ROME ET LE CLERGÉ FRANÇAIS SOUS LA CONSTITUANTE

 

CHAPITRE VI. — LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

 

 

C'est un lieu commun, passé dans les manuels presque à l'état de dogme, que la constitution civile du clergé était inacceptable pour l'Église. Les écrivains libéraux se bornent tout au plus à invoquer les circonstances atténuantes en faveur de la grande erreur des Constituants. Je ne prétends point substituer ici à des critiques injustes et inconsidérées une apologie aussi déplacée, — l'historien n'a pas plus à louer qu'à blâmer, son seul devoir est de constater et de comprendre, — mais je suis bien obligé de me rendre à l'évidence, quand l'évidence, fût-elle paradoxale, découle naturellement des faits et des textes et s'impose à ma raison.

Or, la vérité qui m'apparaît, c'est que les contemporains, ceux qui assistèrent ou prirent part à la discussion, aristocrates ou patriotes, laïques et prélats, non seulement ne doutèrent pas un instant que la réforme religieuse fût née viable, mais qu'ils agirent en conséquence, comme s'ils étaient convaincus qu'il y aurait folie à essayer de l'entraver dans son application.

La constitution civile était si peu inacceptable que la plupart de ces mêmes prélats, qui seront cependant presque unanimes en janvier et février 1791 à refuser le serment, étaient six mois plus tôt entièrement résignés à collaborer à sa mise en vigueur et s'y préparaient. Ils s'ingéniaient alors, de concert avec le roi et son conseil, à rechercher les moyens canoniques qui leur permettraient de concilier ce qu'ils devaient à l'État et ce qu'ils devaient à l'Église, et de mettre leur conscience en repos. Ils tournaient avec ferveur les yeux vers Rome d'où ils espéraient que viendrait la parole libératrice, la parole de paix que le roi leur maitre avait réclamée en leur nom et à leur instante prière.

Nous aurons à examiner pourquoi leur attente fut trompée, par quelle politique perfide ils furent finalement réduits à faire à la constitution civile une opposition irréductible qui n'était primitivement ni dans leurs goûts, ni dans leurs prévisions ; nous essaierons de déterminer sur qui doit retomber la responsabilité du schisme et de l'affreuse guerre civile qui en fut la conséquence, mais il nous faut d'abord justifier les conclusions précédentes par le récit des faits et la critique des principaux témoignages.

 

I

La constitution civile du clergé ne fut à aucun degré une de ces mesures de circonstance qu'improvisent par représailles les passions impatientes des partis au pouvoir. Ce fut, au contraire, une œuvre attendue par l'opinion, longuement réfléchie, discutée et mûrie par ses auteur ; juristes, canonistes et ecclésiastiques d'une compétence, d'un sang-froid et d'une sincérité indiscutables.

Le comité ecclésiastique, renforcé au début de février, se mit à la besogne avec méthode et sans hâte. Ses membres se partagèrent en trois sections — nous dirions aujourd'hui sous-commissions — ; la première section s'occupa de la constitution du clergé et de l'administration de ses biens ; la deuxième, du dépouillement des déclarations des bénéficiers et du travail préparatoire de la vente des biens d'Église et de la liquidation de la dette du clergé ; la troisième, de l'examen des mémoires adressés au comité et de la suite à leur donner[1].

La première section, sur qui retombait le plus fort de la tâche, désigna trois rapporteurs : l'avocat Martineau, l'abbé Expilly et le canoniste Durand de Maillane. Martineau rédigea la plus grande partie du projet de décret qui devait devenir la constitution civile du clergé (les principaux articles du titre I (des offices ecclésiastiques), du titre II (nomination aux bénéfices) et du titre IV (loi de la résidence)[2]. Expilly fut chargé du rapport sur les traitements (titre III)[3]. Quant à Durand de Maillane, il dut se contenter, sans doute à regret, du rapport sur les fondations et les patronages laïques (art. 21, 22, 23, 24 et 25 du titre I)[4]. Chaque article donna lieu à une discussion approfondie en séance plénière du comité.

Au début d'avril[5], les grandes lignes de la réforme étaient ébauchées, mais c'est seulement à la fin de mai que le rapport de Martineau vint à l'ordre du jour de l'Assemblée. Le moment était bien choisi. Jamais les relations entre la Constituante et le roi n'avaient été empreintes de plus de cordialité et de confiance. Le jour même où les débats s'ouvrirent (29 mai), la coïncidence mérite d'être remarquée, le roi mettait sa signature au bas d'une proclamation retentissante dans laquelle il se solidarisait complètement avec l'Assemblée, blâmait en termes énergiques l'opposition faite à ses décrets, et, en guise d'avertissement aux contre-révolutionnaires, faisait défense de porter à l'avenir d'autre cocarde que la tricolore[6]. Il semblait que la Révolution était faite et que rien n'était désormais capable de lui faire obstacle, puisque le roi lui-même se mettait à sa tête.

La discussion de la réforme religieuse, qui se prolongea avec des intervalles pendant six semaines, se déroula dans le plus grand calme. Il n'y eut ni scènes tumultueuses, ni incidents blessants. Les partis échangèrent leurs arguments avec une gravité digne et une passion contenue. L'examen des articles du projet, comme c'était l'usage dans les grandes circonstances, fut précédé d'un grand débat sur l’ensemble. Ce débat, qui dura trois jours, eut une ampleur remarquable et fut tel qu'on pouvait le souhaiter. On chercherait en vain trace d'une violence, d'une pression quelconque qui ait pu influer sur les décisions de l'Assemblée. Celle-ci s'est prononcée en toute indépendance et en toute connaissance de cause.

Les orateurs qui parlèrent en faveur du projet commencèrent par se défendre longuement de toute pensée d'hostilité contre l'Église et la religion. Martineau inséra au début de son rapport un magnifique éloge du catholicisme et de son utilité politique et sociale, et II le fit en des termes et avec un accent de sincérité auxquels il est impossible de se méprendre. Quand il termina cette sorte d'hymne de reconnaissance en affirmant que c'était à la religion que les Constituants avaient attaché le succès de tous leurs travaux[7], toute pensée d'ironie était certainement absente de son esprit, il ne faisait ainsi que traduire le sentiment intime de la grande majorité de ses collègues[8]. Il répéta, et tous les orateurs de gauche répétèrent après lui, que les réformes proposées ne touchaient pas au dogme et que, par conséquent, l'Assemblée n'excédait pas son droit en les votant.

Treilhard et Camus dirent le fond de leur pensée. Ils prétendirent que l'Assemblée n'allait même pas jusqu'à la limite de son droit, car la nation était souveraine en tous les domaines, dans le domaine religieux comme dans le domaine politique. Ils revendiquèrent pour elle, en un langage presque identique, le droit, que les monarques avaient exercé si souvent depuis la Réforme, de choisir sa religion. Quand un souverain, dit Treilhard, croit une réforme nécessaire, rien ne peut s'y opposer. Un État peut admettre ou ne pas admettre une religion... Et Camus ajoute : Nous sommes une Convention nationale. Nous avons assurément le pouvoir de changer la religion... Mais, une fois le principe posé, le droit supérieur du souverain affirmé, Treilhard et Camus n'en sont que plus fort empressés à démontrer que le projet du comité ne portait pas au dogme et aux droits de l'Église la moindre atteinte. Nous avons assurément pouvoir de changer la religion. Camus continue aussitôt : Mais nous ne le ferons pas, nous ne pourrions l'abandonner sans crime...[9] Un état peut admettre ou ne pas admettre une religion. Treilhard raisonne par l'absurde et tire du principe cette conclusion : Il peut, à plus forte raison, déclarer qu'il veut que tel ou tel établissement existe dans tel ou tel lieu, de telle ou telle manière...[10]

La thèse n'était pas seulement habile, elle était sincère. Le comité croyait n'avoir pas touché au spirituel. L'Assemblée lui avait confié le mandat d'extirper les abus qui s'étaient introduits dans l'organisation extérieure de l'Église. Il n'avait pu se borner à une œuvre négative. Après avoir abattu, il lui avait fallu reconstruire. Quand Treilhard et Camus disaient à leurs collègues : Vous n'excédez pas votre droit en supprimant des établissements ecclésiastiques devenus inutiles ou nuisibles, car ces établissements n'ont pu exister et subsister que de l'autorisation ou de la tolérance de l'autorité publique, ils parlaient comme avaient parlé tous les légistes de la monarchie, comme parlent aujourd'hui encore nos modernes législateurs. Pour justifier les suppressions projetées, ils n'eurent qu'à recueillir l'écho des plaintes et des critiques depuis longtemps formulées par les voix les plus autorisées du clergé. Martineau n'eut pas de peine à démontrer que les bénéfices simples, emplois sans emplois, qui ne comportent même pas l'obligation de la résidence[11], n'avaient d'utilité que pour leurs multiples détenteurs. Il lui fut facile de contester les services problématiques rendus à la religion et à la société par les chapitres des collégiales qu'il qualifia justement de monastères sécularisés. Pour établir que les chanoines des églises cathédrales avaient cessé d'être les coopérateurs et les conseillers de l'évêque, il n'eut qu'à constater qu'au lieu de le regarder (l'évêque) comme leur chef, ils l'avaient même exclu de leurs assemblées capitulaires ou ne lui avaient permis d'y assister que comme simple chanoine[12].

Sa critique ne tombait pas moins juste quand elle relevait les incohérences et les bizarreries des circonscriptions diocésaines, quand elle mettait en relief les intrigues parfois scandaleuses auxquelles donnaient lieu trop souvent les différents modes de nomination aux emplois ecclésiastiques, les droits de patronage Inique et ecclésiastique, les résignations, permutations, induits, etc. S'il rappelait que le pasteur est fait pour le troupeau et non le troupeau pour l'utilité du pasteur, ce n'était pas pour le plaisir de lancer une injure gratuite au clergé de France. Il n'était que trop vrai que les fonctions ecclésiastiques étaient devenues, dans toute la force du terme, des bénéfices. Martineau était à peine plus sévère pour les abus que venait de l'être l'évêque d'Orange, Du Tillet, dans une brochure qui fut remarquée[13].

Pour les réformes à opérer dans la discipline extérieure de l'Église, le comité n'eut qu'à s'inspirer des mêmes principes que l'Assemblée avait déjà appliqués dans ses réformes politiques et civiles.

Le département, circonscription administrative et judiciaire, deviendra par surcroît une circonscription ecclésiastique, un diocèse. Les évêques et les curés seront nommés par les mêmes électeurs que les députés, les juges, les administrateurs de district et de département. Si les évêques, les curés et autres ministres de la religion, avait dit Martineau, ne sont établis que pour les peuples, à qui convient-il mieux qu'aux peuples de les choisir ?[14]

L'élection ne sera d'ailleurs qu'une simple présentation[15]. Le peuple héritera des droits de patronage exercés auparavant par le roi, les seigneurs, les corps ou les communes[16]. Il ne pourra choisir que des ecclésiastiques déjà ordonnés par l'Église et en fonctions depuis un temps plus ou moins long, selon l'importance de l'emploi. L'Église reste, en définitive, maîtresse de son recrutement. Le nouvel élu sera examiné sur sa doctrine et sur ses mœurs avant de recevoir l'institution canonique : les curés de l'évêque, les évêques du métropolitain, le métropolitain du plus ancien évêque.

De même que les magistrats civils voient leur pouvoir limité et contrôlé par des assemblées qui siègent à côté d'eux, de même les évêques, magistrats religieux, seront munis d'un conseil de vicaires qui délibérera sous leur présidence, et dont ils seront tenus de prendre et de suivre les avis dans tous les cas importants.

Le comité avait voulu, par ces dispositions essentielles, mettre entre l'organisation religieuse et l'organisation civile une harmonie réelle et intime. Respectueux du dogme, il n'avait touché, croyait-il, qu'aux institutions, et dans le dessein de les ramener à leur pureté primitive.

Les objections que firent au projet les évêques et leurs partisans sont très instructives. A les examiner d'un peu près, il est facile de voir qu'à cette date l'opposition du haut clergé n'avait rien d'irréductible.

Que l'épiscopat ait choisi Boisgelin, c'est-à-dire l'homme des conciliations et des compromis, pour porter la parole en son nom dans la discussion générale, le fait est déjà significatif[17]. Le discours qu'il prononça n'eut rien d'une déclaration de guerre, d'un non possumus absolu et sans espoir. Il offrait au contraire des moyens de négociations, des bases d'entente, et il les offrait dans un langage adroit et modéré, avec un désir visible d'aboutir. Tout son effort tendit moins à démontrer l'irrecevabilité des réformes proposés que l'impossibilité de les exécuter sans l'aveu et le concours de l'Église.

Boisgelin ne nia pas que les circonscriptions ecclésiastiques ne dussent être remaniées, mais elles ne pouvaient l'être qu'avec le consentement de la puissance ecclésiastique, consentement nécessaire. Les précédents historiques, les lois canoniques démontraient que la puissance civile n'avait pas qualité à elle seule pour opérer une réforme de cette nature.

Nul évêque ne peut exercer sa juridiction sur un autre diocèse [que celui pour lequel il a été désigné par l'Église], et si vous vouliez créer ou supprimer des évêchés et réunir des diocèses sans l'intervention des formes canoniques, une partie considérable des fidèles resteraient sans évêques et l'administration de l'Église serait anéantie pour eux[18]. Mais c'était un avertissement qu'il donnait plutôt qu'une menace qu'il brandissait car il ne semblait pas douter que l'Église, consultée, ne s'empressât de ratifier les nouvelles circonscriptions. Si les limites d'une ville sont changées par les lois de l'Empire, il faut, dit un concile, subordonner aux divisions civiles l'ordre des paroisses ecclésiastiques[19].

Sur la suppression des chapitres, Boisgelin faisait des réserves. Il tentait de prouver qu'on pourrait les rendre utiles par la seule application des canons qui leur faisaient une obligation de la prière et de la récitation journalière des offices. Mais ici encore nulle intransigeance. Pourvu qu'on marquât de la déférence envers l'Église, en la consultant, l'Église pourrait, à la rigueur, entrer dans les vues du comité. Boisgelin le laisse entendre dans une phrase enveloppée, mais suffisamment claire : Sans doute, il est possible que l'Église elle-même, attentive aux changements des dispositions générales, puisse rendre les chapitres encore plus utiles par des occupations actives et leur donner des obligations plus étendues. Mais il faut consulter l'Église[20]...

Sur la suppression des bénéfices, Boisgelin passait visiblement condamnation : Nous comprenons quelle peut être la convenance et l'utilité des suppressions des bénéfices qui ne donnent point de devoirs à remplir ; mais il n'est pas possible d'effectuer ces suppressions par la simple ordonnance de l'autorité civile, et nous pensons que la puissance ecclésiastique, instruite de vos vues, doit faire tout de qui peut dépendre d'elle pour les concilier avec l'utilité de l'Église et le maintien de la religion (p. 28)...

Le mode d'élections proposé par le comité donnait lieu à des objections plus graves. Il n'y avait pas, dans l'histoire de l'Église, de précédents à une pareille mesure. Boisgelin ajoutait, mais sans trop appuyer sur l'argument, comme s'il ne tenait pas outre mesure à en faire sentir toute la force : Les assemblées [électorales) de département peuvent se composer en tout ou en partie de non-catholiques. H n'y aura peut-être pas un membre du clergé et un seul évêque parmi les électeurs, et ce sont ces élections étrangères à l'Église qu'on présente comme conformes aux anciennes élections canoniques faites par le peuple et le clergé[21]...

Il insistait davantage — et cela se comprend — sur la diminution de pouvoir que le projet faisait subir à la fonction épiscopale, désormais placée sous le double contrôle d'un conseil de vicaires et d'un synode diocésain : Les évêques, disait-il, sont privés de leur autorité sur le clergé de leur diocèse ; les métropolitains perdent leurs droits sur leurs suffragants[22]...

Chose curieuse et qui montre bien le gallicanisme prononcé des évêques de ce temps, Boisgelin ne semblait mentionner que pour mémoire l'atteinte que le projet portait à l'autorité pontificale : Il ne peut y avoir de recours, en aucun cas, au chef de l'Église universelle dont l'Église reconnaît la primauté de droit divin et dont le siège est le centre de l'unité catholique[23]. Une primauté, c'est tout ce que Boisgelin reconnaît au pape ! Il se gardait de prononcer le mot de juridiction, si cher aux ultramontains !

Il est à remarquer enfin que nulle part il n'imputait au jansénisme les changements proposés[24].

Le conclusion de Boisgelin laissait percer sa pensée intime et ses espérances. C'était moins le fond des réformes qu'il attaquait que l'irrégularité de leur forme : s Pouvons-nous renoncer, s'écriait-il avec un accent plus désolé qu'indigné, sans aucune intervention de l'autorité de l'Église, aux lois établies :par les conciles ? Pouvons-nous concourir à vos décrets, sans employer les formes qui peuvent en rendre l'exécution régulière (p. 38).

L'exécution régulière des décrets, voilà en fin de compte l'objet souhaité et poursuivi par l'épiscopat, en même temps que la condition que les règles de l'honneur et los devoirs de la conscience lui commandent de mettre à son acceptation.

Boisgelin ne manque pas de désigner les moyens propres à obtenir cette régularisation, et il le fait de telle façon qu'on a l'impression qu'il cherche à atténuer les difficultés beaucoup plus qu'a les augmenter : Il ne faut pas croire que la convocation d'un concile national soit nécessaire pour tous les objets proposés à la délibération de l'Assemblée. On peut discuter et terminer dans des conciles provinciaux ou dans des conciles de deux ou de plusieurs provinces, ou par l'intervention du chef de l'Église avec délégation sur les lieux selon les formes usitées dans l'Église gallicane, de concert avec la puissance civile, les questions relatives à la division, augmentation et démembrement des évêchés et des métropoles. Il est seulement nécessaire que les décisions des conciles provinciaux n'excèdent point les limites des diocèses dont ils sont les représentants (p. 39). Ainsi Boisgelin s'appliquait à montrer que la régularisation des remaniements territoriaux était chose facile.

L'homologation des nouvelles règles pour les nominations ecclésiastiques exigeait seule le recours à un concile national ou au Saint-Siège.

Pour bien montrer que ce recours à l'Église ne cachait aucun piège, n'était pas un moyen détourné de faire échouer la réforme, Boisgelin avait soin d'ajouter en terminant : Nous sommes loin de nous opposer d vos désirs quand nous vous proposons les seules formes qui puissent les remplir (p. 42).

Ce n'était pas là, comme on pourrait le croire, parole en l'air, assurance de commande. Boisgelin était sin-ère. Il mettra, nous le verrons, tout son talent, toute son autorité au service de la régularisation de la constitution civile, et ce ne sera pas de sa faute si le schisme ne put être évité[25].

Sans doute l'archevêque d'Aix déclare, au nom de ses collègues, qu'ils s'abstiendront de prendre part à la discussion des articles du projet. Mais cette abstention, qui leur était commandée par la logique de leur thèse, était moins inspirée par une hostilité intransigeante que par le respect humain. Ces grands seigneurs ne reconnaissaient pas la compétence exclusive de l'Assemblée. Ils ne voulaient pas avoir l'air d'abdiquer devant elle la dignité et les privilèges de la puissance ecclésiastique, dont ils jugeaient cependant, au dedans d'eux-mêmes, la cause perdue d'avance.

L'Assemblée prouva plus d'une fois par son attitude et par ses votes qu'elle avait pris en considération les scrupules et les arguments exposés par Boisgelin, au nom du côté droit, et qu'elle tenait, elle aussi, à ne rien compromettre par une intransigeance ou des exagérations inopportunes.

Robespierre avait critiqué le projet du comité comme trop timide, trop peu philosophique. Il proposa de supprimer les archevêques et les cardinaux, de permettre au peuple de choisir librement les évêques et les curés parmi tous les citoyens, enfin de permettre aux prêtres, par voie de conséquence, de se marier, si le cœur leur en disait. L'Assemblée ne voulut même pas entendre le développement de la dernière proposition. Les murmures l'empêchèrent de continuer[26].

Fréteau, jurisconsulte autorisé et membre du comité ecclésiastique, ayant repris, en la modifiant, la proposition de Robespierre sur la juridiction métropolitaine, ne put la faire aboutir. Camus, le janséniste Camus, prit contre lui avec succès la défense des archevêques[27].

Rœderer aurait voulu réduire de moitié le nombre des futurs sièges épiscopaux en réunissant deux départements dans un diocèse. Comme Robespierre, il sou- leva des murmures[28].

Chose digne d'attention, ceux qui se montrèrent parmi les hommes de gauche d'ordinaire les plus conciliants, ce furent les jansénistes Camus et Grégoire, les gallicans du comité, Martineau, Lanjuinais, les futurs évêques jureurs, Gobel, Gouttes. line dépendit pas du comité ecclésiastique de donner satisfaction à Boisgelin et au côté droit sur la grosse question de la juridiction épiscopale. Ici, le comité mérita pleinement les éloges que dom Gerle lui avait décernés à la séance du 12 avril. Il montra bien qu'il n'avait aucun parti pris, puisqu'il n'hésita pas à se déjuger.

Le 8 juin, Lanjuinais vint déclarer en son nom qu'il s'était ravisé et qu'il demandait maintenant la suppression de l'article du projet qui instituait dans chaque diocèse un conseil épiscopal[29]. L'Assemblée refusa de suivre le comité. Elle maintint le conseil des vicaires, après une intervention de Goupil de Préfelne et de l'abbé Gouttes, qui s'efforcèrent d'établir que le gouvernement de l'Église était un gouvernement de charité et de conseil et non un gouvernement absolu. Lanjuinais et les partisans de la conciliation obtinrent cependant que les attributions du conseil de l'évêque seraient restreintes en partie[30].

Sur un point plus important encore, sur l'élection des prêtres et des évêques par le peuple, les hommes les plus autorisés de la gauche préconisèrent des solutions moyennes qui auraient donné au clergé un rôle officiel dans l'élection. Mais, cette fois, leurs efforts furent en pure perte. Le 9 juin, dans un discours qui fit impression, l'abbé Jacquemard avait proposé de confier le choix des évêques à un collège électoral composé du synode diocésain et de l'assemblée administrative du département[31]. Martineau, en son nom personnel, se rallia au plan proposé. Goupil de Préfelne, Garat l'aîné, Camus, Reubell soutinrent les mêmes idées ou des idées analogues. Mais Robespierre, Le Chapelier, Biauzat et Barnave firent voter à une petite majorité l'article primitif du comité, en invoquant la nécessité de sauvegarder dans la Constitution religieuse les principes de la Constitution politique. Le droit d'élire, dit Robespierre, ne peut appartenir à un corps administratif. Il ajouta que faire intervenir le clergé en tant que clergé dans l'élection d'un magistrat (l'évêque), c'était ressusciter le clergé comme corps. Ce double argument entraîna l'Assemblée.

Une motion de Petion tendant à faire désigner les curés par les électeurs du district sur la proposition des paroisses fut repoussée[32].

Un amendement de l'abbé Grégoire ayant pour objet d'exclure de l'assemblée électorale les non-catholiques eut le même sort après une épreuve douteuse[33].

La gauche fut donc loin d'être toujours unie. Il y eut des votes très disputés. D'un complot prémédité, d'une entente inavouable entre les jansénistes et les adversaires de l'Église, je n'ai point trouvé de trace. La constitution civile fut une œuvre de bonne foi.

 

II

On n'a pas assez remarqué que sur le point qui leur tenait le plus à cœur, le recours à l'Église pour la régularisation du décret, Boisgelin et l'épiscopat obtinrent en somme satisfaction, encore que d'une façon indirecte et officieuse. Ceci demande une explication.

Le comité ecclésiastique s'était préoccupé des moyens canoniques à employer pour valider son œuvre et en assurer l'application sans encombre. Durand de Maillane et ses amis, tant leur confiance 'en la puissance irrésistible de la Révolution était grande, s'étaient dit qu'il n'était pas impossible d'obtenir le visa du pape au bas d'une réforme qui le dépouillait Ils se rappelaient les occasions nombreuses où Rome avait cédé aux sollicitations, aux menaces de nos rois. Ils se flattaient même d'être plus heureux que Louis XIV et que Louis XV et de n'avoir pas besoin, pour obtenir satisfaction, de recourir au moyen classique de l'occupation d'Avignon. Durand de Maillane a dit leurs sentiments avec ingénuité : Je m'étais flatté en particulier, parce que je le désirais sans doute, que la Cour de Rome, instruite par certains exemples de nations dont on avait imprudemment négligé ou condamné le vœu en matière de religion, ne serait pas contraire à celui que notre Assemblée lui témoignait dans les termes de notre Constitution et dans les circonstances d'une régénération à laquelle rien n'a pu résister avec succès dans le royaume. J'espérais que cette Cour se prêterait aux moyens de prévenir une division qui aurait les plus funestes effets[34]....

Dans cette pensée, la majorité du comité ecclésiastique fit donc insérer au projet ce dernier article qui était l'amorce des négociations à entamer avec Rome : Le roi sera supplié de prendre toutes les mesures qui seront jugées nécessaires pour assurer la pleine et entière exécution du présent décret[35].

Mais les hommes de loi, les patriotes gallicans ou simplement les politiques avisés s'alarmèrent pour des raisons de principe, qu'ils ont dites, et surtout pour des raisons d'opportunité et de tactique, qu'ils ont cru devoir taire sur le moment. Voter l'article, c'était avouer explicitement que l'Assemblée n'avait pas seule le droit de réformer la discipline de l'Église, et c'était en outre faire dépendre du bon plaisir ecclésiastique la mise en vigueur de la réforme. C'était risquer de fournir au parti aristocrate un moyen inespéré et redoutable d'entraver, dans une de ses parties les plus essentielles, à leur sens, le succès de la régénération.

Durand de Maillane s'en est expliqué après coup avec franchise : Les patriotes s'alarmèrent de ce dernier article qui semblait en effet mettre la nation comme à la merci du pape et des évêques. Il ajoute ensuite, mais il écrit en juin 1791, et très certainement ceux-ci non seulement n'auraient pas concouru à la régénération ecclésiastique, telle qu'elle était proposée et ardemment désirée, mais ils l'auraient improuvée et condamnée de manière à rendre sans effet le décret du 2 novembre 1789... J'ose dire encore que, dans ce concile, les évêques auraient, sous le rapport toujours imposant de la religion, condamné de plus tous nos principes de liberté, de souveraineté nationale ; ils n'auraient pas manqué d'y faire leur cour aux grands pour se les attacher[36]. Durand de Maillane se laisse emporter par la passion. Il oublie que les évêques, dans leur réponse au pape, prirent soin au contraire de déclarer qu'ils n'en avaient pas à l'œuvre civile de la Révolution. Toute leur conduite prouve que les craintes, tardivement exprimées par Durand de Maillane, étaient, sinon sans fondement, du moins fortement exagérées.

Lors de la discussion, Camus et Treilhard s'appliquèrent longuement et vigoureusement à défendre les prérogatives du pouvoir civil. Treilhard, comme plus tard devait le faire Portalis, restreignit le domaine de l'Église au seul spirituel (doctrine et sacrements). La délimitation des diocèses et Ides paroisses comme la nomination de leurs titulaires ne tenait pas à la foi. C'était une matière mixte sur laquelle le pouvoir séculier a toujours eu la haute main. Le roi avait supprimé en 1764 un ordre religieux trop puissant (les Jésuites) sans attendre d'y être autorisé par l'Église. La nation aurait-elle donc des scrupules à user d'un droit souvent exercé par le monarque ?

Camus développa le lendemain avec plus de science des considérations semblables. Il s'efforça en outre de rassurer l'Assemblée sur les conséquences du refus de négocier avec Rome. En supposant même que le pouvoir civil excédât son droit, ce qui n'était pas, la religion ferait quand même un devoir au clergé de France de coopérer à l'application du décret : Supposé que la nation, faisant des lois' constitutionnelles, outrepasse les bornes de son pouvoir, en réglant les limites des diocèses et des paroisses, faut-il se conformer à cette décision ou y résister en refusant les sacrements et les autres secours de l'Église à ceux qui se trouveraient dans les parties ajoutées aux anciens diocèses, en exerçant, contre la volonté de la Nation, par les évêques dont les sièges ne seraient pas conservés, leurs anciens pouvoirs ? La question ainsi posée ne saurait faire un doute[37]... Pour prévenir les troubles, pour entretenir la paix, le clergé de France, Camus n'en doutait pas, accomplirait son devoir de charité. Il se soumettrait, ne fût-ce que dans la crainte de causer de plus grands maux !

Chose remarquable, les évêques présents ne protestèrent pas contre ce langage, ne détrompèrent pas Camus, pas plus qu'ils n'avaient détrompé Treilhard qui avait exprimé le même espoir.

Tous les membres du côté gauche ne furent pas cependant convaincus par l'argumentation de Treilhard et de Camus. Le groupe des curés patriotes insista à plusieurs reprises par l'organe de Gobel, évêque de Lydda, pour le vote de l'article du comité. Gobel s'y prit avec adresse. Sans heurter de front la thèse gallicane sur les limites des deux pouvoirs, il attira l'attention de l'Assemblée sur les difficultés d'application de la constitution civile : Il ne s'agit pas seulement, dit-il, de diviser ou de démembrer le territoire, ce que vous pouvez effectivement faire, de même que l'ont fait Charlemagne et plusieurs autres princes chrétiens ; mais il s'agit, à la suite de cette division ou de ce démembrement, de donner au nouvel évêque, relativement à ses pouvoirs [spirituels], l'activité nécessaire au salut des habitants de ce territoire... Or, l'évêque ne tient sa mission spirituelle que de l'Église, et l'Assemblée n'a pas l'intention de s'immiscer dans le spirituel ! Qui aura donc la puissance de priver M. l'évêque de Tournai de la juridiction spirituelle attachée à son siège qu'il exerce sur les habitants de Lille et de la transporter à l'évêque d'un siège de France ?... Retirer de la main d'un évêque, canoniquement institué, l'exercice des pouvoirs nécessaires au salut des fidèles, pour le placer dans les mains d'un autre évêque, est une chose purement spirituelle, qui excède la puissance de l'autorité temporelle. Ainsi il faudra nécessairement recourir à l'autorité de l'Église, puisqu'elle seule peut donner au nouvel évêque, sur les fidèles du nouveau territoire, la juridiction spirituelle nécessaire à l'exercice des pouvoirs qu'il tient de Dieu... Mais comment recourir à l'Église ? L'article proposé par le comité était rédigé en termes vagues. Il pouvait aussi bien s'entendre d'un recours à l'Église de France assemblée en concile, que d'un recours au pape. Boisgelin avait demandé l'un ou l'autre sans marquer de préférence. L'archevêque d'Arles tenait pour le concile. Gobel se prononça résolument contre le concile : Je le dirai sans craindre de déplaire ; dans l'état actuel des choses vous avez bien des raisons de redouter une pareille convocation, malgré la bonne volonté des prélats qui ont parlé avant moi[38]... Gobel ne s'expliqua pas plus nettement, mais sa pensée était claire. Il craignait que le concile ne devînt un centre de contre-révolution. Puisque le concile était impossible, il ne restait plus que le recours au pape, et Gobel le proposa.

Visiblement ce discours avait fait une vive impression. Camus n'eut pas trop de toutes les ressources de son immense érudition et de sa pressante dialectique pour empêcher un vote qui eût été d'une gravité particulière. Il loua les motifs respectables qui avaient inspiré Gobel, puis il s'efforça de démontrer que les difficultés signalées par lui étaient chimériques. L'ordination conférait d'après lui au prêtre et à l'évêque un pouvoir général et illimité d'exercer le saint ministère qui lui est confié[39]. Le pouvoir civil n'empiétait pas sur le spirituel en remaniant les circonscriptions ecclésiastiques, car il ne donnait pas en même temps le droit d'administrer les sacrements. Ce droit était antérieur et supérieur à la démarcation. Il avait été conféré une fois pour toutes par l'Église à ses ministres mais c'était le pouvoir civil qui désignait à ces ministres le territoire où ils auraient à l'exercer. Camus, sortant de la théorie, invoquait enfin la pratique reçue. Il montrait les bénéfices à pleine collation laïcale conférés par les seigneurs seuls sans la participation des évêques. Pourquoi ce qui avait été permis à de simples particuliers ne le serait-il pas à l'État ? Pourquoi la nation n'aurait-elle pas, à l'exemple des patrons laïques, le droit de désigner le territoire ou devait s'exercer le ministère ecclésiastique ? Est-ce que le grand aumônier n'exerce pas une juridiction spirituelle ? Et pourtant il l'exerce sur une simple nomination du roi sans délégation spéciale de l'Église 1 Qu'importe encore que les décrets du concile de Trente aient obligé les prêtres nommés par les collateurs laïques à se munir d'une approbation épiscopale pour exercer leurs fonctions, c'est une disposition de discipline et le concile de Trente n'est pas reçu en France pour la discipline.

Camus ne dit pas, ce qui était le fond de la pensée des adversaires de l'article du comité, qu'il combattait le recours à l'Église, surtout pour des raisons d'opportunité et de politique. A l'heure où la résolution du clergé était encore Indécise, il aurait été d'une grande maladresse de le précipiter dans l'intransigeance en exprimant à son égard une défiance déplacée. Il était plus habile d'avoir l'air de ne pas douter de son patriotisme.

Ce jour-là, l'Assemblée ne donna gain de cause ni à Gobel ni à Camus. Elle réserva l'article et en ajourna la discussion.

Le 21 juin, alors que la plus grande partie du décret était votée, Gobel fit un nouvel effort.

Il fallait, disait-il couronner le grand œuvre de la constitution dans la concorde et dans la paix, et éviter pour cela de troubler les consciences timorées ou scrupuleuses.

Le débat cette fois fut très court et son aspect tout nouveau. Personne du côté gauche ne protesta plus contre l'idée de recourir au pape seul. Treilhard, au nom du comité ecclésiastique dont il était président, se leva, et, en quelques mots, fit rejeter la proposition, non pas comme mal fondée, mais comme inutile ! Je demande la question préalable contre cette proposition. Il est facile de sentir qu'elle n'est point admissible. Quand un décret est rendu, qu'il est sanctionné, le roi est obligé de le faire exécuter. Il est donc inutile de dire qu'il prendra toutes les mesures nécessaires pour l'exécuter. Cette proposition est dangereuse parce qu'elle -tendrait à faire croire qu'il y a des difficultés dans l'exécution d'un décret aussi facile à exécuter que tout autre[40].

Treilhard admettait donc maintenant que le roi prit toutes les mesures nécessaires pour assurer l'exécution de la constitution civile, c'est-à-dire qu'il acceptait ce recours au pape dont il ne voulait absolument pas entendre parler quinze jours auparavant, et toute la gauche était alors de son avis, puisque personne ne protesta.

Ce sera donc du consentement au moins tacite de la Constituante que le roi, négociera avec le pape la régularisation du décret, cette régularisation réclamée par Boisgelin au nom de l'épiscopat !

Mais que s'était-il passé du let au 21 juin qui explique le changement d'attitude des patriotes gallicans ?

Le 10 juin, Avignon s'était révolté et le surlendemain avait proclamé la déchéance du pape, chassé le vice-légat et voté sa réunion à la France. Le même jour, 12 juin, l'assemblée représentative du Comtat Venaissin réunie à Carpentras, tout en protestant encore de sa fidélité au pape, avait voté à son tour l'adoption de la Constitution française.

Le 17 juin, Camus avait lu à la tribune une lettre des officiers municipaux d'Avignon demandant à l'Assemblée de ratifier le vote d'annexion. Sur la proposition de Charles de Lameth, leur lettre avait été communiquée au roi.

N'est-il pas infiniment probable que les événements d'Avignon et du Comtat n'ont pas été étrangers à la nouvelle attitude de Treilhard et du côté gauche ? Le recours au pape, que les patriotes n'envisageaient pas auparavant sans appréhensions, leur apparaissait maintenant sous des dehors moins redoutables. La chose ne leur semblait plus impossible d'obtenir cette régularisation canonique que l'épiscopat mettait comme une condition indispensable à sa soumission et à son concours.

Le procédé employé pour demander le visa pontifical n'avait d'ailleurs que des avantages sans aucun inconvénient. L'Assemblée, en ne se prononçant pas par un vote formel sur la nécessité du recours à l'Église, avait sauvegardé l'avenir. Si le pape, contre toute attente, faisait le récalcitrant, si les événements d'Avignon ne suffisaient pas à l'amener à composition, on en serait quitte pour exécuter sans lui la constitution civile, comme on en avait eu d'abord l'intention. Les négociations entamées par le roi seraient des négociations officieuses, simplement tolérées pour l'amour de la paix. Si elles échouaient, cela n'avait pas d'importance : on se serait toujours donné, en attendant, le beau rôle, le rôle conciliant, mais on courait une chance sérieuse de réussir. Quel triomphe si on parvenait à obtenir de Rome elle-même la consécration de la réforme religieuse qui supprimait en France le pouvoir de Rome ! Et quelle tentation que celle de faire servir à la ruine de l'aristocratie ce que l'aristocratie considérait comme son dernier rempart, l'autorité pontificale !

En somme, la Constituante consentait à offrir au pape le moyen de s'associer à son œuvre, elle ne lui permettait pas de s'y opposer.

Et pourtant, tellement était générale la conviction que la Révolution était une force inéluctable, la concession — encore que faite sans bonne grâce et non dépourvue d'arrière-pensée — qui permettait l'ouverture des négociations fut accueillie avec satisfaction et soulagement pas l'ensemble de l'épiscopat et du clergé.

 

 

 



[1] C'est ce qui résulte de l'examen des feuilles de travail du comité conservées aux Archives nationales, DXIX, 99, 100, 101, 102.

[2] Rapport fait à l'Assemblée nationale, au nom du Comité ecclésiastique, par M. MARTINEAU, député de la ville de Paris, sur la Constitution civile du clergé, imprimé par ordre de l'Assemblée nationale. Paris, Imp. nat., 1790, 40 p. in-8.. La première partie du titre I (nouvelles circonscriptions ecclésiastiques) fit l'objet d'un rapport postérieur de Boislandry au nom des comités ecclésiastique et de Constitution.

[3] Rapport fait à l'Assemblée nationale, au nom du Comité ecclésiastique, par M. l'abbé EXPILLY, recteur de Saint-Martin de Morlaix, député de Bretagne, sur le traitement du clergé actuel. Imp. par ordre de l'Ass. nat., 1790, 24 p. in-8°.

[4] Rapport fait à l'Assemblée nationale au nom du Comité ecclésiastique, sur les fondations et les patronages laïques, par M. DURAND DE MAILLANE, député de Provence au département des Bouches-du-Rhône. Imp. nat., 1790, 23 p. in-8° avec une suite de 24 pages.

[5] Voir le rapport de Chasset à la séance du 9 avril : La première section du comité ecclésiastique a communiqué, ses plans sur le régime du clergé futur au comité des finances qui les a adoptés... Moniteur, réimp., IV, p. 83.

[6] Moniteur, réimp., t. IV, p. 496. Si on veut savoir dans quelle consternation la proclamation royale jeta les aristocrates, il n'est besoin que de lire le passage inédit d'une lettre de l'abbé de Salamon à Zelada, en date du 31 mai 1790 : Ce qui est plus affligeant et qui navre de douleur tous les bons Français, c'est que le Roy abbandonne ses plus fidèles sujets. Il vient, par une proclamation envoyée samedi soir à l'Assemblée, dire qu'il faut se rallier avec courage autour de la loy et favoriser comme lui de tout son pouvoir l'établissement d'une Constitution, l'anéantissement de cette belle monarchie la destruction de cette belle et sainte religion plus ancienne qu'elle, qui dépouille le clergé et cette valeureuse noblesse tant de fois soutien du thrône, qui renverse cette antique magistrature qui a mis la couronne sur la tête du grand Henry et qui tant de fois a maintenu l'authorité des Roys contre les entreprises de ses sujets, et c'est cette constitution fatale à tout l'empire que Louis XVI nous ordonne d'établir de tout notre pouvoir sous peine d'encourir toute son indignation et qui ose dire que nous pallions nos intérêts ou nos passions privées du nom sacré de la Religion ? Après cela, Éminence, que dire, que faire ? Arch. Vatic. Francia, 582 (Communication de M. l'abbé Sevestre).

[7] Rapport, p. 5.

[8] Chasset, le 9 avril, avait déjà entonné l'éloge de la religion : ... pénétré d'un saint respect pour cette institution divine, qui seule peut rendre les hommes justes et heureux... Moniteur, t. IV, p. 83.

[9] Moniteur, réimp. t. IV, p. 515. Dans son Opinion, Imprimée à part, Camus s'exprime en ces termes légèrement différents : Pourquoi l'Église, qui est dans l'État, s'élèverait-elle contre une disposition qui est faite par l'État ? N'est-ce pas une vérité certaine qu'une nation a le pouvoir d'admettre dans son sein telle ou telle religion ? Elle abuse de son pouvoir si elle refuse de recevoir la vraie religion, si elle en admet une fausse, mais enfin tel est son pouvoir... P. 16 de l'Opinion (1er juin). Un pamphlet anonyme, Réplique au développement de M. Camus sur la Constitution civile du clergé (Bib. nat. Ld⁴ 3117), protesta avec indignation contre la thèse soutenue par Camus et par Treilhard. Si l'Église est dans l'État, l'État était dans l'Église.

[10] Moniteur, réimp., t. IV, p. 500 (30 mai). Le texte officiel de l'Opinion de Treilhard est le suivant : Un État peut admettre ou ne pas admettre une religion, il peut, à plus forte raison, déclarer qu'il ne veut pas de tels ou tels établissements particuliers sans lesquels la religion subsiste encore ; il peut, à plus forte raison, déclarer qu'il veut que ces établissements subsistent dans tel ou tel lieu ; il peut, à plus forte raison, déclarer qu'il veut que ces établissements soient administrés de telle ou telle manière ; rien n'est plus étranger au dogme et à la foi ; rien n'est, par conséquent, plus indifférent à la religion... Opinion..., p. 26.

[11] Rapport, p. 8.

[12] Rapport, p. 12.

[13] Cette brochure, parue sans nom d'auteur à la fin de 1789 ou au début de 1790, est intitulée : Sentiment d'un évêque sur la réforme d introduire dans le temporel et la discipline du clergé. S. l. n. d. 12 pages. Du Tillet dénonçait les mauvais choix des pasteurs du second et du premier ordre, les résignations et préventions (qui) peuplent le clergé de sujets qui n'ont ni l'esprit ni le talent de leur état, la pluralité des bénéfices et l'excessive opulence de plusieurs bénéfices, souvent sans fonctions, et l'extrême médiocrité de quelques autres très utiles, le luxe de tout genre et particulièrement celui de la table chez les riches bénéficiers, le défaut de résidence causé par l'ennui de la représentation, le dégoût des devoirs et l'ambition, la multiplication d'offices Inutiles, la multiplication excessive des ordres et des maisons de religieux, la mauvaise éducation donnée dans les séminaires, l'impunité assurée aux mauvais prêtres ou prélats, la longueur et l'abondance des procès, etc. Il demandait l'abolition des bénéfices sans fonctions tels que les abbayes, les prieurés simples, les collégiales inutiles, les chapelles, etc.

[14] Rapport..., p. 17.

[15] Quand les électeurs nomment un évêque, ils ne font qu'une véritable présentation ; la juridiction métropolitaine sera donc nécessaire pour confirmer le choix du peuple. Martineau, séance du 1er juin. Moniteur, réimp., t. IV, p. 516.

[16] Dans le Doubs, cinq communes, l'Hôpital du Grosbois t Rognon, entre autres, présentaient encore (en 1790) le tare spectacle des élections populaires de la primitive Église, Jules Sauzay : Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, t. p. 368. L'abbé de Saint-Paul avait 35 curés à sa nomination ; celui de Saint-Vincent, 34 ; l'abbesse de Baume, 20 ; l'abbé de Montbenoît, 13 : le prieur de Mouthier, 9 ; celui de Lanthenans, 8 ; le commandeur du Temple de Besançon, 4, etc. De même, à Lourdes, c'était le corps municipal qui présentait à la cure (cf. abbé L. Dantin : François de Gain-Montagnac, évêque de Tarbes. Paris, 1908, p. 24).

[17] Discours de M. l'archevêque d'Aix sur le rapport du Comité ecclésiastique prononcé le samedi 29 mai 1790, dans l'Assemblée nationale. 44 p. in-8°, avec une suite intitulée Observations (15 p.). Boisgelin dit que les conclusions de son discours ont été adoptées dans le côté droit de l'Assemblée par tous les évêques présents, ainsi que par un très grand nombre de députés ecclésiastiques qui se sont levés pour marquer leur sentiment (p. 15 des Observations).

[18] Discours, p. 16.

[19] Discours, p. 10. On sait que le Concordat réduisit à 60 le nombre des diocèses.

[20] P. 24. L'évêque d'Orange avait demandé que le chapitre fût présidé par l'évêque, et que celui-ci fût obligé de le consulter dans les affaires importantes (p. 10 de la brochure citée).

[21] P. 34. Je ne trouve pas dans le discours de Boisgelin l'argument que fit valoir le curé Goulard, mais c'était un argument courant depuis le décret du 2 novembre sur la sécularisation des biens d'Église : Les curés étant payés par le peuple seraient soumis au peuple qui dirait : Messieurs, nous vous payons ; ainsi s'établirait une anarchie spirituelle. Séance du 31 mai, Moniteur, réimp., t. IV, p. 505.

[22] L'évêque d'Orange avait demandé la tenue des synodes diocésains tous les ans, des synodes métropolitains tous les ceux ans (Sentiment d'un évêque, p. 11). L'article que combat Boisgelin ne supprimait pas les droits des métropolitains, mais les obligeait à consulter leur synode (art. 5. du titre Ier).

[23] P. 36. L'évêque de Clermont, le curé Goulard, défendirent le pouvoir juridictionnel du Saint-Siège, mais sans s'avouer ultramontains : J'entends des personnes qui me disent que je crois à l'infaillibilité du pape ; non, je n'y crois point... (Goulard, séance du 31 mai. Moniteur, t. IV, p. 505).

[24] L'accusation de jansénisme contre le plan du comité ne fut portée à ma connaissance, au moment de la discussion, que dans la brochure d'un député en congé, Thiébaut, curé de Sainte-Croix-de-Metz. Examen impartial du rapport fait d l'Assemblée nationale par M. Martineau. A Metz, de l'imprimerie de J.-B. Collignon, 63 pages. Metz, ce 20 mai 1790. Bib. nat. Le²⁹ 659. Empêcher les nouveaux évêques de s'adresser à Rome pour en obtenir confirmation, c'était, salon Tillébout, adopter le système janséniste.

[25] Il faut avoir les lunettes du P. Dudon pour trouver dans les discours de Boisgelin l'expression d'un non possumus absolu et sans espoir. (Etudes du 5 avril 1908, p. 103 à 108). Sans doute, Boisgelin condamnait la constitution civile en principe, il ne pouvait pas faire autrement. Mais toutes ses paroles et tous ses actes prouvent qu'il était d'avis de s'en accommoder dans la pratique.

[26] Moniteur, t. IV, p. 504 (séance du 31 mai). L'attitude de l'Assemblée est d'autant plus remarquable qu'il y avait dans l'opinion un fort courant en faveur du mariage des prêtres. Consulter à la Bib. nat. les brochures suivantes : Voltaire sorcier ou Accomplissement de la prophétie du mariage des prêtres (Lb³⁹ 2977) ; Considérations sur l'injustice des prétentions de la noblesse et du clergé, p. 28 (Lb³⁹ 1058) ; La mitre renversée (Lb³⁹ 2627) ; De la noblesse et des moines, p.18 (Lb³⁹ 1057) ; abbé Sieyès, Projet d'un décret provisoire sur le clergé, p. 27 (Lb³⁹ 2950) ; Projet de loi sur le clergé et sur l'utilité du mariage des prêtres (Lb³⁹ 2568) ; Mémoire sur l'administration et la réformation des biens du clergé, p. 68 et suiv. (Lb³⁹ 1054). Mirabeau accusa Robespierre de lui avoir volé sa motion sur le mariage des prêtres. Voir P. Plan, Un collaborateur de Mirabeau, Reybax, Paris, 1874.

[27] Séances des 1er et 2 juin. La motion de Camus, amendée par Defermont, maintenait le droit d'appel au métropolitain.

[28] Moniteur, réimp., t. IV, p. 521, séance du 2 juin.

[29] Lanjuinais voulait que les seules matières importantes fussent délibérées non plus au conseil épiscopal supprimé mais au synode. Pour les affaires ordinaires et dans l'intervalle des sessions du synode, l'évêque aurait conservé l'exercice intégral de sa juridiction.

[30] L'article primitif disait que l'évêque ne pourrait faire aucun acte de juridiction qu'après en avoir délibéré avec ses vicaires, soit pour ce qui concerne l'administration de la paroisse cathédrale ou du séminaire, soit pour ce qui regarde le gouvernement du diocèse. L'article voté disait seulement pour tout ce qui concerne l'administration du séminaire et le gouvernement du diocèse. L'évêque restait donc seul maitre de l'administration de la paroisse cathédrale.

[31] Durand de Maillane avait déjà exposé le même système dans son Plan.

[32] Les cartons du comité ecclésiastique renferment un grand nombre de lettres de paroisses réclamant le droit de choisir leurs curés. Beaucoup de ces paroisses avaient même procédé à des choix, naturellement illégaux.

[33] Pour les raisons suivantes : l'amendement était inutile puisque les électeurs étaient tenus d'assister à la messe qui précédait l'élection qui se faisait dans l'église cathédrale ; — ce serait établir une sorte d'inquisition que de demander compte aux électeurs de leurs opinions religieuses (Toulongeon) ; — on s'effraye beaucoup de ce que les non-catholiques concourent à l'élection de l'évêque, pourquoi non ? ils concourent bien à le salarier (Jallet, s. du 31 mai) ; — dans le régime actuel, les non-catholiques nomment et nomment seuls à des bénéfices, même à des bénéfices ayant charge d'âmes (Treilhard, Opinion du 30 mai, p. 10). En effet, des seigneurs protestants pouvaient être collateurs.

[34] Histoire apologétique, p. 78.

[35] Art. 6 du titre IV du projet rédigé par Martineau.

[36] Histoire apologétique, p. 79, 80.

[37] Opinion de Camus (31 mai 1790), p. 32-33.

[38] Opinion de M. l'évêque de Lydda (Mardi 1er Juin 1790)' ainsi que les citations qui précédent.

[39] Opinion de Camus, p. 35.

[40] Moniteur, réimp., t. IV, p. 686.