AUTOUR DE SAINTE-HÉLÈNE

PREMIÈRE SÉRIE

 

LE CAS DU GÉNÉRAL GOURGAUD.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

 

GROUPE IV. — CONSÉQUENCES DES COMMUNICATIONS DU GÉNÉRAL GOURGAUD.

 

PIÈCE XII

RESTRICTIONS IMPOSÉES PAR LE GOUVERNEMENT BRITANNIQUE.

EXTRAITS DES DÉPÊCHES DE LORD BATHURST À SIR HUDSON LOWE[1].

Downing Street, 5 mai 1818.

 

A

Monsieur, j'ai reçu et mis sous les yeux du Prince Régent vos différentes dépêches jusqu'au n° 121 inclusivement. Il parait clair, par la confession du général Gourgaud, aussi bien que par d'autres informations que j'ai remues, qu'une correspondance clandestine, entretenue par les habitants de Longwood, a pris un développement considérable. Or, comme il y a peu ou point de communications entre Bonaparte et aucun individu dans l'île, celle violation de votre règlement doit s'effectuer grâce aux occasions dont les généraux Bertrand et Montholon et les serviteurs de la maison de Longwood jouissent d'avoir de fréquents rapports, non seulement avec les personnes qui visitent Longwood, mais avec les autres habitants de l'île. Il devient donc nécessaire de mettre des restrictions à une liberté dont on a évidemment tant abusé, mais j'éprouve beaucoup de satisfaction à croire que vous pourrez appliquer ces restrictions aux personnes de la junte du général Bonaparte sans les étendre à lui-même, car vous devez, j'en suis sûr, trouver toujours une grande répugnance à lui imposer des entraves, bien qu'il n'existe indubitablement pas le même scrupule à réparti des personnes de sa suite et île ses domestiques, dont la résidence dans l'ile est volontaire et dont la conduite inconvenante et sans réserve ne mérite pas les mêmes concessions. Vous établirez donc, au reçu de cette dépêche, en ce qui renarde les communications entre les personnes de la suite du général Bonaparte et les habitants de Sainte-Hélène, toutes les restrictions qui vous paraîtront nécessaires pour empêcher la continuation des correspondances clandestines. S'ils font quelque remontrance au sujet de ces restrictions additionnelles et disent qu'on ne peut les leur appliquer sans les étendre au général Bonaparte lui-même, attendu qu'il se sont seulement obligés à se soumettre aux mêmes règlements que lui, vous les informerez que, s'ils ne se soumettent pas également aux restrictions nouvelles, vous leur interdirez tous rapports avec le général Bonaparte, mais vous ajouterez que vous êtes prêt à transmettre les représentations qu'ils croiraient convenables de faire au gouvernement, pourvu qu'ils se conforment au règlement qui ordonne de vous envoyer la lettre sans être cachetée. J'ai l'honneur, etc.

Signé : BATHURST.

 

B[2]

Downing Street, 16 mai 1818.

Monsieur, j'ai tout lieu de croire d'après les informations données par le général Gourgaud à M. Goulburn et dont la substance vous est communiquée dans ma dépêche n° 9, que la santé du général Bonaparte n'a en aucune manière souffert de sa résidence à Sainte-Hélène ; que l'enflure des jambes n'a été ni plus fréquente, ni plus étendue qu'elle ne l'était parfois antérieurement et d'habitude, et que les rapports fournis par M. O'Meara sont très mensongers. La manière .dont vous disiez que le général Gourgaud avait accueilli vos questions a engagé M. Goulburn à lui en faire de plus particulières encore a ce sujet, lors de sa première entrevue avec lui ; et la détermination montrée par le général Bonaparte de ne recevoir la visite d'aucun des médecins sur l'habileté et l'intégrité desquels il pouvait compter et de ne se laisser voir par aucun Anglais, à l'exception de M. O'Meara, au moment où l'on disait sa santé le plus attaquée, continue fortement la vérité des informations données par le général Gourgaud.

Il n'est pas besoin d'examiner si M. O'Meara a été conduit à faire des rapports mensongers par ignorance de sa profession ou par un dévouement aveugle aux désirs de Napoléon Bonaparte. Je suis pourtant conduit à attribuer sa conduite au dernier motif, d'autant plus que le refus positif du général (Gourgaud) d'admettre sa non-participation à la correspondance clandestine qui est depuis si longtemps entretenue entre Longwood et l'Europe (quoiqu'il l'absolve très distinctement de toute connaissance de certaines autres menées criminelles) me donne trop raison de croire qu'en ce qui tourbe la correspondance. M. O'Meara, s'il n'a pas été directement employé par le général Bonaparte, a du moins prêté volontiers sa connivence à celte violation des règlements établis. Dans tous les cas, il ne saurait rester plus longtemps auprès delà personne de Napoléon Buonaparte et je n'éprouve plus, par conséquent, la répugnance que j'avais jusqu'ici, vous le savez, à faire cesser ses fonctions et à lui interdire tout rapport ultérieur avec les habitants de Longwood. L'amiral Plampin recevra les ordres nécessaires pour sa future destination...

Signé : BATHURST.

 

C[3]

Downing Street, 18 mai 1818.

Mon cher monsieur, ma lettre particulière du 29 du mois dernier vous aura expliqué ce qui m'avait induit à refuser mon consentement à votre proposition d'éloigner M. O'Meara de Longwood. L'information donnée par le général Gourgaud a changé la situation des choses et je ne vois plus aucune difficulté à vous permettre de lui retirer les fonctions auxquelles il s'est montré si impropre. Je ne crois pas que vous soyez autorisé à saisir ses papiers, mais vous pourrez, si vous le jugez convenable, l'envoyer chercher, lui annoncer le contenu de mes instructions et, cela fait, lui interdire de voir le général Buonaparte ou toute personne île sa suite, excepté en présence d'un officier anglais. Vous pourrez aussi l'empêcher île retourner à Longwood dès qu'il l'aura quitté.

J'espère que ma dépêche au sujet de Rosemary Hall vous parviendra avant que vous en avez terminé l'achat. Le général Gourgaud regarde Longwood comme la situation la mieux adaptée à la surveillance, et les restrictions que vous vous sentirez autorisé à imposer aux personnes de la suite du général Bonaparte obvieront, j'en ai la confiance, aux objections que vous paraissiez commencera avoir contre celle résidence. Comme le général Buonaparte ne profitera pas des libertés qu'il a, on peut l'en laisser sans crainte en pleine possession ; et, par le fait, dans sa situation, il n'aura plus autant de facilité pour en abuser. C'est par l'entremise des personnes de la suite de Buonaparte que toute la correspondance clandestine a lieu et il n'y a rien dans leur caractère et leur situation qui vous oblige à leur montrer la même indulgence ou doive vous empêcher de leur imposer les restrictions nécessaires. Je suis sur que vous ne serez pas enclin à faire plus.

Nous devons nous attendre à ce que l'éloignement de M. O'Meara occasionne une grande sensation et l'on essaiera de donner une mauvaise tournure à celle affaire. Vous ferez mieux de laisser généralement connaître la substance de mes instructions, dès que vous les aurez exécutées, pour qu'on ne puisse pas faire croire que M. O'Meara a été éloigné par suite d'une querelle avec vous et que l'on sache, au contraire, que c'est en conséquence des informations fournies .sur sa conduite par le général Gourgaud en Angleterre.

Je suis, etc.

Signé : BATHURST.

 

D

LORD BATHURST À LORD CASTLEREAGH[4].

Downing Street, 25 septembre 1818.

Cher lord Castlereagh, par une lettre interceptée, dont M. de Neumann a été assez bon pour m'envoyer copie, il apparaît que c'est l'intention de Las Cases et de certains amis du général Bonaparte d'appeler l'attention des souverains assemblés à Aix-la-Chapelle sur le traitement auquel il est soumis à Sainte-Hélène. Je pense donc qu'il est désirable que vous soyez en possession de quelques papiers par lesquels vous serez en état de réfuter les exposés grossièrement inexacts qui circulent sur ce sujet.

Le premier document contient les règles existantes ; le deuxième, les communications faites par le général Gourgaud à son arrivée de Sainte-Hélène. Je regrette qu'il n'ait pu être amené à en dire davantage, ce qu'il eût été facilement persuadé de faire, j'imagine, si l'espoir avait pu lui être donné que le gouvernement français voulût lui pardonner. Le troisième papier est la copie d'une lettre que sir Hudson Lowe a pensé qu'il était désirable d'envoyer au comte Balmain en reproche de sa conduite, vu qu'il appréhende que les fréquentes entrevues entre le comte Balmain et les personnes de la suite du général Bonaparte aient donné au comte une opinion défavorable. Je l'envoie, parce que c'est la plus succincte défense de su- Hudson Lowe que j'aie en ma possession. Le quatrième papier est la copie de ma lettre à sir Hudson Lowe qui parle de cela même. Et j'y ai ajouté la dépêche qui rend compte de la dépense de la cuisine par le général Bonaparte et d'autres particularités qui sont au moins amusantes. Le dernier papier est la minute d'une dépêche que je suis pour envoyer à sir Hudson Lowe, à la suite de ce qui ressort d'une de ses dernières dépêches relativement au relâchement dans une de ses instructions que je pense nécessaire de lui notifier.

A vous très sincèrement.

Signe : BATHURST.

 

PIÈCE N° XIII.

RESOLUTION PROPOSÉE PAU LE GOUVERNEMENT RUSSE ET PRISE PAR LE CONGRÈS D'AIX-LA-CHAPELLE[5].

 

A

MÉMOIRE DES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES, ANNEXE AU PROTOCOLE N° 31.

Aix-la-Chapelle, 13 novembre J818.

Le cabinet de Russie a examiné la question relative au mode d'existence de Napoléon à Sainte-Hélène et aux clameurs excitées en Angleterre et répétées dans quelques parties de l'Europe concernant un homme dont la funeste célébrité n'a pas encore cessé d'agiter le monde.

L'odieux que les révolutionnaires de tous les pays cherchent à jeter sur la mesure de sa détention, quoique autorisée par la justice et commandée par la nécessité, l'accord que ce mot de ralliement produit entre les ennemis de l'ordre, quels que soient les doctrines et les intérêts qui les séparent. 1 impression qu'ils produisent et le dessein qu'ils osent avouer ouvertement, donne lieu aux observations suivantes.

La guerre soutenue contre Napoléon Bonaparte et les résultats qui en ont été la conclusion n'ont jamais eu aucune personnalité pour objet. C'est le pouvoir de la Révolution française concentre dans un individu qui s'en prévalait pour asservir les nations sous le joug de l'injustice que les allies ont combattu et qu'ils sont heureusement parvenus à détruire. Ce principe a constamment caractérisé les délibérations des cabinets, dans toutes les circonstances où il a été possible de le mettre en pratique. Arrivés à Paris au mois de mars 1814, et au moment où la fortune des armes avait permis pour la première fois d'annoncer d'une manière positive l'époque de la délivrance générale, les souverains s'empressèrent de décider, ce que l'incertitude des événement avait mis en question jusqu'alors : la destruction de la puissance politique de Bonaparte.

En proclamant qu'ils ne feraient jamais la paix, ni avec sa personne, ni avec aucun individu de sa famille, tout l'échafaudage de l'usurpation s'écroulait, et l'Europe voyait, dans cette immense ruine, le commencement de sa propre réédification.

Renvoyé à l'ile d'Elbe, Bonaparte en sortit contre la teneur de son abdication et la foi des traités. La même cause produisit les mêmes effets. Sa présence en France excita la Révolution dont on venait à peine de sortir, et les espérances de la paix que le congrès de Vienne travaillait à rétablir, se flétrirent et s'évanouirent à son aspect.

La lutte qui s'établit alors entre les forces destinées à conserver l'ordre public et celles qui s'efforçaient de le détruire était d'un caractère différent de toutes celles qui avaient précédé. Dans les premières, Bonaparte avait été considéré et traité comme souverain, par le l'ail du pouvoir qui le maintenait à une hauteur aussi éminente : dans celle-ci, au contraire, il ne se présentait que comme le chef d'une force informe, sans caractère politique reconnu, et en conséquence sans avoir aucun droit de prétendre aux avantages et aux égard dus à la puissance publique par les nations civilisées, même lorsqu'elle est plongée dans l'infortune.

Cette distinction a été la base de toutes les précautions prises et des mesures exercées contre un homme, qui, avant cessé d'être reconnu comme le souverain de la France, devait nécessairement en être traité comme le perturbateur.

Bonaparte, avant la bataille de Waterloo, était un rebelle redoutable, après la défaite un vagabond dont la fortune a trahi les projets, un fugitif à Rochefort et dépendant de la justice de l'Europe à bord du Bellérophon.

Les cabinets alliés ont délibéré sur le sort de leur prisonnier.

Le résultat de leur délibération à été le traité du 2 août 1815.

Napoléon Bonaparte prisonnier de l'Europe est confié à la garde du gouvernement britannique.

... L'attention du cabinet de Russie s'est portée sur le mérite des clameurs réitérées avec tant de persévérance et reproduites sous des formes si différentes au sujet du traitement exercé envers le prisonnier par ceux qui sont chargés de sa garde à Sainte-Hélène.

La libéralité et la douceur du caractère et des lois de l'Angleterre auraient suffi pour faire appréciera leur juste valeur ces cris de la calomnie ou d'une fausse compassion : mais un examen approfondi des documents relatifs aux faits qui se rapportent à cet objet, combiné avec les vices et la conduite politique des auteurs des dénonciations, dévoilent le projet formé de leur pari, non d'améliorer la condition de Bonaparte, considéré comme détenu, mais de multiplier les chances de son évasion, en fatiguant, s'il leur était possible, la vigilance dit gouvernement et de ses agents. Celle lactique leur offre, en attendant, l'avantage défaire supposera tous les ennemis de l'ordre le retour du chef qui convient le plus à leurs desseins ou à leurs passions criminelles, et d'infecter ainsi la France et les pays encore agités par les suites de la Révolution, d'une infinité de spéculations qui, quoique vagues, sont encouragées par ceux qui cherchent à trouver dans la corruption ou les folies delà société les moyens delà bouleverser entièrement.

Il n'existe nul doute que, depuis l'arrivée de Bonaparte à Sainte-Hélène, on ne se soit efforcé de lui rendre sa captivité moins pénible. Elle le serait devenue en effet, si, décidé à se considérer comme un particulier relégué dans cette île, il avait eu le courage ou la volonté de renoncer aux prétentions de la grandeur et aux exigences qui sont incompatibles avec sa situation et sa fortune actuelles.

Napoléon veut être considéré comme souverain, lorsqu'il est décidé qu'il est rentré dans la condition d'homme privé et qu'il doit être traité comme tel.

Il rejette des facilités qui lui sont offertes pour se distraire ou prendre l'exercice auquel il paraissait vouloir s'accoutumer puisqu'il dédaigne d'être observé par un officier anglais. Il peut avoir des correspondances par la voie du gouvernement, soit pont nourrir sa curiosité ou occuper son loisir, soit pour entretenir ses affections, et il n'en cherche que des secrètes et d'indépendantes de la surveillance publique.

Il se dit malade et il refuse la visite d'aucun autre médecin mie de celui qui était devenu son complice et qui même n'a jamais pu certifier que le général Bonaparte lut travaillé d'aucune indisposition sérieuse ou apparente dont quelques jours d'exercice ne le délivreraient complètement.

Le traité porte que les commissaires des puissances s'assureront de sa présence, et, jusqu'à ce moment, ils ne sont pas encore parvenus à le voir une seule fois parce qu'il ne consent à les laisser approcher de lui qu'en qualité d'ambassadeurs.

De ces difficultés, Napoléon descend à d'autres aussi fausses que puériles ; les aliments, les provisions, le logement et enfin tous les détails minutieux du ménage deviennent à chaque instant un objet de plaintes et d'intrigues. Loin de nous de vouloir aggraver son sort par aucune privation de ce genre, mais la vérité est que ces privations n'ont jamais existé et qu'elles ne sont présentées à la curiosité et à la malignité publique que comme un moyen de plus pour réveiller l'intérêt et revivre dans la mémoire de ses partisans.

Cette tactique n'est pas restée absolument sans effet : A des temps donnés, on a vu arriver de Sainte-Hélène quelqu'un de sa société, porteur de détails que les perturbateurs de tous les pays ou ceux qui croient follement de se donner une sorte de célébrité en se faisant ses apologistes ne manquent pas de publier en Europe. Si l'émissaire est un homme ignoré et de condition servile, il trouve des rédacteurs et des compositeurs zélés : si, au contraire, il appartient a une classe plus relevée ou mieux instruite, il devient lui-même le narrateur de ses propres inventions.

Les membres de la famille du prisonnier, établis sur plusieurs points principaux de l'Italie ou de l'Allemagne, ne manquent pas d'accueillir les nouveaux venus et de recevoir les informations : ils fournissent l'argent et maintiennent, par des correspondances, celte sourde activité qui travaille encore les esprits et la fait envisager par les débris de toutes les factions révolutionnaires comme le centre d'union où ils pourront s'appuyer un jour. Leur correspondance secrète avec Sainte-Hélène est prouvée au-dessus de toute contradiction, l'envoi de sommes clandestines et l'acquittement de toute lettre de change endossée par Bonaparte sont également avoués et hors de doute.

Ces vérités, qui résultent des documents fournis par le gouvernement anglais, n'ont jamais échappé à la vigilance des autres cabinets ; très souvent ils se sont fait à ce sujet des confidences réciproques, mais jamais les mesures et les précautions n'ont suivi le mal qu'on venait de dénoncer.

Parmi les émissaires venus de Sainte-Hélène le général Gourgaud se trouve au nombre des plus notables : avant pris un ton de franchise suspect, il a révélé néanmoins des particularités qui ne peuvent manquer de fixer l'attention des Alliés.

Napoléon, selon lui, n'excite, envers le gouverneur de Sainte-Hélène, toutes les tracasseries dont il le fatigue que pour mieux cacher ses véritables desseins.

Les correspondances secrètes avec l'Europe et le trafic d'argent ont lieu dans toutes les occasions qui se présentent.

Le projet d'évasion a été agité par les gens attachés à sa suite et il aurait été exécutable si leur chef n'avait pas mieux aimé le différer.

Le moment de l'exécution de ce projet devait coïncider avec celui de l'évacuation du territoire français par les troupes alliées et avec les troubles que cet événement aurait fait naître.

Ces renseignements, combinés avec les espérances et les sentiments de tout ce résidu criminel des temps révolutionnaires, méritent une attention suivie de la part des gouvernements et il appartient aux souverains réunis d'en donner l'exemple...

C'est dans cette conviction que le cabinet de Russie regarde comme principes desquels il ne lui est pas permis de se départir :

1° Que Napoléon Bonaparte s'était mis par l'effet de sa conduite hors la loi des nations et que les mesures de précaution prises à son égard et toutes celles de ce genre qu'on serait autorisé de prendre dépendront entièrement de la discrétion et de la prudence des puissances alliées :

2° Que le traité du 2 avril le constitue expressément et formellement prisonnier des puissances signataires du traité du 25 mars 1815 ;

3° Qu'une telle cause ne permet à aucune d'entre elles, et encore moins à celles qui en est la dépositaire, dose départir de rengagement contracté ou de l'exposer par des considérations quelconques à le voir frustré au détriment de la paix publique ;

4° Que les précautions mentionnées dans les déclarations primitives, et renouvelées par la lettre de lord Bathurst au chevalier Lowe en date du 1er septembre 1818, rencontrent l'assentiment de toutes les puissances intéressées à l'exécution du traité ;

5° Qu'aussi longtemps que les commissaires de ces puissances prolongeront leur séjour à l'île de Sainte-Hélène, le gouvernement sera tenu de les mettre à même d'exécuter l'objet de leur mission par les moyens qu'il jugera les plus convenables ;

6° Que les membres delà famille Bonaparte seront obligés de se rendre dans les lieux qui leur avaient été assignés comme séjour par les délibérations précédentes insérées aux protocoles arrêtés à cet effet ;

7° Que les ministres des puissances signataires du traité du 2 août et des protocoles subséquents accrédités aux cours où ces individus résident, sont chargés d'en demander le départ et se concerteront entre eux sur les moyens d'exécution de celte mesure ;

8° Que tontes les correspondances avec le prisonnier de Sainte-Hélène, envoi d'argent ou communication quelconque qui ne serait pas soumise à l'inspection du gouvernement anglais, sera regardée comme attentatoire à la sûreté publique et qu'il sera porté des plaintes et pris des mesures contre quiconque se rendra coupable d'une telle infraction.

Si MM. les ministres de cabinet des souverains alliés partagent, etc. —les plénipotentiaires de Russie sont prêts à se joindre à eux, afin de donner à leur décision commune la forme d'un protocole, etc.

 

B

PROTOCOLE N° XLII.

Aix-la-Chapelle, 31 novembre 1818.

MM. les plénipotentiaires de Russie ont donné lecture d'un mémoire destiné à luire connaître les points de vue sous lesquels leur cabinet envisage la position de Napoléon Bonaparte à l'Ile de Sainte-Hélène, l'esprit et la teneur des instructions réglant la conduite des commissaires de S. M. H. à l'égard de ce prisonnier et les rapports mensongers répandus sur son compte par une malveillance active, recueillis par l'esprit de parti ou la crédulité :

Et MM. les plénipotentiaires des autres cours, partageant entièrement les principes et la manière de voir du cabinet de Russie et jugeant utile d'énoncer explicitement leur opinion, tant sur les laits consignés dans les dernières communications de MM. les plénipotentiaires britanniques que sur les aperçus présentés avec autant de vérité que de force dans le susdit mémoire :

Ont unanimement reconnu et déclarent en conséquence :

1° Que Napoléon Bonaparte s'est par son propre Tait privé de tous les droits autres que ceux que l'humanité réclame en sa faveur et que les mesures de précaution que le repos et le salut public peuvent exiger a son égard sont entièrement soumises à la discrétion éclairée des souverains alliés :

2° Que la convention du 2 août 1815 le constitue expressément prisonnier des puissances signataires du traité du 23 mars 1813 ;

3° Qu'une telle clause ne permet à aucune des puissances, et moins qu'à toute autre à celle à laquelle la garde de sa personne a été exclusivement confiée, de s'écarter de rengagement contracté ou de s'exposer, par quelque considération que ce soit, à ce que l'effet de cet engagement puisse être frustré aux dépens de la paix publique ;

4° Que les précautions ordonnées dans les instructions primitives du gouvernement de S. M. H. et renouvelées par la dépêche de lord Bathurst à sir Hudson Lowe du 1er septembre 1818, ont obtenu l'assentiment unanime des puissances signataires de la susdite convention et qu'elles approuvent les ménagements que l'humanité et la générosité peuvent suggérer dans l'exécution de ces instructions, vu la position où se trouve S. A. R. le prince Régent par le fait que Bonaparte s'est rendu au gouvernement britannique ;

5° Qu'aussi longtemps que les commissaires des puissances qui ont concouru au traité du 2 août 1815 prolongeront leur séjour à l'ile de Sainte-Hélène, le gouverneur sera invité à les mettre a même de remplir l'objet de leur mission par les moyens qu'il jugera les plus convenables :

6° Que toute correspondance avec le prisonnier, envoi d'argent ou communication quelconque qui ne serait pas mise à l'inspection du gouvernement britannique ou de ses commissaires, sera regardée, sans exception, comme attentatoire à la sûreté publique et quiconque se rendrait coupable d'une pareille infraction, sera dénoncé et poursuivi par les voies légales.

Signé : METTERNICH, RICHELIEU, CASTLEREAGH, WELLINGTON, HARDENBERG, BERNSTORFF, NESSELRODE, CAPO D'ISTRIA.

 

 

 



[1] FORSYTH, IV, 373 et suivantes.

[2] FORSYTH, IV, 375.

[3] FORSYTH, IV, 377.

[4] Correspondance, Despatches and ther Papers of viscoumt Castlereagh, second marquess of Londomderry, 3e série. T. IV, p. 41.

[5] Pièces extraites de : Kaizer Franz und die Napoleoniden von Dr HANNS SCHLITTER, Vienne, 1898, in-8°, p. 239 et suivantes.