ROME ET LE CLERGÉ FRANÇAIS SOUS LA CONSTITUANTE

 

CHAPITRE VIII. — LA RÉVOLUTION D'AVIGNON.

 

 

L'autorité spirituelle du pape en France avait été supprimée au moment même où ce qui restait de son autorité temporelle à Avignon et dans le Comtat disparaissait à son tour. Circonstance heureuse, semble-t-il, pour un accord ou pour un compromis. Le pape avait besoin de la France pour retenir ou pour ramener dans le devoir ses sujets révoltés, et la France avait besoin du pape pour procurer l'application paisible de sa réforme religieuse. Spirituel contre temporel, le marché, quoique simoniaque, était indiqué, facile à conclure, et ce n'eût pas été le premier du genre, mais encore fallait-il pour cela des deux côtés déposer toute arrière-pensée, toute défiance et se résoudre loyalement à proposer et à accepter l'échange !

Comment le pape fut-il donc acculé à cette double alternative : ou de sanctionner en France la ruine de son pouvoir spirituel, ou de s'exposer par un refus, d'une part à déchaîner le schisme et la guerre religieuse, et de l'autre à perdre sans recours son domaine temporel de la vallée du Rhône ?

 

I

Vers le début de mars 1790, Pie VI, sortant de ses hésitations, avait eu la pensée de faire front à la fois contre la révolte de ses sujets d'Avignon et du Comtat et contre les entreprises de la Constituante. La victoire qu'il venait de remporter en Belgique sur le joséphisme, l'avènement du nouvel empereur Léopold, qui semblait vouloir renier son passé de duc de Toscane et faire amende honorable de son défunt philosophisme[1], les premières mesures de préservation prises par Florida-Blanca contre la propagande révolutionnaire en Espagne, tous ces symptômes lui paraissaient sans doute de nature à lui faire espérer que toutes les grandes puissances catholiques seraient derrière le Saint-Siège au cas d'un conflit avec la France.

Le Moniteur du 6 juin 1790 demandait s'il était vrai que les ambassadeurs d'Autriche et d'Espagne avaient excité le pape à la résistance contre la Révolution. Dès les premiers mois de 1790, les émigrés intriguaient auprès de toutes les cours pour leur démontrer que leur intérêt bien entendu leur commandait d'opposer à la menace commune du péril révolutionnaire une solidarité étroite et effective.

Pie VI avait reçu et écouté les Polignac. Peut-être était-il encore sous l'impression de leurs discours et partageait-il la belle confiance qu'ils étalaient quand il faisait part à son fidèle Bernis de la résolution où il était de foudroyer par un bref l'audace des Constituants. S'il se résigna, contre l'attente même de Bernis, à ne foudroyer qu'en secret, la raison en doit vraisemblablement être cherchée dans les inquiétudes chaque jour plus graves que lui donnaient Avignon et le Comtat[2]. Encore une fois, et ce ne sera pas la dernière, les intérêts temporels prirent le pas dans son esprit sur les spirituels.

Le faible légat d'Avignon avait accepté la démission des consuls et consenti à l'installation d'une municipalité révolutionnaire. Pie VI en fut vivement blessé dans son orgueil de souverain qu'il avait encore plus sensible, si possible, que son orgueil de pontife. Il n'hésita pas à désavouer son représentant et à révoquer tous ses actes. Bernis et les émigrés ne cessaient pas de lui montrer que les concessions avaient perdu Louis XVI. De Paris l'abbé de Salamon poussait Zelada à la résistance[3]. Le pape crut, en déployant toute son énergie, se montrer habile et prévoyant. Le malheur, c'est qu'il n'avait pas plus de moyens d'action que Louis XVI. Il ne pouvait même pas compter sur sa garnison d'Avignon, réduite à quelques centaines d'hommes ! Tout son espoir résidait dans le clergé et la noblesse avignonnais qui avaient réussi à gagner quelques compagnies de la garde nationale. Mais le parti aristocrate parviendrait-il avec ses seules forces à triompher de la municipalité révolutionnaire et à rétablir le Saint-Siège dans toute son autorité ? Pie VI voulut du moins courir la chance. Dès qu'il connut la manifestation du 13 avril[4] et la violence morale faite à son légat, il lança un bref qui équivalait à une déclaration de guerre[5].

Non seulement tous les règlements et, ordonnances extorqués au vice-légat étaient cassés et annulés, mais un commissaire apostolique, Jean Celestini, était envoyé à Avignon avec pleins pouvoirs pour y rétablir l'ancien régime[6].

Quelques jours après, un nouveau bref confiait à Celestini la même mission de restauration monarchique dans le Comtat[7].

La manière forte ne devait pas mieux réussir à Pie VI que la méthode opposée n'avait réussi à Louis XVI.

A peine le bref pontifical était-il connu à Avignon que les corporations s'assemblaient et, sur-le-champ, arrêtaient que le commissaire apostolique ne serait pas reçu dans la ville et que, s'il essayait d'y paraître, il serait traité comme perturbateur du repos public[8].

La municipalité ordonna la saisie du bref, fit défense au crieur de l'afficher et d'en donner lecture et aux imprimeurs de le reproduire[9]. Comme elle prévoyait un retour offensif du parti aristocrate, elle faisait en même temps écrire à Camus par Raphel pour solliciter l'appui de la Constituante[10].

Celestini cependant était arrivé à Orgon, dernière localité française sur la route d'Avignon. Il y trouva, poste restante, la délibération des corporations qui lui interdisait d'avancer plus loin, mais il y reçut aussi quatre officiers municipaux venus à sa rencontre pour tenter une dernière démarche de conciliation.

Que le commissaire apostolique reconnût la nouvelle municipalité comme l'avait fait le vice-légat et il lui serait permis d'entrer dans Avignon. Celestini hésita un instant, puis finit par refuser, en donnant comme excuse que ses pouvoirs étaient insuffisants, qu'il n'était chargé que d'une enquête[11].

Les officiers municipaux rentrèrent à Avignon et rendirent compte de l'échec de leur mission. Les districts délibérèrent que l'honneur autant que l'intérêt et la sûreté de la nation avignonnaise exigeaient qu'elle ne fasse plus aucun acte, aucun traité, ni avec le Saint-Siège, ni avec ses fondés de pouvoir [avant] que le bref n'ait été révoqué de la manière la plus authentique, et que le Saint-Père n'ait lui-même déclaré, dans les termes les moins équivoques et en la forme la plus légale, qu'il acceptait, pour lui et ses successeurs, la constitution adoptée par la nation avignonnaise et qu'il ne chargeât ses représentants de jurer de maintenir cette constitution et de s'y conformer[12].

Le commissaire apostolique n'osa pas mépriser ou braver ces menaces. Il renonça à remplir sa mission à Avignon et se dirigea vers Carpentras. Il savait que les défiances séculaires entre les deux villes voisines commençaient à renaître et il se promettait de les mettre adroitement à profit.

Il n'avait pas trop mal calculé. L'assemblée des trois États qui gouvernait le Comtat se garda d'imiter l'exemple de la municipalité avignonnaise. Au lieu de rompre brutalement avec le Saint-Siège, ce qui ne lui aurait pas laissé d'autre alternative que de se jeter dans les bras des Français, elle préféra profiter des embarras du commissaire apostolique pour lui soutirer des concessions.

Les Comtadins tenaient en majorité à leur indépendance et plus encore à la franchise d'impôt dont ils jouissaient sous le gouvernement papal[13]. La suppression des douanes qui résulterait de l'annexion à la France ne leur semblait pas présenter pour eux, agriculteurs, les mêmes avantages que pour leurs voisins industriels et commerçants. Puis, la politique religieuse de la Constituante, savamment commentée et noircie par leurs prêtres, ne laissait pas de les effrayer quelque peu et de leur faire paraître moins désirable leur renoncement à leur petite patrie. Pour toutes ces raisons d'ordre divers ils évitèrent d'entrer en lutte ouverte avec le Saint-Siège.

Le 11 mai, l'assemblée des trois États décida donc de recevoir Jean Celestini avec les égards habituels dus aux envoyés extraordinaires du Saint-Siège. Mais en même temps elle posa ses conditions.

Par un détour ingénieux elle annulait en fait le bref du pape qui la concernait, tout en évitant de le violer ouvertement. Au lieu des États généraux, dont le pape condamnait la réunion, le commissaire apostolique autoriserait la convocation d'une assemblée générale des véritables représentants de la province. Cette assemblée représentative, comme on l'appela plus brièvement, serait librement Mlle.

Elle aurait pour mission d'aviser, de concert avec Celestini, aux moyens d'établir une nouvelle Constitution, conformément au vœu du peuple et avec la sanction nécessaire du Souverain[14].

Celestini fut mis en demeure d'approuver cet arrangement et d'en autoriser l'exécution immédiate. Raphel aîné-lui fit prévoir des troubles graves, peut-être une insurrection, s'il refusait. Le pauvre commissaire ne songea pas, cette fois, à invoquer l'insuffisance de ses pouvoirs et à prétexter les ordres de son maitre. Il se hâta de subir ce qu'il ne pouvait empêcher et donna toutes les approbations qu'on lui demandait. Le jour même de son entrée à Carpentras, le 11 mai[15], il prenait en outre l'engagement d'user de son influence auprès du pape pour en obtenir la révocation du bref malencontreux[16].

En attendant, les Comtadins agissaient comme si le bref n'avait jamais existé et comme si le commissaire apostolique n'avait d'autre mission à remplir que celle de légaliser leurs volontés.

L'Assemblée représentative, dont Celestini avait autorisé l'élection, se réunit au palais épiscopal de Carpentras, dès le 24 mai, avec un appareil imposant[17]. Elle délibéra, le 27, de rester sous la domination du Saint-Siège, mais cette précaution de pure forme ne l'empêchait pas de détruire l'une après l'autre toutes les institutions qui en consacraient l'autorité. Sur la proposition de Raphel aîné, elle adoptait pour le Comtat la Constitution française, avec une réserve toutefois : en tout ce qui serait compatible avec la localité et le respect dû au Souverain.

L'évêque de Cavaillon protesta contre ce vote et quitta l'Assemblée pour se retirer à L' Isle, deuxième ville de son diocèse. La minorité aristocrate n'osait plus élever la voix depuis que Raphel avait fait décider que les votes seraient publics. En quelques jours, les tribunaux pontificaux, les droits féodaux, les anciens impôts locaux furent détruits. La dîme ecclésiastique allait subir le même sort, quand les députés du clergé offrirent de la diminuer d'un tiers et réussirent à la sauver par ce sacrifice opportun. Enfin l'Assemblée décréta l'amnistie pour tous ceux qui s'étaient compromis dans les précédentes émeutes et le vice-légat dut sanctionner cette mesure le 7 juin[18].

Le Comtat s'administrait en véritable république, encore qu'il eût l'air de ménager les apparences. Mais cette politique habile et égoïste ne faisait pas je compte des patriotes d'Avignon, qui avaient espéré que leurs voisins finiraient par suivre leur exemple en joignant leurs instances aux leurs pour réclamer de concert l'annexion ou plutôt le retour à la France. Ils avaient demandé à être représentés à l'Assemblée de Carpentras et avaient essuyé un refus. En revanche, plusieurs villes du bas Comtat, en relations commerciales avec Avignon, avaient de leur côté refusé de se faire représenter à Carpentras et s'étaient fédérées avec Avignon : Piolenc, Sorgues, Saint-Saturnin, Vedènes, Cavaillon[19], Le Thor, Châteauneuf-du-Pape, qui prit dés ce moment le nom de Châteauneuf-d'Avignon[20].

Les tiraillements augmentaient chaque jour entre Avignon et Carpentras. La guerre civile couvait. Encouragé sous main par le vice-légat, qui était resté dans son palais d'Avignon malgré l'affront fait à Celestini, le parti aristocrate avignonnais crut le moment venu de se débarrasser de la municipalité révolutionnaire, dont les hésitations lui semblaient un aveu de faiblesse. Pendant tout le mois de mai, les patriotes d'Avignon étaient restés dans l'inaction, sans pouvoir se décider à achever la rupture avec Rome en se donnant à la France. L'audace de leurs adversaires s'en accrut.

Le 27 mal 1790[21], dans le quartier dit du Corps Saint, un mannequin habillé en officier municipal est accroché à l'enseigne d'un bureau de tabac avec un écriteau qui condamnait les municipaux à avoir la langue arrachée, les poings coupés, puis d’être pendus et leurs corps jetés à la voirie[22], le maire à être enfermé dans une maison de fous[23]. Grand émoi dans le parti révolutionnaire. Les paysans des faubourgs s'arment de fourches, de faux, de bâtons, la milice se réunit. On patrouille, on fait des visites domiciliaires dans les maisons des aristocrates. On bâtonne l'abbé de Montaran, on arrête les frères Chauffour, le taffetassier Aubert, l'abbé Offray, celui-ci plus particulièrement soupçonné d’être l’auteur de l'écriteau satirique.

Plus que jamais la municipalité s'alarme et se tourne vers la Constituante, dont la protection lui semble le palladium indispensable. Elle délibère de lui envoyer une adresse et une députation, mais, auparavant, Raphel cadet sonde Camus et lui demande conseil sur l'exécution.

J'ai reçu votre lettre du 15 mai, que j'ai communiquée à la municipalité, lui écrit-il le 2 juin. Il a été délibéré jeudi dernier d'envoyer une adresse à l'Assemblée nationale et de la pressentir si elle agréerait notre députation. On a cru devoir prendre cette précaution avant de faire partir nos députés. La municipalité, d'après son offre, vous fera passer son adresse en vous priant de la présenter à l'Assemblée et elle vous priera de la rassurer sur la crainte qu'elle a relativement à sa députation... Nous nous trouvons dans la plus grande fermentation. Le parti antipatriote remue, nous craignons quelques événements malheureux et je ne vous réponds pas qu'on ne prie les Français, nos alliés et nos voisins[24], de nous donner des secours. Il y a à Tarascon le régiment des dragons de Lorraine connu par son patriotisme. On pourrait bien prier la municipalité de cette ville, notre alliée, de nous l'amener. Il est des circonstances où on ne peut pas attendre des ordres et où la prudence exige qu'on se décide promptement. Il vous importe autant qu'à nous d'éviter les horreurs d'une guerre civile[25]...

 

Raphel n'exagérait rien. La guerre civile, les horreurs qu'il prédisait ne se firent pas attendre.

Les aristocrates arrêtés pour l'affaire du mannequin étaient passés en jugement. Faute de preuves, ils avaient été acquittés par le tribunal. Le 7 juin, les patriotes s'opposèrent par une sorte d'émeute à leur mise en liberté. Le lendemain les districts délibéraient sur leur sort. Quatre districts sur sept étaient d'avis de respecter le jugement du tribunal et d'élargir les prisonniers. Les trois autres demandèrent que la procédure fût vérifiée par les juges français d'Orange où les prisonniers seraient transférés. La municipalité se rangea à ce dernier avis et maintint les acquittés en état d'arrestation.

Deux jours après, le 10 juin, jour de la petite Fête-Dieu les aristocrates protestaient à leur manière contre ce déni de justice en tentant un coup de main contre la municipalité. Pendant que le comité militaire, où ils avaient la majorité, chassait de la garde nationale le célèbre Jourdan, un des principaux chefs patriotes[26] les compagnies qui leur étaient dévouées se retranchaient dans le couvent des Célestins et dans l'Hôtel de Ville[27].

De leur côté, les patriotes sonnaient le tocsin aux Carmes et battaient la générale pour appeler les paysans, leurs alliés, à la rescousse. Les paysans accouraient et s'emparaient du palais pontifical, qui leur était livré par la garnison. lin combat s'engageait devant l'Hôtel de Ville et se terminait à dix heures du soir par la capitulation des compagnies aristocrates. La nuit et le lendemain se passaient en terribles représailles. Le marquis de Rochegude, le comte d'Aulan, qui commandaient, le 3 septembre, les troupes qui avaient dispersé les patriotes réunis à la porte Saint-Lazare, l'abbé Offray, l'auteur supposé du mannequin, un sieur Aubert étaient massacrés sur la place du palais après un semblant de jugement.

D'autres exécutions auraient suivi si les gardes nationales françaises n'étaient accourues pour interposer leur médiation. Le maire d'Orange, Daymard, arracha aux fureurs populaires des prisonniers qu'il prit sous sa sauvegarde et emmena avec lui à Orange.

Pendant que les aristocrates, imitant l'exemple de l'archevêque d'Avignon, émigraient à Villeneuve, de l'autre côté du Rhône, ou se réfugiaient dans le Comtat, les patriotes victorieux tiraient, séance tenante, les conséquences de leur victoire. Le vice-légat, soupçonné d'être l'instigateur du complot, était chassé de la ville et allait rejoindre à Carpentras le commissaire apostolique. Le même jour, 11 juin, les districts votaient unanimement la réunion à la France[28], et députaient à Paris quatre officiers municipaux[29] pour obtenir la ratification de la Constituante.

Afin de rendre cette démarche plus importante et plus acceptable, les révolutionnaires avignonnais s'employaient avec une ardeur nouvelle à convaincre leurs voisins du Comtat de la nécessité de se joindre à eux et d'abandonner définitivement la cause du pape. Sabin Tournai leur démontrait dans son journal que l'assemblée de Carpentras était inutile, coûteuse, et d'avance frappée d'impuissance, car le pape ne sanctionnerait jamais ses décisions. Il ajouta bientôt que cette assemblée était infectée d'aristocratie, que son zèle pour la Constitution française était un zèle hypocrite qui ne l'empêchait pas de protester contre le décret par lequel la Constituante avait refusé de déclarer le catholicisme religion d'État. Carpentras, à l'en croire, était devenu un foyer de contre-révolution, un refuge assuré pour les émigrés français et avignonnais, qui y amassaient des armes et s'apprêtaient de concert à déchaîner la contre-révolution dans tout le midi de la France.

La propagande de Tournai portait ses fruits. Les villes et bourgs du bas Comtat, Sorgues, Châteauneuf, Vedènes, Saint-Saturnin, Caumont, Cavaillon, renouvelaient, le 14 juin, leur fédération avec Avignon.

L'assemblée de Carpentras s'irritait de ces défections qui faisaient le jeu du parti français et s'appliquait à contrecarrer la démarche que les députés avignonnais s'apprêtaient à faire à Paris[30]. Elle recevait le vice-légat avec de grands honneurs, allait en corps à sa rencontre et le complimentait.

Entre le Comtat et Avignon la rivalité se faisait chaque jour plus menaçante. Dès le milieu de juillet les deux partis s'entretuaient au Thor et à Cavaillon[31].

Les communes françaises limitrophes intervenaient pour empêcher l'effusion du sang, les provençales plutôt en faveur d'Avignon, les dauphinoises plutôt en faveur de Carpentras.

La révolution d'Avignon perdait de plus en plus son caractère local. Elle n'intéressait plus seulement le pape et le Comtat. Elle intéressait la France et le droit public européen.

 

II

L'adresse où les Avignonnais demandaient leur réunion à la France parvint à la Constituante le 17 juin 1790. Leur députation se présenta le 26 juin. La discussion de la constitution civile du clergé touchait alors à sa fin.

Ratifier purement et simplement le vœu des Avignonnais, personne parmi les députés du côté gauche n'en fit la proposition. Bouche lui-même sut réprimer son impatience. Personne non plus parmi eux n'eut la pensée d'opposer à la demande flatteuse des Avignonnais un refus sec et péremptoire, en rappelant que la France avait solennellement répudié toute conquête, même pacifique. H ne leur convenait pas plus de se désarmer dans les négociations qui allaient s'ouvrir avec Rome que de rendre d'avance ces négociations impossibles.

Ils semblent avoir obéi à deux préoccupations principales. D'une part, ils ont voulu laisser au roi l'initiative et aussi jusqu'à un certain point la responsabilité et la conduite des négociations, et d'autre part, ils ont essayé de circonscrire les troubles d'Avignon et du Comtat, de peur que les désordres ne s'étendissent dans tout le midi de la France.

Le 17 juin, le jour même où Camus donna lecture à la tribune de l'adresse d'Avignon, l'Assemblée discutait un rapport sur les troubles sanglants dont Nîmes, après Toulouse et Montauban, venait d'être le théâtre[32]. Le soupçon devait naturellement venir à l'esprit des patriotes qu'il y avait une connexion entre les menées des aristocrates du Midi et que le centre du complot était probablement dans le Comtat. Ce jour-là, l'Assemblée se borna, suivant l'avis de Charles de Lameth, à renvoyer au roi la pétition des Avignonnais.

Cinq jours après, l'adresse des Comtadins était de même renvoyée au roi et 'aux comités des domaines et de Constitution après un court débat. Bouche, qui avait appuyé le renvoi proposé par Goupil de Préfelne, demanda s'il n'existait point un accord entre la cour de Rome et celle de France, et que les comités fussent chargés de s'en informer. Fréteau appuya la proposition, d'autant plus volontiers, dit-il, que, lorsqu'il s'était retiré à Saint-Cloud pour porter au Roi l'adresse d'Avignon, la première question que lui avaient faite les ministres avait été de s'informer s'il y avait quelque chose de relatif au Comtat Venaissin[33]... En se rangeant à l'avis de Fréteau et de Bouche, l'Assemblée donnait pleins pouvoirs au roi de conclure cet accord, dont Bouche, dans son impatience, supposait déjà l'existence.

Quand la députation d'Avignon se présenta, le 26 juin, Bouche fit décider qu'elle serait reçue, non pas à la barre comme les délégations ordinaires, mais à l'intérieur de la salle, comme l'étaient les envoyés d'un peuple à un autre[34]. Mais cet honneur sans conséquence ne préjugeait rien sur la décision de l'Assemblée, pas plus que la réponse du président qui déclara que l'Assemblée prendrait en très grande considération l'objet de la mission avignonnaise.

La Constituante se refusait, le 10 juillet, à prononcer la mise en liberté des 24 aristocrates d'Avignon emmenés à Orange après l'émeute du 10 juin. Mais elle ne motivait son refus que par des raisons d'opportunité. Camus avait affirmé une fois de plus que les troubles d'Avignon tenaient aux troubles de Nîmes et, se faisant l'écho de la députation de la garde nationale avignonnaise qui venait d'arriver pour assister à la Fédération, il avait prédit que l'élargissement des prisonniers d'Orange serait le signal d'une nouvelle guerre civile. L'Assemblée partagea les mêmes craintes. La députation de la garde nationale avignonnaise fut acceptée à la grande Fédération du 14 juillet 1790, mais ce n'était pas la première fois que les gardes nationales avignonnaises et comtadines juraient alliance et amitié avec les gardes nationales françaises.

L'article, évidemment inspiré, publié dans le Moniteur du 15 juillet, reflète assez bien l'opinion de la majorité des Constituants. La France, disait l'article, ne pourra se prêter à une annexion qu'autant que le vœu général des Comtadins et des Avignonnais lui sera parfaitement connu. C'était un ajournement, poli[35].

Cependant les désordres recommencent à Avignon et dans le Comtat. La municipalité d'Orange se plaint du surmenage des gardes nationales françaises occupées depuis un mois à maintenir la tranquillité. Elle demande qu'on envoie à Orange et à Avignon les troupes de ligne pour assurer le service d'ordre. Les gardes nationaux sont rappelés chez eux par la moisson. S'ils quittent le Comtat, la guerre civile et les tueries recommenceront.

Saisi de la requête de la municipalité d'Orange, le comité des rapports est d'avis d'y faire droit en partie[36]. Il conseille à l'Assemblée d'envoyer des troupes à Orange, ville française, mais il ne veut pas qu'on en envoie à Avignon, et cela dans aucun cas[37]. On comprend ses raisons : occuper Avignon, sans en être formellement prié par le pape, c'était risquer de l'indisposer au moment où s'engageaient les négociations sur la constitution civile du clergé. En vain Bouche insista pour que satisfaction complète fût donnée à la demande d'Orange. En vain il énuméra les nombreuses raisons qui autorisaient la France à occuper Avignon ; en vain il invoqua la nécessité de protéger les établissements français, greniers à sel, entrepôts des tabacs, qui se trouvaient dans cette ville ; en vain il prétendit, dans une argumentation d'ailleurs assez incohérente, que l'intervention française était réclamée par le peuple avignonnais et rendue obligatoire par de soi-disant traités avec le Saint-Siège, l'Assemblée resta fidèle à la politique de modération et donna, ce jour-là, raison à Maury contre Bouche. Elle ne voulut rien préjuger de la grande question sur laquelle l'Europe entière avait les yeux ouverts, celle de savoir s'il est permis à une ville de changer de domination et de souverain[38].

Elle se borna à envoyer des troupes à Orange et respecta la souveraineté du Saint-Siège. Sans doute, elle décida dans le même temps de confier à un comité spécial le soin de suivre l'affaire[39] ; mais si elle témoigna par là de l'intérêt considérable qu'elle y prenait, elle se gardait de rien faire qui pût entraver la conclusion du double accord spirituel et temporel qu'elle donnait liberté au roi de négocier.

 

III

Le calcul des Constituants était simple. En évitant de se prononcer sur le fond de l'affaire, mais en la prenant en considération et en ordonnant une enquête, ils se flattaient de tenir le pape dans l'inquiétude sur leurs résolutions futures et de lui faire toucher du doigt ce que lui coûterait, le cas échéant, une attitude intransigeante.

Montmorin et les archevêques du Conseil du roi ne firent pas un autre calcul.

Le 17 juin, le nonce avait remis à Montmorin un mémoire sur les biens des églises du Comtat situés en France. Il y demandait au gouvernement français de donner des ordres pour que les revenus de ces biens continuassent à être versés, comme par le passa entre les mains de leurs administrateurs particuliers et non pas entre les mains des administrateurs civils comme l'ordonnait le décret du 13 avril.

Montmorin transmit le mémoire à l'archevêque de Bordeaux, garde des sceaux, en lui suggérant l'idée de proposer un échange entre les biens des églises françaises, situés en territoire pontifical et les biens des églises du Comtat situés en France.

L'archevêque ne se pressa pas de répondre. Après dix jours de réflexion, il écrivit à Montmorin que la révolution d'Avignon, décidément très opportune, répondrait à sa place :

J'ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 17 de ce mois, le mémoire par lequel M. le nonce demande, au nom du pape, que les évêchés, chapitres et maisons religieuses de ses États continuent de jouir des biens qu'ils possèdent en France.

Je n'hésiterais point, sans l'insurrection d'Avignon, à communiquer ce mémoire à M. le président de l'Assemblée nationale. mais cette circonstance me porte à croire qu'il vaut mieux attendre[40]...

 

Il vaut mieux attendre, c'est le mot que tous répètent avec confiance. Attendre les propositions du Saint-Siège, en lui tenant la dragée haute, le succès de la manœuvre leur parait immanquable.

Montmorin pouvait-il faire autrement que suivre l'exemple de l'archevêque de Bordeaux et que partager sui optimisme ?

Avant de recevoir les instructions de sa Cour, le nonce lui avait remis, le 20 juin, un mémoire sur les événements d'Avignon. Faisant appel aux principes d'honneur que le Roi et la Nation avaient toujours manifestés, il ne craignait pas, disait-il, de mettre sous la sauvegarde de Sa Majesté et de l'honneur français la ville et le territoire d'Avignon jusqu'à ce que Sa Sainteté lui eût fait passer des ordres et qu'il eût reçu de plus amples instructions[41].

Le lendemain, 21 juin, le nonce, revenant à la charge, mettait Montmorin en garde contre l'adresse des Avignonnais lue par Camus à la tribune. Il lui faisait remarquer que la signature du maire d'Avignon, Armand, faisait défaut à la délibération prise par les districts[42]. Il ajoutait qu'il ne doutait pas de l'accueil que le roi et l'Assemblée réserveraient à une telle démarche !

A l'exemple du garde des sceaux, Montmorin préféra attendre avant de donner au nonce l'assurance qu'il demandait.

En transmettant à son collègue de la justice, le 28 juin, le mémoire du nonce, il s'exprimait ainsi :

Je suis persuadé, Monseigneur, que l'Assemblée nationale, qui a jugé la démarche des Avignonnais de la plus grande importance, sera bien aise de connaître la manière dont M. le nonce a cru devoir s'exprimer sur ce qui s'est passé à Avignon, en attendant les ordres de sa Cour. Personne n'ignorant que le pape jouit depuis plusieurs siècles de la souveraineté d'Avignon et du Comtat Venaissin, on ne pourra pas être surpris que le Roi attende, pour s'expliquer sur un événement qui intéresse les droits de toutes les nations et particulièrement ceux du Saint-Siège, que Sa Sainteté lui ait fait connaître ce qu'Elle a l'intention de faire dans une circonstance aussi imprévue[43]...

 

Ainsi, le roi de France, imitant l'Assemblée, se refusait à reconnaître par une déclaration formelle et immédiate le droit du pape sur Avignon. Il refusait de prendre le pays sous sa sauvegarde, comme le nonce le, lui demandait. Il attendrait que le pape lui fit connaître ses intentions ou plutôt ses propositions avant de prendre un parti.

Montmorin mettait même de l'empressement à entrer dans les vues de l'Assemblée et à se retrancher derrière ses comités. Le nonce lui ayant écrit, le 4 août, pour réclamer la mise en liberté des prisonniers d'Orange, il lui fit répondre que l'affaire regardait l'Assemblée nationale et que d'ailleurs les prisonniers pouvaient se promener librement dans Orange[44].

Le président du comité des domaines, Parent, lui ayant demandé communication, le 27 juin, de toutes les pièces, titres et renseignements relatifs aux droits du roi sur Avignon et le Comtat, Montmorin chargea immédiatement un de ses meilleurs commis, Hennin, de faire la recherche. Un premier lot de documents était envoyé, un mois après, à Bouche, que le comité d'Avignon, nouvellement constitué, avait chargé d'étudier l'affaire[45]. En réclamant les pièces, Bouche avait posé à Montmorin cette question : Un fait qu'il importe au comité de connaître, c'est de savoir si le roi a promis au pape des troupes en cas d'insurrection dans le Comtat Venaissin et à Avignon et si, dans les circonstances, le pape a sollicité auprès du roi ce secours. Montmorin répondit sur-le-champ :

Jusqu'ici, Monsieur, le pape n'a pas fait demander des troupes au Roi pour rétablir le calme à Avignon et dans le Comtat, mais comme à peine Sa Sainteté est-elle instruite de ce qui s'y est passé, il n'est pas étonnant qu'Elle n'ait pas, jusqu'à ce jour, eu recours au Roi à titre de bon voisinage[46].

 

L'arrière-pensée de Bouche et de Montmorin se devine. Bouche n'a pas renoncé à son idée de faire occuper Avignon par des troupes françaises. Il veut ainsi se nantir d'un gage dans les négociations futures et protéger les patriotes avignonnais contre un retour offensif des aristocrates. Il a donc besoin de savoir si les traités antérieurs n'autoriseraient pas par hasard l'occupation qu'il réclame. Quant à Montmorin, il espère que le pape ne tardera pas à demander le secours armé du roi. La première démarche du nonce lui en fait prévoir une seconde, plus nette et plus directe. En cette prévision, et aussi pour satisfaire le comité, il demande à Hennin une note sur la double question de savoir : 1° Si la France a garanti au pape par traité Avignon et le Comtat Venaissin, et 2° si la France e promis au pape des troupes en cas d'insurrection dans cette contrée. Dès le 3 août, la réponse d'Hennin était envoyée au comité d'Avignon. Hennin tranchait la première question par une négation absolue :

Dans aucun des traités conclus entre la France et la Cour de Rome, on ne voit pas que la France lui ait garanti la ville d'Avignon ni le Comtat Venaissin ; nos registres de cette Cour ont été consultés ainsi que les recueils diplomatiques. Si la France eût donné cette garantie par des traités ou autrement, la Cour de Rome l'aurait fait valoir dans quelques circonstances et l'on n'en trouve point d'exemple.

D'ailleurs, cette garantie aurait dû être renouvelée ou rappelée toutes les fois que nos rois, après s'être emparés de la ville d'Avignon et du Comtat Venaissin les ont restitués ; on voit au contraire. par les différentes lettres patentes pour ces restitutions en 1664, 1689 et 1774, que nos rois. par une clause réservatrice. se sont conservé leurs droits sur Avignon, cette clause devant naturellement éloigner toute idée de garantie et annuler même les actes très anciens. s'il y en a existé, dans lesquels cette garantie aurait été stipulée.

Différents mémoires sur Avignon disent encore que la possession des papes n'en a jamais été paisible et qu'il y a eu souvent des réclamations de la part de nos souverains[47].

 

Il était difficile d'entrer plus avant dans le système de Bouche. Rappeler que nos rois avaient formellement réservé leurs droits sur Avignon et le Comtat, n'était-ce pas, par voie de conséquence, conseiller de profiter des événements pour faire valoir ces droits ou tout au moins pour en faire payer l'abandon ?

La réponse à la deuxième question contenait un conseil indirect encore plus précis. Nos rois, disait Hennin en substance, n'ont pas pris l'engagement d'envoyer des troupes pour réprimer les insurrections des sujets du pape. Il y a cependant un précédent à une intervention de ce genre. En 1664, les Avignonnais s'étant soulevés, Louis XIV consentit à rétablir l'autorité du pape, mais se fit payer ce service par une compensation dans le domaine spirituel. Un indult[48] lui accorda le droit de nommer aux trois évêchés de Metz, Toul et Verdun[49].

L'analogie des situations était claire, si claire qu'Hennin ne crut pas devoir la signaler. La Révolution pouvait imiter Louis XIV. Elle rétablirait l'ordre dans Avignon, mais elle obtiendrait au profit du peuple français l'indult qui lui permettrait de nommer aux bénéfices à la place du roi et des anciens collateurs.

Grâce à ces textes, qui jettent quelque lumière, nous commençons maintenant à soupçonner la politique de la Constituante, fidèlement acceptée par Montmorin et le Conseil du roi. Cette politique consistait, sur la question spirituelle à engager immédiatement les négociations réclamées par l'épiscopat et, sur la question temporelle, à attendre les propositions du pape. C'était à la partie qui avait besoin de l'autre de prendre l'initiative de demander son concours. Le roi avait besoin du pape pour baptiser la constitution civile. Le pape avait besoin du roi pour garder Avignon et le Comtat.

Le danger de cette politique était grand avec un homme aussi orgueilleux que Pie VI et aussi chatouilleux sur ses prérogatives de chef d'État. Consentirait-il à faire les premiers pas dans les négociations relatives au temporel ? Ne se trouverait-il pas bien, au contraire, d'imiter, en sens inverse, le calcul de la Constituante ; de tenir la dragée haute sur le spirituel afin d'obtenir plus sûrement satisfaction sur le temporel ?

Mais le danger était surtout dans les lenteurs inévitables qu'allait entrainer la procédure adoptée. Les deux négociations n'étant pas liées dès le principe dans los propositions parties de Paris, il faudrait attendre que de Rome vinssent des contre-propositions parallèles qui opéreraient plus ou moins directement cette liaison. Si ces contre-propositions tardaient à venir, les événements pouvaient se précipiter et se modifier au point d'empêcher ou de rendre inutile tout accord. Les Constituants n'avaient autorisé ou plutôt toléré les négociations sur le spirituel que dans la conviction où ils étaient que le pape se hâterait de répondre à leur attente, par crainte de plus grands maux. Combien de temps attendraient-ils la réponse du Saint-Siège, et ne finiraient-ils pas par se croire assez forts pour s'en passer ?

Le danger enfin, et non le moins grand, c'était de faire dépendre l'adhésion du haut clergé à la constitution civile de la résolution de Rome. Les évêques,.m déclarant solennellement qu'il leur fallait l'autorisation pontificale pour mettre en œuvre la réforme religieuse, s'étaient engagés par cela même à refuser eur concours à cette réforme tant que l'autorisation sollicitée ne leur serait pas parvenue. Les retards, las incertitudes risquaient de les pousser insensiblement à une résistance d'autant plus dangereuse que, n'étant point préméditée ni même souhaitée, elle semblerait dictée par le seul sentiment de l'honneur et par les nécessités inéluctables d'une situation sans issue.

Mais le pape était-il, dés le début, décidé à profiter des fautes de la Constituante pour rendre le conflit inévitable ?

 

 

 



[1] Bernis écrivait à Montmorin, le 7 avril 1790 : Le roi Léopold de Hongrie... a écrit deux lettres à Sa Sainteté bien différentes de celles qu'il lui adressait de Florence ; elles sont pleines d'amitié et de cordialité. Nous verrons si les effets s'accorderont avec ces heureuses apparences. Le nonce de Vienne annonce déjà des changements favorables à la Religion et au Saint-Siège sous ce nouveau règne. Rome, reg. 912.

[2] C'est le 10 mars que Bernis avertit son ministre de la résolution du pape. Dés le 18 mars cette résolution était changée. Que s'est-il passé du 10 au 16 ? Le pape a appris successivement la démission des consuls d'Avignon survenue le 22 février, la formation d'une municipalité révolutionnaire au début de mars. La connaissance de la correspondance du légat d'Avignon changerait sans doute notre supposition en certitude.

[3] Il lui écrivait le 30 mars : On me mande qu'on a dû nommer (à Avignon) un maire, 14 administrateurs et 28 notables. J'aime à croire que M. le vice-légat n'authorisera pas une pareille opération qui sera toujours illégale dés que le Très Saint Père n'y aura pas (mis) sa sanction. Tout à présent sans mot dire (sic) parce qu'il est prisonnier dans toute la rigueur du terme, mais Sa Sainteté ne pourrait pas dire de même si elle voulait un jour revenir de ce qu'elle aurait authorisé. Ainsi je persiste à penser que le Très Saint Père ne doit pas empêcher cette nouvelle organisation de la ville d'Avignon, mais aussi elle ne la doit pas authoriser en aucune manière. Arch. Vatic. Francia, 582. Communication de M. l'abbé Sevestre.

[4] Date donnée dans le Mani/este de la ville et État d'Avignon.

[5] Bref du 21 avril 1790 ; réimprimé dans Passeri, t. II, appendice, et analysé par M. J. Viguier dans son étude sur la réunion d'Avignon et du Comtat à la France (La Révolution française, t. XXI, p. 430).

[6] Si on en croyait le Manifeste de la ville et État d'Avignon (p. 26), Celestini aurait été porteur d'un autre bref qui excommuniait les Avignonnais, mais il n'aurait pas osé en faire usage.

[7] Bref à la commission de Carpentras, publié dans Passeri (t. II, appendice) et daté à tort du 11 mai, date de l'entrée de Celestini à Carpentras.

[8] Délibération des corporations d'Avignon (3 mai 1790), Imprimée en placard et envoyée à Camus (Arch.nat., DXXIV³).

[9] Récit abrégé mais exact des troubles arrivés à Avignon, 1790 s. d. (p. 13). Ce récit est identique au chapitre de Passeri. — Lescuyer, greffier de la commune, aurait lacéré lui-même les exemplaires du bref au moment où le crieur se préparait à les afficher.

[10] Priez-la de nous prendre sous sa protection immédiate et de veiller spécialement sur nous. L'aristocratie fermente. Le clergé ne s'oublie pas et le moindre trouble que nous éprouvons ici embrase vos provinces méridionales. Il est nécessaire d'éviter ce malheur. Nous voulons absolument vos décrets, vos lois, votre Constitution. Le gouvernement (pontifical) veut le contraire et il ne se prête à aucune de nos demandes. Que résultera-t-il de cette lutte ? C'est un problème que la sagesse, la justice et la bonté de l'auguste Assemblée nationale nous aidera du moins à résoudre. Raphel cadet à Camus, en lui envoyant la délibération des corporations d'Avignon et l'arrêté de la commune supprimant le tribunal de l'Inquisition (3 mai 790). Arch. nat. DXXIV².

[11] Passeri, t. I, p. 142. Celestini aurait ajouté que le pape préférait de perdre Avignon plutôt que de consentir à adopter la Constitution française qu'il avait en horreur (d'après le Manifeste de la ville et État d'Avignon publié par ses députés chargés de faire agréer à l'Assemblée nationale sa réunion à l'Empire français, 41 p., s. d. (juin 1790), p. 27.)

[12] Délibération du 9 mai 1790 publiée dans le Moniteur du 6 juin.

[13] Le maire d'Arles, Antonelle, dénonça le calcul égoïste des Comtadins, qui voulaient, disait-il, jouir de tous les bienfaits de la Constitution française sans en subir les charges. Il leur prête ce raisonnement : Nous formerons, sous la domination apparente de la cour de Rome et dans le centre commun de trois départements français, une petite enclave bénite et privilégiée, habitée par un peuple amphibie qui, n'étant ni de cette nation ni d'aucune autre, ni tout à fait l Français, ni véritablement étranger, s'entêtera seulement à faire du Saint-Père son souverain nominal, son monarque honoraire. A l'appui de ses dires, Antonelle citait, entre autres preuves, ce passage paru dans les Annales du Comté Venaissin : Malgré les plats sarcasmes... nous aurons la paix, les lois françaises, et nous n'aurons pas d'impôts. Cet article des impôts parait être, ajoutait-il, le souci continuel du journaliste, il y revient sans cesse (Quelques réflexions sur la mémorable assemblée de Carpentras, sur la pétition du peuple avignonnais et sur l'opinion de Stanislas Clermont-Tonnerre, membre de l'Assemblée nationale. — Paris, Lejay, S. d.).

[14] Délibération citée par Passeri, t. I. p, 148.

[15] Et non le 12, comme on le lit dans Passeri.

[16] Je suivrai votre parti, votre conseil d'écrire à Rome pour la révocation du bref et assurez-vous que je le ferai avec tout l'empressement possible. Que je sois assez heureux pour obtenir de ma Cour cette révocation qui puisse me prévenir la confiance du peuple !... Lettre de Celestini à Emeric, datée de Carpentras, 11 mai, et publiée en appendice du premier volume de Charles Soulier, Histoire de la révolution d'Avignon. Paris, Seguin, 1844, p. 309.

[17] L'abbé Maury, qui était originaire du Comtat, avait essayé de se faire nommer député. Mais ses compatriotes de Valréas s'y refusèrent et déchirèrent même et foulèrent aux pieds le portrait dont il leur avait fait présent quelques années auparavant. Raphel cadet prétend que Maury avait projeté de venir passer quinze jours dans le Comtat pour dissoudre l'Assemblée représentative (Lettre de Raphel à Camus, du 2 juin. Arch. nat., DXXIV²).

[18] Le vice-légat avait mis à l'octroi de cette amnistie cette condition, qui resta lettre morte, que les détenteurs des biens et objets usurpés en feraient la restitution entre les mains de leurs légitimes propriétaires. Passeri, t. I, p. 168.

[19] Les Cavaillonnais fournissaient Avignon de fruits et de légumes (Passeri, t. I, p. 242).

[20] M. J. Viguier ajoute à cette liste Le Cheval Blanc, Beaumont, Mallemort, Pernes, L'Isle, Malaucène, Bédarrides et Ménerbes (La Révolution française, t. XXI, p. 434). J'ai relevé les noms cités dans une lettre des fugitifs du Thor au président de la Constituante, du 14 juillet 1790 (Correspondance de Rome, reg. 912).

[21] Date donnée dans Pierre Lauris, Avignon révolutionnaire, Cavaillon, 1907, p. 9.

[22] Passeri, t. I, p. 174.

[23] Récit abrégé mais exact des troubles arrivés d Avignon, p. 75.

[24] Les gardes nationales françaises des communes fédérées avec la garde nationale avignonnaise.

[25] Arch. nat., DXXIV².

[26] Sur ce personnage, sur lequel les aristocrates firent courir toutes sortes de légendes et qu'ils surnommèrent Jourdan Coupe-Têtes, consulter la notice de M. Pierre Lauris, Avignon révolutionnaire, appendice.

[27] Les Célestins furent occupés par les compagnies de la Principale, de Saint-Agricol, de Saint-Didier, l'Hôtel de Ville par une portion de la compagnie de la Magdelaine.

[28] Les auteurs de la proposition d'annexion l'auraient présentée comme l'unique moyen de se soustraire à la vengeance de la cour de Rome, des nobles et des aristocrates. Passeri, t. 1, p. 210.

[29] Lescuyer, Tissot, Peyre et Duprat.

[30] Voir l'adresse de l'assemblée représentative du Comté Venaissin à l'Assemblée nationale, datée de Carpentras, 11 juin 1790 (Archives des affaires étrangères, Rome, reg. 912). L'adresse félicite l'Assemblée d'avoir renoncé à toute conquête et souhaite que les douanes soient supprimées entre la France et le Comtat.

[31] Au Thor, le colonel de la garde nationale patriote, Bressy, fut assassiné dans son lit, le 11 juillet, par les partisans de Carpentras. A Cavaillon, les gardes nationales, aux ordres de Carpentras, arrêtèrent Chabran, colonel de la garde nationale, l'emmenèrent en prison à Carpentras. Les patriotes du Thor et de Cavaillon durent se réfugier à Avignon.

[32] Ce sont les troubles précurseurs de la formation du camp de Jales. Pendant trois jours, du 13 au 15 juin, les protestants et les catholiques, ceux-ci dirigés par un agent du comte d'Artois, Froment, s'étaient égorgés dans les rues de Nîmes.

[33] Moniteur, réimpr., t. IV, p. 691.

[34] L'incident est raconté en détail dans le Journal des débats et décrets, n° 326, lundi 28 juin 1790, p. 11.

[35] Dans l'Assemblée nationale, écrivait Salamon à Zelada le 30 mars, c'est Bouche et le comte de Mirabeau qui troublent et qui excitent notre pays. Je puis assurer Votre Éminence que le reste de l'Assemblée n'y pense pas. Elle a d'autres objets plus intéressants pour elle que notre petit État d'Avignon. Ce pourquoi je prendrai la liberté de dire à Votre Éminence qu'il faut soutenir son courage, sa fermeté et sa patience, ne paraître pas craindre de pareilles gens et attendre tout du temps. Arch. Vatic., Francia, 582. Communication de M. l'abbé Sevestre.

[36] Cf. Copie d'une lettre écrite par les officiers municipaux de la ville d'Orange à leurs députés à l'Assemblée nationale, le 12 juillet 1790. Rome, reg. 912.

[37] Rapport de de Broglie, s. du 16 juillet 1790. Moniteur, réimpr. t. V, p. 152.

[38] Paroles de l'abbé Maury, séance du 17 juillet. Moniteur, réimpr., t. V, p. 161.

[39] De Broglie proposa la constitution de ce comité, le samedi soir 17 juillet. Le comité, élu le 23 juillet, comprit six membres qui furent : Barnave, Tronchet, Bouche, Riquetti l’aîné (Mirabeau), Charles Lameth, Desmeuniers.

[40] L'archevêque de Bordeaux à Montmorin, 27 juin 1790. Borne, reg. 912.

[41] Le nonce, archevêque de Rhodes, à Montmorin, 20 juin 1790. Rome, reg. 912.

[42] Armand avait démissionné après les événements du 11 juin et avait été remplacé par Richard.

[43] Montmorin au garde des sceaux, 28 juin 1790. Rome, reg. 912.

[44] En marge de la lettre du nonce, Montmorin écrivit de sa main : Réponse verbale. Affaire qui regarde l'Assemblée nationale. On a rendu la liberté aux Avignonnais à condition Ce ne pas sortir d'Orange. (Rome, reg. 912).

[45] Un reçu de Bouche, daté du 2 août, atteste qu'il lui est parvenu 7 pièces, dont l'ouvrage manuscrit de Montclar rédigé en 1769 à la demande de Choiseul (Montclar proposait de traiter à l'amiable la cession d'Avignon et Choiseul avait adopté ses conclusions).

[46] Rome, reg. 912. La réponse de Montmorin est du 28 juillet.

[47] Archives des Affaires étrangères. Rome, 1772 à 1774. Avignon, registre n° 32, folio 348.

[48] Indult, droit accordé par le pape de nommer, de conférer et de recevoir des bénéfices.

[49] Le duc de Mercœur, envoyé à Avignon, déposa les consuls, leur fit demander publiquement pardon à genoux au vice-légat, désarma le peuple, enleva de l'Hôtel de Ville l'artillerie qui y avait toujours été, etc.