Pourtant tout se passe au mieux. Dans les cérémonies préparatoires, l'Empereur fait même figurer la proclamation officielle du plébiscite. Cela, comme pendu et noyé, fait seulement l'objet d'un article au Moniteur. Le 6 frimaire (27 novembre), insertion du sénatus-consulte en date du 10 brumaire (7 novembre) où sont consignés les résultats du vote : le Peuple français, par 3.574.898 voix contre 2.569, a accepté la proposition du Sénat : La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon Bonaparte et dans la descendance directe, naturelle et légitime de Joseph Bonaparte et de Louis Bonaparte, ainsi qu'il est réglé par l'Acte des Constitutions de l'Empire en date du 28 floréal an XII. Le 10 frimaire (1er
décembre), veille du sacre, le Sénat en corps se transporte aux
Tuileries ; il est introduit dans la Salle du Trône et présenté à l'Empereur
par le grand électeur. C'est pour faire part du résultat du plébiscite et
pourrait s'exprimer en peu de mots puisque, depuis six mois, le gouvernement
impérial fonctionne. Mais François (de
Neufchâteau) qui préside, tient à prononcer le discours
d'inauguration. Cela est oiseux, quoique certaines de ses paroles, à présent
surannées, soient un rappel nécessaire des principes constitutionnels. Ainsi,
attester que le droit de suffrage, appliqué
spécialement aux lois fondamentales est le premier attribut du pouvoir
souverain du peuple ; ainsi, affirmer que c'est uniquement du peuple
souverain que l'Empereur tiendra son pouvoir ; proclamer que la République
subsiste, que l'objet du plébiscite a été d'introduire
dans le gouvernement d'un seul les principes conservateurs des intérêts de
tous et de fondre dans la République la force de la monarchie ; ainsi,
revendiquer, pour les républicains dont le
patriotisme a été le plus fervent et le plus ombrageux, le droit d'être les
plus fermes appuis du trône ; ainsi, énoncer, préciser, commenter le
serment constitutionnel, dont chacun des termes exprime une des conditions
essentielles du pacte entre l'Empereur et le peuple, c'eut été moyennant
qu'on y mît moins de rhétorique, un avertissement nécessaire, et un salutaire
enseignement ; mais il est trop tard. Par la réponse que fuit l'Empereur, on
mesure le chemin qu'il a parcouru depuis six mois ; on constate les
suggestions du sacre pontifical, la transformation en son esprit du droit
démocratique qui Ta investi en un droit providentiel qui touche de bien près
au droit divin. Il dit : Je monte au trône où m'ont
appelé (sic) le vœu unanime du Sénat, du Peuple et de l'Armée, le cœur
plein des grandes destinées de ce peuple que, du milieu des camps, j'ai le
premier salué du nom de Grand. Depuis, mon adolescence, mes pensées tout
entières lui sont dévolues et, je dois le dire ici, mes pensées et mes peines
ne se composent plus aujourd'hui que du bonheur ou du malheur de mon peuple.
Mes descendants conserveront longtemps ce trône. Dans les camps, ils seront
les premiers soldats de l'armée, sacrifiant leur vie pour la défense de leur
pays. Magistrats, ils ne perdront jamais de vue que le mépris des lois et
l'ébranlement de l'ordre social ne sont que le résultat de la faiblesse et de
l'incertitude des princes... Ainsi, pas un mot des devoirs envers la nation, envers la Révolution ; pas un, des devoirs que la démocratie impose au chef qu'il lui plaît d'élire et dont le peuple demeure le souverain. Souverain, le peuple ? — C'est mon peuple. Et puis, une allusion à Louis XVI qui ne peut manquer d'être saisie, qui rattache la dynastie nouvelle à la dynastie tombée et les met de pair. Ce n'est plus la République, ayant à sa tête un Imperator ou un César, c'est une monarchie dont les héritiers, moyennant qu'ils se gardent des fautes de leurs devanciers, les rois Bourbons, conserveront longtemps le trône... A présent c'est par la Grâce de Dieu que Napoléon est empereur des Français, ce n'est pas seulement une formule qui a changé, c'est l'esprit même[1]. ***Le 10 frimaire, de six heures du soir à minuit, des salves d'artillerie, tirées d'heure en heure, annoncent la solennité du lendemain : à chaque salve, des flammes de Bengale s'allument sur tous les lieux élevés de Paris : les théâtres jouent gratis ; des corps de musiques parcourent les rues en sonnant des fanfares. Pendant la nuit, on s'ingénie h sabler la cour du palais, et la terrasse qui longe le château. On répand sur les fondrières cinquante-sept voies de sable de rivière. À cause de la rareté des ouvriers, on a été obligé de les prendre à tel prix qu'ils ont demandé, et c'est trois francs vingt-cinq le jour, quatre francs la nuit, ce qui est sans exemple. Il neige, mais sans qu'il dégèle. À huit heures, la neige cesse de tomber. Le froid reprend. Avant qu'il fasse jour, les députations désignées par le sénatus-consulte pour assister à la prestation du serment, se sont réunies au Palais de Justice dont les salles sont éclairées par 429 fortes terrines à lampions de six pouces de diamètre. À sept heures, ces députations, sous des escortes de la garde de Paris, parlent à pied pour Notre-Dame. A la même heure, se forment, place Dauphine, les députations des armées de terre et de mer et des gardes nationales ; celles-ci de deux espèces : les députations officielles, environ 5.000 hommes, mises aux ordres du colonel Curto, chargé de leur police, discipline et organisation ; et les députations volontaires des gardes d'honneur créées lors des divers voyages du Premier consul et de l'Empereur dans divers départements : deux cent trente-trois hommes, presque tous gardes à cheval, venus à Paris par dévouement et à leurs frais, embrigadés sous le colonel Beaumont, aide de camp du gouverneur de Paris, et formés en deux sections commandées l'une par le colonel Cazin-Caumartin, de Boulogne-sur-Mer, l'autre par le colonel de Marmol, de Bruxelles, Partie seulement de ces députations, auxquelles se sont réunies celles de corps spéciaux volontaires, tels que les Vétérans gardes d'honneur du Sénat — les survivants de Royal-Pituite — entreront à l'église ; le reste bordera la haie. A huit heures, les grands Corps de l'état partent de leurs palais respectifs. Le Sénat, le Conseil d'Etat, le Corps Législatif, le Tribunal, dans des voilures, chaque corps sous une escorte de cent cavaliers ; la Cour de cassation à pied, avec une escorte de quatre-vingts fantassins. Autour de Notre-Dame et à l'intérieur de l'église, la
bousculade est effroyable. Les piquets des six bataillons de Grenadiers et de
Chasseurs de la Garde ont relevé, dès cinq heures, les postes de l'Archevêché
et de la cathédrale, mais les officiers ne veulent rien savoir des civils, ou
plutôt de l'unique civil qui se soit trouvé à leur arrivée : l'architecte
Fontaine ; car nul maître des Cérémonies ne s'est dérangé, même nul des
vingt-neuf commissaires payés un louis chacun. Lorsque, dès six heures, on a ouvert les portes, un grand nombre
d'invités qu'une impatiente curiosité a amenés avant le jour, se sont
précipités et ont franchi les portes, moyennant qu'ils aient remis leurs
billets aux quatre-vingt douze contrôleurs à neuf francs. Une fois entrés, ils ont circulé dans tous les rangs, dérangé les ouvriers
qui besognent encore et, pendant plus d'une heure et
demie, le plus grand désordre a régné dans l'église. C'a été avec une
peine infinie que Fontaine est parvenu à obtenir des autorités militaires
qu'elles suppléassent les Cérémonies tard levées et qu'elles établissent de
l'ordre dans les entrées. Mais, au dehors, point de Fontaine. Le préfet de Police a interdit la place du Parvis aux voitures autres que celles des trois cortèges du Pape, de l'Empereur et de l'archichancelier Dalberg ; les rues aboutissant à la place du Parvis sont obstruées par la foule ; les invités arrivés après le jour levé ne savent comment parvenir à l'église. Quantité de femmes, et des premières du régime, ont dû, malgré la légèreté de leurs toilettes, largement décolletées, mettre pied à terre près du Palais de Justice, à l'entrée de la rue de la Barillerie et, perdues au milieu du populaire médiocrement respectueux, dans ces ruelles tortueuses qui, il y a soixante ans encore, se faufilaient entre les vieilles maisons de la Cité, elles s'effaraient à bon droit, lorsqu'apparut, au milieu de son escorte, la Cour de Cassation. Ce fut pour ces vénérables magistrats un regain inespéré de séduction, lis ouvrirent leurs rangs aux belles éperdues qui, sous le couvert des loges couleur de feu, pénétrèrent dans la cathédrale. L'ordre de préséance pour le placement des corps constitués ne partait point du chœur, mais du bas de l'église, des marches du grand trône du haut duquel l'Empereur prononcerait le serment constitutionnel. Les premiers, les sénateurs, assis moitié à droite, moitié à gauche ; les conseillers d'Etat, des deux côtés du trône, sur des gradins ; puis, en avançant vers le chœur, les législateurs, les tribuns, les membres de la Cour de cassation, les grands-officiers de la Légion, les commissaires de la Comptabilité, les généraux de division, les vice-amiraux, les présidents et procureurs généraux de Cours impériales, les présidents des Collèges électoraux de départements, les préfets maritimes, les préfets, les présidents et procureurs généraux de Cours criminelles, les généraux de brigade, les présidents dos Conseils généraux de département, les sous-préfets, les maires des Donnes Villes, les présidents d'Assemblées de canton, les présidents d'Assemblées de consistoire, les présidents des Chambres de commerce, les inspecteurs en chef aux Revues, les commissaires ordonnateurs des Guerres, les membres du Conseil général de Commerce, les membres du conseil général de la Seine, les présidents des classes de l'Institut, le président de la Société d'agriculture, les membres des députations coloniales. C'est la France officielle, classée, étiquetée, costumée, une France où chaque organe administratif, judiciaire, militaire, a sa place, son rang, son uniforme, se distingue au premier coup d'œil et ne saurait être confondu ; la France telle que l'a faite Napoléon, nouvelle comme lui, portant si profondément son empreinte, résultant si exactement de son esprit organisateur, hiérarchique et formaliste, qu'elle ne saurait appartenir à nul autre, qu'elle est son œuvre — et l'œuvre de quatre années. Dans les tribunes, à droite du trône et à sa hauteur, les dames et les officiers des princes ; à gauche, le corps diplomatique ; puis, les familles des grands dignitaires, des ministres, des grands-officiers et des officiers de la Maison ou des membres des corps de l'Etat ; puis, les bureaux de l'Institut, l'état-major de Paris, les préfectures de Paris, les administrations ; dans des tribunes pratiquées au rez-de-chaussée, les officiers de la Garde. Dans les deux rangs des galeries au-dessus de la nef et autour du chœur, sur des gradins, les députations des armées et des gardes nationales ; cela fait une superposition d'êtres à l'infini ; du pavé aux voûtes, des tôles qui s'agitent et des yeux qui regardent. A neuf heures, c'est le dernier départ : le Corps diplomatique, qui s'est réuni chez son doyen, en part sous une escorte de cent cavaliers : plus de petites puissances que de grandes, mais cela fournit et puis il y a un Turc. Ensuite, les princes étrangers, médiocres princes — et beaucoup ne seront point payés de leur empressement : margrave de Bade, prince héréditaire de Hesse-Darmstadt, princes de Hesse-Hombourg, de Solm-Lich, de Nassau-Weilbourg, d'Isenbourg, de Löwenstein, de Löwenstein-Wertheim : quelle hécatombe avant deux ans ! A présent on los comble : on leur offre une escorte, et on leur adjoint le propre beau-frère de Sa Majesté, le prince Borghèse. Quant à l'archichancelier de l'Empire germanique, électeur prince-évêque de Ratisbonne, il est comble d'honneurs : il a son cortège à part de trois voitures impériales, et une garde pour lui seul. Cela n'est point sans portée d'avenir et doit être remarqué. A ce couronnement n'aura pas manqué son Dalberg. Un peu avant neuf heures, les diacres assistants de Sa Sainteté, le cardinal Braschi-Honesti, et le cardinal de Havane, chacun dans une voiture de la Cour, partent des Tuileries, de façon à précéder le Pape à l'Archevêché. A neuf heures battant, le cortège du Pape quitte le Carrousel. En tête, un escadron de dragons, puis la voiture, des officiers de l'Empereur détachés près du Pape : Viry, Brigode et Salmatoris ; ensuite, sur un mulet qu'on n'a point eu l'idée d'acheter et qu'on a loué pour 67 francs, le porte-croix du Pape : Monsignor Speroni. Dès que Speroni débouche sur son étrange monture, raide, tout d'une pièce, portant haut et droit son crucifix, c'est dans la foule, nullement recueillie, une risée qui court, s'accroît, monte presque en huée : Voilà la mule du pape, c'est elle qu'on baise ! Speroni passe impassible ; on prétend qu'il est ravi. Il aura les honneurs de l'imagerie populaire ; la gloire du baromètre, haussant et baissant sa croix selon que la relâche ou.la resserre la corde à boyau. Comme il a de l'esprit à la romaine, il fera collection de ces images et dira seulement qu'il connaissait le caractère français. Après Speroni, un carrosse à six chevaux pour les grands-officiers de la cour pontificale : le duc Braschi, le prince Altieri, le prince Ruspoli, le marquis Sacchetti ; ensuite, le carrossé du Pape ; il est attelé de huit chevaux, gris pommelés d'une merveilleuse beauté dont la tête est empanachée, la crinière et la queue tressée, et que mène à grandes guides un cocher, en grande livrée jaune, galonnée d'or sur toutes les tailles ; à la tête des chevaux, garçons d'attelage et piqueurs en pareille livrée ; à l'intérieur, tendu de velours blanc brodé d'or, le Pape en blanc, très simplement vêtu et, sur la banquette, les cardinaux Antonelli et di Pietro. On le voit à clair par les huit glaces portées sur la caisse dorée et peinte, sous l'impériale où, soutenue par quatre colombes dorées se dresse la tiare pontificale. Aux sièges, devant et derrière, six pages et quatre valets de pied en jaune et or ; à la portière de droite, le colonel Durosnel, écuyer de l'Empereur. Rien de plus : après, six voitures pour le majordome et le maître de chambre, pour le vice-gérant de Rome, l'aumônier, le secrétaire des brefs et le sacriste ; pour les camériers secrets ; pour les aumôniers et caudadaires des cardinaux ; pour les aumôniers secrets et les valets de chambre secrets. — Et puis un escadron de dragons. Entre une triple haie de soldats en grande tenue — la Garde a été toute habillée à neuf pour le 18 brumaire — le cortège s'avance ; par la rue Saint-Nicaise, il débouche dans la rue Saint-Honoré, qu'il suit jusqu'à la rue du Roule où il tourne ; puis la rue de la Monnaie, le Pont-Neuf, le quai des Orfèvres, l'étroite rue Saint-Louis, la rue du Marché-Neuf, la rue du Parvis. On a choisi pour l'itinéraire les rues les plus larges, mais on n'a pu éviter cette rue Saint-Louis, pressée, du quai des Orfèvres à la rue de la Barillerie, entre les hautes maisons construites sur le Petit-bras et celles adossées aux bâtiments qui entourent la Sainte-Chapelle. Sauf à la place du Tribunat et à la pointe de la Cité où des estrades ont été disposées, la foule n'a pu s'accumuler. Les têtes se découvrent — pas toutes. Nul signe de vénération. Personne qui se prosterne ou s'agenouille. Les bénédictions tombent dans le vide. La foule qui gouaille Speroni, n'a pas le temps de reprendre ses rires. D'ailleurs, beaucoup de gens sont hostiles. Le bruit court que la religion catholique va être déclarée religion de l'Etat, que chaque régiment aura son aumônier, que les mariages et les baptêmes célébrés par les Constitutionnels devront être 'renouvelés ou réhabilités ; et c'est à Paris où, depuis dix ans, sont nées et mortes quatre religions pour le moins ! Sous cette tente, trouvaille de Fontaine, que, dans la nuit du 6 au 7, un coup de vent a enlevée, brisant les poteaux et les chevrons du comble, qu'il a fallu rétablir en quatre jours, et à laquelle on donne les derniers coups de marteau, le Pape descend de son carrosse — qui est le carrosse, paré pour la circonstance, de Joséphine. Au vestibule de l'Archevêché, il est reçu par le cardinal de Belloy, gravit le grand escalier, et trouve, dans la grand'salle les cardinaux, les archevêques et les évêques français, les curés et les desservants des paroisses de Paris. Quatre tables sont dressées : sur une grande, les ornements pontificaux, sur deux autres, les ornements du diacre et du sous-diacre latins, du diacre et du sous-diacre grecs ; sur la quatrième, les chandeliers des acolythes. Le Pape se revêt de ses ornements, pendant que le cardinal de Paris regagne l'église au portail de laquelle il doit le recevoir. Le cortège se met en marche : en tête l'abbé de Salamon porte la croix. Et quelle revanche pour le prêtre qui fut, dans le Paris révolutionnaire, le mystérieux internonce de Pie VI, pour l'échappé des massacres de septembre, pour le confesseur de la foi qui vit la religion catholique, décrétée de mort avec ses prêtres, de rentrer, la croix pontificale eu main, dans l'église épiscopale de Gobel, dans le Temple de la Raison, dans le Temple de l'Etre Suprême ! Il n'est que l'histoire pour de telles ironies. A ses côtés, les chapelains secrets portant les deux mitres de Sa Sainteté, le thuriféraire avec l'encensoir et la navette, les huit acolythes avec les sept chandeliers ; derrière, le diacre latin entre le diacre et le sous-diacre grecs ; puis, la double file des évêques, des archevêques et des cardinaux français, ceux-là portant le rochet seul, ceux-ci l'amict, le rochet et la chasuble. Et, après les cardinaux évêques assistants et les officiers de la Maison impériale, le Pape, tiare en tête, entre deux cardinaux qui soutiennent les bords de sa chape ; derrière, les officiers et la foule du clergé, et une garde d'honneur l'entoure, et les Grenadiers en haie présentent les armes, et, à son entrée dans l'église, recevant l'aspersoir des mains du cardinal de Paris, le Pape bénit les prêtres ; d'un geste large, il bénit l'assistance, sénateurs et conseillers d'Etat, législateurs et tribuns, généraux et juges... Combien de ceux-là peuvent lever les mains et montrer qu'elles sont pures du sang des Justes ! Et on l'encense, et sous le dais que portent les chanoines, il s'avance vers l'autel, durant que le bourdon mis en branle par seize hommes, sonne en volée et que, des deux croisées du centre, le double orchestre, que dirige Lesueur, l'orchestre de quatre cent soixante musiciens où fusionnent la Chapelle impériale, l'Opéra, Feydeau, Louvois, le Conservatoire, les Grenadiers et les Chasseurs de la Garde, attaque le Tu es Petrus. Le Pape fait sa prière devant l'autel, puis il est conduit à son trône, du côté de l'Evangile. Les cardinaux se rangent : les évêques viennent sur deux files, à droite et à gauche, baiser l'étole pontificale ; lorsque tout le monde a pris place, le Pape assis sur son trône, récite Tierces. Il est à peine dix heures et demie. L'on attend. Pie VII reste sur son trône, immobile, les yeux fermés, priant, ne sentant ni le froid, ni la lenteur de l'attente. Pourtant, à dix heures, les salves d'artillerie ont annoncé que l'Empereur parlait des Tuileries, mais des à-coups se sont produits dans la marche ; on a mal calculé les embarras que produirait l'immensité du cortège, serré entre les haies de fantassins, attardé par l'empressement des peuples, accroché par de médiocres accidents. En tête, après les trompettes et les timbaliers des Carabiniers, marche le maréchal Murat, gouverneur de Paris, suivi de son état-major, puis quatre escadrons de Carabiniers, quatre de Cuirassiers, le régiment des Chasseurs à cheval de la Carde et l'escadron des Mameluks. Les hérauts d'armes alors, à cheval, le bâton brodé d'abeilles en main, la cotte d'armes de velours violet brodée d'aigles au corps, sur la tête la loque de velours aux plumes blanches qui s'effarent au vent. Puis, les voilures à six chevaux, toutes d'or glacé de vert et de rose ; la voiture des maîtres des Cérémonies, les quatre voitures de grands-officiers de l'Empire, les trois voitures des ministres, la voiture des grands-officiers de la Couronne, la voiture des grands dignitaires, la voiture des princesses — un temps : l'Empereur. Son carrosse, c'est un monde qui roule : le corps de la
voiture, tout doré, est décoré de frises à médaillons représentant les
départements de l'Empire que lie un chaînon de palmettes ; sur les portières,
les grandes armoiries. Quatre figures allégoriques soutiennent le ciel, qui
est tendu de velours vert brodé de branches d'olivier et de laurier, et cerné
par une guirlande de lauriers en bronze doré arrêtée par des aigles d'or : au
milieu s'élève, entre quatre aigles, sur un autel d'or, une couronne modelée sur celle de Charlemagne. L'intérieur est
tendu de velours blanc brodé en or ; sur le plafond, foudre ailé, entouré
d'une double couronne d'oliviers et de lauriers ; au fond et devant, brandies
de lauriers autour d'une N couronnée ; au bas des portières, sous les glaces,
guirlande de chêne, enfermant une couronne de seize étoiles, avec, au centre,
l'étoile de la Légion timbrée de la lettre N. Partout lauriers et semis
d'abeilles. Sur la housse et la garniture, semis d'abeilles, et les grandes
armoiries ciselées et dorées au mat. Les huit chevaux isabelle, empanachés de
blanc, nattés, pomponnés, cocardes de rouge et d'or, harnachés en maroquin
rouge, avec les bronzes ciselés et dorés au mal, sont menés à grandes guides
par un cocher, — et c'est César, le cocher du 3 nivôse — plantureux, étoile,
galonné d'or sur toutes les tailles de son long habit vert ; un piqueur est
monté sur un des chevaux de volée ; un garçon d'attelage est à la tête de
chaque paire. Derrière le siège du cocher et derrière la voiture, des grappes
de pages, autant qu'il en a pu monter. À la hauteur des chevaux, les aides de
camp caracolant ; aux portières, les colonels-généraux de la Garde ; aux
roues de derrière, les écuyers ; derrière, l'inspecteur général de la
Gendarmerie. À l'intérieur, à droite, l'Empereur, en petit costume à l'espagnole, de velours pourpre brodé d'or, étincelant de pierreries ; à gauche, l'Impératrice, toute gracieuse, souriante, rajeunie, la figure si bien faite qu'elle paraît vingt-cinq ans ; robe et manteau de satin blanc, brodé d'or et d'urgent mélangé, diamants au diadème, au col, aux oreilles, à la ceinture. Sur la banquette devant, les princes Joseph et Louis — on ne dit point princes du sang — encore des costumes à l'espagnole, mais blancs. Cela détonne au milieu des uniformes, paraît efféminé, sentie travesti ; c'est une invention de peintre, d'un peintre pour institution de demoiselles : par les formes, un rappel du travestissement décerné aux Directeurs lors de la Constitution de l'an III ; par la richesse des broderies, par les bas de soie, les souliers blancs à bouffettes d'or, un rappel de la vieille cour ; rien de traditionnel qui le justifie, rien d'actuel ni de contemporain qui l'ennoblisse : Ah ! l'uniforme des Grenadiers ! Après le carrosse impérial, centre du cortège, recommence le défilé des voitures à six chevaux, le cocher menant à grandes guides, un postillon monté sur un des chevaux de volée, trois valets de pied grimpés derrière ; voiture pour les grands-officiers de la Couronne, quatre voilures pour les dames et les officiers de l'Impératrice, deux pour les officiers de l'Empereur, quatre pour les officiers et les dames des princes et princesses, une pour les officiers des grands dignitaires ; puis les Grenadiers à cheval, les Canonniers à cheval, la Gendarmerie d'élite. Ainsi, vingt-cinq voitures traînées par cent cinquante-deux chevaux, six régiments de cavalerie, un immense état-major, c'est ce qui doit, au travers des rues étroites, marcher, évoluer, tourner : que de raisons de retard ! De l'enthousiasme sur le parcours ? On ne sait trop : Les acclamations ne manquèrent pas, dit une figurante, et des spectateurs : Il y avait peu de foule et un grand calme. Sous la bise glacée, on attendait depuis deux, trois, quatre heures. Le Parisien, désheuré, ne crie pas le ventre creux. Et puis, trop de soldats : 80.000 hommes, a-t-on dit, une triple haie qui empêche de voir, Pour ses quinze sous, on escalade des tonneaux, des bancs, des tables qui branlent ; on ne crie pas quand on a peur de choir. Et puis, est-ce là l'Empereur ? Est-ce là Bonaparte ? Est-ce là, tout velours, plumes, or, diamants, en héros d'opéra, le Soldat, le Général, le Consul ?... Il est onze heures quand l'Empereur descend de son carrosse, sous la tente dressée en lace du pont de la Cité, auprès du palais de l'Archevêché. Au bas de l'escalier, réception parle cardinal de Belloy : puis, conduite aux appartements, et là, les grands costumes. Il faut du temps à Napoléon pour se dévêtir, pour passer les bas de soie brodés d'or, chausser les brodequins de satin blanc, et, sur la culotte de soie blanche, revêtir la tunique de soie blanche, nouer la ceinture qui doit porter l'épée, coiffer la couronne de lauriers, ajuster l'immense manteau de velours pourpre, chargé de broderies et doublé d'hermine. Et à Joséphine, si minutieuse en sa coquetterie, si experte, mais si longue à donner les plis qu'il faut aux vêtements qu'elle porte, cette fois obligée à un raidissement de tout le corps, à un effort de sa volonté, pour traîner ce manteau de velours de vingt aunes, chargé de 1.600 francs de broderies, et de 10.300 francs de peaux d'hermine, ce manteau qui ne tient pas aux deux épaules, mais qui, pour laisser la poitrine découverte et la taille libre, n'est attaché que sur l'épaule gauche et soutenu que par une agrafe à la ceinture ! A la fin, l'Empereur, de ses mains gantées d'or, a saisi le sceptre et la main de justice ; il descend des appartements et, dans la galerie couverte, décorée de tapisseries des Gobelins, qui longe l'église, le cortège se forme. Il est midi moins le quart. D'abord, les huissiers, tout noir et vert, masse d'or en main, puis les hérauts d'armes violet et or ; les pages vert et or, les aides et les maîtres des Cérémonies que suit le grand maître, violet et argent ; et ce sont les Honneurs de l'Impératrice, entre deux officiers de la Maison, bleu clair, écarlate ou vert, portés par les maréchaux, bleu de France et or : Sérurier avec le coussin de l'anneau, Moncey avec la corbeille du manteau, Murat avec la couronne : l'Impératrice à présent, entre son premier chambellan et son premier écuyer : son manteau est porté — non, soutenu— par les princesses, ses belles-sœurs : la princesse Joseph, la princesse Louis — et c'est sa fille — la princesse Élisa, la princesse Caroline, la princesse Pauline. Quels cris on entendit à Saint-Cloud et de quelles colères ce manteau fut cause ! Il a fallu que l'Empereur se fâchât, et non pas une fois ; qu'il imposât le manteau ou l'exil. Les princesses donc soutiennent le manteau — le moins possible, mais, en échange de leur soumission, elles ont chacune un porte-queue, officier de leur maison. Après, viennent les clames de l'Impératrice, l'escadron volant que mène la boscotte La Rochefoucauld, bouquet de femme si radieusement belles, ou jolies, ou rares, que, dans cette église où elles entrent, elles éveillent un frisson de joie, de volupté et de désir. Et après, entre des officiers, écarlate, bleu clair, vert et bleu foncé, c'est les Honneurs de Charlemagne : Kellermann avec la couronne, Pérignon avec le sceptre, Lefebvre avec l'épée — maréchaux honoraires chargés de la gloire passée. Puis les Honneurs de l'Empereur : Bernadotte, en maréchal d'Empire, porte le collier, Eugène Beauharnais, en colonel-général des Chasseurs, l'anneau, Berthier, en grand veneur, le globe, Talleyrand, en grand chambellan, la corbeille du manteau, — et celui-là, pour l'accompagner, a deux figures dignes de la sienne, Remuant et Lauriston. L'Empereur s'avance, tenant le sceptre et la main de justice, et son manteau est porté par les deux princes et les deux grands dignitaires en leur costume à l'espagnole, contrastant fâcheusement avec sa robe à l'antique et sa couronne de César romain. Derrière, les grands-officiers de la Couronne, les colonels-généraux de la Garde, les ministres, les maréchaux, les grands officiers de l'Empire. Le canon tonne sur le bas quai, le bourdon résonne sous le ballant tout neuf, don de l'Empereur ; l'eau bénite est offerte par le cardinal de Belloy et le cardinal Cambacérès. L'archevêque commence un discours, qui menace d'être long et que Duroc fait signe d'abréger ; au même moment, l'Empereur coupe et pousse, les deux orchestres attaquent une marche guerrière. On commence enfin ! Selon l'étiquette adoptée, si longuement discutée, la cérémonie se déroule ; aucun recueillement ; on a froid, on a faim, quoiqu'il se soit glissé dans l'église des marchands avec des petits pains et de la charcuterie ; sauf des tribunes, dans le chœur, encore celles du rez-de-chaussée et du premier étage, on ne voit rien de la cérémonie qui s'accomplit dans le chœur. Heureusement a-t-on la musique, la messe et le Te Deum à double dessin, composés tout exprès par Paësicllo, où Lesueur a intercalé des morceaux de sa façon : l'Unxerunt Salomonem, l'Accingere Gladio, le Judicabit, le Veni Sancte Spiritus et l'abbé Rose son Vivat déjà fameux. Que de musique ! Pour les parties d'orchestre, on a copié et on exécute 17.738 pages de musique ! Ainsi que l'a voulu Napoléon, la première partie de la cérémonie n'est vue dans ses détails que par des prêtres ou par des hommes qui, par la supériorité de leur raison, ont autant de foi que dans le VIIIe siècle. Ainsi, le serment, les onctions, la bénédiction et la tradition des ornements passent inaperçus. A peine si l'on a distingué l'Empereur, lorsque montant à l'autel et se tournant vers l'assistance, il s'est couronné lui-même ; il a disparu lorsque, descendant les degrés, il est venu couronner l'Impératrice. La marche vers le grand trône pour l'intronisation produit de l'effet : l'Impératrice gravit les cinq premiers degrés, et, alors, le poids du manteau qui n'est plus soutenu par les princesses, restées en bas des marches, la fait chanceler, manque l'entraîner et la précipiter en arrière. Elle doit pour se redresser et continuer l'ascension faire appel à tous ses nerfs. Les porteuses de queue ont-elles médité celle vengeance ? on l'a cru ; ce qui les innocente, c'est. que pareille aventure arrive à l'Empereur ; il chancelle, lui aussi, on le voit faire un léger mouvement en arrière ; mais, par un élan vigoureux, il se reprend et lestement gravit les degrés. Lorsque, après l'intronisation, le Pape, baisant l'Empereur sur la joue, prononce le Vivat Imperator in æternum, on comprend peu et l'on ne crie guère ; d'ailleurs, les deux orchestres attaquent le Vivat dont on dit merveille. Il y a la distraction des allées et venues du grand aumônier portant et rapportant, du grand trône à l'autel, le livre des Évangiles et la Paix ; il y a surtout des offrandes, le joli spectacle des plus belles entre les dames du Palais, marchant après le grand maître et portant, d'un geste étudié, décent et pieux, les deux cierges incrustés de treize napoléons d'or, le pain d'argent, le pain d'or et le vase. Gela réjouit davantage les yeux qu'à Reims, jadis, les quatre seigneurs des offrandes, portant le vase de vermeil, le pain d'or, le pain d'argent et la bourse de velours rouge en broderie d'or où étaient treize pièces d'or du poids de cinq pistoles chacune. Enfin, la messe est terminée ; le Pape, ses assistants, les cardinaux et les prêtres de sa suite se retirent dans la sacristie du Trésor. Le grand aumônier va chercher à l'autel le livre des Evangiles, le porte au grand trône et, debout à la gauche de l'Empereur, le tient ouvert. Les présidents du Sénat, du Corps Législatif, du Tribunal, du Conseil d'Etat, présentés par le grand électeur, déploient devant l'Empereur la formule du serinent. La main sur les Évangiles, Napoléon le prononce d'une voix qui retentit aux extrémités de l'église : Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter et de faire respecter les lois du Concordat et la Liberté des Cultes ; de respecter et de faire respecter l'Egalité des Droits, la Liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des Biens nationaux, de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la Loi ; de maintenir l'institution de la Légion d'Honneur ; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du Peuple français. Et alors, tandis qu'un héraut d'armes redit les formules désuètes des Capétiens et proclame : Le très glorieux et très auguste empereur Napoléon, empereur des Français, sacré et intronisé, les hommes de la Révolution, témoins et garants de ce serment qui affirme et stabilise leur œuvre, qui rend définitives les conquêtes emportées par treize années de luttes, acclament celui en qui, alors seulement, ils reconnaissent leur chef élu, le représentant couronné de la Révolution triomphante. Cependant, le clergé de la cathédrale s'est réuni au pied du trône pour reconduire l'Empereur ; le cortège se reforme une dernière fois par une manœuvre compliquée et se met en marche vers l'Archevêché. Tout s'est bien passé, sérieusement, noblement, froidement. Pas un accroc, pas une faute dès acteurs. Despréaux, le mari de la Guimard, répétiteur des Cérémonies, a bien gagné les 2.100 francs de gratification qu'il recevra. Les Jacobins d'hier, Murat et Bernadotte, ont porté avec recueillement les coussins, chargés ou non des insignes jadis détestés de la tyrannie ; les dames ont figuré comme en un ballet, avec autant de grâce et plus de dignité ; l'Impératrice a paru adorable, et même jeune ; la moue des princesses a été traversée de sourires, certaines n'ayant pas résisté à être jolies ; l'Empereur s'est montré imposant et majestueux ; la couronne des Césars seyait à sa tête romaine qu'illuminaient le génie et l'orgueil. Il a bâillé, a-t-on dit. Il était homme et pouvait avoir des tiraillements d'estomac. Au retour, vers l'Archevêché, ayant à parler à Fesch qui marchait devant lui, il lui a donné dans le dos du bout de son sceptre pour le faire retourner ; mais seul, un fidèle l'a vu. On a pu trouver la cérémonie longue et fastidieuse ; nul ne l'a trouvée ridicule. Les philosophes en sont pour leurs menaces. Il est trois heures. Le jour tombe sous le ciel gris et neigeux, et l'itinéraire que l'Empereur doit suivre au retour est bien plus long. Par la rue du Parvis et la rue du Marché-Neuf, on gagnera la rue de la Barillerie qui passe devant le Palais de Justice et qui, par son prolongement, la rue Saint-Barthélemy, aboutit au Pont-au-Change ; de là, par la place du Châtelet, on abordera la rue Saint-Denis et on s'enfoncera dans ces quartiers les plus commerçants et les plus populeux ; au boulevard, on tournera à gauche, et, suivant de bout en bout jusqu'à la rue Impériale et la place de la Concorde, on rentrera aux Tuileries par le Pont-Tournant et le jardin. Les rues, la rue Saint-Denis en particulier, se sont parées et faites belles. On ne pavoisait point alors ; on tendait, comme en certains pays encore au passage des processions. Cela fait une bigarrure qui étonne mais qui plaît. Les riches ont loué des tapisseries, pendu des tapis à chaque fenêtre ; les moins aisés ont sorti les toiles des Indes qu'on a toujours en quelque coin, les jus d'herbe et les toiles de Gènes. Les pauvres ont vidé leur armoire à linge, étalé leurs draps de lit en y piquant des branchettes de sapin ; la rue tout entière a pris un aspect de fêle ; aux étages, les lampions s'allument ; aux mansardes, vacillent les lueurs de chandelles des six coupées en quatre. Les cavaliers d'escorte, les pages, les valets de pied portent les cinq cents torches qu'on vient de distribuer. Paris a dîné : il est cinq heures. A mesure que cette langue de feu s'insinue au cœur de la ville, un tonnerre continu d'acclamations l'accueille. L'Empereur et l'Impératrice souriants, saluent avec un air de connaissance et d'affection. Un témoin — à la fois partisan des Bourbons et des anarchistes, en qui ont fusionné, comme en beaucoup, les oppositions blanche et rouge — voulant s'expliquer le brouhaha et les trépignements qui se sont manifestés devant lui à l'aspect de la voiture sacrale se refuse à y voir les marques de l'allégresse et les témoignages de l'amour, rien que le mouvement et le langage d'une excessive curiosité qui aperçoit enfin son objet et qui, loin d'être déçue dans son attente la voit surpassée. Ce témoin est précieux, car il critique : trop peu de torches ; on dirait un enterrement ou une exécution nocturne ; le froid fait grimacer les figures ; surtout, pas de musique ! Mais il avoue les cris qui percent les oreilles et le mouvement fluctueux. Même, quand, suivant le cortège, il arrive au boulevard, il est vaincu par la beauté du spectacle : tout y est illuminé, sur deux rangs, d'ifs, d'étoiles et d'orangers, places à dix pas de distance et reliés d'un côté à l'autre de la chaussée par des guirlandes de feux de couleur ; la voie triomphale est comme plafonnée en diamants, topazes et rubis. A la porte Saint-Denis, énorme étoile où brille une N couronnée ; à la place de la Concorde, un obélisque de feu supportant une étoile à cinq rayons, de vingt-cinq pieds de diamètre ; le Garde-Meuble, éclairé par des lustres entre les colonnes ; la perspective des illuminations sur la Seine, des Invalides à la Préfecture de Police ; les Tuileries dont des lignes de feu dessinent l'architecture ; dans les jardins, des colonnes, des arcs de triomphe, des ifs, des caisses d'oranger, lampions, verres de couleur, terrines. Il en a coûte 13.118 francs de maçonnerie, 3.283 francs de terrasse, 1.188 francs de manœuvres, 25.840 francs de charpente, 6.000 francs de serrurerie, 17.729 francs de vitrerie, 49.000 francs de lampions, 1.170 francs de peinture, 9.000 francs de pavage, jardinage et inspection — et toutes ces flammes officielles ne valent point, pour la gloire de Napoléon, un bout de cette chandelle des six qu'un tâcheron de la rue Saint-Denis a posée toute allumée au-devant île sa mansarde et qui tremble et s'éteint au vent du soir. |
[1] La formule promulgatoire des lois et la formule exécutoire des jugements, telles qu'elles sont réglées par les articles 140 et 141 du titre XV du sénatus-consulte du 28 floréal an XII portent : Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de la République, etc. Cette formule sera maintenue jusqu'au mois de septembre 1807. Le décret impérial rendu au camp impérial de Tilsit, le 1er juillet 1807, la porte encore ; Les lois du 3 septembre 1807 ne portent plus que : Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions, Empereur des Français. A la même date, le mot République disparaît du revers des monnaies. J'ai dit ailleurs (Napoléon et son fils) les conclusions que j'en tirais.