVII. p. 271 et suiv.
[90]
Feuille Villageoise, n° 43, jeudi 21 juillet 1791.
[91]
Moniteur, réimp., t. XII, p. 139.
[92]
Décret du 12-16 mai 1792.
[93]
Programme arrêté par le Directoire du département de Paris, pour la fête
décrétée par l'Assemblée Nationale, le 18 mars 1392, à la mémoire de J -G.
Simoneau, maire d'Étampes. (Bib. de la Ville de Paris, 13.372).
[94]
A Angers, ce fut La Réveillière qui prononça le discours. Procès-verbal de
la cérémonie funèbre qui a été célébrée d’Angers en l'honneur de
Jacques-Guillaume Simoneau, maire d'É lampes, mort pour le maintien des lois,
le 10 avril 1390, par L.-M. Réveillère-Lépeaux, s. l., in-8°, a5p. (Bib.
d'Angers).
[95]
Voir dans la Feuille Villageoise du 23 mars 1793, le récit d'une de ces
cérémonies qui eut lieu au Havre.
[96]
Cérémonie religieuse et civique qui a eu lieu le 26 juin 1792 en l'honneur
de Gouvion, à Franconvllle-la-Garenne, in-8°, 11 p. (Bib. nat., Lb³⁹
6012).
[97]
Moniteur, réimp., t. III, p. 295. Déjà la municipalité avait décerné une
médaille à une dame Bouju, pour sa conduite patriotique aux journées d'octobre,
Moniteur, réimp., t. III, p. 381.
[98]
Moniteur, réimp., t. XII, p. 723.
[99]
Prières patriotiques avec des passages analogues tires de l'Ecriture Sainte,
par J. Bossé, s. d„ in-8°, 10 p. (fonds Gazier).
[100]
Feuille Villageoise du 13 novembre 1791.
[101]
Feuille Villageoise du 29 mars 1792.
[102]
Pièce nationale en deux actes, suivie d'un divertissement, représentée à
Paris, sur le théâtre de Monsieur, le 13 juillet 1790, in-8°, 54 p.
[103]
Fait historique en un acte et en vers, représenté A Paris au théâtre des
Associés, en juillet 1790, ln-8°, 55 p.
[104]
Pièce à spectacle en trois actes, en prose... représentée sur le théâtre de
l’Ambigu-Comique, le mardi 2 novembre 1790, 1790, in-8°.
[105]
Comédie en un acte et en vers avec des couplets... représentée sur le
théâtre du Palais-Royal, le 12 juillet 1790, 1790, in-8°.
[106]
Drame en trois actes en prose et en vers... musique de Grétry... représenté
au mois de mars 1791 sur le ci-devant Théâtre italien, in-8°.
[107]
Comédie en un acte et en prose, représentée le 15 avril 1791 aux Italiens,
in-8°.
[108]
Italiens, 31 juillet 1791, in-8°.
[109]
Fait historique en un acte et en prose, Théâtre Molière, 10 juillet
1790, in-8°.
[110]
Tragédie nationale en trots actes et en vers, Théâtre Molière, 18 juin
1791, in-8°.
[111]
Pièce épisodique en vers et d spectacle, précédée d'un prologue, Théâtre
Molière, 14 septembre 1791, în-8°.
[112]
Pièce nouvelle en un acte et en vers, Théâtre Français, 21 novembre
1792, in-8°.
[113]
Comédie en trois actes et en prose, mêlée de chant, musique de Trial,
Opéra-Comique, ai novembre 1792, in-84.
[114]
Fait très historique en deux actes, â grand spectacle, mêlé de chants et de
danses, théâtre de l'Ambigu, novembre 1793, in-8°.
[115]
Comédie en un acte et en prose, mêlée de vaudevilles, Théâtre des
Variétés du Palais, 20 octobre 1792, in-8°.
[116]
Le Triomphe de la République ou le Camp de Grandpré, divertissement lyrique
en un acte, représenté par l’Académie de Musique, le 27 janvier, l'an II de la
République française ; la musique est du citoyen Gossec, les ballets du citoyen
Gardel, [par M. J. Chénier, d'après Barbier]. 1793, in-8°.
[117]
D'après le Moniteur, réimp., t. IX. p. 129.
[118]
D'après le Moniteur du 20 octobre 1790. La pièce fut représentée le 13
octobre.