GROUPE III. — CONFIRMATION DES DOCUMENTS PUBLIÉS PAR SIR WALTER SCOTT TÉMOIGNAGES DES RÉSIDENTS À LONDRES.PIÈCE N° IXRAPPORT DE M. GOULBURN À LORD BATHURST. Londres
10 mai 1818. — Voir Pièce II. B. Forsyth reproduit la lettre de M. Goulburn telle qu'elle a été publiée par sir Walter Scott, moins le post-scriptum, d'après la copie qui fut envoyée par lord Bathurst à sir Hudson Lowe. — Le post-scriptum publié par le Dr Hanns Schlitter (Kaiser Franz und Die Napoleoniden. Vienne, 1888, in-8°, p. 237.) PIÈCE N° XEXTRAITS DES DÉPÊCHES DU MARQUIS D'OSMOND, AMBASSADEUR À LONDRES AU DUC DE RICHELIEU[1]. ALondres,
5 mai 1818. ... Plusieurs vaisseaux des
Indes ont touché a Sainte-Hélène. L'un d'eux a débarqué M. Gourgaud ; il sera
bientôt ici. Aux détails que nous donne M. de Montchenu j'en joindrai
d'autres pris dans les volumineuses dépêches de sir Hudson Lowe... S'il faut en croire sir Hudson,
ce Gourgaud doit nous révéler des choses utiles à savoir. Je crains que, refroidi par
le voyage, il ne soit plus retenu qu'il ne s'est montré au général et
celui-ci avoue n'avoir compris qu'à moitié sa conversation entrecoupée au
moment où l'on se rendait à bord. Je lâcherai de tirer parti des demi-mots.
Ayez surtout la honte de m'envoyer sans retard la mesure d'indulgence que
vous voulez employer. BLondres,
8 mai 1818. J'ai l'honneur de vous
adresser les extraits ci-joints des dépêches du général Lowe à lord Bathurst
: celui-ci a pris toutes les précautions permises en Angleterre pour
soustraire Gourgaud à l'influence des bonapartistes réels ou simulés : ces
gens-là vont redoubler d'activité jusqu'au mois d'octobre. L'imprimé que je
vous envoie est un échantillon de leur savoir-faire ; on le vendait hier dans
toutes les rues avec un fracas infernal. Gourgaud serait pour le
parti un trésor que les ministres veulent bien mettre à notre usage, de que
nous en saurions, ce que les autres n'en sauraient pas. surtout ce qu'ils ne
pourraient point en dire, tout cela deviendrait des gages de tranquillité et
je ne vois aucun inconvénient à nous les assurer si la traversée n'a rien
changé aux dispositions du voyageur dont la bonne foi ne sera pas longtemps
douteuse. Dans le cas où Gourgaud
voudrait rejoindre sa mère et vivre prés d'elle sous la surveillance du
ministre de la Police, est-ce que le Roi n'y consentirait pas ? Je le
trouverais là moins dangereux qu'ailleurs, lors même qu'il serait inutile. Eugène,
inquiet de ce rapprochement, deviendrait sans doute plus discret et ses
aboiements seraient bâillonnés pour quelque temps. Un messager d'Etat prendra
Gourgaud à bord du bâtiment, le conduira chez lord Bathurst qui, après lui
avoir parlé, me l'enverra ; j'exigerai de lui une solitude complète on
attendant les ordres que j'ai demandes par le dernier courrier ; leur
importance m'en garantit l'expédition. CLondres,
12 mai 1818. Samedi en arrivant au
bureau des Colonies, M. Goulburn me demanda si j'avais vu le général Gourgaud
; il m'apprit qu'on le lui avait amené ; après avoir causé quelques moments
avec lui, l'ayant engagé à dîner, il me l'avait expédié. Rentré chez moi, je
trouvai en effet le nom de M. Gourgaud, sa demande et son adresse, à laquelle
j'envoyai sur-le-champ le billet joint au sien (n° 1). Dimanche, à l'heure
indiquée, M. Gourgaud entra dans mon cabinet, tenant à la main une lettre du
marquis de Montchenu, elle renfermait celle du général Lowe. L'opinion de sir Hudson
devint le texte de mes premières paroles. L'interlocuteur entreprit
l'apologie de sa conduite ; spirituelle et modeste, elle me parut franche ;
aussi l'entretien se prolongea jusqu'il cinq heures, Une si longue conférence
ne m'a pas appris tout ce que je voudrais savoir. La crainte de passer pour
traître (vrai
ou faux) produit sans cesse dans la conversation
de cet homme des réticences pour lesquelles il demande pardon et que je n'ai
pas cru devoir brusquer, voulant obtenir une confiance qui nous instruira
plus et mieux, si le Roi me permet de la captiver. En attendant les moyens
d'échange, j'ai pris ce que l'on m'a donné et le triage que je puis faire
pour l'intérêt du moment n'ajoute pas grand'chose a la dépêche de sir Hudson
Lowe, Les doutes que lui a laissés M. Gourgaud auront sûrement multiplié ses
préventions et prévu les ordres qu'on se hâtera d'expédier sans que je les
sollicite. Le rôle qu'a joué Bonaparte,
ce que nous coûtent ses crimes, le mal qu'il peut l'aire encore, tout se
réunit pour rendre importants les moindres détails- de ses Cent-Jours, de sa
catastrophe, du voyage qui en a été la suite, de son existence actuelle, de
ses projets et de ses espérances. Aussi, malgré les points d'arrêt, ai-je été
fort intéressé par le récit de M. Gourgaud. Il deviendrait, sans lacunes, le
sujet d'un mémoire bien curieux ; voilà pour le besoin pressant ce que j'en
ai tiré de positif. Le prisonnier de
Sainte-Hélène n'est point malade ; il se ménage ; ses correspondances assez
nombreuses sont facilitées par les habitants et des militaires, .le crois O'Meara
et Balcombe parmi ces derniers. Le dernier est à Londres avec sa famille ;
peut-être n'est-ce pas de son plein gré. L'argent ne manque pas à
Longwood pour aucune entreprise ; l'évasion serait effectuée si l'on savait
où porter ses pas ; l'embarras de les diriger est la constante occupation des
exilés qui Huilent leur maitre du retour en France et se déchirent entre eux.
Chaque bâtiment aperçu devient un motif de crainte ou d'espérance. La perle
de Cipriani, mort en trois jours, a fort affligé son patron ; il regrette
moins le maître d'hôtel qu'un confident actif, intelligent, discret et
enthousiaste. Bonaparte avait d'abord entrepris ses mémoires, mais bientôt il
n'y a travaillé que par boutades et sans suite, traitant d'époques
différentes, selon les ouvrages qui lui parviennent ; il dicte de verve, le
secrétaire rédige ensuite et c'est un chapitre à placer quand l'ordre des
matières l'appellera. En tout, il parait qu'il s'occupe plus à Longwood de
l'avenir que du passé : sauf l'ambition trompée, le présent y est assez doux
; le climat, le logement, la nourriture, les procédés ne justifient en rien
les plaintes des camarades. La mortalité à Sainte-Hélène est, ainsi qu'à
Londres, d'un individu, sur 30. Gourgaud, non moins
empressé que les autres à briser les fers de Bonaparte, l'aurait tué, dit-il,
au premier pas fait sur noire territoire ; il attribue sa disgrâce à celle
détermination française. Cela est facile à croire, mais, pour l'admettre et
la concilier avec un plan d'évasion, il fallait donc que d'autres points
fussent agités. C'est selon les ordres qui me parviendront, ce que je
découvrirai probablement ou ne saurai jamais. Ci-joint une lettre pour la mère de Gourgaud. En la lui Taisant parvenir par une personne intelligente qui offrirait le moyen économique et sûr de répondre par la même voie, peut-être obtiendrait-on des lumières dont il serait possible de m'aider. ANNEXELe général Gourgaud venant de l'île Sainte-Hélène est chargé d'une lettre de M. le marquis de Montchenu pour M. le marquis d'Osmond ; il prie son Excellence de lui faire savoir quand il pourra avoir l'honneur de la lui remettre. M. Gourgaud loge chez M. Princknev, Wolburn place n° 10, Royal Square. Vers une heure, demain
dimanche 10 mai, l'ambassadeur de France recevra très volontiers M. Gourgaud
déjà annoncé par M. de Montchenu. Portland
place, samedi 8 mai. D15
mai 1818. [La lettre que j'ai en l'honneur
de vous adresser le 12 aura confirmé l'opinion dont vous me faisiez pari la
veille relativement aux projets sur Sainte-Hélène : mais elle vous aura donné
l'espoir d'une surveillance redoublée. Malgré ses réticences, Gourgaud avait
dit à sir Hudson Lowe et aux commissaires plus qu'il ne fallait pour éveiller
leur attention. Stürmer ne croyait pus, le li mars, à la facilité du départ,
cependant il avait appris (comme je l'ai su) ce qu'en
penseraient les prisonniers. Gourgaud semble ne pas douter du succès si l'entreprise
était tentée ; et quand j'ai insisté avec intention sur les obstacles à
surmonter : Eh ! mon Dieu ! Monsieur l'ambassadeur,
a-t-il dit, rien de plus aisé à vaincre. — En parole, ai-je repris. — Non,
en action et de toutes les manières. Supposez par exemple que Napoléon mis
dans un des tonneaux qui venus à Longwood remplis de provisions, retournent
chaque jour à la ville sans visite, croyez-vous impossible de trouver un
capitaine de barque qui, à l'appât d'un million transporté avec lui, se
chargeât de remettre le tonneau à bord d'un bâtiment en croisière. Je
pourrais indiquer d'autres moyens encore si ma position ne me commandait le
silence. Au surplus, à cette heure, le coup est l'ail ou manqué. En réfléchissant à la supposition, j'ai pensé qu'elle pourrait bien
être la réalité et j'attendrai avec
impatience les nouvelles de Sainte-Hélène.] Bonaparte regrette la princesse
Charlotte, il la croyait son amie ; il fondait de grandes espérances sur son
avènement au trône. Cela prouve qu'il n'a pas l'ail de grands progrès dans la
connaissance de ce pays-ci. Pas plus que son père, la princesse n'aurait été
favorable à Bonaparte et je crois que, s'il était libre, le nombre
aujourd'hui très grand de ses partisans se réduirait beaucoup. En devisant sur la situation
de la France, Buonaparte blâmait l'indulgence du Roi. Dans son intérêt,
disait-il, Louis XVIII aurait dû chasser tous mes
maréchaux et partager l'armée de la Loire entre les différents
souverains.
Cette opinion n'a pas besoin de commentaire. Le pamphlet qu'a publié
Santini est l'ouvrage de son maître comme la lettre adressée à lord Bathurst. Piontkowski n'était pas
fort avant dans la confiance dont personne ne jouit entièrement. Je suis vis-à-vis de
Gourgaud tout à fait en mesure et libre de suivre la direction qu'indiquera
votre lettre du 12. Je persiste à croire que cet homme, utile en France s'il
est de bonne foi, y serait moins dangereux qu'ailleurs dans le cas contraire,
mais qu'en tout état de chose, on peut temporiser sans inconvénient. Je n'ai pas le temps,
Monsieur le duc, de répondre à votre lettre du 11 sur l'article Gourgaud ; je
n'ai encore rien à ajouter parce que j'attends pour le revoir ce que vous
pensez de mes observations[2]. ELondres,
20 mai 1818. ... Gourgaud est toujours
fort réservé. Cependant, les termes dans lesquels il s'est exprime vis-à-vis
du comte Lieven[3] ne sont pas ceux de la soumission qu'il m'a
témoignée. Quelque chose ressemblait au projet de joindre Eugène si on
faisait difficulté de l'accueillir en France. Il est possible que la vanité
satanique ait pris le dessus vis-à-vis d'un étranger. Il l'est aussi que M.
de Montesquiou[4], venu avec son beau-père et qui a vu Gourgaud, ait
fait le voyage pour recevoir des nouvelles de Sainte-Hélène et que le
transfuge, avant rempli une partie de sa mission, aille la continuer en Bavière.
On peut tout soupçonner de ces gens-là. Gourgaud n été le premier à me dire
qu'il avait reçu une visite de Montesquiou :ni celui-ci, ni Perron ne se sont
présentés chez moi. FLondres,
12 juin 1818. ... Toutes les nouvelles de
Sainte-Hélène, postérieures au départ de Gourgaud, sont de nature à le
justifier du rôle qu'on peut le supposer avoir joué. On en parle avec mépris à
Longwood. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . GLE MARQUIS D'OSMOND À LORD BATHURST[5]. 31
octobre 1818. Je ne suis pas moins étonné
que Votre Excellence des variations de M. Gourgaud. J'ai vu quelquefois cet
officier ; il me paraissait constamment occupe du projet de rentrer en France
pour y acquérir des droits à l'oubli de ses fautes, Convaincu de sa bonne
foi, j'étais devenu son avocat auprès de M. le duc de Richelieu et j'avais
l'espoir que ce ne serait pas sans succès, quand a paru la lettre à
l'archiduchesse de l'arme ; d'abord je l'ai cru fabriquée par les ennemis de
Gourgaud... M. Gourgaud aurait-il donné le titre d'Empereur à l'homme qui
naguère avait provoqué de sa part une noble réponse aux offres de bontés
nouvelles quand il retournerait en France ? Si la fortune, dit Gourgaud à
Bonaparte, destinait ma patrie à l'horrible malheur de vous revoir jamais,
vous nie trouveriez dans les rangs de vos ennemis et je ne vous aborderais que
les armes à la main. Chaque souvenir m'autorisait à nier que M. Gourgaud eût
écrit la lettre du 25 août ; mais, puisqu'il en revendique la gloire, il n'y
a plus moyen de la lui refuser ; reste à savoir si M. Gourgaud a joué un
rôle, ou s'il faut attribuera l'instabilité de son caractère une conduite
dont on ne peut apprécier tout le mérite sans savoir ce qu'elle doit à l'art
ou à la nature. PIÈCE N° XIEXTRAITS DES DÉPÊCHES DU COMTE LIÉVEN, AMBASSADEUR DE RUSSIE AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES[6]. ALondres,
13/23 mai 1818. Monsieur le comte, en
transmettant aujourd'hui à Votre Excellence les derniers rapports que M. le
comte de Balmain m'a adressés de Sainte-Hélène pour le ministère impérial et qui
contiennent des détails relatifs à la querelle survenue entre le général Gourgaud
et le comte de Montholon, et le départ subséquent du premier pour l'Europe, je
me trouve appelé à compléter ces données par les communications que le gouvernement
anglais vient de me faire des rapports du gouverneur de l'île sur cet objet,
et des révélations verbales faites par le général Gourgaud lui-même, depuis
son arrivée en Angleterre qui a eu lieu il y a quinze jours. Sir Hudson Lowe rapporte
aux mêmes circonstances citées dans les dépêches du comte de Balmain les
causes du désir énoncé par le général Gourgaud de se séparer de Bonaparte et
de retourner en Europe. Voici à peu près les détails qui s'y rattachent et
que mande le gouverneur. Le général Gourgaud, étant
venu l'informer des motifs de plainte et de vengeance qu'il avait contre le
comte Montholon et de sa détermination de quitter en conséquence le service
de Bonaparte. le général Lowe. pour prévenir tout scandale ou conséquence
trafique de la querelle, crut prudent de proposer au général Gourgaud de
venir habiter la partie de l'ile où il demeure et lui v assigna en
conséquence un logement, Gourgaud passa néanmoins encore cinq jours à
Longwood au bout desquels, étant venu prendre possession de sa nouvelle
habitation, il déclara au gouverneur son désir de retourner en Europe ;
l'assurant en même temps qu'il n'aurait point le droit de réclamer contre les
mesures de précautions les plus sévères qu'on pourrait prendre contre lui à
cette occasion, non plus que contre son envoi préalable au Cap, auquel il
était tout préparé. Cette résignation
volontaire parait avoir désarmé le général Lowe qui se détermina dès lors à
le faire retourner en droiture en Europe. Ses entretiens avec Gourgaud et, en
général, la conduite de cet officier pendant tout son séjour à Sainte-Hélène,
l'avaient déjà disposé favorablement pour lui. Il crut trouver en lui de la
bonne foi, beaucoup de franchise et un détachement complet des intérêts de Bonaparte,
sur le compte duquel il s'exprimait même sans le moindre ménagement. — Il fit
part au gouverneur des moyens qu'on avait à Longwood d'éluder toute sa vigilance
; de lettres envoyées et revues ; d'argent fourni abondamment par le prince Eugène
Beauharnais ; des moyens d'évasion même que pouvait avoir Bonaparte, mais
dont il n'avait point voulu profiter, sûr qu'il était de se voir libéré de sa
détention, sans courir les risques qui pouvaient, dans le moment actuel,
accompagner sa fuite. — Il a traité Gourgaud de fou de le quitter à la veille
probablement de son retour en Europe : attendu que, soit les efforts du parti
de l'opposition en Angleterre, soit un changement dans l'administration, soit
enfin la difficulté du gouvernement anglais de pourvoir plus longtemps aux
frais considérables qu'exigeait sa détention, décideraient sous peu sa mise
en liberté. Mais il trouve surtout une chance presque certaine en sa faveur
dans la circonstance de la retraite des troupes étrangères de France : celte
évacuation devant, à son sens, amener indubitablement des commotions, dans le
royaume et son rappel s'ensuivre comme conséquence immédiate. Le général Lowe, sans
entrer dans d'autres détails relatifs aux révélations que lui a faites Gourgaud,
la veille de son embarquement, sur les intelligences secrètes de Bonaparte en
Europe, se réfère à cet égard à l'occasion qu'aura le secrétaire d'État
d'interroger lui-même cet officier à Londres sur cet objet. Il s'excuse de
n'avoir point eu le temps de s'occuper d'un plus long examen sur ce que le
vaisseau qui devait porter le général Gourgaud en Angleterre était prêt à
mettre à la voile. La seule précaution que sir Hudson Lowe a cru devoir
prendre avant de s'en séparer, a été de lui demander un écrit par lequel il
engage sa parole d'honneur qu'il n'emporte en Europe aucune lettre ou papier
quelconque relatif à quelque intelligence en faveur de Bonaparte. Il a en
outre pris connaissance de tous les papiers du général Gourgaud dans lesquels
il n'a trouvé que des lettres indifférentes et des brouillons de la main de
cet officier avec quelques notes de celle de Bonaparte lui-même, sur des
fragments d'un journal de ses campagnes. Cette écriture a été indéchiffrable
pour les Anglais et Gourgaud leur en a donné verbalement l'explication. Telle est monsieur le
comte, la masse des données envoyées par le gouverneur de file de
Sainte-Hélène sur le compte du général Gourgaud. — Aussitôt après son
arrivée, il a suffi un long interrogatoire de l'un des sous-secrétaires d'État au département
des Colonies. Gourgaud y a répété tout ce une mande sir Hudson Lowe. Il y a
ajouté quelques autres détails sur les ressources pécuniaires de Bonaparte et
nommé les maisons de commerce, à
Londres et à Sainte-Hélène, par la voie desquelles dès remises nul été
faites. Il a désigné le prince Eugène comme la source principale de laquelle
elles découlaient. Bonaparte a fixé une pension viagère de douze mille francs
à la mère de Gourgaud qui se trouve en France. — Las Cases ayant, à son
départ de Sainte-Hélène, laissé dans la caisse de son ancien maitre un dépôt
de quatre mille guinées, il lui a remis en équivalent des lettres de change
pour la valeur de 210.000 francs, ce qui l'ait environ le triple de la
première somme. — La correspondance a eu généralement lieu par la voie des
domestiques. On s'est servi également de l'occasion du départ des troupes qui
formaient la garnison de l'ile et qui ont été relevées il y a de cela
quelques mois, pour faire un envoi. — Le général Gourgaud assure que la santé
de Bonaparte n'est pas telle que les rapports du Dr O'Meara la représentent :
elle est aussi bonne que possible. L'opinion du gouvernement
anglais sur l'individu du général Gourgaud est absolument la même que s'est
formée sir Hudson Lowe. On le croit franc, honnête et sincère dans ses
révélations. Les commissaires étrangers à Sainte-Hélène partagent cette
opinion. L'ambassadeur de France ici s'explique dans le même sens sur son
compte. Toutes ces autorités
sembleraient devoir écarter tout soupçon de dessus le général Gourgaud :
néanmoins, lorsqu'on rapproche différentes circonstances de cet événement, le
peu d'éclaircissements satisfaisants qu'offrent les motifs de la querelle
avec le comte Montholon, les cinq jours passés encore à Longwood sans que
Gourgaud ait trouvé l'occasion de laver la prétendue injure qui lui a été
faite ; ses révélations au gouverneur qui, toutes concluantes qu'elles
paraissent être à celui-ci pour la probité et la délicatesse du général
français, ne semblent cependant offrir aucune donnée claire et n'impliquent
que des individus contre lesquels on ne peut pas sévir — en effet, il n'a
nommé à sir Hudson Lowe que le prince Eugène — tous ces faits réunis
devraient ébranler un peu la confiance qu'il inspire. Ses aveux cependant ont
eu un résultat que lui-même n'osait pas espérer, on l'a laissé retourner en
Européen droiture sans autre précaution que sa parole d'honneur, qui a
parfaitement contenté la probité anglaise : et le gouverneur a passé, des
habitudes de surveillance les plus scrupuleuses, à une confiance presque
imprudente. Il est assez curieux de remarquer que, depuis la détention de
Bonaparte à Sainte-Hélène, il est arrivé à peu près tous les six mois en
Europe un individu de sa suite et que le départ du général Gourgaud de Sainte-Hélène
a eu lieu à celte distance de l'époque à laquelle Las Cases avait quitté
cette Ile. Son arrivée en Europe a été plus rapprochée en conséquence de
l'indulgence que lui a accordée le gouverneur de s'v rendre en droiture sans
la station du Cap de Bonne-Espérance. Lorsque sir Hudson Lowe
fit, il y a de cela quelques mois, son premier rapport relativement au désir
de Gourgaud de se séparer de Bonaparte, le ministère lui enjoignit d'user des
mêmes précautions qui avaient été observées à l'égard des autres individus de
sa suite qui l'ont quitté et de le faire préalablement séjourner pendant
quelque temps au Cap. Cet ordre avant lardé à arriver à Sainte-Hélène, le
gouverneur crut pouvoir prendre sur lui de laisser partir le général Gourgaud
sans attendre les réponses d'Europe à son égard. Cette précipitation a été
désapprouvée par le gouvernement, il vient de le témoigner a sir Hudson Lowe
en lui prescrivant en outre — et par suite des dénonciations du général
Gourgaud — d'apporter des restrictions aux relations des personnes de la
maison de Bonaparte avec les habitants de l'ile. Leurs rapports semblent
avoir été assez libres jusqu'ici et l'accès auprès des individus de sa suite
également facile aux indigènes et aux Anglais qui abordent à Sainte-Hélène.
Souvent les capitaines des vaisseaux marchands, venant des Indes, sont admis
à Longwood et s'entretiennent librement avec les Français. Ces indulgences déplacées
doivent être rapportées a la responsabilité gênante dans laquelle se trouve
le gouvernement anglais et la crainte constante qu'il a des attaques
publiques de l'opposition au sujet de Bonaparte. L'ambassadeur de France
avant demandé les ordres de son gouvernement sur le retour de Gourgaud en
France, il lui a été intima de suspendre encore toute réponse à cet égard et
de s'éclairer au préalable avec plus de précision sur les intentions et les
principes de cet officier. Il me reste... (La suite et fin de la dépêche au corps du livre, page 101.) LE COMTE LIÉVEN AU COMTE BALMAIN. Londres,
21 mai, 2 juin 1818. ... Le général baron
Gourgaud, arrivé ici depuis une quinzaine de jours, m'a remis la lettre dont
vous l'aviez-muni pour moi... J'ai appris avec bien du plaisir par lui, que
votre santé, monsieur le comte, s'est beaucoup améliorée. — Il m'est revenu
que les révélations faites par ce général ont instruit le gouvernement
britannique de l'existence de communications entre les habitants de Longwood
et le continent de l'Europe dont sir Hudson Lowe ne connaissait point toute
l'étendue, circonstance qui ne justifie que trop les mesures de prudence et
de sûreté que le gouverneur met en vigueur, qui ne les rend nullement aussi
extravagantes qu'on le lui reproche peut-être avec exagération. Une certaine
restriction dans les relations actuelles des alentours et des serviteurs de
Bonaparte avec le reste des habitants de l'ile pourrait bien avoir lieu à la
suite des révélations du général Gourgaud et ne saurait être taxée de rigueur
inutile. M. le général Gourgaud s'est adressé à l'ambassadeur de France à Londres pour solliciter la permission de rentrer dans sa patrie : M. le marquis d'Osmond n'a point encore reçu à cet égard de réponse définitive de son gouvernement... |
[1] Dépôt des Affaires étrangères, France, Mém. et Doc, 1804 et Angleterre (Corr). Deux des documents cités ont été donnés par M. Frémeaux, Les derniers jours de l'Empereur, p. 373. Les parties publiées sont placées entre crochets. Le duc de Richelieu ayant signifié le 30 septembre au marquis d'Osmond, par une dépêche chiffrée, sans numéro, que les communications relatives au personnel de Sainte-Hélène devaient être transmises avec des précautions particulières, hors de la correspondance officielle, c'est en quelque sorte par hasard que quelques-unes des lettres de l'ambassadeur se trouvent au dépôt des Affaires étrangères : on n'y a trouvé aucune minute des réponses du ministre.
[2] Les minutes des lettres du duc de Richelieu n'ont pas été retrouvées.
[3] Voir ci-après, pièce XI.
[4] Il s'agit ici de l'ancien officier d'ordonnance de l'Empereur marié à Mlle Cuillier-Perron, la fille de cet étrange Perron qui avait fait aux Indes une fortune immense.
[5] Publiée par PH. GONNARD, Les origines de la légende napoléonienne, p. 351, note 2, d'après les Mss. du Record Office.
[6] Archives du ministère des Affaires étrangères. Pétersbourg.