Sur sa route, le Pape a été pressé, poussé, harcelé par Napoléon. Il ne pouvait, au calcul de Talleyrand, arriver ù Paris que le 11 frimaire (2 décembre), et l'Empereur, qui avait retardé la cérémonie du 18 brumaire (9 novembre) au 11 frimaire (29 novembre), se voyait obligé de démentir la date fixée authentiquement par les Lettres closes que, selon les précédents monarchiques, il avait adressées à tous les personnages et à tous les corps désignés par le sénatus-consulte pour assister à la prestation du serment constitutionnel. A la vérité il n'y était point question du Pape et l'on eût pu procéder sans lui : L'Empereur disait : La divine Providence et les Constitutions de l'Empire ayant placé la dignité impériale héréditaire dans notre famille, nous avons désigné le cinquième jour du mois de frimaire prochain pour la cérémonie de notre sacre et de notre couronnement. Nous aurions voulu pouvoir, dans cette auguste circonstance, rassembler, sur un seul point, l'universalité des citoyens qui composent la nation française. Toutefois, et dans l'impossibilité de réaliser une chose qui aurait eu tant de prix pour notre cœur, désirant que ces solennités reçoivent leur éclat de la réunion des citoyens les plus distingués, et devant prêter en leur présence serinent au Peuple français conformément à l'article LII de l'acte des Constitutions en date du 28 floréal au XII, nous vous faisons cette lettre pour que vous ayez à vous trouver à Paris avant le 1er du mois de frimaire prochain et à y faire connaître voire arrivée à noire grand maître des Cérémonies. Sur ce nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde. Arrêtées en leur forme le 7 vendémiaire (29 septembre), expédiées le 4 brumaire (27 octobre), ces lettres s'adressaient aux individus revêtus de charges ou de mandats, non aux députations qui s'étaient mises en marche militairement pour être à Paris le 13 brumaire et qui devaient y arriver du 11 au 13. On avait dû arrêter les 5.636 hommes de l'armée de terre et les 561 hommes de l'armée de mer à Melun, Versailles, Saint-Germain, Pontoise et Meaux et les loger chez l'habitant. De plus, il y avait des députations des gardes nationales, celles-ci arrivées vers le 15 à Paris, où chaque garde national avait droit par jour à cinq francs, acquittés moitié sur les fonds départementaux et moitié sur le Trésor public. Il y avait les députations civiles dont les membres, ne touchant point d'indemnités, se trouvaient cruellement embarrassés, car les logis, la nourriture, les vêlements, tout avait renchéri dans une incroyable proportion. La pire mansarde coûtait quinze francs et un repas trois francs. Les camps sans chefs, les troupes sans officiers, les administrations sans directeurs, les prétoires sans magistrats ; la vie nationale arrêtée et, chaque jour, les frais croissant : aussi, par chaque courrier, Napoléon insistait pour que le Pape accélérât son voyage. Il sera beaucoup moins fatigué, écrivait-il, en en abrégeant la durée. Il consentait à différer jusqu'au 11 frimaire, pour tout délai, mais si, à cette époque, le Pape n'était pas arrivé, le couronnement aurait lieu et l'on serait forcé de remettre le sacre. Encore fallait-il, pour régler les derniers arrangements qu'on eût cinq ou six jours devant soi, donc que le Pape fût à Paris le 5 ou le 6. Outre que Pie VII avait souffert de cette précipitation qu'on lui imposait, qu'il trouvait incompatible à sa dignité, contraire aux usages, [et, en partie, destructrice des effets qu'il attendait de son passage en Italie et en France, il avait été péniblement impressionné par l'attaque qu'avait subie, entre Plaisance et Alexandrie, un convoi de sa suite. Trois brigands de la bande de Gênes, poursuivie depuis longtemps, avaient arrêté un fourgon qui n'était pas escorté et y avaient volé quantité d'objets précieux, entre autres, un bâton d'argent doré pour les cérémonies pontificales et des chapelets en or avec médailles d'or pur. La police d'Abdallah Menou prétendait que le tout ne montait pas à deux cents écus ; les maîtres de chambre portaient la perte bien plus haut ; mais le Pape voyait surtout la négligence qui était un manque d'égards. A Lyon, il était oblige d'abandonner le cardinal Borgia, qui s'était trouvé brusquement incommodé et qui mourait quatre jours plus lard. Au défaut de Consalvi resté à Rome. Borgia, préfet de la Propagande, était celui des cardinaux dont les avis eussent été le plus nécessaires. Sans doute, on le traitait avec convenance. A l'extrême frontière, l'Empereur avait envoyé, pour le saluer et pour prendre la direction du voyage, le cardinal Cambacérès, le sénateur Aboville et le maître des Cérémonies Salmatoris. Les voitures mises à ses ordres étaient belles ; les gîtes préparés étaient décents ; les routes avaient exprès été mises en état — ainsi la roule du mont Cenis jalonnée et aplanie, et pourvue de barrières à tous les précipices et la route de la Praz poussée avec tant d'activité qu'elle devenait praticable ; les honneurs militaires étaient, dans chaque place, tels que pour l'Empereur ; les autorités civiles se montraient empressées, le clergé n'était que trop ardent dans les démonstrations de son zèle, et les peuples accueillaient le vicaire de Jésus-Christ comme un messager de Dieu ; mais, était-ce de la part des organisateurs du voyage manque d'en tente, défaut d'esprit ou excès d'empressement ? il n'y avait plus, dès Saint-Jean de Maurienne, aucun ordre dans le cortège ; chacun voyageait isolément, je dirais presque à la débandade, écrit un prélat de la suite ; chacun s'empressait et courait, sur te bruit que Melzi, vice-président de la République italienne, allait passer les Alpes et qu'on manquerait de chevaux. Et l'Empereur, jusque dans les lettres de protocole qu'il adressait à Sa Sainteté pour lui souhaiter la bienvenue dans ses Etats, la pressait et lui marquait d'es fermes. Je me flatte, lui écrivait-il le 20 novembre (29 brumaire), que j'aurai le bonheur de la voir dans la semaine et de lui exprimer les sentiments que j'ai pour elle. Du moins, à Paris, lui avait-on rappelé qu'il était des formules dont se servaient les princes chrétiens, qu'ils se disaient les dévots fils de Sa Sainteté et qu'ils terminaient leurs lettres par la salutation : Sur ce, je prie Dieu qu'il vous conserve, Très Saint-Père, longues années au régime et gouvernement de Notre Mère la Sainte Eglise. Il s'y était conformé. Près de la lettre écrite de Cologne, c'est de la déférence. Pour les actes, il en prend plus à l'aise : il n'ira point au-devant du Pape, mais ayant, par hasard, à courre quelques cerfs, il se trouvera le rencontrer : Me rendant à mon palais de Fontainebleau, qui est sur la route, je me trouverai par cette circonstance en jouir un jour plus tôt. C'est qu'en France les précédents sont rares ; on tenait peu de cérémoniaux au temps de Pépin le Bref et de Louis le Débonnaire. On s'est donc modelé, semble-t-il, sur ce qui s'est passé en Autriche lors du voyage de Pie VI : Joseph 11 est allé recevoir le Pape à cinq milles de Neustadt et il ne convient point que l'Empereur des Français aille plus loin de sa capitale. À Fontainebleau, l'appartement dit. du Connétable, qu'on a destiné à Pie VII, a été meublé comme par enchantement : on y a prodigué les glaces les plus belles, les tapis d'Aubusson, de la Savonnerie et de Tournay. Denon y a pendu des tableaux qu'il a crus religieux et qui, il faut l'espérer, ne viennent pas de Rome : dans le salon, les filles de Béthulie marchant au-devant de David, par Roselli, un Repos de la Sainte Famille, par Valerio Castelli, et le Martyre d'une sainte par Burini ; dans la chambre à coucher, une copie, par Mignard, de la Sainte Famille de Raphaël et un Christ en croix par Rubens. Rien d'ailleurs ne sera plus indifférent à Pie VII, ce pape, comme écrivait Cacault, qui ne dépense rien pour lui, qui n'a que deux habits et deux chaussures et qui hait toute magnificence pour ce qui le louche. Au moins, a-t-on pensé qu'il désirerait dire ou entendre la messe ; mais on n'a point l'ail les frais d'ornements : on en a emprunté à Notre-Dame. Arrivé à Fontainebleau le 1er frimaire (22 novembre), l'Empereur est averti le 4 (25) que le Pape approche : à midi, il sort du palais à cheval, en habit de chasse, et se dirige sur la route de Nemours. A la sortie de la ville, à l'obélisque, il s'arrête et pose des questions ; devant le polygone, il reçoit le salut du canon tiré par les élèves de l'Ecole militaire ; à la croix de Saint-Herem, il écoute le rapport du grand veneur, car la comédie de la chasse et de la rencontre fortuite doit durer jusqu'au bout. On aperçoit les voitures du Pape : l'Empereur descend de cheval, le Pape descend de voiture ; les deux moitiés de Dieu se rejoignent et s'embrassent. Les voitures de l'Empereur s'approchent : Napoléon y monte le premier, — ce qu'on appelle et qui est en effet la politesse italienne, — pour laisser la droite à son hôte. Retour au palais, troupes bordant la haie, canons tonnant, cloches sonnant, les grands-officiers, dont Talleyrand, au bas du perron. Puis, les doux souverains gravissent ensemble l'Escalier doré jusqu'à la pièce qui sépare leurs appartements : repos ; visite du Pape à l'Empereur, à l'Impératrice, présentation des grands officiers ; visite de l'Empereur au Pape, visite du prince Louis. Il y avait un archiduc à Vienne avec Joseph II ; il faut un prince à Fontainebleau. Point de précédents pour le dîner auquel, le 5 frimaire, l'Empereur fait inviter Sa Sainteté par le grand maréchal, et auquel prennent part, outre l'Empereur et l'Impératrice, Fesch, Eugène, Borghèse, le prince Joseph, la princesse Julie et l'archichancelier de l'Empire germanique ; ni pour le concert dans les appartements de l'Impératrice, auquel le Pape refuse d'assister, se retirant au moment où il commence. Ce n'est pas pourtant qu'il se formalise de cet accueil où tout doit l'étonner ; où, s'il y a des honneurs pour le souverain temporel, on paraît avoir totalement oublié qu'il est le souverain pontife et le chef de l'Eglise catholique, où tous les attentats contre l'étiquette pontificale sont accumulés comme à dessein ; mais Joséphine vient de lui révéler qu'elle n'est point mariée, et, de toutes les surprises, celle-là est la plus forte. Le Pape voit le piège où il allait être pris et il ne peut accuser que Napoléon seul de l'avoir tendu. Qu'on lui eût présenté comme épouse légitime la concubine de Napoléon, vivant avec lui hors des lois de l'Eglise, en état de péché mortel ; qu'on lui eût fait adresser à cette femme des brefs louangeurs où il l'avouait pour l'impératrice des Français, pour sa chère fille en Jésus-Christ, et où il recommandait à sa protection l'Eglise catholique, c'était beaucoup ; mais que ce fût à cette femme qu'on l'invitât à imposer le plus redoutable des sacrements, la triple onction donnée avec le chrême réservé aux évoques, fait d'huile et de baume, quia per oleum infusio gratiæ, per balsamum odor bonæ famæ designatur, cela passait les bornes. Et c'est un aveu fait par la principale intéressée qui seul l'a mis en garde. Il n'a pas à rechercher pour quels motifs cet aveu lui a été fait, quels intérêts il va servir, quelles combinaisons il va déjouer : le fait est constant, et c'est assez. Napoléon est averti que le Pape ne participera pas à la cérémonie du Couronnement, si on ne lui rapporte la preuve que le sacrement de mariage a été administré au couple impérial. Que fera Napoléon ? Tout rompre et, le Pape étant à Paris, procéder hors de sa présence au couronnement civil ? — C'est donner à rire à l'Europe entière, se mettre en posture grotesque, reconnaître qu'il a tenté d'abuser le Souverain Pontife et qu'il y a échoué : c'est scandaliser tous les prêtres et tous les catholiques en leur apprenant que l'auteur du Concordat partage son lit et son trône avec une femme qu'il n'a point épousée. Les motifs qui ont déterminé Napoléon à ne pas faire bénir son union par l'Église ne sont point à alléguer : ils tiennent à toutes sortes de combinaisons que son cerveau agitait en même temps que son cœur les repoussait et que l'incertitude de ses moyens physiques les lui rendait suspectes. En révéler le secret est impossible. A présent, il est acculé à ce mariage religieux qu'il a constamment repoussé, par respect, sinon par croyance à une religion qu'il refusait de profaner. A Mombello, général en chef de l'armée d'Italie, il a exigé, à tout risque pour lui-même, que ses sœurs, Élisa et Paulette, fussent unies religieusement à Baciocchi et à Leclerc ; il s'est exposé, au cas que la nouvelle s'ébruitât, à être l'appelé, destitué, peut-être pis. A Paris, consul, il a voulu que son frère Louis et sa sœur Caroline fussent mis religieusement à Hortense et à Murat ; donc, il croit à la vertu, à l'efficacité du sacrement de mariage ; il croit que, seul, le mariage religieux compte et vaut. Or, à ces quatre mariages, Joséphine a assisté h côté de lui. Pas un instant, il n'a paru avoir la pensée de réclamer [tour lui et pour Joséphine, le ministère du prêtre qui venait de bénir l'union de ses sœurs et de son frère. 11 ne se décidait point à rompre, mais il se réservait de rompre : il entendait laisser flottants ces liens qu'il pourrait dénouer. La vie l'avait entraîné ; la destinée l'avait grandi : cette femme était près de lui ; il l'aimait, il la croyait utile ; il continuait à la trouver désirable ; il lui était reconnaissant de ce qu'elle lui avait appris du monde, du milieu où elle l'avait introduit, de sa gloire commencée avec elle et pur elle, et puis il était lâche devant les larmes. Sans y penser, dans cette ascension sans exemple, il l'avait emportée vers ces sommets qu'il atteignait à présent ; il voulait bien partager avec elle sa couronne et son trône, mais il refusait de lui livrer l'avenir. Et c'était cet avenir que le Pape exigeait pour elle — non à cause d'elle, mais à cause des lois imprescriptibles de l'Eglise. Là, point de négociation à tenter, point de coup de force à risquer. Rien ne prévaudrait contre le non possumus ; il le comprit, et, rentré à Paris, le 7 frimaire, avec In Pape, le 9, hors de tout témoin, il reçut de Fesch, muni des dispenses pontificales, le sacrement de mariage. Fesch l'attesta au Pape et en délivra le certificat à Joséphine. Battu sur ce point qui lui tenait si fort à cœur, contraint à ce mariage qui ne lui répugnait point uniquement peut-être parce qu'il liait son avenir, mais parce qu'il offensait sa conscience — car, de l'épouse véritable, de l'épouse devant Dieu, il était porté à exiger une pudeur, une virginité d'âme et de corps, une fidélité, une intégrité de vie qu'il ne pouvait reconnaître à Joséphine — Napoléon avait dû céder. Avec le Pape, sur d'autres points, la lutte allait se renouveler, du 7 au 11 frimaire, dans des conditions qui expliquent et justifient les rancunes que le vaincu devait garder contre le vainqueur. Il s'agit du cérémonial qu'on adoptera pour le Sacre. On a vu dans quelles conditions le philosophe chrétien, Portalis, agissant en sa qualité de ministre des Cultes, s'était proposé pour réformer le Pontifical et le mettre d'accord avec les lumières du siècle, comme il avait trouvé simple et judicieux de composer, au moyeu des cérémonies prescrites à Rome et de celles en usage à Reims, un rituel nouveau qui fût majestueux, imposant et moderne. Il fallait au moins une congrégation pour un tel travail : Cambacérès — non le cardinal de Rouen, mais l'archichancelier ; Ségur, grand maître des cérémonies, ambassadeur ci-devant refusé à Rome, pouvaient paraître médiocrement désignés pour en faire partie, mais on y adjoignit l'abbé de Pradt et sans doute M. de Talleyrand dont la compétence n'était point douteuse. Malgré de tels auxiliaires — et bien d'autres sans doute — le travail n'était point aussi aisé que l'avait estimé Portalis et, pour ce qui concernait le cérémonial français, dès qu'on avait eu en mains les renseignements demandés par le chapitre de Notre-Dame au clergé de l'église Saint-Remi, l'on avait du se convaincre qu'on ne pouvait en faire l'application au fondateur de la quatrième dynastie : chacun des détails de la cérémonie traditionnelle évoquait les souverains de la troisième race, attestait les formes de leur gouvernement, les institutions qu'ils avaient créées ou acceptées, les lois qu'ils avaient rendues ; remplies hors de Reims, par un personnage qui ne tenait en rien à Hugues Capet, ces fondions ne pouvaient être qu'une parodie, même à l'égard des représentants légitimes de la race capétienne, la tradition, si elle était interrompue, serait impossible à renouveler, il est des actes qui ne sont dignes de respect que parce qu'ils ont été constamment accomplis, depuis des Tiges très anciens, au même lieu, par des hommes de la même famille ; l'on s'attend à les voir, l'on serait surpris et choqué s'ils ne se produisaient pas. Que, pour une cause ou l'autre, une génération s'écoule sans qu'ils aient pu s'accomplir, c'est assez pour que leur prestige soit prescrit, que l'atmosphère favorable soit dissipée et qu'au lieu de la vénération passée ils ne rencontrent que des risées. Même en abrogeant tout ce qui précédait le Sacre : l'entrée en ville, les prières à la cathédrale, la présentation par le roi du présent qu'il offrait à l'Eglise, le jeûne général dans le diocèse, les vêpres auxquelles le roi assistait, comment songer à rétablir ce qui était l'essentiel même de la cérémonie : les évoques de Laon et de Beauvais arrivant processionnellement à l'appartement du roi ; les questions et les réponses des évoques et du grand chambellan, le lever du roi et le costume qu'il revêtait : la longue chemise de toile de Hollande, la camisole de satin cramoisi en forme de tunique, garnie de galons d'or, la robe longue de toile d'argent, la toque de velours noir, garnie d'un cordon de diamants, d'un bouquet de plumes et d'une double aigrette blanche. Et puis, la marche entre les deux évoques vers l'église, le long d'une grande galerie, du palais archiépiscopal au portail de la cathédrale ; la présentation, par les deux évoques, à l'archevêque officiant, du roi agenouillé ; l'eau bénite, l'aspersion, les prières. Et alors était apportée en procession la Sainte Ampoule ; et c'était un étonnant cortège où les habitants du Chesne le-Populeux marchaient armés, tambour ballant et enseigne déployée, où les Minimes, les chanoines et habitués de l'église de Saint-Timothée, les religieux de Saint-Remi, précédaient, sous leurs croix et leurs bannières, le grand prieur chevauchant, en chape, de drap d'or, la Sainte Ampoule pendue à son col, sous le dais donné par le roi que portaient, à cheval, les quatre chevaliers de la Sainte Ampoule, chacun ayant devant soi son écuyer avec son guidon timbré d'une face aux armes de France, de l'autre aux armes de sa maison. L'archevêque recevait la Sainte Ampoule et promettait de la rendre après le Sacre. L'on chantait Sexte ; le roi prêtait à l'archevêque un premier serment : celui de conserver et défendre toutes les églises de son royaume ; après quoi les évoques de Laon et de Beauvais le soulevaient de son siège, et demandaient au peuple s'ils l'acceptaient pour leur roi. Puis, le roi prêtait les serments : serinent de bien gouverner le royaume, serment de maintenir l'ordre du Saint-Esprit, serment de maintenir l'ordre de Saint-Louis, serinent d'exécuter les édits contre les duels. Et alors le déshabillé du roi, qui, vêtu seulement de sa camisole de salin, chaussé par le grand chambellan, éperonné par le duc de Bourgogne, était ceint de l'épée de Charlemagne par l'archevêque, mais cette épée était au fourreau. L'archevêque la reprenait, la tirait, la mettait, nue aux mains du roi, faisait des prières ; le roi baisait l'épée, la plaçait sur l'autel, l'offrait à Dieu ; l'archevêque la reprenait encore, la donnait au roi qui la recevait à genoux et la confiait au connétable. Et puis la préparation des onctions, le roi prosterné devant l'autel ; les litanies, les bénédictions qui sont triples, les neuf onctions : sur le sommet de la télé, sur la poitrine, entre les épaules, sur chaque épaule, au pli et à la jointure de chaque bras, le roi toujours agenouillé devant l'archevêque ; puis, l'habillement du roi d'une tunique, d'une dalmatique, d'un manteau royal en forme de chasuble, terminé en pointe sur le devant — et ces vêtements représentaient les trois ordres : sous-diacre, diacre et prêtre, afin d'établir que le pouvoir religieux et le civil procédaient de la même source divine et de conférer au roi les droits d'évêque du dehors. L'archevêque fait alors les dernières onctions sur la paume de chaque main ; il bénit les gants et les met aux mains, il bénit l'anneau et le passe au quatrième doigt de la main droite ; il transmet le sceptre et la main de justice. Ensuite, le chancelier de France monte à l'autel et appelle les pairs de France ; ducs de Bourgogne, de Normandie et de Guienne, comtes de Toulouse, de Flandres et de Champagne, archevêque de Reims, évêques de Laon, de Langres, de Béarnais, de Châlons et de Noyon. Les princes qui représentent les anciens pairs et les prélats qui occupent les évêchés-pairies se présentent a l'énoncé de leur nom. L'archevêque de Reims prend à deux mains, sur l'autel, la couronne, de Charlemagne et la lient au-dessus de la tête du roi : aussitôt, les onze pairs y portent la main pour la soutenir ; après des prières et des bénédictions, l'archevêque couronne le roi, puis il le conduit au jubé et cela fait un grand cortège ; il le mène au trône, l'assied, puis le baise sur la joue et dit : Vivat rex in æternum ; les autres pairs en l'ont autant et se vont asseoir à leurs places. Alors, les portes de l'église sont ouvertes à deux battants ; le peuple se précipite ; les trompettes sonnent en fanfare, les gardes au dehors font une triple décharge ; les cloches dans toute la ville s'ébranlent ; le canon tonne ; le chancelier, le grand chambellan, les hérauts d'armes jettent à poignées des pièces d'or et d'argent ; du haut du jubé, les oiseliers lâchent des encagées de petits oiseaux. L'archevêque, retourné à l'autel, entonne le Te Deum, soutenu par toute la musique du roi. La grand'messe commence au grand-autel, dite par l'archevêque, tandis qu'à un petit autel, devant le jubé, un des aumôniers dit une messe basse que le roi entend. Seulement, ces deux messes s'entrecroisent : c'est pour l'Evangile de la grand'messe qu'on ôte la couronne du roi, et c'est du maître-autel que l'archevêque envoie au roi le livre des Évangiles. A l'offertoire, le roi, en grand cortège, descend du jubé et, précédé des quatre seigneurs porteurs des offrandes, vient se mettre à genoux devant l'archevêque, lui baise la main et fait les offrandes, puis il regagne son trône. A l'élévation, le duc de Bourgogne ôte au roi sa couronne. Puis, c'est le baiser de paix porté au roi par le grand aumônier et reçu du roi par les pairs. Enfin la messe finie, le roi, dépouillé des insignes royaux, entre dans son oratoire où son confesseur l'attend en surplis pour le réconcilier ; il revient se mettre à genoux devant le maître-autel et l'archevêque lui donne la communion sous les deux espèces, lui présentant, dans le calice d'or de saint Rémi, une part réservée du vin consacré. C'est la fin : Le roi échange la couronne de Charlemagne pour une couronne plus légère, reprend le sceptre et la main de justice et, précédé et suivi du collège reformé, retourne au palais archiépiscopal. Et, après que le premier aumônier a brûlé les gants et la chemise du roi qui ont louché aux saintes onctions, le souverain a droit de se reposer quelques minutes. Voilà le sacre : encore le festin royal en était l'essentielle et chevaleresque conclusion ; ensuite venait la cavalcade à Saint-Remi, le chapitre où le roi était reçu chef et souverain grand maître de l'ordre du Saint-Esprit, enfin la cérémonie du toucher des écrouelles, laquelle ci-devant se faisait à Corbeny, dans le diocèse de Laon, après que le roi avait fait ses dévotions devant la chasse de Saint-Marcoul, et qui, depuis le sacre de Louis XIII se faisait à l'abbaye de Saint-Remi où la châsse était transportée. Ces cérémonies étaient, à coup sûr, pleines d'enseignements et on ne pouvait en méconnaître la haute portée traditionnelle et symbolique. Elles exprimaient et commentaient toute la France ancienne, mais c'était la France capétienne. Qu'elles signifiassent, comme l'a dit Bonald, que, dans les premiers âges de la royauté, le sacerdoce était toujours réuni à la royauté, et qu'elles affirmassent le caractère religieux de celle-ci ; que, par le serment aux évêques, où il promettait de conserver à chacun d'eux il aux églises qui leur étaient confiées, les privilèges canoniques, les droits et la juridiction dont ils jouissaient, le roi reconnut de quel secours avait été à ses prédécesseurs l'active collaboration des évoques ; de même, que, dans le serinent pour le royaume, il promît de faire conserver en tout temps à l'Eglise de Dieu la paix par le peuple chrétien ; qu'il jurât ensuite de s'appliquer sincèrement et de tout son pouvoir à exterminer, de toutes les terres soumises à sa juridiction, tous les hérétiques condamnés par l'Église ; qu'à tous les instants de la cérémonie, il parût prosterné, agenouillé devant le consécrateur et baisant sa main, cela pouvait convenir au descendant de saint Louis, cela s'expliquait dans une monarchie ayant grandi avec l'Eglise et par l'Eglise, ayant reçu d'elle la consécration de son droit divinisé, ayant conçu le gouvernement absolu inséparable d'une religion d'État, mais comment détourner ces gestes et ces paroles de la Royauté à l'Empire ? Quel sens leur donner dans une monarchie démocratique où le clergé, loin d'être le premier des ordres de l'État, n'y formait plus qu'une classe de fonctionnaires dont les chefs, s'ils étaient archevêques, passaient après les présidents des cours impériales, évoques après les généraux commandant les départements ? Gomment les accommoder surtout avec la liberté et l'égalité des cultes, droits primordiaux inscrits à la tète de la Constitution ? Revenir au cérémonial de Reims, même mitigé et éclairé des lumières du siècle, comme l'avait proposé Portalis, était donc singulièrement difficile, mais s'en tenir au Pontifical romain, que Fesch avait accepté sans discussion et que Napoléon s'était formellement engagé à suivre, était tout aussi périlleux ? Sans doute le Pontifical avait l'avantage d'être plus simple que le cérémonial français ; il était dépouillé de tout ce que l'autre présentait d'historique, de traditionnel et de local, de tout ce qui convenait uniquement au roi de France et a un roi capétien ; mais, s'appliquant à quiconque, dans la chrétienté, recevrait du Souverain Pontife le sacre et la couronne, il était, en toutes ses parties, combiné pour affirmer la suprématie du Saint-Siège et de l'Église catholique sur le souverain et sur les nations, le droit que s'attribuait le pape de disposer à son gré des Etats et des peuples. En voici l'essentiel : Dans la semaine qui précède le sacre, celui qui est désigné pour souverain, fait, par dévotion, un jeûne de trois jours pour le moins et reçoit la communion. Dans l'église métropolitaine où le sacre doit être célébré, sont posés sur l'autel le glaive, la couronne et le sceptre. La hauteur des estrades supportant le trône et le lit du roi est réglée de façon qu'en aucun cas elle ne se trouve primer le trône du pape et le maître-autel. Le souverain élu se présente en armure au portail de l'église, où sont venus à sa rencontre deux évoques, mitre en tête, qui le conduisent, découvert, au métropolitain — le pape en l'espèce — assis sur son faldistoire lequel est disposé devant le milieu de l'autel. Le souverain élu, inclinant la tète, fait une humble révérence — humilem reverentium exhibet —au métropolitain auquel un des évoques adresse ces paroles : L'Eglise catholique demande que tu élèves à la dignité royale le glorieux soldat ici présent. — Savez-vous, répond le métropolitain, s'il est digne de cette fonction et s'il y est apte ? — Nous savons et nous croyons, répond l'évêque, qu'il est digne et utile à l'Eglise de Dieu et pour le gouvernement de ce royaume. Le métropolitain alors adresse au souverain une admonition sur ses devoirs, et, ces devoirs, en premier lieu, sont de conserver sa piété, de servir le Seigneur, son dieu, de tout son esprit et d'un cœur pur ; de garder inviolée jusqu'à la mort la religion chrétienne et la foi catholique ; de les défendre de toutes ses forces contre tous les adversaires qu'elle pourra rencontrer ; de montrer une déférence particulière pour les prélats et les autres prêtres ; de respecter la liberté ecclésiastique. Le reste du discours concerne les sujets. A quoi le souverain, placé debout et découvert devant le métropolitain, répond par un serment qui reprend chacun des termes de l'admonition. Ensuite, il baise avec respect la main du consécrateur. Première oraison prononcée par le métropolitain, puis récitation des litanies, le roi étant prosterné. Ensuite bénédiction, puis oraison. Le souverain élu s'agenouille alors devant le métropolitain qui enduit le pouce de sa main droite avec l'huile des catéchumènes et fait les onctions, en forme de croix, sur le bras droit du roi, à la jointure de la main, à la jointure du coude et entre les épaules. Oraisons. Après les onctions, le métropolitain descend devant l'autel et fait la confession : la messe commence. Le souverain, qui a été revêtu de ses vêtements royaux, l'entend de son trône jusqu'à l'Alleluia. Il est alors ramené devant l'autel et se met à genoux. Le métropolitain lui fait la tradition de l'épée nue — prière — puis le ceint de l'épée mise au fourreau. Le roi la tire, la brandit, l'essuie sur son bras gauche et la rengaine. Il s'agenouille de nouveau ; tradition de la couronne et oraison qui donne tout le caractère à la cérémonie : Reçois la couronne du royaume qui est mise sur ta tête par les mains, quoique indignes, des évoques, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; laquelle couronne tu dois comprendre qu'elle signifie la gloire de la sainteté et l'honneur, et l'œuvre de vaillance, et que par elle tu n'ignores pas que lu os rendu participant de notre ministère, afin que, de même que nous sommes reconnus pasteurs et recteurs des âmes pour le for intérieur, ainsi toi, dans les choses extérieures, adorateur de Dieu, véritable, tu assistes comme défenseur l'Eglise du Christ contre toutes les adversités et que tu te montres toujours un utile exécuteur et un directeur habile au gouvernement du royaume qui t'est donné par Dieu et qui l'est confié par le fait de notre bénédiction comme représentant des apôtres et de tous les saints, afin qu'orné des gemmes des vertus et couronné du prix de la félicité éternelle, au milieu des glorieux athlètes, avec noire rédempteur et sauveur Jésus-Christ dont lu seras cru porter le nom et tenir la place, tu sois glorifié sans fin. Ensuite, la tradition du sceptre, puis l'intronisation qu'accompagne une oraison analogue à celle du couronnement. La messe continue. A l'offertoire, le roi, tète nue, vient devant le métropolitain assis, s'agenouille, lui remet l'offrande et lui baise la main. A la communion de même. Voilà ce que Fesch et l'Empereur ont accepté. Les textes des bénédictions et des oraisons — dont il a fallu traduire littéralement quelques-unes — sont autrement impérieux et nets que dans le cérémonial de Reims : et pourtant, déjà, lors du sacre de Louis XVI, si l'on avait laissé subsister flans son intégrité le texte latin, avait-on, dans la traduction française, qu'on pensait devoir être la seule lue, étrangement atténué les termes qui attestaient la subordination du roi à l'Église. Ici, point de subterfuge possible. Si le rituel romain subsiste, c'est du Pape seul et de l'Église catholique que l'Empereur reçoit sa couronne ; il reçoit l'épée pour être le défenseur de l'Eglise et le sceptre pour condamner les ennemis de l'Eglise. Comment s'y soustraire ? On présente alors au Pape l'ouvrage auquel Portalis, Cambacérès et, vraisemblablement, quelques canonistes plus distingués ont collaboré. C'est un composé du Cérémonial français, du Pontifical romain, de prières nouvelles, de cérémonies inusitées à Rome comme à Reims, le tout mis en ordre, traduit en latin, et présenté sous la forme impérative d'Extrait du Cérémonial relatif au Sacre et au Couronnement de Leurs Majestés Impériales — Section IV. Des cérémonies du Sacre et du Couronnement (Imprimerie Impériale. Frimaire an XIII)[1]. Il comporte cinquante-six articles. Sur chacun ou presque, l'Empereur a présenté des explications ou des justifications afin de se soustraire aux obligations du Pontifical ou d'introduire des nouveautés. Le Pape accepte ou refuse — ce qui résulte des suppressions, des changements et des adjonctions faites à l'édition définitive de cet Extrait du Cérémonial. Cette discussion, la plus instructive qui soit, explique seule et éclaire les changements faits au Pontifical, après que Fesch en avait, au nom de l'Empereur, garanti au Pape la stricte observation. En même temps, elle seule fait comprendre l'inusité des cérémonies, et, on justifiant les craintes de Consalvi, en attestant les défaillances de Pie VII et les exigences de Napoléon, donne sur le caractère de celui-ci des notions nouvelles. Voici donc le projet tel que Ségur le présente. Le Pape partira des Tuileries avant l'Empereur ; il arrivera à l'Archevêché, où il trouvera le clergé réuni et où il revêtira ses ornements. Il en sortira en cortège, précédé des évêques, la mitre en tête, marchant sur deux lignes, suivant l'ordre de leur institution canonique. Ceci fait question : l'Empereur voudrait que les évoques se rangeassent selon l'ordre de consécration, non selon Tordre d'institution. L'ordre de consécration, dit-il, a été constamment suivi en France ; si l'on adoptait celui d'institution, il arriverait que plusieurs anciens évêques ne prendraient rang qu'après les nouveaux. La consécration suit la nomination qui est du souverain temporel, l'institution est du pape ; de plus, certains constitutionnels sont sacrés, non institués. Le Pape voit le piège qui est double. Il a un intérêt essentiel à maintenir l'ordre d'institution qui fait uniquement dériver de sa puissance spirituelle l'existence des évoques et donne à leur ministère le Concordat pour point de départ. L'Empereur cède. Le cortège sera fermé par le Pape : mais le Pape, comment
se présentera-t-il aux fidèles ? Sera-ce, comme c'est d'étiquette romaine,
sur la Sedia gestatoria portée par les douze palefreniers vêtus de
damas rouge à ses armes, entre les deux flabelli de plumes d'autruche
ocellées de plumes de paon, sous le dais flottant de soie blanche brodée d'or
dont les hampes sont tenues par huit prélats référendaires ? — L'Empereur désire que Sa Sainteté ne se fasse pas porter,
pour trois motifs particuliers : le premier résulte du rétrécissement de la
galerie par où il faut passer ; le second de ce que cet usage est insolite en
France ; le troisième de ce que cet honneur a été déféré à un des hommes les
plus odieux de la Révolution (Marat qui
se fit ainsi porter à Notre-Dame). On soumet
ces réflexions au jugement de Sa Sainteté qui les pèsera dans sa sagesse et
qui sera également vénérée des Français sous le dais et avec le cortège qui
l'accompagnera. L'allégation relative à Maral déroute : Maral, après
son acquittement, a été porté en triomphe du Palais de Justice à la
Convention ; mais que serait-il venu faire à Notre-Dame ? — Mlle Maillard,
qui y lit, dit-on, la Raison, est plus vraisemblable et c'est de la
consonance que, sans doute, est née cette bourde étrange. Il y a, au désir
exprimé par Napoléon, une quatrième raison qu'il ne dit point : c'est que, là
où lui-même n'est point porté, nul ne doit l'être ; c'est que l'entrée du
Pape à Notre-Dame, dans les splendeurs de la pompe romaine, ferait manquer
son entrée à lui. Chez tout homme qui représente,
il y a un fond de cabotinage. Quoi qu'il en soit, sur l'article de la Sedia,
le Pape ne s'obstine pas ; il ira à pied, et, après diverses prières
préparatoires, il se placera sur son trône, où, en attendant Leurs Majestés,
il dira Tierces. L'Empereur partira des Tuileries, arrivera à l'Archevêché, y revêtira les habits et les ornements impériaux et marchera en cortège de l'Archevêché au portail de la Cathédrale. Cette marche pouvait être une réminiscence du sacre de Reims, mais ni le Pontifical, ni le Cérémonial n'admettaient que le souverain élu se présentât à la cathédrale revêtu des habits et des ornements dont le consécrateur devait justement lui faire la tradition, Selon le Cérémonial royal, il se présentait en tunique ; selon le Pontifical, en armure. Napoléon ne se considère donc ni comme appelé, ni comme élu, mais comme investi. Alors pourquoi le sacre ? Si grave que soit l'échec, le Pape ne proteste point. A leur entrée dans l'église, l'Empereur et l'Impératrice seront reçus par le cardinal Cambacérès et par le cardinal de Belloy : mais ces deux cardinaux-évêques complimenteront les souverains ; ils leur présenteront l'eau bénite ; ils les conduiront processionnellement, sous les dais portés par les chanoines, aux places qu'ils doivent occuper dans le chœur ; ils n'accompliront aucun des rites exigés par le Pontifical, aucun de ceux indiqués dans le Cérémonial : Ils n'amèneront plus le souverain élu au consécrateur ; ils ne le lui présenteront plus ; ils ne répondront plus à ses questions ; plus d'admonition du consécrateur sur les devoirs du souverain envers l'Eglise ; tout cela aboli, remplacé par le chant du Veni Creator. L'Empereur a désiré que ces quatre articles (présentation, question, réponse, admonition) fussent supprimés comme n'ayant jamais été usités en France et ne pouvant servir aux circonstances actuelles. Pour l'usage suivi en France, l'Empereur le connaît mal, car la cérémonie de la présentation, où intervenaient l'évêque de Laon et l'évoque de Beauvais, était obligatoire et bien plus compliquée que dans le Pontifical ; à la vérité, l'admonition était remplacée par une oraison que le roi entendait à genoux devant l'autel. L'Empereur se mettra à genoux pour faire sa prière, mais ce sera sur un prie-Dieu, avec un troue derrière lui et un dais au-dessus de sa tête. Durant cette prière, qui d'ailleurs sera courte et d'une ferveur intermittente, il remettra la main de justice, le sceptre, la couronne, le collier, le manteau et l'épée, aux grands-officiers qui devront les déposer, avec l'anneau, sur l'autel ; à l'Impératrice de même on enlèvera sa couronne et son manteau, qui seront portés, avec son anneau, sur l'autel. C'est le moment du serment. Dans la négociation entre
Fesch et Consalvi, deux points ont été nettement établis au nom du Pape,
acceptés au nom de l'Empereur : réserves au sujet du serment constitutionnel
à la prestation duquel le Pape a refusé d'assister, obligation pour
l'Empereur de prêter, tel qu'il est formulé par le Pontifical, le serment
religieux. Ce serment est ainsi conçu : Je promets
et jure devant Dieu et ses anges de faire et conserver la loi, la justice et
la paix à l'Eglise de Dieu et au peuple qui m'est soumis, de témoigner un
respect religieux et canonique aux pontifes des Eglises de Dieu ; de
maintenir inviolablement les privilèges qui ont été, par les empereurs et les
rois, conférés et rendus aux Eglises ; de prêter un congruent honneur aux
abbés, aux comtes et aux vassaux. L'Empereur n'accepte pas cette
seconde partie : On en retranchera donc tout ce qui
tenait à la promesse de maintenir les églises dans la possession des biens
qu'elles n'avaient plus et à la féodalité. De plus, l'Empereur ne
prononcera pas le serment ; il y acquiescera seulement et le ratifiera par le
mot Profiteor. Au lieu de baiser,
comme il doit, la main du consécrateur, il touchera de ses deux mains le
livre des Evangiles que lui présentera le grand aumônier. C'est une grande
concession et on la fait valoir : On a cru gagner
beaucoup en obtenant que Sa Majesté s'astreignît à un autre serment que celui
que prescrivaient les Constitutions de l'Empire. Alors, que valent les
engagements pris par Fesch, dont jamais il n'est fait étal et sur lesquels on
revient à chaque article ? Ici encore le Pape ne présente pas d'objection. Après le serment, l'oraison que prononce le Pape sera tirée du Pontifical ; mais les termes essentiels en seront modifiés. Le Pontifical porte : Eligimus (que nous avons choisi ou élu) ; on y substitue In Imperatorem consecraturi sumus (que nous allons consacrer comme empereur). Ici, de plus, Joséphine apparaît pour la première fois : le Pontifical n'ayant pas prévu un double sacre de souverain et de souveraine, on a innové. A chaque fois, ou presque, que se présente le nom de l'Empereur, on ajoute : Et consortem ejus (et sa femme). Cette femme est anonyme. On sait pourtant à Paris qu'elle se nomme Joséphine, non Victoire. Après l'oraison, les litanies. D'après le Pontifical, le roi se prosternait. Le Pape et les cardinaux s'agenouillent pour les réciter : l'Empereur et l'Impératrice resteront assis. Ils ne s'agenouilleront que pour recevoir la bénédiction. Mais cette bénédiction, double dans le Pontifical — Bene + dicere et conse + crare — l'Empereur la veut triple comme on la donnait à Reims — Bene + dicere, subli + mare et conse + crare. Il tient à sublimare. Ce mot est en usage en France depuis le commencement de la monarchie. De même tient-il, durant les bénédictions, à un motet tiré du Cérémonial français qui, dit-il, convient à la cérémonie. En effet, il est ainsi : Le grand prêtre Sadoch et le prophète Nathan oignirent Salomon roi dans Sion et s'approchant joyeux dirent : Vive le roi pour l'éternité. Seulement, pour les onctions, il est modeste : On faisait neuf onctions à l'empereur — au roi pourrait-il dire — dans le Cérémonial français : Ce nombre était trop grand et trop incommode. Le Pontifical n'en admet que deux, l'une à la main droite et l'autre sur le cou. Cette dernière est gênante. On y substitue l'onction sur la tête, c'est-à-dire sur le front et aux deux mains. Les oraisons sont tirées du Pontifical. Ayant ainsi décrété où seraient faites les onctions, uniquement parce qu'en un cas elles sont incommodes et en l'autre gênantes, et ayant déterminé qu'elles seront telles qu'aux évoques, in capite et manibus (sur la tête et les mains), Napoléon eût pu régler encore avec quoi les onctions seraient faites. Il eût revendiqué ainsi certains privilèges qu'on disait inséparables de la Couronne de France. L'onction que recevaient les autres rois était faite avec l'huile des catéchumènes : celle que recevaient les évoques avec le saint chrême, ut ostendatur, a dit le pape Innocent III, quanta sit differentia inter auctoritatum pontificis et principis potestatem (afin que soit montrée combien grande est la différence de l'autorité du pontife au pouvoir du prince) ; mais, selon les auteurs français, seuls les rois de France sont oints du chrême épiscopal. Au sacre du roi, l'archevêque de Reims plaçait, sur le milieu de l'autel, la patène d'or du calice de Saint-Remi ; le grand prieur de Saint-Remi, ayant ouvert la Sainte Ampoule, la présentait à l'archevêque, lequel, avec une aiguille d'or, en lirait la valeur d'un grain de froment de l'huile qui y était enfermée ; il la mettait sur la patène, prenait, avec la même aiguille, du saint chrême autant qu'il faut pour sacrer un évêque et le mêlait avec l'huile. De la Sainte Ampoule, il ne saurait être question, et le général Beauharnais, le premier mari de celle-là qui va être sacrée impératrice, n'y fut point indifférent, lui qui prit l'initiative de demander à la Convention que la Sainte Ampoule fût apportée à Paris pour qu'on y brûlât solennellement, sur l'autel de la Patrie, l'huile qu'elle renfermait ; mais de chrême on ne manque point. Quoique les procès-verbaux ne le relatent point, ce fut l'onction épiscopale qui fut donnée, avec le chrême, à l'Empereur et à l'Impératrice. Les onctions de l'Empereur seront
essuyées sur le petit trône par le grand chambellan qui remettra au grand
aumônier le linge dont il se sera servi : la dame d'honneur, qui essuiera les
onctions de l'Impératrice, remettra de même au premier aumônier de Sa Majesté
le linge qui aura essuyé cette onction. Le Pape qui a admis le nombre
et la forme des onctions, proteste ici. Ce ne sont pas seulement des mains
laïques qui rempliraient cette fonction, mais des mains sacrilèges : celles
de Talleyrand, grand chambellan. L'Empereur cède : ce seront le grand
aumônier et le premier aumônier de l'Impératrice qui essuieront les onctions. La messe commence. Selon le Pontifical, elle comporte une oraison spéciale. L'Empereur désire que, à Notre-Dame, la messe soit la messe solennelle votive de la Sainte Vierge pendant l'Avent, comme patronne de l'église métropolitaine et protectrice de la France. Comme au Pontifical, après discussion, le Pape continuera la grand'messe jusqu'à l'Alleluia du Graduel. L'orchestre exécutera le chant du Graduel, durant lequel les évoques réciteront avec le Pape les prières jusqu'à l'Introït exclusivement. On passera ensuite à la bénédiction des insignes : l'épée, les manteaux, les anneaux, les couronnes. L'Empereur désire qu'on adopte cet ordre. Le Pontifical n'a prévu aucune bénédiction. Le Cérémonial français contenait la bénédiction de l'épée, la bénédiction des gants dont il n'est plus question et la bénédiction de l'anneau : rien pour les manteaux ni les couronnes. On composera donc des oraisons pour ce dessein et ou extraira du Cérémonial français celles qui sont applicables : On prie Sa Sainteté de les agréer. La tradition des insignes se fera dans le même ordre que les bénédictions, sauf que la tradition de l'anneau précédera celle de l'épée. Pour l'anneau point de formule dans le Pontifical, on prendra celle du Cérémonial. Pour l'épée, l'Empereur veut une modification au Pontifical : Le consécrateur disait : Accipe gladium de altari sumptum... tibi regaliter concessum (à toi concédé comme roi), le Pape devra dire tibi oblatum (à toi offert). De plus, au motet qu'on chante (psaume 44), on ajoutera : Et regna (Et règne) Ce mot est tiré du Cérémonial français et adapté à la circonstance. On prendra dans le Cérémonial français les formules pour la tradition de la main de justice et du sceptre ; on en composera une pour la tradition des manteaux attendu qu'il n'en existe dans aucun cérémonial. Les formules des anneaux et des manteaux, mises au pluriel, seront communes à l'Empereur et à l'Impératrice : Accipite hos annulos — (Recevez ces anneaux)... Induat vos Dominus fortitudine sua (Que le Seigneur vous revête de sa force). Restent les couronnes. D'après le Pontifical comme d'après le Cérémonial français, l'officiant met la couronne sur la tête du souverain. En France, les douze pairs la soutiennent, mais c'est l'archevêque de Reims qui la pose. Dans la négociation, Consalvi a déclaré que le Pape ne se rendrait pas à Paris si la cérémonie du sacre était séparée de celle du couronnement ; si, durant le séjour du Pape, l'Empereur devait être couronné, même dans une cérémonie civile, par tout autre que par lui ; il a exigé l'assurance qu'il ne serait rien innové dans la circonstance présente contrairement à la dignité du Souverain Pontife et à l'usage constamment suivi que les empereurs de France et d'Allemagne,, sacrés par les papes, fussent en même temps couronnés par eux. L'engagement a été pris, sur ce point comme sur les autres, par Fesch représentant l'Empereur. Napoléon sent la difficulté d'y revenir : dans le premier
projet de cérémonial qui est imprimé, la tradition de la couronne lui est faite
par le Pape comme celle des autres ornements ; seulement, l'Impératrice recevra à genoux la couronne que l'Empereur
placera sur sa tête. Cela, peu importe au Pape. On lui présente ce
texte, il l'accepte. Mais ensuite, l'Empereur fait savoir qu'il désire prendre la couronne pour éviter toute
discussion entre les grands dignitaires de l'Empire qui prétendraient la lui
donner au nom du peuple. Il pense que Sa Sainteté, bénissant la couronne et
prononçant une prière pendant que l'Empereur la met sur sa tête, est ainsi
censée remplir l'ancien Cérémonial. Est-ce par un tel argument si peu
digne de lui qu'il parvient à le convaincre ? Fait-il valoir, comme le
prétendent certains évoques français, le précédent de Louis le Débonnaire ?
Que Charlemagne a dit en sortant de l'église de
Saint-Pierre — où le pape Léon III venait de lui imposer la couronne —
qu'il n'y serait point entré s'il avait su que le
pape avait le projet de le couronner, ne voulant pas paraître redevable au
Saint-Siège d'une couronne qu'il ne tenait que de son épée, et que, de
là, est venu, pour les empereurs carolingiens, l'usage de se couronner
eux-mêmes ? Il n'allègue point des textes et il fait bien ; il donne cette
raison et il a tort ; mieux vaudrait n'en fournir aucune. Pour la prière, le Pape prononcera celle que, dans le Cérémonial français, prononçait l'archevêque de Reims en plaçant la couronne sur la tête du roi ; seulement, en substituant çà et là le pluriel au singulier, on la rendra commune à l'Empereur et à l'Impératrice. Pie VII ne paraît point avoir protesté. En tout cas, les choses sont ainsi réglées, de l'agrément du Pape : L'Empereur, ceint de l'épée, révolu du manteau, portant d'une main le sceptre, de l'autre la main de justice, se tiendra en prière debout devant l'autel, durant que le Pape fera à l'Impératrice la tradition de l'anneau et dû manteau. Puis, l'Empereur remettra la main de justice à l'archichancelier, le sceptre à l'architrésorier, montera à l'autel, prendra la couronne, la placera sur sa tête, prendra dans ses mains celle de l'Impératrice et la couronnera. L'Impératrice recevra à genoux la couronne. Le Pape fera les prières du couronnement. Tout a donc été convenu, et par là s'écroulent les légendes complaisamment adoptées par certains historiens pour dramatiser leurs récits[2]. Après le couronnement, le Pape doit conduire l'Empereur et l'Impératrice au grand trône pour les introniser. La formule du Pontifical est ainsi : Assieds-toi et retiens la place qui t'est marquée par Dieu, par l'autorité de Dieu tout-puissant et par notre présente tradition, à savoir de tous les évoques et des autres serviteurs de Dieu, et plus tu vois le clerc proche des saints autels, plus tu dois te souvenir de lui accorder l'honneur dans les lieux congrus, afin que le Médiateur de Dieu et des hommes te fasse rester longtemps le médiateur de Dieu et du peuple. A cette formule, l'Empereur demande qu'on substitue celle du Cérémonial français par qui l'indépendance du trône est affirmée, mais ce n'est point de cet argument qu'il se sert : Vu, dit-il, l'ancien usage sanctionné par les pontifes romains qui se sont eux-mêmes servis de cette formule dans le sacre de nos rois. Ce précédent historique serait malaisé à fournir, mais le Pape accepte. Où il oppose une résistance décidée, il a gain de cause. Ainsi, après l'intronisation, le Pape, a-t-il été dit au projet de cérémonial, baisera l'Empereur sur la joue et dira Vivat Imperator in æternum. Puis il sera reconduit à l'autel et il continuera la messe. Sur l'insistance du Pape, l'on a changé le dernier membre de phrase pour celui-ci : Le Pape, arrivé à l'autel, entonnera le Te Deum. C'est là qu'on bataille. L'Empereur désire que le Te Deum ne soit chanté qu'à la fin de la messe pour terminer dignement cette auguste cérémonie. Ainsi, Sa Sainteté sera priée de continuer la messe en commençant par l'Alléluia. Cela n'a l'air de rien : mais, si le Pape chante le Te Deum à la fin de la cérémonie, ce sera après le serment constitutionnel auquel il ne veut pas assister ; puisque, par sa présence, il donnerait à la promesse d'observer les lois du Concordat et la liberté des cultes, l'espèce d'adhésion qu'il refuse. Aussi n'accepte-t-il, ni que le serment soit prêté après l'Évangile, comme on l'a suggéré d'abord, ni après la messe et avant le Te Deum comme l'Empereur le demande. Napoléon cherche en vain une solution. Il a cédé sur la prestation après l'Evangile, mais, pour la maintenir après la messe, il imagine ceci : Sa Sainteté, pendant cette prestation, pourra faire ce qu'elle jugera convenable. Elle sera seulement suppliée d'entonner, après cette prestation qui lui est étrangère, le Te Deum et de réciter ensuite les oraisons qui l'accompagnent dans le Pontifical. Cette permission accordée au Pape de faire ce qu'il jugera convenable pendant le serment, peut paraître dérisoire, mais Napoléon ne la voit point ainsi : ce qu'il cherche, c'est le moyen d'intercaler la cérémonie civile dans la religieuse et de contraindre le Pape à y assister. Pie VII, après avoir vainement allégué la longueur de l'office et le jeûne qu'il aura observé, renonce à donner des prétextes et déclare nettement qu'il ne veut point s'immiscer dans un acte qu'il considère comme purement constitutionnel et national. Cette fois, Napoléon est forcé de céder : le Te Deum sera chanté après l'intronisation ; puis la messe continuera. La messe finie, Sa Sainteté s'étant transportée dans la chapelle du Trésor y déposera ses ornements sacerdotaux. Le serment constitutionnel sera alors prêté, et lorsque, ensuite, Leurs Majestés, ayant quitté l'église, seront rendues à l'Archevêché, le Pape rentrera dans l'église et, de la chapelle du Trésor, sera conduit, sous le dais, par le clergé, au palais archiépiscopal, la musique impériale répétant l'antienne Tu es Petrus, à grand chœur et symphonie. La question du serment constitutionnel ainsi réglée, reste une question, la plus embarrassante peut être qui se soit posée : — Napoléon communiera-t-il ou non ? Le Pontifical et le Cérémonial français : stipulent également que le souverain communiera deux fois : communion préparatoire la veille ou le matin du sacre, communion d'actions de grâces à la messe qui suit le sacre : même, à Reims, le roi de France communiait sous les deux espèces et cela donnait lieu à une cérémonie intéressante. L'Empereur, au début, a consenti à se conformer au Pontifical. Un premier Extrait du Cérémonial a été imprimé, portant aux articles XLVI et XLVII : Au moment de la communion, le grand électeur et la dame d'honneur ôteront les couronnes de Leurs Majestés. Leurs Majestés se lèveront du petit trône et iront seules communier. Après la communion, Leurs Majestés retourneront au grand trône dans l'ordre qui aura été suivi pour aller à l'offrande. Pourtant, s'il n'a point d'abord fait d'observations, l'Empereur a des scrupules : Je sais, dit-il à ses familiers, que je dois l'exemple du respect pour la religion et ses ministres ; aussi me voyez-vous bien traiter les prêtres, assister à la messe avec une attitude grave et recueillie. Mais on me connaît et, pour moi comme pour les autres, si j'allais plus loin... qu'en pensez-vous ? Ne serait-ce pas à la fois donner l'exemple de l'hypocrisie et commettre un sacrilège ? Pour s'ouvrir une porte de sortie, pour réserver la décision et poser une pierre d'attente, il fait établir une nouvelle édition de l'Extrait du Cérémonial où, en tête de l'article XLVI, on a glissé cette phrase : Si Leurs Majestés communient... C'est sur ce texte qu'on a négocié avec le Pape. La question y est explicitement résolue, et dans le sens affirmatif. En effet, il a fallu prévoir chacune des marches que feront dans l'église l'Empereur et l'Impératrice, chaque fois qu'elles iront du petit trône au grand trône ou à l'autel, puisqu'un immense cortège les précède et les suit et que, à chaque fois, un temps appréciable est dépensé. Or, après l'offrande, Leurs Majestés devaient retourner au grand trône d'où elles seraient revenues à l'autel pour la communion. On propose au Pape de supprimer cette marche : Leurs Majestés resteront au petit trône depuis l'offertoire jusqu'à la communion. Leurs Majestés communieront à la messe et retourneront ensuite au grand trône. Le Pape accepte : l'important, c'est la communion. Mais, au dernier moment, sans doute la veille delà solennité, Napoléon, jusque-là indécis, demande qu'on lui épargne la communion et il insiste si vivement que le Pape, ne sachant point refuser, aurait, dit-on, réuni les cardinaux en congrégation. Si l'Empereur, aurait-il dit, n'accomplit cet acte que comme on se soumet au programme d'une cérémonie, ce sera un sacrilège, je ne peux le vouloir ; ma conscience s'y refuse. Napoléon n'y est peut-être pas disposé. Un temps viendra sans doute où sa conscience le lui conseillera. En attendant, n'en chargeons pas sa conscience et la nôtre. Qu'il ait ou non ainsi parlé, il accorde la dispense, ce qui résulte, d'une part, de la suppression pure et simple des articles XLVI et XLVII sur la troisième et avant-dernière édition de l'Extrait du Cérémonial, d'autre part de l'annotation que le Pape a faite de sa main, postérieurement, sur le document original contenant à mi-marge l'exposé du cérémonial et les diverses propositions de l'Empereur. Non communicarono (ils ne communièrent pas). On peut s'étonner que Napoléon, ayant requis du vicaire de Jésus-Christ le sacre et le couronnement, les ayant requis, sinon parce qu'il en attendait une grâce efficace, au moins parce qu'il en espérait un bénéfice aux yeux de ses sujets catholiques et parce que lui-même faisait profession extérieure de la religion catholique, ait refusé d'accomplir l'acte essentiel par qui il se fût fait reconnaître comme catholique et que, du même coup, il ait vicié l'autre sacrement qu'il avait aspiré à recevoir. Car l'onction royale est un sacrement : Sacramentum quintum est inunctio régis, a dit saint Pierre Damien ; pour le recevoir l'Empereur doit être en état de grâce ; il refuse de s'y mettre. Il refuse de participer à la communion, alors qu'il réclame la consécration que l'Eglise n'accorde qu'aux évoques. Sans doute n'a-t-il point réfléchi. Gomment concevait-il le sacre, on ne saurait trop le dire. Probablement, comme un complément, une affirmation de sa dignité impériale ; une cérémonie imposante faite pour frapper l'imagination et déployer de beaux cortèges, — puis exceptionnelle. S'il avait conscience de recevoir par les trois onctions un sacrement, — ce qui semble douteux — ce sacrement, que seul avec Joséphine il se trouvait pratiquer, ne lui apparaissait point tel que la communion, sacrement que pratique tout catholique fidèle, qui rentre dans les habitudes générales. Il ne craignait point, pour le sacre, les brocards de ses anciens compagnons : il en éprouvait trop d'orgueil. Pour la communion, outre qu'on pouvait tourner cette bigoterie en ridicule, n'est-ce pas qu'il cédait à un scrupule de conscience ? Cela, c'était vraiment le sacrement, le sacrement tel qu'il l'avait connu, tel qu'il y avait cru, tel qu'il avait pu en être pénétré lors de sa première communion. On ne saurait dire qu'il fût un croyant, mais il n'était pas formellement un incrédule. Il n'avait point aboli le catholicisme dans son esprit : il l'y gardait au fond, sous le spiritualisme et le fatalisme : et ceux-ci ne le contredisaient pas ? Que lui eût importé de communier, s'il n'eût pensé que la communion était un acte sacré ? Alors seulement il y avait sacrilège. Autrement, une cérémonie aussi indifférente que les autres. Par là, pourtant, il invalide le sacre. Aux yeux des catholiques, que peut valoir, sur un non-croyant, sur un prince se refusant à faire acte de catholique et n'étant pas en état de gr&ce, l'onction, même épiscopale, donnée par le Souverain Pontife des catholiques ? La question de la communion est majeure ; il en est une minime que Napoléon soulève après que tout paraît réglé avec le Pape : celle du globe impérial. Cet insigne a d'abord été traité comme un accessoire sans importance. Ainsi que le collier et l'anneau, il devait être porté, au-devant de l'Empereur, par un grand-officier : ensuite on ne savait trop qu'en faire. Les rois de France n'avaient point de globe ; à Reims, on ne s'était jamais occupé de globe. Mais on a révélé à Napoléon que les empereurs du Saint-Empire Romain-Germanique avaient un globe à leur couronnement : il lui faut un globe qu'on placera sur l'autel, que le Pape bénira, dont le Pape fera la tradition. Il n'y a point de prières, on en composera. A la vérité, ayant d'une main le sceptre -cl de l'autre la main de justice, il ne portera point ce globe, mais il l'aura eu. Le Pape y consent. N'est-ce pas le caractère entier de Napoléon avec les qualités d'ordre, de classification, de formalisme qui le distinguent, et les petits côtés aussi de jalousie, de susceptibilité, même d'enfantillage. Dans le Cérémonial français, il a trouvé la bénédiction de l'épée, des gants et de l'anneau, mais la bénédiction de l'épée précède la consécration, la bénédiction des gants et de l'anneau la suit et en est la conséquence. Dans le Pontifical, point de bénédiction. Il n'importe : quitte à allonger la cérémonie, le Pape devra bénir les insignes impériaux, non pas ceux-là seulement que bénissait l'archevêque à Reims, mais tous : épée, manteaux, anneaux, globe et couronne. De même, pour l'amour de la régularité et de l'ordre, le Pape fera la tradition de tous les ornements, ceux que prévoit le Pontifical, ceux que comporte le Cérémonial et ceux qui, ne figurant ni dans l'un, ni dans l'autre, ont pu, quelque jour, avoir paru au couronnement de quelque empereur ou de quelque roi dans un pays quelconque de la chrétienté : tant Napoléon paraît craindre que, s'il manque à son costume d'empereur quelque ornement qu'un empereur ait porté, on ne le tienne plus pour un empereur véritable. Et puis, c'est la folie des cérémonies : mises à pari les questions religieuses, les préséances, les prières, les formes où le Pape intervient, on suit, dans les quatre éditions successives de l'Extrait du Cérémonial, comme il raffine, comme il ajoute, comme il exige plus de pompe encore, plus de cortèges, plus de figurants. Pour placer les personnages, leur donner des rangs, former des distinctions entre eux, il s'ingénie, manœuvrant ses courtisans, comme il fait d'un bataillon de sa garde. Aussi bien, entre ceux qui portent les Honneurs de Charlemagne, ceux qui portent les Honneurs de l'Impératrice, ceux qui portent les Honneurs de l'Empereur, ceux qui précèdent, qui accompagnent, qui suivent le Pape, l'Impératrice et l'Empereur, les mouvements, pour ne point dégénérer en une mêlée ridicule, doivent être combinés avec une précision mathématique, s'emboîter, se dérouler, se rejoindre comme les figures d'un ballet. Surtout, que les marches et les contremarches, d'abord du portail aux petits trônes, puis des petits trônes au grand trône pour l'intronisation, puis du grand trône à l'autel pour l'offertoire, sans compter les va-et-vient du Pape, du grand aumônier, des grands dignitaires, sont compliquées par la relative étroitesse du passage, par la médiocre étendue du chœur où deux cents personnes pour le moins s'agiteront en même temps, par l'élévation de l'estrade sur laquelle est juché le grand trône, sur vingt-quatre marches presque à pic couvertes d'un tapis. Et, pour figurants, des êtres tout neufs aux étiquettes, dont une dizaine au plus — Ségur, Talleyrand, d'Harville, d'Arberg, Berthier, Lauriston, Caulaincourt, Rohan, Mme d'Arberg, peut-être Mme de la Rochefoucauld — ont paru dans une cour, en ont connu les exigences, les habitudes et les cortèges. Et tous, pour leurs débuts, auront à remplir, sous les regards attentifs et sans doute ironiques de la France révolutionnaire et de l'Europe monarchique, les évolutions les plus compliquées qu'on ail jamais imposées à des courtisans, nés, élevés, grandis pour le service des rois, dont c'eût été l'unique affaire, la carrière et la vie ! |
[1] Il existe à ma connaissance quatre différentes éditions de cet Extrait, toutes de même date et toutes sorties de l'Imprimerie impériale. Par la comparaison de ces textes, j'étais donc arrivé à la certitude qu'une négociation avait été entamée avec Rome et que tous les détails de la cérémonie avaient été réglés d'un commun accord. La publication, par le R. P. Renieri, (Napoleone et Pie VII, I, App. Doc. VII) du document essentiel est venue confirmer cette déduction.
[2] A dater de M. Thiers qui parait le premier l'avoir adoptée, une légende s'est établie selon laquelle Napoléon, sans prévenir le Pape, se serait emparé de la couronne et se serait couronné. L'un des derniers historiens qui aient traité de ce sujet, écrit : Mais à la fin, quand le moment arriva pour le Pape de prendre la couronne et de la poser sur la tête de l'Empereur comme il était convenu, on vit tout à coup Napoléon s'en saisit prestement, comme un escamoteur, et la placer fièrement sur son front, après quoi, il couronna aussi lui-même l'Impératrice agenouillée devant lui. Ainsi, le Pape ne pourrait pas se vanter de lui avoir donné l'investiture politique de l'Empire. Le malheureux Pie VII assista tout interdit à cet audacieux manquement aux paroles données. Protester dans l'église même eût été un scandale inutile, etc. Comme on le voit, tout est d'imagination dans ce récit de M. Debidour ; à la vérité, des écrivains impartiaux et renseignés étaient ci-devant tombés dans la même erreur, dont eût suffit à les préserver la lecture des prières prononcées par le Pape à l'instant du couronnement.