LES ORIGINES DES CULTES RÉVOLUTIONNAIRES

PREMIÈRE PARTIE — LA RELIGION REVOLUTIONNAIRE

 

 

 

I

Le point de vue négatif dans l'étude des cultes révolutionnaires. — Pendant longtemps, la plupart des historiens n'ont vu dans les cultes révolutionnaires que des constructions factices, imaginées par des hommes politiques, pour le besoin des circonstances. Même ceux qui aiment h se proclamer les disciples des hommes de 89 prennent difficilement ces tentatives au sérieux et par suite ne se placent presque jamais au point de vue proprement religieux pour les étudier et pour les juger. Le culte de la Raison, le culte de l'être suprême, la Théophilanthropie, le culte décadaire ne sont pour eux qu'autant de chapitres de l'histoire politique de la Révolution, qu'autant d'épisodes de la lutte des « patriotes » contre les partisans de l'Ancien Régime. Comme ces pseudo-religions ont disparu très vile, il n'est pas rare qu'on les passe presque complètement sous silence, ou, ce qui est pire, qu'on ne leur fasse, à ces éphémères, l'aumône d'une mention dédaigneuse que pour s'égayer a leurs dépens. L'historien est volontiers respectueux de ce qui dure.

Quant aux écrivains catholiques, ils ne s'occupent guère des cultes révolutionnaires que pour retracer les persécutions dont leur religion fut l'objet et pour dresser le martyrologe de ses victimes. Emportés par leur zèle confessionnel, ils ne retiennent d'ordinaire de l'œuvre religieuse de la Révolution que le détail mesquin et odieux.

Les historiens libéraux. — Parmi les historiens dits libéraux, Thiers consacre dix lignes remplies d'erreurs aux Théophilanthropes, « ces ridicules sectaires qui célébraient des fêtes en l'honneur de toutes les vertus, du courage, de la tempérance, de la charité, etc., et, certains jours, déposaient des fleurs sur les autels où d'autres avaient dit la messe ». Il approuve naturellement Bonaparte, d'avoir mis tin a leurs comédies sacrilèges. « Pour les catholiques sincères, dit-il, c'était une profanation des édifices religieux que le bon sens et le respect dû aux croyances dominantes commandait de faire cesser[1] ».

Quinet, avec une ironie cruelle, mcl en regard les audaces de Luther avec les timidités de Danton et de Robespierre. Il dénie aux fondateurs des cultes révolutionnaires le profond sentiment religieux, qui animait, si on l'en croit, les Réformés du XVe siècle. Il flétrît le culte de la Raison, cette religion d'acteur, inventée par Hébert, marchand de contremarques. Il faut l'entendre railler à froid la routine classique, la frivolité d'esprit de ces révolutionnaires qui s'imaginaient enterrer les vieux cultes avec la chanson de Marlborough, de ces terroristes qui hésitent a employer la violence contre le catholicisme et finalement sauvent la contre-révolution par leur pusillanime décret du 18 frimaire ! « Ce jour-là, s'écrie-t-il amer et triomphant, ils tirent plus pour l'ancienne religion que les Saint Dominique et les Torquemada ![2] »

Renchérissant sur Quinet, son coreligionnaire, M. Ed. de Pressensé décoche à son tour ses traits les plus pointus contre les cultes révolutionnaires et surtout contre la Théophilanthropie, « pitoyable comédie », « niaise pastorale[3] ».

Michelet, il est vrai, consacre de belles pages lyriques aux Fédérations, qu'il considère avec raison comme la première manifestation d'une foi nouvelle. Mieux qu'aucun autre, il a soupçonné le caractère religieux des grandes scènes de la Révolution. Mais il n'a fait que le soupçonner. La continuité de la religion révolutionnaire lui échappe. Il croit, lui aussi, que les différents cultes, qui en furent la manifestation extérieure, furent imaginés de toutes pièces par des politiciens maladroits infiniment peu capables de création[4].

M. E. Gachon[5] est peut-être un de ceux qui ont le mieux compris ce qu'il y avait de noble et de sérieux dans les tentatives des révolutionnaires pour fonder une religion civique. Mais il parait guidé dans son livre — simple résumé d'une partie de l’Histoire des Sectes de Grégoire — plus par le souci des intérêts du protestantisme que par le seul désir de taire œuvre historique. Il n'aperçoit pas non plus le véritable caractère de la religion révolutionnaire, dont la Théophilanthropie, comme le culte de la Raison ou le culte de l'Être suprême, ne fut qu'une des formes temporaires.

Ce n'est pas à M. Aulard, le dernier et le premier historien du culte de la Raison et du culte de l'Etre suprême, qu'on pourrait faire le reproche de s'être laissé entraîner par une préoccupation autre que celle de la vérité. Il a bien vu l'importance historique des cultes révolutionnaires, ; puisqu'il n'a pas hésité à écrire que le mouvement d'où ils sont nés est un « des plus curieux de l'histoire de la France et de l'humanité[6] ». Il y voit « non pas seulement une tentative philosophique et religieuse, sans racine dans le passé de la France et sans connexion avec les événements, \ non pas une violence faite à l'histoire et à la' race, mais la conséquence nécessaire et plutôt politique de l'état de guerre où la résistance de l'ancien régime contre l'esprit nouveau avait jeté la Révolution... ». Autrement dit, il pense que nos pères, « en intronisant la déesse de la Raison à Notre-Dame, ou en glorifiant le Dieu de Rousseau au Champ de Mars, se proposaient surtout un but politique et, pour la plupart, ne cherchaient dans ces entreprises contre la religion héréditaire, comme d'ailleurs dans leurs autres violences d'attitude ou de parole, qu'un expédient de défense nationale[7] ».

Voilà donc la continuité marquée entre les cultes révolutionnaires, qui émaneraient tous d'une même aspiration, d'un même besoin, l'amour de la patrie. Avec cette explication, l'essentiel dans ces tentatives religieuses n'est plus la lutte contre l'Eglise, mais la défense de la France nouvelle. Je suis sur ce point tout-à-fait d'accord avec M. Aulard, mais je crois qu'il reste un pas de plus à faire, qu'il faut rattacher le mouvement d'où est sorti le culte de la Raison au grand courant des Fédérations et qu'il est possible de déterminer d'une façon plus précise ce qu'il y a d'essentiel et de commun dans tous les cultes révolutionnaires. Oui, c'est l'amour de la patrie qui est la partie vivante de la religion révolutionnaire, M. Aulard a raison de le proclamer, mais un amour de la patrie entendu d'une façon très large, un amour de la patrie qui englobe avec le sol national l'institution politique elle-même.

Les historiens catholiques. — Pour les écrivains catholiques, c'est la haine et non l'amour qui a donné naissance aux cultes révolutionnaires, la haine forcenée de l'Église catholique.

Grégoire, dans sa confuse mais précieuse Histoire des Sectes, distingue à peine entre les inventions d'Hébert, de Robespierre, do La Réveillère-Lépeaux, il mêle les périodes, classe arbitrairement les faits, ne voulant que mettre en relief la violence de la « persécution ».

M. Jules Sauzay, dans sa grande Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, si solidement documentée, M. Ludovic Sciout, dans ses différents ouvrages, ne sont pas animés d'un autre esprit.

M. l'abbé Sicard est le premier des écrivains catholiques qui soit entré un peu profondément dans l'étude de la religion révolutionnaire, et, à cet égard, son livre A la recherche d'une religion civile[8] mérite qu'on s'y arrête. Sans doute, il confond souvent les époques, il généralise et systématise, mais il a bien marqué toute l'importance qu'eurent jusqu'à la fin les fête3 civiques, les « institutions », aux yeux des révolutionnaires de tous les partis, et il a montré avec beaucoup de force que le but qu'ils se proposaient n'était pas tant de détruire le catholicisme que de le remplacer, qu'ils eurent l'ambition de régénérer l'Ame française, de la refondre par des institutions dans un moule nouveau. Non sans intelligence, il a essayé d'analyser cet idéal commun à tous les révolutionnaires, de déterminer les dogmes de la religion civile qu'ils s'efforcèrent d'instituer, de décrire ses rites, ' ses cérémonies, ses symboles. Mais s'il a bien mis en lumière le côté positif de la religion révolutionnaire, il la considère lui aussi comme une création artificielle des politiques. Il n'a vu ni son origine spontanée, ni son caractère mystique, ni sa vie même. En un mot, la religion révolutionnaire n'est pas à ses yeux véritablement une religion.

 

II

Caractères du fait religieux. Définition de M. Durkheim. — Qu'est-ce donc qu'une religion[9] ? A quels signes reconnait-on les phénomènes religieux et retrouvons-nous ces signes dans les diverses manifestations de la foi révolutionnaire ?

Dans un remarquable mémoire paru dans l’Année Sociologique[10], M. Emile Durkheim a défini d'une façon très originale et avec des arguments très solides, à mon sens, ce qu'il faut entendre par religion et faits religieux.

L'idée du surnaturel, explique-t-il tout d'abord, la croyance en Dieu n'ont pas eu dans les manifestations de la vie religieuse le rôle prépondérant qu'on leur accorde d'ordinaire. Il y a, en effet, des religions comme le bouddhisme, le jaïnisme, qui offrent aux hommes un idéal tout humain. L'idée de Dieu est bannie de leurs dogmes essentiels. Dans les cultes totémiques, l'objet de l'adoration est une espèce animale ou végétale.' Dans les cultes agraires, c'est sur une chose matérielle, sur la végétation par exemple, que s'exerce directement l'action religieuse, sans l'intervention d'un principe intermédiaire ou supérieur. M. Durkheim tire de ces faits cette conclusion que « loin d'être ce qu'il y a de fondamental dans la vie religieuse, la notion de la divinité n'en est en réalité qu'un épisode secondaire[11] ».

C'est par leur forme et non par leur contenu qu'on reconnaît les phénomènes religieux. Peu importe l'objet sur lequel ils s'appliquent, que cet objet soit une chose, une notion de l'esprit, une aspiration surnaturelle, « on appelle phénomènes religieux les croyances obligatoires, ainsi que les pratiques relatives aux objets donnés dans ces croyances[12] ». Croyance obligatoire pour tous les membres du groupe, voilà le premier caractère du fait religieux ; pratiques extérieures également, obligatoires ou culte, tel est le second caractère. « Les croyances communes de toute sorte, relatives à des objets laïques en apparence, tels que le drapeau, la patrie, telle forme d'organisation politique, tel héros ou tel événement historique, etc., sont obligatoires en quelque sens et par cela seul qu'elles sont communes, car la communauté ne tolère pas sans résistance qu'on les nie ouvertement... Elles sont, dans une certaine mesure, indiscernables des croyances proprement religieuses. La patrie, la Révolution française, Jeanne d'Arc sont pour nous des choses sacrées, auxquelles nous ne permettons pas qu'on touche[13]. »

Il est vrai que pour former une religion véritable, ces croyances obligatoires devront être étroitement lices à des pratiques régulières correspondantes.

Ainsi M. Durkheim considère la religion comme un fait social qui n'a rien de mystérieux. Le fait religieux est de toutes les époques et de toutes les civilisations. Il se manifeste dans les sociétés en apparence les plus incrédules, les plus irréligieuses. Il a pour origine, non des sentiments individuels, mais des états de l'âme collective et il varie comme ces états[14]. Etant essentiellement humain, le fait religieux est éternel. Il durera aussi longtemps qu'il y aura des hommes. C'est la société qui prescrit au fidèle les dogmes qu'il doit croire et les rites qu'il doit observer, « Rites et dogmes sont son œuvre[15] ». La notion du sacré est d'origine sociale. A l'étudier de près, on voit qu'elle n'est « qu'un prolongement des institutions publiques[16] ».

Autres caractères du fait religieux. — A cette définition, que je fais mienne, j'ajouterai quelques traits. Le phénomène religieux s'accompagne toujours, dans sa période de formation, d'une surexcitation générale de la sensibilité, d'une vive appétition vers le bonheur. Presque immédiatement aussi, les croyances religieuses se concrétisent dans des objets matériels, dans des symboles, qui sont à la fois des signes de ralliement pour les croyants et des sortes de talismans, en lesquels ils placent leurs espérances les plus intimes et que par conséquent ils ne souffrent pas qu'on méprise ou qu'on méconnaisse. Très souvent encore, les croyants, surtout les néophytes, sont animés d'une rage destructrice contre les symboles des autres cultes. Très souvent enfin, ils mettent en interdit, quand ils le peuvent, tous ceux qui ne partagent pas leur foi, qui n'adorent pas leurs symboles, et ils les frappent, pour ce seul crime, de peines spéciales, ils les mettent hors la loi de la communauté dont ils font partie.

 

III

De l'existence d'une religion révolutionnaire. — Si je montre que les révolutionnaires, que les « patriotes », comme ils aimaient à s'appeler, ont eu, malgré leurs divergences, un fond de croyances communes, s'ils ont symbolisé leurs croyances dans des signes de ralliement pour lesquels ils professèrent une véritable piété, s'ils ont eu des pratiques, des cérémonies communes où ils aimaient à se retrouver pour manifester en commun une foi commune, s'ils ont voulu imposer leurs croyances et leurs symboles à tous les autres Français, s'ils ont été animés d'une fureur fanatique contre tout ce qui rappelait les croyances, les symboles, les institutions qu'ils voulaient supprimer et remplacer, si je montre tout cela, n'aurai-je pas le droit de conclure qu'il a existé une religion révolutionnaire, analogue en son~) essence à toutes les autres religions ? Et s'il en est ainsi, / comment continuer à ne voir, dans les cultes révolutionnaires, que je ne sais quelles constructions factices, quels expédients improvisés, quels instruments éphémères au service des partis politiques ?

Quoi qu'en ait dit Edgar Quinet, je me propose précisément de faire voir que pour la sincérité religieuse, pour ! l'exaltation mystique, pour l'audace créatrice, les hommes de la Révolution ne le cèdent en rien aux hommes de la Réforme, et que ces deux grandes crises, Réforme et Révolution, ne sont pas l'une sociale, l'autre religieuse, qu'elles sont l'une et l'autre sociales et religieuses au / même degré.

Mais, ne manquera-t-on pas de m'objecter tout de suite, les cultes protestants subsistent toujours, les cultes révolutionnaires ont disparu. A cela, je réponds dès maintenant que la religion révolutionnaire n'est pas si complètement éteinte qu'on ne se le ligure, que les cultes révolutionnaires pourraient bien renaître un jour sous de nouvelles formes, et je réponds aussi que l'échec religieux de la Révolution ne peut enlever à la Révolution\ le caractère religieux. La Réforme, elle aussi, avant de réussir, n'avait-elle pas échoué plusieurs fois avec Valdès, Hus et Wicliff ?

 

IV

Le Credo commun des révolutionnaires. Son origine dans la philosophie du XVIIIe siècle. — Si différents qu'ils aient > été les uns des autres et quelle que soit la distance qui sépare un Robespierre d'un Chaumette, un Danton d'un Boissy d'Anglas, les révolutionnaires n'en ont pas moins vécu sur un fonds d'idées et de croyances, sur un formulaire ; sur un credo plus ou moins inconscient qu'il est facile de retrouver chez tous à peu près identique. Les principes derniers de leurs jugements en politique comme en religion, les tendances directrices de leur esprit, les grandes lignes de l'idéal qu'ils rêvent, tout cela est sorti en droite ligne de la philosophie du XVIIIe siècle. Et je sais bien que les philosophes eux-mêmes ne se sont nulle part concertés ni entendus sur un programme précis, et je n'ai garde de méconnaître leurs divergences parfois profondes, mais il n'en est pas moins vrai qu'à les prendre d'un peu haut et d'ensemble, il ressort de leurs œuvres diverses un enseignement commun, des aspirations communes.

Tous se sont préoccupés, au plus haut point, de ce que nous appelons aujourd'hui la question sociale. Tous ont plus ou moins construit leur cité - future, tous ont cru à la toute-puissance des institutions sur le bonheur des hommes. Plus que personne, Montesquieu a le sentiment de la grandeur de l'organisation sociale, d'où il fait découler la morale même. Il croit qu'il suffit de changer à propos les lois, pour améliorer la société et même la régénérer. Les Encyclopédistes ne pensent pas autrement. Ils attendent des lois la réforme et l'ordination des mœurs. A les entendre, il y a entre les hommes beaucoup moins de différences qu'on ne croit, et ces différences peuvent être atténuées de plus en plus par l'éducation. J.-J. Rousseau affirme le droit, nouveau alors et même inouï, de l'État à distribuer l'instruction publique. Par les lois d'une part, par l'éducation de l'autre, le progrès est possible et la route du bonheur est au bout. Or, le bonheur est le but de l'association politique.

Telle est la grande idée essentielle de la philosophie du XVIIIe siècle : l'homme peut améliorer indéfiniment sa condition en modifiant l'organisme social.

L'organisme social peut et doit être instrument de bonheur ; d'instrument de bonheur à objet de vénération, de culte, il n'y a qu'un pas.

Opposition de l'idéal philosophique et de l'idéal chrétien. — Une pareille conception ne pouvait manquer d'être un jour en désaccord avec l'ancien idéal chrétien. Pour le chrétien, en effet, la vie terrestre n'est qu'une vallée de larmes, dans laquelle on ne peut goûter le véritable bonheur, que Dieu réserve dans l'autre inonde à ses élus. Pour le chrétien, l'instrument du bonheur ne saurait être l'institution sociale, « mon empire n'est pas de ce monde » ; l'instrument du bonheur, c'est l'institution religieuse ; c'est l'Eglise, intermédiaire et truchement de la Divinité ; l'Église, qui, seule, possède les recettes sacrées pour atteindre la puissance surnaturelle ; l'Eglise, qui révèle les saints mystères, distribue les sacrements, réconcilie la créature et le Créateur, ouvre ou ferme le chemin des suprêmes béatitudes. Or, voici qu'une doctrine nouvelle enseigne que la recherche du bonheur est œuvre humaine ; que ce bonheur peut s'obtenir non plus par des prières, des mortifications, des intercessions miraculeuses, mais par des votes, des délibérations, des lois !

Sans doute la nouvelle conception n'abolit pas complètement l'ancienne. A côté de la recherche du bonheur présent, il y a encore place pour la recherche d'un bonheur futur. Au début, tout au moins, la religion révolutionnaire compta de sincères chrétiens parmi ses fidèles. Mais que, par le jeu des événements, les deux religions paraissent incompatibles : que le clergé de l'ancienne se mette en travers de l'œuvre des fondateurs de la nouvelle, et alors se fera la scission. Les Français se diviseront en deux camps et les deux cultes se traiteront en ennemis.

La conception de l'État chez les philosophes. — Novateurs par tant de côtés, les philosophes sont cependant restes des hommes de leur temps, des hommes d'ancien régime. Comme tous les Français d'alors, ils ont la passion de l'unité. Ils vivent au milieu d'une société qui est restée harmonique au moins dans ses principes. Ils voient autour d'eux que l'institution politique et l'institution religieuse se prêtent un mutuel appui, que le trône est adossé contre l'autel.

Qu'ils s'en rendent un compte plus ou moins clair, ils construisent leur cité future avec les éléments de la cité présente. Partisans résolus de la tolérance religieuse, de la liberté de tous les cultes, ils ne conçoivent pas cependant un Etat qui se désintéresserait des religions, un Etat sans religion, un Etat neutre, laïque. S'ils sont tolérants, ce n'est pas par pure indifférence religieuse, c'est qu'ils sont convaincus, la plupart, de l'identité foncière de toutes les religions, qu'ils estiment que toutes les religions se valent, toutes enseignant la même morale. Ce fond commun des religions, l'Etat doit veiller à ce qu'il n'y soit porté aucune atteinte. L'Etat est constitué par les philosophes comme le gardien suprême de la Morale et de la Religion. Et c'est précisément pour cela, parce que l'Etat a une mission morale à remplir, que les philosophes sont à l'aise pour lui subordonner les religions et pour lui donner sur elles comme un droit de censure. « L'Etat, ce me\ semble, dit l'abbé Raynal, n'est pas fait pour la religion, mais la religion est faite pour l'Etat... » Et ailleurs : « quand l'Etat a prononcé, l'Eglise n'a plus rien à dire[17] ».

La religion civile de Rousseau. — Tous les philosophes sont d'accord au fond sur cette conception de l'État[18] ; mais aucun d'eux ne l'a exposée d'une façon plus précise et plus systématique que Jean-Jacques dans son Contrat Social. Pour Rousseau, l'État doit être avant tout une per-, sonne morale. Le Contrat qui lui donne l'existence, l'être, est saint. Saint, cela ne veut pas dire seulement « obligatoire et impératif[19] », mais digne d'un respect religieux comme une chose de nature à faire le bien de l'humanité.

Personne morale, l'État a des devoirs moraux à remplir. Le premier de ses devoirs est justement de préparer le bonheur de ses membres, le bonheur dans tous les sens du terme. La fin de l'État c'est le bien commun[20]. L'État est matière et instrument de bonheur comme la Religion. Son contrat constitutif est saint par définition, car si ce contrat n'était pas saint, c'est-à-dire conforme à la loi morale, expression définitive du bonheur commun, il ne pourrait pas donner naissance à un Etat véritable, à un État légitime, h une personne morale.

Comment l'État remplira-t-il sa mission morale et providentielle ? Par la Loi. La Loi est le moyen par lequel l'État poursuit sa fin, qui est le bonheur commun. La Loi est par définition l'expression de la volonté générale, qui est elle-même identique à l'intérêt général. Les hommes, étant corrompus, sont incapables de comprendre leur véritable intérêt et par suite d'avoir une volonté générale conforme au bien commun, par suite encore de faire eux-mêmes la Loi. On aura donc recours à des hommes élevés par leur intelligence et leur moralité au-dessus de l'humanité, à des Législateurs qui prépareront dans le recueillement le Contrat social, la Constitution idéale, la Loi. « Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes. » (livre II, chap. VII). « Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer pour ainsi dire la nature humaine... » (ibid.). Le Législateur proposera la Loi au peuple comme Moïse l'a proposée aux Hébreux (comme Rousseau l'a proposée aux Polonais et aux Corses). Cette Loi portera en elle-même une telle force persuasive qu'elle sera non seulement adoptée par le peuple mais vénérée par lui, sinon à l'instar d'un don surnaturel, du moins comme l'expression « d'une raison sublime. »

Il n'y a pas de place dans une pareille conception de l'État pour des religions particulières. 'Rousseau regrette la séparation du système politique et du système religieux, résultat du triomphe du christianisme (livre IV, chap. III).

Connue Hobbes, il veut « réunir les deux têtes de l'aigle et tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais Mal ni gouvernement ne sera bien constitué. » Les Saint-Simoniens, Auguste Comte rêveront le même rêve.

Mais comment dans la pratique supprimer l'opposition des deux royaumes, du spirituel et du temporel, rendre à l'État les attributions morales dont l'Eglise l'a dépouillé ? Rousseau répond : par la religion civile. Il ne s'agit, pas du tout de constituer de toutes pièces une religion nouvelle. Nullement.

La religion civile de Rousseau n'est pas à créer, elle a toujours existé, elle est aussi ancienne que l'homme même, elle est le fond commun de toutes les religions, de toutes les sociétés. Une société ne peut pas vivre sans un minimum de postulats acceptés comme d'instinct par tous ses membres et c'est là, pour le dire en passant, une vue très profonde. Pour établir la religion civile qui donnera à l'État la force morale qui lui est nécessaire, le Législateur n'aura qu'à dégager de la masse des superstitions et des préjugés qu’ils ont recouverts ces quelques postulats simples, indiscutables qu'on retrouve à la hase de l'humanité : « l'existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie a venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du Contrat social et des lois... »

Rousseau espère bien — sans qu'il le dise ouvertement — que cette religion civile ou naturelle supplantera peu a peu en les rendant inutiles les religions positives, toutes inciviles. Son État est a la Ibis religieux par la mission morale qui est sa raison d'être et anti-religieux par son action nécessaire, quoique tolérante, contre les anciens cultes qui sont autant d'obstacles a l'accomplissement de sa mission.

Mais cette interprétation du Contrat est valable, on comprend mieux, ce me semble, la place de la religion civile dans l'ensemble du système. La Loi est la volonté générale, dit Rousseau, mais pour que la Loi soit réellement la volonté générale, pour qu'elle n'opprime pas les individus, il faut qu'elle soit autant que possible acceptée par eux tous librement et sciemment. Comment en sera-t-il ainsi s'il n'y a pas accord préalable entre eux sur les principes mêmes de la société ? Tout se tient donc logiquement dans cette conception. Otez la religion civile à l'État de Rousseau et vous lui enlevez du même coup la possibilité, l'être.

Cette conception de l'État n'était ni originale, ni singulière dans son temps. Tous les philosophes du XVIIIe siècle l'ont admise implicitement. Tous ont cru que la Loi pouvait et devait être un instrument de bonheur, tous ont proclamé que l'État avait une mission morale a remplir.

De quel droit auraient-ils mis l'Eglise sous la surveillance de l'État, s'ils n'avaient pas attribué à celui-ci un idéal supérieur ?

Les Révolutionnaires ne tirent qu'appliquer dans leurs constitutions et leurs lois ces données théoriques qui, sans être particulières à Rousseau, n'ont été par personne formulées avec autant de rigueur. L'institution de leurs cultes civiques ne sera que la réalisation imprévue et presque inconsciente, puis voulue et systématique du dernier chapitre du Contrat social.

 

V

La foi révolutionnaire, ses premières manifestations. — La convocation des États Généraux donna aux doctrines des philosophes, qui flottaient dans l'air, l'occasion d'entrer dans la pratique, de subir l'épreuve des faits, et les transforma peu à peu, de simples vues de l'esprit qu'elles étaient encore, en véritables croyances religieuses.

Au début de 89, il semble que les Français, en proie à un fébrile enthousiasme, vivent dans l'attente d'un miracle, qui va changer la face de la terre. Les députés, qu'ils ont ^envoyés aux États-Généraux, sont les artisans de ce miracle. Ils ont reçu mission d'opérer la régénération, non pas seulement de leurs concitoyens, mais de l'espèce humaine tout entière. Ce mot de régénération revient sans cesse dans tous les documents de l'époque, sous la plume des plus savants comme des plus ignorants, et particulièrement dans les centaines d'adresses à l'Assemblée nationale.

Le législateur prêtre du bonheur social. — Les premiers actes des « législateurs », c'est ainsi qu'on appelle ces prêtres du bonheur social, leur résistance aux projets des aristocrates, le 14 juillet, la nuit du 4 août ne font que justifier et ' qu'accroître la confiance mystique que le peuple a mise en eux. A ceux d'entre eux, même les plus humbles, qui meurent, des honneurs funèbres sont prodigués[21]. Les simples s'ingénient à rechercher les moyens les plus propres à leur témoigner la reconnaissance et l'admiration universelles[22]. Leur personne est entourée d'une vénération naïve. Des représentants obscurs seront parfois l'objet d'une idolâtrie qui s'adressera moins à leur personne qu'au caractère dont ils étaient revêtus. Le Conventionnel Du Roy écrira de Saint-Dizier au Comité de Salut Public, le 25 février 1794 : « J'ai vu là un fanatisme d'un autre genre, mais qui ne m'a pas déplu, des femmes se précipitaient auprès de moi pour toucher mes habits et se retiraient contentes[23] ».

La Déclaration des Droits. — A la foi nouvelle, il faut un credo nouveau. Déjà, le Tiers-Etat de Paris avait proposé dans son cahier une Déclaration des Droits ; « Dans toute société politique, y était-il dit, tous les hommes sont égaux en droits. Tout pouvoir émane de la nation et ne peut être exercé que pour son bonheur...[24] » L'Assemblée nationale rédigea et imposa à tous les Français ce formulaire religieux réclamé par le Tiers parisien. On y retrouve dans une forme brève et concise le fond de la pensée des Philosophes.

A lire le compte-rendu des débats, il est manifeste que les législateurs prenaient tout à fait au sérieux leur rôle de prêtres du bonheur public, et on comprend mieux la célèbre parole de Camus : « Nous avons assurément le pouvoir de changer la religion...[25] » Cela voulait dire qu'aucun obstacle, même des plus respectables, ne devait empêcher les apôtres du nouvel évangile d'accomplir leur mission providentielle.

Ecoutons les orateurs qui se succèdent à la tribune, dans ce grand débat de la Déclaration des Droits[26]. Le 27 juillet, Clermont-Tonnerre affirme à plusieurs reprises dans son projet le devoir de l'État de faire le bonheur de ses administrés.

« Art. Ier. Tous les hommes ont un penchant invincible vers la recherche du bonheur ; c'est pour y parvenir par la réunion de leurs efforts qu'ils ont formé des sociétés et établi des gouvernements. Tout gouvernement doit donc avoir pour but la félicite publique.

« Art. IX. Le gouvernement, pour procurer la félicité générale, doit protéger les droits et prescrire les devoirs... »

Le 1er août, le comte Mathieu de Montmorency proclame les droits de l'homme a invariables comme la justice, éternels comme la raison ». « La vérité, ajoute-t-il, conduit au bonheur. » Target demande « quel est l'objet de la Constitution ?» et répond : « C'est l'organisation de l'Etat. » — « Quel en est le but ? » « C'est le bonheur public. » Et il définit ce bonheur public le bonheur naturel de tous les citoyens par a l'exercice plein, entier et libre de tous leurs droits ».

Grandin déclare que « une Déclaration des Droits est comme un traité de morale ».

Barnave souhaite qu'elle devienne « le catéchisme national ».

Le 3 août, au soir, un curé, qui n'est pas nommé, parle de la Constitution comme d'une chose sacrée. « Vous allez, enfin préparer une nouvelle Constitution à un des plus grands empires de l'Univers ; vous voulez montrer cette divinité tutélaire, aux pieds de laquelle les habitants de la France viennent déposer leurs craintes et leurs alarmes. Vous leur direz, voilà votre Dieu, adorez-le... »

Le 14 août, Mirabeau traduit dans une belle envolée les communes espérances de la foi nouvelle. « Chaque progrès de la Constitution des grands Etats dans leurs lois, dans leur gouvernement agrandit la raison et la perfectibilité humaine. Elle vous sera due, cette époque fortunée, où tout prenant la place, la forme, les rapports que lui assigne l'immuable nature des choses, la liberté générale bannira du monde entier les absurdes oppressions qui accablent les hommes, les préjugés d'ignorance et de cupidité qui les divisent, les jalousies insensées qui tourmentent les nations et fera renaître une fraternité 'universelle sans laquelle tous les avantages publics et individuels sont si douteux et si précaires. C'est pour nous, c'est pour nos neveux, c'est pour le monde entier que vous travaillez, vous marcherez d'un pas ferme, mais mesuré vers ce grand œuvre... Les peuples admireront le calme et la maturité de vos délibérations et l'espèce humaine vous comptera au nombre de ses bienfaiteurs... »

Rabaut Saint-Etienne dira enfin, le 18 août, qu'il faut que la Déclaration devienne « l'alphabet des enfants » : « C'est avec une si patriotique éducation, continue-t-il, qu'il naîtrait une race d'hommes forts et vigoureux qui sauraient bien défendre la liberté que nous leur aurions conquise. »

Faut-il rappeler que le préambule de la Déclaration commence ainsi : « l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », et que l'article II renferme cette phrase : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme », droits dont l'exercice, nous a dit Target, constitue le bonheur social ?

Il y a donc en résumé une foi politique, dont les dogmes principaux ont été enseignés par les philosophes :

L'Etat peut et doit assurer le bonheur social. La loi, œuvre des législateurs, est l'instrument de ce bonheur. Comme telle, elle a droit à tous les respects. C'est une sorte de talisman protecteur qu'on ne saurait trop vénérer. « Non seulement, le peuple doit observer la loi, mais il doit l'adorer. Le patriotisme n'est en effet qu'un sacrifice perpétuel à la loi, en un mot, tant (pic le nom île la loi ne sera pas aussi sacré que celui des autels et aussi puissant que celui des armées, notre salut est incertain et notre liberté chancelante...[27] »

« L'Evangile fonda la Religion des consciences, précise G. Homme, la Loi est la Religion de l'Etal, qui doit avoir aussi ses ministres, ses apôtres, tes autels et ses écoles...[28] ». « La Loi est mon Dieu, je n'en connais point d'autre », s'écrie le fougueux Isnard à la tribune de la Législative[29]. « Le premier des cultes, c'est la Loi » répète P. Manuel[30]. »

La foi nouvelle inspire des i inquiétudes au clergé. — Bien qu'entraîné au début par l'enthousiasme général, le clergé sentit pourtant confusément que la foi nouvelle pourrait bien être à bref délai une ennemie ou tout au moins une rivale pour la foi ancienne. A la séance du.3 août 1789, l'évoque de Chartres émit la crainte que la Déclaration n'éveillât l'égoïsme et l'orgueil au cœur des Français et il demanda qu'on la fit précéder « de quelques idées religieuses noblement exprimées ». « La Religion ne doit pas, il est vrai, être comprise dans les lois politiques, mais elle ne doit pas y être étrangère ». — L'abbé Grégoire à son tour vint plaider le 18 août la cause de la Divinité. L'assemblée, à l'en croire, n'avait pas paru assez se soucier des droits de la Religion. Mais personne alors ne lit attention à ces craintes.

 

VI

Caractère religieux de la foi nouvelle. — Pour qu'une croyance, commune à un même groupe d'hommes, ait le caractère de croyance religieuse, il faut qu'elle s'impose obligatoirement à tous les membres du groupe, ("est une des règles que nous avons posées dans notre définition du début. Or, les vérités formulées dans la Déclaration des Droits se donnent pour des vérités obligatoires. La Constitution de 1791 stipule que, pour être citoyen actif, il est nécessaire de prêter le serment civique, c'est-à-dire d'adhérer de la manière la plus solennelle à l'institution politique nouvelle, a la Constitution, dont la Déclaration des Droits est la partie dogmatique[31]. Ceux qui refusent de jurer le credo politique sont donc retranchés de la communauté, frappés d'une excommunication civile. En revanche, un étranger peut entrer dans la patrie française, être admis au culte de la religion nouvelle, a la seule condition de fixer son domicile en France et d'y prêter le serment civique. Inversement, la Législative décernera le titre de citoyen français à Schiller, à Thomas Paine, à David Williams, etc., pour les récompenser d'avoir travaillé hors de France à l'œuvre de la régénération. Déjà, sur la demande d'Anacharsis Cloots, un groupe d'étrangers avait figuré à la fêle de la Fédération. Dès le début, la foi nouvelle était une foi universelle, internationale, une vraie foi.

Origine spontanée du serment civique. — Il n'est pas indifférent de constater que l'obligation du serment civique ne fut pas imposée aux Français par une autorité en quelque sorte extérieure à eux, que, si elle devint plus tard la loi d'un parti, elle fut, dans le principe, allègrement acceptée, désirée partout, qu'elle eut une origine sociale. C’est spontanément, sans préméditation ni commandement d'aucune sorte, mais dans un libre enthousiasme, que les Français jurent, lors des Fédérations, « respect et soumission sans bornes à la Constitution », qu'ils s'engagent à « soutenir les décrets de l'Assemblée, même au péril de la vie », à « maintenir les droits de l'homme et du citoyen », à « vivre libres ou mourir[32] ». Répéter ce serment ne coûte pas au peuple, au contraire ! Il semble qu'il prenne plaisir à renouveler à toutes les occasions cet acte de communion mystique avec la Patrie. Le 8 février 1790, à Paris, au moment où les corporations et les autorités jurent de rester fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir la Constitution, les femmes, les enfants, les ouvriers, les domestiques, accourus en foule, mettent une joie enfantine à redire la magique formule. « Le peuple, dit le Moniteur, était ivre de joie d'être sorti depuis deux jours de la servitude. »

A Rouen, lors d'une semblable cérémonie, la ville tout entière illumine à l'improviste. Les scènes de ce genre furent innombrables.

Continuité de la foi révolutionnaire. — Cette origine sociale du serment civique achève d'imprimer à la foi révolutionnaire le caractère de foi religieuse. Ce n'est pas sur une révélation et des mystères, comme dans la plupart des religions positives ; sur la végétation, comme dans les cultes agraires ; sur une espèce animale, comme dans les cultes totémiques, mais sur l'institution politique elle-même que s'applique cette foi nouvelle, — et ceci la distingue de toutes les autres. Liée à l'institution politique, cette foi subira les mêmes fluctuations que l'objet auquel elle s'applique. Quand les lois, quand les législateurs sont populaires, quand on attend beaucoup de leur intervention, la foi révolutionnaire est fort vive, comme au temps de la Fédération, comme dans les grands périls de 93. Mais, si l'institution politique parait faillir à ses promesses ; si les législateurs se montrent incapables ou corrompus, comme sous le Directoire, la foi révolutionnaire s'affaiblit et dévie. Mais, jusqu'à la fin, cette foi reste identique en son fond. Les Déclarations des Droits de 1793 et de l'an III ne diffèrent pas essentiellement de celle de 1791. Elles reposent toutes les trois sur la même conception de l'État-Providence. Toutes les trois aussi, elles considèrent les droits politiques comme le prolongement des droits naturels. La tendance morale est seulement plus forte dans celle de l'an III que dans les deux autres.

Pendant tout le cours de la Révolution, les législateurs, ces « premiers organes des lois de la nature » gardent la plus haute idée de leurs fonctions. « Représentants du peuple, s'écrie Manuel le 21 septembre 1792, la mission dont vous êtes charges exigerait et la puissance et la sagesse des dieux. Lorsque Cinéas entra dans le Sénat de Rome, il crut voir une assemblée de rois. Une pareille comparaison serait pour vous une injure. Il faut voir ici une assemblée de philosophes occupés à préparer le bonheur du monde[33]. » — « Notre mission est grande ; elle est sublime, » ajouta Couthon a la même séance. Le lieu des séances de l'Assemblée s'appelle couramment le « temple de la Constitution », et l'expression n'est pas seulement une périphrase pompeuse. On imprimait en livrets d'un petit format le texte de la Constitution, afin que chacun pût le porter sur soi, comme un bréviaire ou un livre sacré. A la première séance de la Législative, douze vieillards allèrent en procession quérir le livre de la Constitution. Ils revinrent, ayant à leur tête l'archiviste Camus, qui portait, à pas lents, en le soutenant de ses deux mains et en l'appuyant sur sa poitrine, le nouveau Saint Sacrement des Français. Tous les députés se levèrent et, se découvrirent. Camus garda les yeux baissés, l'air recueilli.

En l'an III encore, quand la foi révolutionnaire était déjà bien tombée, le député Rouzet définissait en ces termes l'état «l'esprit des auteurs de la première Déclaration des Droits : « L'Assemblée constituante crut devoir garantir son ouvrage par l'établissement d'une sorte de culte politique, qui entretient dans l'Ame des régénérés l'inquiétude inséparable de toutes les grandes passions, et la table des Droits de l'homme tut le talisman avec lequel elle se promit de conserver le feu sacré qu'elle avait si facilement allumé...[34] » On ne saurait mieux caractériser ce culte politique, imprécis d'abord et inconscient, qui naquit avec la Révolution, qui se précisa ensuite, s'agrandit et s'extériorisa dans les cultes révolutionnaires proprement dits.

Jusqu'à la fin de la Révolution, la pratique des serments civiques resta strictement obligatoire. Ainsi le citoyen rendit témoignage de son adhésion «aux dogmes nécessaires à la vie de la société, à la bonne marche des institutions, considérées comme sacrées. Ainsi le magistrat promit de se consacrer tout entier au bonheur commun. Ainsi furent départagés les bons et les méchants, les fidèles et les profanes, ceux-ci frappés d'incapacités, traités en suspects, en coupables, en sacrilèges. C'est par un serment que s'était constituée, le 20 juin 1789, l'Assemblée nationale, c'est par un serment que la Convention ouvrit sa première séance, par un ! serment que s'était terminée l'insurrection du § 10 août, que ^commença celle du 3i mai. C'est par des serments qu'au temps du Directoire les patriotes crurent enrayer la réaction royaliste et réveiller la foi politique[35]. Les fonctionnaires qui refusaient le serment furent considérés comme ennemis de l'Etat, rebelles aux lois. Le député Delleville demanda qu'ils fussent déportés (11 ventôse an IV), et la peine fut inscrite dans la loi. Les électeurs eux-mêmes, comme on l'a vu, étaient astreints au serment, sous peine de la privation <les droits civiques.

Par le mysticisme qui s'y môle, par les espérances de bonheur qu'elle suscite, par son caractère obligatoire, par sa continuité, il semble donc que la loi révolutionnaire a toutes les apparences d'une loi religieuse.

 

VII

Le symbolisme révolutionnaire, — Mais ce qui achève de ! justifier cette identification, c'est que la toi révolutionnaire, à l'exemple de la loi religieuse, s'exprima extérieurement, / presque dès le début, par des symboles définis et exclusifs et j qu'elle s'accompagna en même temps de pratiques, de cérémonies régulières, qu'elle fut liée à un culte.

Le symbolisme révolutionnaire, qui s'est formé comme au hasard, sans idées préconçues et sans plan d'ensemble, avec une spontanéité remarquable, au cours des années 1789, 1790 et 1791, lut l'œuvre commune de la bourgeoisie et du peuple. La bourgeoisie, élevée et comme baignée dans la culture classique, hantée des souvenirs de la Grèce et de Rome, emprunta généralement à l'antiquité les objets, les légendes, les emblèmes les plus propres à manifester au dehors ses espérances et à servir de signes de ralliement aux partisans dq l'ordre nouveau. Comme elle était ^accoutumée à se réunir dans les loges, alors fort nombreuses, elle joignit à ses emprunts classiques quelques additions maçonniques. Enfin elle copia naturellement les cérémonies de l'ancien culte. Mais le symbolisme ainsi inventé fût resté froid, académique, si le peuple, en l'adoptant, en le faisant rapidement sien, ne lui avait communiqué chaleur et vie.

La cocarde. — Le premier des symboles révolutionnaires fut la cocarde tricolore arborée dans la période de fièvre\ qui suivit le 14 juillet. La nouvelle de l'outrage fait au signe patriotique par les gardes du corps à Versailles suffit pour provoquer l'émeute des 5 et 6 octobre. De Paris, le culte des trois couleurs se répandit comme une\trainée de poudre dans toute la France. Les Fédérations arborèrent avec orgueil le drapeau tricolore, et le cœur des foules battit plus vite à sa vue. À la Fédération de Strasbourg (13 juin 1790), des bons villageois demandèrent avec attendrissement comme une faveur d'être admis à toucher le drapeau des gardes nationales. Les couleurs de la nation ne tardèrent pas à remplacer universellement les couleurs du Roi. Le Roi lui-même dut arborer le signe de la religion nouvelle et faire défense, le 29 mai 1790, de porter d'autre cocarde que la nationale.

Bientôt une série de mesures législatives rendirent le signe obligatoire pour tous les citoyens[36] et même pour toutes les citoyennes[37].

Autels de la Patrie. — En même temps qu'ils symbolisaient leur foi dans les trois couleurs, les Français élevaient de toutes parts, sur les places publiques des autels de la Patrie. Le premier de ces monuments fut sans doute celui que le franc-maçon Cadet de Vaux fit construire dans sa propriété de Franconville-la-Garenne au début de 1790. « Elevé sur un tertre formant un bois sacré », cet autel fait d'un seul bloc de pierre avait la forme triangulaire. Il était surmonté de « faisceaux d'armes, avec leurs haches. » — Au milieu se dressait « une pique de 18 pieds de hauteur surmontée du bonnet de la Liberté, ornée de ses houppes. » — La pique supportait « un bouclier antique offrant d'un côté l'image de M. De La Fayette avec cette légende :

Il hait la tyrannie et la rébellion. (Henriade.)

de l'autre une épée, des étendards en sautoir, le tout en métal fondu ». Sur les trois faces de l'autel on lisait ces inscriptions :

Il fut des citoyens avant qu'il lut des maîtres,

Nous rentrons dans les droits qu'ont perdus nos ancêtres. (Henriade.)

Nous allons voir fleurir la Liberté publique, Sous l'ombrage sacré du pouvoir monarchique. (Voltaire, Brutus.

On s'assemble, on conspire, on répand des alarmes,

Tout bourgeois est soldat, tout Paris est en armes[38]. (Henriade.)

L'autel de la Patrie eut une fortune aussi rapide que la cocarde nationale. En quelques mois il lit le tour de France. Tantôt c'était un riche particulier qui en dotait ses concitoyens[39], tantôt c'était une souscription publique qui en faisait les frais, tantôt encore il était construit par les citoyens de toutes les classes qui maniaient la pelle et la pioche avec un bel entrain patriotique. Ses formes varièrent avec les ressources des localités, le goût et le caprice des habitants. Mais partout il fut le lieu de réunion préféré des patriotes, le but de leurs pèlerinages civiques, le premier et le plus durable sanctuaire de la nouvelle religion[40]. Légiférant sur un fait accompli, la Législative décréta, le. 26 juin 1792, que « dans toutes les communes de l'Empire, il serait élevé un autel de la Patrie, sur lequel serait gravée la Déclaration des Droits avec l'inscription : Le citoyen naît, vit et meurt pour la patrie. »

Les autels de la Patrie, qu'on appelait aussi autels de la Liberté, resteront debout jusqu'aux premiers jours de l'Empire.

Arbres de la Liberté. — A peine les autels de la Patrie étaient-ils dressés que les arbres de la Liberté venaient les ombrager. D'après Grégoire, le premier qui fut planté en France l'avait été par Norbert Pressac, curé de Saint-Gaudens, près Civray, en Poitou. « En mai 1790, le jour de l'organisation de la municipalité, il fit arracher dans la forêt un chêneau de belle venue et le fit transporter sur la place du village où les deux sexes réunis concoururent à le planter. Il les harangua ensuite sur les avantages de la Révolution et de la Liberté...[41] »

Le récit de Grégoire, puisé d'ailleurs dans le Moniteur[42], est sans doute matériellement exact, mais il est certain que ; les paysans du Périgord, imités peut-être dans d'autres régions de la France, n'attendirent pas l'exemple du curé poitevin pour planter le mai libérateur : « L'arbre de mai, ce mât traditionnel, point de ralliement des paysans les jours de fêtes votives[43] », devint en Périgord un symbole révolutionnaire dès le mois de janvier 1790. « Sous une forme plaisante, dit M. G. Bussière, il donnait aux seigneurs d'originales remontrances, il leur rappelait notamment leur façon abusive de mesurer et de cribler le blé des rentes, on y suspendait des cribles, des balaie, des mesures de grains, des radoires, des plumes de volaille et, suprême ornement, des girouettes, de quoi rabattre l'orgueil du châtelain.... Ces plantations des mais, comme la forêt qui marche, faisaient leur descente du Nord au Midi par les vallées de la Dordogne, de la Corrèze, de la Vézère, se répandaient sur les rives, gagnaient peu à peu les coteaux, proclamaient à tous les vents la déchéance de la féodalité[44] ».

Les arbres de la Liberté devinrent très vite populaires. Les patriotes les entourèrent d'une vénération ombrageuse et bientôt punirent de peines sévères ceux qui les mutilaient. C'est ainsi que, par son arrêté' du 22 germinal an IV, le Directoire ordonna au Ministre de la Justice d'exercer des poursuites contre les délinquants ou plutôt les criminels de cette espèce et de leur faire appliquer « les lois portées contre toute espèce de crime contrerévolutionnaire et attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la souveraineté du peuple français ». Deux ans après, la loi du 24 nivôse an VI punit de quatre ans de détention « tout individu convaincu d'avoir mutilé, abattu ou tenté d'abattre ou de mutiler un arbre de la Liberté[45] ».

Considérée comme des choses sacrées, la mort des arbres de la Liberté était une calamité, un deuil public. L'un d'eux ayant été coupé à Amiens, pendant la mission d'André Dumont, le tronc fut porté à la mairie « couvert d'un drap noir », précédé d'une musique et suivi par un cortège de 9.000 hommes en armes ![46]

De tous les symboles révolutionnaires, l'arbre de la Liberté sera peut-être le plus vivace dans l'âme populaire. Il reparaîtra un instant en i8/f8. Il reparait même de temps à autre de nos jours.

Autres symboles. — Les Tables de la Déclaration des Droits, les Tables de ta Constitution, gravées sur le métal ou sur la pierre, furent à leur tour offertes à la vénération publique. Les vieillards les portaient sur des brancards et les déposaient sur l'autel de la Patrie. Là, le président de la fête les élevait dans ses mains, comme le prêtre élevait l'ostensoir, et les présentait à la foule qui était admise à les adorer pendant le reste du jour.

Presque partout, l'unité de la Patrie fut représentée par le faisceau des 83 départements, la Liberté conquise par une de ces Bastilles en miniature que le patriote Palloy avait fait creuser dans les pierres de la forteresse, ou encore par la pique, par le bonnet phrygien dont l'usage se répandit dès la fin de 1790. Le bonnet phrygien, plus communément appelé bonnet de la Liberté, bonnet rouge, apparaît déjà à la Fédération de Lyon, où il est porté au bout d'une lance tenue par une déesse de la Liberté (30 mai 1790), à la Fédération de Troyes (8 et 9 mai 1790) où il coiffe une statue de la Nation. Le Niveau, ce vieux signe de la maçonnerie, symbolise l'Egalité dès l'année 1709. La Fraternité est figurée par les mains entrelacées, autre signe maçonnique.

Tels sont les principaux symboles dans lesquels s'incarna tout d'abord le patriotisme.

D'autres, la Nature, la Raison, les bustes des Martyrs de la Liberté, la Montagne, l’œil de la surveillance, etc., apparaîtront plus tardivement et passeront avec les circonstances qui leur auront donné naissance et les partis qui les auront imaginés.

On me demandera peut-être si j'ai le droit d'assimiler ces symboles révolutionnaires aux symboles des religions ordinaires. On me fera sans doute remarquer que ceux-là ne sont que de simples allégories, sans efficacité propre, tandis que ceux-ci sont pourvus aux yeux de leurs fidèles de vertus spécifiques. Je répondrai que je ne méconnais nullement les différences foncières qui séparent la religion révolutionnaire des religions révélées. Évidemment, le patriote qui arborait la cocarde nationale n'attribuait pas généralement à ce morceau d'étoile le pouvoir de faire des miracles, et, à cet égard, son état d'esprit était autre que celui du catholique qui suspend à son cou une médaille bénie ou quelque précieuse relique. Il n'en est pas moins vrai que cocarde, médaille ou relique sont, au même, litre, des symboles religieux parce qu'ils ont ceci de commun qu'ils représentent, qu'ils concrétisent, qu'ils évoquent tout un ensemble d'idées ou de sentiments, c'est-à-dire une foi.

 

VIII

Le fanatisme révolutionnaire. — Il n'est pas absolument vrai d'ailleurs que les symboles révolutionnaires n'aient eu la valeur que de simples signes, que d'allégories inoffensives, sans vertu, sans efficacité particulière. « Avec l'air du Ça ira, disent très bien les Révolutions de Paris[47], on mène le peuple au bout du inonde, à travers les armées combinées de toute l'Europe. Paré d'un nœud de rubans aux trois couleurs, il oublie ses plus chers intérêts pour ne s'occuper que de la chose publique et quitte gaiement ses foyers pour aller aux frontières attendre l'ennemi.

« La vue d'un bonnet rouge de laine le transporte, et qu'on n'en prenne pas occasion de le railler ! Son enthousiasme est des plus respectables et des mieux fondés. On lui a dit que ce bonnet de laine était en Grèce et à Home l'emblème de l'affranchissement de toutes les servitudes et le signe de ralliement de tous les ennemis du despotisme. C'en est assez pour lui. De ce moment, chaque citoyen veut avoir ce bonnet... »

La religion révolutionnaire eut, elle aussi, son ivresse, son fanatisme, et par là elle achève de ressembler aux autres. Les patriotes ne se bornent pas, en effet, à arborer des symboles nouveaux', à les environner d'une piété ombrageuse, ils font en même temps une guerre sans merci aux symboles anciens, ils les détruisent sans pitié, sans relâche, dans une rage joyeuse.

Ces paysans du Périgord qui furent les premiers, semble-t-il, à planter les mois de la Liberté, abattaient et brisaient en même temps les poteaux de justice, les carcans, les bancs d'église, les girouettes, tous les objets qui portaient la marque sensible de leur ancienne servitude.

Les bourgeois éclairés qui siégeaient aux Assemblées n'étaient pas moins fanatiques que ces paysans. Ils ordonnaient par décrets la démolition de la Bastille[48], l'enlèvement des statues des provinces enchaînées au pied de la statue de Louis XIV sur la place des Victoires[49]. Ils ne se bornaient pas à supprimer les titres de noblesse[50], les ordres de chevalerie[51], ils faisaient brûler dans des autodafés solennels tous les papiers, livres, titres, concernant la noblesse et la chevalerie[52] ; ils prohibent les armoiries[53], ils ordonnent la confiscation des maisons qui continueraient d'en porter[54], la destruction de tous les monuments qui rappelleraient fa féodalité[55], ils font défense de prendre dans aucun acte les titres et qualifications supprimés, « à peine de payer une contribution sextuple, d'être rayés du tableau civique, d'être déclarés incapables de remplir aucun emploi civil ou militaire, etc. — Même peine pour celui qui ferait porter livrée à ses domestiques, placerait des armoiries sur sa maison ou sa voiture, etc.[56] » Par un décret formel, ils font fouler aux pieds une couronne ducale[57] ; ils s'acharnent sur la féodalité jusque dans la langue elle-même, changent les noms des lieux qui évoquent le passé détesté[58]. Ainsi, les réformés s'étaient acharnés au XVIe siècle sur les emblèmes du catholicisme.

Bientôt la guerre au catholicisme succédera à la guerre à la féodalité ; les mitres, les crosses épiscopales, les bréviaires et les missels iront rejoindre, dans le commun brasier, les couronnes ducales et les armoiries, le calendrier républicain remplacera le calendrier romain, et les prénoms grecs et romains chasseront sur les registres de l'état-civil les noms des saints. Legendre (de la Nièvre) demandera au Comité de Salut public de faire décréter par la Convention que dans toute l'étendue de la République les croix seraient remplacées par le bonnet de la Liberté[59]. En distribuant des cocardes aux jeunes citoyennes de Versailles, Ch. Delacroix et J.-M. Musset leur font jurer de n'épouser que des républicains[60]. Se faisant le chantre de la haine commune, le poète Lebrun lance la foule contre les cercueils des tyrans[61] :

Purgeons le sol des Patriotes

Par des rois encore infecté.

La terre de la Liberté

Rejette les os des despotes ;

De ces monstres divinisés

Que tous les cercueils soient brises !

Que leur mémoire soit flétrie !

Et qu'avec leurs mimes errants

Sortent du sein de la Patrie

Tous les cadavres des tyrans !

Quand il est porté au paroxysme, le fanatisme révolutionnaire, comme le fanatisme religieux, prend l'homme (oui entier, lui fait oublier les devoirs les plus chers de la famille ou de l'amitié, devient exclusif de tout autre sentiment. « Quand il s'agit de la Patrie, s'écrie Marihon-Montaut aux Jacobins, il n'est ni frères, ni sœurs, ni père, ni mère. Les Jacobins immolent tout à leur pays[62] ». Ce ne sont pas de vaincs paroles. Nombreux furent alors les patriotes qui immolèrent tout à leur pays, leur vie même. Ce n'était pas non plus une fanfaronnade que ce serment que faisait Baudot, avant son départ pour l'armée du Rhin : « J'avertis la société [des Jacobins] qu'en changeant de climat je ne changerai pas d'ardeur révolutionnaire et que je ferai dans le Nord ce que j'ai fait dans le Midi. Je les rendrai patriotes, ou ils mourront, ou je mourrai[63] ».

Mais à quoi bon multiplier ces exemples du fanatisme révolutionnaire ? Ils sont si nombreux qu'ils se présentent d'eux-mêmes à l'esprit, et à les rassembler tous, on aurait la matière d'un gros volume.

 

IX

Les pratiques des cérémonies. — Dès la fin de la Constituante, la religion révolutionnaire est constituée dans ; ses éléments essentiels, avec ses dogmes et ses symboles obligatoires. Loin d'être une invention artificielle de quelques hommes, un expédient politique, une arme de circonstance, elle nous est apparue comme une création spontanée et anonyme de l'Ame française, un fruit d'arrière-saison, mais savoureux, de la Philosophie du XVIIIe siècle.

Une chose pourtant lui manque encore à cette époque pour qu'elle soit vraiment une religion complète, c'est un ensemble de pratiques régulières, un système de cérémonies, un culte, en un mot. Mais on peut déjà prévoir que cette lacune ne tardera pas à être comblée. Au moment où nous sommes, dans cette année 1791, année de Varennes, année critique à tant d'égards, les patriotes ont déjà pris l'habitude de se réunir dans des cérémonies ou fêtes civiques pour se communiquer les uns les autres leurs espérances, leurs craintes, leurs douleurs communes, pour commémorer l'anniversaire de leurs victoires sur le despotisme, pour honorer leurs morts illustres, pour exalter mutuellement leurs courages. Ces réunions civiques, laissées en général à l'initiative des citoyens, varient encore/ de forme, de caractère, de tendances dans toute la France. Celles-ci sont plutôt feuillantes, celles-là jacobines. Les unes et les autres ne s'opposent pas encore aux cérémonies catholiques, elles font une place aux prêtres de la religion ancienne, une place plus ou moins importante. Mais il est visible que le catholicisme, le, catholicisme épuré par la Constitution civile, n'est déjà plus dans la fête qu'un élément accessoire, dont on ne » tardera pas à se passer. — Nous verrons tout à l'heure sous l'influence de quelles circonstances la coupure se fera entre la religion nouvelle et l'ancienne, comment celle-là s'opposera à celle-ci et tentera ouvertement de la supplanter.

Les Fédérations. — La première, non seulement en date, mais en importance, de ces cérémonies civiques où les Français communièrent dans le patriotisme, celle qui servit d'exemple et de modèle aux autres qui suivirent, celle qui donna véritablement naissance au culte révolutionnaire, c'est la Fédération, ou plutôt les Fédérations.

C'est pour réprimer les troubles, pour protéger les subsistances, pour rétablir l'ordre indispensable à la régénération de la chose publique que se forment, après la Grande Peur, les premières fédérations, véritables ligues armées au service de l'Assemblée Nationale. Le sentiment qu'elles tiennent à exprimer tout d'abord, à proclamer bien haut, c'est leur confiance absolue dans le dogme politique de la toute puissance des représentants de la nation à préparer et à assurer le bonheur public[64]. Elles ne doutent pas que les intrigues des méchants, les conspirations des « aristocrates », ne soient le seul obstacle qui retarde l'heure prochaine de la félicité générale et c'est pour déjouer leurs intrigues, leurs complots qu'elles ont pris les armes. Elles protestent de leur soumission sans bornes à la Constitution, de leur ardent amour de la Patrie.

Et par Patrie elles n'entendaient pas une entité morte, une abstraction incolore, mais une fraternité réelle et durable, un mutuel désir du bien public, le sacrifice volontaire de l'intérêt privé à l'intérêt général, l'abandon de tous les privilèges provinciaux, locaux, personnels. « Nous déclarons solennellement, juraient les Bretons et les Angevins à Pontivy, le i5 février 1790, que : n'étant ni Bretons, ni Angevins, mais Français et citoyens du même Empire, nous renonçons à tous nos privilèges locaux et particuliers et que nous les abjurons comme anti-constitutionnels[65] ». La liberté dont ils se proclament, « idolâtres », ce n'est pas une liberté stérile, une liberté neutre, indifférente, mais c'est la faculté de réaliser leur idéal politique profondément unitaire, le moyen de bâtir leur cité future harmonieuse et fraternelle.

Si les fédérations furent avant tout un acte de foi dans le nouveau credo politique, elles eurent aussi d'autres caractères. Une conception générale de la société ne Va pas d'ordinaire sans une vue d'ensemble sur l'Univers, sans une philosophie et sans une morale. Celle philosophie et celle morale, encore imprécises, commencent déjà à percer par endroits.

Très souvent des inscriptions, gravées sur l'autel de la Pairie, avertissent les citoyens que les meilleures institutions politiques sont sans efficacité, si elles ne sont doublées d'institutions morales correspondantes. Le credo politique est ainsi] lié à un credo moral. A Hennés, on lit sur une pyramide, ! élevée sur l'autel de la Patrie, cette phrase de Rousseau : « La Patrie ne peut subsister sans la liberté, la liberté sans la vertu ». A Lyon, sur les portiques du temple de la Concorde est gravée cette maxime : « Point d'Etat sans mœurs, point de citoyens sans vertu, point de vertu sans liberté. » — Plus d'une fois ce sont les vieillards qui président la l'été, comme s'ils étaient revêtus d'une sorte de magistrature morale. « A la grande fédération de Rouen, où parurent les gardes nationales de soixante villes, on alla chercher jusqu'aux Andelys, pour être à la tête de l'Assemblée, un chevalier de Malte, Agé de 85 ans. A Saint-Andéol en Vivarais, deux vieillards de 93 et de 94 ans, l'un noble, colonel de la garde nationale, l'autre, simple laboureur, prêtèrent les premiers le serment civique[66]. »

Le culte de l'Etre suprême, la Théophilanthropie, le> culte décadaire reprendront en les élargissant, en les systématisant, ces mêmes préoccupations morales.

Dans d'autres fédérations s'exprima d'une façon naïve, l'admiration pour les découvertes de la Science, un vif amour de la Nature. A la grande fédération de Dôle (21 février 1790), une jeune tille vint au début de la fêle « avec un verre d'optique extraire du Soleil le feu sacré et allumer dans un vase grec, placé sur l'autel, un feu qui donna subitement une flamme tricolore[67]. » A Strasbourg, les cultivateurs qui figurent dans le cortège avec une charrue, déposent une gerbe de blé sur l'autel de la Patrie.

Si dans la très grande majorité des cas, le clergé préside la cérémonie, qui s'ouvre par une messe solennelle, il se produit néanmoins ça et là quelques démonstrations anticléricales. Par la plume de Jacques Boileau, dont le frère Etienne jouera dans la suite un rôle considérable dans l'établissement des cultes révolutionnaires dans l'Yonne, les gardes nationales de Saint-Brice, Cravant, Vermanton, etc., invitent l'Assemblée nationale à redoubler d'énergie contre le monstre du fanatisme : « Ah ! c'est le plus cruel de tous ; tel que ces tyrans ambitieux et féroces dont l'histoire nous offre tant d'exemples, il n'aspire qu'à verser le sang de ceux qui l'inquiètent et portent ombrage à son affreux despotisme. Frappez, frappez avec force cette tête altière. Une fois détruit, la paix et la concorde, qui seules font fleurir les Etats, vont renaître et nous serons tous heureux[68]. »

A Clamecy, un grenadier de la garde nationale, Ch. de Suroy, chante au banquet civique, qui termina la fédération, des couplets qui furent imprimés au procès-verbal[69] :

Si la noblesse et la calotte

Insulte à notre dévouement

Rl', rlan, rlatamplan !

Qu'on nous les frotte

Rlatamplan !

Tambour battant !

A Hennés, le procès-verbal dénonce ceux qui « redoublent leurs criminels efforts, emploient comme dernière ressource le poignard du fanatisme et les terreurs de la superstition[70] ».

Plus significatifs que ces incidents sans écho sont les réconciliations solennelles des piètres des différents cultes sur l'autel de la Patrie. Curés, pasteurs, rabbins, viennent abjurer leurs vieilles haines, regretter les luttes passées, se promettre sincère amitié pour l’avenir, et sceller leurs serments du baiser fraternel. A Montélimar, le curé et le pasteur se jettent dans les bras l'un de l'autre. Les catholiques conduisent les protestants à l'église et donnent au pasteur la place d'honneur au chœur. Inversement, les protestants reçoivent les catholiques au prêche et mettent le curé à la première place. À Clairac (Lot-et-Garonne) pasteur et curé ouvrent eux-mêmes le bal patriotique qui termina la fédération[71].

C'est à la fédération de Strasbourg (13 juin 1790) qu'on procéda, pour la première fois à ma connaissance, à cette cérémonie du baptême civique qui, débarrassé de tout caractère confessionnel, deviendra l'un des sacrements du culte de la Raison. Je cite le procès-verbal :

« L'épouse de M. Brodard, garde national de Strasbourg, était accouchée d'un fils le jour même du serment fédératif. Plusieurs citoyens, saisissant la circonstance, demandèrent que le nouveau-né fut baptisé sur l'autel de la Patrie.... Tout était arrangé lorsque M. Kohler, de la garde nationale de Strasbourg et de la Confession d'Augsbourg, réclama la même faveur pour un fils que son épouse venait de mettre au monde. On la lui accorda d'autant plus volontiers qu'on trouva par là une occasion de montrer l'union qui règne à Strasbourg entre les différents cultes[72]... »

Et le procès-verbal décrit la cérémonie, qui eut lieu en grande pompe. L'enfant catholique eut pour marraine Mme Dietrich, de la religion réformée ; l'enfant luthérien, Mme Mathieu, catholique, femme du procureur de la Commune. L'enfant catholique fut prénommé : Charles, Patrice, Fédéré, Prime, René, De la Plaine, Fortuné ; l'enfant protestant : François, Frédéric, Fortuné, Chique. Quand les deux ministres, luthérien et catholique, eurent terminé chacun leur offre et qu'ils se furent donné « le baiser de paix et de fraternité », au baptême religieux succéda le baptême civique proprement dit :

« L'autel religieux fut enlevé. Les marraines portant les nouveau-nés vinrent occuper son emplacement. On déploya le drapeau de la fédération au-dessus de leurs têtes. Les autres drapeaux les entourèrent, ayant cependant le soin de ne pas les cacher aux regards de l'armée et du peuple. Les chefs et commandants particuliers s'approchèrent pour servir de témoins. Alors les parrains debout sur l'autel de la Patrie prononcèrent à haute et intelligible voix, au nom de leurs tilleuls, le serment solennel d'être fidèles à la Nation, à la Loi, au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. Des cris répétés de Vive la Nation, Vivo la Loi, Vive le Roi, se tirent aussitôt entendre de toutes parts. Pendant ces acclamations, les commandants et autres chefs formèrent, avec leurs épées nues, une voûte d'acier[73] au-dessus de la tête des enfants. TOMS les drapeaux réunis au-dessus de cette voûte se montraient en forme de dôme, le drapeau de la fédération surmontait le tout et semblait le couronner. Les épées, en se froissant légèrement, laissaient entendre un cliquetis imposant, pendant que le doyen des commandants des confédérés attachait à chacun des enfants une cocarde en prononçant ces mots : Mon enfant, je te reçois garde national. Sois brave et bon citoyen comme ton parrain. Ce fut alors que les marraines offrirent les enfants à la patrie et les exposèrent pendant quelques instants aux regards du peuple. A ce spectacle, les acclamations redoublèrent. Il laissa dans l'âme une émotion qu'il est impossible de rendre. Ce fut ainsi que se termina une cérémonie dont l'histoire ne fournit aucun exemple. »

Célébré sans prêtres, sur l'autel de la Pairie, au-dessous des trois couleurs, accompagné du serment civique en guise du serment religieux, ce baptême laïque, où la cocarde lient lieu d'eau et de sel, fait déjà songer aux scènes de p/3., Les ministres des religions ont encore paru au début de la cérémonie, mais ils se sont vite éclipsés, et, en se jetant dans les bras l'un de l'autre, ils ont semblé demander pardon pour leurs fautes passées.

D'autres baptêmes civiques furent célébrés dans la suite, par exemple à Wasselone, le 11 juin 1790. Ici encore les gardes nationaux formèrent la voûte d'acier maçonnique sur le nouveau-né, et le parrain, à la place du credo, récita le serment civique.

On célébra même, mais plus rarement, des mariages chiques sur l'autel de la Patrie, par exemple à la fédéra- j lion de Dole le 14 juillet 1790[74].

Il n'est pas indifférent de noter que c'est aux fédérations que prend naissance l'usage, si répandu plus tard, de donner aux enfants des prénoms choisis en dehors des calendriers religieux. Les deux enfants baptisés à Strasbourg comptent parmi leurs prénoms Civique et Fédéré.

N'est-il pas curieux aussi que les fédérations nous offrent le premier exemple de ce « repos civique », qui deviendra plus tard obligatoire tous les décadis ? A Gray, le jour de la fédération, les citoyens chôment du matin au soir, à l'instar d'une fête religieuse. Quoique la police n'eût rien prescrit à ce sujet, les boutiques restèrent fermées[75].

Bref, il n'est pas exagéré de prétendre que les cultes révolutionnaires sont déjà en germe dans les fédérations, qu'ils y ont pris racine. Ces grandes scènes mystiques furent la première manifestation de la foi nouvelle. Elles firent sur les masses l'impression la plus vive. Elles les familiarisèrent avec le symbolisme révolutionnaire, qui devint do suite populaire. Mais, surtout, elles révélèrent aux hommes politiques la puissance des formules et des cérémonies sur l'Ame des foules. Elles leur suggérèrent l'idée de mettre ce moyen au service du patriotisme ; elles leur fournirent un modèle pour leurs futurs systèmes de « fêtes nationales », d' « institutions publiques », de « cultes civiques », qu'ils imaginèrent en grand nombre dès la Législative, avant de les réaliser sous la Convention et sous le Directoire.

 

X

Fêtes civiques. — Les années 1790, 1791 et 1792 sont remplies par des fêtes patriotiques, qui, tout en rappelant jpar certains côtés les fédérations, annoncent et préparent le culte de la Raison.

Si les circonstances et les passions politiques donnent à chacune de ses fêtes un caractère particulier, dans toutes cependant se retrouve la même inspiration, le désir d'honorer l'institution politique nouvelle, de la défendre, de célébrer le souvenir des grands événements qui lui ont donné naissance ou qui l'ont consolidée, de témoigner aux hommes qui l'ont fondée ou préparée la reconnaissance publique. Ces réunions sont donc bien au fond un culte rendu à la Révolution, à la Patrie, à la Liberté, à la Loi, de quelque nom' qu'on appelle l'instrument du bonheur attendu et l'idéal rêvé. Par leur cérémonial comme par leur inspiration, elles ressemblent déjà aux fêtes de la Terreur ou aux fêtes décadaires, auxquelles elles serviront souvent de modèles.

Les unes ont pour but principal de célébrer les grandes dates révolutionnaires, ce sont des fêtes commémoratives : Celles-là sont des démonstrations de joie à l'occasion d'événements politiques présents, ce sont des fêtes politiques ; D'autres sont des témoignages d'admiration et de reconnaissance envers les bons ouvriers et les martyrs delà Révolution, elles constituent comme un culte des grands hommes, un culte des martyrs de la liberté ; d'autres enfin sont destinées à récompenser des actes de courage ou de probité, ce sont des fêtes morales.

Fêtes commémoratives. Le 20 Juin. — Le serment du Jeu de Paume, qui avait été le premier acte de résistance ouverte des députés de la nation aux volontés royales, avait laissé dans les cœurs patriotes un souvenir durable. Vers le début de l'année 1790, il se forma, sur l'initiative de Gilbert Romme[76], à Paris et à Versailles, une société particulière pour « immortaliser cette conjuration qui sauva la France » et, trois ans de suite, les 20 juin 1790, 1791, 1792, la société célébra l'anniversaire par une fête civique dont la première fut très brillante[77]. Formés « en bataillon civique », les membres de la société entrèrent à Versailles par l'avenue de Paris. Au milieu d'eux, quatre volontaires de la Bastille portaient « une table d'airain, sur laquelle était gravée en caractères ineffaçable le serment du Jeu de Paume. Quatre autres portaient les ruines de la Bastille destinées a sceller sur les murs du jeu de Paume cette table sacrée ». La municipalité de Versailles vint à la rencontre du cortège. Le régiment de Flandre présenta les armes devant « l'arche sacrée ». Arrivés au jeu de Paume, tous les assistants renouvelèrent le serinent « dans un saisissement religieux ». Puis un orateur les harangua : « Nos enfants iront un jour en pèlerinage à ce temple, comme les Musulmans vont à La Mecque. Il inspirera à nos derniers neveux le même respect que le temple élevé par les Romains à la Piété filiale... » Au milieu des cris d'allégresse, les vieillards scellèrent sur la muraille la table du serment : « Chacun envia le bonheur de l'enfoncer ». Tous ne quittèrent qu'à regret ce lieu si cher aux Aines sensibles : « Ils s'embrassèrent mutuellement et furent reconduits avec pompe par la municipalité, la garde nationale et le régiment de Flandre, jusqu'aux portes de Versailles. » Le long de la route, en rentrant à Paris, « ils ne s'entretenaient que du bonheur des hommes ; on eut dit que c'étaient des Dieux qui étaient en marche. » Au bois de Boulogne, un repas de trois cents couverts, « digne de nos vieux aïeux », leur fut servi « par des jeunes nymphes patriotes. » Au-dessus de la table on avait placé « les bustes des amis de l'humanité, de J.-J. Rousseau, de Mably, de Franklin qui semblait encore présider la fête ». Le président de la société, G. Homme, « lut pour benedicite les deux premiers articles de la Déclaration des Droits de l'homme. Tous les convives répétèrent : Ainsi soit-il ! » Au dessert, on donna lecture du procès-verbal de la journée. « Cet acte religieux excita de vifs applaudissements ». Puis vinrent les toasts. Danton « eut le bonheur de porter le premier ». « Il dit que le Patriotisme, ne devant avoir d'autres bornes que l'Univers, il proposait de boire à sa santé, à la Liberté, au bonheur de l'Univers entier ». Menou but à la santé de la Nation et du Roi « qui ne fait qu'un avec elle », Charles de Lameth à la santé des vainqueurs de la Bastille, Santhonax à nos frères des colonies, Barnave au régiment de Flandre, Robespierre « aux écrivains courageux qui avaient couru tant de dangers et qui en couraient encore en se livrant à la défense de la Patrie B. Un membre désigna alors Camille Desmoulins, dont le nom fut vivement applaudi. Enfin, un preux chevalier termina la série des toasts en buvant « au sexe enchanteur qui a montré dans la Révolution un patriotisme digne des dames romaines ». Alors, « des femmes vêtues en bergères » entrèrent dans la salle du banquet et couronnèrent de feuilles de chêne les députés à l'Assemblée nationale : D'Aiguillon, Menou, les deux Lameth, Barnave ; Robespierre, Laborde. Un altiste célèbre[78], qui assistait à la fête, promit d'employer sou talent « à transmettre à la postérité les traits des amis inflexibles du bien public ». Puis, quatre volontaires de la Bastille apportent sur la table o la représentation de cet antre du despotisme et de la vengeance des rois ». Les gardes nationaux l'entourent, tirent leurs sabres et la détruisent. « Quelle fut la surprise des spectateurs ! A travers les coups de sabre, on aperçut un jeune entant vêtu de blanc, symbole de l'innocence opprimée et de la Liberté naissante. On l'exhaussa. On ne put se rassasier de le contempler. On trouva sous les mêmes ruines un bonnet de laine, emblème de la Liberté. On le mit sur la tête de l'enfant. On fouilla encore. On trouva plusieurs exemplaires de la Déclaration des Droits de l'homme, des extraits des œuvres de J.-J. Rousseau et de Raynal. On les jeta çà et là parmi les convives qui se précipitaient les uns sur les autres pour en avoir des exemplaires. Chacun emporta avec soi quelques débris de la Bastille... »

Il serait superflu de commenter un pareil récit. Sous la sensibilité et les bergeries de l'époque, on y sent l'âpre haine du régime disparu, le besoin de détruire tout ce qui le rappelle, en même temps qu'une ardente appétition vers une société meilleure, dont les Législateurs couronnés de chêne préparent l'avènement.

Le 14 Juillet. — Une société particulière avait pris l'initiative de commémorer l'anniversaire du 20 Juin. Les autorités constituées, l'Assemblée nationale elle-même, réglèrent la commémoration du 14 Juillet.

Sans doute, ce n'était pas seulement pour fêter l'anniversaire de la prise de la Bastille que se réunirent, le 14 juillet 1790, au Champ de Mars, les délégués de toutes les gardes nationales de France. Cette Fédération générale dépassait la portée d'une cérémonie commémorative. Elle était vraiment la fête de la Patrie, la fête de la France nouvelle. Aussi la Fédération elle-même, a cette fête auguste, la plus majestueuse, la plus imposante, qui, depuis que les fastes du monde nous sont connus, ait encore honoré l'espèce humaine », la Fédération devint un des grands événements de la Révolution et comme telle fut commémorée a son tour comme la prise de la Bastille. Les années suivantes la fête du 14 Juillet fut consacrée à la fois aux deux anniversaires réunis et confondus.

En 1791, sans attendre qu'une loi les y obligeât, la plupart des municipalités célébrèrent le double anniversaire[79]. A Paris, les autorités et les gardes nationaux se réunirent avec une délégation de l'Assemblée sur les ruines de la Bastille et de là se rendirent en cortège au Champ de la. Fédération, où Gobel célébra la messe sur l'autel delà Patrie. D'après le Moniteur[80], le nombre des spectateurs fut considérable. Le soir, les façades des maisons furent illuminées.

Avant de se séparer, la Constituante fit du 14 Juillet une fête légale en décrétant que le serment fédératif serait renouvelé ce jour-là, chaque année, au chef-lieu du district[81].

En 1791, la fête avait été assombrie par le souvenir récent de la fuite à Varennes ; en 1792, elle fut enfiévrée par les approches du 10 août. Le 14 juillet 1792, à Paris, une délégation de l'Assemblée se rendit sur les ruines de la Bastille pour assister à la pose de la première pierre de la colonne de la Liberté qui devait s'élever, par les soins du patriote Palloy, sur l'emplacement de l'odieuse forteresse. A la cérémonie qui eut lieu ensuite au Champ de la Fédération, le clergé pour la première fois ne prit aucune part[82]. Dans le cortège on remarquait une statue de la Liberté, portée par six « citoyens vêtus suivant le nouveau costume proposé par David », une statue de Minerve, portée de la même manière sur un brancard aux trois couleurs et escortée par des vieillards tenant des enfants par la main. Près de l'autel de la Patrie, une pyramide honorait la mémoire des citoyens morts pour la Liberté, et un « arbre nobiliaire » chargé d'écussons, de parchemins, de cordons d'ordres supprimés, vouait à l'exécration le passé disparu. A la fin de la cérémonie, les vieillards et les personnages officiels mirent le feu à l'arbre nobiliaire pendant que des enfants, des femmes et des invalides déposaient des couronnes de chêne et de fleurs sur le mausolée des martyrs de la Liberté. Puis on entonna l'hymne bientôt célèbre de M. J. Chénier :

Dieu du Peuple et des rois, des cités, des campagnes...

Dans les départements, le 14 Juillet fut célébré, comme à Paris, à grands renforts d'allégories classiques. Mais, presque partout, la messe fut dite sur l'autel de la Patrie.

Le 4 Août. — Soit que le souvenir en eût été trop, favorable aux ordres privilégiés ; soit, au contraire, que les, décrets — tout théoriques — votés dans cette fameuse nuit eussent laissé trop de déceptions au cœur des patriotes, l'anniversaire du 4 Août fut loin d'obtenir les mêmes honneurs que celui du 14 Juillet. Les autorités s'en désintéressèrent. Quelques particuliers seulement, assez obscurs d'ailleurs, eurent l'idée de le commémorer, mais leurs projets ne furent pas réalisés. L'un d'eux, à la fin de 1589, proposait d'organiser une fête nationale qui serait célébrée tous les ans a à ce jour immortel[83] ». Dans chaque ville, on construirait un temple dédié à la Liberté. Louis XVI aurait sa statue dans la nef. Les 1.200 députés, « coopérateurs, agents, instruments de la félicité générale », auraient également leurs portraits suspendus aux murs du temple. « Chaque mère serait obligée d'aller présenter son fils dans ce temple, où il serait investi du droit de citoyen et recevrait un nom. Cette espèce de Baptême patriotique le rendrait l'enfant de la Nation régénérée. »

Les meilleurs poètes dramatiques seraient chargés de composer une pièce sur le Triomphe de la Liberté et la pièce serait jouée devant le peuple tous les ans au 4 août.

Il est à peine besoin d'avertir que lé projet ne reçut aucun commencement d'exécution.

Au moins une fois cependant, l'abolition de la dime fut célébrée par des réjouissances. En 1791, la société fraternelle de Gémeaux (district de Riom), présidée par G. Homme, commémora l'abolition de la dime par une fête qui ouvrit la moisson. La municipalité, environnée des habitants, se rendit dans un champ qu'on venait de moissonner, et rapt pela les lois bienfaisantes par lesquelles la Révolution avait libéré la terre. La fête se termina à l'église par un Te Deum d'actions de grâces[84].

Quelque temps après, en septembre 1791, les habitants de Septmoncel (Jura) célébrèrent à leur tour par une fête civique l'abolition du servage[85].

Fêtes politiques. — La foi révolutionnaire consistait essentiellement dans les espérances de bonheur que faisait concevoir l'institution politique nouvelle. Il n'est donc pas étonnant que les principaux actes politiques qui annonçaient la prochaine mise en vigueur de la Constitution, si attendue, aient provoqué des fêtes civiques, par lesquelles se manifesta l'espérance universelle.

Quand la France apprit, le 4 février 1790, que le roi avait solennellement promis de maintenir la constitution préparée par l'Assemblée nationale, elle se livra aux transports de la joie la plus vive. Paris illumina deux jours de suite. Le serment civique, prêté par l'Assemblée Nationale, après la visite du Roi, fut répété dans toutes les communes au milieu de cérémonies patriotiques. Enfin, quand la Constitution fut achevée, une grande fête fut organisée a Paris pour la proclamation solennelle, le 18 septembre 1791. Les autorités se rendirent en cortège au Champ de la Fédération. Le Maire monta sur l'autel de la Patrie et montra aux citoyens le livre de la Constitution. Après la cérémonie, on donna à la foule le spectacle, alors très nouveau, de l'ascension d'un aérostat. Le soir, l'illumination fut générale, a Des guirlandes de feu réunissaient tous les arbres depuis la place Louis XV jusqu'au lieu appelé Étoile[86] ».

Le dimanche suivant, 20 septembre, la fête recommença et fut particulièrement brillante au rond-point des Champs-Elysées[87].

La Constitution de 1793 devait être proclamée plus solennellement encore à la grande Fédération du 10 août 1793.

Fêtes des bienfaiteurs et des martyrs de la Liberté. Fêtes funèbres. — Très vite les patriotes organisèrent des cérémonies d'actions de grâces en l'honneur de tous ceux qui avaient préparé la Révolution ou qui étaient morts pour elle. Avant Marat, Chalier et Le Pelletier, d'autres saints politiques, d'autres martyrs de la Liberté eurent leurs statues et leurs cultes.

Desilles. — Après la malheureuse affaire de Nancy, le 20 septembre 1790, une grande fête funèbre fut célébrée au Champ de la Fédération en l'honneur des gardes nationaux qui avaient péri en faisant rentrer dans l'ordre les Suisses de Châteauvieux révoltés. L'officier Desilles, qui avait payé de sa vie ses efforts pour arrêter l'effusion du sang, était honoré d'un buste, couronné de feuilles de chêne, à la séance de l'Assemblée nationale du 29 janvier 1791. Un tableau représentant son action héroïque était commandé au peintre Lebarbier.

A cette occasion, le député Gouy tirait en quelque sorte la morale de ces honneurs posthumes décernés par la Révolution a ses martyrs et comparait les saints laïques aux saints religieux et aux grands conquérants.

« Jusqu'ici, disait-il, cette espèce de culte, cette apothéose, déférée par la reconnaissance et l'admiration, avait été réservée pour une autre classe de héros. C'était aux effigies consacrées par la fureur des conquêtes que se décernait cette pompe, que s'adressaient ces acclamations. Il serait digne de l'humanité, de la liberté, d'y associer enfin les martyrs du patriotisme, de faire aujourd'hui de ces cérémonies rémunératrices le prix des sacrifices civiques, dont les monuments viendraient ici vivifier ce temple de la Constitution. Une suite d'images comme celle qui reçoit ; aujourd'hui le tribut de vos larmes et de nos respects en seraient les gardiens les plus dignes, et, s'il était possible que cette Constitution régénératrice trouvât des ennemis, l'espoir d'occuper une place au nombre des demi-dieux dont vous auriez ici canonisé le premier, suffirait pour lui donner des imitateurs... »

Et Gouy proposait sans ambages de transformer les fêtes civiques en un instrument politique au service de l'Assemblée et des institutions nouvelles.

« Eh bien, de cette terre inanimée, il ne tient qu'à vous de créer des héros. C'est aux législateurs de l'Empire à féconder le germe qu'elle renferme dans son sein et que vos soins seuls peuvent faire éclore. Si la couronne civique, la plus honorable de toutes, ornait par vos ordres le front de la victime immolée au patriotisme, je ne doute pas que cet honneur suprême n'enflammât les cœurs des 000.000 Français que vos décrets appellent à la sûreté ou à la défense de nos frontières. Je ne doute pas qu'il ne devint un bouclier inexpugnable contre les ennemis qui oseraient troubler nos utiles travaux et qu'une récompense aussi magnifique ne fut le rempart le plus sûr contre les adversaires présents et futurs de la Constitution... »

Sans doute, la pensée est encore vague, mais elle se précisera bientôt, et dès le début de la Législative, les chefs patriotes songeront a réunir les éléments épars du culte révolutionnaire, à les systématiser pour en faire un instrument de propagande civique.

Mirabeau. — Quand Mirabeau mourut, des honneurs magnifiques lui furent rendus. Sainte-Geneviève fut transformée en Panthéon pour recevoir sa dépouille et celle de tous les grands hommes qui, à son exemple, auraient bien mérité de la patrie[88].

Voltaire. — Voltaire à son tour, le n juillet 1791, était, transféré au Panthéon, au milieu d'une foule immense[89]. « La fête, disait la Feuille Villageoise, a été sublime et attendrissante. Elle a frappé et agrandi l'esprit du peuple, elle a discrédité les processions et les images monacales, elle a électrisé d'un feu pur et céleste les hommes les plus grossiers, elle a redoublé la sainte ardeur du patriotisme et répandu de toutes parts les rayons de la Philosophie. Ce jour a donc avancé, pour ainsi dire, d'un siècle les progrès de la raison[90].... » A cette date, les patriotes avancés ne cachaient déjà plus leur intention d'opposer leurs fêtes civiques aux anciennes fêtes religieuses.

Au cours de l'année 1792, les fêle*» patriotiques se succèdent à de courts intervalles et se généralisent dans toute la France.

Les Suisses de Châteauvieux. — Le 15 avril 1792, c'est la fête de la Liberté, organisée par Collot d'Herbois et Tallien en l'honneur des Suisses de Châteauvieux, victimes de Bouille. Le cortège parcourut les principales rues de la capitale au milieu d'une grande affluence. On y voyait figurer la Déclaration des Droits portée en triomphe, un modèle de la Bastille, des bustes de Franklin, de Sydney, de J.-J. Rousseau, de Voltaire, les chaînes des soldats de Châteauvieux portées par quatre citoyennes, un char de la Liberté surmonté d'une statue de la déesse, et enfin les quarante Suisses sur le Char de la Renommée attelé de vingt superbes chevaux.

Rendant compte de cette journée, le Moniteur en tira cet enseignement à l'usage des hommes politiques : « Nous dirons de plus aux administrateurs. Donnez souvent de ces fêtes au peuple. Répétez celle-ci chaque année, le 15 avril. Que la fête de la Liberté soit notre fête printanière, que d'autres solennités civiques signalent le retour des autres saisons de l'année... Elles élèveront l'âme du peuple, elles adouciront ses mœurs, elles développeront sa sensibilité, en affermissant son courage, elles en feront, disons mieux, elles en ont déjà fait un peuple nouveau. Les fêtes populaires sont la meilleure éducation du peuple[91]. » Voilà le grand mot lâché. Paire des fêtes civiques, nées spontanément, une école pour le peuple, un instrument pour régénérer le pays, ce sera l'article essentiel du programme des organisateurs des cultes révolutionnaires.

Simoneau. — A la fête des Suisses de Châteauvieux ou fête de la Liberté succéda bientôt, le 3 juin 1792, la fête funèbre en l'honneur de Simoneau, ou fête de la Loi. Simoneau était ce maire d'Etampes qui avait été tué dans une émeute populaire, en voulant faire respecter la loi sur les subsistances. Pour les modérés de la Législative ou feuillants, la fête de Simoneau fut une réponse à la fête des Suisses de Châteauvieux qu'ils considéraient comme la glorification de la rébellion. Alors que celle-là était née de l'initiative privée de quelques patriotes avancés, celle-ci fut organisée par les autorités. Un décret de la Législative[92], complété parmi arrêté du département de Paris[93], régla l'ordre et la composition de la cérémonie, Formé au faubourg Saint-Antoine, le cortège se rendit au Champ de la Fédération. Parmi les principaux emblèmes, on voyait une bannière à l'antique aux couleurs nationales avec cette devise : la Loi, un modèle de la Bastille, les enseignes des 83 départements avec ces mots : Soyons unis, nous serons libres, un drapeau de la Loi, un génie de la Loi porté sur un lectisternium, un bas-relief représentant le trait héroïque du maire d'Etampes avec une couronne civique et une guirlande de lauriers, l'écharpe du vertueux Simoneau avec une palme et un long crêpe, le buste du même, le livre de la Loi sur un trône d'or porté par des vieillards, etc. Au Champ de la Fédération s'élevait un autel de la Loi, sur lequel on brûla force encens.

Des fêtes analogues furent célébrées dans les départements en l'honneur de Simoneau, à Angers[94], à Tulle, à Senlis, à Lyon, etc.

A lire leurs programmes, on ne peut manquer d'être frappé de la ressemblance qu'offre leur cérémonial avec celui des fêtes funèbres de la Convention ou du Directoire. Que ce soit Desilles ou Simoneau, Mirabeau ou Voltaire, Hoche ou Joubert, le martyr à glorifier, la forme extérieure de la cérémonie reste presque identique. Les mêmes motifs, les mêmes emblèmes, les mêmes inscriptions reviennent sans cesse.

Ce culte posthume, rendu aux martyrs de la liberté, n'allait pas seulement aux hommes populaires, à ceux dont le nom était sur toutes les lèvres ; il était décerné aussi aux héros de second ordre et de troisième ordre par leurs proches, leurs amis, leurs compatriotes.

Cerutti. — Cerutti, le premier directeur de la Feuille Villageoise, fut, après sa mort, survenue au début de 1792, l'objet de nombreuses cérémonies funèbres organisées par ses partisans[95].

Gouvion. — Gouvion, l'ami de Lafayette, tué à l'ennemi le 9 juin 1792, connut les mêmes honneurs que Cerutti[96].

Fêtes morales. — Aux cérémonies plus proprement civiques se joignirent bientôt les cérémonies plus spécialement morales. S'il est vrai que les vertus publiques trouvent leur source dans les vertus privées, — et les hommes de la Révolution le croyaient fermement, — pourquoi celles-ci ne recevraient-elles pas les mêmes honneurs que celles-là ?

Le 4 février 1790, à la séance de la municipalité parisienne, un grenadier, dont le nom n'a pas été conservé, reçut une couronne civique et un sabre d'honneur, pour avoir sauvé, le jour de la prise de la Bastille, une jeune tille sur le point d'être lapidée par la foule, qui la prenait pour la fille du gouverneur[97].

D'autres cérémonies du même genre furent organisées à Paris, mais l'exemple de la capitale ne tarda pas à passer dans les départements. Le 20 juin 1792, le député Lacuée apprit à ses collègues de la Législative que le directoire du Lot-et-Garonne venait de décréter une fête civique pour récompenser Jean Simonet, un charretier qui, dans une émeute, avait sauvé un citoyen au péril de ses jours. Jean Simonet reçut, au nom de la Patrie, une couronne de chêne. Faisant le récit de cette fête, Lacuée se félicitait des progrès sensibles de l'esprit public ; il voyait dans les récompenses décernées solennellement aux actes vertueux, le prélude d'essais politiques dont il se promettait le plus grand bien[98].

La Patrie n'était donc plus considérée seulement comme l'instrument du bonheur matériel, elle devenait la sauvegarde de la morale. Alors que la religion ancienne reculait dans l'autre monde les récompenses de la vertu, la religion nouvelle les distribuait dès cette vie. — Les cultes révolutionnaires feront à la prédication morale une large place.

Fêtes morales, fêtes politiques, fêtes commémoratives, fêtes des martyrs de la Liberté, le cérémonial de la religion révolutionnaire se trouve esquissé dans ses traits essentiels dès 1792. Il n'est pas plus artificiel que son symbolisme. L'un et l'autre se sont formés spontanément, sans plan préconçu, un peu au hasard. Ils sont le produit anonyme de l'imagination collective des patriotes.

 

XI

Les prières et les chants patriotiques. Influence du théâtre. — Plus encore que par les cérémonies, un culte fait impression sur ses fidèles par les prières et par les chants. De très bonne heure, le culte révolutionnaire eut' ses invocations et ses cantiques. A une date qui n'est pas indiquée, mais qui ne doit pas dépasser l'année 1791, un simple soldat-canonnier de la garde nationale de Blois, J. Bossé, fit paraître tout un recueil de prières patriotiques[99]. Les curés philosophes qui collaboraient alors à la Feuille Villageoise, et qui deviendront plus tard les curés rouges du culte de la Raison, sentirent assez vite le besoin de mettre en harmonie la foi ancienne avec la nouvelle. En novembre 1791, le curé d'Ampuis (Loire), Siauve, qui dirigera en l'an VI l’Écho des Théophilanthropes, composa une prière au Dieu de justice et d'égalité, qu'il, destinait à remplacer « la prière antique et superstitieuse du prône[100] ». Peu après, un de ses confrères, Couet, curé d'Orville, publiait à son tour une fort belle prière patriotique pour demander à Dieu de rendre les Français dignes de la liberté[101]. Des prières de ce genre figureront dans les rituels des cultes de la Raison et de l'Être suprême.

Dès 1792, la foi révolutionnaire s'exprimait dans des chansons, qui mettaient au cœur des citoyens une véritable ivresse religieuse. Le Ça Ira, la Carmagnole, la Marseillaise, furent très vite populaires.

Le théâtre, dont les Français avaient la passion, contribua à répandre les airs patriotiques, et réagit à son tour ; sur les cérémonies civiques. Dès 1790, on mit la politique à la scène. Les « faits historiques », les « pièces à spectacle », les « tragédies nationales » se multiplièrent, de plus \[en plus goûtées du public. En 1790, c'est la Famille patriote. ou la Fédération de Collot d'Herbois[102], le Quatorze de Juillet 1789 de Fabre d'Olivet[103], l’Autodafé ou le Tribunal de l’Inquisition de Gatiot[104], la Fête de la Liberté ou le dîner des patriotes de Ch. Ph. Ronsin[105] ; en 1791, c'est Guillaume Tell de Sedaine[106], Mirabeau aux Champs-Elysées d'Olympe de Gouges[107], le Triomphe de Voltaire de J.-B. Pujoulx[108], Voltaire à Romilly de Willemain d'Abancourt[109], la Ligue des fanatiques et des tyrans de Ch. Ph. Ronsin[110], la France régénérée de P.-J. Chaussard[111]. — En 1792, l’Apothéose de Beaurepaire de Ch.-J. Lesur[112], le Siège de Lille de Joigny[113], le Général Custine à Spire des citoyens D. D.[114], Tout pour la Liberté de Ch.-L. Tissot[115], etc.

Une pièce comme le Triomphe de la République ou le Camp de Grandpré de M. J. Chénier[116], avec ses chœurs de femmes et d'enfants, ses cortèges de vieillards, de magistrats, ses défilés militaires, son apothéose de la Nation, ses hymnes très larges, ses invocations à la Liberté, à la Nature, ne pouvait manquer de présenter des modèles à imiter aux organisateurs des fêtes patriotiques. Les féeries du même ordre, mises à la portée de tous par la simplicité de l'action et la banalité des situations, donnaient au peuple l'habitude et le goût des spectacles, le familiarisaient d'avance avec les principaux motifs des fêtes de la Raison.

Déjà les pièces patriotiques et les fêtes civiques tendaient à se rejoindre et à se confondre. Les électeurs de 1789 faisaient jouer à Notre-Dame la Prise de la Bastille « hiérodrame de Desaugiers », au cours de la cérémonie civique qu'ils célébrèrent, le 13 juillet 1791, en commémoration de la grande journée révolutionnaire[117].

Au moment même où la Constituante décrétait une pompe funèbre en l'honneur de Desilles, on jouait au Théâtre italien le Nouveau d'Assas, pièce en musique consacrée à l'apothéose du héros de l'affaire de Nancy[118].

La plantation des arbres de la Liberté fut mise à la scène par Manuel dans la Comédie du Chêne patriotique.

Conclusion. — Concluons. Il existe une religion révolutionnaire dont l'objet est l'institution sociale elle-même. Cette religion a ses dogmes obligatoires — la Déclaration des Droits, la Constitution —, ses symboles, entourés d'une vénération mystique — les trois couleurs, les arbres de la Liberté, l'autel de la Patrie, etc. —, ses cérémonies — les fêtes civiques —, ses prières et ses chants. Il ne lui manque plus, à la fin de 1792, pour être une religion véritable, que de prendre conscience d'elle-même, en rompant avec le catholicisme dont elle n'est pas encore complètement dégagée. — Cette séparation de la religion nouvelle d'avec la religion ancienne ne s'est pas faite d'un seul coup. Nous allons voir qu'elle fut l'œuvre des circonstances autant que des partis politiques.

 

 

 



[1] Consulat et Empire, éd. 1874, t. II, p. 163.

[2] Quinet, éd. du centenaire, t. II, p. 57-97.

[3] L'Église et la Révolution française. Histoire des relations de l'Église et de l'État de 1789 à 1809, 2e édlt. (1867). Voir livre III, chap. III, p. 351-354.

[4] Michelet, livre XIV, chap. I.

[5] Histoire de la Théophilanthropie, 1870, in-8°.

[6] Aulard, Le Culte de la Raison et le Culte de l'Être Suprême, 1892, in-12, p. VII.

[7] Aulard, Le Culte de la Raison et le Culte de l'Être Suprême, p. VIII.

[8] 1895, in-8°.

[9] Il est bien entendu que nous n'envisageons ici le phénomène religieux qu'en tant que phénomène social, et que nous laissons de côté la « religion intérieure », sentiment individuel, conception chère à beaucoup de protestants.

[10] Sous ce titre : De la définition des phénomènes religieux, Année sociologique, t. II, Paris 1899, in-8°.

[11] Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes religieux, p. 13.

[12] Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes religieux, p. 21.

[13] Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes religieux, p. 20.

[14] Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes religieux, p. 24.

[15] Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes religieux, p. 23.

[16] Année sociologique, t. II, 1899, De la définition des phénomènes religieux, p. 28.

[17] Cité par M. Aulard, Le Culte de la Raison..., p. 8 et 10.

[18] Voir les textes réunis par M. Aulard dans le chapitre Ier de son Culte de la Raison : Les Philosophes.

[19] Comme l'explique le dernier éditeur du Contrat, M. Georges Beaulavon (Paris, 1903, in-8°), p. 133, note 1.

[20] Livre Ier, chap. Ier, p. 145 de l'édition Beaulavon.

[21] Honneurs funèbres rendus à Besançon à M. Blanc, premier député du Tiers-Etat de cette ville, décédé à Versailles au mois de juillet, A Besançon, le 18 Juillet 1789 (Bibl. de la Ville de Paris, 13.27a). Sous forme, de lettre non signée. On lit p. 3 : « Si de tels honneurs ont été dus et conférés à l'un de MM. les députés, à raison de la fermeté que tous ont montrée jusqu'ici (car on n'a eu en vue que de les honorer tous en la personne de l'un d'eux), à quoi ne doivent-ils pas prétendre et s'attendre s'ils deviennent artisans de notre bonheur, par des règlements sages et utiles ? »

[22] Un curieux projet de Fête nationale qui sera célébrée le jour immortel du 4 Août (Bibl. de la Ville de Paris, 12.272) stipule : « Tous les députés de 1789, qui ne sont pas nobles, le deviennent en ce moment. Eux et leurs descendants seront à mérite égal, toujours préférés pour les places de municipalité dans leurs provinces ou dans les Etats provinciaux ».

[23] Aulard, Actes du Comité de Salut public, t. XI, p. 405.

[24] Moniteur, réimp. 1863, Introduction, p. 567.

[25] Séance du 1er juillet 1390. Moniteur, réimp., t. IV, p. 515.

[26] J'emprunte le compte rendu, des séances au tome Ier de la réimpression de l’Ancien Moniteur. Bien que ce tome premier ait été composé après coup en l'an IV, on peut s'y lier dans une large mesure, car il reproduit en grande partie le Courrier de Provence.

[27] Feuille Villageoise, avis précédant la seconde année (1791).

[28] Lettre de G. Homme à la Feuille Villageoise, n° du 21 juillet 1791.

[29] Séance du 14 nov. 1791, cité par Sciout, Histoire de la Constitution civile du clergé, 1872-81, 4 vol. in-8°, t. III, p. 50, note d'après le Journal des débats et décrets.

[30] Proclamation adressée aux Parisiens après le 10 août, citée par Sciout, ibid., t. 10, p. 223.

[31] Constitution de 1791, titre III, chap. Ier, sect. II, art. 2.

[32] Serment de la Fédération bretonne à Pontivy le 13 janvier 1790, cité par M. J. Bellec dans La Révolution française, t. XXVIII, p. 25.

[33] Moniteur, réimp., t. XIV, p. 7.

[34] Convention, séance du 16 messidor an III, dans le Moniteur, réimp., t. XXVI p. 149.

[35] Le 22 nivôse an IV, le député Duhot fit décréter que les Cinq Cents jureraient tous les ans, au 21 janvier, haine à la royauté. Le même serment fut exigé de tous les fonctionnaires.

[36] Décret des 4-8 juillet 1792, art. 16 et 17.

[37] Décret du 21 septembre 1793.

[38] D'après le procès-verbal intitulé : Cérémonie religieuse et civique qui a eu lieu le 26 juin 1792 en l'honneur de Gourion à Franconville-la-Garenne, s. d. in-8°, 11 p. Bib. nat., Lb³⁹ 6012.

[39] Comme à Autun. Voir l'article de M. Le Téo, Étude sur l'Autel de la Patrie d'Autun dans La Révolution française, 1889, t. XVII, p. 187 et suiv.

[40] Dès le début l'autel de la Patrie fut environné d'un respect religieux. Le 6 décembre 1790, des écoles du Collège irlandais ayant renversé en jouant l'un des vases de l'autel de la Patrie au Champ-de-Mars, les patriotes crièrent à la profanation et demandèrent un sévère châtiment des coupables. (Tourneux, Bibliographie, t. Ier, n° 2037 et suiv.).

[41] Histoire patriotique des arbres de la liberté rééditée par Charles Dugast, Paris, 1833, in-8°, p. 241 et suiv. Bib. de la Ville de Paris, 3242.

[42] Moniteur des 25 mai et 14 juillet 1790.

[43] Georges Bussière, Études historiques sur la Révolution en Périgord, 1903, in-8°, p. 260, 3e partie.

[44] G. Bussière, Études historiques sur la Révolution en Périgord, p. 260.

[45] La même loi spécifiait dans son article III : « A l'avenir toute commune dans l'arrondissement de laquelle un arbre de la Liberté aura été abattu, ou aura péri, naturellement, sera tenue de le remplacer dans la décade, sauf à renouveler cette plantation, s'il y a lieu, par un arbre vivace, dans la saison convenable, aux termes de la loi du 3 pluviôse an II ». L'époque du remplacement des arbres de la Liberté morts était fixée à la fête du 21 janvier (art. II).

[46] Aulard, Actes du Comité de Salut public, t. X, p. 540-547.

[47] N° 141, 17-24 mars 1792. Article sur le bonnet rouge.

[48] Décret du 16 juillet 1789.

[49] Décret du 20 juin 1790.

[50] Décret du 19-23 juin 1790.

[51] Décret du 30 juillet-6 août 1791.

[52] Décret du 12-16 mai 1793, et décret du 19-24 juin 1792 (celui-ci rendu sur la proposition de Condorcet).

[53] Décret cité du 20 juin 1790.

[54] Décret du 1er août 1793.

[55] Décret du 14 août 1792.

[56] Décret du 27 septembre-10 octobre 1791.

[57] Décret du 11 brumaire an II.

[58] Décret du 30 septembre-5 octobre 1792, qui change Bourbon l'Archambault en Burges-les-Bains ; du 9-11 octobre 1792, Bar-le-Duc en Bar-sur-Ornain ; du 25-26 octobre 1792. Vic-le-Comte en Vie-sur-Allier ; du 22 février 1793, qui ordonne de présenter la liste des noms de lieux susceptibles de réforme comme rappelant la royauté et la féodalité.

[59] Lettre au Comité de Salut public du 21 nivôse au II, dans Aulard, Actes du Comité de Salut public, t. X. p. 184.

[60] Lettre au Comité du 24 septembre 1793, dans Aulard, ibid., t. VII, p. 39.

[61] Odes républicaines au peuple français composées en brumaire an II. (Cité par Robinet, Le Mouvement religieux à Paris pendant la Révolution. t. II, p. 420).

[62] Séance du 9 brumaire an II, dans Aulard, Société des Jacobins, t. V, p. 490.

[63] Séance du 3 novembre 1793, dans Aulard, Société des Jacobins, t. V., p. 495.

[64] La milice citoyenne de Luynes, en se constituant le 2 août 1389, déclare qu'elle a été encouragée dans son entreprise a par le dévouement de l'Assemblée nationale pour l'intérêt du peuple, par les motions patriotiques, par les discussions profondes et justes des Lally-Tollendal, des Mirabeau, des Volney, des Sieyès, par tout ce que l'on doit attendre enfin de la renommée du courage, des vertus et des lumières d'un Bailly, d'un Lafayette, d'un Rabaut-Saint-Étienne, d'un Mounier, d'un Target, d'un Clermont-Tonnerre et de tant d'autres illustres soutiens de la vérité, de la justice et de la liberté ». Acte de confédération patriotique et de constitution provisoire de l'administration et de la milice citoyennes de la ville et cité de Luynes, arrêté en Assemblée générale le 2 août 1789. (Bibl. nat., Lb³⁹ 7548).

[65] De Bellec, Les deux fédérations bretonnes-angevines, dans La Révolution française, 1895, t. XXVIII, p. 32.

[66] Michelet, Histoire de la Révolution, édition du centenaire, t. Ier, p. 469.

[67] Maurice Lambert, Les fédérations en Franche-Comté, Paris, 1800, in-8°.

[68] Les gardes nationales de Saint-Brice, Gravant, Vermanton, Noyers, etc., à l'Assemblée nationale... (Bib. nat., Lb³⁹ 3493).

[69] Fédération des gardes nationales du district de Clamecy le 27 mai 1790. (Bib. nat, Lb³⁹ 8867).

[70] Procès-verbal de la fédération faite à Rennes, le 23 mai 1790, entre la garnison et la garde nationale de la même ville. (Bib. nat., Lb³⁹ 8850).

[71] D'après un article de M. Dide dans La Révolution française, t. Ier, p. 9.

[72] Procès-verbal de la confédération de Strasbourg, 1790, chez Ph.-J. Dannbach, imprimeur de la municipalité, în-8° (fonds Gazier).

[73] Cérémonie en usage dans la maçonnerie.

[74] D'après l'élude déjà citée de M. Maurice Lambert, Les fédérations en Franche-Comté.

[75] Maurice Lambert, Les fédérations en Franche-Comté.

[76] Aulard, Le Serment du jeu de Paume, dans La Révolution française, t. XVII, p. 18.

[77] J'en fais le récit d'après le procès-verbal officiel : Description du serment et de la fête civique célébrés au Bois de Boulogne par la Société du Jeu de Paume de Versailles, des 20 juin 1789 1790 (sic) (Bibl. de la Ville de Paris, 12.333).

[78] Le peintre David.

[79] Celles de Bourges, de Châlons, de Strasbourg/entre autres.

[80] Moniteur, réimp., t. IX, p. 129.

[81] Décret du 29 septembre-14 octobre 1791 (sect. III, art. 20).

[82] Si du moins on en croit Robinet, op. cit., t. II, p. 514.

[83] Fête nationale qui sera célébrée tous les ans le jour immortel du 4 août, in-8°, 8 p. (Bib de la Ville de Paris, 12.372).

[84] La fête est racontée par 6. Romme lui-même dans une lettre publiée par la Feuille Villageoise (n° 43, jeudi, 21 juillet 1792).

[85] Voir à ce sujet dans la Feuille Villageoise du jeudi 6 octobre 1791, la lettre du curé de Septmoncel, Daller.

[86] D'après le Moniteur, réimp., t. IX, p. 710.

[87] Moniteur, réimp., t. IX, p. 774.

[88] Décret du 4-10 avril 1791.

[89] Voir le Mémoire de Miss Louise Phelps Kellog dans La Révolution française. 1899, t. XXXVII. p. 271 et suiv.

[90] Feuille Villageoise, n° 43, jeudi 21 juillet 1791.

[91] Moniteur, réimp., t. XII, p. 139.

[92] Décret du 12-16 mai 1792.

[93] Programme arrêté par le Directoire du département de Paris, pour la fête décrétée par l'Assemblée Nationale, le 18 mars 1392, à la mémoire de J -G. Simoneau, maire d'Étampes. (Bib. de la Ville de Paris, 13.372).

[94] A Angers, ce fut La Réveillière qui prononça le discours. Procès-verbal de la cérémonie funèbre qui a été célébrée d’Angers en l'honneur de Jacques-Guillaume Simoneau, maire d'É lampes, mort pour le maintien des lois, le 10 avril 1390, par L.-M. Réveillère-Lépeaux, s. l., in-8°, a5p. (Bib. d'Angers).

[95] Voir dans la Feuille Villageoise du 23 mars 1793, le récit d'une de ces cérémonies qui eut lieu au Havre.

[96] Cérémonie religieuse et civique qui a eu lieu le 26 juin 1792 en l'honneur de Gouvion, à Franconvllle-la-Garenne, in-8°, 11 p. (Bib. nat., Lb³⁹ 6012).

[97] Moniteur, réimp., t. III, p. 295. Déjà la municipalité avait décerné une médaille à une dame Bouju, pour sa conduite patriotique aux journées d'octobre, Moniteur, réimp., t. III, p. 381.

[98] Moniteur, réimp., t. XII, p. 723.

[99] Prières patriotiques avec des passages analogues tires de l'Ecriture Sainte, par J. Bossé, s. d„ in-8°, 10 p. (fonds Gazier).

[100] Feuille Villageoise du 13 novembre 1791.

[101] Feuille Villageoise du 29 mars 1792.

[102] Pièce nationale en deux actes, suivie d'un divertissement, représentée à Paris, sur le théâtre de Monsieur, le 13 juillet 1790, in-8°, 54 p.

[103] Fait historique en un acte et en vers, représenté A Paris au théâtre des Associés, en juillet 1790, ln-8°, 55 p.

[104] Pièce à spectacle en trois actes, en prose... représentée sur le théâtre de l’Ambigu-Comique, le mardi 2 novembre 1790, 1790, in-8°.

[105] Comédie en un acte et en vers avec des couplets... représentée sur le théâtre du Palais-Royal, le 12 juillet 1790, 1790, in-8°.

[106] Drame en trois actes en prose et en vers... musique de Grétry... représenté au mois de mars 1791 sur le ci-devant Théâtre italien, in-8°.

[107] Comédie en un acte et en prose, représentée le 15 avril 1791 aux Italiens, in-8°.

[108] Italiens, 31 juillet 1791, in-8°.

[109] Fait historique en un acte et en prose, Théâtre Molière, 10 juillet 1790, in-8°.

[110] Tragédie nationale en trots actes et en vers, Théâtre Molière, 18 juin 1791, in-8°.

[111] Pièce épisodique en vers et d spectacle, précédée d'un prologue, Théâtre Molière, 14 septembre 1791, în-8°.

[112] Pièce nouvelle en un acte et en vers, Théâtre Français, 21 novembre 1792, in-8°.

[113] Comédie en trois actes et en prose, mêlée de chant, musique de Trial, Opéra-Comique, ai novembre 1792, in-84.

[114] Fait très historique en deux actes, â grand spectacle, mêlé de chants et de danses, théâtre de l'Ambigu, novembre 1793, in-8°.

[115] Comédie en un acte et en prose, mêlée de vaudevilles, Théâtre des Variétés du Palais, 20 octobre 1792, in-8°.

[116] Le Triomphe de la République ou le Camp de Grandpré, divertissement lyrique en un acte, représenté par l’Académie de Musique, le 27 janvier, l'an II de la République française ; la musique est du citoyen Gossec, les ballets du citoyen Gardel, [par M. J. Chénier, d'après Barbier]. 1793, in-8°.

[117] D'après le Moniteur, réimp., t. IX. p. 129.

[118] D'après le Moniteur du 20 octobre 1790. La pièce fut représentée le 13 octobre.