ROME ET LE CLERGÉ FRANÇAIS SOUS LA CONSTITUANTE

 

CHAPITRE IX. — LES PROPOSITIONS DU ROI AU PAPE.

 

 

I

Les sentiments de Pie VI à l'égard de l'œuvre religieuse de la Constituante sont connus. Ils n'avaient, avouons-le, rien que de fort naturel. Un pape, même moins orgueilleux et moins borné, n'aurait pu s'empêcher de ressentir vivement les atteintes portées à l'autorité qu'il représentait.

Mais autre chose était de s'indigner dans son cœur. autre chose de risquer de perdre le peu de prestige et de puissance qui lui restait encore en France, en engageant une lutte dont l'issue était pour le moins problématique.

Dans d'autres circonstances et en un autre pays, Pie VI s'était résigné à subir ce qu'il n'avait pu éviter. Le temps n'était pas bien loin où il avait accordé à une impératrice schismatique des tolérances et des régularisations sensiblement analogues à celles que le roi de 'France allait justement lui demander au nom de son clergé et de l'Assemblée nationale.

De sa seule autorité, la grande Catherine avait créé, en 1774, le siège épiscopal de Mohilev et en avait étendu la juridiction sur tous les catholiques latins de son empire. De sa seule autorité, elle avait pourvu ce siège d'un titulaire, l'évêque in partibus de Mallo, personnage assez suspect au Saint-Siège, et fait défense é l'évêque polonais de Livonie de s'immiscer dans la partie de son diocèse annexée à la Russie[1]. En présence de ces scandaleux empiétements de le puissance civile, Pie VI n'avait pas osé soulever de conflit. Il s'était résigné à régulariser, tant bien que mal, plutôt mal que bien, les entreprises anti-canoniques de la tzarine et — chose à noter — il avait employé pour cette régularisation précisément le même procédé des délégations auquel les évêques de France lui conseilleront de recourir pour baptiser la constitution civile du clergé. Le nonce Garampi avait obtenu des évêques de Vilna, de Livonie et de Smolensk qu'ils délégueraient une partie de leur juridiction à l'évêque de Mohilev[2]. Encouragée par ce premier succès, Catherine II était même allée plus loin. Elle s'était attribué le droit de nommer directement les évêques catholiques de son empire sans recourir à Rome[3]. Pie VI, il est vrai, fit des représentations mais il leur donna la forme d'une humble prière[4]. Il alla jusqu'à accepter de supprimer dans la formule du serment des évêques russes la promesse de combattre les hérétiques et les schismatiques[5].

Quelle apparence que ce même pape userait à l'égard de la grande nation catholique d'une moindre charité ou d'une moindre prudence qu'à l'égard d'une souveraine schismatique ?

Mais, dans les affaires russes, des intérêts spirituels étaient seuls en jeu tandis que dans les affaires de France le temporel et le spirituel étaient intimement mêlés. Il est permis de croire que c'est précisément de cette confusion que sortit tout le mal[6].

 

II

En avril et mai 1790, Pie VI est tout à la paix. Ce qui le préoccupe alors, c'est moins la ruine des ordres religieux en France que la rébellion de ses propres sujets.

Sans les troubles d'Avignon, écrit Bernis, il serait fort tranquille, en implorant toujours la divine Providence pour ce qui concerne la France[7].

La droite de la Constituante vient pourtant de signer une protestation retentissante contre le décret du 13 avril qui avait refusé au catholicisme le privilège de religion d'État. L'occasion était belle pour le pape d'abriter ses propres griefs derrière les intérêts sacrés de la religion et de grouper ainsi à sa suite, par une offensive hardie, toute la France aristocrate. Les excitations ne lui manquaient pas[8] et pourtant Pie VI ne saisit pas l'occasion. Il garda le silence sur le décret du 13 avril et se borna à ordonner de vagues prières publiques et à publier le 15 mai, à son retour des Marais-Pontins, un jubilé pour les Quatre-Temps de la Pentecôte. Montmorin s'inquiéta un moment de ce jubilé, mais le pape s'empressa de le rassurer. Le jubilé serait limité aux seuls États romains. Ni les Français du Midi, ni, à plus forte raison, les Avignonnais et les Comtadins n'en obtiendraient la faveur[9].

Mais, coup sur coup, arrivent à Rome de désolantes nouvelles. Avignon a chassé le vice-légat et proclamé sa réunion à la France. La Constituante a voté les premiers articles, les plus importants, de la constitution civile du clergé.

Pour empêcher la France d'accepter l'offre des Avignonnais, comme pour faire rentrer ceux-ci dans l'obéissance, Pie VI n'avait à sa disposition que des il armes spirituelles, et justement la Constituante lui fournissait l'occasion de s'en servir. La tentation ' était trop forte pour qu'il y résistât.

Quand Avignon s'était révolté au temps de Louis XIV, ç'avait été par des concessions spirituelles qu'un de ses prédécesseurs avait payé le concours de la France indispensable pour faire cesser la révolte. De quel prix payer maintenant une nouvelle intervention française ? Offrir immédiatement de baptiser la constitution civile, sans prendre des garanties, sans faire sentir la valeur du service ainsi rendu ? C'eût été une maladresse insigne. La Constituante eût été capable d'enregistrer le sacrifice sans rien donner en échange. Et qu'aurait pensé le clergé gallican s'il avait vu le pape trafiquer si brutalement des intérêts religieux ? Le pape savait que la plupart des évêques députés à l'Assemblée comptaient sur son concours pour aplanir les difficultés d'application de la constitution civile. Le nonce le lui avait écrit[10], mais il pouvait douter encore que ces évêques fussent la majorité dans l'Église gallicane et il était plus habile, plus conforme aux traditions de la Cour romaine, de ne pas s'engager trop tôt, d'attendre, de négocier.

Pie VI pouvait croire qu'il avait tout à gagner à prendre son temps, à faire le difficile. S'il suspendait ses foudres sur la constitution civile, il retarderait peut-être le moment de son application, il donnerait au clergé français l'idée de la résistance et, en augmentant les embarras de la Constituante, il la rendrait peut-être plus traitable sur la question temporelle. Au reste, en mettant les choses au pire, qu'avait-il à risquer ? La France annexerait Avignon et le Comtat ? Mais Avignon s'administrait déjà en république et le Comtat ne conservait plus que les apparences de la soumission. L'autorité du pape serait compromise en France ? Mais pouvait-elle l'être davantage I Qu'on veuille bien y réfléchir ! L'application régulière de la constitution civile n'était-elle pas aussi dangereuse, plus dangereuse pour Rome qu'un schisme ? Le pape au fond avait beau jeu. Les évêques français, en s'engageant d'avance à se soumettre à sa décision, s'étaient mis à sa discrétion. Les choses peut-être auraient pris une autre tournure si la Constituante, mieux inspirée et plus confiante, avait autorisé la réunion du concile national que la majorité des évêques eût préféré au recours à Rome[11]. A défaut du concile, tout dépendait du pape. Puisqu'ils prenaient le pape pour arbitre, Ils étaient tenus d'accepter sa sentence, quelle qu'elle fût.

En se plaçant au seul point de vue de l'intérêt du Saint-Siège, la temporisation était la tactique indiquée. Ou bien l'Assemblée à son tour temporiserait, c'est-à-dire reviendrait en arrière, s'avouerait impuissante, ou bien elle paierait à son prix la paix romaine. Si elle perdait patience, si elle pressait le roi d'appliquer immédiatement son œuvre religieuse, elle mécontenterait infailliblement le haut clergé qu'elle jetterait ainsi de plus en plus dans les voies du Saint-Siège.

Le clergé français s'énerverait d'autant plus qu'il serait plus harcelé par l'Assemblée. Les malentendus s'aggraveraient. Assemblée et prélats feraient des fautes réciproques, peut-être irréparables. Il pourrait arriver ainsi que la seule temporisation eût pour conséquence de provoquer une rupture dont ni l'Assemblée ni les prélats ne voulaient à l'origine. Si on en venait là, on ne pourrait pas reprocher au pape d'avoir allumé la guerre civile, d'être l'auteur véritable du schisme, puisque guerre civile et schisme auraient déjà éclaté quand il ferait enfin connaître sa décision qui ne pourrait plus être alors qu'une condamnation. Il ne ferait en condamnant qu'enregistrer en apparence le fait accompli, qu'en prendre acte. Il aurait l'air de suivre le clergé français, de se dévouer aux seuls intérêts de l'Église, et pourtant, la rupture serait bien son œuvre puisqu'elle serait imputable à son inaction !

Que Pie VI, en ces mois de juin et de juillet 1790, ait fait tous ces calculs, qu'il ait mûrement décidé dès lors d'en venir, au besoin, jusqu'aux solutions extrêmes, qu'il ait clairement prévu et pesé toutes les conséquences de la politique volontairement équivoque qu'il va inaugurer, je ne le crois pas. ll Ire semble plutôt que les menaces qu'il brandit à ce moment sont des moyens d'intimidation, de simples artifices diplomatiques bien plus que les préludes d'un décisif ultimatum. C'est du moins l'impression que je recueille de l'étude des documents et des faits et que je voudrais faire partager à mes lecteurs.

Le 10 juillet, Pie VI écrivait au roi de France et aux deux archevêques de son Conseil des lettres confidentielles sur la portée réelle desquelles il me semble que les historiens n'ont pas toujours vu très clair.

A l'archevêque de Bordeaux, garde des sceaux, il déclarait, en quelques mots brefs, que la constitution civile du clergé était une œuvre schismatique. Si le roi la sanctionnait, le roi deviendrait lui-même schismatique. A cette déclaration aussi brève que catégorique le pape ajoutait la menace de proclamer schismatiques les nouveaux évêques, intrus les nouveaux pasteurs et de les priver de toute juridiction ecclésiastique.

A l'archevêque de Vienne, ministre de la feuille, il répétait, très brièvement aussi, que le schisme était fatal si le roi sanctionnait, car la constitution civile reposait sur une doctrine fausse et était d'ailleurs frappée de nullité comme émanant d'une autorité incompétente.

Au roi était naturellement adressée la lettre la plus longue et la plus importante. Le pape ne doutait pas de sa foi, de son attachement au centre de l'unité, mais il devait le prémunir contre les discours captieux par lesquels on abuserait de son amour pour les peuples et de son désir de réformes. L'amour paternel qu'il lui portait lui commandait de lui faire connaître en toute franchise et certitude que, s'il approuvait les décrets sur le clergé, il entraînerait la nation dans l'erreur, le royaume dans le schisme et peut-être dans la guerre civile. Le pape ne ferait rien pour provoquer cette guerre. Il ne se départirait pas des règles de la charité. Mais il ne pourrait oublier cependant ce qu'il devait à Dieu ! Comment pourrait-il laisser détruire par une assemblée politique la doctrine et la discipline de l'Église, mépriser les décisions des Pères et des conciles, renverser la hiérarchie, décréter sur l'élection des évêques, en un mot jeter à bas l'édifice de l'Église ?

Heureusement le roi avait la chance de posséder deux archevêques dans son conseil, l'un qui a consacré son épiscopat à repousser les assauts de l'Incrédulité[12], l'autre qui est très docte et particulièrement versé dans les matières qui touchent à la religion[13], qu'il les consulte ! Qu'il consulte tout ce qu'il y a dans le royaume de plus savant et de plus pieux ! Il y va de son salut éternel et du salut de son peuple. Louis XVI a déjà fait bien des sacrifices au bonheur de ses sujets, mais aux dépens jusqu'ici de sa propre couronne, ceux qu'on lui demande maintenant seraient aux dépens de Dieu et de l'Église dont il est le fils adné

Il semble que le pape aurait pu arrêter là ses admonestations et ses conseils s'il s'était seulement proposé de détourner Louis XVI de sanctionner la constitution civile du clergé.

Pourquoi terminait-il donc son bref par des considérations d'une nature toute différente qui jurent étrangement avec les objurgations solennelles du début ? Sa Sainteté, après ce grand effort, redescendait sur terre. Elle avait, disait-elle, d'autres chagrins que ceux qui lui donnait sa fonction spirituelle. Son principat temporel lui causait aussi des inquiétudes, d'amères douleurs. Le roi savait la révolte d'Avignon et l'offre faite par les révoltés de se donner à la nation française. Cette nation, Pie VI en avait la persuasion, n'accepterait jamais une pareille offre ! Le roi la repousserait de toute son âme ! Quelles conséquences n'aurait pas en effet une pareille violation du droit ? Si les provinces françaises, imitant un tel exemple, allaient se donner aux puissances voisines ! L'hypothèse n'avait rien d'invraisemblable avec les troubles qui bouleversaient le royaume. Que pourrait dire alors la nation française[14] ?

Les écrivains ultramontains invoquent d'ordinaire ; les trois documents dont je viens de donner la substance pour prouver que la constitution civile du clergé a été, dés le premier jour, condamnée sans appel et sans équivoque par le Souverain Pontife. Toute transaction, disent-ils, était impossible. C'était une chimère et une illusion que de tenter d'obtenir le baptême d'un enfant évidemment schismatique et hérétique à sa naissance. Pie VI n'aurait pu transiger, baptiser qu'en violant délibérément les règles fondamentales de l'Église. Aussi n'en a-t-il pas eu l'idée. Il n'a pas cherché à ruser, à équivoquer. Il a loyalement prévenu Louis XVI que sa sanction précipiterait le royaume dans la guerre civile. Ce n'est pas sa faute si Louis XVI, mal entouré, mal conseillé, n'a pas tenu compte de son avertissement solennel. Et Pie VI sort blanchi de l'aventure !

Il avait pris soin, d'ailleurs, de se blanchir lui-même. Quand il se décida si tardivement à taire connaître au clergé de France sa décision, il prit soin de répondre aux reproches de ceux — ils étaient nombreux — qui accusaient ses retards et qui imputaient justement le schisme à l'état d'incertitude où il avait tenu le clergé. Il rappela ses trois brefs du 10 juillet. Il ne voulait pas avouer qu'il avait hésité, varié. Mais l'excuse est inadmissible.

Si vraiment Pie VI estimait que la constitution civile du clergé était schismatique, son devoir étroit était de le dire très haut, afin de dissiper tous les doutes, afin d'être entendu et compris de tous. Pourquoi se borna-t-il à l'insinuer dans des lettres confidentielles ? Responsable de la foi, détenteur de la vérité, il devait tout faire pour empêcher les fidèles de s'égarer dans les sentiers de l'erreur et il les laissa neuf mois sans instructions !

Il a voulu ménager le roi de France, plaident ses apologistes. S'il ne s'est pas prononcé ouvertement, dit Ludovic Sciout[15], c'était bien par pure condescendance pour Louis XVI et ses conseillers qui s'étaient mis dans la tête que tout pourrait être sauvé si l'on gagnait du temps et laissaient les consciences dans l'incertitude. Le même Sciout donne cependant de la conduite du pape une autre explication, qu'il emprunte au pape lui-même, s'il avait gardé le silence. jusqu'alors, c'était pour ne pas exaspérer les révolutionnaires !

On nous permettra de trouver cette raison meilleure que le précédente. A cette date de juillet 1790, Pie VI se taisait, parce qu'il ne voulait pas exaspérer les révolutionnaires, autrement dit parce qu'il craignait que la Constituante ne fît un accueil favorable à la demande d'annexion des Avignonnais.

Si le pape, à cette date, avait été fermement décidé à condamner la constitution civile et à en rendre impossible l'application, le seul parti vraiment efficace qui s'offrait à lui eût été, cela n'est pas douteux, de parler ex cathedra. Un refus formel et public était seul capable de donner au roi et à ses conseillers le courage et la force nécessaires pour refuser à l'Assemblée leur concours. Un non possumus net et catégorique eût mis les Constituants en présence de difficultés qu'ils ne voulaient ou ne pouvaient pas connaître, en même temps qu'il eût tracé au clergé français une règle de conduite fixe et claire. C'eût été la loyauté, la droiture ! Telle eût été sans doute l'attitude du pape, s'il n'avait consulté que ses sentiments intimes, s'il n'avait obéi qu'aux obligations de sa charge spirituelle, s'il n'avait pas eu d'arrière-pensées.

Ces arrière-pensées, je ne les invente pas. Elles percent jusque dans ses lettres confidentielles. C'est à dessein qu'il les y a laissées transparaître. La fin de son bref à Louis XVI est capitale. Il vient d'adjurer le roi de songer à son salut et, tout d'un coup, il tourne court, il lui parle d'Avignon et c'est sur Avignon qu'il termine en gémissant.

Plus hardi et plus franc que le Conseil du roi, il lie aussi clairement que possible l'affaire spirituelle et l'affaire temporelle. C'est de front qu'il fait marcher les deux négociations. Huit jours ne se sont pas écoulés après sa lettre au roi qu'il fait remettre aux ministres de toutes les cours résidant à Rome un véhément mémoire sur la révolte d'Avignon. Ce mémoire se terminait par un appel direct au roi Très Chrétien, sur le concours duquel le pape comptait pour ne pas laisser impuni un atroce attentat[16].

Bernis, en transmettant le mémoire à Montmorin, précisait en ces termes significatifs les intentions pontificales :

Le pape attend de l'amitié du Roi pour le Saint-Père, de son amour pour la religion et la justice que. bien loin de favoriser la révolte des Avignonnais. Sa Majesté emploiera ses soins pour les faire rentrer dans l'obéissance et je suis persuadé qu'autant que les circonstances pourront le permettre, l'attente du Pape ne sera pas vaine[17].

 

Pie VI ne doutait pas que le roi ne liât, à son exemple, les deux négociations, tant cette liaison lui semblait sortir naturellement de la logique de la situation. Il ne cacha pas sa surprise et sans doute aussi son dépit quand il vit que le roi n'engageait la conversation que sur le spirituel[18].

On pensera peut-être maintenant que Louis XVI ut ses conseillers eurent des raisons sérieuses de ne pas prendre au tragique les objurgations pathétiques du pape dans ses brefs du 10 juillet.

Ces brefs menaçaient la France d'un schisme si la sanction royale était accordée à la constitution civile du clergé. Simple menace, simple intimidation ! Non seulement, Pie VI accepta d'examiner les propositions transactionnelles qui lui viendront du roi, mais de lui-même il prit l'initiative d'élargir la négociation et de lui-même encore il calma l'intransigeance de certains prélats français. L'un des plus fougueux, sans doute parce que son siège était supprimé, l'évêque de Saint-Pol de Léon lui avait écrit, le 28 juin, pour lui demander une ligne de conduite[19]. Dans sa réponse, datée du 4 août, Pie VI lui conseilla le calme et la prudence et, tout en lui donnant raison en théorie, se garda de prononcer une parole de nature à encourager la résistance des aristocrates[20].

S'il avait été résolu dès ce moment à faire à la constitution civile du clergé une opposition absolue, aurait-il pris ces précautions, conseillé cette prudence ?

Il a accepté de discuter les propositions de Louis XVI. Cela seul suffirait à montrer, à défaut d'autres preuves, qu'il n'était pas résolu du premier coup à proclamer que l'œuvre religieuse de la Constituante était inconciliable avec le catholicisme.

Il reste cependant aux ultramontains une ressource. Ils peuvent prétendre que le pape ne négocia que pour la forme, pour amuser Louis XVI et les évêques. Mais je me refuse à faire à Pie VI l'injure do no pas le prendre au sérieux.

 

III

Les ultramontains ont fait un crime aux archevêques de Bordeaux et de Vienne d'avoir tenu secrets les brefs du 10 juillet. Ne désarmant même pas devant la mort et ne se souvenant plus de ce qu'il écrivait lui-même en juillet 1790, l'ex-jésuite Augustin Barruel, qui n'en est pas à une contradiction près, consacra à Lefranc de Pompignan, dans son numéro de février 1791, un article nécrologique plein de fiel et d'injustice[21]. A l'entendre, l'archevêque de Vienne aurait vécu deux ans de trop : Trop bon pour soupçonner à quoi tendoient ceux qui ont abusé de sa faiblesse, il se laissa entraîner par ce parti qui le fit pour quinze ans président de l'Assemblée et qui lui valut ensuite le ministère de la feuille... Mais il ne sut que gémir et pleurer à la cour. Il avait peur qu'on ne sût aux Jacobins qu'il avoit pleuré sur les maux de l'Église. Il est mort pour avoir étouffé sa douleur... Par peur aussi il a gardé pour lui la lettre du pape : ... Elle en disoit assez pour décider notre opinion sur cette malheureuse constitution du clergé. La politique l'a tenue secrète, je reproche à cette politique les sermens de tous ceux que la manifestation du bref à M. de Pompignan en auroit détournés....[22]

L'archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, qui vivait encore au moment du Concordat, ne fut pas beaucoup mieux traité, tant s'en faut ! Réfugié à Londres après le 10 août, ses collègues émigrés affectèrent de le tenir à l'écart et lui multiplièrent les avanies et les affronts. Ayant écrit au pape, en 1794, pour lui demander la permission de se réfugier à Rome, le vieux Bernis l'en dissuada en lui disant qu'il y trouverait a des confrères qui lui feraient la mine[23].

En juillet 1798, les évêques réfugiés en Angleterre adressèrent au pape, alors prisonnier en France, une lettre collective pour lui exprimer leurs condoléances à l'occasion de ses malheurs. Ils ne soumirent pas la lettre à l'archevêque de Bordeaux et ne lui permirent pas de la signer. Celui-ci eut beau protester dans une longue lettre apologétique écrite à Dillon, archevêque de Narbonne, qui présidait les réunions des prélats réfugiés à Londres, Dillon lui répondit sèchement qu'il connaissait ses devoirs et qu'il avait le droit de choisir ceux avec lesquels, dans l'intimité et dans l'épanchement d'une confiance mutuelle, il désirait se concerter[24]. Louis XVIII se vit obligé de réprouver leur procédé et de les rappeler à la bienséance. Il fit dans sa lettre de blâme l'éloge de l'archevêque qui avoir fidèlement et courageusement servi le roi son frère pendant son ministère[25].

De nos jours les deux archevêques continuent d'être maltraités par les écrivains romains. Ludovic Sciout leur dit durement leur fait : Les deux archevêques, loin de se laisser décourager par la lettre de Pie VI, ne songèrent qu'à enfouir un document qui paraissait ruiner leurs espérances et recommencèrent de plus belle à proposer au pape de malheureuses combinaisons. L'entourage de Louis XVI jouait ainsi le jeu des constitutionnels, en donnant à leurs mensonges une apparence de vérité, sans que la situation du roi en fût améliorée. Plus tard, le clergé en voulut profondément à ces deux archevêques qui, en ne se servant point des lettres du pape, avaient mis la lumière sous le boisseau et secondé involontairement les artifices des constitutionnels[26].

Ces reproches, qui dissimulent mal une diversion calculée, sont on ne peut plus injustifiés. C'est en vain que les ultramontains s'efforcent de taire retomber sur les deux pauvres prélats la responsabilité des perfidies pontificales. Champion de Cicé et Lefranc de Pompignan n'avaient reçu comme le roi que des brefs confidentiels. Ils seraient allés contre toutes les règles, contre toutes les convenances en les livrant à la publicité sans l'aveu de leur auteur. Attachés qu'ils étaient aux libertés gallicanes, ils pouvaient penser que les brefs du pape n'avaient que la valeur de simples avis. Nous n'imaginâmes pas, écrivit plus tard Champion de Cicé, de donner la moindre publicité à des brefs secrets écrits à des ministres du Roi sur des objets traités dans son Conseil. Nous aurions manqué à nos devoirs formels et à nos serments ; nous aurions fourni des armes aux malintentionnés 3t spécialement aux ennemis de la religion, et nous aurions indirectement fait dévier le recours à l'autorité du Saint-Siège et la suspension de toute exécution des décrets[27]. Quoi qu'il en soit, quand le pape voudra parler haut, il le fera sans la permission du roi. S'il ne le fit pas à ce moment, c'est que, de toute évidence, il ne trouvait pas la chose opportune.

Ludovic Sciout a représenté Louis XVI hésitant sur le parti à prendre. Il n'appuie son dire d'aucun texte. Je crois qu'il est infiniment plus probable, au contraire, de penser que Louis XVI et son conseil partagèrent les espérances de la majorité de l'épiscopat, les espérances générales. Avec Boisgelin, avec La Tour du Pin, avec Barruel lui-même, ils s'imaginèrent qu'il était possible d'obtenir de Rome le baptême de la constitution civile[28].

Louis XVI s'efforçait alors d'étayer son autorité branlante de la popularité encore grande de La Fayette. La Fayette faisait figure de conseiller attitré, presque de protecteur. Il était chargé, à la fin de juin 1790, 1 d'une mission de confiance particulièrement délicate et qu'il n'accepta pas, il faut du moins le supposer,, sans quelque répugnance. II devait se concerter avec Mirabeau, son rival et son ennemi, pour essayer de diriger les évènements[29]. La Fayette accepta la mission et Mirabeau envoya aussitôt à la cour ses fameuses notes secrètes. C'est une chose remarquable que ces notes ne contiennent aucun conseil particulier sur la conduite que le roi devrait suivre à l'égard de l'acceptation de la constitution civile du clergé. Pour Mirabeau, et sans doute aussi pour La Fayette, la question religieuse, à cette date de juillet 1790, ne présentait aucune difficulté, ne demandait aucune attention spéciale.

Montmorin, très lié avec La Fayette, en coquetterie avec Mirabeau, ne devait pas penser autrement qu'eux. Il ne parait avoir joué cette fois qu'un rôle effacé. Il eut un entretien avec le nonce, le 10 mai, à la veille de l'ouverture de la discussion sur la constitution civile[30]. Il s'efforça, dans ses dépêches à Bernis, d'incliner le pape à la résignation, en lui dépeignant le cours irrésistible de la Révolution, le succès de la vente des biens nationaux[31], l'enthousiasme de la Fédération[32]. Il rassura vaguement Pie VI sur les intentions du roi et de l'Assemblée relativement à Avignon[33], mais il ne prononça pas à ce sujet le mot décisif qu'on attendait à Rome. On ne voit pas que son action ait été originale.

Un fait très grave nous est révélé par la correspondance du nonce. Le parti aristocrate poussait le roi à donner sa sanction immédiate aux décrets :

Quoique le comte de Montmorin m'ait constamment dit qu'on ne donnerait pas d'exécution au plan d'organisation du clergé, cependant il y a des gens qui insistent pour que Roi sanctionne ce plan aussitôt qu'il lui sera présenté. Un parti considérable pense que Sa Majesté doit agir ainsi afin de ne pas détruire d'un seul coup la preuve à alléguer un jour que Sa Majesté n'a jamais été libre de sa sanction. Cette vue, qui sera peut-être utile pour recouvrer avec le temps les droits de la souveraineté. ne peut être que fatale au Saint-Siège. Monseigneur l'archevêque d'Aix pense ainsi et fait tous ses efforts pour empêcher cette sanction[34].

 

Le calcul des aristocrates se comprend. Ils n'attendaient le salut que d'un coup de force. Toute solution qui brusquait les choses, qui empêchait les accords possibles, avait naturellement leurs préférences. Ils désiraient la rupture avec la papauté parce qu'ils appelaient de leurs vœux la guerre civile.

Louis XVI n'était pas encore, à cette date, décidé aux grands moyens. Il donna raison aux partisans de la conciliation, à Montmorin, à Boisgelin, mais il hésita plusieurs jours et perdit ainsi un temps précieux.

Les derniers articles de la constitution civile du clergé avaient été votés le 12 juillet. Quelques jours auparavant Montmorin avait une conversation avec le nonce que celui-ci rapporte ainsi dans sa dépêche du 14 juillet :

Le comte de Montmorin m'a répété que les formes canoniques et nécessaires seront observées. Le même ministre, à cette occasion. a voulu entrer en conversation avec moi sur divers articles qui composent ledit plan et a cherché amicalement à savoir quel était mon sentiment là-dessus. Mais plus il insistait, plus au contraire je lui répondais que j'étais dans la nécessité de mettre sous les yeux de Sa Sainteté les nouvelles décisions de l'Assemblée et de m'en rapporter à ce que le Saint-Père croirait devoir accorder ou de réfléchir à ce qui sera proposé[35].

 

Dans le conseil du roi, les uns auraient voulu que le roi n'acceptât pas immédiatement les décrets sur le clergé mais qu'il ouvrit d'abord des négociations avec le pape comme il avait fait à propos de l'affaire des annates[36]. D'autres firent valoir que les circonstances n'étaient pas les mêmes et qu'il fallait accepter d'abord, négocier ensuite. Ceux-ci eurent gain de cause. Il fut entendu que le roi donnerait immédiatement son acceptation, mais la ferait suivre de réserves concernant les moyens propres à assurer l'exécution des décrets.

Nous connaissons ce qui s'est passé par une dépêche du nonce en date du 20 juillet et par le récit que le garde des sceaux, Champion de Cicé, écrira plus tard à l'archevêque de Narbonne, Dillon.

Voici d'abord la dépêche du nonce :

On n'avait rien épargné les jours précédents pour faire en sorte, si la chose était possible, que le Roi dans cette occasion se réglât comme il l'avait fait au mois d'août précédent quand s'était traitée l'affaire des annates, mais il fut constamment répondu que les circonstances par trop terribles ne permettaient pas de se comporter comme Sa Majesté l'aurait certainement fait en une autre position ; de sorte que l'acceptation a été accordée, mais avec la réserve et la clause que Sa Majesté prendra les mesures nécessaires et convenables à l'exécution. Dans le Conseil du Roi quelques-uns ont insisté pour qu'à cette réserve tilt ajouté : de concert arec le Saint-Siège. Mais la majorité fut d'un avis contraire, attendu que l'Assemblée se serait certainement opposée à cette adjonction, alors que l'expression : les mesures nécessaires, portait évidemment le concours de l'autorité ecclésiastique[37].

 

Voici maintenant le récit de Champion de Cicé :

Les lumières et la vertu connues de M. l'archevêque de Vienne étaient bien capables de fixer mes doutes ; la conscience délicate de Sa Majesté accueillit la même opinion, et néanmoins il fut convenu entre nous et Sa Majesté qu'avant d'agir, M. de Vienne et moi consulterions quelques membres du clergé de l'Assemblée. Ce prélat se chargea d'en convoquer quelques-uns pour le lendemain chez moi, niais en petit nombre et le plus secrètement qu'il serait possible pour ne pas donner d'éveil aux malintentionnés.

Le lendemain, il se rendit chez moi et me prévint qu'il avait invité MM. les archevêques d'Aix et de Toulouse ainsi que M. l'abbé de Montesquiou, mais que ce dernier était parti pour la campagne le matin. Ces deux prélats arrivés, nous leur communiquâmes le rapport même lu au Conseil du Roi ou plutôt l'instruction destinée pour l'ambassadeur du Roi à Rome. C'était la manière la plus franche de les instruire complètement de la nature et des objets de la mesure proposée. Ces deux prélats l'approuvèrent formellement et la jugèrent la meilleure et même la seule que permissent les circonstances[38]...

 

Dès le 20 juillet, la décision du Conseil du roi était prise. Cette date est très importante. Le 20 juillet, les brefs du pape n'étaient pas encore arrivés à destination. Ils ne parviendront au nonce que le 23 juillet. Or, le 22 juillet, un acte irréparable avait été commis. Ce jour-là, le roi avait averti l'Assemblée qu'il acceptait le décret sur la constitution civile du clergé, mais qu'il en retardait la promulgation afin de prendre les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution[39]. Le roi, les archevêques du conseil eussent-ils voulu tenir compte des brefs du pape, qu'ils n'auraient pu le faire, leur parole était engagée.

Les faits sont ainsi établis dans cette dépêche du nonce en date du 26 juillet :

Au moment où vendredi passé (23 juillet), je recevais de Turin le courrier que vous savez, j'allais chez M. le comte de Montmorin pour lui faire part de la lettre que Sa Sainteté m'avait chargé de présenter à Sa Majesté et le prier de vouloir bien me procurer l'honneur d'une audience particulière pour remplir la susdite commission. Le ministre a désiré que je lui donne à lui ladite lettre du moment qu'il allait partir pour Saint-Cloud où se trouve actuellement la Cour et puisqu'il croyait nécessaire dans les circonstances d'éviter toute publicité. Je la lui ai donc remise entre les mains, ainsi que les autres lettres aux deux prélats ministres à qui elles étaient adressées. Je me suis bitte de faire parvenir les susdites lettres parce que je savais imminente l'acceptation du décret que vous savez, mais le matin même du jour que je recevais le courrier, l'acceptation du Roi avait été portée et lue à l'Assemblée[40].

 

Les ministres prirent d'autant moins au tragique les menaces romaines qu'ils étaient forts de l'approbation que le comité des évêques avait donnée aux propositions transactionnelles qu'ils s'apprêtaient à soumettre à Rome.

Que les prélats de l'Assemblée aient collaboré avec les deux archevêques du Conseil à la rédaction des instructions envoyées à Bernis, le 1er août, ce fait capital est affirmé, sans contestation possible, à la fois par Champion de Cicé, par Montmorin et par le nonce ; par Montmorin qui écrit à Bernis : Le Roi a chargé, Monseigneur, MM. les archevêques de Vienne et de Bordeaux de rédiger le mémoire que j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Éminence. Ces matières m'étant absolument étrangères, je ne peux que m'en rapporter entièrement à ce que deux prélats aussi éclairés et qui se sont eux-mêmes aidés des lumières d'autres évêques de l'Assemblée ont trouvé convenable dans les circonstances actuelles...[41] ; par le nonce, qui informe sa cour, le 26 juillet, que l'archevêque d'Aix, l'archevêque de Toulouse et l'évêque de Clermont, se faisant les interprètes d'une portion considérable du clergé de France, sont dans l'intention d'écrire au pape pour appuyer la démarche du roi. Le nonce ajoute :

Les deux premiers — l'archevêque d'Aix et l'archevêque de Toulouse — sont venus chez moi ces jours-ci et m'ont constamment répété que c'était une nécessité extrême que le Saint-Père daignât, seulement en manière de provisoire, pourvoir à cela, parce que tout retard rendrait la chose périlleuse par ses conséquences.

 

Nous savons, en effet, que Boisgelin ne se borna pas à faire cette démarche auprès du nonce et à collaborer avec les archevêques du Conseil à la rédaction des instructions envoyées à Bernis, mais qu'il écrivit personnellement au pape pour l'incliner à la modération. Il fit passer sa lettre pleine de sagesse et de lumière[42] par l'intermédiaire de Bernis, afin sans doute que celui-ci aussi pût profiter des conseils qu'elle renfermait.

La démarche de Boisgelin n'était pas une démarche isolée, n'engageant que lui-même. Le nonce écrivait le 1er août :

L'unique chose qu'il me reste à ajouter, c'est qu'un des plus respectables membres du clergé me disait avant-hier que les évêques députés à l'Assemblée et la plus grande partie de ceux qui résident dans leurs diocèses, selon lui, désirent vivement que Sa Sainteté seconde, de la manière qu'elle jugera la plus convenable, les sages et religieuses demandes de Sa Majesté, étant donné qu'un retard considérable pourrait produire des désordres graves.

 

Ce respectable membre du clergé, qui se portait ainsi garant auprès du nonce du désir presque unanime de conciliation de l'Église de France, n'était autre que l'évêque de Clermont, de Bonal, qui passait pour un des plus intransigeants parmi les évêques députés et pour un théologien de valeur.

Le prélat dont j'ai parlé au dernier paragraphe de ma dépêche du 4•' août, c'est M. l'évêque de Clermont : il m'a lui-même permis de citer son nom et de dire â Votre Éminence ce que je lui ai mandé sur son assertion[43].

 

Le nonce, la chose est visible, acceptait pour son compte le point de vue des évêques. Il souhaitait un accord qui retiendrait dans le giron de l'Église un royaume où depuis les premiers siècles s'est toujours maintenu florissant le catholicisme et dont la population forme presque le tiers de l'Église catholique[44]. Il craignait même, connaissant le gallicanisme prononcé des évêques, que si l'accord tardait à se faire, la constitution civile du clergé ne fût mise en vigueur de l'initiative des évêques eux-mêmes.

Pour parler franchement, je crains davantage le clergé que le ministère, non pas que dans le clergé il n'y ait pas nombre de personnes raisonnables dont les principes et le zèle peuvent inspirer confiance au Saint-Siège, mais parce qu'ô côté des deux tiers qui pensent peut-être de cette façon il y a un autre tiers qui ne pense pas de même. Dans cette situation, il est bien désirable que sur ce qui sera mis sous les yeux de Sa Sainteté on puisse trouver un moyen de conciliation pour éviter le mauvais exemple que quelques personnes peu favorables au Saint-Siège pourraient donner. Et en effet, je sais que quelques métropolitains sont d'avis qu'ils ont en eux-mêmes la faculté de pouvoir confirmer les nouveaux élus aux évêchés dépendant de leur métropole, bien que la majorité reconnaisse la nécessité précise que le nouvel élu soit confirmé par le pape ou que les métropolitains soient investis d'une faculté spéciale pour pouvoir les confirmer comme cela se pratiquait aux siècles passés[45].

 

Nous pouvons donc considérer comme acquis ce point dont on saisit toute l'importance. C'est dans l'ignorance des dispositions du Saint-Siège, c'est avec l'approbation active de la partie de l'épiscopat représentée à l'Assemblée, avec l'approbation tacite de la grande majorité du reste, que les archevêques-ministres ont décidé Louis XVI à accepter la constitution civile du clergé[46]. C'est avec la collaboration des plus influents des prélats qu'ont été rédigées les propositions transactionnelles soumises à l'agrément de Pie VI.

Nous voilà loin du roman des écrivains ultramontains, fidèlement suivis d'ailleurs par les écrivains libéraux 1 Mais il faut convenir que ce roman n'a pu être échafaudé à l'époque même que de la complicité des intéressés.

Quand la constitution civile fut définitivement condamnée, personne parmi les prélats ne voulut plus avouer qu'il s'était efforcé d'incliner le pape à en tolérer l'essai : Nous avons ignoré les brefs de Sa Sainteté, celui qu'elle avait adressé au roi comme ceux qu'ont reçus les archevêques de Vienne et de Bordeaux[47]. Cette excuse, qu'invoqueront les évêques députés dans leur réponse au bref du 10 mars 1791, renferme peut-être un fait matériellement exact. Il se peut que les deux archevêques aient gardé pour eux les brefs reçus le 23 juillet après l'acceptation royale. Ils ne voulurent pas refroidir le zèle conciliateur de leurs collègues. Mais il n'en reste pas moins que ceux-ci avaient manifesté leur volonté de concorde et s'étaient solidarisés avec le gouvernement de Louis XVI.

En négociant avec Pie VI le baptême provisoire de la constitution civile. Louis XVI avait derrière lui la partie influente de l'épiscopat. L'histoire ne doit pas l'oublier.

 

IV

En recourant au pape, Louis XVI n'entendait pas ouvrir une négociation sur le fond de l'œuvre de la Constituante. Il ne s'agissait pas d'en discuter et d'en modifier les bases. La négociation ne pouvait porter que sur les moyens spirituels à employer pour éviter les difficultés d'application d'une réforme considérée dès le principe comme définitive.

Le roi s'en expliqua très nettement dans la lettre personnelle qu'il écrivit au pape en réponse à son bref du 10 juillet[48] : Mon intention, publiquement déclarée[49], est de prendre les mesures nécessaires pour leur exécution [des décrets].

Les instructions expédiées à Bernis disaient avec plus de précision encore :

Le Roi, en acceptant le, décret de l'Assemblée nationale sur la constitution civile du clergé, a fait dire à l'Assemblée qu'il prendrait les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution. La plus importante de ces mesures est, à ses yeux, de recourir aux lumières et à la sagesse du Saint-Père. Le Roi lui écrit une lettre que lui remettra M. le cardinal de Bernis et où Sa Majesté exprime elle-même les sentiments dont elle est animée. Elle se réfère à M. le cardinal de Bernis pour donner au Saint-Père une connaissance exacte des circonstances où se trouve la France par rapport à la religion et à ses ministres. M. le cardinal de Bernis conclura de ces circonstances que l'exécution du décret sur le clergé ne peut souffrir de délai[50].

 

Ainsi, dés le début, le pape était prévenu. Qu'il donnât son visa ou qu'il le refusât, la constitution civile du clergé serait quand même appliquée et dans un bref délai.

Les instructions développaient les raisons de toute sorte qui rendaient la chose inévitable :

D'une part, l'Assemblée est et sera de plus en plus impatiente de voir effectuées les lois qu'elle a décrétées et qu'elle a regardées comme étant uniquement du ressort de la puissance civile. Elle sera aussi induite à penser que le décret sur le clergé tient une trop grande place dans la Constitution nouvelle, pour que le délai de sa promulgation ne jetât pas quelque incertitude sur la Constitution elle-même. Enfin, le décret consommant l'expropriation des biens du clergé et leur avertissement (sic) au profit de la nation, on se persuadera facilement en France que cette opération, jugée nécessaire pour subvenir aux besoins de la finance, ne peut être différée, sans qu'il en résulte quelque atteinte au crédit public et particulièrement à celui des billets-assignats, dont la valeur est fondée sur les biens du clergé.

D'un autre côté, les peuples, pressés de jouir du nouveau régime et d'exercer les droits qui leur ont été conférés, seront impatients de voir que rien n'arrête l'exécution du décret. Cette disposition des peuples leur inspirera, suivant toute apparence, de l'éloignement pour les pasteurs qui les guident encore et leurs regards se tourneront vers ceux que la nouvelle loi leur assigne. Ils affecteront dès ce moment de méconnaître les pasteurs qu'ils n'auront pas élus eux-mêmes.

On verra des prêtres partager les mêmes sentiments et les fortifier dans l'esprit des peuples. De là, naîtront l'indiscipline, l'insubordination et l'anxiété des consciences. Des sentiments si opposés produiront des effets différents, mais dont les inconvénients sont sensibles. Tantôt des évêques, tantôt des pasteurs, tantôt les simples prêtres ou les peuples ce refuseront aux dispositions nouvelles et se feront un devoir de conscience de ne reconnaître que les institutions anciennes et les pasteurs que l'Église leur avait donnés, et cette disposition peut produire des maux infinis et faire éclater un schisme funeste.

Tout porte donc à penser :

1° Que la promulgation du décret sur la constitution civile du clergé ne peut être différée ;

2° Qu'il est d'une extrême importance pour la tranquillité publique en France et pour bien de la religion catholique en général que le Saint-Père interpose les moyens que lui suggéreront son zèle pour la foi, sa charité pour les fidèles et son affection paternelle pour le roi, afin de venir promptement au secours des consciences qui pourraient être alarmées par de grands changements, et de prévenir ainsi, autant qu'il est en lui, les malheurs qui naîtraient de l'incertitude des choses et du choc des intérêts et des passions.

 

Insensiblement, le rédacteur des instructions avait insinué l'argument sur lequel il comptait le plus pour faire impression à Rome. Le pape avait menacé le roi d'un schisme. Très habilement, le roi retournait au pape la menace. Si le pape manquait de charité au point de refuser son concours, c'est lui qui serait responsable des troubles qui allaient éclater et des atteintes qui seraient portées à la religion.

Les instructions se risquaient ensuite sinon à prendre la défense des décrets, du moins à plaider en leur faveur de fortes circonstances atténuantes :

Au fond, l'Assemblée a souvent manifesté l'intention de ne pas toucher à la doctrine et de ne faire usage que de l'autorité temporelle sur les ministres du culte. C'est par cette raison qu'elle n'a pas jugé nécessaire de recourir à l'autorité du Saint-Siège ou à un concile national. Elle s'est principalement proposé de régler la constitution civile du clergé sur le modèle des premiers siècles. Elle a cru que l'autorité civile avait le droit de prohiber les institutions plus récentes, toutes les fois qu'elle se rapprochait des époques plus voisines des temps apostoliques et des successeurs immédiats des apôtres.

 

Puis les instructions laissaient entendre que le roi aurait pu imiter l'Assemblée, se passer du pape. S'il ne le faisait pas, c'était par respect, par politesse autant que par nécessité, par amour de la paix plus que pour toute autre considération :

Mais le roi, par sa piété, par sa tendresse filiale pour le Saint-Père et par le désir d'étouffer toute semence de schisme, préférera toujours, même hors le cas de nécessité. de se concerter avec le Saint-Siège et de solliciter son aide pour tous les tempéraments et toutes les mesures capables de concilier les intérêts spirituels de ses sujets et le maintien de la tranquillité publique.

 

A la rigueur, le recours à Rome n'était pas nécessaire. Le roi aurait pu convoquer un concile national. Ce faisant, il eût répondu au désir de beaucoup d'évêques. C'était rappeler à demi-mot que le gallicanisme n'était pas mort :

Le roi n'a pas ignoré le désir qu'auraient eu plusieurs évêques de son royaume de voir convoquer un concile national. Mais Sa Majesté n'a pas cru que cette convocation fût, dans les circonstances présentes, compatible avec les intérêts soit spirituels, soit temporels de la France.

 

Après avoir fait valoir, par cette introduction habile, le mérite qu'avait Louis XVI à ouvrir une négociation, les instructions entraient dans le vif du sujet :

Le roi ne dissimule pas que le décret de l'Assemblée nationale donne lieu aux questions les plus importantes et les plus délicates sur l'institution des évêques, leur juridiction, celle du Souverain Pontife et autres objets de discipline générale. 11 sait que ces questions peuvent exiger la plus mûre discussion, surtout de la part du Saint-Père, non moins attentif qu'aucun de ses prédécesseurs à conserver précieusement l'intégrité du dépôt qui lui a été confié. S. M. ne serait donc pas surprise que le Saint-Père ne crût pas pouvoir répondre tout de suite à la demande qu'elle lui fait.

 

Le rédacteur des instructions, ayant ainsi indiqué par une simple allusion les difficultés que présentait le fond de la question, les esquive aussitôt par un détour ingénieux. Le roi ne demande pas au pape d'aborder tout de suite la solution définitive du problème. Il se contentera, comme dans l'affaire des annates, d'une solution provisoire pourvu qu'elle soit prompte.

Mais, en ce cas [au cas où le pape voudrait prendre le temps d'examiner le fond des choses], M. le cardinal de Bernis démontrera au Saint-Père que les circonstances exigent du moins une réponse provisoire et prompte qui prévienne les dangers évidents auxquels on serait exposé par son silence.

 

Les instructions entraient alors dans les détails précis sur ce que devait contenir cette réponse provisoire réclamée du bon vouloir du pape :

On peut prévoir que Sa Sainteté, après en avoir conféré avec M. le cardinal de Bernis et avec les cardinaux et autres personnes qu'elle honore de sa confiance, désirera entrer en conférence par des commissaires français, choisis en France, avec ceux que Sa Majesté choisirait de son côté, pour aviser ensemble, avec de pleins pouvoirs, à la détermination de toutes les difficultés.

Mais, encore une fois, les besoins du moment ne peuvent se combiner avec une mesure qui entraîne un certain délai et, dans ce cas, M. le cardinal de Bernis insistera fortement sur une réponse provisoire, qui écarte du moins les principaux obstacles.

Cette réponse serait insuffisante si elle n'autorisait pas, au moins provisoirement et en tant que de besoin :

1° La nouvelle distribution des métropoles et la création de celle de Rennes, dite du Nord-Ouest.

2° La nouvelle distribution des territoires des diocèses, et, comme d'après les principes du droit et ceux de l'Église gallicane en particulier, les évêques dont l'Assemblée nationale a décrété la suppression, ainsi que les prêtres et les fidèles qui étaient confiés à leur direction, pourraient penser que de tels changements, de telles dépossessions ne peuvent avoir lieu sans le consentement libre des évêques titulaires et des fidèles, il sera bien expédient que le Saint-Père exhorte les uns et les autres à se prêter aux circonstances et à imiter la condescendance paternelle de Sa Sainteté[51].

3° Le changement décrété dans les églises cathédrales et métropolitaines et, en cas de mort des évêques, le transport des droits qu'exerçaient les chapitres au collège des prêtres qui seront choisis par les évêques ou métropolitains pour être leurs vicaires et leur conseil.

4° Le choix, par voie d'élection du peuple, tant des évêques qu'il sera nécessaire de remplacer que de ceux que l'Assemblée a décrété d'établir à Versailles, à Sedan, à Colmar, à Vesoul, à Laval, à Châteauroux, à Guéret et à Saint-Maixent, sans qu'il soit besoin de bulles apostoliques, mais avec le seul consentement du métropolitain et, pour le métropolitain, avec le seul consentement du plus ancien évêque de leur métropole.

Les circonstances exigent aussi que le Saint-Père veuille bien approuver que les évêques dans leurs diocèses respectifs, donnent les dispenses de parenté pour mariage, dispenses que le droit ou l'usage avait réservées au Saint-Siège.

Tels sont les points principaux qui réclament le plus instamment la sollicitude du Saint-Père et sa charité le portera sans doute à faire aux évêques, aux prêtres et aux fidèles, les exhortations que son zèle lui suggérera pour prévenir tout trouble et toute discussion, jusqu'à ce que les choses aient pu être mûrement traitées et définitivement réglées à la satisfaction commune.

 

Les instructions ne se bornaient pas seulement à dicter au pape le contenu de sa future réponse. Elles l'invitaient à donner à cette réponse une forme particulière. Le bref à intervenir ne devrait pas être adressé aux évêques, mais au roi lui-même :

Il suffira sans doute, il sera même bien que la réponse du Saint-Père à la lettre ci-jointe de Sa Majesté soit uniquement dirigée vers Sa Majesté qui en fera donner des communications convenables suivant les besoins des lieux et des personnes. Mais il est à propos que, dans sa réponse, le Saint-Père veuille bien exprimer les sentiments, les avis qui peuvent rendre cette communication plus utile et plus touchante pour les pasteurs et pour les fidèles.

 

En terminant, les instructions revenaient sur la nécessité impérieuse de hâter la réponse pontificale :

Enfin, et on ne peut trop le répéter, il est indispensable que la réponse de Sa Sainteté ne se fasse pas attendre. Les circonstances ne peuvent supporter aucun délai[52]. Le Saint-Père ne voudra pas laisser longtemps Sa Majesté dans la pénible situation où elle est, entre les secours qu'elle attend de lui pour le bien de la religion, la tranquillité des consciences et les instances que le zèle du nouvel ordre inspire déjà pour la promulgation d'un décret qui en est une partie aussi intéressante.

 

La négociation ne pouvait réussir que si Bernis, dont l'autorité était si grande auprès du pape, se donnait tout entier à son succès. Aussi les instructions s'appliquaient-elles, par un éloge bien senti du cardinal, à réveiller et à stimuler son zèle :

Tels sont les objets et tel est le but de la négociation importante que le roi confie à M. le cardinal de Bernis dont le zèle et les lumières lui sont connus et Sa Majesté ne doute pas qu'il ne lui en donne une nouvelle preuve en cette occasion. M. le cardinal de Bernis est trop au fait des affaires générales de France pour qu'il ne fût pas superflu de lui en tracer le tableau. Il a sûrement sous les yeux les derniers rapports et débats qui ont eu lieu dans l'Assemblée relativement au clergé et il y puisera des renseignements dont il ne peut faire qu'un excellent usage.

 

Les instructions se terminent enfin par une dernière recommandation à l'ambassadeur et par une suprême protestation d'amour et de fidélité au Saint-Siège :

M. le cardinal de Bernis sentira combien il est important d'écarter, au moins dans ce moment, toute discussion sur les articles du décret dont il n'est pas parlé dans la présente instruction et spécialement sur la suppression des chapitres, corps et communautés et des vœux solennels et perpétuels. Au milieu des difficultés dont on est entouré, on est forcé de se réduire aux plus essentielles et à celles qui pressent de plus près.

Mais le roi ne se refusera jamais à l'examen de toutes les questions que le Saint-Père jugera convenable de traiter. Il ne méconnaitra jamais les droits de l'Église de Rome, du centre de l'unité catholique. Il est pénétré des égards dus personnellement au Saint-Père et il s'empressa dans tous les temps de lui en donner des preuves. Il ne doute pas non plus des sentiments et des dispositions du Saint-Père et Sa Majesté y met dans ce moment toute sa confiance.

 

Ce qu'il faut retenir de ces instructions, ce sont les expédients proposés pour baptiser provisoirement la constitution civile. Ils n'avaient rien d'original. C'était, à peu de chose près, les mêmes auquel Barruel avait songé dans son Journal ecclésiastique, les mêmes que l'archevêque d'Auch, La Tour du Pin, soumettra au pape quelques jours plus tard, les mêmes dont Boisgelin avait entretenu le nonce plus d'un mois auparavant, les mêmes enfin auxquels Pie VI lui-même avait recouru pour baptiser les réformes de l'impératrice schismatique Catherine II.

Les archevêques du Conseil, qui avaient combiné ces dispositions de concert avec leurs collègues de l'Assemblée, pouvaient d'autant plus légitimement compter sur le succès qu'ils les présentaient sous une forme pleine de déférence et de ménagements pour l'orgueil du Souverain Pontife. Ils ne lui demandaient en effet qu'une solution provisoire. Ils lui permettaient de réserver les questions de principes et laissaient pour l'avenir la porte ouverte à la discussion. Lors de l'affaire des annates, Pie VI avait accepté un provisoire de ce genre. Pourquoi refuserait-il de s'y prêter une seconde fois, alors que les intérêts en jeu étaient infiniment plus considérables, alors qu'il s'agissait non plus seulement d'intérêts temporels, mais de la sauvegarde de l'unité catholique, du repos d'un grand royaume et de la paix des consciences ?

 

 

 



[1] Les faits sont racontés dans Jules Gendry, Pie VI, t. I, ch. XIV, et suivants.

[2] Gendry, t. I, p. 331.

[3] J. Gendry, t. I, p. 352.

[4] Cf. dans Gendry t. I, p. 359 sa lettre à la tzarine du 16 septembre 1780 et plus loin (t. I, p. 401) sa lettre du 11 janvier 1783.

[5] Gendry, t. I, p. 432.

[6] Le contraste entre l'attitude bienveillante du pape à l'égard des réformes de la czarine et son intransigeance à l'égard de celles de la Constituante ne pouvait manquer d'être souligné par les révolutionnaires. On a vu la czarine placer un évêque catholique à Mohilow, disait l'abbé Grégoire, dans sa Légitimité du serment civique (p. 19. Bib. nat. Ld⁴ 3200). La Gazette Universelle du 26 juillet 1791 analysa l'édit impérial de 1782 et le qualifia de véritable constitution civile à l'usage du clergé catholique russe. Il semble, ajoutait-elle, que le pape, qui ne peut reconnaître l'autorité ecclésiastique de impératrice, aurait dû l'excommunier ainsi que tous les Busses catholiques qui se soumirent à l'édit impérial. Mais Pie VI ne fut alors ni assez mauvais chrétien, ni assez mauvais politique pour se conduire de la sorte... Le Journal ecclésiastique de décembre 1791 mentionna l'article de la Gazette Universelle : Il serait aisé, prétendit Barruel, de prouver ove la conformité de cet édit de la czarine avec la constitution nouvelle du clergé de France est absolument chimérique. Quel dommage que Barruel n'ait pas fait cette démonstration si aisée Espérons que quelque jésuite de nos jours l'entreprendra pour notre édification.

[7] Bernis à Montmorin, Arch. des Aff. étrangères. Rome, 21 avril 1790.

[8] Cf. dans L. Pingaud, la lettre de Vaudreuil au comte d'Artois en date du 4 mal.

[9] Cf. dépêches de Bernis des 5 mai et 9 juin, de Montmorin du 25 mai. Le comte d'Artois intrigua longtemps pour obtenir du pape un bref ordonnant des prières publiques pour le roi (Ernest Daudet, Histoire de l'Émigration, t. I, p. 32).

[10] Dès le 21 juin. Cf. un extrait de sa lettre dans J. Gendry, t. II, p. 122.

[11] Un anonyme (l'abbé Clément, d'après Barbier) s'efforça de démontrer dans un écrit qui ne parait pas avoir été remarqué que la défiance de l'Assemblée était injustifiée. Le concile national ne pouvait d'après lui que consolider l'ordre public et faciliter l'application de la constitution civile du clergé. Lettres d'un jurisconsulte sur les intérêts actuels du clergé, adressées à un député de l'Assemblée nationale. Paris, Le Clerc, 1790. Bib. nat., Lb³⁹ 9012.

[12] Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne.

[13] Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux.

[14] Les trois brefs du 10 juillet sont publiés dans Theiner, Documents inédits sur les affaires religieuses de la France de 1790 à 1800. 1857, t. I, p. 5 à 9.

[15] Ludovic Sciout, t. I, p. 271.

[16] Le mémoire est daté du 17 juillet dans Passeri, t. II, appendice. Il a été remis à Bernis le 20 juillet. Dans son numéro du 24 août 1790, le Moniteur en publie une traduction qui diffère sur plusieurs points de celle des affaires étrangères : — M. L. Madelin, dans son article sur Pie VI et la première coalition (Revue historique, janvier 1903), n'a rien dit de ce premier appel du pape aux puissances. Il écrit à tort que Pie VI attendit pour s'adresser aux rois jusqu'en janvier et mars 1791.

[17] Dépêche du 21 juillet, Rome, reg. 912.

[18] Cf. dépêche de Bernis à Montmorin, en date du 25 août.

[19] Jules Gendry, t. II, p. 119. Nous avons vu que l'évêque de Saint-Pol de Léon refusa de jurer le serment civique à la Fédération et interdit aux prêtres de son diocèse de prêter leur concours à cette occasion aux autorités civiles. Cf. abbé Tresvaux, Histoire de la persécution religieuse en Bretagne. Paris, 1845, t. I, p. 83-85.

[20] La réponse du pape, conçue en termes généraux et ambigus, est dans Theiner, t. I, p. 13 et 14.

[21] Jean-George Lefranc de Pompignan, ancien archevêque de Vienne, mourut à Paris, le 29 décembre 1790.

[22] Journal ecclésiastique de février 1791, p. 280-282.

[23] Voir dans Theiner, t. II, p. 54-59, les lettres de l'archevêque, la réponse de Bernis et celle de Zelada.

[24] Je dois à M. Lévy-Schneider, communication de la lettre très importante de Champion de Cicé, en date du 26 juillet 1798 et de la réponse de Dillon.

[25] Ernest Daudet, Histoire de l'émigration, t. III, p. 13 à 18.

[26] Ludovic Sciout, t. I, p. 270-271.

[27] Lettre citée adressée à Dillon. Champion de Cicé, pour se mieux défendre, dit à tort que les brefs du pape lui furent remis après le départ du courrier portant au pape les propositions du roi. Le courrier n'était pas encore parti, mais l'acceptation royale était déjà donnée.

[28] Dans sa lettre apologétique écrite à Dillon, en 1798, Champion de Cicé déclare que son premier mouvement fut de désirer et de demander au roi sa retraite, mais Sa Majesté exigea que je continuasse mes services auprès d'elle.

[29] Le 29 juin 1790, Louis XVI adressa à La Fayette ce billet autographe : Nous avons une entière confiance en vous ; mais vous êtes tellement absorbé par les devoirs de votre place, qui nous est si utile, qu'il est impossible que vous puissiez suffixe à tout. Il faut donc se servir d'un homme qui ait du talent, de l'activité et qui puisse suppléer à ce que, faute de temps, vous ne pouvez pas faire. Nous sommes fortement persuadés que Mirabeau est celui qui conviendrait le mieux par sa force, ses talents et l'habitude qu'il a de manier les affaires cana l'Assemblée. Nous désirons en conséquence et exigeons eu zèle et de l'attachement de M. de La Fayette qu'il se prête à ce concerter avec Mirabeau sur les objets qui intéressent le tien de l'État, celui de mon service et de ma personne. Recueil des pièces justificatives de l'acte énonciatif des crimes de Louis Capet, réunies par la commission des 21.... pièce n° III. Sur le service d'espionnage organisé par Lafayette et Mirabeau, voir ma note sur les mouchards des tribunes de la Constituante dans les Annales révolutionnaires, t. II, p. 568-576.

[30] M. le comte de Montmorin, dans la conversation que j'eus avec lui mardi dernier, m'a parlé du plan adopté par le comité ecclésiastique pour l'organisation du clergé, plan qui sera au plus tôt présenté à l'Assemblée. Mais il m'a parlé en particulier de la réduction des évêchés et des paroisses et m'a prévenu qu'il n'avait pas été possible de déterminer le comité à proposer que cette opération se ferait avec le concours du Saint-Siège, mais qu'il avait seulement réussi à l'incliner à proposer à l'Assemblée de remettre cette affaire au Roi pour qu'il procurât l'exécution dans les modes nécessaires et convenables, chose qui a été faite par le comité, comme Votre Éminence le verra d'après le dernier article dudit plan... Arch. Vatic. Francia, 582. Communication de M. l'abbé Sevestre. Il est remarquable que Montmorin n'ait pas parlé à Bernis de cette conversation.

[31] Montmorin était sincère. Il ne pensait pas autrement que la plupart des aristocrates eux-mêmes. Voici par exemple ce qu'écrivait Mme Porter de Nermont à son ami Désilles, le 8 mai 1790 : Si vous êtes assez heureux pour qu'on vous rembourse en assignats, je vous dirai franchement que vous i n'avez pas d'autre parti à prendre que d'en acheter (des biens i du clergé). Vous êtes mari et père, vous devez conserver du pain à vos enfants ; et, quant à la sûreté, le clergé ne reviendra jamais ; il est absolument perdu ; c'est son ouvrage. Pierre de Vaissière, Lettres d'aristocrates, p. 230-231.

[32] Dans sa dépêche du 21 juillet 1790, Bernis écrivait : La journée du 14 de ce mois intéressa plus particulièrement la cour de Rome que tous les autres événements. Le pape ne demande pas mieux que d'être sage et modéré sur tout ce qui se passe en France. Rome, reg. 912.

[33] Dans sa dépêche du 20 juillet.

[34] Dugnani à Zelada, 5 juillet 1790, dépêche chiffrée. Communication de M. l'abbé Sevestre.

[35] Arch. Vatic., Francia, 582. Communication de M. l'abbé Sevestre.

[36] Personne ne pensa que le roi pût se dispenser de donner son acceptation tôt ou tard. Lettre citée de Champion de Cicé.

[37] Arch. Vatic., Francia, 582. Communication de M. l'abbé Sevestre.

[38] Lettre citée de Champion de Cicé à Dillon. Communication de M. Lévy-Schneider.

[39] Procès-verbal de l'Assemblée nationale, séance du jeudi 22 juillet 1790, au matin, p. 3.

[40] Ce n'est pas le 23 juillet, mais le 22 que la déclaration royale fut lue à l'Assemblée. Le nonce se trompe d'un jour. La plupart des historiens, pour ne pas dire tous, placent l'acceptation du roi à la fin de juillet, ce qui leur permet de proclamer que l'avertissement du pape a été complètement méprisé.

[41] Rome, reg. 912.

[42] Expression de Bernis lui-même (dép. du 18 août). Theiner, je ne sais pourquoi, n'a pas publié la lettre de Boisgelin.

[43] Dépêche du 3 août.

[44] Dépêche du 1er août.

[45] Dépêche du 14 juillet.

[46] Louis XVI n'avait d'ailleurs pas de moyen légal de refuser son acceptation. La constitution civile était une partie intégrante de la Constitution et la Constituante avait refusé au roi l'usage du droit de veto pour les décrets constitutionnels : L'Assemblée nationale, en déclarant sa Constitution sans la soumettre à la sanction du roi, avait proclamé implicitement que son pouvoir constituant était au-dessus du roi. La déclaration des droits et l'acte constitutionnel du 1er octobre (17$9) ayant été présentés à Louis XVI, ce prince annonça à l'Assemblée qu'il ne donnerait son approbation que sous réserve. Sur cette réponse, l'Assemblée déclara. que ses actes constitutionnels n'étalent pas soumis à la sanction et que le roi devait les promulguer purement et simplement.. Le 5 octobre, l'Assemblée vota une résolution réclamant l'acceptation pure et simple du roi. Le roi céda et le précédent fut créé. Faustin Adolphe HÉLIE. Les Constitutions de la France. Paris, 1875, p. 52.

[47] Lettre des évêques députés à l'Assemblée nationale, en réponse au bref du pape en date du 10 mars, p. 7.

[48] Lettre publiée par Theiner (t. I, p. 264) et datée par lui de Saint-Cloud, 28 juillet 1790. La lettre partit de Paris en même temps que les instructions de Bernis, par un courrier extraordinaire, le 1er août. Le rédacteur en était l'archevêque de Bordeaux, ainsi qu'en fait foi le billet suivant adressé par l'archevêque à Montmorin, le 30 juillet : Voilà, M. le Comte, 1° la lettre du roi à laquelle vous voudrez bien faire mettre l'adresse accoutumée pour le pape ; 2° les instructions pour M. le cardinal de Bernis et que vous voudrez bien faire mettre en la forme ordinaire ; 3° une lettre particulière de moi pour M. le cardinal de Bernis. M. le nonce vous en enverra une de son côté. Il est bien important que le tout parte samedi, car les moments sont bien précieux et nous n'en avons point à perdre... Rome, reg. 912.

[49] Le roi fait ici allusion à son message du 22 juillet.

[50] Rome, reg. 912. Les instructions sont datées du 1er août. Elles sont publiées ici pour la première fois.

[51] Autrement dit, le pape exhorterait les évêques supprimés à donner leur démission ou à déléguer leurs pouvoirs aux évêques conservés.

[52] Il est seulement fâcheux que les conseillers du roi aient laissé passer trois semaines avant d'engager la négociation (du 12 juillet au 1er août).