ROME ET LE CLERGÉ FRANÇAIS SOUS LA CONSTITUANTE

 

CHAPITRE XVIII. — LA RUPTURE : LE RAPPEL DU NONCE.

 

 

I

Parti de Rome par le courrier extraordinaire Lépine, le 11 mars, le bref du pape était déjà arrivé à Paris le 20 du même mois. Dès le lendemain, le nonce en faisait la remise officielle à Montmorin[1].

Le gouvernement français décida de garder la pièce secrète et d'envoyer à Rome, pour tenter une dernière démarche de conciliation, un nouvel ambassadeur, Philippe de Ségur, assisté du jurisconsulte Blondel, réputé pour sa connaissance du droit canon[2]. Les instructions rédigées pour Ségur montrent bien que, malgré les avertissements répétés qu'il avait reçus, le gouvernement français ne pouvait se résigner à croire que le pape oserait jusqu'au bout sacrifier les intérêts vitaux de l'Église de France et persister dans une intransigeance qui heurtait de front les vœux bien prononcés de la majorité des évêques réfractaires eux-mêmes.

Philippe de Ségur devait s'attacher à faire bien sentir au pape que toute résistance à la masse des volontés qui étayent les décrets ne servirait qu'à rendre la position du clergé plus fâcheuse et à établir absolument le schisme. Il exposera avec force le désir que le Roi a d'éloigner ce malheur, mais en même temps la nécessité de chercher de bonne foi les moyens de concilier l'ordre de choses nouvellement établi avec les règles vraiment canoniques et les principes indispensables de la discipline de l'Église s. Il devait effrayer le pape sur les conséquences d'une séparation complète de la France d'avec l'Église romaine. D'autres pays, séduits par notre exemple, s'accoutumeraient à l'idée de toute indépendance de Rome. Nous sommes le premier chaînon qui unit tant de nations au Saint-Siège. S'il se rompait, qui peut calculer où s'arrêterait cette révolution dans le monde catholique ?

Visiblement Montmorin ne pouvait croire que les motifs canoniques invoqués par le pape fussent les véritables raisons de sa résistance. La suppression des annates, la révolte d'Avignon et du Comtat avaient déterminé la politique pontificale. C'était sur ces deux points que Ségur devait porter son effort, et voici sur quelles bases Montmorin lui prescrivait de conduire la négociation :

La suppression des annates et de tous les droits de la chancellerie romaine sera un des objets sur lesquels le sieur de Ségur sera attaqué avec le plus de force. Le pape a sans doute des titres pour demander la continuation de ces concessions, mais vu l'esprit du siècle et les décrets de l'Assemblée, il sera bien difficile que l'ambassadeur du Roi puisse promettre quelque adoucissement sur ce point. Cependant il pourra écouter ce qui lui sera proposé à ce sujet en ayant grand soin de ne rien promettre et ne se chargeant que de transmettre les demandes de la Cour de Rome.

La position d'Avignon et du Comté Venaissin n'affecte pas moins la Cour de Rome et il est vraisemblable qu'on en parlera au sieur de Ségur avec amertume, Jusqu'ici l'Assemblée nationale n'a rien décrété sur ce qui intéresse le plus le Saint-Siège à l'égard de ces États. Le principal point sur lequel la Cour de Rome insistera sera la reconnaissance de sa Souveraineté et la remise en possession avec le secours de la France s'il est nécessaire. Le sieur de Ségur, jusqu'à ce que l'Assemblée ait prononcé, ne pourra répondre que des dispositions du Roi à maintenir l'ancien état de choses. Mais, de quelque manière que cette affaire se termine, on peut croire que Sa Sainteté, dégoûtée d'une possession qu'elle ne peut pas protéger, sera disposée à s'en dessaisir. La chose serait plus facile si on commençait par la rétablir dans ses droits. Cependant, en cas contraire, elle aurait encore des motifs de transiger. Selon les circonstances, le comte de Ségur pourra laisser voir que S. M. ne serait pas éloignée d'entrer en accommodement. Il pourra même faire apercevoir indirectement que ce serait un moyen de procurer à Sa Sainteté quelque compensation des pertes qu'Elle éprouve par la suppression des droits de la daterie. Cet objet demande a être traité avec beaucoup de délicatesse. Il s'agit de faire en sorte que la Cour de Rome ne puisse pas dire que nous ayons fait la première proposition et qu'elle y a consenti par nécessité, mais, au contraire, de l'amener à faire elle-même des ouvertures dont nous ayons l'air de profiter pour nous montrer non seulement justes mais même généreux à son égard...[3]

 

En somme, le rachat d'Avignon, moyennant une indemnité généreuse qui remettrait à flot les finances obérées du Saint-Siège, voilà ce que Montmorin avait trouvé pour solutionner la crise. Proposé huit mois auparavant, en juillet 1790, quand Pie VI avait fait lui-même des avances pour lier les deux négociations, la temporelle et la spirituelle, le moyen eût eu peut-être la chance d'aboutir. Il venait maintenant trop tard,

Mais si le gouvernement français conservait de pareilles illusions, c'est que l'attitude des évêques de France lui permettait encore d'espérer.

Si les évêques avaient voulu la guerre ou si seulement ils l'avaient acceptée de gaîté de cœur, ils se seraient hâtés de publier le bref du pape. Or, le bref ne fut publié et mis en vente à Paris que le 4 mai au plus tôt[4], et la réponse qu'ils firent au pape ne vit le jour que le 7 juin[5].

Du retard des évêques à publier le bref du 10 mars et à y répondre, leurs amis ont cherché à donner des explications honnêtes. Un anonyme, qui signe A. M. D. G., explique que les assemblées d'ecclésiastiques étant suspectes, les évêques n'avaient pas osé se réunir pour délibérer en commun. Ils avaient dû se communiquer le bref un à un pour ainsi dire. Ils avaient voulu aussi avoir l'avis de certains curés députés, ce qui avait pris du temps[6]. Mais l'officieux anonyme ne s'en tient pas à cette explication. Il en donne aussitôt une autre qui est la vraie. Les évêques ont retardé l'apparition du bref par crainte de rendre le schisme irrémédiable. Ils ont cru que plus que jamais leur grand devoir était de se garantir même du soupçon d'agiter les esprits[7]. Ils se sont demandé s'ils jetteraient ce bref au milieu des impies comme Condé jeta son bâton  si on ne leur reprocherait pas bientôt d'avoir compté eux aussi sur un grand élan des sentiments religieux pour le défendre ! Ils ont craint que la fatale majorité n'abusât de leur hâte pour en prendre occasion de prononcer l'effroyable et funeste schisme... Ils se sont d'ailleurs souvenus qu'ils étaient citoyens français et comme tels soumis aux lois du royaume. Le retard qu'on leur reproche était pour eux un devoir impérieux. C'est au Roi que d'après notre droit public appartiennent spécialement et exclusivement toutes dispositions préalables à la publication des brefs ou des bulles de Rome, au Roi seul appartient le droit d'attache, essentiel à la chose, c'est au seul nom du Roi que l'apposition doit en être faite et que toute formalité sine qua non doit être préalablement remplie ! Toute publication qui ne se montrerait pas d'abord pourvue de ce caractère identique, toute publication qui ne nous parviendrait pas au nom de cet auguste organe serait, d'après toutes les lois fondamentales de notre ordre civil et même ecclésiastique, subreptice et criminelle à tous les yeux... C'est donc le Roi qui a dû publier le bref qu'il a reçu et ce ne sont plus les évêques qui ont dû publier celui qui leur a été adressé. Les évêques n'ont pu ni dû se permettre d'anticiper sur la volonté du monarque, sur les prérogatives sacrées et bien moins encore, s'il est possible, sur les sages formalités que l'ordre public exige et qu'il a toujours consacrées...[8]

Ce ne sont pas là des excuses en l'air. Cet appel aux libertés gallicanes, cette revendication des droits du roi, sont l'expression timide mais sincère des sentiments de déception et d'irritation qu'avait causés parmi les évêques le bref du 10 mars. L'auteur de la brochure anonyme était bien renseigné. Les documents du ministère des Affaires étrangères confirment ses explications. Montmorin écrivait à Bernis le 29 mars :

... Monsieur le Nonce instruira sans doute Sa Sainteté des motifs qui ont jusqu'ici empêché que les Évêques à qui elle a répondu publiassent son bref. Ce n'est que sur les lieux qu'on peut juger de l'effet que cette pièce produirait si elle venait à la connaissance du public...

 

En gardant le bref secret les évêques secondaient donc la politique de conciliation du gouvernement français. Jusqu'au bout, leur patriotisme et leur charité leur suggéraient la résistance à l'intrigue ultramontaine.

Nous ne faisons pas ici une hypothèse gratuite. Sans doute, les dépêches du nonce, qui seraient très intéressantes à connaître, nous manquent pour cette période[9]. Mais les autres témoignages sont plus que suffisants.

L'ambassadeur de Venise à Paris note, dès le 28 mars, c'est-à-dire au lendemain même de l'arrivée du bref, le mécontentement et l'irritation des évêques qui, d'après lui, s'efforcent de trouver dans l'arsenal des libertés gallicanes le moyen d'éluder les ordres de Rome quand ils estiment que ces ordres ne conviennent pas aux circonstances[10].

La correspondance de l'abbé de Salmon avec Zelada est remplie de plaintes am ères contre le peu de docilité des prélats et contre leur mollesse à combattre la Révolution.

Mais nous n'avons pas besoin pour connaître les véritables sentiments de l'épiscopat de recourir à des témoignages extérieurs, ses actes et ses écrits parlent assez haut.

C'est la mort dans Mme que la plupart des évêques députés s'étaient vus dans l'obligation de refuser le serment. Ils hésitèrent jusqu'à la dernière minute. En leur nom, l'évêque de Clermont proposa une formule de conciliation qui leur aurait permis de gagner du temps si elle avait été adoptée. Les aristocrates se réjouirent que cette formule eût été repoussée par l'Assemblée, tellement il la trouvaient dangereuse.

Beaucoup qui refusèrent le serment espéraient que leur refus ne serait que provisoire. Certains même avaient failli le prêter. Il paraît que Seignelay Colbert, évêque de Rodez, prélat d'une conduite irréprochable, mais d'un caractère faible, avait été tenté de se joindre aux évêques constitutionnels. Il allait prêter serment lorsqu'il en fut empêché au dernier moment par l'abbé Malzieu, son collègue à l'Assemblée nationale[11]. D'autres, pour ne pas avoir à se prononcer immédiatement, quittaient la France afin de prolonger de deux mois l'échéance fatale, tel l'évêque de Tarbes, Gain de Montaignac, qui passa en Espagne[12].

L'évêque corse de Mariana, avant de prendre une décision, faisait le voyage de Rome pour demander des instructions à Bernis. Ses collègues de l'île l'avaient chargé de sonder le terrain pour savoir s'il n'y aurait pas moyen de concilier par rapport à l'Église de Corse les décrets de l'Assemblée nationale avec les anciennes règles[13].

Beaucoup répudiaient hautement toute solidarité avec les ennemis de la Révolution et refusaient d'admettre que l'Assemblée eût été animée par la haine de la religion : Je déclare hautement, écrivait l'évêque de Langres au procureur général syndic de la Haute-Marne, le 19 janvier 1791, que je respecte les intentions de l'Assemblée nationale. Le titre seul de constitution civile qu'elle a mis à la tête de ses décrets sur le clergé montre qu'elle n'a point eu la volonté de statuer sur des objets spirituels ; elle l'a d'ailleurs si solennellement déclaré qu'il serait injuste d'en douter ; il s'agit de savoir non ce qu'elle a voulu, mais ce qu'elle a fait...[14] L'archevêque d'Auch disait encore le 9 mai 1791 : A Dieu ne plaise que j'accuse le corps entier des représentants dé ce projet impie (de détruire la religion) ; il est vrai que le plus grand nombre le favorise, mais c'est sans s'en apercevoir, et contre ses intentions ; il est séduit par quelques fourbes[15].

Ceux-là restaient prévenants et polis à l'égard des autorités nouvelles et semblaient leur promettre une soumission prochaine. L'archevêque de Besançon, M. de Durfort, s'excusait auprès du président du département du Doubs de n'avoir pas encore pu prêter le serment à la constitution civile du clergé, mais renouvelait en attendant son serment civique. Sa lettre est d'un accent qui ne trompe pas : J'avais espéré, Monsieur le président, que le courrier de Paris nous aurait annoncé ce matin l'arrivée d'une réponse du chef de l'Église, après laquelle soupire l'Église gallicane, pour pouvoir lever tous les doutes qui ont empêché jusqu'à ce jour les évêques de France de concourir à l'exécution de la constitution prétendue civile du clergé. Frustré de cette douce espérance, je ne puis assez vous témoigner mes vifs regrets de me trouver dans l'impuissance de prendre sur moi toutes les suites qui pourraient résulter de l'émission d'un serment en matière qui intéresse l'autorité de juridiction spirituelle de notre Saint-Père le pape sur toute l'Église, avant d'avoir reçu sa réponse déjà provoquée par le roi, à la sollicitation des évêques députés à l'Assemblée nationale. J'ai été des premiers à émettre le serment civique que l'Assemblée avait exigé de tout bon citoyen et je me flatte, Monsieur le président, que vous ne l'ignorez pas...[16]

On s'explique, quand on lit de tels documents, la mauvaise humeur que causa parmi les évêques le bref du 10 mars. Il n'est pas vraisemblable que certains d'entre eux aient participé à la rédaction des instructions destinées à M. de Ségur, notre nouvel ambassadeur à Rome, comme ils avaient autrefois participé à la rédaction des compromis envoyés à Bernis. Les circonstances étaient trop différentes. La guerre religieuse déjà commencée leur commandait la réserve. Mais il est certain, à mon sens, qu'ils ont connu ces instructions, que Montmorin leur en a parlé et qu'ils ont secondé sa politique.

Les historiens ultramontains ont laissé dans l'ombre la réponse qu'ils firent au bref du pape. La pièce témoignait trop contre leur thèse pour qu'ils aient commis l'imprudence de la faire connaître à leurs lecteurs, mais elle est trop à l'honneur de l'ancien épiscopat pour qu'il ne soit pas indispensable d'en donner un aperçu.

Après les protestations obligées de fidélité au Saint-Siège et de respect pour ses décisions, ils rappellent que depuis longtemps les fidèles, inquiets, étonnés, attendaient une décision du Souverain Pontife et ce rappel renferme déjà un blâme indirect. Puis ils se défendent contre le reproche qui a pu leur être fait d'avoir cru que la constitution civile pouvait être baptisée. Ils déclarent qu'ils ont ignoré les brefs du 10 juillet. Ils ajoutent qu'ils ont ignoré les articles que le roi fit proposer au pape et ici le souci de leur défense les conduit un peu loin, car ces articles avaient été l'œuvre de plusieurs d'entre eux. Rétablissant le sens exact de leur Exposition des principes, nous désirions, disent-ils, faire tout ce que la religion ne nous défendait pas. S'il ne manquait que les formes canoniques à quelques articles établis par les décrets, nous désirions que les formes canoniques pussent être remplies ; si, dans quelques articles, les difficultés tombaient sur les moyens et non sur les objets, nous cherchions les rapprochements qui pouvaient répondre au vœu de la puissance civile. Ayant ainsi revendiqué hautement la responsabilité de leur tactique de conciliation dans les choses religieuses, ils justifiaient ensuite leur conduite politique dans l'Assemblée et ils étaient amenés à répondre directement au bref du 10 mars : Nous avons distingué les pouvoirs que nous exercions comme citoyens, dans une Assemblée nationale, et les devoirs que nous avions à remplir comme évêques. Nous n'avons point associé nos sentiments religieux et nos opinions politiques. Et, avec une grande élévation, ils dressaient contre le pape une profession de foi nettement libérale :

A Dieu ne plaise que, citoyens infidèles au bien de la patrie, nous ayons adopté les principes qui peuvent altérer l'obéissance due à l'autorité royale, qui fait régner les lois ! Mais il n'était point dans notre pensée de favoriser un pouvoir arbitraire, qu'un roi, plus vertueux que son siècle, a su dédaigner lui-même. Nous avons désiré d'établir le véritable empire de la liberté publique, dans une monarchie héréditaire, et nous avons reconnu sans peine cette égalité naturelle qui n'exclut aucun citoyen des places auxquelles la providence l'appelle par la voie de ses talents et de ses vertus. On peut étendre ou restreindre l'égalité politique, selon les différentes formes des gouvernements ; et nous avons cru que nos opinions étaient libres, ainsi que celles de tous les citoyens, sur ces questions plus ou moins étendues, que Dieu lui-même annonce comme livrées à la dispute des hommes[17].

 

Avec non moins de fermeté qu'ils se faisaient gloire de leur libéralisme en politique, ils prenaient longuement la défense de la liberté de conscience et de la tolérance : L'Église, affirmaient-ils, ne peut contraindre à rentrer dans son sein, par la crainte des peines canoniques, que ceux qui furent marqués du sceau des enfants de l'Église. D'où il suivait que la déclaration des droits, tant vilipendée par le pape, leur paraissait justifiée : C'est dans l'ordre des choses spirituelles que l'Église n'admet point et ne peut point admettre la tolérance. C'est dans la hiérarchie de son gouvernement, institué par Jésus-Christ, qu'elle ne peut pas introduire l'égalité des rangs et des pouvoirs.... Mais ce n'est pas comme évêques que nous avions le droit ou l'intérêt de régler les choses de la terre. Ce n'est point en vertu de notre ministère qu'il nous appartient de discuter les droits, les formes et les différences des gouvernements. Et, après avoir posé contre le pape les bornes de la puissance ecclésiastique et de la puissance civile, distingué leur rôle d'évêques et leurs fonctions de députés, ils avaient soin de déclarer que leur refus de coopérer aux décrets provenait seulement du manque des formes canoniques : Ce n'est pas enfin la circonscription nouvelle des métropoles et des diocèses qui nous a paru le principal objet de nos réclamations. Nous avons surtout réclamé le recours aux formes canoniques... à ces formes canoniques que le pape pouvait leur procurer et que Boisgelin avait réclamées en leur nom ! S'emparant enfin du mot de conciliation que le pape avait jeté comme par acquit de conscience à la fin de son bref, ils s'empressaient, dans une dernière prière d'une belle envolée, de manifester hautement leur amour de la paix et de proposer un moyen décisif pour l'obtenir.

Ils rappelaient leur conduite lors de la confiscation de leurs biens : Quand l'arrêt a été porté qui nous dépouille de tous nos biens, notre silence a bien fait voir à quel point nous étions inaccessibles par nous-mêmes à tous les intérêts temporels dont la jouissance avait attiré sur nous la haine et l'envie. N'était-ce pas exprimer le regret que le pape n'ait eu le bon esprit d'imiter leur silence ? Ils ne voulaient pas qu'on pût dire que le pape s'était fait leur organe : Votre voix, Très Saint Père, est la seule qui se soit fait entendre au milieu des pertes de l'Église gallicane ; mais Votre Sainteté ne fut point instruite par nos plaintes. Ils avaient fait ce sacrifice de bon cœur, ils se disaient prêts, pour faire cesser les divisions et empêcher le schisme, à en faire un bien plus considérable encore, dans l'intérêt de la patrie qu'ils ne séparent pas de l'intérêt de la religion : Oh ! s'il est des moyens de conciliation et si nous ne les saisissons pas avec empressement, nous commettons envers la religion et la patrie une sorte de délit inconcevable, celui qui consiste dans la plus sensible contradiction avec nous-mêmes. Que n'avons-nous point fait pour la patrie dont nous avons soutenu les rigueurs avec tant de calme et de courage ? Quel est celui de nous dont les discours aient excité les murmures et les soulèvements ?... Mais les moyens de conciliation, ils les ont proposés. Ils consistent dans le recours au Saint-Siège pour instituer les nouveaux évêques et ériger les nouveaux diocèses. Il s'agit de ces droits du chef de l'Église qu'il exerce depuis si longtemps dans toutes les Églises catholiques. Pouvions-nous mettre son poids dans la balance pour abaisser le pouvoir de Votre Sainteté ? Était-ce à nous, quand ses dispositions nous étaient connues par les sacrifices qu'elle avait faits, à la détourner des sacrifices qu'elle pouvait faire encore à la tranquillité de l'Église gallicane ? C'était fort habilement rejeter toutes les responsabilités sur Rome. Longuement ils détaillaient les expédients dont ils s'étaient avisés pour ajuster la constitution civile aux canons de l'Église. Puisque tous les expédients avaient échoué, puisque le schisme était déchaîné ils feraient jusqu'au bout leur devoir de bons Français et de bons catholiques. Nous courons une noble carrière, celle de l'adversité ; nous l'avons envisagée dans toute son étendue, et nous n'avons pas commencé notre course pour nous arrêter avant le terme. Peut-on croire que ce soit un intérêt pour nous de conserver un ministère qu'on croit suspect à la patrie et dont nous ne pouvons plus exercer les fonctions que dans cette ombre et ces ténèbres qui semblent réservées à l'action des fautes et des délits ?... La plus rigoureuse des lois que la religion puisse nous imposer est celle de conserver nos places. Nous n'avons pas cru pouvoir les quitter, quand il fallait livrer nos églises à ces changements irréguliers qu'aucune forme canonique n'avait légitimés ; quand le silence forcé de l'Église gallicane ne laissait entendre d'autre voix que celle de chaque évêque dans l'enceinte de son diocèse ; quand nous avions demandé le recours au Saint-Siège et quand nous devions attendre sa décision. Ce que nous avons fait pour attendre que l'Église parle par son chef, ne doit pas être un obstacle à son jugement. Et ils déclaraient remettre au pape leurs démissions, non pas ces démissions forcées auxquelles ils n'avaient point consenti, mais leurs libres et volontaires démissions... afin que rien ne puisse plus s'opposer au rétablissement de la paix dans l'Église gallicane.

On contestera peut-être la sincérité de cette offre solennelle de démission générale. Geste sans portée, dira-t-on, vaine manifestation théâtrale, cap ils mettaient à leur démission des conditions impossibles à remplir : Que les principes soient conservés, que les pouvoirs de l'Église sur l'institution de ses ministres soient respectés et maintenus et qu'une mission canonique puisse leur donner des successeurs légitimes ! Il n'y avait pas d'apparence, en effet, que la Constituante pût maintenant reconnaître les pouvoirs de l'Église et demander au pape pour les nouveaux évêques une mission canonique. Et je n'oublie pas que plusieurs de ces mêmes évêques qui offrent en 1791 allègrement leur démission au Saint-Siège, la refuseront en 1802, quand le Saint-Siège la leur réclamera.

Il n'en est pas moins vrai qu'un pape qui aurait désiré la conciliation, qu'un pape qui aurait été moins préoccupé de ses intérêts propres et surtout moins prompt à prendre en mains la cause de l'absolutisme, aurait trouvé dans les déclarations répétées des évêques de France toutes les ressources nécessaires pour aplanir les difficultés et empêcher le schisme. Même après l'élection des nouveaux évêques, il y avait place à des compromis. Les évêques constitutionnels se disaient prêts à se retirer devant leurs prédécesseurs et ceux-ci parlaient de les conserver comme coadjuteurs.

Si le schisme s'est produit, si le schisme a duré, c'est de toute évidence que le pape l'a voulu.

Pie VI, admirablement renseigné sur les affaires de France, connaissait les sentiments des évêques députés. Leurs lenteurs à publier son bref, l'appui indirect qu'ils prêtaient au gouvernement français pouvaient lui faire craindre sinon une désobéissance et une défection — les choses étaient déjà trop avancées — du moins une sorte de désaveu. Il s'en émut et résolut de brusquer les événements. Alors que les évêques de France délibéraient encore sur l'attitude à prendre à l'égard de son bref du 10 mars, il en lançait un autre qui leur coupait toute retraite en les plaçant devant le fait accompli. Le 10 mars, il n'avait prononcé qu'une condamnation théorique de la constitution civile du clergé ; le 13 avril, il donnait un délai de 40 jours aux prêtres jureurs pour se rétracter sous peine de suspension et il interdisait aux fidèles d'avoir avec eux aucun rapport, surtout in divinis.

Avec plus de violence encore que le 10 mars, il dénonçait la guerre impie que les novateurs philosophes, en majorité, à l'en croire, à la Constituante, avaient déclarée à la religion catholique. La constitution civile du clergé, disait-il, avait été fabriquée dans le dessein d'abolir entièrement le catholicisme. Il expliquait qu'il s'était décidé à user de ses foudres quand il avait appris le sacre des premiers évêques constitutionnels par Talleyrand aidé de Gobel et de Miroudot.

Le nonce remit le nouveau bref à Montmorin le 2 mai. Montmorin refusa de le communiquer au roi sous prétexte qu'il n'en avait pas eu régulièrement connaissance. Le nonce lui notifiait en même temps la décision du pape de ne pas recevoir M. de Ségur, nommé en remplacement de Bernis, pour cette raison que M. de Ségur avait prêté le serment civique. Montmorin répondit au nonce le lendemain que si le pape refusait de recevoir M. de Ségur, le roi serait forcé pour conserver la dignité de sa couronne s de renvoyer le nonce. A cette communication, le nonce répondit qu'il allait en référer à sa Cour. La rupture des relations diplomatiques était imminente.

Les évêques de l'Assemblée, qui avaient gardé secret le bref du 10 mars, se décidèrent alors à le publier. Leur dernier espoir de conciliation s'évanouissait. Ils laissèrent du moins au pape la responsabilité des conséquences en faisant paraître leur réponse, qui était une défense habile mais platonique.

Montmorin avait tiré la morale de la conduite du pape. Il écrivait le 3 mai à Bernard qui faisait fonctions de chargé d'affaires à Rome depuis le rappel de Bernis :

On met à Rome bien de la précipitation dans la conduite qu'on tient avec nous, après avoir mis bien de la lenteur à nous répondre lorsque nous l'avons demandé avec instance. Ces deux systèmes de conduite sont aussi contradictoires que dangereux et je crains bien qu'on ne parvienne ainsi à rendre impossible tout moyen de conciliation. On est bien mal informé à Rome de ce qui se passe en France. Il faut que l'état des choses y soit présenté d'une manière bien fausse si l'on espère tirer quelque fruit de la conduite qu'on a adoptée et qu'on parait vouloir continuer. Je doute que les Évêques les plus religieux et les plus éclairées l'approuvent...[18]

 

Montmorin se trompait quant il croyait le pape mal informé. C'était à bon escient que Pie VI, suivant les conseils de Florida-Blanca, avait pris la tête du mouvement contre-révolutionnaire. L'attitude de Louis XVI qui jetait un blâme direct sur la constitution civile du clergé en n'admettant que des prêtres réfractaires dans sa chapelle, le départ de Mesdames pour Rome, les menaces du roi de Suède Gustave III contre les jacobins, les troubles graves qui éclataient en France un peu partout, ces symptômes d'une réaction prochaine étaient bien faits pour le maintenir dans ses résolutions belliqueuses.

 

II

L'offensive pontificale se dessinait de toutes parts aussi bien dans le domaine temporel que dans le spirituel. Le 23 avril 1791, dans un, long bref indigné, Pie VI sollicitait l'appui des souverains contre ses sujets rebelles d'Avignon et du Comtat et menaçait ceux-ci de ses vengeances[19].

Un instant, en février 1791, on avait pu croire qu'Avignon et Carpentras allaient déposer leurs vieilles inimitiés pour organiser de concert leur commune réunion à la France. Avignon avait convoqué toutes les communes du Comtat Venaissin à se faire représenter à une assemblée électorale qui formerait le nouveau département de Vaucluse. Sur les instances du chevalier de Saint-Louis Corbeau et de l'abbé Trie[20], Carpentras avait consenti à se faire représenter à cette assemblée qui devait d'abord se réunir à Vaucluse, mais qui finit par siéger à Avignon. La réconciliation dura peu. Carpentras, craignant qu'Avignon ne fût choisi comme chef-lieu du département en formation, rappela ses députés vers le milieu de mars. La guerre civile recommença presque aussitôt. Les partisans du pape, à la voix d'un noble de Valréas, d'Autane, décidaient de se confédérer à la fin de février[21] et formaient en mars l'Union de Sainte-Cécile qui se dressait contre l'assemblée électorale de Vaucluse comme un pouvoir rival. L'Union de Sainte-Cécile réunissait tous ceux qui regrettaient l'ancienne domination papale et tous ceux qui préféraient l'indépendance à la réunion à la France. Parmi ces derniers figurait le baron de Sainte-Croix qui organisa les milices de la nouvelle fédération.

Les révolutionnaires d'Avignon unis jusque-là commençaient à se diviser. La municipalité où dominaient les riches négociants Richard et Audiffred, s'effrayait du désordre des finances et de la stagnation des affaires. L'Assemblée électorale, conduite par Duprat, Lescuyer, Mainvielle, Jourdan, s'appuyait sur le peuple ouvrier et paysan et réclamait des mesures révolutionnaires, taxes sur les riches, confiscation des biens d'Église, des biens des émigrés. Ces divisions, qui commençaient à transpirer, facilitaient les progrès de l'Union de Sainte-Cécile qui comprit bientôt en avril 68 communes sur les 95 environ qui formaient le Comtat[22]. Enhardie par ce succès, l'Union essaya de contraindre par la force les communes fédérées avec Avignon à rentrer sous son administration. Ses milices commandées par le baron de Sainte-Croix, dans la nuit du 13 au 14 avril, s'emparèrent de Vaison et y massacrèrent dans leur domicile le maire patriote. La Villasse et son secrétaire Anselme. Ce fut le signal d'une affreuse guerre civile. Les Avignonnais levèrent une armée de plusieurs milliers d'hommes, s'emparèrent de Monteux, du château de Tourreau, de Sarrians, qu'ils pillèrent, et mirent le siège devant Carpentras, levant des contributions de guerre sur les campagnes environnantes.

La nouvelle du siège de Carpentras parvint à Paris vers le 25 avril, juste au moment où le bref du 10 mars allait enfin être publié.

Les chefs jacobins, qui connaissaient certainement le bref et qui ne voyaient le salut que dans une contre-offensive énergique, furent d'avis de profiter des circonstances pour faire décréter la réunion d'Avignon. Mais, à cette date, les jacobins n'avaient plus la majorité à la Constituante. A leur droite s'était détaché un groupe important qui avait son centre au Club de 1789 récemment fondé par les amis de La Fayette et dont les principaux chefs étaient Sieyès, Talleyrand, La Tour-Maubourg, La Rochefoucauld-Liancourt. Ces révolutionnaires modérés avaient été effrayés par la résistance du clergé. Leur chef La Fayette était circonvenu par sa femme, protectrice attitrée des prêtres réfractaires et des bonnes sœurs[23]. N'ayant pas renoncé à tout espoir d'un accord final avec Rome, ils avaient émoussé dans la main des Constituants les armes législatives forgées depuis la loi du serment. Leur représentant à la Commune de Paris, Cahier de Gerville, dans un arrêté retentissant, venait de faire accorder aux réfractaires le droit d'ouvrir des églises distinctes, ce qui était la consécration du schisme, niais surtout une avance non déguisée aux prêtres romains[24]. Dans la discussion qui s'ouvrit le 25 avril sur les troubles d'Avignon et qui dura jusqu'au 5 mai, ils furent les arbitres de la situation.

Dès le 24 avril, le nonce avait remis à Montmorin une note où il ne se bornait pas à protester contre la réunion éventuelle d'Avignon, mais où il demandait le concours du gouvernement français pour y rétablir l'autorité légitime, seul moyen de mettre fin aux troubles[25].

Les aristocrates de l'Assemblée, Clermont-Lodève, Clermont-Tonnerre, Maury, Malouet, Cazalès portèrent à la tribune les demandes du nonce. L'Assemblée devait envoyer des troupes pour rétablir l'ordre et pour protéger les droits du Saint-Siège. Les aristocrates faisaient espérer à leurs collègues que le pape ne serait pas ingrat, qu'il ne pourrait que leur savoir gré de cet office protecteur[26].

Les jacobins, qui avaient pour eux les comités et leur rapporteur Menou, répliquaient que la France n'avait pas le droit d'intervenir dans les affaires intérieures d'un État voisin. Ils rappelaient que la première tentative d'intervention avait mal tourné, qu'il avait fallu rappeler les troupes. Ils accusaient les aristocrates de ne demander l'envoi de nouvelles troupes que pour empêcher Avignon, la ville patriote, de châtier Carpentras, la cité pontificale. Ils démontraient longuement, en invoquant l'histoire et les droits des peuples, que le Comtat et Avignon appartenaient à la France et ils concluaient que le seul moyen d'apaiser les troubles était de décréter leur réunion. A cette condition seulement la France aurait le droit d'intervenir à main armée. Ils concédaient qu'une indemnité convenable pourrait être négociée avec le Saint-Siège[27].

Les révolutionnaires modérés, les hommes du Club de 89, répondirent à la fois aux aristocrates et aux jacobins, mais surtout aux jacobins. Il n'était pas nécessaire, d'après eux, pour légitimer l'envoi des troupes dans les pays troublés, de proclamer leur annexion ni de mettre les troupes au service du pape. L'annexion n'était ni juste ni opportune. Le vœu des populations n'était rien moins que démontré. La réunion armerait toute l'Europe contre la France. Les souverains y verraient une agression, un acte d'apostolat révolutionnaire, dangereux pour leurs couronnes. Ils concluaient que les rapports de bon voisinage autorisaient la France à rétablir l'ordre. Il fallait envoyer des commissaires médiateurs appuyés d'une force suffisante pour faire respecter leurs décisions[28].

Le discours de Barnave fut la partie culminante du débat. La veille, La Rochefoucauld-Liancourt avait fait une vive impression en dénonçant les dangers que pouvait faire courir à la France une réunion prématurée d'Avignon et du Comtat. A mots couverts, i1 avait rappelé les intrigues des émigrés et des prêtres, les préludes de la croisade monarchique. Résolument, Barnave fonça sur l'objection. Il fit honte à l'Assemblée des terreurs qu'on avait voulu lui inspirer. Pour la première fois que le droit populaire et le droit monarchique allaient se mesurer, allait-on donner à l'Europe l'impression que la Révolution hésitait et tremblait ? Et, à quel moment ? Quand les foudres étaient lancées du Vatican : Eh bien, lorsque les puissances étrangères connaitront un décret qu'elles ne regarderont pas comme l'effet d'une ridicule terreur excitée par un prince dont la puissance séculière n'a jamais épouvanté personne, elles croiront que par les moyens d'un simple manifeste ou de quelque autre écrit semblable à un bref qui vient de paraître, vous abandonnerez tous vos droits : ce que vous aurez fait pour Avignon, on vous le demandera pour l'Alsace[29]. Barnave, ce jour-là, parlait en homme d'État. Il ne fut pas écouté. Par 487 voix contre 316, le projet des comités fut repoussé le lendemain, et le statu quo maintenu. Il y eut 67 abstentions. Le surie-demain, 5 mai, les modérés firent spécifier qu'en repoussant la veille l'annexion, l'Assemblée n'avait pas entendu se prononcer sur la légitimité ou la non-légitimité de cette mesure, mais que la question de droit restait entière[30].

Le mois ne s'était pas écoulé que l'éternelle discussion recommençait. Le 24 mai, Menou, au nom des comités, réclamait la réunion, non plus du Comtat cette fois, mais d'Avignon seulement. La proposition n'était plus repoussée que par 4 voix de majorité (374 contre 368). Le lendemain, un décret, voté sur la proposition de Tracy, décidait l'envoi à Avignon et dans le Comtat de trois commissaires médiateurs qui s'interposeraient pour ramener la tranquillité et consulteraient les populations sur leur vœu véritable. L'arrivée des médiateurs arrêta les progrès du parti papiste. L'Union de Sainte-Cécile fut dissoute. L'immense majorité des communes vota l'annexion à la France. La Constituante ratifia le vœu des habitants le 14 septembre 1791.

Le nonce n'était déjà plus à Paris quand les commissaires médiateurs furent envoyés dans le Comtat. Le mardi matin 3 mai, les patriotes brûlèrent au Palais-Royal un mannequin représentant Pie VI. Cette scène servit de prétexte au nonce pour provoquer la rupture des relations diplomatiques qui existait déjà virtuellement. Il demanda réparation de l'injure faite à son maitre. Comme la réparation tardait, il prit ses passeports pour se rendre à Aix-en-Savoie, le 24 mai[31].

La scène du Palais-Royal n'était pas encore connue à Rome que le pape ordonnait, le 14 mai, au gouverneur de Civita-Vecchia de conseiller au nouvel ambassadeur de France, M. de Ségur, de ne pas aller à Rome où il ne serait pas reçu[32].

La rupture diplomatique avait donc été voulue par la papauté et il semble que Montmorin ait été en droit de le constater dans une lettre qu'il adressait, le 2 août, à Bernard, secrétaire d'ambassade resté à Rome sans attache officielle : Sa Sainteté a coupé court d'une manière peu convenable à une négociation que nous regardions comme subsistant. Elle a fermé elle-même la porte à tout arrangement[33].

Le pape avait escompté le prompt succès de la contre-révolution. Il avait reçu en avril la visite des tantes de Louis XVI, Mesdames, auxquelles il fit une réception magnifique[34]. Il était probablement au courant des projets de fuite du roi. Peut-être quelques puissances ennemies de la France s'étaient-elles jointes à l'Espagne pour l'encourager dans la lutte[35]. Il pouvait d'ailleurs mesurer déjà les résultats de son offensive. L'épiscopat français, autrefois si indifférent ou si rebelle à ses commandements, s'était soumis, encore que d'assez mauvaise grâce, mais s'était soumis à ses directions. Ses brefs avaient porté. Une partie du clergé jureur s'était empressé de rétracter son serment. Les révolutionnaires, surpris d'une résistance à laquelle ils ne s'attendaient pas, s'étaient divisés. Leur politique incohérente et flottante montrait assez leur embarras et laissait le champ libre à toutes les espérances. Sans doute les prêtres et les fidèles étaient en guerre et la paix publique troublée, mais si la religion était compromise, la cause de la contre-révolution semblait en progrès. Quand il apprendra la fuite de Louis XVI à Varennes, Pie VI laissera déborder une joie enthousiaste. Ce qui lui importait d'abord, c'était de sauver les trônes. On réparerait ensuite les autels brisés.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Lettre de Montmorin à Mirabeau en date du 21 mars dans la Correspondance de Mirabeau avec La Marck, t. III, p. 103.

[2] La lettre par laquelle Montmorin avertit Ségur de sa nomination est du 29 mars, celle par laquelle il avertit Blondel du 22 avril.

[3] Arch. des Aff. étrangères, Rome, reg. 914.

[4] Ami du Roi, du 4 mai 1791, aux annonces.

[5] La Lettre des évêques députés à l'Assemblée nationale en réponse au bref du pape, est datée du 3 mai, mais Durand de Maillane, dans son Histoire apologétique, p. 332, dit qu'elle ne fut mise en vente devant la porte de l'Assemblée que le 7 juin.

[6] Une réponse aux Pourquoi les évêques n'ont-ils pas encore communiqué au public le bref qu'ils ont reçu du pape contre la Constitution civilo-presbytérienne proposée par la majorité de l'Assemblée au clergé et aux catholiques de France, 32 p. Bib. nat., Ld⁴ 3518. Voyez p. 5 et 8.

[7] Une réponse aux Pourquoi les évêques n'ont-ils pas encore communiqué au public le bref qu'ils ont reçu du pape contre la Constitution civilo-presbytérienne proposée par la majorité de l'Assemblée au clergé et aux catholiques de France, p. 8.

[8] Brochure citée, passim.

[9] M. l'abbé Sevestre, qui les a cherchées aux archives du Vatican, ne les a pas retrouvées. Elles existent cependant, puisque M. le vicomte de Richemont les a vues. D'après lui la dernière dépêche du nonce de Paris est du 30 mai 1791. Correspondance secrète de l'abbé de Salamon avec le cardinal de Zelada. Paris, 1898, p. XI, note 2.

[10] I dispacci degli ambasciatori Veneti alla carte di Francia durante la Rivoluzione, editi da Massimo Kovalewsky. Torino, 1895, t. I, p. 238.

[11] Abbé Sicard, Ancien clergé de France, t. II, p. 430, d'après Servières, Histoire de l'Église du Rouergue, 1875. Le fait est confirmé par Grégoire dans ses Mémoires.

[12] L. Dantin, François de Gain Montaignac, 1908, p. 56.

[13] Bernis à Montmorin, Rome, 12 janvier 1791. Bernis ajoute : N'ayant aucune instruction particulière concernant cette isle, j'ai dû me borner à remercier ce prélat de l'attention qu'il a eue pour le représentant du Roi, mais je n'ai pu lui donner aucun conseil relativement à l'objet de son voyage.

[14] Lettre de M. l'évêque de Langres à M. Becquey, procureur-général syndic du département de la Haute-Marne, p. 12. Bib. nat. Ld⁴ 3979. Comparez ce jugement avec celui du pape !

[15] Instructions de M. l'archevêque d'Auch à Messieurs les curés de son diocèse qui n'ont pas prêté le serment dans la Collection Barruet, t. XII, p. 51.

[16] Jules Sauzay. Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, 1867, t. I, p. 314-315.

[17] L'abbé Guillon, en reproduisant cette réponse des évêques dans sa Collection des brefs de Pie VI, ne peut s'empêcher de réfuter longuement le passage que nous avons cité. Il s'étonne douloureusement que les évêques français aient reconnu par un aveu solennel une assemblée nationale essentiellement investie de tous les pouvoirs dans un rassemblement d'hommes infidèles à tous les serments, à l'esprit de l'autorité qui les convoqua, à l'antique constitution d'une monarchie de quatorze siècles accoutumée à ne voir que Dieu seul au-dessus de son roi... (t. I, p. 353, note.)

[18] Rome, reg. 914.

[19] On trouvera ce bref dans la collection Guillon, déjà citée.

[20] D'après J. S. Rovère, Mémoire instructif sur les troubles d'Avignon et du Comtal Venaissin, 16 p., in-8° (Bib. nat. Lb³⁹ 4151), p. 8.

[21] Date donnée dans Passeri, t. I, p. 402.

[22] D'après l'État des villes et villages du Comtat fédérés ou conquis par Avignon, Bib. nat. Lk² 611. Voir aussi Note sur le projet de réunir Avignon et le Comtal Venaissin, 4 p., s. l. n. d. Bib. nat., Lb²⁹ 4904 ; Malouet, qui est favorable aux papistes, dit pourtant dans son discours du 2 mai 1791 que l'Union de Sainte-Cécile ne groupait que 52 communes.

[23] Mme de La Fayette avait refusé de recevoir Gobe qui avait demandé à lui présenter ses hommages. Il existe aux Archives nationales, dans la série F¹², plusieurs lettres qu'elle adressa au Ministre de l'Intérieur pour prendre la défense ces sœurs persécutées pour cause de religion.

[24] L'arrêté du 11 avril 1791 qui sera bientôt transformé en loi le 7 mai 1791. Les jacobins imputeront à cet arrêté tous les malheurs de la guerre civile.

[25] Rome, reg. 914.

[26] Expressions de Clermont-Lodève dans son discours du 28 avril. Moniteur.

[27] Cette thèse fut soutenue en entier ou partiellement par Menou, Robespierre, Prieur, Petion, Jessé, Buzot, Camus, Merlin (de Douai), Ch. Lameth.

[28] Parlèrent en ce sens, Legrand, Tracy, La Rochefoucaud-Liancourt, La Tour-Maubourg, Duchâtelet, Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). — Barère évolua entre les deux partis patriotes et, durement rabroué par Camus, finit pas se rallier à la thèse jacobine.

[29] Moniteur, séance du 3 mai.

[30] Cette fois jacobins et modérés, La Tour-Maubourg et Bouche, Liancourt et Martineau tombèrent d'accord et se réunirent contre les aristocrates.

[31] Rome, reg. 914.

[32] Lettre analysée par G. Bourgin, La France et Rome de 1788 à 1797, Paris, 1909, n° 75. La résolution du pape de ne pas recevoir Ségur était déjà connue du consul de France, Vidau, à Civita-Vecchia, le 11 mai. Le même jour, le pape avait fait dire aux officiers de la maison de Ségur qu'il refusait de recevoir leur maitre. (Dépêche de Bernard en date du 11 mai. Rome, reg. 914).

[33] Rome, reg. 914.

[34] Voir dans G. Bourgin, les nombreuses lettres que le cardinal Zelada écrivit pour faciliter leur voyage dans les États romains.

[35] Le dépouillement des correspondances des ambassadeurs étrangers à Rome donnerait sans doute de curieuses révélations à ce sujet.